Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. En octobre 2017, les travaux du comité Action publique 2022 (CAP 2022) dévoilaient la volonté du Gouvernement de mettre en place des services publics totalement dématérialisés. Il s’agissait une nouvelle fois de faire des économies estimées à environ 450 millions d’euros.
Cette orientation posait, entre autres, la question de l’accès aux services publics. En effet, comme le rappelait Jacques Toubon, alors Défenseur des droits, près de 20 % des Françaises et des Français ne peuvent pas faire leurs démarches en ligne aujourd’hui, soit parce qu’ils n’ont pas le matériel, soit parce qu’ils vivent dans une zone blanche, soit encore parce qu’ils n’en ont pas les compétences, voire parfois du fait du manque d’accessibilité des sites internet aux personnes souffrant de handicaps.
À titre d’exemple, selon l’institut CSA, 36 % des personnes âgées de plus de 60 ans dans les Hauts-de-France étaient en situation d’exclusion numérique en 2018.
Ce constat pose forcément des questions.
Quid du devenir du principe d’égalité d’accès aux services publics ? Comment assurer un droit effectif, notamment en matière d’aides sociales, alors que les plus précaires sont les plus touchés par l’illectronisme ? Comment assurer notamment un droit effectif aux recours ?
Enfin, si l’école doit contribuer à la lutte contre l’illectronisme des enfants, d’autres dispositifs doivent être déployés pour les autres catégories de la population. À cet égard, les initiatives locales de médiation informatique doivent être saluées.
Face à cette situation, l’objectif envisagé par CAP 2022 d’une disparition progressive des accueils physiques pour atteindre le tout-numérique pose de sérieux problèmes. À cet égard, il me semble que l’axe n° 2 du rapport avance une piste intéressante, celle de la cohabitation permanente entre la démarche numérique et l’accueil physique. Il me semble toutefois que, en la matière, un accueil téléphonique servant d’appui ne suffira pas, et que c’est bien d’un accueil physique, d’une écoute et d’une aide qu’ont besoin les citoyennes et les citoyens de ce pays.
Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement prévoit-il de poursuivre la dématérialisation à marche forcée des services publics, rompant ainsi avec le principe d’égal accès à ces derniers ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice, je souhaite revenir sur le projet que vous évoquez, autrement dit l’objectif d’une dématérialisation à 100 %. Je voudrais en effet replacer les choses dans leur contexte.
D’abord, la dématérialisation n’est pas forcément une mauvaise chose, y compris en matière d’accès aux droits des personnes.
Pour ne citer qu’un exemple, il y a un an et demi environ, à Bayonne, le patron de la caisse d’allocations familiales des Pyrénées-Atlantiques m’a expliqué que, le jour où ses services avaient dématérialisé le processus d’actualisation des droits des usagers – vous le savez, ces droits sont actualisés chaque mois –, ils avaient divisé par trois le taux de non-recours aux aides sociales. Tout cela en simplifiant la démarche d’actualisation des droits pour en permettre un accès à la carte.
Vous avez cependant raison sur un point : le numérique facilite les choses pour un certain nombre de personnes, mais en laisse aussi d’autres de côté. Je n’ai aucune difficulté à reconnaître que les gouvernements successifs sont probablement allés trop vite dans la dématérialisation, et qu’ils se sont insuffisamment interrogés sur la meilleure façon d’améliorer la qualité de celle-ci.
Avant même d’évoquer ceux qui ne savent pas se servir d’internet, il faut se rendre compte que les sites internet sont trop compliqués, qu’on n’y trouve pas les numéros de téléphone et que l’on s’y perd facilement.
Ce gouvernement a donc effectué un double travail.
Il a d’abord restauré les services publics : je pense notamment aux espaces France Service, qui se déploient de manière constante depuis l’annonce de leur création.
Il a ensuite souhaité conserver une voie d’accès physique, c’est-à-dire un guichet, même si celui-ci peut faire l’objet de mesures de rationalisation, réintroduire un contact via des numéros de téléphone – ma collègue Amélie de Montchalin y est très attachée –, et travailler sur la simplification à la fois du vocabulaire utilisé et de la navigation sur les sites des services publics. On sait en effet combien le vocabulaire administratif et la complexité du web peuvent engendrer des difficultés au quotidien, y compris pour des personnes à peu près autonomes.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon.
M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le secrétaire d’État, l’usage du numérique est devenu vital pour notre économie et notre société. Chacun le sait et en convient, singulièrement en ces temps de crise sanitaire.
Selon une enquête de l’Insee, en 2019, l’illectronisme concernait 17 % de la population. Ce taux atteignait même 50 % si l’on tient compte du halo de l’illectronisme, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas à l’aise avec le numérique et la dématérialisation des procédures.
Si le manque de compétences numériques est souvent une réalité, l’équipement même des ménages explique parfois l’inégalité devant l’inclusion numérique. Toujours selon l’enquête de l’Insee, le taux brut de non-équipement est minime dans l’agglomération parisienne – 8 % –, 1,6 fois plus élevé dans les communes rurales et dans les unités urbaines de moins de 10 000 habitants – 13 % – et 1,5 fois plus élevé dans les unités urbaines de plus de 10 000 habitants – 12 %.
Les raisons de ce manque d’équipements sont connues : le manque de compétences, le coût du matériel ou de l’abonnement figurent parmi les plus citées. Lors des travaux de la mission d’information sur la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique que j’ai eu l’honneur et le plaisir de présider, ce constat a été dressé.
Dans son rapport d’information, mon collègue sénateur Raymond Vall, dont je salue le travail, a proposé plusieurs axes d’amélioration de la stratégie numérique du Gouvernement, avec notamment la création d’un fonds de lutte contre l’exclusion numérique. Ce fonds pourrait notamment contribuer à financer la remise d’un chèque équipement pour les ménages à bas revenus, soumise à la condition d’une participation à une formation financée par le pass numérique.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous éclairer sur les solutions envisagées par le Gouvernement pour améliorer l’équipement de ces ménages modestes ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, je tiens d’abord à vous remercier, vous et Raymond Vall, pour vos travaux sur le sujet.
Pour répondre très directement à votre question, l’exclusion ou la fracture numérique découlent de l’un de ces trois éléments : l’accès à une connexion, et donc à la fibre ou au mobile ; les usages, autrement dit savoir se servir d’internet ; enfin, l’équipement.
Le Gouvernement a opéré un choix extrêmement clair en se concentrant sur les usages. Même si je concède que la question s’est posée, nous avons décidé d’y « mettre le paquet » – pardonnez-moi cette expression – dans les semaines qui viennent, et ce pour plusieurs raisons.
La première raison tient à l’action des collectivités locales. Dans les années précédentes, les conseils départementaux et les conseils régionaux ont lancé beaucoup d’initiatives pour financer l’acquisition d’ordinateurs ou de tablettes pour les élèves.
L’honnêteté oblige à dire que ces opérations n’ont pas été un franc succès. Très souvent, soit parce que le professeur n’utilisait pas de tablette ou d’ordinateur en cours, soit parce que les élèves ne savaient pas suffisamment bien s’en servir, ces outils ont été laissés de côté, et ont été parfois même mis en vente sur internet. Nous avons donc sciemment décidé de commencer par changer les usages et faire progresser les Françaises et les Français dans ce secteur.
La seconde raison pour laquelle nous n’avons pas privilégié l’amélioration des équipements, c’est que les collectivités territoriales s’engagent beaucoup dans ce domaine, en investissant pour leurs administrés et en récupérant souvent des équipements donnés par des entreprises. J’étais à Trélazé il n’y a pas très longtemps : dans cette ville, la société CNP a fait don de 500 ordinateurs aux habitants d’un quartier difficile.
Il existe donc, dans certains territoires, des initiatives qui ne sont pas totalement satisfaisantes du point de vue de l’action publique, mais qui permettent tout de même d’attendre un peu. Je le répète, ce sont les usages qui concentrent aujourd’hui les efforts du Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche.
M. Éric Kerrouche. La pandémie agit comme un révélateur des faiblesses préexistantes de notre pays, comme celles qui concernent actuellement l’université.
Notre université est en souffrance, la jeunesse étudiante en détresse sociale et psychologique. Dans les premiers mois de cette crise, le tout-numérique a révélé crûment les inégalités sociales. La précarité de la jeunesse étudiante est aussi, et fatalement, une précarité numérique. Elle a conduit au décrochage pédagogique et à une démotivation massive de ceux que l’on nomme pourtant les digital natives.
C’est pourquoi une première question se pose : quels moyens le Gouvernement entend-il consacrer au monde universitaire, tout d’abord sur le plan matériel, en matière d’infrastructures, d’équipements ou d’abonnements ? Peut-on imaginer négocier des forfaits préférentiels pour les étudiants, par exemple ?
Une deuxième question se pose : l’illectronisme est également une question d’usage et de compétences des étudiants comme des enseignants. Quelles sont les mesures prévues par le Gouvernement en matière de formation et d’acquisition des compétences dans ce secteur ?
Enfin, si la crise sanitaire a accéléré la transformation numérique des universités, celle-ci s’est faite dans l’urgence, sans réflexion critique sur son acceptabilité. Or les drames humains que connaît la jeunesse étudiante et l’épuisement généralisé en sont le témoignage funeste : l’enseignement ne peut se réduire à un espace virtuel. Un parcours étudiant ne se construit pas dans une solitude monacale, derrière un écran qui amplifie la ségrégation sociale.
Cela me conduit à poser une dernière question : quel travail entendez-vous mener pour engager une vraie politique numérique de l’enseignement supérieur qui soit au service de l’avenir de la jeunesse étudiante ? En quoi consisterait, selon vous, une numérisation vertueuse de l’université ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, je ne suis pas certain de pouvoir répondre à l’intégralité de vos questions en deux minutes. (Sourires.)
Ma collègue Frédérique Vidal et moi-même, en lien avec les opérateurs, avons porté une attention particulière à la question étudiante pendant cette crise, en tout cas durant le premier confinement. Notre réflexion a notamment concerné les forfaits internet, et la possibilité de ne pas les interrompre au bout d’un certain moment, afin que les étudiants puissent continuer à avoir accès aux données disponibles et à leurs cours.
Nous avons travaillé sur un autre point qui, je le sais, faisait partie des recommandations du rapport, mais qui n’est hélas pas envisageable sur le plan légal, à savoir le zero rating – pardonnez-moi cet anglicisme –, comme on l’appelle : cette pratique consisterait à exonérer les étudiants de frais financiers lorsqu’ils consomment des données sur le site de leur université, par exemple. Les consommations ne sont alors pas comptabilisées dans leur forfait.
Nous avons examiné de très près cette possibilité : en Europe, il existe un principe général de neutralité du net qui nous interdit juridiquement de mettre en place ce type de solution. Cela étant, nous avons tout de même pris des mesures pour que les étudiants ne soient pas bloqués.
Je vous rejoins volontiers sur l’idée que la période est extrêmement difficile pour nos étudiants : ils ont vécu une rentrée dématérialisée, ce qui ne constitue pas pour eux une vraie rentrée dans cette période particulière de leur vie, qui n’est pas si éloignée pour moi. (Sourires.)
Nous ne pouvons pas tendre vers une éducation complètement dématérialisée. En tout cas, je n’y crois pas. Il faut que nous trouvions un juste milieu à la longue, entre des cours en présentiel, qui permettent de maintenir l’interaction physique et humaine nécessaire entre un professeur et ses élèves et entre les élèves eux-mêmes, et des cours dématérialisés, qui peuvent présenter un intérêt dans certains cas.
Enfin, s’agissant de la politique de lutte contre l’illectronisme, nous ne nous sommes pas concentrés spécifiquement sur le public étudiant. En revanche, nous avons prévu d’accorder une attention particulière à cette population dans le cadre de l’action conduite par les 4 000 conseillers numériques que nous envisageons de déployer sur le territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize.
M. Patrick Chaize. Au risque d’enfoncer une porte ouverte, l’illectronisme et l’inclusion numérique sont des problématiques transversales, à la croisée des chemins entre la culture, le social et l’aménagement du territoire. Je ne vous apprends rien en disant cela.
D’ailleurs, le rapport d’information de notre collègue Raymond Vall ne dit pas autre chose : « La priorité a longtemps été la couverture numérique du territoire, et non la maîtrise des usages par les personnes. » Je m’autorise ici une petite précision. En réalité, quand on parle de maîtrise des usages, on parle également de fracture numérique.
De fait, la fracture numérique qui touche les territoires, si elle est d’abord physique en raison d’un déploiement insuffisant des outils de communication, est aussi sociale et culturelle. Dès lors, quelles réponses apporter aux défis de l’inclusion numérique ?
Le rapport d’information met le doigt sur le nœud gordien de cette histoire : « Dans certains territoires, le manque de médiateurs labellisés […] est criant. » Ou encore : « La structuration des lieux de formation au numérique manque de clarté et plusieurs labels se sont déployés […] sans coordination. »
Surtout, le rapport précise que les interlocuteurs pour combattre l’illectronisme sont certes nombreux – les hubs France Connectée, les territoires d’action pour un numérique inclusif, les maisons France Services, les tiers-lieux « fabriques de territoire » –, mais qu’aucun ne peut assumer seul le poids d’une telle politique.
Je ne peux qu’approuver. On oublie pourtant trop souvent un acteur, même si le rapport l’évoque dans sa proposition n° 30. Cet acteur, tous les Français l’identifient. Celui-ci présente également l’avantage de disposer d’un maillage territorial idoine. Enfin et surtout, il est confronté, plus que tous les autres, aux défis de la numérisation. Vous l’aurez reconnu – enfin, je l’espère ! –, il s’agit de La Poste.
Aussi, ma question est la suivante : qu’attendez-vous, monsieur le secrétaire d’État, pour que le groupe La Poste devienne le bras armé de notre politique publique en faveur de l’inclusion numérique, et pour qu’il redevienne le lien entre tous les Français qu’il était par le passé ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur Chaize, nous ne nous quittons plus, puisque nous échangions ensemble hier encore dans ce même hémicycle sur d’autres sujets. (Sourires.)
Vous abordez une question dont nous avons déjà discuté vous et moi à plusieurs reprises. Vous mettez le doigt sur le fond du sujet : le déploiement de l’inclusion numérique partout sur le territoire.
Cet enjeu est au cœur des actions qui seront menées grâce à l’enveloppe de 250 millions d’euros prévue dans le cadre du plan de relance du Gouvernement. C’est du reste la prégnance de cette problématique qui nous a conduits à prévoir un budget aussi important.
Le principal facteur limitant la mise en œuvre d’une politique de médiation numérique efficace est le manque de médiateurs numériques. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a annoncé le déploiement de 4 000 conseillers numériques partout sur le territoire, soit un doublement des acteurs disponibles. Il s’agit d’une sorte de « saut quantique » en matière d’offre d’accompagnement des Français dans les territoires.
Nous discutons avec tous les acteurs : les collectivités, les associations comme Emmaüs Connect, l’ensemble des associations qui s’engagent, les entreprises de l’économie sociale et solidaire – comme « Mon Assistant numérique » – qui, tous les jours, enseignent, accompagnent et forment les Français au numérique.
Nous discutons également avec le groupe La Poste : Philippe Wahl souhaite faire de l’inclusion numérique un axe fort de la politique de son groupe. Il souhaite mettre en place une stratégie qui permette de déployer les postiers sur le territoire, afin d’identifier toutes les personnes ayant besoin d’un accompagnement, notamment dans un certain nombre d’endroits où les collectivités seraient moins mobilisées ou moins dotées, là où les acteurs sont moins présents.
Ainsi, nous pourrions faire appel, via La Poste, à un certain nombre de conseillers numériques. En tout cas, je vous confirme la volonté de l’État de travailler avec ce groupe et la volonté de celui-ci de faire de l’inclusion numérique un élément central de sa politique dans les années à venir.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Je voudrais commencer par remercier mes collègues ayant participé à la mission d’information sénatoriale, ainsi que le groupe du RDSE d’avoir inscrit à l’ordre du jour ce sujet qui, en définitive, concerne tous les Français.
Si, évidemment, nous incitons tous à la formation des plus jeunes et à la formation tout au long de la vie sur les sujets du numérique, j’aimerais évoquer un pan entier de la population qui – ayons le courage de le dire – ne saura jamais se servir du numérique, pour des questions d’âge, de parcours de vie ou de situation individuelle.
Ces personnes, que nous ne parviendrons pas à former, ont besoin de services, notamment de services publics. Il faut absolument avoir à l’esprit qu’il est nécessaire de continuer à les accompagner.
Ainsi, il est indiqué dans le rapport de la mission d’information que les services publics et parapublics doivent impérativement conserver des lignes téléphoniques pour l’accueil des usagers. Si, en plus d’avoir les lignes téléphoniques, ils peuvent aussi avoir du personnel pour décrocher, et ce rapidement, c’est tant mieux !
Puisqu’il est question de service public, je voudrais évoquer le cas précis des maisons France Services.
Il reviendra donc aux collectivités locales d’assurer un certain nombre de services, soit via des lieux physiques, soit au travers d’un dispositif itinérant, se déplaçant de commune en commune. D’ailleurs, je pense que le service ainsi rendu sera de meilleure qualité, car les collectivités locales ont la connaissance du terrain.
En revanche, elles reprennent une compétence assumée jusqu’alors par l’État et par un certain nombre de ses services. Or, dans la vie, quand il y a transfert de compétences, il y a généralement, en parallèle, ce que l’on appelle un « transfert de moyens ». Là, le compte n’y est pas : on parle d’une contribution d’une trentaine de milliers d’euros par maison France Service. Si l’on veut que les services portés par les collectivités locales soient utiles, l’État doit accroître son aide financière !
À ce titre, puisque l’on nous parle de déconcentration, pourquoi ne pas transférer des agents de l’État – qui resteraient agents de l’État – au sein de ces structures, afin, encore une fois, d’améliorer les services rendus à nos compatriotes ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur Verzelen, j’aurai quelques difficultés à vous annoncer maintenant, sur ces travées, une augmentation de l’enveloppe consacrée aux maisons France Services et je vous renvoie, pour cette discussion, à Jacqueline Gourault, ma ministre de tutelle.
Néanmoins j’abonde dans votre sens : sur les 13 millions ou 14 millions de Français, environ, qui sont éloignés du numérique, on estime pouvoir en former la moitié ; l’autre moitié ne sera jamais formée.
Cela exige de conserver des guichets d’accueil physique ou de réintroduire des numéros d’appel téléphonique, comme je l’indiquais précédemment, mais aussi de pouvoir faire « à la place de ».
Accompagner, c’est l’objectif de France Service. C’est aussi ce qui nous pousse à consacrer une partie des 250 millions d’euros déployés dans le cadre du plan de relance à la distribution de ce que nous appelons des « kits d’inclusion numérique » aux secrétaires de mairie et aux travailleurs sociaux. Nous parlons précisément d’un effort de 40 millions d’euros – sur 250 millions d’euros, donc – pour équiper ces acteurs, qui sont en première ligne dans la lutte contre l’illectronisme, avec le développement d’outils comme Aidants Connect.
Ce dispositif, Aidants Connect, vise un objectif simple. Aujourd’hui, quand une personne fait une démarche numérique à la place d’une autre, celle-ci doit remettre à celle-là ses identifiants et mots de passe. On connaît tous l’exemple de ces travailleurs sociaux ayant en leur possession des pages noircies d’adresses e-mail et de mots de passe. C’est totalement illégal, mais il n’y a pas d’autre solution.
Nous avons donc créé Aidants Connect, que nous allons généraliser cette année, afin de fiabiliser sur le plan juridique cette relation entre l’aidant et l’aidé.
Nous travaillons également à faire progresser la formation au numérique des travailleurs sociaux. En effet, il y a les professionnels de la médiation numérique et tous les fonctionnaires – j’évoquais à l’instant les secrétaires de mairie –, mais les travailleurs sociaux se trouvent aussi en première ligne dans cette lutte et doivent être accompagnés.
Avec ces kits d’inclusion numérique, nous veillons donc, aussi, à aider ceux qui agissent « à la place de ».
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Comme vous l’avez souligné en introduction, monsieur le secrétaire d’État, nous faisons face à un enjeu de société majeur, à une transformation considérable.
Je vous remercie, d’ailleurs, d’avoir appréhendé le sujet d’une manière aussi large, car l’impression qui prédomine souvent est celle d’une politique extrêmement étriquée de l’État, se résumant à l’idée que cette transition représente une véritable aubaine pour qui veut réduire les dépenses publiques et les effectifs de fonctionnaires !
Vous parliez de médiation ; moi, je voudrais appeler à la création d’un grand service public du numérique, qui s’appuierait en premier lieu sur l’éducation nationale.
De très nombreux enseignants sont à former, de manière extrêmement approfondie. Ils doivent être formés pour pouvoir accompagner les élèves dans le maniement des outils, mais aussi, évidemment, pour les amener à être plus critiques face aux contenus qui se déversent sur eux. Je pense aux difficultés liées à l’utilisation des réseaux sociaux ou encore aux fausses informations qui circulent. L’investissement doit être massif et le plan de relance que vous évoquez, je crois, n’y suffira pas.
Au-delà de l’éducation nationale et des grands services publics, il faut aussi s’appuyer sur l’éducation populaire. Il me semble que celle-ci a fort à faire.
Quand je parle d’un grand service public, je n’envisage vraiment pas la construction d’une filière, tel que vous l’indiquiez. Il faut vraiment se dire que l’État et les collectivités ont un rôle majeur à jouer. Il s’agit, en effet, d’organiser une construction citoyenne face à un secteur du numérique – et c’est un enjeu extrêmement grave et prégnant à l’heure actuelle – structuré autour de multinationales, presque aussi puissantes que des États, mais absolument pas préoccupées par les questions démocratiques.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Dans le fond, madame la sénatrice Taillé-Polian, je crois que nous sommes plutôt d’accord… Il peut y avoir un débat sémantique sur le choix du terme – filière ou service public –, mais l’objectif que nous visons est en définitive le même : structurer le secteur grâce à l’injection d’argent public.
Pourquoi fais-je mention de filière, de secteur, et pas de service public ?
Aujourd’hui, énormément d’acteurs agissent sur le terrain, en première ligne : les collectivités territoriales ; des organisations non gouvernementales telles que Emmaüs Connect ; des entreprises de l’économie sociale et solidaire.
Dans une acception très jacobine de l’action de l’État, nous aurions pu décider que celui-ci allait embaucher, payer et déployer sur l’ensemble du territoire les formateurs. Mais nous avons pris une décision tout autre, d’ailleurs en lien avec l’ensemble des acteurs, qui saluent pour la plupart, me semble-t-il, cette approche. Nous avons opté pour le financement, via la Banque des territoires, de ce que nous appelons des hubs territoriaux, permettant de mettre en relation les acteurs et de les équiper, par exemple en développant des logiciels Pix. Il s’agit, dans le cas de cette plateforme, de travailler sur des standards pour évaluer l’illectronisme – sans standards, il ne peut y avoir de politique publique !
C’est donc pour travailler à la mise en relation des acteurs que nous avons investi dans des sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) : la SCIC Pix ou encore la SCIC Mednum. C’est aussi pour cela que nous avons proposé de financer le dispositif des conseillers numériques, en prévoyant une embauche, non pas par l’État, mais par les collectivités territoriales, par des associations comme Emmaüs Connect, voire, peut-être, par La Poste.
Le rôle de l’État – pour une fois, me direz-vous – n’a pas été de faire ; il a été de mettre en relation les acteurs.
Je manque de temps pour approfondir ce sujet, mais je vous rejoins sur la nécessité de suivre les jeunes. Une légende urbaine voudrait qu’il y ait une génération Y, née avec un téléphone portable à la main. Ce n’est pas vrai ! Le numérique, cela s’apprend ! C’est une grammaire particulière ! Si nous avons besoin de former les moins jeunes, il nous faut, aussi, accompagner les jeunes.