Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur Longeot, je répondrai à vos deux questions.
Sur les flux libres d’abord, nous ne sommes pas en retard. Vous connaissez bien les expérimentations menées sur trois diffuseurs – l’A4, l’A837 et l’A10 : elles montrent, je le crois, la pertinence d’un tel dispositif. Le flux libre, pour les raisons écologiques que vous avez parfaitement citées, sera déployé à grande échelle, vous le savez, en 2022 à l’occasion de la mise en service de l’A79 et, plus tard, dans le cadre des nouvelles concessions et de la conversion de sections du réseau actuellement concédées. Ces expérimentations qui portent leurs fruits nous ont permis d’atteindre un bon niveau.
Sur le deuxième sujet, très large, que vous avez abordé, celui du report modal notamment des poids lourds, je citerai nos actions en faveur du report vers des modes par nature plus vertueux : je pense notamment au fret ferroviaire, sur lequel je ne reviendrai pas. Des zones à faibles émissions (ZFE) sont mises en place pour les véhicules légers, et un grand nombre de territoires seront bientôt couverts.
L’article 32 du projet de loi Climat et résilience permet de donner la possibilité aux régions d’instituer une contribution sur le transport routier de marchandises. C’est une demande des régions, notamment du Grand Est et de l’Île-de-France, à laquelle nous avons répondu. Les départements pourront également demander à l’appliquer sur certaines routes départementales pour éviter les reports de trafic. Les équipes de mon ministère travaillent actuellement à l’inventaire de ces routes au vu des demandes actuelles des élus.
Mme le président. La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. J’ai deux questions sur ce sujet passionnant. Je salue la qualité des travaux de notre commission d’enquête, qui a bien mis en évidence un certain nombre de déséquilibres existant entre concédant et concessionnaires.
Ma première question est courte : le décret de 1995 relatif à la fixation annuelle du prix des péages est-il bien légal ? Dans l’hypothèse d’une abrogation, les conséquences seront importantes. Notre collègue députée Christine Pires Beaune attend toujours votre réponse à ses questions écrites : je ne doute pas que je vais l’obtenir.
Ma deuxième question vient d’être posée par mon collègue Éric Bocquet. Elle est relative à l’article L. 3131-5 du code de la commande publique aux termes duquel le concédant doit publier chaque année un rapport contenant un inventaire précis et actualisé des biens concédés. Or cette obligation n’est pas respectée. Pis, monsieur le ministre, dans votre courrier du 5 avril adressé au rapporteur, vous écrivez que « l’enjeu pour le concédant n’est pas de disposer au cours de la concession d’un inventaire précis à un instant donné ». Cette phrase est totalement contraire à la doctrine législative et réglementaire.
Vous n’avez pas répondu à mon collègue et ami Éric Bocquet, mais je ne doute pas que j’obtiendrai une réponse. Vous avez commencé votre propos introductif en déclarant que vous vouliez un meilleur encadrement des contrats. Pourtant, sur cette question qui n’est pas que technique, on donne les clés au concessionnaire et on ne le contrôle pas. Je ne veux pas d’un modèle concessif non contrôlé. Je vous remercie d’apporter des réponses à mes deux questions précises. (M. Jacques Fernique applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué, qui est très attendu !
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Je vois cela, madame la présidente ! Je vais donc essayer d’être précis, monsieur le sénateur, car je vous sais expert sur ces sujets.
Sur l’abrogation du décret de 1995 d’abord, vous savez qu’il est prévu, par dérogation aux dispositions du droit commun, que les rémunérations des cocontractants de l’État au titre des contrats de concession puissent être indexées sur le niveau général des prix. Les travaux parlementaires ayant conduit à l’adoption de ces dispositifs établissent clairement qu’il s’agissait surtout de conforter juridiquement la pratique contractuelle de l’État et des sociétés concessionnaires de recours à un indice d’évolution plutôt favorable soit à l’État, soit aux usagers.
En outre, cette modification du code monétaire et financier avait le mérite de donner une accroche législative au décret de 1995 sur les péages autoroutiers. Cette dérogation ne nécessite pas forcément de décret d’application pour ces contrats administratifs. Il n’existe donc aujourd’hui plus de motif pertinent qui justifierait de remettre en cause le décret de 1995.
Sur le sujet du bon état des infrastructures en fin de concession, j’ai répondu à M. Bocquet que la stratégie de l’État en la matière était de structurer et de renforcer son intervention. Il s’agit de définir les bons outils et les bonnes méthodes qui permettent d’abord de connaître, puis de contrôler et de suivre, l’état fonctionnel du patrimoine afin d’établir le bon état cible en fin de concession. Je n’entre pas dans le détail, mais une grille des critères a été établie sur le sujet. Je le disais, nous avons déjà fait l’exercice pour les ponts de Tancarville et de Normandie, dont les concessions arrivent à échéance en 2027. J’ai évoqué la butée calendaire qui nous permet de préparer la fin de contrat sept ans avant.
De manière générale, la philosophie du ministère, monsieur le sénateur, est de connaître en tout temps l’état de santé des ouvrages. Je l’ai évoqué, nous avons lancé le plan « Ponts connectés », qui concerne les ponts du réseau concédé ou non concédé : il consiste à instrumenter les ponts, à connaître leur état de santé à l’instant t et à prévoir les travaux de façon beaucoup plus prédictive, en fonction de l’état des ponts et des sollicitations qu’ils subissent.
Mme le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour la réplique.
M. Olivier Jacquin. Je vous remercie, monsieur le ministre, mais c’est un demi-remerciement. Je prends acte de la réponse à la première question relative à la légalité du décret de 1995, mais je n’ai pas eu plus de succès qu’Éric Bocquet sur le bon état des infrastructures, puisque vous avez répondu à côté.
Je vous ai affirmé que, dans le code de la commande publique auquel nous sommes soumis, un rapport doit être remis chaque année. Nous n’avons pas ce rapport : comment contrôler alors le concédant et le bien public ? Vous ne m’avez pas contredit sur ce point. Vous avez parlé des ponts et d’autres sujets, mais, j’y insiste, vous ne disposez pas de ce rapport annuel. Comment voulez-vous améliorer la relation avec les concessionnaires ? (MM. Jacques Fernique et Éric Bocquet applaudissent.)
Mme le président. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Plus que le modèle concessif, son économie générale et son analyse, que mes collègues ont largement évoqués, je m’attarderai, pour ma part, plus particulièrement sur des considérations environnementales en écho à l’urgence dans laquelle nous nous trouvons actuellement et qui in fine s’insère dans l’axe 3 développé dans le rapport de la commission d’enquête, à savoir négocier une amélioration du service rendu aux usagers compte tenu de la rentabilité indiquée dans le rapport.
En 1970, la France était confrontée à un défi de développement économique des territoires : il s’agissait alors de « rattraper notre retard en matière de desserte des territoires par le réseau autoroutier », et le gouvernement d’alors avait fait appel au secteur privé. Dans la Sarthe, ce fut un succès, et nous l’avons constaté depuis les années 1970 avec l’A11 et depuis une vingtaine d’années avec l’A28. Cinq branches d’autoroute irriguent notre département et ont largement contribué à sa – modeste ! – prospérité économique.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à l’urgence climatique et à l’impérieuse nécessité de décarboner le secteur des transports, mais il faut rappeler que la route assure en France 87 % des déplacements de personnes et 86 % du transport de marchandises.
Par conséquent, décarboner le secteur des transports signifie tout simplement qu’il faut décarboner la route : c’est urgent et nous ne pouvons pas attendre encore dix ans pour agir.
Il me semble que nous sommes confrontés là aux exigences de nécessité et d’utilité prévues par l’article L. 122-4 du code de la voirie routière et la jurisprudence y afférente.
Ma question est donc la suivante : pensez-vous que les contrats de ces sociétés autoroutières qui avaient été au départ pensés dans un objectif de développement économique pourraient être rapidement réorientés vers cet objectif stratégique de décarbonation ? Et si oui, comment ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur, vous avez raison de dire que les contrats historiques correspondaient à des enjeux quelque peu différents. L’objectif, dans les années 1970, était de désenclaver les territoires avec des réseaux qui étaient peu construits et d’offrir des infrastructures adaptées pour un transport rapide et sûr. Je crois que, de ce point de vue, le bilan est objectivement bon cinquante ans plus tard.
Les enjeux d’aujourd’hui sont donc différents : préserver la cohésion de nos territoires, procéder à des investissements utiles pour les usagers, mais aussi décarboner nos routes, qui engendrent, vous l’avez dit, tant pour les passagers que pour les marchandises, l’essentiel des émissions de gaz à effet de serre.
Je les ai cités précédemment, les véhicules électriques sont un bon sujet non seulement d’étude, mais de déploiement d’une action de décarbonation. D’abord, parce que les véhicules concentrent la plus grande partie des émissions. Ensuite, parce que l’État doit définir les niveaux d’aide pour accompagner le secteur de la construction automobile. Je le redis ici, 16 % des véhicules vendus cette année sont électriques ou hybrides rechargeables : ce pourcentage montre la forte dynamique de ce secteur. Vous le savez, les États ont pris des engagements extraordinairement forts, et on estime que 50 % des véhicules vendus seront électriques en 2030.
Pour ce faire, il faut déployer des infrastructures, notamment des bornes de recharge rapide. C’est l’enjeu des 100 millions d’euros consentis ou investis par l’État dans ces infrastructures, qui seront complétés par les 500 millions d’euros des sociétés concessionnaires. Cela montre l’ambition conjointe de l’État et des sociétés concessionnaires en la matière.
Évidemment, le sujet est plus large. Le report modal du transport des marchandises, c’est aussi le report vers les modes les plus vertueux sur le plan environnemental. Je pense au fret ferroviaire ; je n’irai pas plus loin, mais comprenez que notre action est large et totalement engagée sur le sujet.
Mme le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez.
Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le ministre, j’attire votre attention sur la question des péages périurbains et de l’injustice que leur existence induit.
Je pense en particulier à certains péages de la région Île-de-France, comme celui de Saint-Arnoult qui fut l’un des symboles de la crise des « gilets jaunes », ou encore celui de Dourdan que je connais bien.
Notre réseau autoroutier a été construit à une époque où le développement périurbain n’avait pas encore atteint son niveau actuel, et où le recours à l’autoroute pour les trajets quotidiens entre le domicile et le travail était rare.
Depuis, l’économie de services, c’est-à-dire des emplois urbains, s’est considérablement développée. Paris comme sa petite couronne ont attiré de plus en plus de travailleurs, de plus en plus éloignés, en raison notamment de l’explosion des prix de l’immobilier.
Résultat, ce qui était hier l’exception est devenu la norme. Des dizaines de milliers de Franciliens prennent quotidiennement l’autoroute pour aller travailler. Un grand nombre d’entre eux sont contraints de payer les péages périurbains à chaque trajet. Cette obligation de payer pour aller travailler ne touche pas nécessairement les plus aisés.
Devant la commission d’enquête, Jean-Claude Lagron, président de l’association « A10 gratuite » dont je salue l’engagement, indiquait qu’un travailleur régulier déboursait 1 300 euros par an.
Lorsqu’ils ne veulent, ou ne peuvent, pas supporter ce coût, les travailleurs pendulaires se reportent sur le réseau routier secondaire, ce qui n’est pas sans conséquence en matière d’accidentalité et de congestion.
Votre prédécesseur, Mme Borne, avait certes obtenu un geste des sociétés d’autoroutes : une réduction de 30 % pour plus de dix allers-retours par mois sur le même tronçon.
Si l’intention était bonne, l’opération a été un échec. Sur un million d’automobilistes prévus, à peine 100 000 ont finalement souscrit l’abonnement. Les concessionnaires ont peu communiqué sur cette offre et le geste n’était pas suffisant.
Monsieur le ministre, la réponse doit être plus ambitieuse. La suppression de certains péages urbains, en particulier celui de Dourdan, serait une réponse appropriée. Comme le soulignait la commission d’enquête, cela n’aboutirait d’ailleurs pas à remettre en cause l’équilibre économique et financier de la concession Cofiroute.
Négocier cette gratuité sans contrepartie tarifaire répondrait à une demande légitime d’équité.
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Madame la sénatrice, vous évoquiez au fond le sujet bien connu des péages périurbains, fruit de la densification des aires urbaines et de leur impact sur le quotidien de leurs usagers.
Je vous ferai deux réponses.
Sur le pouvoir d’achat, vous avez très justement rappelé le dispositif demandé par l’État aux sociétés concessionnaires qui a permis de baisser de 30 % les tarifs des usagers effectuant plus de dix allers-retours par mois. Ce dispositif a connu un début de succès : 130 000 abonnements ont été répertoriés, avec une hausse significative de 60 % entre septembre 2019 et septembre 2020. Mais il est vrai que le confinement, qui a été propice au télétravail, ne lui a pas permis de prendre pleinement son envol.
J’ai donc demandé aux sociétés concessionnaires de relancer une opération de communication sur ce dispositif, afin de soutenir le pouvoir d’achat des usagers de la route.
Pour ce qui concerne, plus précisément, le péage de Dourdan, je rappelle ce que j’ai déjà indiqué : le tarif de 1,70 euro TTC, est stable et relativement faible par rapport à d’autres axes routiers. En outre, des formules d’abonnement préférentiel sont proposées ; enfin, des aménagements, notamment en places de parking destinées à améliorer l’offre de transport collectif sur l’A10, ont été mis en place.
La suppression, ou le rachat, de ces péages ne peut être envisagée, car cela fragiliserait le modèle concessif. Par ailleurs, la section de l’A10 considérée, située entre Dourdan et La Folie Bessin, est empruntée par d’autres usagers effectuant des trajets en transit, en provenance ou à destination de l’A11. Ce scénario ne paraît donc pas aujourd’hui envisageable, d’autant qu’il risquerait d’entraîner le report d’une partie de la circulation sur la voirie locale, ce qui engendrerait d’importantes nuisances et, éventuellement, de l’insécurité.
Mme le président. La parole est à M. Michel Dagbert. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Michel Dagbert. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier le président de la commission d’enquête, Éric Jeansannetas, et son rapporteur, Vincent Delahaye, pour la qualité du travail accompli. Nous ne pouvons que nous féliciter de la production de ce rapport, qui a permis de mettre en évidence un assez grand nombre de points qui attestent des conditions, pénalisantes pour l’État, de la rédaction des conventions de concession.
Le rapport met en effet en évidence bien des insuffisances, observables au moment de la cession des sociétés concessionnaires d’autoroutes. Il semble notamment que celle-ci n’ait été précédée ni d’une révision des contrats dits « historiques » ni d’une définition de l’équilibre économique et financier des concessions. Ce rapport permet également de noter que les relations entre les concessionnaires et l’État concédant n’ont pas fait l’objet d’une révision.
Au-delà de la perte des recettes résultant, pour l’État, de la privatisation et du déséquilibre financier de la gestion de ces concessions autoroutières au profit des entreprises attributaires, le rapport souligne aussi la permanence des disparités dans les relations entre les sociétés concessionnaires du réseau autoroutier et la puissance publique, au détriment de cette dernière.
Cela étant dit, ces concessions ont été validées ; dont acte. En outre, la réaction et les mesures qui en ont découlé attestent que, d’un point de vue juridique, il serait hasardeux d’y mettre un terme de façon anticipée.
Pour autant, il faut nous donner l’assurance que vous serez en mesure, au terme de ces concessions, de mener l’analyse juridique, technique et financière permettant d’éclairer les choix qui seront à faire. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner la garantie que vous disposerez des moyens nécessaires pour ce faire, au sein des organismes d’ingénierie de l’État, notamment au Cerema ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Je répondrai en deux points succincts, monsieur le sénateur, pour essayer de clarifier ce débat.
D’abord, l’État connaît l’état de son patrimoine,…
M. Olivier Jacquin. Ah ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. … de ses routes, de ses ponts. Nous avons eu, ici, des débats sur certains ouvrages ou éléments moins connus du patrimoine ; c’est pour cette raison que j’évoquais les ponts, puisque nous faisons un effort sur le patrimoine des collectivités territoriales, afin de procéder à son inventaire et d’en assurer un meilleur entretien. L’État connaît donc son patrimoine, dont l’inventaire est disponible.
Par ailleurs, l’État connaît, au travers des concessions, l’état du patrimoine routier concédé. À cet égard, l’enjeu était, à l’approche de la fin des concessions – d’où la clause des sept ans –, de bien connaître les ouvrages et le patrimoine concédés et d’exercer un contrôle renforcé. En gros, le but est – je le dis très directement – de ne pas avoir, pendant les sept dernières années de la concession, un sous-investissement qui ferait supporter par les finances de l’État d’éventuels travaux de régénération.
Je prenais ainsi l’exemple des ponts de Tancarville et de Normandie puisque, ces concessions arrivant à échéance en 2027, les travaux visant à bien appréhender l’état de ce patrimoine ont été conduits sept ans avant, entre 2018 et 2020.
Pour finir, monsieur le sénateur, je vous confirme que l’État – les services de mon ministère, appuyés par d’autres organismes disposant de compétences d’ingénierie technique et financière de très haut niveau, comme le Cerema – a les moyens de mener à bien les travaux destinés à établir l’état cible du patrimoine en fin de concession.
Mme le président. La parole est à M. Didier Mandelli.
M. Didier Mandelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat autour des concessions autoroutières ne cesse de nous mobiliser.
Quinze ans après la privatisation des sociétés autoroutières, notre collègue Vincent Delahaye l’a rappelé, les résultats de ces entreprises atteignent un niveau élevé. Cela est lié à leur professionnalisme, à la qualité des services proposés, notamment en matière de sécurité, et à leurs capacités reconnues de gestion, mais cela est sans doute également dû aux conditions de la privatisation et aux négociations, qui apparaissent aujourd’hui assez avantageuses pour elles.
Si le rapport de la commission d’enquête rappelle que les clauses introduites en 2015 ont pu rééquilibrer les rapports entre l’État et les nouvelles SCA, il souligne néanmoins que ces clauses restent pour le moins inopérantes pour les SCA historiques.
Cette situation de défiance menace directement les projets d’investissement de ces sociétés et les éventuels partenariats avec l’État ; ce sont nos territoires et les usagers qui pâtissent le plus de cette situation. Six ans après ces négociations, vu le contenu du rapport de la commission d’enquête, il devient urgent de réunir tous les acteurs et de négocier des clauses solides et durables, en toute transparence.
Nous examinerons prochainement le projet de loi Climat et résilience ; à ce titre, il paraît indispensable – un certain nombre de collègues l’ont souligné – d’exiger davantage d’implication des SCA dans le développement durable, comme une contrepartie essentielle des contrats de concession : bornes de recharge des voitures électriques – vous venez de rappeler les engagements pris –, voies réservées, offres de covoiturage, plateformes multimodales.
Monsieur le ministre, de nouvelles négociations sont-elles envisagées pour instaurer des clauses portant tant sur la question financière que sur les exigences environnementales ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur Mandelli, votre question porte sur plusieurs points distincts.
D’abord, vous avez rappelé avec objectivité le bilan, notamment en matière de sécurité, de confort et d’aménagement du territoire, de ces sociétés concessionnaires d’autoroutes. Vous avez également souligné leur meilleur encadrement depuis 2015, avec notamment la création de l’ART, qui permet d’exercer un contrôle très précis sur l’équilibre économique des contrats. Je n’y reviens pas.
Ensuite, en ce qui concerne les partenariats entre l’État, les sociétés et les collectivités, je répondrai en deux points. Vous avez cité le sujet des bornes électriques, qui montre bien, me semble-t-il, que l’on sait mettre en œuvre des actions concrètes avec des volumes financiers importants : je le rappelais, en cumulé, 600 millions d’euros sont investis sur trois ans, partout sur le territoire, avec l’objectif de ne pas recréer les zones grises de la mobilité que nous avons pu connaître par ailleurs.
En outre, quand les collectivités se sont montrées motrices en la matière, nous avons pu signer des pactes localisés de relance autoroutière ; je pense notamment au pacte signé avec Renaud Muselier, il y a maintenant quelques mois, en plus du pacte portant sur les petites lignes ferroviaires.
Pour ce qui concerne l’avenir à moyen et à long terme, j’ai dit que nous étions disposés à organiser un sommet des autoroutes, qui permettra d’aborder justement les grands sujets structurants, les modalités de gestion – pilotage public ou délégation au privé – et de voir comment nous pouvons nous attaquer très concrètement aux grands enjeux écologiques et sociaux que vous venez de souligner.
Le Gouvernement est bien évidemment à la disposition du Parlement pour continuer d’avancer sur ce sujet important.
Mme le président. La parole est à M. Didier Mandelli, pour la réplique.
M. Didier Mandelli. Évidemment, monsieur le ministre, nous sommes très intéressés par l’organisation d’un tel sommet des autoroutes. Je souhaiterais que vous y intégriez la représentation nationale, indirectement, au travers du Conseil d’orientation des infrastructures et de l’Afitf, mais également directement, afin que les parlementaires puissent participer à ces travaux en toute transparence.
Cela me paraît indispensable pour restaurer la confiance entre l’État et ses partenaires, mais aussi celle des usagers et de tous ceux qui sont intéressés par l’aménagement du territoire. Ces infrastructures sont essentielles pour l’ensemble du territoire national et il me paraît important que nous soyons associés de très près à cette réflexion.
Mme le président. La parole est à M. Éric Jeansannetas.
M. Éric Jeansannetas. Mon interrogation est double et porte sur les sous-concessionnaires, c’est-à-dire sur les aires de services.
En premier lieu, si les recommandations de l’ART ont permis, au cours des dernières années, d’éclaircir quelque peu les conditions d’attribution des sous-concessions par les SCA, quelques zones d’ombre subsistent. Des progrès ont été réalisés pour renforcer l’effectivité de la modération tarifaire sur le prix des carburants, mais la commission d’enquête préconise un renfort des contrôles des sous-concessions.
Deux mesures nous semblent souhaitables.
La première serait de prévoir explicitement que l’ART puisse collecter directement auprès des sous-concessionnaires toute information utile pour contrôler le respect des engagements des titulaires concernant la fixation des prix ou la durée des sous-concessions.
La seconde serait d’étendre l’obligation de modération tarifaire aux carburants alternatifs et de prévoir un suivi régulier, par les SCA, des prix réels du carburant. Un contrôle de second niveau, assorti d’un pouvoir de sanction, serait réalisé par l’ART. Cela permettrait à la fois de favoriser le recours aux carburants alternatifs et de contrôler le niveau des prix.
Ma première question, monsieur le ministre, est donc simple : comptez-vous appliquer ces deux recommandations ?
En second lieu, la crise sanitaire a mis en lumière le rôle des aires de services au sein du réseau autoroutier. Ce sont les sous-concessionnaires qui, par exemple, ont accueilli les routiers, les commerciaux et les autres usagers pour que ces derniers puissent se restaurer, se reposer et bénéficier de structures de confort, notamment en ce qui concerne l’hygiène.
La crise a toutefois causé des pertes importantes pour les magasins, la distribution de boissons chaudes et la restauration.
J’ai ainsi été alerté – vous aussi, monsieur le ministre – par une société creusoise, donc limousine – Picoty Autoroutes –, qui compte vingt-cinq sous-concessions. Cette entreprise a perdu 1,2 million d’euros sur l’année 2020. Dans le même temps, les principaux concessionnaires ont enregistré 2 milliards d’euros de résultat net et de dividendes. Pourtant, ces derniers refusent de compenser le manque à gagner des sous-concessionnaires par des mesures économiques significatives.
Voici donc ma seconde question : est-il envisageable d’instaurer un mécanisme de solidarité exceptionnel entre concessionnaires et sous-concessionnaires, dans le contexte de la crise sanitaire ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur, allons droit au but : ma réponse aux deux volets de votre première question est « oui », puisque nous avons bien noté la recommandation, figurant dans le rapport, consistant à renforcer le rôle de l’ART dans le contrôle des sous-concessions. Je vous confirme donc que, à propos des deux sujets que vous avez évoqués, des discussions sont en cours avec l’Autorité, qui donneront lieu, le cas échéant, à des décrets destinés à organiser tout cela. La réponse est donc « oui ».
En ce qui concerne votre deuxième question, vous avez raison de dire que les sous-concessions ont joué un rôle clé au moment le plus aigu de la crise, puisque les transporteurs routiers ont fait face, lors des premiers jours, à des pénuries de services essentiels – je pense notamment aux douches, aux toilettes, aux services de restauration – et, tous ensemble, nous nous sommes mobilisés pour les rouvrir le plus rapidement possible. Cela avait permis la réouverture, au cours des jours suivants, de quelque 400 services de restauration un peu partout sur le territoire.
Par ailleurs, nous avons bien conscience des difficultés financières de ces sociétés. J’ai demandé à mes services, notamment à Marc Papinutti, qui œuvre sur tous ces sujets, d’organiser plusieurs réunions de concertation entre l’Association des sociétés françaises d’autoroutes et d’ouvrages à péages (ASFA) et l’Association des sous-concessionnaires d’autoroutes (ASCA), dont Picoty Autoroutes est membre, et ces réunions ont permis de définir les demandes et les contraintes de chaque secteur. Elles doivent maintenant permettre de faciliter les négociations contractuelles entre concessionnaires et sous-concessionnaires. J’ai bon espoir que cette situation s’assainira dans les semaines ou mois qui viennent.