Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme du franc CFA est un sujet ancien ; reconnaissons qu’il s’était un peu effacé ces dernières années.
Alors que la France fait partie depuis plus de vingt ans de la zone euro et que, depuis lors, notre politique monétaire est décidée non plus à Paris, mais par le Conseil des gouverneurs de la BCE à Francfort, la persistance du franc CFA, auquel il faudrait ajouter le franc des Comores, avec une parité fixe par rapport au franc français, puis à l’euro, peut apparaître au mieux comme un exotisme, au pire comme un archaïsme.
C’est le sens de la déclaration que le Président de la République Emmanuel Macron a faite en 2019 afin de faire évoluer cette situation, dans l’intérêt des États africains et de la France.
Mais de la parole aux actes, le chemin n’est pas si simple. Cet accord conclu avec les huit États de l’Union monétaire ouest-africaine à la fin de 2019 constitue un jalon important dans un processus dont l’aboutissement, à savoir une zone économique et monétaire unifiée dans la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, n’est envisageable qu’à long terme.
Symbole fort d’une époque qui s’achève, la monnaie change de nom, pour s’appeler désormais l’eco ; cela rappelle l’ECU européen, qui avait précédé de quelques années la création de l’euro. À l’origine, le nom « franc CFA » lui-même renvoyait aux colonies françaises d’Afrique, devenues depuis lors, de façon plus consensuelle, la « Communauté financière africaine ».
La fin de la centralisation des réserves de change sur le compte d’opérations du Trésor français est un autre changement important.
Il s’agit bien d’un premier jalon, car la France reste le garant de l’intégrité de la zone monétaire et aura son mot à dire sur la nomination de la personnalité qualifiée au sein du comité de politique monétaire de la BCEAO. Par ailleurs, l’accord ne concerne que l’Afrique de l’Ouest, et non l’Afrique centrale ou les Comores. Il est notamment le fruit de la volonté politique du Président de la République de Côte d’Ivoire, M. Ouattara, économiste de formation et de métier par le passé.
Enfin et surtout, le régime de change et la parité fixe avec l’euro demeurent inchangés. La stabilité monétaire de la zone continuera donc d’être assurée, au détriment peut-être de son autonomie par rapport à la zone euro. Il faudra examiner avec attention les stipulations de la future convention de garantie entre le ministère français de l’économie et des finances et la BCEAO.
En tant que rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement », je ne peux que souligner le besoin de développement et de stabilité de cette zone, qui est en proie à des transformations démographiques rapides, à une pauvreté endémique et, depuis plusieurs années, à une instabilité politique et sécuritaire ; c’est aussi une zone où la France est engagée militairement.
Certains États fragiles, comme le Mali ou le Niger, ont un besoin particulièrement fort de stabilité, dans une région qui reste l’une des plus pauvres de la planète.
Enfin, il y a une dimension géopolitique dans les relations futures avec les pays d’Afrique anglophones. Je pense au Nigéria, géant économique et démographique de la région, mais aussi au Ghana ou au Libéria.
Le risque budgétaire semble limité pour la France : le niveau moyen d’endettement de la zone est en réalité plus faible qu’en Europe et sa croissance économique est forte, quoiqu’elle soit en vérité contrebalancée par une croissance démographique tout aussi rapide.
On voit bien que, dans ce contexte compliqué, la question monétaire n’est qu’un sujet parmi d’autres, mais il a son importance. Avec la pandémie du coronavirus, la situation internationale a profondément changé depuis la signature de cet accord. Quels sont aujourd’hui les effets de la crise sanitaire sur les États ouest-africains, en particulier en matière sociale et économique ?
Conscient de la portée limitée de cet accord, mais considérant qu’il s’agit d’une étape nécessaire du développement de l’Afrique de l’Ouest, mon groupe est donc favorable à son approbation.
M. Richard Yung. Très bien !
Mme le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, contrairement à ce qu’on nous dit, ce texte n’a en aucun cas pour objet la nouvelle monnaie que seraient en droit d’attendre les Africains ; ce n’est pas une nouvelle coopération refondatrice, ce n’est même pas une avancée dans cette direction.
Non, il s’agit, au mieux, d’un simple ravalement de façade du franc CFA ; au pire, d’une OPA hostile de la France visant à empêcher l’émergence de tout projet monétaire qui viendrait à échapper à notre contrôle politique.
La méthode d’adoption de cette convention est en soi humiliante pour les 130 millions d’Africains des huit pays concernés. Vous êtes présent devant nous, monsieur le ministre, mais le simple fait que la commission des affaires étrangères du Sénat n’ait même pas été saisie pour avis est significatif. Pour le Gouvernement comme pour la droite sénatoriale, l’avenir de l’Union monétaire ouest-africaine n’est pas une affaire africaine ; ce n’est pas même une affaire de politique étrangère ; c’est d’abord une affaire intérieure qui doit rester sous la coupe du Trésor français. Jean Gabin aurait résumé cela plus trivialement : « Touchez pas au grisbi ! » (Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains.)
Nous sommes donc à mille lieues du projet nécessaire pour doter l’Afrique des moyens de son développement. Avoir des instruments monétaires et bancaires souverains est indispensable pour financer ce développement. La croissance de la production, la satisfaction des besoins humains et la transition écologique, singulièrement en Afrique, exigent une augmentation considérable de la masse monétaire employée à bon escient et sous contrôle démocratique. Or la BCEAO n’a pas les pouvoirs d’une banque centrale.
Avec l’eco, nom volé par la France au projet en discussion dans la Cédéao, vous ne remplacez pas le franc CFA ; vous lui achetez une nouvelle couverture politique.
Comme cela est clairement indiqué dans le rapport que notre rapporteur a présenté à la commission des finances, avec cet accord, il s’agit simplement d’une modification « des modalités techniques opérationnelles du suivi de la garantie ». Il y est également indiqué que la fin de la présence française au sein des instances techniques ne signifie pas la fin du dialogue technique et politique. Les échanges entre les institutions de l’UMOA, le Trésor français et la Banque de France resteront denses. Tout est dit !
L’eco prolonge le franc CFA sans desserrer le garrot qui anémie l’Afrique. Ce défaut de souveraineté monétaire continuera à générer mécaniquement un endettement croissant en devises étrangères, avec des taux d’intérêt élevés qui pèsent sur le développement humain et économique de l’Afrique.
Les défenseurs du franc CFA, rebaptisé eco, nous disent que la parité fixe et la garantie apportée par la France permettent de préserver le pouvoir d’achat des quelques billets que les pauvres ont dans leur poche, mais c’est une prime d’assurance chèrement payée par les Africains les plus vulnérables pour le bénéfice des multinationales et des classes aisées africaines.
En effet, pour maintenir cette parité, la demande de monnaie CFA, donc de crédits bancaires, est drastiquement réduite, ce qui pénalise l’investissement public et privé interne et induit chômage et sous-emploi.
Au final, l’Afrique a un besoin urgent de développement et surtout d’instruments pour le financer. Alors que nous nous endettons aujourd’hui comme jamais pour nous protéger de la pandémie, jusqu’à quand laisserons-nous l’Afrique dans le dénuement et la dépendance ? Il faut à l’avenir des instruments de création monétaire souverains nouveaux pour les peuples et une réforme du système international.
D’ailleurs, nous soutenons à cette fin la mise à disposition sans tarder de nouveaux droits de tirage spéciaux et, notamment, des DTS non utilisés actuellement par les pays riches, en faveur des pays pauvres. Ces instruments doivent aller de pair avec des politiques fiscales qui cessent d’exempter les multinationales, notamment françaises, lesquelles trustent les grands projets en Afrique sans jamais créer ni mobiliser de ressources internes pérennes pour ces pays.
Le projet qui nous est soumis est à mille lieues d’une telle logique ; il ne vise qu’à perpétuer une tutelle monétaire. Nous voterons donc contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accord dont nous discutons doit remplacer l’accord de coopération monétaire du 4 décembre 1973. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour souligner que les pays d’Afrique de l’Ouest avaient donné l’exemple, dès 1962, en créant une banque centrale commune aux États de cette région ; nous, Européens, avons mis quelques décennies de plus à accomplir cela !
Le présent accord prévoit plusieurs changements qui ont déjà été évoqués : le remplacement du franc CFA par l’eco ; la fin de la centralisation des réserves de change de la BCEAO auprès du Trésor français – cette banque centrale pourra les placer où elle voudra – ; le retrait de la France des instances de gouvernance de cette zone. À ce propos, les instances importantes d’une banque centrale sont le conseil d’administration et le conseil des gouverneurs ; le comité de politique monétaire sert seulement à les conseiller, mais n’est pas lui-même une instance de décision.
Par ailleurs, l’accord prévoit de nouveaux mécanismes de dialogue et de surveillance des risques : dans la mesure où l’on assure la convertibilité de cette devise en cas de crise, il est normal que l’on puisse envoyer un représentant du Trésor français pour aider la BCEAO à prendre les mesures nécessaires.
Enfin, la parité fixe de cette devise avec l’euro est maintenue et sa convertibilité reste garantie par la France ; celle-ci signe en même temps un accord avec la BCE, qui reconnaît sa capacité d’assurer cette libre convertibilité.
Il s’agissait de répondre à des critiques qui avaient été formulées. Pour ce que j’en sais, le franc CFA est critiqué depuis longtemps dans les pays africains ; ce n’est pas une découverte ! De nombreux intellectuels et économistes ont écrit contre cette devise et ont dénoncé, entre autres choses, son caractère néocolonialiste. Les opinions publiques elles-mêmes se sont montrées critiques : on a pu entendre des slogans contre le franc CFA lors d’un certain nombre de manifestations, au Burkina Faso ou au Mali. Cela ne tombe pas du ciel !
Ces critiques ont été évoquées : elles portent sur le maintien de ce qu’on appelle la « Françafrique », mais on entend aussi des allégations erronées sur la centralisation des réserves et sur un prétendu enrichissement de la France et des entreprises françaises. Je peux vous dire que les entreprises africaines seraient drôlement embêtées si on leur enlevait la libre convertibilité du franc CFA pour la remplacer par des taux de change variables. Elles ne pourraient plus faire de commerce ni de business !
Les pays membres de la zone CFA, désormais membres de la zone eco, le sont de par leur libre volonté. Comme je l’ai rappelé, certains sont sortis de cette zone et d’autres y sont entrés. Savez-vous que le Cap-Vert utilise l’euro ?
M. Richard Yung. Cela ne résulte pas d’accords particuliers. Simplement, ce pays était lié au Portugal, qui a adopté l’euro. Est-ce un scandale ? Non, au contraire ! C’est la propre volonté de ce pays.
Se pose enfin la question de l’élargissement ; c’est sans doute le point le plus délicat. L’adhésion du Nigéria, je l’ai dit, pose problème, car il pourrait déséquilibrer la zone du fait de sa taille.
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Richard Yung. Il faut donc faire preuve d’un peu de patience en la matière.
En tout état de cause, notre groupe votera évidemment en faveur de cet accord. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme le président. La parole est à Mme Nadine Bellurot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Nadine Bellurot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le franc CFA a été créé par Charles de Gaulle en 1945, dans le contexte de la conférence de Brazzaville de 1944.
Jusqu’en 1958 et au début de la décolonisation, « CFA » signifiait « colonies françaises d’Afrique », puis, jusqu’en 1960, « communauté française d’Afrique », enfin, depuis lors, « communauté financière africaine » dans l’Afrique de l’Ouest et « coopération financière en Afrique » dans l’Afrique centrale.
Actuellement, quatorze pays africains – quinze si l’on y ajoute les Comores – utilisent cette monnaie. Ils sont répartis en deux unions monétaires distinctes : six pays d’Afrique centrale, la Cémac ; huit autres, en Afrique de l’Ouest, l’UMOA. Chacune de ces deux unions monétaires distinctes possède son propre franc CFA et est dotée d’une banque centrale commune aux pays membres : la Banque des États d’Afrique centrale (BEAC) pour la Cémac et la BCEAO pour l’UMOA.
La création de cette monnaie commune à plusieurs pays visait à contribuer à la stabilisation monétaire et au développement des économies de ces pays. Cela devait se faire, notamment, via une parité fixe du franc CFA avec le franc français, puis l’euro – 1 euro vaut 655 francs CFA – et un renforcement des échanges économiques avec la France, notamment, et l’Union européenne, mais aussi au sein même de l’Union monétaire.
Ainsi, depuis octobre 2017, il existe une libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes au sein des six pays de la Cémac. Des progrès ont également été réalisés au sein de l’UMOA en matière de libre circulation des personnes et des biens : on peut citer l’adoption de directives relatives à la mobilité des étudiants et à la circulation et au libre établissement des professionnels, ainsi que, pour les passeports, l’institutionnalisation d’un visa unique à la zone.
Les pays concernés demeurent souverains et n’ont pas l’obligation d’utiliser le franc CFA : certains pays l’ont d’ailleurs abandonné. De surcroît, des pays qui n’étaient pas des colonies françaises ont pu l’adopter.
Néanmoins, certaines critiques ont porté sur l’obligation pour ces pays de placer la moitié de leurs réserves de change sur un compte rémunéré de la Banque de France, même si ces réserves demeurent la propriété des États africains et si ces placements sont rémunérés.
Il est vrai, toutefois, que l’accord de coopération monétaire date de 1973 et qu’il n’a jamais évolué. L’ensemble des États membres de l’UMOA ont souhaité réformer leurs relations de coopération monétaire avec la France, pour aller vers plus d’intégration régionale et la création, à terme, d’une monnaie unique dans un ensemble plus large.
Cette démarche a abouti à un accord, conclu le 21 décembre 2019 entre le Président de la République française et le président de l’UMOA ; cet accord va de facto remplacer l’accord de coopération monétaire de 1973.
La mesure la plus symbolique en est la suppression du franc CFA, soixante-quinze ans après sa création, et son remplacement par l’eco.
Cet accord a donc une forte valeur symbolique et une charge historique, a fortiori dans le contexte de la présence militaire française dans la région.
Même si cet accord n’est pas présenté comme tel, il s’inscrit de facto dans l’approche « 3D » prônée par le Gouvernement dans cette région du monde : il s’agit de combiner défense, développement et diplomatie. La disparition du mot « franc » dans la dénomination de cette devise participe indéniablement de cette approche.
Le présent projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale le 10 décembre dernier, autorise l’approbation de ce nouvel accord de coopération entre la France et les huit États membres de l’UMOA. Cette nouvelle monnaie, l’eco, ne concerne donc que l’Afrique de l’Ouest ; le franc CFA de la Cémac n’est pas concerné à ce stade.
L’eco a cependant vocation à s’étendre au-delà des huit États membres actuels de l’UMOA, ceux-ci souhaitant l’extension progressive de cette union à d’autres pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Ladite communauté, créée en 1975, comprend sept autres États. La question de l’intégration du Nigéria à l’union monétaire est évidemment essentielle, ce pays pesant à lui seul 70 % du PIB de la sous-région ouest-africaine.
L’eco demeurera indexé sur le cours de l’euro, de manière à éviter toute spéculation sur la monnaie, ou encore une fuite des capitaux. La parité fixe et la garantie de convertibilité de la monnaie demeurent donc.
En revanche – il s’agit de la première évolution importante –, la BCEAO n’aura plus pour obligation de déposer la moitié de ses réserves de change auprès de la Banque de France ; elle sera donc désormais souveraine pour placer ses avoirs dans les actifs de son choix.
La seconde évolution majeure est que la France se retirera des instances de gouvernance de l’UMOA. Toutefois, ce retrait s’accompagnera de la mise en place de mécanismes ad hoc de dialogue et de surveillance des risques, la France demeurant le garant financier.
Pour limiter le risque d’appel de la garantie, la BCEAO devra envoyer régulièrement des informations techniques au gouvernement français et des réunions pourront être organisées en tant que de besoin.
De surcroît, en cas de crise, les autorités françaises devront être immédiatement associées aux mesures qui devront être prises ; si la situation le justifie, un représentant français pourra alors faire son retour au sein du comité de politique monétaire de la BCEAO, comme l’a rappelé notre rapporteur.
Le risque que cette dernière manque de disponibilités pour couvrir ses engagements en devises est cependant faible : en plus de soixante années d’existence, cette situation ne s’est présentée qu’une seule fois ; au cours des vingt-cinq dernières années, elle ne s’est jamais produite.
Pour toutes ces raisons, notre groupe ne s’opposera pas à cette évolution, souhaitée par toutes les parties prenantes, et suivra la position de sa commission des finances en votant ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jérôme Bascher, rapporteur. Je souhaite brièvement répondre à MM. Laurent et Gontard quant au fait que la commission des affaires étrangères n’a pas été saisie de ce texte. Il y a pour cela une bonne raison : aux termes du règlement du Sénat, la commission des finances est compétente pour les projets de loi d’approbation des conventions monétaires.
M. Pierre Laurent. Et pour avis ?
M. Jérôme Bascher, rapporteur. D’ailleurs, en 1973, c’est déjà notre commission des finances qui avait été chargée d’examiner le texte de ratification de l’accord que celui-ci vient remplacer. Feu Robert Schmitt, sénateur de Moselle, en avait été le rapporteur.
Il restait possible pour la commission des affaires étrangères de s’en saisir pour avis. J’ai consulté à ce propos M. Christian Cambon, son président, mais aussi M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, au vu des implications européennes de ce texte. Chacun d’entre eux m’a témoigné de l’inutilité, à ce stade, d’un tel examen par leurs commissions respectives.
Enfin, mon cher Pascal Savoldelli, je ne peux vous laisser dire que le président Ouattara a été mis au pouvoir, en 2011, par la force militaire. (M. Pascal Savoldelli s’exclame vivement.) C’est exactement l’inverse qui s’est passé. À l’instar d’un certain président américain battu qui ne voulait pas partir, le président ivoirien sortant de l’époque, qui avait été démocratiquement battu, avait eu recours à quelques forces militaires pour empêcher, après l’élection, laquelle s’était déroulée normalement, la prise du pouvoir par M. Ouattara. C’est pour cela que la France lui avait apporté son concours. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Savoldelli. Les élections avec un fusil dans le dos, ça va bien ! Moi, je ne voterai pas avec un fusil dans le dos.
Mme le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je me réjouis de la qualité de cette discussion et je remercie M. le rapporteur de la qualité de son rapport et de ses propositions. Néanmoins, permettez-moi de vous faire part de mon étonnement après avoir entendu certains orateurs.
Je suis surpris que certains parlent de l’« accord Ouattara-Macron ». Je trouve cela indigne à l’égard des autres chefs d’État de l’UMOA, car ce sont eux qui ont mandaté le président Ouattara pour ce travail de préparation. C’est indigne, car c’est ne respecter ni ces chefs d’État ni le fonctionnement de l’UMOA. Je regrette que de tels propos soient tenus au Sénat.
C’est indigne d’affirmer que tout cela s’est produit sous la houlette quasi dictatoriale du président Ouattara, alors que, je le rappelle à ceux qui ont tenu ces propos, cet accord majeur a été signé par le président du conseil des ministres des finances de l’UMOA, M. Romuald Wadagni, ministre béninois, en présence de l’ensemble des acteurs.
Quelle est donc cette menée politicienne visant un chef d’État particulier ? Les bras m’en tombent ! Au nom de quoi certains sénateurs se font-ils, d’une certaine manière, les porte-parole de la Cédéao, au motif que cette dernière aurait été dépossédée de ses prérogatives ? Comme vous le savez, la Cédéao s’est prononcée à trois reprises sur le sujet : au mois de décembre 2019, au mois de septembre 2020 et le 23 janvier dernier. À cette occasion d’ailleurs, elle a décidé d’attendre avant de mettre en œuvre les critères de convergence et de stabilité envisagés. Chaque fois, elle maintient l’accord sur l’eco. Je ne comprends donc pas sur quoi se fondent les positions de certains sénateurs.
Je quitte le terrain de la polémique – quand on provoque la polémique, il faut s’attendre automatiquement à des réponses – pour m’attarder maintenant sur le fond.
Au-delà du nom de cette monnaie, qui a été choisi par l’UMOA, l’essentiel, c’est la liberté d’affectation des réserves de change, laquelle est aujourd’hui entérinée. C’était le principal sujet de polémiques et de protestations et cela pouvait se comprendre ! Lors de la conférence de Ouagadougou, que j’ai évoquée, c’est ce sujet qui était ciblé. Ce point est résolu, ce qui se traduit par un accroissement de souveraineté.
De la même manière, le fait que la France apporte la garantie et la stabilité est aussi un élément de développement. Je rappelle à ceux qui ont émis des critiques sur la fixité des parités que les régions de l’UMOA et de la Cémac ont un taux d’inflation très significativement inférieur à celui d’autres régions n’ayant pas de parité fixe avec l’euro. L’inflation est ainsi inférieure à 3 % dans les pays concernés, contre 9 % pour les autres. En outre, contrairement à ce qui a été déclaré, la croissance est beaucoup plus forte depuis 2012 dans les pays ayant une fixité des parités que dans les autres. J’avoue donc ne pas bien comprendre les propos qui ont été tenus.
Pour conclure, comme l’ont souligné plusieurs intervenants, cet accord est certes un acte politique, mais il s’est accompagné d’un autre acte politique, que je souhaite ici rappeler.
Le 15 avril 2020, le Président de la République française, avec dix chefs d’État africains, a proposé un moratoire sur les intérêts de la dette, qui a été adopté, à la demande de la France, par le G20 et le Club de Paris. Il permet aux pays les moins avancés, en particulier aux pays africains, de mobiliser leurs ressources au regard de la crise sanitaire.
À juste titre, Pierre Laurent a fait référence à l’importance de la dette. Le poids de la dette est en grande partie dû à un certain nombre d’acteurs qui sont peu regardants sur le niveau d’endettement qu’ils provoquent dans les pays concernés ! C’est donc vers ceux-là qu’il faut d’abord se tourner pour que l’Afrique bénéficie de plus grandes facilités financières au moment de la relance économique, qui sera indispensable après la pandémie.
C’est encore sur l’initiative du Président de la République que se tiendra au mois de mai prochain, à Paris, une conférence sur le financement des économies africaines. Il s’agira de faire en sorte que, à la fin de la crise liée à la pandémie, l’Afrique puisse avoir une capacité de rebond significative, à laquelle, d’une manière directe, l’eco pourra contribuer.
Mme le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique.
projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le gouvernement de la république française et les gouvernements des états membres de l’union monétaire ouest-africaine
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de l’accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et les Gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine, signé à Abidjan le 21 décembre 2019, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Vote sur l’ensemble
Mme le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Je vais faire attention aux mots que j’emploie, tant il est vrai que nous évoquons un sujet délicat et que certains propos pourraient être interprétés. Je l’annonce d’emblée : je voterai ce texte. Néanmoins, je répéterai ce que j’ai déjà dit en commission des finances et j’émettrai une petite réserve.
Je comprends tout à fait que, cinquante ans après la décolonisation, ces pays aient envie de sortir du système du franc CFA. Certes, la mesure la plus emblématique, c’est le changement de nom de la monnaie, mais il n’y a pas que cela.
Je comprends aussi que ces pays aient besoin de garantir la solidité du nouveau système. Comment entendre mon collègue du groupe CRCE déclarer, lors de la discussion de la motion, que la France sortait par la porte, mais qu’elle rentrait par la fenêtre, alors que, en matière de contrôle, la situation nouvelle n’a absolument rien à voir avec la situation précédente ?
Ma réserve porte sur le point suivant. On va nous demander de garantir la solidité du système. Encore une fois, ces pays en ont besoin : on ne peut pas couper complètement les ponts et prendre le risque d’une dérive monétaire ou d’une hyperinflation, quand on sait ce que cela donne dans n’importe quel pays du monde ! L’hyperinflation, ce sont les plus pauvres qui en sont les premières victimes (M. le ministre acquiesce), ce ne sont pas seulement les grandes multinationales et les investisseurs : tout le monde y perd et les plus pauvres plus encore que les autres.
Je comprends que ces pays aient besoin que nous garantissions le système. Pour autant, nous le ferons au prix d’un contrôle qui sera très allégé.