M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la mission « Sécurités », qui nous est aujourd’hui présentée, n’est pas exempte de défauts.
Ce budget est en hausse de 1,05 %. C’est une bonne nouvelle, d’autant plus que les efforts de dépenses se concentrent sur les programmes concernant la police et la gendarmerie nationales, qui verront leurs effectifs augmenter respectivement de 1 145 et 317 postes.
Nous accueillons également avec satisfaction les décisions gouvernementales permettant la revalorisation de 150 euros accordée aux 22 000 policiers travaillant de nuit, ou les 26,5 millions d’euros destinés au paiement de leurs heures supplémentaires. Les dépenses croissantes en matière d’équipements sont également positives, notamment dans le cadre du renouvellement des parcs automobiles des policiers et gendarmes.
Enfin, nous notons avec intérêt l’achat de 21 000 caméras-piétons, qui peuvent être des outils favorisant l’exemplarité de nos forces de l’ordre dans l’exercice de leurs prérogatives, à condition, bien sûr, qu’elles fonctionnent.
Tous les éléments visant à améliorer les conditions de travail, sociales et salariales de nos fonctionnaires de la sécurité intérieure doivent être salués. Cela n’est que justice, tant la profession est mise sous pression.
Pourtant, il est à craindre que ces gages ne soient pas de nature à dissiper totalement le malaise qu’expriment régulièrement les gardiens de la paix. Depuis 2003 et la suppression de la police de proximité, les gouvernements successifs ont multiplié les décisions hasardeuses. Celles-ci ont fortement affecté les effectifs de la police nationale, notamment au cours du mandat de Nicolas Sarkozy, mais ont aussi eu pour effet délétère d’abîmer le lien entre la population française et les forces de l’ordre, régulièrement accusées de comportements violents, discriminatoires et arbitraires.
La confiance doit donc être retrouvée entre la Nation française et sa police républicaine. Pour ce faire, une meilleure formation doit être offerte à nos policiers et gendarmes. Des fonctionnaires mieux formés sont des fonctionnaires qui optent pour des méthodes de maintien de l’ordre plus adaptées, qui reçoivent les plaintes de manière adéquate et qui nouent du lien social avec leurs concitoyens. Somme toute, un policier mieux formé est un policier qui protège mieux.
Il est donc vital qu’à l’avenir la hausse des crédits destinés à la formation des forces de l’ordre soit le corollaire de l’ouverture de nouveaux postes dans la police et la gendarmerie. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a lui-même proposé une formation continue pour ces personnels.
Je termine en mentionnant la situation du programme 161, « Sécurité civile ». Certains se satisferont peut-être de la maigre augmentation des crédits alloués, à hauteur de 0,45 %. Il n’en reste pas moins que ce programme ne représente que 7 % des dépenses réalisées en matière de sécurité civile, et que 90 % du financement de celle-ci pèse sur le budget des collectivités territoriales. Face aux changements climatiques et aux risques sanitaires et naturels que ces derniers sont susceptibles d’entraîner, il est vital que le concours de l’État se fasse plus important, afin de soutenir les localités face à ces périls du XXIe siècle.
L’ouverture de nouveaux postes dans la police et la gendarmerie, les renforcements des moyens des renseignements, ainsi que les investissements dans les équipements du ministère de l’intérieur sont de bonnes nouvelles, mais nous nous devons d’attirer l’attention de l’exécutif sur les carences et sous-dotations de ce budget, notamment en matière de formation et de sécurité civile.
Pour ces raisons, les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires s’abstiendront de voter les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je profite de cette intervention pour rendre hommage à nos forces de l’ordre, qui vivent une année extrêmement éprouvante, avec une mobilisation sans faille sur tous les fronts.
Sans sécurité, aucune liberté n’est pleinement effective. Aujourd’hui, il y a autant d’insécurités qu’il y a de situations pour les Français : ruralité, urbanité, dans le foyer ou en dehors, de la violence conjugale aux violences urbaines. Il y a aussi le crime organisé et la cybercriminalité. Face à ces insécurités, il y a besoin d’autant de sécurités ; c’est bien pourquoi le titre de la mission que nous étudions aujourd’hui est au pluriel. Aucun aspect n’a été oublié dans les programmes de ce budget pour 2021.
Madame la ministre, vous voulez faire évoluer la répartition des tâches entre police et gendarmerie pour aller vers une organisation plus efficace. Vous avez, dans le même temps, insisté sur la nécessité de maintenir ces deux forces complémentaires, tout en ouvrant ce chantier, qui n’avait pas été touché depuis des dizaines d’années.
Or les agglomérations se sont étendues géographiquement. Pour répondre aux nouveaux défis, l’idée est d’apporter des synergies dans les domaines qui exigent une action conjointe. Je pense notamment au maintien de l’ordre, mais aussi aux domaines de forte compétence, comme la police technique et scientifique ou le cyber.
Indépendamment de la façon dont nous envisageons les rapports entre les forces de sécurité intérieure et les citoyens, il est essentiel que celles-ci soient bien recrutées, bien formées et bien équipées. Pour ce faire, un budget important est nécessaire. Pour l’année 2021, les crédits demandés pour la mission atteignent un montant de 21,23 milliards d’euros en autorisations d’engagement et de 20,7 milliards d’euros en crédits de paiement. Cela représente une hausse d’environ 1,05 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2020.
Lors de l’examen à l’Assemblée nationale, les crédits de la mission ont été majorés de 33,3 millions d’euros pour les dépenses de personnels, la hausse étant répartie sur les programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale ». De nombreux recrutements sont prévus : environ 1 500 créations de postes pour les forces de sécurité intérieure, soit 317 pour la gendarmerie et 1 145 pour la police. Il est également prévu un effort spécifique pour les services de renseignement et de lutte contre le terrorisme, avec 330 créations d’emplois supplémentaires. Ce budget pour 2021 poursuit ainsi pleinement la mise en œuvre du plan de recrutement ambitieux de 10 000 policiers et gendarmes sur le quinquennat.
Si ces dépenses de personnes peuvent être difficilement pilotables, le plan de relance vient, dans le même temps, renforcer l’effort pour « s’occuper du quotidien du policier et du gendarme » et assurer le plein maintien de leurs capacités opérationnelles. Si l’on inclut ce plan, l’augmentation des crédits de la mission s’élève à 621 millions d’euros en crédits de fonctionnement et à 455 millions d’euros en crédits d’investissement. Cela porte l’augmentation du budget de la mission « Sécurités » à 1,7 milliard d’euros depuis le début du quinquennat.
Je salue la création d’une indemnité de travail de nuit pour la police nationale, le renouvellement du parc automobile de la police et de la gendarmerie, à hauteur de 213 millions d’euros, ainsi que la dotation complémentaire pour la généralisation de l’utilisation des caméras-piétons au mois de juillet 2021.
Le budget est axé autour de trois priorités stratégiques, qui correspondent à trois grandes luttes nationales : contre les stupéfiants, contre les séparatismes et contre les violences conjugales.
La police et la gendarmerie sont traitées équitablement. Le programme 176, « Police nationale » prévoit 11,14 milliards d’euros et le programme 152, « Gendarmerie nationale », 9 milliards d’euros. L’objectif est d’évaluer la prévention et l’activité répressive des forces de sécurité et de renforcer l’activité des services pour mieux combattre la délinquance. Il faut aussi optimiser l’emploi des forces mobiles, renforcer l’efficacité dans la lutte contre l’insécurité routière, ainsi que la transparence du service public de sécurité intérieure.
Un danger majeur concerne l’ensemble de nos concitoyens : la menace terroriste. Nous avons été plusieurs fois durement frappés récemment, jusqu’aux portes de nos écoles, jusqu’aux parvis des lieux de culte. Cette menace, qui est une priorité absolue, est bien prise en compte dans chacun des crédits de la mission.
Il ne faut pas non plus négliger certains dangers du quotidien. Je pense à ceux qui surgissent au détour d’un simple trajet en voiture. Le programme 207, « Sécurité et éducation routières » vise à mobiliser l’ensemble de la sécurité routière pour réduire le nombre d’accidents sur les routes et améliorer le service du permis de conduire ; il est appuyé par 41,2 millions d’euros.
Enfin, il faut prendre en compte la prévention et la prédiction d’autres dangers, en appui sur les moyens des services départementaux d’incendie et de secours. Pour permettre à nos forces de répondre efficacement à ces dangers, le programme 161, « Sécurité civile » augmente de 2,3 millions d’euros, pour atteindre plus de 520 millions d’euros. Madame la ministre, pourrez-vous préciser les dépenses pour la sécurité civile aujourd’hui inscrites dans plusieurs programmes qui n’entrent pas dans cette mission ?
Pour finir, je salue le Livre blanc de la sécurité intérieure, dans lequel se retrouve l’ambition de ce budget pour 2021. Certaines de ses mesures, en matière notamment de sécurité privée et de police municipale, sont déclinées dans la proposition de loi relative à la sécurité globale. La Haute Assemblée en sera prochainement saisie : elle saura exercer pleinement ses prérogatives pour travailler ces dispositions dans un esprit d’équilibre entre sécurités et libertés.
Suivant les avis de l’ensemble des rapporteurs spéciaux et des rapporteurs pour avis, le groupe RDPI votera les crédits de la mission, les articles rattachés, ainsi que les crédits du compte d’affectation spéciale. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chacun s’accordera à dire que les questions liées à la sécurité trouvent dans notre pays un écho de plus en plus important, trop souvent pour de mauvaises raisons.
De trop nombreuses lois, décisions gouvernementales ou juridictionnelles intéressant le maintien de l’ordre public sous toutes ses formes amènent leur lot de polémiques, là où nous devrions rechercher le consensus républicain quant aux finalités et le débat démocratique dans les modalités. C’est le rôle d’ailleurs dévolu au Parlement, me semble-t-il, en tant que représentant de la Nation : discuter la loi en toute transparence et améliorer sa rédaction grâce à la navette parlementaire.
La discussion budgétaire en fait pleinement partie, puisqu’il est coutume de dire que, derrière les chiffres, c’est une politique qui est menée. Aussi, à notre sens et c’est notre préoccupation, ce budget devrait traiter du lien de confiance entre les forces de l’ordre et les citoyens, socle fondamental de la légitimité de l’État et, plus largement, de notre démocratie. Cela suppose de mettre en place les conditions du soutien que doivent l’État et la société aux forces de l’ordre.
Depuis des mois, l’actualité, parfois déformée par le prisme des réseaux sociaux, nous rappelle combien ces liens sont fragiles, tant ils subissent des événements toujours tragiques. D’un côté, la terrifiante attaque du commissariat de Champigny-sur-Marne, mais aussi les agressions devenues régulières de fonctionnaires de police durant les interpellations, comme la semaine dernière en Seine-et-Marne ; de l’autre, l’indignation suscitée par les images de l’évacuation de la place de la République, voilà quinze jours, ou encore par celles du véritable passage à tabac de Michel Zecler, la semaine dernière.
Que révèle cette triste litanie ? Qu’entre violence policière et violence contre les policiers, il y a un va-et-vient quasi schizophrénique, l’expression d’un symptôme préoccupant pour la santé de notre État de droit, voire de la confiance de nos concitoyens envers l’État, à l’heure où le complotisme a pignon sur rue et n’a rien à envier aux superstitions d’antan.
L’heure n’est pas à prendre parti pour un camp ou un autre : il faut trouver la voie de l’apaisement, dans le respect de la loi et de l’ordre public. Notre Nation ne doit pas s’enliser dans ce chemin insupportable qui fait que, chaque semaine, de nouveaux événements alimentent les chaînes d’information, boulimiques de polémiques, et font le lit des populismes qui n’attendent que de prospérer sur cette crise de confiance.
Certes, nous pourrons bien nous rassurer en nous disant que les gendarmes ou les pompiers conservent une bonne image dans la population, mais rien n’est acquis. Nous le constatons tous les jours. Notre réponse doit donc être pensée et structurée pour le long terme.
Face à cela, le budget que nous examinons apporte des premiers éléments de réponse. En particulier, il poursuit en 2021 la mise en œuvre du plan de recrutement de 10 000 policiers et gendarmes sur le quinquennat, conformément à la loi de programmation, en prévoyant la création nette de 1 145 emplois dans la police nationale et de 335 emplois dans la gendarmerie nationale. Ces emplois supplémentaires devraient principalement venir renforcer les effectifs de sécurité publique. Nous nous réjouissons de cette évolution.
Néanmoins, cette évolution ne dit pas tout. Les enjeux liés aux missions de sécurité ne tiennent pas qu’à une question d’effectifs. Une fois le nouveau personnel recruté, encore faut-il qu’il puisse effectuer ses tâches dans des conditions à la hauteur de leur importance.
Garantir l’ordre public est d’abord une question de moyens. Les gendarmes et les policiers nous alertent constamment là-dessus : ils doivent disposer des matériels qui leur permettront d’assurer leur mission efficacement.
La formation de nos forces de l’ordre est devenue un enjeu essentiel, en particulier au regard de l’évolution de notre doctrine du maintien de l’ordre et des techniques d’interpellation, sujet sur lequel Catherine Di Folco et moi-même travaillons.
Le budget de la mission « Sécurités » apporte encore des réponses en prévoyant de financer la modernisation des équipements, d’élargir le parc automobile ou encore d’engager des travaux de rénovation immobilière. Là aussi, c’est un motif de satisfaction.
Enfin, s’agissant des questions liées à la sécurité civile, nous soulignerons la légère hausse d’effectifs qui est prévue. Cependant, les crédits de cette mission sont stables. Or cette stagnation peut se révéler inquiétante, lorsque l’on sait qu’une grande partie de la sécurité civile est assumée par les collectivités territoriales, tandis que le réchauffement climatique démultiplie les risques de catastrophes naturelles ou d’incendies de forêt. Comment parvenir à maintenir les moyens des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) dans ces conditions ? Je m’associe à cette préoccupation, qui est assez largement partagée.
Sous réserve de ces observations, mes collègues du groupe RDSE et moi-même voterons en faveur de l’adoption des crédits de la mission « Sécurités ». (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette mission a ceci d’étonnant que l’augmentation importante de ses crédits est principalement liée au plan de relance, avec, pour base, des annonces gouvernementales aux données budgétaires non consolidées. Voilà qui, comme l’a relevé le rapporteur spécial, nuit non seulement à la lisibilité, mais aussi et surtout à la sincérité de l’information communiquée au Parlement.
Ainsi, hors plan de relance, les crédits de paiement de cette mission passent de 19,9 milliards d’euros à 20,21 milliards d’euros, marquant une stagnation certaine sans l’abondement important des crédits de relance, à savoir 118 millions d’euros pour la police nationale et 161 millions d’euros pour la gendarmerie.
Cette augmentation « exceptionnelle » satisfait les syndicats. Nous pouvons le comprendre et nous en féliciter, dans le sens où elle apporte des réponses à des questions récurrentes. Il en est ainsi de la revalorisation de 150 euros accordée aux 22 000 nuiteux, de la relance des discussions sur la gratuité des transports pour les policiers ou de la revalorisation des heures supplémentaires. Surtout, cela représente une occasion unique pour le ministère de l’intérieur de donner un coup d’arrêt à la dégradation des conditions de travail et de procéder à la remise à niveau des équipements.
Reste que l’effort est ponctuel et imputable à la crise sanitaire en cours. Or la situation matérielle dégradée de nos forces de l’ordre nécessite une réponse durable et une revalorisation pérenne des crédits de fonctionnement et d’investissement.
Nos convergences avec la majorité sénatoriale sur cette mission s’arrêtent là… (Sourires sur les travées du groupe SER.)
En matière de sécurité publique, nos principales critiques ont toujours principalement porté sur la politique menée, donc budgétisée, qui pose de nombreuses difficultés. Je pense à la très mauvaise gestion du maintien de l’ordre, qui est notamment porteuse de tensions et de violences policières. Je pense encore au niveau de formation de nos agents, qui est bien insuffisant. Je pense surtout au manque de proximité avec la population, à l’origine de deux maux pour nos forces de l’ordre : d’une part, le relâchement du lien, qui a entraîné la rupture de confiance entre police et population, d’autre part, pour les forces de l’ordre, la perte de sens de leur mission de service public, expliquant en partie le mal-être de nombre d’entre eux qui vont parfois jusqu’à commettre l’irréparable.
Vous l’aurez compris, il ne s’agit pas de stigmatiser nos forces de l’ordre, qui sont confrontées au quotidien à la misère sociale et dont le travail anxiogène donne trop souvent lieu au pire. Selon nous, toutefois, mal-être policier et violences policières, deux tabous de notre société, doivent être abordés avec la même rigueur et sans détour. L’actualité brûlante dans laquelle s’inscrit cette discussion nous y invite plus que jamais.
Si l’attention médiatique s’est focalisée sur l’article 24 de la loi relative à la sécurité globale, il n’en demeure pas moins que nous pointons un autre problème d’envergure : le glissement dangereux de notre sécurité publique vers une privatisation. Il s’agit d’un enjeu phare qui n’aura pas échappé à la lecture de la commission des lois, puisque le rapporteur pour avis souhaite, pour alléger les tâches de procédure pénale, pour renforcer la présence policière dans l’espace public et diminuer leurs missions « périphériques », « la montée en puissance des autres acteurs de la sécurité », comme le suggère précisément ce texte à l’origine de la crise politique en cours et comme le ministre de l’intérieur l’appelle de ses vœux dans le Livre blanc de la sécurité intérieure récemment publié.
Pour notre part, nous persistons à dire que la sécurité publique est du ressort du pouvoir régalien et que les fonctionnaires de police et de gendarmerie sont des acteurs du service public. Glisser vers une privatisation n’améliorera en rien les conditions de travail de nos forces de l’ordre. Vouloir se couper de la police républicaine au profit d’un service de sécurité mercantile et servile, bien éloigné des fonctions régaliennes de l’État, est une grave erreur.
En réalité, cette question de la présence dans l’espace public de nos forces de l’ordre est non pas une question budgétaire, mais une question de doctrine d’emploi des forces de l’ordre. C’est une question éminemment politique !
Le chemin est encore long pour que convergent notre conception de la police républicaine et l’idée que vous vous en faites. C’est pourquoi nous voterons contre ces crédits, qui, d’ailleurs, mais je n’ai pas le temps d’aborder le sujet, sont également loin d’être à la hauteur en matière de sécurité civile. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la ministre, à l’occasion du débat sur les crédits de la mission « Sécurités », permettez-moi, tant en mon nom personnel qu’au nom de mon groupe, de marquer mon soutien aux forces de police et de gendarmerie et à l’ensemble des services de la sécurité civile, notamment les sapeurs-pompiers, qui ne sont pas épargnés, ainsi qu’à nos militaires, qui assurent au quotidien la sécurité des Français.
Jamais le climat social n’a été aussi tendu et jamais la demande d’ordre n’a été aussi multiple. De la sécurité des maires et des élus, en passant par celle des transports, la lutte contre les trafics et celle contre le terrorisme, la cybercriminalité, les débordements et violences des rues, les violences faites aux femmes, la demande de sécurité est polymorphe et urgente. Elle est aussi impérative, pour que notre pays ne glisse pas dans les bras extrêmes, qui encaissent cash les bénéfices des désordres que nous voyons trop souvent sur les chaînes d’information continue.
Le dialogue a disparu de nos sociétés et fait place aux invectives relayées par les médias et les réseaux sociaux. La violence est un signe de mauvaise santé de notre société. Face à ce constat que chacun peut faire, il nous appartient de tenter d’apporter des solutions, mais l’ajustement du curseur n’est pas toujours facile.
L’an dernier, notre débat se déroulait en pleine crise des gilets jaunes. La semaine dernière, des violences inadmissibles ont été commises contre des policiers, mais aussi contre des manifestants.
On le voit bien, le climat de confiance entre les forces de sécurité et les citoyens se détériore. Pour préserver cette indispensable confiance, il faut que notre police républicaine soit irréprochable, madame la ministre. Je ne doute pas qu’elle le soit dans son immense majorité, mais une petite minorité vient salir le travail et l’engagement de dizaines de milliers de fonctionnaires. L’inspection générale de la police nationale (IGPN) se trouve dès lors au cœur des débats.
L’IGPN a connu des évolutions et des améliorations, notamment avec la plateforme interne « signal-discri ». Si la fonction de renseignement de l’IGPN ne semble pas devoir être critiquée, tel n’est pas le cas de sa mission de contrôle.
Pendant l’année 2019, selon son dernier rapport, 1 460 enquêtes judiciaires ont été menées. Cette hausse est notamment due à la multiplication des mouvements sociaux.
Face aux critiques, madame la ministre, comment envisagez-vous de mener la réforme de l’IGPN qui a été annoncée ? À mon sens, cette réforme ne peut être définie qu’avec la participation du Parlement, tant dans son principe que dans son périmètre. Nous devons être complètement associés à une telle réforme de l’IGPN, dans ces deux composantes.
Il convient de revoir la composition de cette structure afin d’assurer l’indépendance des enquêtes. Actuellement, l’IGPN est composée de 285 agents ; 72 % d’entre eux sont des policiers, 18 % appartiennent au personnel administratif et 1 % au personnel technique ; enfin, 9 % d’entre eux – magistrats, adjoints de sécurité – relèvent d’autres catégories.
Dans d’autres pays européens, les organes de contrôle des services de police sont composés en partie de membres de la société civile ; il arrive même qu’ils soient indépendants du ministère de l’intérieur.
C’est le cas au Royaume-Uni, mais aussi en Belgique, où l’organisme chargé de contrôler l’action de la police, le Comité permanent de contrôle des services de police, ou « Comité P », est dirigé par un magistrat choisi par le Parlement. Ce magistrat est assisté d’un bureau de direction où figurent des représentants de la société civile. Il faut avouer que cette formule est assez séduisante si l’on veut redonner au Parlement son rôle dans cette mission de contrôle.
Au Danemark, l’Autorité indépendante des plaintes concernant la police, chargée de contrôler l’action de cette dernière, est placée sous la tutelle du ministère de la justice.
Dès lors, sans même être rendue indépendante du ministère de l’intérieur, l’IGPN pourrait comprendre un comité citoyen, ou d’autres membres de la société civile, ainsi que des magistrats et, pourquoi pas, des élus.
M. Christian Cambon. Un comité citoyen, vraiment ?
Mme Nathalie Goulet. Non, ce ne serait pas uniquement un comité citoyen, mais des citoyens seraient présents. Comme je l’ai dit, le Parlement doit être complètement associé à la définition du principe de la réforme et de son périmètre. Je prends simplement des exemples et ne prétends nullement que l’IGPN devrait être remplacée par un comité Théodule dont les membres ne seraient pas élus. Je vous remercie d’ailleurs de votre observation, monsieur Cambon : elle me permet d’être plus précise.
Faut-il revoir les critères d’évaluation de la police ? Doit-on, par exemple, modifier le régime de la charge de la preuve ou accroître la transparence ?
Une commission d’enquête de l’Assemblée nationale, présidée par M. Jean-Michel Fauvergue, a abouti à la publication d’un rapport de M. Christophe Naegelen sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu’il s’agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale. Avec les 332 pages du Livre blanc de la sécurité intérieure, nous tenons là un excellent outil pour répondre à toutes les questions qui sont posées.
Arrivée à ce stade de mon propos, madame la ministre, je veux vous transmettre plusieurs messages personnels.
Le premier de ces messages concerne les locaux d’hébergement des gendarmes de Deauville. Plus d’un tiers de ces logements sont extrêmement mal isolés et totalement inhabitables – M. Naegelen vient d’ailleurs d’y effectuer une mission de contrôle –, alors que les loyers versés par l’État s’élèvent à 400 000 euros, soit à peu près une demi-patte de yearling ! (Sourires.)
Je vous propose donc, madame la ministre, de lancer une mission d’inspection de certains locaux. En effet, dès lors que les loyers sont payés, il faut que les collectivités locales puissent assurer l’hébergement des forces de sécurité et de leurs familles dans des conditions satisfaisantes.
Le deuxième message concerne la gendarmerie de Tourouvre-au-Perche, commune de 3 127 habitants située dans l’Orne. Le maintien d’une brigade de gendarmerie active y est un enjeu essentiel, à la fois pour assurer la sécurité de ceux qui fréquentent ce secteur, pour stimuler son attractivité et pour accompagner son développement.
Le financement du projet pose problème : les subventions ne sont pas suffisantes pour permettre à la toute petite communauté de communes des Hauts du Perche, qui ne compte que 8 257 habitants, de mener à bien ce projet. En effet, ces subventions ne représentent que 16 % du montant nécessaire, estimé à près de 2,2 millions d’euros. Madame la ministre, pensez-vous pouvoir utiliser des crédits du plan de relance pour aider ce type de gendarmeries ?
Avec mon dernier message, qui porte sur l’indemnité d’installation des militaires ultramarins, on passe de l’Orne au Pacifique ! Madame la ministre, vous défendez dans cette mission l’octroi de crédits importants pour le financement de nos forces de sécurité, policiers et gendarmes. Or, comme vous le savez, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie constituent des viviers de recrutement particulièrement dynamiques pour nos forces de maintien de l’ordre. Des jeunes sont prêts à vivre à 20 000 kilomètres de leur famille et de leurs amis pour défendre notre souveraineté et maintenir l’ordre public.
Pourtant, ces agents du Pacifique sont à l’heure actuelle exclus du bénéfice de cette prime spécifique d’installation, que touchent pourtant leurs collègues des autres territoires ultramarins affectés en métropole. Saisie de cette question par Gérard Poadja, Mme la ministre de la défense s’est engagée à traiter cette discrimination. J’espère, madame la ministre, que vous pourrez également soutenir cette démarche.
Sous le bénéfice de ces observations, le groupe Union Centriste votera en faveur des crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)