M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis quelques semaines, l’avenir d’EDF, avec le projet Hercule, est au cœur de l’actualité. En effet, depuis octobre, les négociations entre le Gouvernement et la Commission européenne se sont accélérées dans une certaine opacité.
Je salue donc la tenue de ce débat sollicité par nos collègues du groupe CRCE autour de l’avenir d’EDF, fleuron de l’État stratège, sujet ô combien majeur et stratégique aujourd’hui.
Comme chacun le sait, les débats liés à la politique énergétique sont souvent placés sous le signe du nucléaire. La France a fait le pari de l’atome, et ce pari – il faut le rappeler – a été réussi. Cette formidable aventure industrielle lancée au milieu du siècle dernier a doté notre pays d’une avance considérable et de prix compétitifs. Grâce à nos ingénieurs et à nos investissements massifs, dont nous tirons aujourd’hui collectivement parti, nous avons œuvré pour notre souveraineté énergétique. Le nucléaire nous assure aujourd’hui encore une production d’électricité décarbonée pilotable et très compétitive.
Il est aujourd’hui illusoire d’espérer atteindre la neutralité carbone dans notre pays sans le nucléaire. Cet actif national constitue donc un atout pour la transition énergétique. Il représente aussi assurément un atout concurrentiel pour nos concitoyens et nos entreprises. Cependant, nous devons faire preuve de lucidité face à la situation dans laquelle se trouve notre appareil de production entièrement détenu par EDF.
Je distinguerai deux principales difficultés qui paraissent interdépendantes : premièrement, le vieillissement de notre parc nucléaire et, deuxièmement, la tarification applicable à l’électricité en France.
Notre parc a été construit en à peine deux décennies. Le défi de sa modernisation nous place aujourd’hui face à un mur d’investissement. Pour capitaliser sur cet atout national, il nous faut redonner des capacités d’investissement à EDF, dont la dette se chiffre aujourd’hui en dizaines de milliards d’euros.
Or cette capacité d’investissement reste grevée par l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique. C’est pourquoi il est urgent de l’adapter avant sa fin programmée en 2026. Ce système inadapté, voire absurde, pénalise l’avenir d’EDF et sa capacité d’investissement.
Pour conclure, permettez-moi de livrer une conviction : le nucléaire doit rester un actif public. Les enjeux de souveraineté et de sûreté sont trop importants pour que nous soumettions nos centrales nucléaires à des logiques inadaptées de mise en concurrence. C’est pourquoi la constitution d’une entité 100 % publique, dite EDF Bleu, me paraît pour le moins indispensable. Elle devrait nous permettre d’assurer collectivement le choix de la modernisation, mais il est indispensable dans le même temps d’assurer le développement des énergies renouvelables, qui ne présentent ni les mêmes contraintes ni les mêmes avantages.
La constitution d’une entité spécifique, dite EDF Vert, ouverte aux capitaux privés, mais qui, nous dit-on, resterait majoritairement détenue par EDF Bleu, peut s’avérer pertinente pour stimuler l’innovation, mais de grandes garanties doivent nous être apportées, et nous en manquons. Je pense notamment au développement de la filière hydrogène, véritable potentialité d’avenir pour EDF. Toutefois, comme d’autres orateurs l’ont déjà indiqué, il me semble nécessaire d’exclure la distribution du champ de compétences d’EDF Vert.
Enfin, l’hydraulique, si précieux pour l’économie des territoires et pour la transition énergétique, doit également rester à l’abri de l’ouverture à la concurrence. Cela doit nous être garanti.
Dans ces conditions, le projet Hercule, s’il voit le jour, devra apporter un certain nombre de garanties ; il devra également être porteur d’une ambition d’avenir pour EDF et permettre que l’entreprise demeure un ensemble complètement intégré et contrôlé par l’État, afin d’assurer une stratégie globale garantissant durablement notre souveraineté énergétique. Nous en sommes loin.
Pour autant, le statu quo, notamment concernant l’Arenh, serait aujourd’hui préjudiciable pour l’avenir d’EDF. C’est pour cela qu’il faut poursuivre nos échanges avec la Commission européenne en faisant preuve de détermination – c’est légitime ! En effet, la France doit être déterminée dans la défense de ses intérêts pour assurer l’avenir de notre géant mondial, garant de notre souveraineté énergétique. Le Parlement doit évidemment être associé à toutes ces démarches en transparence, grâce au dépôt, le moment venu, d’un véritable projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si les écologistes ont rarement été en accord avec la politique énergétique menée par EDF – une politique jamais débattue démocratiquement –, ils reconnaissent le rôle moteur de cette entreprise stratège, garante d’un service public efficace et d’une qualité de service reconnue de par le monde.
EDF a été fondée sur l’idée que l’énergie est un bien public. Alors qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait osé imaginer démanteler EDF, ce gouvernement en prépare la dislocation. Avec son projet Hercule, il porte un coup fatal à ce bien commun, déjà fortement fragilisé.
Ce projet ne répond ni aux problématiques de l’entreprise ni aux enjeux énergétiques du XXIe siècle. C’est toute la logique du service public de l’énergie qui est mise à mal. Cette privatisation d’une partie de l’activité – la partie vendable étant bien entendu celle constituée des énergies renouvelables et du réseau – se traduira par des pertes d’emplois et par la baisse des investissements dans la recherche et le développement.
Nous lançons également une alerte sur la question des barrages hydrauliques français, première source d’énergie renouvelable France. Les cent cinquante contrats de concession seraient remis en concurrence, comme l’exige la Commission européenne. Or une mise en concurrence de ce secteur représenterait un danger certain pour la sûreté des usagers et la sécurité d’approvisionnement.
Par ailleurs, les centrales nucléaires et les barrages sont indissociables. Les barrages du Rhône sont fréquemment utilisés pour le refroidissement des centrales. Les barrages servent également au stockage, puisqu’ils sont remplis lors des périodes de faible consommation, car – il faut le rappeler – le nucléaire, lui non plus, n’est pas en adéquation avec la consommation.
Hercule ne répond pas non plus à la question des moteurs de l’endettement de l’entreprise et du portage de la dette. Il ne répond pas à la sous-rémunération chronique dont souffre l’entreprise depuis la mise en place de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, un coût minoré à l’époque pour faire croire que le nucléaire est peu cher.
Madame la ministre, la politique énergétique française est aujourd’hui à un tournant. Les décisions prises seront cruciales, notamment pour la bonne opérationnalité de la transition énergétique de la France dans les dix ans à venir. La fuite en avant dans le nucléaire, avec la construction de six nouveaux EPR annoncée par le Président de la République, relève d’une stratégie énergétique mortifère pour le pays et intenable financièrement pour l’entreprise déjà surendettée à hauteur de 36 milliards d’euros, sans parler des 80 milliards à 100 milliards d’euros nécessaires au démantèlement ni des 25 milliards à 40 milliards d’euros qui seront alloués à Cigéo à Bure.
Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’EDF se trouve face à un mur d’investissement en raison de son parc nucléaire vieillissant et doit investir dans les énergies renouvelables et le stockage.
Non, le modèle de l’EPR n’est pas l’avenir d’EDF. Flamanville en est un exemple criant : le coût de ce fiasco technologique et industriel est passé de 3 milliards à bientôt 19 milliards d’euros, pour un coût de production de l’électricité s’élevant à 110 euros du mégawattheure alors que les récents appels d’offres pour le photovoltaïque au sol atteignent 45 euros du mégawattheure.
Oui, garder coûte que coûte le nucléaire a un prix. Le Gouvernement est prêt à cette désintégration industrielle et à la sape de tout le service public de l’énergie pour renforcer et maintenir cette énergie du passé. Hercule commence par un « H », comme Hinkley Point.
La position des sénateurs et sénatrices écologistes est assez simple et claire : nous demandons dans un premier temps le retrait immédiat de ce projet délétère. Nous appelons ensuite à l’ouverture d’un véritable dialogue avec tous les acteurs. Les négociations se poursuivent en ce moment à Bruxelles dans une opacité totale. Il n’est pas acceptable que les organisations syndicales et la représentation nationale soient totalement exclues des négociations relatives à ce sujet majeur qui concerne tous les Français. Un véritable débat national sur l’avenir d’EDF nous paraît indispensable pour répondre à l’urgence climatique et assurer la viabilité financière et industrielle de l’entreprise.
Les crises actuelles nous rappellent combien un service public fort est nécessaire pour affronter les défis sanitaires, économiques et climatiques. Seul un grand pôle public de l’énergie peut garantir l’accès de toutes et tous à ce bien commun. Face à la précarité énergétique qui frappe près de 12 millions de foyers en France, il est un droit pour nos concitoyens et il doit leur être garanti à des tarifs abordables.
Madame la ministre, la situation calamiteuse d’EDF nous place face à deux choix. Le vôtre est une fuite en avant pour sauver une énergie obsolète qui ne sera jamais rentable et qui oblige l’État à une renationalisation du parc nucléaire pour assurer à sa charge des investissements colossaux. Ce choix ignore toute rationalité économique et même de sécurité nationale : les généraux ne disent-ils pas, en faisant allusion à nos centrales, que la France est vulnérable en temps de paix et indéfendable en temps de guerre ?
Le deuxième choix est le nôtre : il consiste à arrêter les frais, à assumer les pertes d’EDF, notamment vis-à-vis de nos partenaires chinois et britanniques, et à planifier une sortie progressive du nucléaire en développant en parallèle les énergies renouvelables et les économies d’énergie pour une vraie indépendance énergétique.
Cette stratégie qui engage la France sur deux ou trois décennies mérite un débat national que vous refusez honteusement aux Françaises et aux Français. (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Marie Evrard.
Mme Marie Evrard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, évoquer l’avenir d’un grand groupe national et international comme Électricité de France, EDF, suscite inévitablement des controverses, mais le projet de réorganisation Hercule mérite mieux que des caricatures « surfant » sur les craintes légitimes des salariés de l’entreprise et des consommateurs.
Au contraire, comme l’a déclaré le Président de la République lors de son discours relatif à la stratégie et à la méthode pour la transition écologique, le 27 novembre 2018, nous pouvons transformer les colères en solutions. Avec EDF, notre pays détient un champion national, mais aussi international. Ce champion dispose d’un parc de production d’électricité parmi les plus décarbonées au monde grâce au nucléaire et à l’hydroélectricité. C’est une chance, et nous pouvons en être fiers, alors que la transition énergétique et la décarbonation de l’économie sont dans tous les agendas.
Le 8 décembre 2020, le Président de la République a rappelé au cours de sa visite de l’usine Framatome du Creusot le choix fait par la France d’un mix électrique reposant sur deux sources décarbonées : le nucléaire et les énergies renouvelables. Il a affirmé à cette occasion que notre avenir énergétique et écologique passe par le nucléaire. Le nucléaire, cette énergie non seulement décarbonée et sûre, nous assure également notre statut de grande puissance.
Mais le nucléaire n’est pas la solution unique. C’est pourquoi la programmation pluriannuelle de l’énergie présentée en 2018 a fixé de nouveaux objectifs : le nucléaire devra représenter 50 % du mix énergétique de notre pays en 2035 au lieu de 70 % à l’heure actuelle, et la part de l’électricité d’origine renouvelable dans notre mix énergétique devra passer de 18 % à 40 % en 2030.
Les 10 et 11 décembre 2020, le Conseil européen a donné son feu vert à la proposition de la Commission européenne de fixer comme objectif une réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030 par rapport à 1990. Avec ce choix de mix électrique national, et pour atteindre cet objectif européen de réduction des émissions de gaz à effet de serre encore plus ambitieux, il est important pour notre pays qu’EDF continue à jouer un rôle clé dans la transition énergétique.
Pour cela, cette réussite française doit avoir les moyens d’investir, à la fois dans le parc nucléaire existant et de façon massive dans les énergies renouvelables, dans les réseaux et les autres aspects de la transition énergétique comme l’hydrogène propre. C’est d’autant plus nécessaire que, dans le même temps, les principaux concurrents européens d’EDF investissent massivement sur tous ces sujets. Or les mécanismes de régulation économique du nucléaire et de l’hydroélectricité, instaurés il y a plusieurs années, ne sont plus adaptés à la réalité des marchés de l’électricité et ne permettent plus à EDF d’investir dans tous les aspects de la transition énergétique. La régulation actuelle du parc nucléaire existant ne permet ainsi plus de garantir la couverture des coûts et des investissements nécessaires à son fonctionnement.
Depuis la mise en place, en 2011, du dispositif de l’Arenh, en contrepartie de la conservation de son parc nucléaire, EDF peut vendre jusqu’en 2025 environ 25 % de l’électricité produite par son parc nucléaire aux autres fournisseurs privés concurrents. L’objectif initial était d’inciter ces derniers à investir dans la production d’électricité, mais comme l’avait expliqué le président-directeur général d’EDF lors de son audition, le 2 mai 2019, par la commission des affaires économiques du Sénat, ce dispositif revient à ce que des investissements publics subventionnent des acteurs privés, dont certains disposent de moyens considérables, tout en empêchant EDF de profiter du produit de son travail et sans inciter ses concurrents à construire des capacités de production nouvelles.
Dans le même temps, EDF fait face à de nombreux défis, avec son parc nucléaire comptant 56 réacteurs. Initialement estimé à 55 milliards d’euros, le coût des travaux du grand carénage devrait être beaucoup plus élevé. La Cour des comptes l’estime à 100 milliards d’euros. Cela pose la question du financement de ces travaux. Alors que les plus anciens réacteurs en fonctionnement dépassent leur quarantième année d’exploitation, l’allongement de la durée d’exploitation des réacteurs est un enjeu économique majeur.
À cela s’ajoute la revalorisation à la hausse des coûts globaux des EPR d’Hinkley Point et de Flamanville et la construction annoncée de six nouveaux EPR en France. En parallèle, le développement de l’hydroélectricité, deuxième source de production électrique dans notre pays, est bloqué dans l’attente du règlement des contentieux communautaires.
Parce que les Français ne comprendraient pas qu’EDF soit reléguée au son second plan pour relever les défis multiples de la transition énergétique, le projet Hercule de réorganisation du groupe EDF, fruit de négociations européennes particulièrement difficiles, doit permettre à notre champion national de tenir son rang.
Pour autant, notre groupe restera extrêmement vigilant quant à la finalisation de ce projet. Il n’est pas question de démanteler EDF. Cette réorganisation du groupe et de ses activités ne doit en aucun cas casser le fleuron de l’énergie français.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Marie Evrard. Par ailleurs, quid des structures hydroélectriques devenues obsolètes, dont l’ouverture à la concurrence a été souvent repoussée ?
Nous attendons enfin que le projet Hercule puisse permettre à EDF de financer tous les aspects évoqués de la transition énergétique et écologique, tout en permettant à l’entreprise de rester aux avant-postes en la matière.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’électricité, bénéficiant d’un statut particulier, est considérée par le Conseil d’État comme un produit de première nécessité non substituable, ce qui explique que sa production ne puisse être traitée comme une activité de marché quelconque.
Depuis l’Acte unique européen, le dogme de l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité grignote progressivement notre souveraineté énergétique, et nous en subissons les conséquences.
Le plan de sauvetage Hercule impose une nouvelle séparation des activités d’EDF en deux ou trois entités portées par une société holding : EDF Bleu, portant la production nucléaire, à capitaux totalement publics, et éventuellement ses barrages hydrauliques qui pourraient toutefois être cantonnés au sein de l’entité EDF Azur, et EDF Vert, ouvert aux capitaux privés, incluant les énergies renouvelables et Enedis. En contrepartie de cette scission, le prix de l’Arenh pourrait être enfin revalorisé pour redonner à EDF une capacité d’investissement qui lui fait actuellement défaut et lui offrir de la marge face à son fort endettement.
Le tarif de l’Arenh – contrepartie à la situation monopolistique d’EDF – est fixé à 42 euros par mégawattheure depuis 2012. En raison du refus par la Commission européenne de toutes les propositions de révision, il pénalise EDF et la place dans une situation inéquitable face aux fournisseurs alternatifs qui se tournent soit vers l’Arenh, soit vers le marché de gros, soit vers la justice dès que cela les arrange. L’ouverture à la concurrence n’a pour l’instant ni favorisé l’émergence de nouvelles capacités de production par ces fournisseurs alternatifs ni profité aux consommateurs.
La concurrence artificielle à marche forcée sur les industries de réseau, dont la nature se prête peu à ce jeu, se fait ainsi au détriment des consommateurs, ce qui n’est conforme ni aux principes généraux du droit de la concurrence ni aux objectifs de l’ouverture du marché européen de l’énergie. La baisse des prix de l’électricité n’a pas eu lieu. Quelle ironie !
Le groupe du RDSE ne peut envisager une maîtrise de la production énergétique et des réseaux qui ne demeurerait pas dans le giron de l’État et qui ne garantirait pas la sécurité d’approvisionnement de la France.
De surcroît, après toutes les subventions octroyées par l’État pour le développement des énergies renouvelables, il serait inacceptable de perdre la main sur ce secteur devenu très rentable. Le projet Hercule fait d’ailleurs l’objet de spéculations sur les marchés. Nous pensons, pour notre part, que le capital d’EDF doit demeurer largement public. La transition énergétique et le respect de l’accord de Paris supposent que l’État conserve le contrôle sur le nucléaire et l’ensemble des énergies renouvelables, hydraulique compris, avec leurs risques et leurs bénéfices.
Nous craignons que la réorganisation des activités d’EDF ne finisse par affaiblir davantage le nucléaire, fleuron de l’industrie française, construit et financé par les contribuables, à contre-courant du discours prononcé au Creusot dans lequel le Président de la République déclarait que l’atome devait continuer à être un pilier du mix énergétique pour les décennies à venir.
S’il s’agit, en revanche, dans une démarche tactique, de ne pas confier au marché une partie des activités actuellement réalisées par EDF – par exemple, une mise à l’abri des concessions hydroélectriques face aux exigences de la Commission européenne quant à leur mise en concurrence –, nous y serions favorables. Mais nous craignons que la solution retenue ne permette pas d’éviter cette issue.
L’absence de transparence nous inquiète. L’obtention des informations au travers de la seule presse n’est pas acceptable. La représentation nationale devrait être associée à l’élaboration d’un projet aussi fondamental et stratégique. Pourquoi ne pas instaurer une nouvelle commission Champsaur ? Les salariés et les citoyens sont totalement exclus de l’état des négociations entre la France et la Commission européenne ; les interrogations sont donc légitimes.
Est-ce l’étape ultime du processus de libéralisation engagé dès les années 1990 ou une tentative de protection de nos actifs énergétiques ? Démantèlement ou préservation du patrimoine national énergétique, nous considérons que le Gouvernement doit rendre compte des négociations en cours et rassurer nos concitoyens, ainsi que les salariés d’EDF, quant à l’avenir de notre souveraineté énergétique, la préservation des emplois et l’accès de tous à l’énergie à un prix abordable.
Madame la ministre, je vous remercie de nous indiquer dans quel scénario nous sommes, afin que nous, parlementaires, puissions à notre tour réaliser nos propres travaux d’Hercule en arrêtant un positionnement clair et argumenté.
Pour rester dans la parabole herculéenne, je conclurai en indiquant que la pression du « tout marché » qui s’exerce sur notre société est aussi puissante et lancinante que celle que produit la dérive des continents au niveau du détroit de Gibraltar. Aussi, les colonnes d’Hercule, qui pourraient matérialiser le bicamérisme cher au président du Sénat – bicamérisme reposant sur nos deux assemblées –, seront-elles assez fortes pour résister aux forces en présence ? En tout cas, une seule colonne hésitante ne suffira pas ! (MM. Éric Gold et Franck Menonville applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que nous sommes au cœur d’une crise sanitaire et économique sans précédent, que chacun s’inquiète des conséquences de la pandémie sur sa vie quotidienne, mais aussi sur notre avenir collectif, le Gouvernement se lance en catimini dans la réorganisation du secteur électrique français.
À la fin de 2018, le Président de la République a demandé à Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d’EDF, de réfléchir à la réorganisation des activités du groupe afin « de renforcer sa contribution à la transition énergétique et de mettre en œuvre les orientations définies dans le plan prévisionnel de l’énergie ». Or il semble aujourd’hui que, loin des enjeux de transition énergétique, c’est bien la poursuite du processus de libéralisation engagé en 1996 qui se profile avec le projet Hercule.
Nous l’avons dit et je pense que nous partageons tous ce constat, le secteur et la filière électrique dans leur ensemble sont des outils stratégiques essentiels. Pourtant, comme cela a été souligné lors du débat d’hier, la sécurité d’approvisionnement reste fragile.
Nous évoluons, par ailleurs, dans un contexte de sous-investissement dans la production électrique, malgré les soutiens financiers colossaux aux fournisseurs alternatifs. En effet, la part des énergies renouvelables est encore largement minoritaire dans la consommation énergétique des ménages et des entreprises, loin des objectifs du paquet énergie-climat.
Celui-ci prévoit, en effet, de réduire les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon de 2030 d’au moins 40 % par rapport à 1990, et de porter la part des énergies renouvelables à 32 %.
Parallèlement, la précarité énergétique augmente dans notre pays, touchant un ménage sur cinq. Pourtant, l’électricité est un bien essentiel et l’accès à l’énergie à un prix abordable est un droit que l’on doit garantir à tous les usagers, car il participe pleinement au droit au logement décent reconnu de valeur constitutionnelle.
L’État dispose d’une responsabilité première sur l’organisation de ce secteur. Si EDF, qu’il détient à 83,6 %, reste un géant au premier rang mondial, dont le chiffre d’affaires atteignait 69 milliards d’euros en 2018, il n’en demeure pas moins que le groupe est endetté à hauteur de 41 milliards d’euros. Le secteur électrique est fragilisé, en particulier la filière nucléaire. Autrefois fierté de la Nation, elle suscite la défiance depuis l’accident de Fukushima, et l’on s’interroge sur la durée de vie soutenable des centrales pour garantir la sécurité de tous.
Réduire l’activité d’EDF au nucléaire comme l’a laissé entendre le président Macron lors de son discours du Creusot est mortifère. Prétendre résoudre tous les dysfonctionnements en généralisant le marché, en éclatant un peu plus le groupe, en segmentant les activités et en privatisant les énergies renouvelables et le réseau de distribution est un non-sens. Ce serait une fuite en avant, alors que l’urgence climatique exige une planification et des investissements massifs de long terme, incompatibles avec le marché, puisqu’ils exigent une forte maîtrise publique.
Nous le répétons encore une fois, l’avenir d’EDF ne peut se négocier dans l’opacité et le secret, c’est l’affaire de tous.
La réponse du Premier ministre qui explique que « les négociations avec Bruxelles se poursuivent et qu’aucun accord n’a été trouvé à ce stade » peine à nous convaincre.
Il en est de même de la promesse qui a été faite de maintenir une entreprise intégrée. Fabien Gay l’a souligné à juste titre : comment des entités indépendantes pourront-elles être intégrées ? D’autant qu’une note de l’Agence des participations de l’État, datant de mai 2020, nous rappelle que la position de la Commission européenne est claire : il faut démanteler EDF et l’éclater en quatre structures étanches.
Cette position interdit la mise en place d’une stratégie de groupe et de toute politique industrielle cohérente. Pire, elle permettrait que les filiales de la holding EDF se fassent concurrence entre elles !
Que dire enfin de la demande de séparation juridique des activités nucléaires qui interdirait que les bénéfices tirés des investissements déjà amortis ne puissent être réinvestis dans des activités nucléaires nouvelles ?
Enfin, comme cela a été confirmé dans la réponse du Premier ministre aux organisations syndicales, « l’équipement électrique du pays, les prix de l’énergie et l’amélioration du service public sont les grands absents de ce projet ».
Vous comprendrez, mes chers collègues, que, devant les défis économiques, financiers et techniques que devra affronter notre système électrique, qu’il s’agisse du renouveau des réseaux de distribution, de l’augmentation des énergies renouvelables dans le mix énergétique, ou des défis du nouveau nucléaire, nous ne pouvons accepter qu’EDF soit à nouveau découpée et le système électrique livré un peu plus aux intérêts privés, en dehors de tout contrôle démocratique.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous avons demandé ce débat et qui justifient notre opposition au projet Hercule. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)