Mme le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que notre pays a atteint, en 2019, le triste record de 232 200 avortements, soit une grossesse sur quatre, il nous est proposé de prolonger l’IVG à quatorze semaines.
Ces 232 200 IVG, soit 26 par heure, ce sont 232 200 femmes blessées dans leur chair et dans leur cœur. Car si l’avortement est un droit, il n’est jamais sans conséquence psychologique.
Le traumatisme est d’autant plus grand que, selon un sondage réalisé en 2010, quelque 47 % des femmes qui avortaient le faisaient principalement pour des raisons matérielles.
Dix ans plus tard, la situation économique de notre pays s’étant grandement dégradée, il est fort à craindre que ce chiffre ne soit en progression, d’autant que les mesures en faveur de la famille n’ont cessé d’être rabotées. L’angoisse de l’avenir conduit à la tristesse du présent et à une blessure qui ne se refermera probablement jamais.
Comment en est-on arrivé à ce que des dizaines de milliers de femmes considèrent la venue d’un enfant d’abord comme un poids matériel, avant tout bonheur naturel ?
Comment notre pays, qui se veut protecteur de tous les opprimés de la terre, a-t-il pu abandonner les femmes de France désireuses de maternité ?
En politique il n’y a pas de hasard. J’observe que la mise en place du regroupement familial des étrangers correspond au début de l’hiver démographique français. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.) À une salvatrice politique nataliste, vous avez préféré une suicidaire politique immigrationniste ! (Mêmes mouvements.)
Résultat, la natalité en France – je dis bien « en France », et pas encore « française » –, a atteint, en 2020, son niveau le plus bas depuis 1945 !
La famille, mes chers collègues, c’est la « petite patrie » où les parents transmettent aux enfants la glorieuse histoire, les merveilleuses traditions, le savoir-être sans pareil de la grande patrie française. Les enfants sont la preuve que les sacrifices d’hier n’ont pas été vains.
Nos compatriotes en sont intimement convaincus, puisque, selon l’étude réalisée par l’institut Kantar, 87 % des Français voudraient avoir plusieurs enfants. Vous avez beau vous acharner sur la famille, son désir naturel revient au galop.
Nous devrions tous, non seulement nous en féliciter, mais aussi et surtout accompagner et développer ce choix de grossesse en instaurant une audacieuse politique en faveur des familles françaises, car en France, mes chers collègues, c’est la famille française qu’il nous faut soutenir, et elle seule. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Une nation qui se dit éclairée et fraternelle doit permettre aux femmes françaises qui souhaitent devenir mères et, a fortiori, avoir plusieurs enfants d’être totalement rassurées sur leur avenir matériel.
Cela passe par des mesures incitatives : rehausser le quotient familial, défiscaliser la majoration des pensions de retraite des familles nombreuses, rétablir l’universalité des allocations familiales, maintenir leur indexation sur le coût de la vie, apporter une aide accrue aux personnes en situation de handicap, développer l’offre de crèches et garantir le retour à l’emploi des femmes.
Mes chers collègues, nous qui avons eu la chance de naître, d’avoir des frères, des sœurs, des enfants, plutôt que de renforcer le recours à l’IVG, sachons proposer aux femmes de notre pays un véritable choix et la chance d’accueillir la vie et déclarons de nouveau : « Familles françaises, je vous aime ! » (Marques d’ironie sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Émilienne Poumirol. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaiterais commencer mon propos par un simple rappel, qui me semble nécessaire : en France, trois femmes sur quatre ayant recours à l’IVG ont fait le choix d’un moyen de contraception.
L’IVG n’est donc en rien une méthode contraceptive et n’est jamais un choix de facilité. Chaque année, en France, environ 2 000 femmes sont encore concernées par le dépassement du délai légal de douze semaines de grossesse pour l’IVG.
Ces femmes se retrouvent alors sans solution et sont confrontées à un choix nécessairement insatisfaisant : demander une IMG avec les difficultés que cela représente, poursuivre leur grossesse contre leur volonté ou se rendre à l’étranger pour pouvoir avorter. Ce dernier choix est possible dans plusieurs pays, tels que l’Espagne, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, où les délais sont plus longs.
Comment, aujourd’hui, peut-on nier la détresse de ces femmes et leur refuser ce droit fondamental ? Comment peut-on accepter que la protection de la santé de ces femmes revienne à nos voisins ? Il est de notre responsabilité de législateurs de garantir le droit fondamental à l’IVG, de protéger la santé et la dignité de nos concitoyennes.
On le sait, et nul ne saurait le nier, une grossesse non désirée menée à son terme peut avoir des conséquences dramatiques, tant pour la mère que pour l’enfant, mais aussi, je tiens à le rappeler, pour l’ensemble de la famille, y compris les pères.
Comme nous l’a rappelé le CCNE consulté par le ministre de la santé, l’allongement de deux semaines du délai ne pose pas de problème d’éthique et n’entraîne pas, non plus, de risques supplémentaires de complications médicales pour les femmes. Aussi, face à ces constats, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutient cette initiative.
Il est également grand temps de supprimer la clause de conscience spécifique à l’IVG et, enfin, de considérer ce droit et cet acte médical comme faisant partie intégrante de la vie et de la santé des femmes.
Si, dès son adoption, les législateurs avaient inséré dans la loi Veil une clause de conscience permettant aux médecins et aux sages-femmes de disposer d’un droit de refus spécifique pour la réalisation d’une IVG, c’est bien parce qu’il s’agissait d’une loi de compromis.
Néanmoins, nous étions en 1975. Aujourd’hui, cette clause législative spécifique s’ajoute à la clause de conscience générale des professionnels de santé, qui revêt un caractère réglementaire, permettant à ces derniers de ne pas pratiquer tout acte médical.
Sans apporter de liberté supplémentaire, cette disposition apparaît, aujourd’hui, comme une volonté de conserver un statut à part pour l’acte de l’IVG. Cela induit l’idée que l’IVG n’est pas un droit comme les autres, stigmatise l’acte et perpétue une forme de culpabilisation des femmes qui y recourent. Cela, mes chers collègues, est inadmissible. Nous vous demandons donc de voter pour la suppression de cette clause spécifique de conscience.
Si l’allongement du délai de 15 jours permettra de mieux prendre en charge certaines femmes, il convient de rappeler que l’effectivité du droit à l’avortement repose avant tout sur la fluidité et l’efficacité du chemin pour y accéder. Aussi, l’obligation de réorientation par les professionnels de santé et de publication par les ARS de répertoires recensant les professionnels et les structures pratiquant l’IVG est primordiale pour permettre à chaque femme d’exercer son droit à l’IVG.
Cet ensemble de mesures portées par la présente proposition de loi représente donc une avancée importante dans la défense du droit à l’IVG et son effectivité. Néanmoins, ces mesures ne sauraient, à elles seules, suffire. J’insiste sur le fait qu’elles doivent être intégrées à une amélioration globale du parcours d’IVG et à une véritable politique de santé sexuelle et reproductive.
L’une des questions essentielles que nous devons nous poser est celle de l’accès égalitaire à l’IVG pour toutes les femmes. Il est intolérable que le recours de ce droit fondamental dépende, dans notre pays, de son lieu d’habitation ou de sa situation sociale. Ainsi, dès 2013, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a alerté sur les difficultés induites par la fermeture d’établissements pratiquant les IVG.
Entre 2007 et 2017, hors fusions d’établissements et 70 centres ont fermé en France ; en dix ans le nombre de centres pratiquant l’IVG a diminué de 7,7 %. Quelque 37 départements métropolitains compteraient ainsi moins de 5 professionnels de santé libéraux pratiquant les IVG médicamenteuses. Ce manque de structures et les disparités qui existent entre les territoires restreignent de fait la liberté des femmes à recourir à la méthode d’IVG de leur choix.
À ces inégalités territoriales s’ajoutent celles qui sont liées au niveau de vie des femmes.
Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Émilienne Poumirol. En effet, à groupe d’âge et de situation conjugale donnée, les femmes dont le niveau de vie figure parmi les 10 % les moins élevés ont une probabilité de recourir à l’IVG supérieure de 40 % par rapport à celles dont le niveau de vie est classé parmi les revenus médians.
Je ne reviendrai pas sur les autres mesures qu’il faudrait mettre en place.
Mme le président. Il faut vraiment conclure !
Mme Émilienne Poumirol. En conclusion, je soutiens la proposition de Mme la rapporteure, pour mettre en place une politique étatique globale de santé sexuelle. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Pierre Charon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Charon. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, toutes les femmes doivent pouvoir décider si elles souhaitent devenir mères ou non. La loi Veil était indispensable et elle a atteint ses objectifs.
Permettre un accès à l’avortement dans la période de crise sanitaire que nous traversons est un droit que nous devons préserver et garantir à chaque femme.
Toutefois, doit-on répondre à la crise sanitaire par un allongement des délais d’IVG ? Chaque année, des femmes seraient obligées de se rendre à l’étranger parce qu’elles dépasseraient le délai légal. Aucun rapport, aucune étude ou analyse fiable sur ces chiffres n’est disponible, mais ce phénomène existe tout de même.
L’allongement du délai légal est, avant tout, l’aveu d’un échec collectif d’une politique sanitaire conduite depuis de nombreuses années en matière d’avortement.
D’après les chiffres du ministère des solidarités et de la santé, le nombre d’IVG en France a atteint son niveau le plus haut depuis trente ans : en 2019, la France enregistre 232 000 IVG.
Ce constat est d’autant plus accablant si on le compare avec la situation des autres pays européens. Selon l’Institut européen de bioéthique, le taux de recours à l’avortement est de 15,6 pour 1 000 en France, 10 en Espagne, 11 au Danemark, 8 aux Pays-Bas, 5 en Italie et 4,4 en Allemagne. Pourtant, la loi de modernisation de notre système de santé de 2016 a fait évoluer l’offre de soins en matière d’IVG et tenté de réduire les inégalités d’accès.
Ne serait-il pas souhaitable, en fin de compte, de mieux informer les patientes sur les délais légaux, d’assurer davantage de prévention et, surtout, de donner vraiment aux femmes la liberté de choisir la méthode et les conditions ?
Il y a quelques mois, le Conseil national de l’ordre des sages-femmes, dans une contribution à l’accès à l’IVG en France, notait « L’accès à l’IVG dans les douze semaines doit être réellement effectif en devenant un véritable droit opposable. Cela permettra de réduire les IVG tardives et les dépassements du délai légal ». Ce serait une erreur de penser que toutes les questions éthiques ont été examinées par le passé. N’y a-t-il vraiment aucune différence entre une IVG réalisée à dix, douze ou quatorze semaines de grossesse ?
Oui, ces deux semaines sont fondamentales puisqu’il s’agit du passage de l’embryon au fœtus, comme l’a rappelé Florence Lassarade. L’IVG devient plus difficile d’un point de vue technique, mais aussi psychologique.
C’est pour cette raison que l’Académie de médecine s’est officiellement prononcée contre l’allongement des délais. L’IVG ne peut pas être considérée comme un soin comme un autre, et les praticiens doivent pouvoir conserver la double clause de conscience.
Le Conseil national de l’ordre des médecins lui-même est inquiet de voir cette évolution législative se traduire par un affaiblissement du principe même de clause de conscience. Ce dernier a contribué au juste équilibre établi par la loi Veil. Aucun gouvernement n’a souhaité revenir sur cet équilibre, même en 2016. Je souhaite que nous conservions cette double liberté aux professionnels de santé.
Avant de conclure, permettez-moi une digression. Un amendement a été adopté par l’Assemblée nationale en juillet dernier dans la loi bioéthique concernant l’interruption médicale de grossesse, l’IMG. À la différence de l’IVG, l’IMG est un avortement médical qui peut être effectué à tout moment, au-delà des douze semaines légales et dans des conditions strictes.
Cet amendement tend à introduire dans le texte la possibilité d’avorter lorsque la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme, mais que ce péril résulte « d’une détresse psychosociale ».
Cet amendement a suscité, en juillet dernier, le trouble dans l’opinion. L’idée qu’un avortement puisse avoir lieu jusqu’à neuf mois sur ce fondement est insupportable, puisqu’il porte atteinte à la dignité et au respect de l’être humain, et je vous fais grâce des techniques qui devraient être employées pour procéder à cette IMG.
Cet amendement a d’ailleurs été adopté en dépit d’un avis défavorable du rapporteur qui s’interrogeait, en séance, comme le secrétaire d’État, M. Taquet, sur la difficulté de décrire la « détresse psychosociale » d’une femme. Je souhaite que nous puissions revenir sur cet amendement inutile, dangereux et, j’ose le dire, honteux.
Je crois que nous sommes en train d’assister, dans notre pays, à une dérive dans notre pratique des IVG. Il faut que nous trouvions, ensemble, les moyens de réduire le nombre d’IVG pratiquées en France, qui est l’un des plus élevés d’Europe.
Pour l’ensemble de ces raisons, je voterai la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Bernard Jomier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Bernard Jomier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à ce stade de la discussion, qui est vouée à ne pas prospérer, je voudrais revenir sur certains arguments que j’ai entendus, dans notre hémicycle, à propos de cette proposition de loi.
Parmi les arguments qui s’opposent à cette proposition de loi que, pour ma part, je soutiens, il y a ceux qui sont relatifs à l’ontogénèse, c’est-à-dire au développement de l’organisme depuis l’œuf jusqu’à un corps mature.
Je le dis très fermement, ces arguments relatifs à l’ontogenèse ne sont pas recevables. D’ailleurs, le Comité consultatif national d’éthique les a balayés, et même l’Académie de médecine ne les reprend pas à son compte dans son avis. Ces arguments sur l’ontogénèse ont toujours été brandis par les opposants à l’IVG, par ceux qui rejettent cet acte au fond, pour des raisons qui leur appartiennent et que l’on peut tout à fait respecter.
Néanmoins, nous ne sommes pas en train de mener un débat sur la légitimité de l’IVG. Nous sommes en train d’étudier une proposition de loi qui en modifie les conditions. Ces arguments-là ne sont donc pas recevables.
En ce qui concerne les arguments sur l’éthique, le CCNE a très clairement indiqué qu’aucune considération éthique ne s’opposait à l’allongement du délai. S’il y a des lectures différentes, c’est parce que les principes qui fondent notre éthique et notre bioéthique ont évolué avec le temps.
Certaines valeurs évoquées dans l’avis qui a été cité sont ancestrales, comme la non-malfaisance ou la bienfaisance. D’autres, comme le principe d’autonomie ou le principe d’égalité, sont plus récentes. Elles ont émergé plus récemment dans les travaux d’éthique et ont pris de l’importance, ce qui est, à mon sens, une bonne chose.
Quand on lit nos principes d’éthique en intégrant ces valeurs-là, comme le fait le CCNE, il n’y a pas, non plus, d’obstacle aux propositions que porte Laurence Rossignol.
Ensuite, l’allongement du délai résoudra-t-il le problème de ces femmes qui ne parviennent pas à accéder à l’IVG dans les délais actuels ? Probablement en partie seulement. Et je donne tout à fait acte de ce qui a été dit par Élisabeth Doineau, notamment, sur cette question. Ce n’est pas la solution, mais ce n’est pas ce que prétend être ce texte, puisqu’il comporte un ensemble de mesures.
Je regrette que, du fait de l’opposition à deux mesures particulières de cette proposition de loi, vous souhaitiez en arrêter le débat.
Je le dis très clairement, il y a ceux qui votent des droits formels et ceux qui s’attachent à travailler à l’application de droits réels. Et si l’on souhaite que le droit formel, que nous partageons très largement dans cet hémicycle, me semble-t-il, se transforme réellement en un droit pour toutes les femmes, il faut travailler sur les différentes pistes que présente cette proposition de loi.
Il faut travailler sur la question de l’institut de santé sexuelle et reproductive, car c’est l’ensemble de notre politique en la matière qu’il faut revoir. C’est sur tous ces points qu’il faut progresser.
C’est pourquoi je vous appelle, mes chers collègues, à poursuivre le débat, dans cet hémicycle, sur l’ensemble de ces mesures. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme le président. Je suis saisie, par Mme Imbert et les membres du groupe Les Républicains, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à renforcer le droit à l’avortement (n° 23, 2020-2021).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Corinne Imbert, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Corinne Imbert. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous venons d’entendre la discussion générale concernant la proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement.
Comme l’ont rappelé mes collègues, cette proposition de loi issue de l’Assemblée nationale affiche plusieurs objectifs, parmi lesquels l’allongement du délai légal d’accès à l’interruption volontaire de grossesse de douze à quatorze semaines, soit seize semaines d’aménorrhée, la suppression de la double clause de conscience spécifique à l’IVG, l’extension de la compétence des sages-femmes en matière d’IVG, en permettant à ces dernières de pratiquer les interruptions volontaires de grossesse par voie chirurgicale jusqu’à la dixième semaine de grossesse, ou encore la suppression du délai de réflexion de deux jours pour confirmer une demande d’IVG en cas d’entretien psychosocial préalable.
Cette proposition de loi souhaite répondre à des situations dont tout le monde reconnaît qu’elles sont limitées en nombre, puisque ce sont plus de 230 000 interruptions volontaires de grossesse qui ont été réalisées en France en 2019, représentant environ une grossesse sur quatre, alors que, selon le CCNE, 1 500 à 2 000 femmes auraient été contraintes de partir à l’étranger pour avorter.
Toutefois, ce sont donc aussi 95 % de femmes qui ont recours à I’IVG en France avant la dixième semaine de grossesse. Ne croyez pas, mes chers collègues, que l’adoption de cette proposition de loi lèverait les difficultés que peuvent rencontrer certaines femmes et que vous avez été nombreux à évoquer à cette tribune.
Parmi les points de vigilance, force est de constater que le nombre d’établissements de santé pratiquant l’IVG s’est réduit depuis vingt ans. La question des moyens reste entière, car elle conduirait, si ces derniers sont insuffisants, à des délais trop longs de prise en charge.
Le nombre important d’IVG dans notre pays est la preuve que c’est un droit fondamental pour beaucoup de femmes, mais il doit aussi nous interroger sur le déficit d’information – notamment en milieu scolaire, mais pas seulement – puisque la majorité des femmes qui ont recours à l’IVG ont entre 19 ans et 29 ans.
De manière à lever toute ambiguïté concernant les intentions de cette motion tendant à opposer la question préalable que je présente au nom du groupe Les Républicains, je tiens à rappeler et à réaffirmer que cette proposition de loi n’a pas vocation à opposer les pro et les antiavortement. Je salue, à cet égard, le débat apaisé que nous avons eu en commission.
La position que nous défendons sur ce texte, en proposant cette motion, ne doit en aucun cas être perçue ou interprétée comme une remise en cause de la loi Veil. Nous sommes très attachés à cette loi dont nous avons célébré, le 17 janvier dernier, le quarante-sixième anniversaire de la promulgation. Aussi, je m’attarderai uniquement sur ce texte, sur ce qu’il contient et sur ce qu’il modifie par rapport au droit existant.
L’article 1er de cette proposition de loi prévoit l’allongement des délais légaux d’accès à l’interruption volontaire de grossesse de douze à quatorze semaines, soit seize semaines d’aménorrhée. Cet allongement n’est pas sans poser de nombreuses questions du point de vue médical, ainsi que du point de vue éthique.
Tout avortement présente, par essence, des risques pour la femme. Allonger le délai d’interruption de grossesse augmente les risques de complications chez la femme, ainsi que pour les éventuelles futures grossesses.
Sur le plan médical, une proportion importante de gynécologues obstétriciens s’est prononcée défavorablement à l’allongement du délai de recours à l’avortement, craignant « des manœuvres chirurgicales qui peuvent être dangereuses pour les femmes ».
L’Académie de médecine affirme également que cet allongement entraînera inéluctablement une augmentation significative de complications à court ou à long terme. L’allongement du délai à seize semaines d’aménorrhée ne répond à aucune demande d’une majorité des femmes, qui espèrent, au contraire, une prise en charge plus rapide.
L’argument régulièrement mis en avant pour justifier cet allongement du délai légal de l’IVG est que, face aux difficultés rencontrées par les femmes sur le territoire français, il s’agirait d’un début de réponse. Prétendre régler un problème d’accès aux soins en allongeant le délai légal de l’IVG me semble être une erreur d’appréciation !
Au contraire, il est fondamental de se concentrer sur l’essence même de ce problème et de proposer des solutions qui permettront de le régler sur le temps long, à savoir renforcer l’offre de soins sur nos territoires.
Je tiens aussi à rappeler que les femmes ayant recours à l’IVG après la douzième semaine de grossesse ne le font pas uniquement par manque d’accès aux soins. La prévention me paraît, plus que jamais, nécessaire en matière de contraception.
Aussi, il est fondamental que les différents acteurs de terrain renforcent la prévention en sensibilisant de manière accrue les jeunes dans le cadre scolaire, mais également avec les professionnels de santé ou dans le cadre d’associations dédiées, afin de toucher un public plus large de filles et de garçons.
Une meilleure prévention, une meilleure information et des moyens pour offrir une réponse de quelques jours à la femme qui souhaite avorter, parce que l’IVG est une urgence, tels sont les enjeux qui sont devant nous. Le droit à l’IVG est un acquis fondamental pour les femmes. À nous de répondre à ces enjeux, pour qu’il puisse s’exercer pour toutes les femmes, plutôt que d’allonger un délai.
La deuxième mesure importante de ce texte vise à supprimer la double clause de conscience spécifique à l’IVG. Comme cela a été rappelé dans les interventions précédentes, cette clause fait partie du texte originel défendu par Simone Veil, permet à tout médecin de refuser de pratiquer une interruption volontaire de grossesse pour des raisons morales et vient s’ajouter à la clause de conscience générale dont dispose le corps médical.
D’une part, le Comité consultatif national d’éthique, dans son opinion du 11 décembre dernier en réponse à une saisine du ministre des solidarités et de la santé, rappelle que « la pratique d’une IVG ne peut être considérée comme un acte médical ordinaire » et que la clause de conscience spécifique prévue par l’article L. 2212-8 du code de la santé publique « en souligne la singularité ». Le CCNE est donc est donc « favorable au maintien de la clause de conscience spécifique ».
D’autre part, il est probable que le rallongement de deux semaines conduirait un certain nombre de praticiens à refuser de pratiquer une interruption volontaire de grossesse.
À ceux qui avanceront que cette clause était une clause de compromis permettant à Simone Veil de faire voter sa loi, acceptons que, en 2021, elle reste un compromis, car, une fois encore, l’IVG n’est pas un acte médical ordinaire, encore moins à seize semaines d’aménorrhée.
L’article 1er bis de la présente proposition de loi étend la compétence des sages-femmes en matière d’interruption volontaire de grossesse en leur permettant également de pratiquer des IVG par voie chirurgicale jusqu’à la dixième semaine grossesse.
Je tiens simplement à rappeler que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 a acté la mise en place d’une expérimentation pour une durée de trois ans visant à permettre aux sages-femmes de pratiquer des IVG instrumentales en établissements de santé, sans limite de délais, moyennant une formation complémentaire obligatoire.
Même si je n’ignore pas que la proposition de loi a été votée avant l’adoption de la loi de financement de la sécurité sociale à l’Assemblée nationale, en raison de l’importance d’une telle décision, cette phase d’expérimentation nous paraît plus sage et plus adaptée.
Enfin, ce texte entend supprimer le délai de réflexion de deux jours pour confirmer une demande d’IVG en cas d’entretien psychosocial préalable. Encore une fois, l’avortement n’est pas une décision facile. Cette décision marque les femmes qui y ont recours. S’il est un droit fondamental pour toutes les femmes de notre pays, il est nécessaire de conserver ce délai.
Dans son discours à l’Assemblée nationale, Simone Veil affirmait : « Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame. » Quelque quarante-six ans plus tard, ces propos font toujours écho. Écouter les femmes, leur faire confiance et mieux les accompagner est un défi qui nous concerne tous. C’est un défi plus ambitieux, me semble-t-il, que d’allonger de deux semaines le délai légal d’accès à l’IVG.
Par le vote de cette motion tendant à opposer la question préalable, le groupe Les Républicains entend ainsi rappeler son attachement au droit existant. Ce point d’équilibre, fruit de la concertation et du débat, doit être protégé afin de ne pas dénaturer ce qui fait l’essence même du droit à l’avortement : « l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue ».
Mes chers collègues, parce que des améliorations peuvent être apportées à la question de la prise en charge des femmes souhaitant une IVG dans notre pays par le simple respect de la loi en vigueur, le groupe Les Républicains vous propose donc d’adopter la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)