Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, vous dites que le rapport de Serge Papin arrive à point nommé. Mais il n’est pas tombé du ciel ! Si je l’ai commandé, c’est précisément parce que je fais le même constat que vous et que je veux aller plus loin. Le Gouvernement est pleinement engagé sur le sujet.
Vous dites également que les nouvelles conditionnalités de la PAC sont encore plus structurantes que la loi Égalim. Mais certains – votre groupe en fait l’écho – oublient toujours de parler de la création de valeur pour l’agriculteur. Le gros défaut des transitions agroécologiques, c’est que l’on a simplifié à l’excès le discours sans jamais se poser la question de la valeur qu’elles devaient aussi créer pour l’agriculteur.
Si votre discours était parfaitement cohérent, vous devriez aller jusqu’au bout de la logique et avoir le courage politique, comme je l’ai fait à cette tribune, d’appeler à une augmentation du prix des aliments, avec bien entendu un accompagnement par des politiques sociales dédiées. Tant que nous ne le ferons pas, nous serons dans une forme de facilité qui nous conduira à une impasse. On ne peut pas faire croire que ces transitions peuvent être financées par nos seuls agriculteurs, sans contribution du consommateur.
Enfin, songez que l’écorégime de la PAC consiste à prendre 25 % du salaire de l’agriculteur et de le lui reverser seulement s’il se lance dans une transition agroécologique. Que diriez-vous si je séquestrais 25 % de votre indemnité en échange d’une modification de votre comportement ? On se permet de telles pratiques seulement dans le monde agricole ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, Les Républicains, UC, RDSE et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.
M. Daniel Salmon. Une fois de plus, monsieur le ministre, vous ne m’avez pas bien écouté. J’ai bien parlé de création de valeur, et nous répétons sans cesse que nous voulons des prix rémunérateurs pour les agriculteurs.
La nourriture, c’est aujourd’hui la variable d’ajustement dans le budget d’un ménage. Il faut changer cela. Nous devons créer de la valeur pour l’agriculteur et faire en sorte qu’elle n’aille pas dans les poches des intermédiaires. Mais il faut aussi faire des choix forts de politique agricole, et, dans ce domaine comme dans d’autres, je vois bien que le Gouvernement a du mal…
Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Marchand.
M. Frédéric Marchand. On assiste aujourd’hui à un renouveau de l’intérêt politique pour les questions agricoles et alimentaires. Un nombre croissant de collectivités territoriales, de toutes tailles et de tous niveaux, souhaite porter ces enjeux et s’engage aux côtés des acteurs locaux pour accompagner la transformation des modèles de production et de consommation. Ces démarches sont le cœur de la loi Égalim, qui prévoit que l’objectif de 50 % de produits locaux ou bio dans la restauration collective soit atteint d’ici à 2022.
Les collectivités disposent de multiples leviers d’action pour stimuler et accompagner ces dynamiques locales. Au premier rang d’entre eux, se trouvent les projets alimentaires territoriaux : l’ambition qui les fonde est de relocaliser l’agriculture et l’alimentation dans les territoires.
Le plan de relance annoncé par le Gouvernement fait de l’accès de tous à une alimentation saine, sûre, durable et locale l’une de ses priorités ; plus de 80 millions d’euros seront consacrés au développement des PAT, et l’objectif est qu’il existe au moins un PAT par département à l’horizon de 2022.
Dans son rapport, entre autres pistes, Serge Papin préconise que soient renforcées les actions en faveur de l’origine France et l’éducation nutritionnelle des plus jeunes. Ce dernier point est au cœur du projet de loi Climat et résilience. Je ne doute pas que le débat qui se déroulera au Sénat permettra d’enrichir ce texte.
Pour ce qui est du patriotisme agricole et au regard du nombre d’acteurs sur notre territoire, nous pourrions tendre, en matière de restauration collective, vers le développement d’un « localisme » alimentaire dont pourraient se saisir pleinement les PAT et promouvoir ainsi véritablement le « made in PAT » dans les marchés publics. Nous pourrions même aller plus loin en fixant les mêmes objectifs à la restauration collective privée, dans le droit fil du travail mené dans le cadre de l’examen du projet de loi Climat et résilience.
Parmi les soixante-cinq lauréats du premier appel à projets, un nombre important de PAT sont portés par des EPCI, ce qui tend à démontrer, si besoin était, que l’une des clés de la promotion d’une alimentation durable et locale réside dans une mobilisation de toutes les énergies au niveau d’un bassin de vie.
Faire des EPCI des autorités organisatrices de l’alimentation durable et locale peut être un moyen de déployer efficacement les préconisations du rapport Papin, dès lors que l’ingénierie et les moyens financiers sont au rendez-vous.
Monsieur le ministre, vous qui avez fait du combat pour une alimentation durable une priorité, ne pensez-vous pas que le temps des territoires, assembleurs de dynamisme et d’efficacité, est venu si nous voulons passer à la vitesse supérieure ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Frédéric Marchand, je partage entièrement ce que vous avez dit. Je parlais de la nécessité de promouvoir la création de valeur ; cela passe par la constitution au niveau des territoires de chaînes de distribution locales permettant de créer à la fois de la valeur environnementale et de la valeur économique telle qu’elle apparaît dans les comptes de résultat de nos agriculteurs.
Je crois beaucoup à ces projets alimentaires territoriaux. On se dit très souvent que ces projets représentent des sigles et trop peu des réalités. Or il n’existe pas un territoire où se déploie un projet alimentaire territorial qui ne reconnaisse pas la réelle valeur ajoutée de ce projet.
Fort de ce constat, j’ai décidé, dans le cadre du plan France Relance, de renforcer significativement les crédits des projets alimentaires territoriaux. Songez, monsieur le sénateur, que, lors des quatre dernières années, ils ont été financés à hauteur de 6 millions d’euros et que, au cours des deux prochaines années, ils le seront à hauteur de 80 millions d’euros… Le changement d’échelle est très important.
Par ailleurs, il faut absolument, comme vous l’avez dit, laisser les territoires définir les périmètres de ces projets alimentaires territoriaux : parfois au niveau de l’EPCI, parfois au niveau du département, parfois à d’autres niveaux qui représentent néanmoins des réalités territoriales.
Ces projets alimentaires territoriaux sont issus du travail de collectifs sur les territoires. C’est ainsi qu’il faut les faire naître ; c’est ainsi qu’il faut les accompagner, c’est ainsi qu’il faut les renforcer. Telle est la vision que vous avez exprimée, que je partage en tous points. (M. François Patriat applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Pierre Louault applaudit également.)
M. Henri Cabanel. Dans le cadre du travail que j’ai mené aux côtés de ma collègue Françoise Férat, 90 % des agriculteurs rencontrés ont affirmé que la détresse agricole portait sur le non-partage de la valeur et donc, sur le revenu. C’était pourtant là le cœur des objectifs de la loi Égalim.
Si j’ai soutenu l’idée de mettre toutes les parties prenantes autour d’une même table et si j’ai, comme d’autres, participé aux États généraux de l’alimentation, car la méthode était bonne, il faut bien constater que le résultat n’y est pas. Ce constat d’échec est unanime ; vous le reconnaissez vous-même, monsieur le ministre, puisque vous avez récemment tapé du poing sur la table face à la grande distribution. Lorsque nous avons auditionné M. Papin dans le cadre de notre groupe de travail sénatorial, le 30 mars dernier, il nous a confirmé que, l’ADN de la grande distribution, c’est toujours la négociation à la baisse, quoi que l’on fasse.
Je vais parler de sujets déjà abordés par mon collègue Franck Menonville. Je vous prie de m’en excuser, mais la pédagogie aussi passe par la répétition…
La hausse des seuils de revente à perte a généré, suivant les estimations, 600 millions, 700 millions, 1 milliard d’euros – on ne le sait pas – de marges supplémentaires pour la grande distribution. Où est allé cet argent ? Où est passé le ruissellement promis vers les agriculteurs ? Il ne s’est pas produit. Cet argent est souvent allé dans les dépenses de communication ou dans les cartes de fidélité, comme vous venez de le mentionner, mais il n’est pas venu abonder les revenus des agriculteurs, puisque les prix sont restés au plus bas. Il faut donc des mesures coercitives.
En 1996, la loi Galland, ou loi sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales, fut jugée excessive…
En 2008, la loi de modernisation de l’économie fut tout son contraire ; libéralisant les relations commerciales, elle a été à l’origine de la guerre des prix à laquelle s’est livrée la grande distribution, qui s’est faite au détriment des agriculteurs. Comme c’est trop souvent le cas, son impact n’avait pas été suffisamment mesuré au moment de son élaboration.
Quant à la concentration des coopératives d’achat dans la grande distribution, elle a resserré l’étau autour des paysans. Là encore, aucun impact n’avait été mesuré à l’époque.
Ma question est donc simple :…
Mme la présidente. Je dois vous demander de conclure votre propos, mon cher collègue !
M. Henri Cabanel. … allez-vous suivre toutes les propositions du rapport Papin et prendre enfin des mesures coercitives ? Vous venez de dire qu’il fallait revenir sur la LME ; comment allez-vous faire ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Cabanel, je voudrais tout d’abord, comme je l’ai fait ce matin à l’attention de votre collègue Mme Férat, saluer la qualité du travail que vous avez mené sur la détresse dans le monde agricole. Cette détresse s’explique en partie, si ce n’est entièrement, par la question de la rémunération. Quand on se bat pour la rémunération, on se bat aussi pour lutter contre ces événements tragiques dont vous avez à cœur, par votre action, de combattre les causes – et je vous en remercie.
Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit de la LME et de la loi Galland. Quelle a été l’erreur dans la LME ? Elle a été de croire au raisonnement suivant : au nom du pouvoir d’achat, renforçons la compétition entre les trois acteurs de la chaîne agroalimentaire, l’agriculteur, l’industriel et la grande distribution ; ce faisant, créant un rapport de force, nous ferons baisser les prix.
Le constat que vous avez fait sur le passage de la loi Galland à la LME, je le partage en tous points. Là est l’erreur politique : s’il ne faut jamais abandonner le combat pour le pouvoir d’achat – le Gouvernement auquel j’appartiens a toujours été, de ce point de vue, en première ligne –, les politiques de pouvoir d’achat à destination des Français ne sauraient en revanche se faire sur le dos des agriculteurs.
J’ai été trois ans ministre de la ville ; œuvrant à mon niveau, je me suis beaucoup battu pour les politiques sociales d’accompagnement de nos concitoyens qui en ont besoin. Mais c’est une erreur de croire qu’en la matière on peut agir sur le dos des agriculteurs. Il faut dissocier les deux ! Et dissocier les deux, aujourd’hui, cela veut dire revenir sur un certain nombre de dispositifs de la LME, ce qui ne peut se faire que par la loi – d’où les discussions en cours avec vos collègues de l’Assemblée nationale, que vous évoquiez voilà un instant.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. Monsieur le ministre, vous nous dites qu’il faut avoir le courage de revenir sur un certain nombre de dispositifs de la LME ; vous nous dites que l’augmentation du pouvoir d’achat des Français est une nécessité ; vous nous dites que cette augmentation ne peut pas se concevoir à partir de la destruction des revenus agricoles.
Évidemment, nous partageons ces affirmations. Nous les partageons d’autant plus que, voilà quelques semaines à peine, une grande enseigne de distribution affichait en Bretagne la vente promotionnelle du kilo de côtes de porc au prix modique de 1,58 euro, soit le prix de trois cigarettes ! Ce n’est pas ça qui va contribuer à améliorer la rémunération des agriculteurs…
Ce que la volonté de préserver le pouvoir d’achat des Françaises et des Français pourrait appeler, en revanche, c’est l’instauration de prix planchers rémunérateurs pour les paysans et d’indicateurs publics des coûts moyens de production par filière ; c’est également l’encadrement d’un certain nombre de marges et l’obligation de publication des comptes, dans un souci de transparence. Or la loi Égalim ne contient aucune de ces dispositions spécifiques.
Aujourd’hui, pourtant, la situation alimentaire dans notre pays s’est largement dégradée – je ne développerai pas davantage. Et la loi Égalim ne contribuera pas à régler ce problème, celui de la capacité de notre pays à offrir une alimentation de qualité aux Françaises et aux Français. Il est impensable qu’existent, d’un côté, une agriculture de qualité réservée à quelques-uns et, de l’autre, une agriculture destinée aux catégories plus précaires de la population.
Ma question est simple :…
Mme la présidente. Monsieur Lahellec !
M. Gérard Lahellec. … quand allons-nous reconnaître qu’il faut faire de la question agricole une question exceptionnelle, ce qui permettrait de la sortir progressivement de l’univers de la concurrence ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Lahellec, le constat, nous le partageons – je n’y reviens pas. Sur la méthode, il faut faire très attention. La loi Égalim a permis la marche en avant : elle a donné à l’industriel l’obligation de discuter d’abord avec l’agriculteur avant d’aller négocier avec le distributeur. Dans le même temps, elle n’a pas permis de sortir du jeu de dupes que j’évoquais ; elle a concouru à la guerre des prix.
Cela dit, je pense que, pour avancer significativement, il faut passer à la contractualisation, et à une contractualisation pluriannuelle et transparente. Dès lors que les premières parties prenantes, agriculteur et industriel, sont convenues d’un prix, comment faire en sorte que l’industriel ne puisse pas, après, refaire le match ? C’est là tout l’enjeu des travaux de très grande qualité menés par Serge Papin, dont je voudrais saluer la très forte implication.
Vous allez un cran plus loin, ce qui ne m’étonne guère : ne faudrait-il pas, demandez-vous, aller jusqu’à l’administration des prix ?
Sur ce point, nous divergeons. On a parfois tenté, dans le passé, l’administration de certains prix agricoles. Ça s’est toujours mal fini… Si la loi fixe les prix, cela veut dire aussi que seule la loi peut modifier lesdits prix. Je pense, pour ma part, que la loi doit fixer non pas le prix, mais la façon dont est calculé le prix et déterminer qui peut ou non faire évoluer les prix.
Telle est l’approche que nous avons tenté d’adopter avec Serge Papin ; elle me paraît la bonne approche, la plus bénéfique, en définitive, à nos agriculteurs.
Ce sujet est évidemment très complexe ; cela fait des mois que nous y travaillons afin de pouvoir présenter les avancées que nous avons en vue et d’aller au bout de la démarche Égalim. C’est cela l’important !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault.
M. Pierre Louault. Je partage bien sûr tout ce qui a été dit et longuement dit. En dépit des différentes lois votées au fil des ans, on est obligé de constater que sans cesse le revenu des agriculteurs baisse ; ce n’est plus acceptable.
Si nous votons de nouvelles lois, quelles qu’elles soient – le rapport Papin contient un certain nombre de préconisations en ce sens –, il faut permettre que soient prises des sanctions. Lorsque vous roulez trop vite sur l’autoroute, vous avez une amende. Si vous ne respectez pas la loi concernant les critères de formation des prix, vous serez pénalisés, et la sanction s’appliquera du transformateur jusqu’au vendeur de produits. Il faut taper dans les bénéfices des uns et des autres !
Ça, c’est la loi contraignante ; je crains qu’on n’y échappe pas.
Une autre idée serait d’organiser un commerce équitable. Cela signifierait créer une filière de commerce équitable, depuis l’agriculteur jusqu’au transformateur et au vendeur, en fixant des critères très précis et en permettant au vendeur de faire l’affichage du produit concerné comme relevant d’une filière de commerce équitable.
Pour être plus efficaces, comme on sait qu’aujourd’hui la consommation de produits agricoles se fait en partie hors domicile, imposons un minimum, de 25 % ou de 30 % par exemple, de produits issus du commerce équitable de produits agricoles français dans la restauration collective, comme on le fait pour les produits biologiques par exemple.
Je ne suis pas pour des prix fixés d’avance, mais le moment est venu de prendre des mesures qui obligent les différents maillons de la chaîne à rémunérer la production agricole. Un pays comme le nôtre ne peut plus accepter que les produits soient payés en dessous de leur valeur quand les normes augmentent chaque jour.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, permettez-moi de saluer votre action. Nous étions ensemble voilà quelques jours en Touraine auprès de nos viticulteurs ; il était très important que nous fassions front commun auprès du monde agricole, qui a connu ces derniers jours la pire catastrophe agronomique depuis le début du XXIe siècle. Celle-ci, malheureusement, continue : les fortes baisses de température perdurent cette semaine.
La question que vous posez est très pragmatique et très intéressante du point de vue de la pensée. Il y a des filières où le commerce équitable marche. Je vous en donne un exemple : la LSDH, la laiterie de Saint-Denis-de-l’Hôtel, dans le Loiret, marche très bien ; son fonctionnement permet une juste rémunération. Il est précisément fondé sur ce que j’évoquais : contractualisation, pluriannualité, transparence. Les propositions que nous faisons, avec Serge Papin, sont appuyées sur un retour d’expérience émanant d’acteurs du terrain qui font la démonstration que ça marche ! Autant prendre ce qui marche là où ça marche pour le dupliquer ailleurs…
Deuxième remarque : dans le projet de loi Climat, nous introduisons les éléments dits de commerce équitable dans les engagements de la loi Égalim, ce qui va exactement dans le sens de votre recommandation. Cela veut dire favoriser demain ces filières dites équitables.
Le troisième volet de ma réponse relève plutôt de la pensée, mais j’en appelle au sens critique du Sénat : tout cela est quand même très français… Nous sommes en train de discuter pour savoir s’il ne faudrait pas conférer à des aliments un label « équitable », parce que les agriculteurs qui les produisent sont rémunérés à leur juste valeur. Le vrai débat consisterait à se demander comment faire pour que tous les autres aliments soient considérés comme « inéquitables » ! Cela en dit long sur le chemin qui nous reste à parcourir pour faire en sorte que rémunérer devienne la norme et que ne pas rémunérer soit taxé d’« inéquitable ». C’est cela, aussi, le sens de nos travaux.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault, pour la réplique.
M. Pierre Louault. Il faut que les commerçants comprennent qu’un commerce dépend d’un partenariat entre différents échelons : un producteur, un transformateur et un commerçant. Puisque les commerçants font de gros bénéfices, augmentons de 20 % les taxes prélevées sur ceux qui ne veulent pas jouer le jeu. Il faut bien en finir un jour avec le jeu du plus bête ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. J’ai tout d’abord une pensée pour les agriculteurs du Gers et de France très durement touchés par le gel ces jours derniers – mais nous en reparlerons.
Cela a été dit : en 2019, je faisais le constat, avec mes collègues corapporteurs, que la loi Égalim n’atteindrait pas ses deux objectifs, tout particulièrement celui qui avait trait à l’accroissement du revenu des producteurs agricoles.
Certaines de nos recommandations avaient été malgré tout reprises, et je peux vous dire qu’il est des filières – je pense à celle du foie gras, par exemple – qui nous en savent gré, compte tenu des effets négatifs du SRP première version pour les ventes saisonnières et festives.
Monsieur le ministre, comment concrètement envisagez-vous la définition d’indicateurs de coûts de production ? Quelle méthode ? Pour quels produits agricoles ? La loi Égalim ne concernait en effet qu’une partie des productions agricoles.
Comment le plan stratégique national de la future PAC que vous préparez avec les parties prenantes va-t-il intégrer au moins des garanties de couverture des coûts de production ? Qui va payer ? Le premier acheteur ? Les GMS ? Le consommateur final ? La PAC sera-t-elle sollicitée ? Si oui, comment ?
Comment allez-vous maîtriser dans le temps la fuite ou la reprise de valeur par les nombreux fournisseurs d’intrants ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Vous soulevez deux points, monsieur le sénateur Montaugé.
La première question que vous posez est celle du coût de production. Un indicateur de coûts de production est désormais défini par les filières, c’est-à-dire par les interprofessions. Il doit être inclus dans le contrat, mais la loi Égalim laisse la possibilité de ne pas le prendre en compte si et seulement si ce choix fait l’objet d’une explication.
C’est le premier élément qui mérite d’être modifié : il faut que cette contractualisation sur la base d’indicateurs devienne pluriannuelle, avec toute la transparence requise, afin d’éviter le jeu de dupes année après année.
Deuxième recommandation contenue dans le rapport de Serge Papin : un certain nombre d’indicateurs doit faire l’objet d’une indexation. Je prends l’exemple du prix de la matière première pour les gallinacés dans votre beau département, monsieur Montaugé ; le prix de la matière première de l’alimentation de ces gallinacés, lui, est indépendant du travail de l’agriculteur. Est-il normal que le surcoût de cette matière première soit toujours prélevé uniquement sur le compte de résultat de l’agriculteur, qui n’a d’autre choix que d’attendre, parfois de longs mois, la renégociation du contrat ?
Comment donc peut-on mettre en place des indexations permettant une meilleure répartition ? Une augmentation du coût de l’alimentation des gallinacés représente parfois un énorme manque à gagner pour l’agriculteur quand l’impact sur le produit final, donc pour le consommateur, n’est que de quelques centimes d’euros.
Vous me demandez, deuxièmement, si la PAC peut financer en partie le coût de production.
L’argent de la PAC, c’est l’argent de l’agriculture, si je puis dire ; les financements afférents portent une ambition politique relative à l’agriculture que nous voulons pour demain, et c’est de toute façon l’argent de l’agriculture. Ce n’est donc pas à la PAC de financer cette affaire ; c’est la répartition de la valeur tout au long de la chaîne agroalimentaire qui est en cause : ce sont les industriels, la grande distribution et – il faut avoir le courage de le dire – le consommateur qui doivent financer le coût de production. La part du budget d’alimentation dans notre budget moyen a décru ces dernières années ; il faut absolument qu’elle reparte à la hausse.
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.
M. Franck Montaugé. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse.
Je me permets d’évoquer aussi le dossier en suspens des territoires comme le Gers, qui sont indûment sortis, en 2018 – vous le savez –, de la carte des zones défavorisées simples. Nous attendons les jugements du tribunal administratif de Pau, qui auront – je l’espère – un impact positif sur le revenu des éleveurs, aujourd’hui en très grande difficulté.
Je conclurai en vous disant qu’il serait utile que le ministère clarifie aussi la notion de zone intermédiaire, qui ne peut raisonnablement pas être limitée à la diagonale Charente-Grand Est. Les territoires du Sud-Ouest intégrant le piémont pyrénéen, de faible qualité agronomique et confrontés à des conditions pédoclimatiques toujours plus difficiles, répondent aux critères de définition proposés par l’étude du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux.
J’espère, monsieur le ministre, que nous pourrons en discuter directement, et je vous remercie d’avance pour votre écoute.
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. En juin 2018, dans cet hémicycle, j’intervenais dans la discussion générale à propos de la loi Égalim. Après avoir fait la liste des problématiques liées à l’agribashing et aux critiques exacerbées de toute une société envers le monde agricole, je prononçais ces mots :
« Alors, avec l’arrivée d’un Président tout neuf, les agriculteurs, tellement accablés par tout cela et blessés dans leur chair, avec ce terrible sentiment d’injustice né du fait que, travaillant avec passion, ils ne récoltent que des critiques, nos agriculteurs, donc, ont cru à la bonne parole de Rungis. Même si, entre les lignes du discours, on pouvait déjà comprendre quel en serait le résultat.
« Nos agriculteurs y ont tellement cru qu’ils ont participé avec conviction aux États généraux de l’alimentation. Car, ne nous y trompons pas, ce qui caractérise les agriculteurs, c’est qu’ils croient que demain sera mieux qu’hier. Comment feraient-ils, sinon, à chaque sécheresse ou intempérie qui leur fait parfois perdre la totalité de leurs récoltes, pour recommencer avec la même passion à semer l’année d’après ?
« Dans ces mêmes États généraux dans lesquels ils ont mis tant d’espoir, non seulement celui d’une juste valorisation financière de leur travail […], mais aussi, et peut-être surtout, l’espoir d’une reconnaissance nationale de leurs efforts, tant au cours des heures passées avec leurs animaux ou dans leurs champs que dans la technicité et la passion de produire au mieux une alimentation de qualité. »
J’ajoutais à destination de votre prédécesseur, monsieur le ministre : « Que reste-t-il de cet espoir ? Un véritable gâchis, dont vous êtes responsable […] !
« Vous êtes responsable de ne pas avoir pu tenir vos troupes à l’Assemblée nationale avec 2 700 amendements et 72 heures de défouloir durant lesquelles tout y est passé : caricatures, déformations, clichés. Tout cela téléguidé par un obscurantisme digne du Moyen Âge !
« Le titre II du texte adopté par l’Assemblée nationale en est un exemple criant. Ce ne sera que des contraintes et des charges supplémentaires pour les agriculteurs !
« Vous êtes responsable d’avoir fait miroiter aux agriculteurs, dans le titre Ier, une hypothétique amélioration de leur revenu en dévoilant leurs prix de revient. Qui peut croire, dans une compétition commerciale effrénée, qu’en montrant toutes ses cartes on peut gagner la partie ? »
Deux ans après, ce que je disais en 2018 s’est vérifié.