Mme le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’écriture inclusive alimente régulièrement les polémiques en se faisant l’écho d’un sujet sociétal majeur : l’égalité entre les femmes et les hommes. Pour autant, l’écriture inclusive caricature ce combat et, à mon sens, porte plusieurs dérives, que je veux rappeler ici.
La première est issue d’un présupposé : la pratique de la langue doit être une déclinaison des politiques sociales inclusives, donc inclure toutes les personnes qui peuvent se sentir non représentées. La langue refléterait ainsi fidèlement l’ordre du monde, la façon de penser d’une société. De facto, une langue qui invisibilise le féminin au profit du masculin serait celle d’un monde où les femmes sont cachées.
Aujourd’hui, l’écriture inclusive servirait donc les luttes féministes. Qu’en sera-t-il demain lorsque la langue devra servir une autre cause ? Faudra-t-il changer de langue au gré des combats sociétaux ?
Erik Orsenna, dans La Fabrique des mots, nous alerte sur les dangers de la confusion entre ordre linguistique et ordre social. Dans ce conte, il narre les aventures d’un dictateur qui, voulant lutter contre les bavardages pour hisser son pays au rang de puissance mondiale, bannit les mots inutiles. « Évidemment, c’était plus facile de déclarer la guerre aux mots que d’affronter le chômage ! », déclare son héroïne…
La deuxième dérive de l’écriture inclusive est sa vision de la masculinité dans le langage. Comme nombre d’entre vous, j’ai appris, dans les leçons de grammaire, que « le masculin l’emporte sur le féminin ». Cette règle concentre les attaques des partisans de l’écriture inclusive. Toutefois, les linguistes déconstruisent la thèse selon laquelle elle aurait été instaurée afin de soumettre les femmes. Depuis la première moitié du XVIIe siècle, ils débattent sur l’accord de voisinage, tel que « le cœur et la main ouvertes », qui, jusqu’au début du XXe siècle, est enseigné dans les manuels de grammaire.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est vrai !
M. Max Brisson. Cette chronologie démontre qu’il n’y a pas de lien entre grammaire et place de la femme dans la société.
En fait, le masculin fonctionne en français comme le genre de base, portant la généralité. C’est au masculin qu’est formé le participe dans « j’ai écrit », même si le sujet « je » représente une femme.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est l’accord du participe passé ! Ça n’a rien à voir !
M. Max Brisson. C’est au masculin que l’on substantive les différentes catégories grammaticales, comme dans le froid, monsieur Sueur, le chaud, le pour, le contre et même le qu’en-dira-t-on. Il s’agit d’un principe d’organisation de la langue et non d’une vision de la société.
Dernière dérive : l’écriture inclusive entraîne l’exclusion. La multiplication des lettres muettes, la révision de la ponctuation, la complexité des règles d’accord, la fin de la linéarité de la chaîne écrite sont autant de difficultés nouvelles qui entraînent une perte de compréhension. Quel en sera le coût social ? Quels en seront les bénéfices ? Surtout, quels en seront les bénéficiaires ?
Au reste, lorsque l’on nous dit que l’écriture inclusive n’a pas vocation à être imposée aux écoliers, en particulier à ceux qui éprouvent des difficultés à entrer dans l’écrit, n’est-on pas à même de s’interroger sur la prétendue inclusivité de l’écriture inclusive ?
Pour ma part, je crois profondément que l’écriture inclusive ne répondra pas aux enjeux de l’égalité entre les femmes et les hommes. Au contraire, elle créera un fossé entre ceux qui la maîtrisent et ceux qui n’auront pas accès à cette complexité coupée du monde réel.
La langue est un vecteur de partage et de rassemblement. J’en veux pour preuve le rôle joué par notre école depuis près de cent cinquante ans, qui a permis à des enfants non francophones arrivés en France de parler français et, ainsi, de s’intégrer dans notre société et de faire Nation. La langue est bien l’un des facteurs premiers d’intégration.
En août 1539, l’ordonnance de Villers-Cotterêts, en rendant obligatoire l’usage du français dans les actes publics de justice et d’administration du royaume, précisait que les arrêts devaient être clairs et compréhensibles, afin qu’il n’y ait pas de raison de douter sur leur sens.
Dans une langue, les objectifs de clarté et de compréhension sont des défis perpétuels. Ils le sont particulièrement aujourd’hui. Il me paraît dangereux de sacrifier l’apprentissage de l’écriture et de la lecture sur l’autel de l’instrumentalisation de notre langue à des fins idéologiques.
Sans fondement historique, sans pertinence linguistique, loin d’être inclusive, cette écriture est, au contraire, facteur d’exclusion entre ceux qui maîtrisent et ceux qui subissent. Ni notre langue ni notre société n’en ont besoin. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
Mme le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chers collègues, l’idée selon laquelle le pouvoir des hommes et, en l’occurrence, le pouvoir des femmes se refléteraient dans le choix des mots n’est pas nouvelle. La volonté de réformer une langue pour marquer un changement sociétal ne l’est pas non plus.
Jamais la langue française n’aura connu autant de changements que sous la Révolution française. Le français a été érigé comme langue nationale, arme défensive pour prémunir la République de tout morcellement. Trait d’union entre tous les citoyens, elle a contribué à cimenter l’identité républicaine, en offrant à chacun un égal accès aux lois, au droit, à l’instruction.
Dans le même temps, le français s’est considérablement enrichi et n’a jamais cessé de le faire, en intégrant des mots en patois, des mots étrangers, des innovations lexicales. La langue française est avant tout une langue vivante, à la fois chargée d’histoire et évolutive. L’écriture inclusive a déjà imprimé son empreinte à travers la féminisation des métiers et des fonctions, la suppression du « mademoiselle » dans les documents administratifs ou encore le choix spontané de certains mots neutres pour inclure l’ensemble des interlocuteurs, comme je l’ai d’ailleurs fait au début de mon discours en préférant le mot « collègues » à « sénateurs » ou « sénatrices et sénateurs ».
En la matière, le mieux est l’ennemi du bien, et il ne faudrait pas confondre les évolutions naturelles de la langue, partagées par la majorité des Français, et sa confiscation par une petite minorité porteuse de revendications égalitaristes.
Cette offensive lexicale se cristallise dans l’usage du point médian, qu’une poignée de militants tentent d’imposer dans les universités, certaines mairies ou dans les écoles. Cette écriture prétendument inclusive se révèle en pratique inaccessible pour un grand nombre de nos concitoyens, aveugles, déficients visuels, dyslexiques ou autistes.
J’ai auditionné hier, avec mon collègue Jean-Pierre Decool, l’Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées, présidée par Matthieu Annereau. Les témoignages que nous avons recueillis soulignent que, en modifiant la graphie des phrases, l’écriture inclusive rend les textes absolument incompréhensibles pour toute personne qui utilise la lecture d’écran par synthèse vocale. En cherchant à dégenrer la langue, nous fabriquons une langue d’exclusion, une langue discriminante.
Nous devons faire usage de bon sens et veiller par-dessus tout à l’accessibilité de la langue pour tous, avant de chercher à la rendre conforme à nos revendications idéologiques, justifiées ou non.
À l’heure où nous débattons de la symbolique des mots, des millions de femmes dans le monde sont prisonnières de sociétés profondément machistes, sexistes et violentes à leur égard. Alors que certains se hérissent au nom de la théorie du genre, des femmes sont lapidées, brûlées à l’acide au nom de la tradition ou pour avoir refusé une demande en mariage. Il faut choisir ses combats, ceux qui en valent la peine.
La journaliste d’origine turque, Claire Koç, a choisi la France précisément pour les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité que notre pays incarne et défend. Je dis bien « fraternité », mot féminin qui désigne le lien existant entre les membres de la famille humaine, que les mêmes défenseurs du point médian voudraient doubler du mot « sororité », quitte à modifier la devise républicaine au nom d’un faux féminisme revanchard. La différence, c’est que la sororité n’inclut pas les hommes, alors que la fraternité inclut les femmes et les hommes.
La galanterie est-elle toujours permise ou allons-nous bientôt chercher à en faire une marque de sexisme insupportable ? L’historienne Mona Ozouf plaide pour l’apprentissage de la nuance et défend l’idée qu’il existe un féminisme à la française, où la galanterie reste l’expression d’une élégance.
Vous l’aurez compris, chers collègues, je suis pour une société inclusive et une langue française universelle, qui facilite la lecture et la compréhension. C’est la raison pour laquelle je suis contre cette écriture d’exclusion que représente l’usage du point médian. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier le groupe Les Indépendants – République et Territoires de nous avoir proposé ce débat, d’une importance capitale pour traiter d’un péril civilisationnel aussi majeur que l’écriture inclusive, ou, plus exactement, le terrifiant point médian. Malgré la pandémie, l’explosion des inégalités, la crise sociale, malgré l’effondrement de la biodiversité et la catastrophe climatique qui s’annoncent, vous avez su garder la tête froide et remettre au cœur de la Haute Assemblée les vrais débats qui comptent. Cela doit être salué. (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Puisque nous devons débattre, faisons-le sérieusement.
La langue est une construction culturelle et sociale. Elle reflète notamment les évolutions et les rapports de force dans la société. À son tour, elle forge les esprits : elle détermine en partie la manière dont nous pensons et envisageons le réel.
Le langage porte en lui des questions politiques. Il est forcément l’objet d’évolutions et de tensions. L’écriture inclusive, ou plutôt le souci d’une communication inclusive, est une forme de travail sur ce langage. C’est un processus de réappropriation de la langue, pour plus d’égalité.
En France, ce débat s’est focalisé sur le point médian, comme nous le voyons aujourd’hui. Pourtant, celui-ci n’est pas l’alpha et l’oméga d’une communication inclusive. (Mme Marie-Pierre Monier applaudit.)
Mme Claudine Lepage. Bravo !
M. Thomas Dossus. Mais le niveau de débat actuel, qui ne permet aucune nuance ou réflexion, passe désormais par un processus bien rodé : des personnes, des chercheuses ou des militantes, réfléchissent sur un sujet, font une proposition, qui rompt parfois avec une forme d’ordre établi ; puis, les réactionnaires ou les conservateurs, paniqués par toute forme de progrès, montent le sujet en épingle pour nier l’exigence d’égalité. Les polémiques se cristallisent sur de faux problèmes et l’on finit par disserter ici sur de la typographie.
Oui, nous pouvons questionner notre communication, y compris dans nos administrations, quand elle invisibilise parfois 50 % de la population ! Non, le point médian, celui qui coupe les mots pour leur ajouter un suffixe, n’est pas le seul outil d’écriture inclusive ! Non, ce n’est ni un « péril mortel » ni un « risque civilisationnel », contrairement à ce que j’ai pu lire !
Comment diminuer les inégalités qui se trouvent au cœur même de notre manière de nous exprimer, donc de rendre compte du réel ?
La langue française est une langue vivante. Elle évolue avec les femmes et les hommes qui la parlent. Il en a toujours été ainsi. Il serait illusoire de vouloir inscrire dans le marbre des règles immuables et de fixer définitivement les usages. Les seules langues ainsi figées sont les langues mortes, comme le grec ou le latin. J’espère que personne ici n’a cette ambition pour notre langue nationale.
Parmi les arguments souvent cités à l’encontre du point médian, nous venons de l’entendre, un argument revient sans cesse, qui s’avère tout à fait exact : son usage rend la lecture difficile pour les personnes souffrant d’un handicap de lecture. C’est même en raison de cette difficulté que Jean-Michel Blanquer souhaite interdire son usage à l’école. C’est le bal des tartuffes ! Cette soudaine passion pour les enfants en situation de handicap disparaît soudainement quand il s’agit de revaloriser le salaire des accompagnants des élèves en situation de handicap, les AESH, qui sont mobilisés depuis des mois pour la reconnaissance de leurs missions. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. Max Brisson. Démagogie !
M. Thomas Dossus. Au-delà du point médian, le fond du problème est la prédominance du masculin dans notre langue. Cela s’explique par l’histoire, par une évolution lente, depuis un latin qui reconnaissait trois genres – féminin, masculin et neutre – jusqu’à la progressive disparition du genre neutre au profit d’un masculin qui devint générique.
Force est toutefois de constater que cette histoire n’est pas linéaire. Au Moyen Âge, la langue, alors plus libre dans son usage, était habituellement épicène : elle faisait à de nombreuses occasions la part belle au féminin et au masculin de manière égale. Même lors de la fondation de l’Académie française par Richelieu et alors que les règles que nous connaissons aujourd’hui se sont stratifiées peu à peu, la règle de prédominance du masculin n’a jamais été aussi fortement affirmée qu’elle ne l’est aujourd’hui. On préférait ainsi, par exemple, l’accord de proximité, qui consiste à accorder le genre de l’adjectif avec le nom le plus proche qu’il qualifie.
Mes chers collègues, sachez ainsi que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui, je le rappelle, a valeur constitutionnelle, mentionne : « Tous les Citoyens […] sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics. » L’usage exigerait aujourd’hui que l’on emploie « tous » au lieu de « toutes » ! Ce texte, malgré son intitulé, était donc déjà plus souple que certains dans son usage de notre langue.
Il n’y a donc pas, d’un côté, un usage pur et traditionnel de la langue, qui s’opposerait, d’un autre côté, aux prétendus délires séparatistes d’une partie de la population. Il s’agit d’un processus d’évolution de la langue, nourri par un questionnement. Ce processus interroge et nous élève.
Oui, il est possible de communiquer en incluant toute la diversité de notre société ! Non, vous n’êtes pas et vous ne serez jamais obligés d’utiliser le point médian ! Notre langue est riche quand elle se réinvente. Soyez donc inventives et inventifs !
Pour conclure, je tiens à faire remarquer à cette assemblée que le discours que je viens de prononcer, comme tous ceux que prononcent les sénatrices et sénateurs de mon groupe, a été réalisé en suivant dans la mesure du possible les règles de cette langue épicène que vous fustigez tant. Chacun sera libre de constater si celui-ci a mis en danger la langue française ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Jean-Pierre Sueur. Jusque-là, ça va !
M. Julien Bargeton. … c’est un débat piège : on se sent pris en tenailles entre, d’un côté, les partisans d’une forme d’hypermodernité à la mode, consistant à défendre l’écriture inclusive partout, tout le temps, et, de l’autre, les tenants d’une croisade réactionnaire visant à l’interdire par la loi. C’est un débat de talk-show, de chaîne d’information en continu, dont on imagine bien les invités s’étriper durant une heure sur l’écriture inclusive
Je crois qu’il y a d’autres façons de faire avancer l’égalité entre les femmes et les hommes, grande cause du quinquennat. Celle-ci est déjà passée par la langue, avec la féminisation des fonctions. Pour ma part, je suis choqué que l’on y résiste encore, notamment dans cet hémicycle, mais pas seulement. Quand j’ai commencé la politique à Paris, voilà longtemps, le maire commençait ses allocutions par « Parisiennes, Parisiens ». Que l’on dise aujourd’hui « Mme la présidente » et « Mme la maire » me semble bien évidemment indispensable et aller dans le bon sens.
Ces débats sont anciens et ne viennent pas seulement de l’étranger. Les théories qui conduisent à promouvoir l’écriture inclusive ont aussi été construites par des philosophes français. Sans vouloir faire de provocation, je citerai le début de l’allocution de Roland Barthes au Collège de France, en 1977, lors de sa leçon inaugurale : « La langue, comme performance de tout langage, n’est ni réactionnaire ni progressiste ; elle est tout simplement fasciste ; car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire. » Plus tard, Roland Barthes aura cette formule fameuse : « Tout d’un coup, il m’est devenu indifférent de ne pas être moderne. » Lui-même était traversé de ces contradictions…
Des raisons pratiques viennent compliquer, dans certaines circonstances, l’utilisation de cette écriture inclusive. Ces raisons ont été rappelées par différents orateurs, y compris parmi les promoteurs de l’écriture inclusive. À cet égard, je remercie M. Dossus d’avoir souligné que les associations défendant les personnes en situation de handicap mettaient en avant les difficultés liées à l’utilisation de l’écriture inclusive – notamment le point médian pour les personnes ayant recours aux synthèses vocales.
Certains linguistes, à l’instar de Bernard Cerquiglini, montrent que, sous prétexte de progressisme, on se dirige vers quelque chose qui complique. Paradoxalement, l’écriture inclusive vient ralentir le mouvement observé depuis le XVIe et le XVIIe siècle vers une plus grande lisibilité démocratique de la langue et la rend moins compréhensible. On voit combien le débat est complexe.
Comme cela a été rappelé, 10 % des élèves arrivant en sixième ont une maîtrise insuffisante du français. L’utilisation de l’écriture inclusive dans les apprentissages viendrait donc compliquer une situation déjà loin d’être parfaite en termes de maîtrise de la langue.
Par ailleurs, depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts, on essaie d’établir une norme la plus partagée, la plus simple et la plus compréhensible possible. La circulaire de 2017 va également dans ce sens.
Enfin, le français est aussi un facteur de rayonnement, un outil de promotion de notre pays, dont l’écriture inclusive pourrait réduire la portée.
Je ne veux pas tomber dans le piège qui tendrait à dire qu’il faut voter des lois pour interdire à tous d’utiliser cette écriture. Même si c’est particulièrement difficile dans le cadre d’un tel débat, il me semble possible d’adopter une position un peu modérée – « Je veux vivre selon la nuance », disait Roland Barthes. À titre personnel, je ne suis ni favorable à l’utilisation maximaliste de l’écriture inclusive ni particulièrement favorable à l’adoption d’une loi visant, par exemple, à interdire de l’utiliser.
Mme Laurence Rossignol. En même temps…
M. Julien Bargeton. Regardons les difficultés que soulève cette question. Il y a d’autres façons de mieux répondre à l’objectif sous-jacent d’égalité entre les femmes et les hommes que poursuivent celles et ceux qui promeuvent l’écriture inclusive.
Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes, inscrit à l’article 1er de notre Constitution, est une juste cause. Il mérite une action résolue, ambitieuse et ininterrompue. En parallèle, l’article 2 de notre Constitution dispose que « la langue de la République est le français ». Il s’agit d’un facteur d’intégration, d’appartenance et de rayonnement de la culture française. Notre langue nationale constitue le socle fondamental de notre fraternité républicaine.
Le débat sur l’écriture épicène, dite « inclusive », met en jeu ces deux exigences constitutionnelles. Au-delà, elle interroge notre façon de « faire société » à travers le langage.
L’écriture inclusive repose sur deux grands principes. D’une part, il s’agit d’accorder les grades, fonctions, métiers et titres en fonction du genre – on écrira ainsi « une autrice », « une pompière » ou « une sénatrice ». Ce principe ne rencontre pas d’opposition, et l’Académie française en a d’ailleurs fait la promotion. Il s’agit de lutter contre l’invisibilisation des femmes. D’autre part, il s’agit d’inclure les deux sexes grâce à l’utilisation du point médian pour éviter que le masculin « ne l’emporte » sur le féminin – on écrira ainsi « les électeur.rice.s » ou « les citoyen.ne.s ». C’est ce principe qui attise aujourd’hui les passions.
Albert Camus disait : « J’ai une patrie : la langue française. » Or non seulement l’écriture inclusive conduit à une dénaturation de la langue française, mais le désir d’égalité n’excuse pas le façonnage des consciences. Cette écriture s’accompagne en effet d’une politisation du langage de la part d’une minorité loin d’être consensuelle. Elle n’est utilisée que dans des cercles militants très restreints, et sa généralisation semble au moins prématurée, au pire peu souhaitable.
Comme notre collègue Bargeton, je citerai Roland Barthes : « Dès qu’elle est proférée, fût-ce dans l’intimité la plus profonde du sujet, la langue entre au service d’un pouvoir. » Oui, la langue entre au service d’un pouvoir, celui de la culture et de l’histoire dont nous sommes héritiers ! Le français est riche d’un passé glorieux. Nos écrivains, nos diplomates, nos figures illustres ont pensé dans cette langue prestigieuse dont l’influence est forte dans les pays de la francophonie.
Mais la langue française ne doit pas être instrumentalisée au service d’une repentance anachronique. L’écriture inclusive relève d’une idéologie militante dont ne doivent pas souffrir les élèves. Alors que ces derniers ont de plus en plus de mal à savoir lire et écrire, comme nous le démontrent les classements PISA, nous ne pouvons nous permettre d’alourdir et de complexifier l’apprentissage de la langue française.
M. Jean-Claude Requier. Tout à fait !
M. Bernard Fialaire. L’Académie française a déjà alerté sur le risque d’aboutir à une langue désunie, disparate dans son expression et créant une confusion qui confine à l’illisibilité.
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
M. Bernard Fialaire. L’écriture inclusive consacre une rupture sans précédent entre la langue parlée et la langue écrite.
Si chacun est libre d’utiliser divers moyens de communication dans son espace privé, les services publics, ainsi que leurs agents, ne doivent pas communiquer par écrit dans une langue aussi incomprise que discriminante.
Mme Laurence Cohen. Oh !
M. Bernard Fialaire. À cet égard, je ne peux que soutenir la décision du ministre de l’éducation nationale de rejeter l’usage de l’écriture inclusive dans les manuels scolaires.
Il s’agit d’un barrage à la transmission de notre langue pour tous, raison pour laquelle je m’inscris en opposition, ainsi que l’ensemble de mon groupe, avec cette écriture compliquée. Loin de tout discours réactionnaire, je ne peux me résoudre à lire un « roman épicène » – de grâce, épargnez-moi l’allongement des fameuses phrases de Proust ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)
Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mesdames les sénatrices, mesdames les sénateurs, messieurs les sénateurs, chères collègues, chers collègues, « nous voulons que doressenavant tous arrestz ensemble toutes autres procedeures soient […] enregistrez & delivrez aux parties en langage maternel francoys, et non autrement ».
Vous avez reconnu, chers collègues, l’une des prescriptions de l’ordonnance sur le fait de la justice, prise en 1539, à Villers-Cotterêts, par François Ier en un château où il reçut François Rabelais et Clément Marot.
Quatre siècles plus tard, l’article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 déclare toujours que « la langue de la République est le français », mais, pas plus que l’ordonnance de 1539, la Constitution ne précise de quel français il s’agit. Toutefois, dans sa sagesse, le procureur général du roi avait précisé, en 1539, qu’il s’agissait du français comme langue maternelle, c’est-à-dire de la langue telle qu’elle est parlée dans la diversité de ses pratiques, de ses emprunts et de ses assimilations. Cette langue a beaucoup évolué depuis le XVIe siècle, et ses transformations successives ont accompagné celles de nos sociétés pour qu’elle demeure, en ce début du XXIe siècle, « ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ».
Dans le monde, le français est aujourd’hui la langue de près de 300 millions de personnes, qui l’utilisent, la font évoluer et l’adaptent à des réalités sociales en perpétuelles mutations. Ces locuteurs, peut-être parce qu’ils ont une relation avec la langue française moins sacramentelle que la nôtre, lui apportent beaucoup pour qu’elle demeure vivante.
Ainsi, le 28 juillet 1979, la Gazette officielle du Québec publiait une instruction de l’Office de la langue française qui recommandait l’utilisation des formes féminines dans tous les cas possibles, soit à l’aide du féminin usité – une infirmière –, soit à l’aide du seul déterminant – la ministre –, soit par un néologisme – une chirurgienne –, soit par l’adjonction du mot femme : une femme-ingénieur.
On sait qu’une circulaire gouvernementale du même esprit, proposée par Mme la ministre Yvette Roudy en 1986, suscita une vive réaction des geôliers de la langue, qui lui reprochèrent de vouloir « enjuponner le vocabulaire ». Pourtant, l’usage a tranché, et je note que notre assemblée compte quatre-vingt-dix femmes qui ont souhaité se faire appeler « sénatrices », alors que vingt-huit autres demandent qu’on leur donne du « sénateur ». En revanche, je n’ai pas trouvé d’homme revendiquant le titre de « sénatrice ». (Rires sur quelques travées.)
Cette liberté donnée à la pratique de la langue doit être préservée, car elle fait toute sa richesse. Je note, avec malice, que la direction de la séance de notre assemblée n’applique pas à la lettre les rectifications orthographiques du français recommandées par l’Académie française en 1990. Ainsi, dans nos comptes rendus, le mot « événement » garde fièrement ses deux accents aigus, alors que l’Académie préconise de changer le second par un accent grave.