M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, quel est le sens des propositions de nos concitoyens membres de la Convention pour le climat ? Une société décarbonée est-elle possible ? Oui ! Comment ? Grâce à la taxe carbone européenne aux frontières. Si un entrepreneur français et son homologue asiatique sont demain à égalité, l’un devant respecter les normes applicables, l’autre devant compenser financièrement ses exportations de CO2 et les différentiels environnementaux, c’est faisable.
Le combat environnemental et climatique de notre pays se joue donc non pas à l’article 1er de la Constitution, mais à l’échelle internationale. C’est avant tout un combat européen.
La proposition de révision constitutionnelle qui nous est proposée illustre ce tropisme français consistant à préférer définir des principes plutôt qu’à chercher des solutions.
Sur cette révision constitutionnelle, je ferai trois remarques.
Premièrement, la bataille des mots à l’article unique n’est pas essentielle, mes chers collègues.
Deuxièmement, nous ne souhaitons pas créer de hiérarchie des normes constitutionnelles.
Troisièmement, changer notre État de droit en donnant la priorité aux droits dits « objectifs », c’est-à-dire aux droits collectifs ou de la société sur les droits dits « subjectifs », c’est-à-dire les droits de l’homme, serait un changement majeur. L’idée de faire prévaloir les droits de l’environnement, du climat, de la nature, de la biodiversité sur les droits sociaux, sur les droits humains, au motif que l’homme serait une cause ou la cause des problèmes environnementaux, est probablement populaire (M. Bruno Sido se montre dubitatif.), mais elle va bien au-delà d’un glissement sémantique.
La bataille des mots n’est donc pas essentielle. Le débat sémantique – faut-il préférer « agit pour », « favorise », « préserve », « garantit » ? – serait le signe d’un grand débat politique : il est permis d’en douter. Ces quatre mots nous ont successivement déjà été proposés par le Président de la République et le Gouvernement depuis 2018. Le Gouvernement peut donc difficilement les qualifier de « conservateurs » en 2021. Relativisons donc la bataille des mots : que l’on retienne « garantit » ou « préserve » ne changera pas fondamentalement l’interprétation du Conseil constitutionnel.
Ce qui est un effet important pour lui, c’est non pas l’intensité plus ou moins marquée d’un verbe, mais les principes constitutionnels en présence : il vérifie qu’ils peuvent être conciliés avec des motifs d’intérêt général et qu’ils sont proportionnels à l’objectif visé. Telle est la mission du Conseil constitutionnel.
La protection de l’environnement occupe déjà dans le préambule de notre Constitution, cela a été indiqué, la plus haute place dans la hiérarchie de nos normes : la plus haute, certes, mais pas la seule, et c’est sur ce point que portera le débat.
Chers collègues, « préserve » offre certes une sécurité supplémentaire par rapport à « garantit » en diminuant l’incertitude juridique. Je serai assez mesuré sur les risques de judiciarisation accrue et de contentieux de masse dus à l’obligation de quasi-résultat. En revanche, je crains davantage l’insécurité, monsieur le garde des sceaux.
La règle veut en effet que le Conseil constitutionnel s’autorise à réexaminer, par le biais des questions prioritaires de constitutionnalité, en cas de changement des circonstances de droit, ce qui serait le cas, l’ensemble des dispositions législatives, même celles dont il aurait déjà approuvé la conformité. On créerait là une insécurité importante, qui, à mon sens, monsieur le garde des sceaux, irait très au-delà de la simple question de la charge de la preuve, à laquelle vous avez fait référence.
Par ailleurs, nous ne souhaitons pas de hiérarchie des normes constitutionnelles. Tel est le sens de l’amendement que nous avons déposé et que vous devriez approuver, monsieur le garde des sceaux.
Votre propos est explicite : « Le Gouvernement n’entend toutefois pas introduire d’échelle des valeurs entre les principes constitutionnels. » Si telle est bien votre conviction, l’article unique doit alors être rédigé comme nous vous le proposons. Si vous en restez à la rédaction issue de l’Assemblée nationale, vous introduisez un « rehaussement », pour reprendre le mot que vous avez employé. Dans votre propos liminaire, vous avez évoqué le renforcement du poids constitutionnel, mais aussi la notion de forces nouvelles.
Chers collègues, le droit est logique et il emprunte assez souvent à la géométrie. Si les principes constitutionnels sont sur la même ligne horizontale et sont de même valeur (L’orateur trace du doigt cette ligne dans l’espace.), si vous rehaussez un principe, sans pour autant rehausser les autres, vous créez une hiérarchie des normes.
Je ne crois donc pas, monsieur le garde des sceaux, que vous souhaitiez le faire, mais vous devrez le faire, et ce pour une raison simple : c’est que le Conseil constitutionnel recherche l’effet utile d’une révision, en vertu du principe d’effectivité.
La rédaction de l’article unique adoptée par l’Assemblée nationale vise à permettre au Conseil constitutionnel de placer au-dessus des autres principes classiques, en particulier des principes de l’article 6 de la Charte de l’environnement, ce que vous avez appelé la « plus-value », monsieur le garde des sceaux.
Si nous sommes en désaccord avec la rédaction qui nous est proposée, c’est parce qu’elle entre en contradiction avec l’article 6 de la Charte, lequel repose sur une conciliation entre la préservation de l’environnement, le développement économique et le progrès social ou humain. Cette conciliation, nous y tenons.
Cette conciliation entre des principes d’un même niveau est au cœur de la décision politique, laquelle consiste à trouver un équilibre entre des considérations différentes, sur le fondement d’un bilan entre les avantages et les inconvénients. Vous connaissez bien cela, mes chers collègues ! Ne glissons donc pas d’un système de conciliation constitutionnel vers un système de hiérarchisation, dans lequel une norme écraserait les autres.
J’en viens à la défense de notre conception des droits dits « subjectifs ». Notre pays a une histoire, qui s’est incarnée, ciselée, dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, laquelle protège dans son préambule « les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme ». Cela signifie que, en France, nous protégeons les droits individuels, dits « subjectifs ». Telle est notre tradition.
Cette conception est aujourd’hui attaquée. Les pays d’Europe centrale, et ils ne sont pas les seuls, expliquent que les droits collectifs doivent primer les droits des personnes. Or la volonté de placer la protection de la nature au-dessus des droits humains, même si nous comprenons bien ce raisonnement, monsieur le garde des sceaux – il s’agit de protéger l’environnement pour préserver l’avenir des hommes – va à l’encontre de notre définition du droit. Je suis donc réservé sur ce point.
Finalement, l’amendement proposé par la majorité sénatoriale vise à prendre en compte l’attente sociétale qu’a exprimée la Convention citoyenne pour le climat, tout en empêchant l’établissement d’une hiérarchie des normes constitutionnelles et en préservant les droits subjectifs, auxquels nous accordons une grande importance. Il constitue donc une proposition équilibrée, réfléchie, argumentée, robuste.
À ceux qui nous écoutent, au-delà de notre hémicycle, je dirai simplement que l’amendement de la majorité sénatoriale n’est pas un prétexte et qu’il témoigne d’un dialogue sérieux entre les deux assemblées. Le groupe Union Centriste le soutiendra de façon quasi unanime. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne sais pas très bien, comme vous peut-être, ce que je fais aujourd’hui en prenant la parole dans cette discussion générale.
Nous discutons aujourd’hui, après deux échecs en 2018 et en 2019, d’un article unique visant à réviser la Constitution. Pourtant, il se murmure à un très haut niveau que le Président de la République renoncerait à cette révision, avant même son examen par la Haute Assemblée, ce qui témoignerait de nouveau du peu de respect qu’il a pour la deuxième chambre du Parlement.
Hier, l’oracle qui préside à la destinée de la République a laissé filtrer son auguste décision : de référendum sur une nouvelle rédaction de l’article 1er de notre Constitution, il n’y aurait point, en raison du désaccord entre l’Assemblée nationale et le Sénat et, plus probablement, de l’opposition de ce dernier.
Pourtant, le même, en marge d’un déplacement, a indiqué qu’il n’y aurait pas d’abandon, que ce texte vivrait sa vie parlementaire, qui, seule, permettrait l’organisation d’un référendum.
J’ai l’impression de revivre le suspense sur la tenue ou non du scrutin du mois juin et ses innombrables coups de théâtre !
On pourrait avoir la tentation, de guerre lasse et au vu de l’accumulation de tant de mépris, de le prendre au mot, de ranger nos notes, d’oublier nos auditions, d’éteindre la lumière de l’hémicycle et de vaquer à d’autres occupations.
Pourtant, ce n’est pas ce que nous allons faire, parce que, voyez-vous, mes chers collègues, malgré nos différences politiques et face à cette morgue qui est la marque permanente du pouvoir macronien et de sa majorité, notre institution doit conserver une certaine dignité. Le bicamérisme doit être préservé, quand bien même nos débats pourraient apparaître dérisoires et participer du théâtre d’ombres organisé par l’exécutif.
Le mépris touche non seulement la chambre haute, que le Président de la République cherche à instrumentaliser, mais aussi la Convention citoyenne, dans laquelle 150 citoyens se sont investis à corps perdu en pensant que le Président de la République tiendrait sa parole.
Alors que toutes les mesures devaient être reprises sans filtre, on sait ce qu’il advint.
Un possible ajournement du référendum résonne comme une dernière gifle symbolique. Avec ce pouvoir, aucun engagement ne tient, tout n’est qu’une question d’opportunité.
Pourtant, en sommes-nous vraiment là ? Je ne le pense pas. La volonté initiale, marquée du sceau de l’insincérité, n’a jamais été de modifier la Constitution, puisque le calendrier électoral rend quasiment impossible la tenue d’un référendum.
Nous connaissons tous l’article 89 de la Constitution, qui définit la procédure usuelle de révision constitutionnelle. Il aurait sans doute été possible de passer par la voie du Congrès. Il n’est pas exclu en effet que la majorité des trois cinquièmes puisse être atteinte. Compte tenu du calendrier électoral, cette voie offrirait la possibilité d’une nouvelle lecture, loin d’être superflue s’agissant d’une révision constitutionnelle.
Avec l’emphase qui est la sienne, Emmanuel Macron a préféré le référendum, un vote du Constituant ayant plus de portée sur un texte fondamental. On aurait pu l’entendre si l’intention avait été réelle. Dès lors, pourquoi peut-être vouloir ajourner la procédure, si ce n’est par calcul politique ?
Je constate, mes chers collègues, que tous les groupes ont été modérés dans leurs propositions et qu’ils ne sont pas tombés dans le piège politique qui leur était tendu, sans doute par sens des responsabilités.
En matière constitutionnelle, il n’existe pas de procédure accélérée, celle-ci étant pourtant l’unique façon de procéder du Gouvernement depuis 2017. Que le rapporteur à l’Assemblée nationale se drape dans une feinte dignité en disant que le texte a été vidé de sa substance relève de la posture. Il aurait peut-être été possible de faire converger les positions des uns et des autres vers une rédaction unique.
C’est là que la manœuvre politique prend le dessus. Avec les délais qu’il a retenus, Emmanuel Macron sait que nous n’avons plus le temps d’adopter une révision constitutionnelle. Il le savait d’ailleurs dès le départ. Alors que, en pratique, les choses auraient pu avancer, il se contente de révéler ce que tout le monde sait : il n’est point question ici d’environnement. L’inscription de ce texte dans l’agenda législatif démontre qu’il a toujours été un prétexte aux yeux de l’exécutif.
On pourrait presque en rire si le sujet n’était pas aussi vital, car bientôt, au vu de l’effondrement de la biodiversité et de la dégradation de notre environnement, nous pleurerons collectivement.
La difficulté tient sans doute à la forme. Le texte de la proposition initiale, retenu en toute bonne foi par la Convention citoyenne, après de multiples auditions, peut poser des difficultés, mais comme je l’ai dit en commission, la forme a lancé un débat de pharisiens, confirmant à nouveau les propos de Jean Giraudoux : « Jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité. »
L’opposition entre d’excellents juristes – les uns soulignant l’inutilité de la réforme, les autres considérant qu’elle était absolument nécessaire – n’a pas contribué à éclaircir les choses. Seule une question compte : quelle est la volonté politique ? La question est de savoir si l’on peut se cacher derrière le droit.
Pour notre part, nous nous sommes focalisés sur un aspect complémentaire, qui nous semblait ne pas avoir été pris en compte alors qu’il est central : les biens communs. Ma collègue Nicole Bonnefoy, qui a déjà porté une proposition de loi constitutionnelle sur ce thème, détaillera ce point fondamental pour nous.
Quant à la majorité sénatoriale, elle a considéré que la Charte de l’environnement, la jurisprudence du Conseil d’État et, plus sûrement, celle du Conseil constitutionnel suffisaient. Elle est partie du principe, défendu par certains juristes, que le texte pouvait emporter des risques, notamment en matière de conciliation des droits et de hiérarchisation. Sans surprise, elle a retenu une rédaction qui minore la phrase initialement proposée, la réduisant à une véritable aporie.
Je retiens néanmoins quelques arguments portés en faveur du texte initial.
D’abord, le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme et l’environnement, David Boyd, a montré que, dans les pays où de telles avancées constitutionnelles avaient eu lieu, les conséquences n’avaient pas été dramatiques.
Ensuite, cette révision, si elle était adoptée, aurait au moins un effet symbolique : celui de réitérer l’exigence de protection de l’environnement à l’article 1er, à côté des autres valeurs fondamentales de la République.
Enfin, la France s’honorerait à introduire le changement climatique dans sa Constitution : elle serait la première à le faire parmi les États du Nord.
En l’espèce, seul le fond compte : les dispositions actuelles, la Charte de l’environnement et la jurisprudence suffisent-elles en matière de défense de l’environnement ? La réponse est non. La Constitution doit donc s’adapter aux nécessités de notre temps.
Du Club de Rome jusqu’au dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), tous nous montrent tous les jours que notre situation n’est plus tenable.
Selon l’OCDE, 40 % de la population mondiale sera confrontée à des pénuries d’eau d’ici à 2050 et 700 millions de personnes pourraient être déplacées à l’horizon 2030 du fait d’une telle pénurie.
Selon Météo-France, les températures estivales moyennes augmenteraient de 6 degrés Celsius d’ici à 2050. La recharge des nappes phréatiques diminuerait de 10 % à 25 % selon les régions.
Les populations de vertébrés ont chuté de 68 % en 45 ans. Au cours des prochaines décennies, de 500 000 à 1 million d’espèces vont décliner et seront, à terme, menacées d’extinction.
La crise sanitaire que nous vivons n’est que la traduction de cette situation.
Comme le souligne Bruno David, président du Muséum national d’histoire naturelle : « Plus la biodiversité est riche, plus les pathogènes infectent des espèces différentes, plus ils nous épargnent. Plus nous portons atteinte à la biodiversité et plus la probabilité que des zoonoses se déclenchent et se propagent augmentera. »
La question environnementale dépasse tous les clivages. En définitive, cette révision méritait bien mieux que des calculs politiques, tellement futiles et dérisoires, pour ne pas dire consternants, au regard du défi que nous devons relever collectivement.
Alors, de deux choses l’une : soit cette réforme ne change rien juridiquement, mais elle porte une valeur symbolique forte qui nous paraît essentielle dans la bataille culturelle – le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain pense qu’un tel symbole est important – ; soit cette réforme emporte des conséquences et la question est de savoir si l’urgence environnementale n’impose pas de rehausser enfin notre niveau d’ambition. Nous pensons que c’est absolument nécessaire.
De ce fait, la réécriture de l’article 1er doit être la plus ambitieuse possible pour l’avenir de l’humanité. Nous y veillerons. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Éliane Assassi et Esther Benbassa ainsi que M. Jean-Pierre Corbisez applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le Parlement est ici devancé dans le processus législatif par une Convention citoyenne dont le coprésident n’est autre que le directeur général de Terra Nova, le think tank qui avait conseillé à un certain François Hollande, alors candidat à l’élection présidentielle, d’abandonner les classes populaires pour se tourner vers un électorat d’origine étrangère. Nous participons donc aujourd’hui à un simulacre de démocratie, ou plutôt à un exercice oligarchique.
Le peuple français demande une meilleure représentativité et plus de concertation par voie référendaire, pas une manipulation de l’opinion populaire pilotée par Terra Nova. Nous devons tous veiller à ne pas faire sombrer notre pays dans une crise démocratique. La démocratie, monsieur le garde des sceaux, est aussi l’écologie du peuple !
Les choses étant ainsi piétinées, il n’est pas étonnant que les termes envisagés de cette révision soient excessifs et qu’ils emportent des effets juridiques insupportables. Terra Nova et Emmanuel Macron considèrent sans doute la Constitution comme le simple règlement intérieur d’une association loi 1901 ou 1958.
L’écologie n’a rien à voir avec l’écologisme : elle est une exigence transversale, elle appartient à tous. Elle est à l’opposé de l’idéologie internationaliste et cosmopolite des talibans verdoyants. (Rires sur les travées du groupe GEST.)
On a vu ces derniers mois ce que donnait la gestion locale par ces écolo-gauchistes. Ne manger que du tofu et des graines de quinoa en fumant des joints peut être à l’origine de politiques graves, comme la fin des arbres – morts – de Noël, du rêve aérien ou d’un Tour de France jugé « machiste et polluant » ou comme la régularisation de tous les clandestins et la légalisation du cannabis. Je passe sur l’ignoble accusation de racisme systémique dans la police et sur les autres délires de ces Khmers, qui sont aussi verts à l’extérieur que rouges à l’intérieur.
L’impératif environnemental et social du XXIe siècle mérite tellement mieux que ces idiots utiles de l’ultralibéralisme. Entre les partisans de la décroissance et ceux d’un développement durable hypocrite, qui cherchent à verdir un système de production sans frein, il existe le chemin de l’écologie intégrale et du localisme.
Le localisme, c’est dire que nous préférons la courte distance en tracteur et en train, plutôt que le tour de la planète en bateau ou en avion. Le localisme, c’est valoriser le travail de ceux qui respectent les normes sociales et environnementales. Le localisme, c’est le pragmatisme.
Le localisme exclut les décisions simplistes qui consistent à recouvrir nos territoires marins et terrestres d’éoliennes et de panneaux solaires, sans considérer les effets néfastes sur les milieux de vie des gens et sur l’esthétique de nos paysages. On implante des éoliennes plus grandes que nos cathédrales, c’est le signe des temps : on préfère brasser de l’air plutôt que s’enraciner dans la pierre ! (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et GEST.)
Le localisme, ce sont de nouveaux tissus de vie et d’échanges locaux, promus par un État stratège, protecteur, mais c’est aussi une vision élevée du monde.
Il ne s’agit pas de céder au lobbying de ceux qui se goinfrent, au premier rang desquels la Chine, qui émet des taux de CO2 incomparables et ne prend aucune résolution pour changer, tandis qu’elle tire tous les bénéfices du « tout énergies renouvelables » et du « tout électrique » en maîtrisant la fabrication des pièces et des technologies spécialisées, l’extraction et l’exportation des métaux rares.
Faisons preuve de clairvoyance et regardons où se situe le véritable esclavage, car c’est une question d’écologie humaine. Au lieu de réécrire notre histoire et de sombrer dans une repentance injustifiée, regardons comment notre monde accepte aujourd’hui, en Asie, en Afrique et dans la péninsule arabique, le nouvel esclavage. La justice sociale et la justice environnementale sont liées.
Des victimes de l’écolo-gauchisme, il y en a beaucoup chez nous ! Je pense aux chefs d’entreprise qui n’ont pas délocalisé et cherchent à produire en émettant un minimum de dioxyde de carbone, ou encore aux agriculteurs, si respectueux de nos sols, de leurs cultures et de leurs animaux : les uns et les autres sont victimes du dumping social et environnemental.
Par ailleurs, notre gouvernement, tétanisé par l’écolo-gauchisme, a fait fermer le réacteur nucléaire de Fessenheim pour des raisons strictement politiques. (M. Ronan Dantec s’esclaffe.) Les effets écologiques de cette décision sont dévastateurs. Fermer une centrale nucléaire, c’est ouvrir une centrale à charbon ou une centrale à gaz. On assassine notre compétitivité économique et environnementale !
La phrase que le Gouvernement propose d’insérer dans la Constitution ne « garantit » qu’une chose : que le cinquième PIB mondial sera juridiquement cloué au pilori, en pleine crise économique, dans la droite ligne des lubies bruxelloises.
Le Sénat, chambre de la réalité des territoires et des élus locaux, est évidemment concerné par une écologie locale et enracinée. Il doit toutefois d’abord s’appliquer, mes chers collègues, à faire l’économie des contradictions ! C’est là la première des écologies.
M. le président. La parole est à M. Alain Marc. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avec moins de 1 % de la population mondiale, la France ne représente que 1 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Notre pays est reconnu pour son action climatique à l’échelon européen et international. Le succès de la COP21 comme l’énergie déployée en faveur d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières sont des exemples de notre volonté d’agir concrètement en faveur de la préservation de l’environnement, mais cela ne nous exonère pas d’agir davantage.
À l’échelon national, les normes ont aussi grandement évolué ces dernières décennies. Nos concitoyens sont de plus en plus conscients de l’urgence environnementale, et c’est pour le mieux. Cette prise de conscience trouve écho dans toutes les facettes de la vie de notre pays, et là encore c’est pour le mieux.
La France agit dans le domaine de la protection environnementale. Le législateur, à l’instar des Français, est conscient des menaces que constitue le changement climatique et travaille à trouver les meilleurs équilibres.
Notre Constitution est, pour reprendre une phrase récemment coécrite par l’un de nos derniers Premiers ministres, une « merveille d’équilibre des pouvoirs ». Mais elle a aussi et surtout pour objectif de protéger les citoyens, ainsi que leurs libertés fondamentales. Le changement climatique et le réchauffement de notre planète représentent une menace pour les individus, et singulièrement dans l’exercice de leurs libertés.
Les projections de hausses de température nous font craindre le pire. Nous vivons déjà les conséquences du réchauffement, et nous le voyons chaque jour accélérer. La préservation de l’environnement et de la biodiversité ainsi que notre action pour infléchir le réchauffement climatique ont toute leur place dans notre Constitution.
Le Président Chirac l’avait bien compris. Au-delà de nous expliquer que nous tournions le dos à notre maison commune en flammes et que nous regardions ailleurs, voilà vingt ans presque jour pour jour, le 3 mai 2001, il développait un projet d’écologie humaniste basée sur la création d’une charte de l’environnement adossée à notre Constitution. Je vous rappelle ses termes : « L’écologie, le droit à l’environnement protégé et préservé doivent être considérés à l’égal des libertés publiques. » Plus fort encore, ce fut une promesse de campagne, et nous lui sommes redevables de l’avoir mise en œuvre.
Toute révision de la Constitution ne doit être envisagée qu’avec la plus grande circonspection. Il est impératif d’envisager tous les paramètres et d’évaluer les conséquences avant toute modification. Si Montesquieu disait des lois qu’« il n’y faut toucher que d’une main tremblante », l’examen de ce texte appelle la plus grande prudence.
L’article unique qui nous est présenté a pour objectif d’introduire dans l’article 1er de la Constitution la préservation de l’environnement et de la diversité biologique. Cela s’accompagnerait de la mention de notre combat contre le dérèglement climatique. Ce dernier point ne fait pas partie de la Charte de l’environnement. Ce serait un message fort, faisant de la France un exemple.
D’après la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, cette protection est un objectif de valeur constitutionnelle. Cependant, si un tel principe est au plus haut dans la hiérarchie des normes, le Conseil d’État rappelle qu’il n’a pas de prééminence juridique sur d’autres dispositions constitutionnelles, même s’il devait être intégré dans l’article 1er de la Loi fondamentale.
La place de la protection de l’environnement, grâce à la Charte de l’environnement de 2004, est donc constitutionnelle. C’est essentiel. Sur le terrain, c’est l’une des principales préoccupations. En tant qu’élu, je peux vous assurer que les enjeux sont pris en compte et que nous y sommes très attentifs.
Laissez-moi vous faire part d’une anecdote. Je suis, pour un mois encore, président de la commission des routes d’un conseil départemental. Au sud de mon département, nous avons récemment dû travailler à la remise en état d’une route à flanc de montagne. Longeant l’une de nos rivières – l’une des plus belles de France –, la route en question permet de relier le plateau du Causse noir, ses villages et ses fermes à l’une des principales villes du département. Dans nos territoires, la route est un moyen de vivre en hyper-ruralité et d’accéder à l’éducation, à la santé, à l’emploi. Nous avons rendu la route plus sûre. C’était important pour les habitants. Nous l’avons fait avec le concours de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal). Des études encadrées ont été menées. Nous avons tenu compte de l’environnement et de la spécificité du territoire. Nous avons replanté des arbres et respecté les exigences de la biodiversité.
Nous sommes donc déjà énormément contraints par le droit à intégrer la lutte pour l’environnement dans toutes nos décisions, et c’est heureux !
Je n’évoque même pas les règles d’urbanisme régies désormais par les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et, conséquemment, les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi). Mais les élus locaux, eux, savent combien il est éminemment tenu compte de l’environnement dans les décisions qu’ils prennent au quotidien.
L’inscription dans l’article 1er de la Constitution qui nous est proposée aujourd’hui a le même objectif. La révision d’un texte renvoie à la complexité de le rédiger. Comme le soulignait Flaubert : « Tout le talent d’écrire ne consiste après tout que dans le choix des mots. » En matière de droit – ce n’est pas vous qui me contredirez, monsieur le garde des sceaux –, chaque mot doit être pesé, car il peut donner lieu à interprétation. C’est d’autant plus vrai pour la norme constitutionnelle.
Les termes qui ont été sélectionnés laissent une place très importante à l’interprétation et aux incertitudes qui en découlent. Il y a danger quand nous ne sommes pas capables d’entrevoir les conséquences juridiques réelles des modifications que nous apportons. Notre rapporteur, François-Noël Buffet, l’a très justement illustré en évoquant le fait de « constitutionnaliser le doute ».
De son côté, le Conseil d’État relève les difficultés dans l’anticipation des effets que produirait l’utilisation des mots « garantit » et « lutte ». Selon lui, cela imposerait une quasi-obligation de résultat et pourrait être entendu comme « s’imposant aux pouvoirs publics nationaux et locaux dans leur action nationale et internationale ».
Que se passerait-il lors de la ratification d’un texte européen qui ne serait pas conforme à notre Constitution, mais qui marquerait des avancées environnementales majeures ? Le mois dernier, l’Allemagne a été contrainte de suspendre la ratification du plan de relance européen de 750 milliards d’euros en raison d’une saisine de la Cour constitutionnelle visant à s’assurer que le plan était bien conforme à la Loi fondamentale allemande. Un tel recours paralyse ainsi l’adoption du plan de relance pour l’ensemble des États européens, l’unanimité étant requise pour son adoption.
La rédaction qui nous est proposée fait encourir le risque de décisions pouvant in fine contrevenir au bien-être social et économique de nos concitoyens, ce qui irait à l’encontre de l’article 6 de la Charte de l’environnement, et donc de beaucoup de nos libertés. Le Conseil d’État redoute d’ailleurs les effets juridiques du projet sur « la conciliation entre la préoccupation environnementale et les autres intérêts publics ». Notre collègue Philippe Bonnecarrère a très bien développé ce point tout à l’heure.
Restons vigilants afin de pouvoir défendre ensemble notre objectif de protection de l’environnement. À être trop contraignants, nous risquons des effets pervers inacceptables.
Notre groupe croit à une écologie libérale et réaliste, en phase avec les réalités sociales et économiques. Nous croyons que l’innovation et le progrès vont de pair avec la protection de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique. Les normes sont nécessaires. Mais il serait fâcheux que, faute de souplesse, elles ne permettent ni à la recherche de se développer ni aux investissements d’être bien orientés pour faire émerger des pratiques et une consommation différentes, plus sobres et moins utilisatrices de nos ressources naturelles.
Un dernier risque doit être pris en compte : celui du gouvernement des juges. Nous en avons eu le meilleur exemple la semaine dernière en Allemagne. La Cour constitutionnelle de Karlsruhe, saisie par des associations environnementales, a jugé les objectifs de la loi allemande sur la protection du climat « insuffisants », forçant le gouvernement à retravailler le texte. Certains plaignants, après le jugement, ont même regretté que la Cour n’ait pas fixé elle-même la trajectoire de réduction des émissions. Nous trouvons dangereux que des arbitrages éminemment politiques soient confiés aux juges plutôt qu’aux élus.
Nous ne pouvons donc pas voter ce texte dans la rédaction proposée par le Gouvernement. Au terme « garantit », nous préférons « préserve », et nous trouvons le verbe « agir » plus adapté que celui de « lutter ». La précision des mots dans notre Constitution est fondamentale.
La rédaction proposée dans les amendements identiques présentés par les deux commissions saisies pour l’examen du texte – il s’agit de reprendre les recommandations du Conseil d’État – nous paraît équilibrée.
Le groupe Les Indépendants votera par conséquent dans sa très grande majorité en faveur du texte ainsi amendé. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)