Mme le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Je félicite Mme la ministre pour son humour et son audace. Il lui en fallait pour défendre un tel amendement…
Je crois, voyez-vous, qu’il y a un concept propre à La République En Marche : la « creusitude ». Regardez cette proposition : elle n’est tout simplement pas sérieuse !
Je ne reviens pas sur la méthode ; nous sommes à peu près tous au courant de la façon dont les choses se sont passées, et c’est une habitude pour le Gouvernement de passer en force sur le Parlement, y compris d’ailleurs sur sa majorité.
Si l’on entre dans la technique, on découvre de nombreux problèmes. Comme celui, tout simple, de la déterritorialisation du vote : pour la première fois, il n’y aurait plus moyen de rattacher un électeur à sa commune, celui-ci pouvant voter par anticipation dans un autre endroit. Pour la première fois, donc, il n’y aurait plus de connexion entre l’électeur et son territoire. Ce qui peut fausser la façon de concevoir le sens du vote.
Mme la ministre prétend qu’il n’y a pas d’orientation sociologique. C’est faux, et les procurations le prouvent : elles ne sont pas utilisées socialement de la même façon. Plus précisément, c’est souvent la population la plus insérée et la plus mobile qui en profite. Le phénomène sera identique avec le système proposé.
Pour ce qui est du principe d’égalité, vous dites, madame la ministre, qu’il y aura un bureau dans tous les départements. Très bien, mais, au-delà des problèmes de déplacement, tous les départements ne sont pas égaux du point de vue démographique.
La question se pose aussi, singulièrement, des machines à voter. Tous les ans, des études sont menées sur ces machines – la dernière a été réalisée dans le Voting Village organisé par la DEF CON en 2019. Il faut être clair : aucune de ces machines ne peut être certifiée conforme quoi qu’il arrive. Dès lors qu’il y a une intermédiation, il y a un problème. Ce problème, vous ne pouvez pas le lever.
Madame la ministre, votre proposition est une fausse bonne idée ; votre amendement, de la poudre aux yeux. Vous voulez nous faire passer pour des ringards parce que nous allons le repousser…
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Éric Kerrouche. D’une certaine façon, ce soir, j’en suis assez fier !
Mme le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. Sur les conditions dans lesquelles cet amendement est présenté, tout a été dit par les précédents intervenants.
Je regrette que le Gouvernement, qui, j’imagine, y réfléchit depuis un moment, n’ouvre le débat que maintenant. À l’issue des élections municipales, alors que chacun avait à l’esprit les difficultés rencontrées et que nous avions conscience de devoir vivre durablement avec le virus, il aurait été intéressant que le ministre de l’intérieur réunisse parlementaires et chefs de parti pour imaginer des dispositions particulières. Nous ne serions peut-être pas à débattre cet après-midi de cette fausse bonne idée…
Contrairement à d’autres, je pense que l’idée du vote par anticipation est intéressante. Il ne s’agit pas de faire comme les Américains, mais de nous interroger sereinement sur la manière de renforcer la participation. C’est une question que, en tant que parlementaires, nous devons nous poser. Sur celle-ci comme sur d’autres, il ne doit pas y avoir de tabou.
Cette idée, malheureusement, le Gouvernement est en train de la tuer. Dans quelques instants, en effet, son amendement sera rejeté, ce qui enterrera le débat pour très longtemps.
Le Gouvernement ne cesse d’invoquer la modernité. Mais « numériser la démocratie », qu’est-ce que cela veut dire ? Pour ma part, cela m’inquiète… Nous avons avancé d’autres propositions, mais tout a été rejeté. Madame la ministre, vous ne pourrez pas prétendre que le Sénat, cette chambre rétrograde, a bloqué vos tentatives de modernisation… Dans l’intérêt de notre démocratie, faites preuve d’un peu de sérénité et de hauteur de vue.
Mme le président. La parole est à Mme Nadège Havet, pour explication de vote.
Mme Nadège Havet. Certes, il faut moderniser notre vie démocratique, mais avec une certaine prudence et en concertation avec les forces politiques du pays et les élus locaux, à l’instar de ce que nous avons fait pour le report des élections régionales et départementales.
Aujourd’hui, malheureusement, au milieu de suspicions et de polémiques sur la forme – alors que certains d’entre nous sont d’accord sur le fond, sur l’objectif de lutte contre l’abstention –, nous allons priver les électeurs d’une nouvelle modalité de vote,…
M. Rachid Temal. À qui la faute ?
Mme Nadège Havet. … qui vient de permettre à plus de 200 000 électeurs portugais de voter par anticipation en période de crise sanitaire.
Oui, nous sommes en France, mais sachons regarder un peu plus loin : nous aurions pu améliorer la proposition faite, s’agissant de l’usage des machines à voter comme du renforcement de la sécurité du scrutin, afin de garantir des résultats légitimes et incontestables.
Le groupe RDPI votera tout de même cet amendement.
Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Je ne m’associerai pas au tir de barrage contre le vote anticipé.
Puisqu’on a parlé de bilan carbone, ce n’est pas la peine d’aller jusqu’aux États-Unis pour observer cette pratique : elle est usage depuis des dizaines d’années en Allemagne, en version papier, avec des modalités sécurisées. Ce système fonctionne, y compris lorsque les scores sont très serrés. On ne remet pas en cause le mode de scrutin à cause du vote anticipé.
Une modernisation de ce type aurait donc pu être envisagée en France. Malheureusement, le Gouvernement a adossé cette proposition aux machines à voter, qui, elles, marqueraient plutôt un retour en arrière dans nos pratiques démocratiques. Si nous avons des urnes transparentes, c’est pour une bonne raison : nous n’accepterions pas de les remplacer par des urnes opaques… Utiliser des machines à voter pose un problème démocratique certain, car cela revient à annihiler la transparence du scrutin. Les machines en usage dans notre pays devraient être démontées et envoyées au recyclage : elles sont dangereuses pour notre démocratie !
Gardons notre dispositif de vote, simple et transparent. Quant au vote anticipé, je le répète, il mérite d’être examiné – nous aurions pu en débattre de manière plus apaisée, si le Gouvernement n’avait pas été aussi cavalier avec son amendement.
Mme le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi, pour explication de vote.
Mme Jacky Deromedi. Je suis très étonnée par la position que le Gouvernement défend aujourd’hui sur les machines à voter.
Avec Yves Détraigne, j’ai mené une mission d’informations sur ce sujet, au nom de la commission des lois. Après avoir été voir des machines dans plusieurs villes, nous avons été convaincus de leur intérêt et de leur utilité. Mais le Gouvernement et l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) se sont opposés fermement à la levée du moratoire, mettant en avant un risque élevé de fraude. Il semble que, soudain, le risque de fraude se soit dissipé…
Si, comme le dit aujourd’hui Mme la ministre déléguée, les machines à voter ne posent pas de problème, aucune fraude n’ayant jamais été constatée, il aurait fallu commencer par lever le moratoire ! C’est à cause de ce blocage que les machines utilisées sont devenues totalement désuètes.
Mme le président. La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.
M. Alain Houpert. Cet amendement a une motivation vertueuse : combattre l’abstention. Or il y a deux façons de faire baisser l’abstention : donner d’autres moyens aux citoyens pour voter et leur donner envie de voter… Les citoyens qui veulent voter le peuvent, soit en passant rituellement dans l’isoloir, soit en donnant procuration.
Ce qu’il faut surtout, c’est donner envie aux Français d’aller voter. Pour cela, il faut leur offrir un choix…
M. Christophe-André Frassa. Il faut de bons candidats !
M. Alain Houpert. À cet égard, lors des derniers scrutins, notamment les élections européennes, le fameux « moi ou le chaos » a cassé l’envie de voter !
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Madame la ministre, je ne voudrais pas être désagréable, mais, pas plus qu’à l’improvisation hasardeuse, je ne crois à l’explication d’un travail acharné de dernière minute en réponse à l’appel d’une foule de parlementaires, qui vous aurait permis de mettre au point cette solution certes un peu tard, mais néanmoins suffisamment tôt pour pouvoir nous la présenter en catastrophe… À mon grand regret, je ne peux pas y croire.
Mon interprétation est plutôt machiavélique, au sens non pas péjoratif, mais, tout simplement, de Machiavel.
Si votre amendement est repoussé, vous expliquerez que des élus du peuple rétrogrades se sont opposés à la modernité. N’en déplaise à M. Temal, les éléments de langage sont déjà prêts – le discours tenu par les membres du Gouvernement depuis deux jours le confirme.
Si, par extraordinaire, votre proposition avait été adoptée, l’électorat visé, comme il a déjà été expliqué, celui qui se déplacera, cherchera le bureau de vote ouvert et utilisera une machine à voter sans avoir reçu ni bulletins ni professions de foi et en dehors du cadre auquel il est habitué, c’est un électorat motivé par le vote, sociologiquement un peu marqué.
Quant à la date, qui en décidera ? Le Gouvernement, en fonction d’un calendrier qu’il aura lui-même choisi, y compris en fonction d’un événement de campagne ou d’un débat.
Alors oui, si j’étais machiavélique, je dirais que le procédé est gagnant-gagnant pour le Gouvernement. Malheureusement, il y a un perdant : la démocratie.
Mme le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Merci, madame la ministre, pour vos explications relativement longues.
Gouverner, c’est prévoir. Si votre ambition était vraiment la modernisation, je crois sincèrement – sans être moi non plus machiavélique – que vous auriez anticipé le dépôt de cet amendement. Vous ne nous ferez pas croire que, d’un seul coup, cette idée a jailli d’un esprit très brillant…
Je suis d’autant plus méfiante que le dépôt de cet amendement, en catimini au Sénat, intervient au moment même où des débats animent les formations politiques sur l’éventuelle modification de différents scrutins. Je doute que cette coïncidence soit le fruit du hasard.
Sur le fond, j’ai exposé dans la discussion générale toutes les raisons pour lesquelles nous sommes opposés à cet amendement ; bien entendu, nous voterons contre.
S’agissant de l’abstention, sincèrement, je ne crois pas un instant que la mesure proposée remédierait à ce terrible fléau. Dans les quartiers populaires, que connaît bien l’élue de Seine-Saint-Denis qui vous parle, mais aussi ailleurs – je ne voudrais pas stigmatiser les quartiers populaires –, l’abstention est très forte. Vous le savez bien : ce n’est pas par des artifices techniques ou mécaniques que l’on répondra à l’envie des gens.
Oui, les gens ont envie de participer au débat politique ; ils ont envie d’échanges. La vie est tellement compliquée : ils ont envie de connaître les raisons pour lesquelles nous sommes dans une situation économique catastrophique – ce n’est pas seulement à cause de la covid. Ils ont envie de partager et de construire.
Non seulement, madame la ministre, cet amendement ne sert en rien la lutte contre l’abstention, mais, surtout, vous ne faites pas rêver les gens avec ce genre de propositions !
Mme le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.
M. Philippe Bonnecarrère. Le Gouvernement a déposé cet amendement – avant-hier, sauf erreur de ma part – au moment précis où était adopté le projet de loi reportant les élections départementales et régionales. Pourquoi n’a-t-il pas mis en débat son hypothèse, à laquelle, j’imagine, il réfléchit depuis plusieurs semaines, en vue de ce double scrutin ? Dans une logique d’expérimentation, cela aurait pu se comprendre, et ne nous aurait fait courir aucun risque à l’égard de l’élection principale de notre démocratie.
J’en viens aux machines à voter. Aujourd’hui, il n’y en a pas d’agréées sur notre territoire. Quelques communes en disposent, très bien. Mais, là où il n’y en a pas, Mme le ministre délégué nous parle d’une machine à développer. Il n’est tout de même pas très convenable d’organiser une modalité de vote pour l’élection présidentielle à partir d’un outil qui reste à développer…
Par ailleurs, je suppose que le Gouvernement a mené une étude européenne sur ce sujet. Nous nous y sommes penchés aussi : à notre grande surprise, nous avons constaté que les pays qui paraissaient le plus à la pointe de la modernisation étaient revenus en arrière en ce qui concerne l’utilisation des mécanismes électroniques. Certes, l’Estonie maintient sa position, mais c’est un pays plus modeste. Je pense surtout aux Pays-Bas et à la République fédérale d’Allemagne.
J’ajoute qu’il est assez curieux de faire référence au Portugal : le vote par anticipation y est possible, mais je n’ai pas du tout connaissance que les Portugais utilisent des machines à voter.
Mes chers collègues, ne perdons pas de vue l’essentiel : maintenir la confiance de nos concitoyens dans le processus électoral !
Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Après nous avoir expliqué pendant un an que les règles électorales étaient immuables et s’être opposé à toutes nos propositions – M. le rapporteur a rappelé les propos du ministre de l’intérieur –, voici que, d’un seul coup, le Gouvernement met en débat un bouleversement complet sur plusieurs points – alors qu’un texte vient d’être adopté pour les élections départementales et régionales… Il fallait oser !
Nous aurions pu parler des machines à voter ou du vote anticipé – ce sont deux sujets. Eh bien, non : maintenant qu’il ose, le Gouvernement ose tout en même temps ! Après un an d’immobilisme, c’est… osé.
L’anticipation n’est pas nouvelle dans notre procédure électorale : les Français de l’étranger peuvent voter par anticipation sur internet. On aurait pu aller un peu plus loin. Mais pourquoi, madame la ministre, nous proposer tout ensemble ? Pourquoi proposer au même moment des machines à voter, qui suscitent de nombreuses réserves ? Pourquoi ne pas l’avoir proposé pour les élections locales à venir, dans un département ou une région volontaire, en quelque sorte par précaution ? Il est vrai que, quand on se met à oser…
Enfin, et cela a été évoqué, il y a un problème d’égalité : que l’on ne nous dise pas – c’est tout de même ce que vous avez avancé, madame la ministre – qu’il sera facile pour tout le monde, notamment pour ceux qui travaillent, de parcourir des centaines de kilomètres pour aller utiliser la machine à voter ! Et, pour les Français de l’étranger, auxquels vous avez fait référence, il s’agira non pas de centaines, mais de milliers de kilomètres !
Pour toutes ces raisons, la proposition qui nous est soumise semble bien étonnante et décalée dans un texte ayant vocation à traiter de sujets sérieux avec des arguments sérieux.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Je crois que nous nous rejoignons tous sur un point : la nécessité de lutter contre l’abstention. Et nous avons, me semble-t-il, tous raison.
Mon groupe n’est pas opposé par principe à des modifications, ni au vote par anticipation. Je suis un peu plus réticent sur les machines à voter, mais pourquoi pas, un jour ? En revanche, il faut faire des expérimentations.
Quand on veut introduire de nouvelles règles au football ou au rugby, on profite de tournois juniors ou de compétitions de niveau inférieur pour les tester. En l’occurrence, je ne pense pas qu’il faille inaugurer une telle mesure lors de l’élection présidentielle, ce « Top 14 des élections » ! (Sourires.) Mieux vaudrait commencer par d’autres scrutins, comme les élections départementales et les élections régionales, et attendre que le système commence à être bien rodé avant d’envisager son extension à l’élection reine, la présidentielle.
Mme le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Madame la ministre, vous avez revendiqué la « modernisation » comme étant la motivation du Gouvernement. Qu’est-ce que votre modernisation ?
Est-il moderne de réformer les conditions du scrutin présidentiel sans aucune délibération de l’Assemblée nationale, sans aucune possibilité pour celle-ci de modifier le texte du Gouvernement ? (Mme Valérie Boyer applaudit.) Belle modernisation !
Est-il moderne de modifier substantiellement le code électoral sans prendre l’avis du Conseil d’État ?
Est-il moderne de présenter un tel amendement, qui concerne l’organisation de notre vie politique, sans avoir pris la précaution d’une concertation avec l’ensemble des forces politiques de ce pays ?
Est-il moderne de réformer l’organisation des bureaux de vote sans demander leur avis aux représentants des maires ?
Est-il moderne de présenter dans de telles conditions au Parlement, aujourd’hui au Sénat, un amendement qui ne règle pas toutes les questions fondamentales soulevées par la réforme que vous mettez en œuvre, au point que l’on peut se demander s’il ne serait pas frappé, comme les juristes le disent, d’incompétence négative ?
Vous voulez avoir les mains libres, comme d’habitude. Vous voulez tout régler par décret, comme d’habitude. Vous arrivez avec un texte qui est plein de lacunes, de failles et qui n’a pas été étudié sérieusement. Je suis obligé de vous le dire : si c’est cela votre modernité, je préfère me ranger parmi les anciens que parmi ces modernes-là !
M. Olivier Paccaud. Bravo !
M. Philippe Bas. En plus, vous allez jeter la suspicion sur la sincérité du vote. Vous allez faire voter des Français alors que la campagne présidentielle est en passe d’atteindre son pic, dans les deux ou trois derniers jours de la campagne. Il y aura des électeurs qui n’auront pas tout vu et qui se seront quand même prononcés.
Vous allez mettre en place une organisation qui est une véritable usine à gaz. Nous n’en entrevoyons que les prémices.
Je vous l’assure, si vous persévérez, le résultat de tout cela sera la contestation de l’élection présidentielle de 2022,…
Mme le président. Merci !
M. Philippe Bas. … comme Trump a contesté celle des États-Unis en 2021 ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Paccaud. Bravo !
Mme le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Je veux faire une remarque et poser une question.
Ma remarque concerne la déterritorialisation. Franchement, on n’a besoin d’affaiblir la commune, ni les relations entre les maires et l’État ! C’est très mauvais pour la confiance !
J’en viens à ma question.
Madame la ministre, vous avez défendu l’amendement du Gouvernement de manière assez argumentée, tantôt avec des élans d’enthousiasme, tantôt en appuyant un peu sur le frein, parce que vous sentez tout de même la difficulté à nous convaincre. Je vous ai écoutée pendant neuf minutes. Je m’attendais à une ouverture de votre part. J’imaginais vous entendre dire que ce qui vaut pour la présidentielle vaudrait aussi pour les législatives.
Comment se fait-il que vous ayez oublié l’Assemblée nationale ? Alors que toute votre argumentation se fonde sur la nécessité de déterritorialiser pour lutter contre l’abstention, dès qu’il s’agit des élections législatives, qui ont lieu dans la foulée de la présidentielle – je pourrais également évoquer les sénatoriales –, c’est le brouillard total ! Franchement, tout ça ressemble à une opération politicienne, même si on n’a pas encore vu le loup !
Le fait que vous n’intégriez pas l’Assemblée nationale et le Sénat dans votre réforme est le signe d’un manque de respect à l’égard du parlementarisme.
Pourquoi avez-vous omis de parler des élections législatives ? Si vous pouviez me répondre, ce serait bien.
M. Philippe Bas. Très bien !
M. Pascal Savoldelli. À vous suivre, on a le droit de s’abstenir aux élections législatives, départementales, régionales ou municipales, mais il faudrait se ruer vers la présidentielle ?
M. Rachid Temal. Pour être dans le sens de l’histoire ! (Sourires.)
M. Pascal Savoldelli. Vous pensez que c’est comme ça que l’abstention va reculer ?
Mme le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour explication de vote.
M. Hervé Marseille. Pour ma part, je serais un peu moins sévère que beaucoup de nos collègues. Je pense que cet amendement vient d’ailleurs et que le Gouvernement a appris son existence en même temps que nous. (Rires.) Je rends donc hommage à Mme la ministre, qui a dû s’évertuer à défendre quelque chose qui n’était pas très défendable, mais c’est malheureusement son rôle…
Nous vivons dans une démocratie sous ordonnance depuis près d’un an. Les circonstances sont, certes, très particulières, mais elles le deviennent de plus en plus sur le plan démocratique.
Aujourd’hui, nous sommes obligés de nous demander chaque jour si les élections seront maintenues à leur date et ce que dira le conseil scientifique. Nous sommes obligés de scruter les propositions de loi qui surgissent à l’Assemblée nationale pour savoir si le mode actuel d’élection des députés restera inchangé ou s’il y aura une dose de proportionnelle. Nous sommes obligés de regarder jour après jour si nous aurons le droit à deux procurations, comme c’était le cas aux élections municipales, ou si le Gouvernement ne le veut plus pour les départementales et les régionales. Or il n’est nul besoin de faire des kilomètres pour aller je ne sais où devant une improbable machine quand on ne peut pas se rendre à son bureau de vote : le système des procurations existe ! Nous sommes aussi obligés de nous demander régulièrement si les conditions de votation et les campagnes seront celles que nous connaissons ou si elles vont évoluer. Et je ne parle même pas de ce que l’on avait évoqué dans un passé pas si lointain : la baisse du nombre de parlementaires ou le redécoupage des circonscriptions !
Il faut mettre un terme à tout cela ! Notre démocratie a besoin de stabilité, car elle est malade. Nous avons donc un devoir collectif. Quand je vois le résultat de certains sondages, qui nous promettent des choses dont nous ne voulons pas, quand je vois ce qui s’est passé dans une grande démocratie, au Capitole, je me dis qu’un sursaut s’impose vraiment.
Ayons la volonté collective de rectifier rapidement la situation pour avoir une démocratie stabilisée. C’est le moins que l’on puisse faire vis-à-vis des électeurs si l’on veut qu’ils aillent voter. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Madame la ministre, vous avez concédé un problème sur la forme. J’aimerais vous convaincre de la pertinence de notre position sur le fond.
Nous espérons tous que la crise sanitaire sera derrière nous en avril et en mai 2022. Je suppose que l’ensemble des membres de cette assemblée est de cet avis. Toutefois, imaginons que la crise sanitaire continue en 2022. Vous ne pouvez pas anticiper le nombre d’électeurs qui se rendraient vers ces machines à voter.
M. Olivier Paccaud. Eh oui !
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Si votre proposition recueillait l’assentiment des Français, nous pourrions avoir des centaines, voire des milliers d’électeurs convergeant vers un même point, créant ainsi une sorte de cluster. Je pense donc qu’il faudrait être un peu plus précautionneux avant d’affirmer qu’une telle mesure constitue une réponse à la crise sanitaire.
Ainsi que le rappelait notre collègue Philippe Bas, ce n’est pas la première fois que l’élection présidentielle aura lieu durant les vacances scolaires. En 2017, le premier tour de scrutin a eu lieu pendant les vacances scolaires de la zone A, qui correspond aux académies de Lyon et de Bordeaux, et de la zone B, c’est-à-dire les académies de Marseille, Strasbourg, Lille, etc. Pourtant, le taux de participation avait atteint 77,77 %. La situation était à peu près comparable en 2007.
Lors de l’élection présidentielle de 2017, 3,36 millions de personnes ont voté par procuration. En 2022, le recours aux procurations sera d’autant plus facilité avec la nouvelle rédaction de l’article L. 71 du code électoral, qui dispose désormais : « Tout électeur peut, sur sa demande, exercer son droit de vote par procuration. »
Je m’interroge également sur la déterritorialisation du vote. Pourquoi ne pas avoir, par exemple, prolongé le dispositif de double procuration pour l’élection présidentielle ? (Mme Valérie Boyer et M. Olivier Paccaud applaudissent.)
Mme le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Je partage les observations de nombre de nos collègues sur la forme comme sur le fond.
Ainsi que vous avez eu l’amabilité de le rappeler à la tribune, madame la ministre, la commission des lois du Sénat a commis un rapport sur le vote à distance au mois de décembre dernier. Dans ce cadre, nous avions auditionné un grand nombre de personnes, y compris des représentants de services de l’État.
Deux points au moins étaient partagés par tout le monde : l’insécurité technique et l’insécurité juridique à ce jour du vote numérique et de l’utilisation des machines à voter. Tous nos interlocuteurs, y compris les représentants des services du Gouvernement, nous ont exhortés à ne pas nous engager pour l’instant dans la voie du vote numérique. Certes, il y a un vrai travail sur le sujet, et des avancées sont espérées dans quelques années, mais, pour le moment, les techniques ne sont pas encore au point. Cette idée faisait véritablement consensus.
Le directeur de l’Anssi, qui s’exprimait devant un député le 18 janvier dernier, rappelait clairement son hostilité à l’utilisation des machines à voter, en raison à la fois de leur obsolescence et des risques de cyberattaques, dans un contexte de recrudescence de celles-ci. Un hôpital du Rhône en est par exemple victime actuellement. Des machines à voter pourraient elles aussi faire l’objet de telles attaques trois jours avant un scrutin.
Nous ne comprenons décidément pas la proposition qui nous est adressée, alors que de telles techniques de vote sont, de notoriété publique, très largement contestées. Certes, on peut toujours vouloir faire évoluer les modes de votation, mais la condition sine qua non doit être la garantie de la sécurité absolue. Or, en l’occurrence, nous ne l’avons pas. C’est la raison pour laquelle nous avons émis un avis extrêmement défavorable sur cet amendement, pour ne pas dire autre chose… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)