M. Jean-Louis Lagourgue. « Les nations ne peuvent pas avoir de tranquillité sans une armée ; pas d’armée sans une solde ; pas de solde sans des impôts », disait Tacite. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pendant quelques années, notre pays a cru pouvoir faire bon marché de sa tranquillité. La dynamique s’est récemment inversée, et c’est heureux.
Avec le Brexit, et même si des coopérations se poursuivent, l’armée française demeure en effet la seule armée d’envergure au sein de l’Union européenne. La France participe activement à la protection du continent, notamment depuis les pays Baltes. Cette défense nécessite également d’anticiper le développement de menaces, parfois hors de nos frontières. Nos soldats luttent ainsi dans la bande sahélo-saharienne et au Levant contre les groupes armés terroristes, et ce pour la sécurité des populations locale, européenne et française.
En plus de ces opérations extérieures, notre armée s’est progressivement vu confier des missions intérieures dans le cadre du plan Vigipirate, mais aussi dans celui de la lutte contre la pandémie. Force est donc de constater que, si notre armée joue pleinement son rôle dans la protection des Français, elle ne se bat pas seulement pour assurer la sécurité de notre nation.
Devant l’étendue de la tâche, il est impératif que nous nous assurions que nos soldats disposent des moyens suffisants pour mener à bien leurs missions. Si la pandémie a vocation à prendre progressivement fin, rien ne permet cependant de penser que le niveau d’engagement de l’armée sur d’autres missions est appelé à diminuer à l’avenir. Dans un contexte instable, les Français comme les Européens devront en effet assurer eux-mêmes leur sécurité. Si nos partenaires européens venaient à rester immobiles sur le sujet de la défense, la France aurait encore davantage intérêt à continuer d’entretenir et de renforcer ses capacités militaires.
Nous nous félicitons à cet égard que la trajectoire poursuive les objectifs fixés par la LPM. L’actualisation de nos objectifs restera particulièrement importante pour que nous disposions en permanence des moyens d’assurer notre sécurité, dans un contexte toujours changeant.
La situation économique constitue une source majeure de préoccupation, car une croissance durablement diminuée mettra en péril le financement de notre force : 2 % d’un PIB amputé par la récession seront-ils suffisants pour affronter les menaces qui pèsent sur nous ? Ces menaces sont évolutives, mais force est de constater que la tendance générale est à la montée des tensions, que ce soit en Méditerranée, en Afrique ou encore en Orient.
« L’armée, c’est la nation », disait Napoléon. L’une et l’autre doivent donc se soutenir. Nous regrettons que le plan de relance ne prévoie pas davantage de mesures en faveur du développement de nos capacités militaires. Nous avons pourtant la chance d’avoir en France une industrie de défense de pointe. Le monde nous l’envie, et nous l’envie parfois activement, comme nous l’a montré la récente tentative d’acquisition de la start-up Preligens. Nous avons la possibilité de créer de véritables synergies en investissant pour notre défense, de développer des matériels et des savoir-faire de pointe tout en soutenant l’économie et l’emploi en France. Ne négligeons pas ces opportunités.
Nous sommes par ailleurs très attentifs aux conditions de vie de nos soldats, notamment au sort qui sera réservé au Val-de-Grâce. Le logement des militaires en Île-de-France doit être amélioré.
Les années à venir seront difficiles à bien des égards. Pour assurer notre tranquillité et celle de nos alliés, nous devrons veiller à continuer d’investir suffisamment pour nos armées. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M le président de la commission applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la semaine dernière, lors de l’adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l’État », Michelle Gréaume a souligné le déséquilibre entre l’évolution des moyens de notre diplomatie et celle, beaucoup plus rapide, des moyens de défense. La trajectoire de la LPM, en forte augmentation depuis trois ans, dont l’accélération est prévue de façon plus nette encore dans la seconde partie de sa mise en œuvre, fait en quelque sorte de nos armées notre vitrine diplomatique. Est-ce bien là le sens que nous devrions donner à l’action extérieure de la France ?
Notre budget militaire, avec une augmentation de 4,5 % cette année, atteint 39,2 milliards d’euros. On peut, comme vous le ferez, madame la ministre, se féliciter de cette augmentation programmée et respectée. On peut aligner les chiffres de la livraison promise et effective de nouveaux équipements : Griffon, Jaguar, fusils d’assaut, nouveaux avions MRTT (Multi Role Tanker Transport), hélicoptères, frégates…
Il est vrai que ces chiffres contiennent une part de remise à niveau nécessaire de nos capacités opérationnelles et de nos équipements, mais aussi du traitement et de la condition de nos militaires et de leurs familles : je pense au plan Famille, à l’hébergement, à l’augmentation des soldes, aux petits équipements. Je note toutefois que le service de santé des armées (SSA), auquel vous connaissez l’attachement de notre groupe, reste en souffrance.
Je veux insister sur un point : l’autosatisfaction sur des dépenses en augmentation ne suffit pas à dire, dans ce monde bouleversé et mouvant, si nous sommes sur la bonne trajectoire en matière de défense, quand tant d’incertitudes et d’évolutions géostratégiques nous interrogent.
Vers quelle armée, vers quel outil de défense nous conduit la forte augmentation actuelle des crédits ? Telle est la question qu’il faut se poser, me semble-t-il.
Madame la ministre, vous revendiquez la construction d’une armée tournée vers des engagements de haute intensité. Ce que nous construisons d’abord et surtout, c’est une armée massivement tournée vers la présence et les opérations extérieures. Ainsi, 13 000 de nos militaires sont déployés sur le territoire national, quand 5 100 le sont au Sahel dans l’opération Barkhane. Il y en a également 3 750 dans nos bases militaires au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Gabon, à Djibouti et aux Émirats arabes unis, 600 dans l’opération Chammal en Irak et Syrie, 4 500 en mission maritime sur les mers du monde et 400 auprès de l’OTAN.
La structure de déploiement vers laquelle nous ne cessons d’évoluer est donc claire et elle mériterait pour le moins un débat stratégique. J’espère par exemple que nous pourrons débattre de la poursuite, ou non, de l’opération Barkhane.
D’autres questions se posent toutefois. Par exemple, combien coûte et à quoi sert notre base aux Émirats arabes unis (Mme Nathalie Goulet s’exclame.), forte de 650 militaires ? Quand et où parlons-nous sérieusement de cela ?
Nos engagements financiers au titre de l’Europe de défense augmentent. Au service de quel projet stratégique toutefois ? L’« autonomie stratégique européenne », nous répète le Président de la République. Or c’est exactement le contraire de ce que vient de déclarer la ministre allemande de la défense, qui parle d’en finir avec « l’illusion de l’autonomie stratégique » et pour qui l’OTAN reste l’unique boussole stratégique.
L’avenir de nos industries nationales de défense est une autre question majeure. Vous en faites un argument de soutien à la relance. De quelle relance parlez-vous ? De la relance du soutien à la conception de programmes d’armement adaptés à nos besoins de défense, ce qui serait une bonne chose, ou plutôt de la relance de programmes tournés vers l’exportation et la vente d’armes, guidés par l’engrenage d’une hypersophistication technologique, génératrice de surarmement ? À nos yeux, ces questions doivent être posées avec clarté.
Nous serions, pour notre part, par exemple favorables à une augmentation plus rapide du fonds d’investissement visant à sauvegarder nos sociétés d’intérêt stratégique, ainsi qu’à la reconstruction d’une filière nationale de production de munitions de petit calibre. Le paradoxe est que nous n’en avons plus, alors que Thales aide l’Australie à s’en construire une !
Enfin, j’en viens à l’avenir de notre dissuasion nucléaire, dans laquelle nous investissons cette année 5 milliards d’euros, sans compter le coût de lancement des études sur un nouveau porte-avions. Cela mérite un débat approfondi et sans tabou, au moment où s’approchent de nouvelles ruptures technologiques et où la fin du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, dénoncé par Donald Trump, risque de conduire à une nouvelle escalade extrêmement inquiétante.
Vous l’aurez compris, madame la ministre, c’est plus d’une revue d’intérêt stratégique de nos priorités budgétaires que d’une litanie de crédits à la hausse que nous estimons avoir besoin. La relance tous azimuts d’une course au surarmement technologique redevient un facteur majeur d’insécurité collective. À nos yeux, le temps est venu de procéder à la révision des objectifs de la LPM.
En l’état, nous voterons contre les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Alain Cazabonne. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Alain Cazabonne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 25 mars dernier, dans le contexte de la crise de la covid, le président Emmanuel Macron lançait l’opération Résilience.
Cette opération a été la contribution des armées contre la propagation du virus. Centrée sur l’aide et le soutien aux populations, ainsi que sur l’appui aux services publics pour faire face à cette épidémie en métropole et en outre-mer, elle a apporté un soutien déterminant dans les domaines de la santé, de la logistique et de la protection. Elle a permis le transfert de 146 patients pour décongestionner les services de réanimation de l’est de la France, ainsi qu’une meilleure répartition des personnels soignants. Nous tenons ici à remercier les effectifs largement impliqués dans la lutte contre cette pandémie et à leur rendre hommage.
Notre pays se voit confronté à un environnement stratégique à la fois instable et menaçant. Après des décennies de déflation, la LPM entend accorder des moyens aux armées, afin de remédier aux carences du passé et de permettre une remontée en puissance, tout en préparant l’avenir d’une défense nationale adaptée aux défis et conflits du XXIe siècle.
Il faut se servir de l’expérience passée. Je rappellerai l’accueil extraordinaire qui a été réservé à Édouard Daladier et à Neville Chamberlain après les accords de Munich, ainsi que le mot cinglant de Winston Churchill : « Vous aviez le choix entre le déshonneur et la guerre ; vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez la guerre. » Il est donc extrêmement important – certes, on sait que c’est difficile – de définir une politique lorsque des conflits approchent.
Dans ce contexte d’engagement, nos armées doivent être particulièrement soutenues. Le soutien est bien là depuis plusieurs années, et il ne devrait pas être amené à fléchir.
Je pense par exemple à la décision du Président de la République d’envoyer dans le cadre l’opération Barkhane, en début d’année, 600 soldats supplémentaires en renfort dans la zone dite des trois frontières, au Sahel, en plus des appuis aériens.
Le budget pour 2021 de la mission « Défense » respecte les engagements pris dans le cadre de la LPM 2019-2025. Alors que le risque de conflit dans le monde s’accroît et que la France connaît une crise économique liée à la crise sanitaire dont on ne connaît pas encore toute l’ampleur, il était impératif de ne pas raboter le budget des armées et d’en refaire, comme autrefois, une variable d’ajustement. Face à un monde de plus en plus instable et dangereux, renoncer aux moyens de sa puissance et de sa protection serait de la folie.
Répondant à ces besoins importants et croissants, et restant fidèle à la trajectoire tracée par la LPM, le projet de budget que nous examinons est au rendez-vous des engagements pris. Il prévoit en effet une augmentation de 4,5 % par rapport à 2020, avec 1,7 milliard d’euros des moyens accordés à la défense, hors contribution au compte d’affectation spéciale « Pensions ».
Sur le plan capacitaire, nous nous félicitons et saluons la livraison de nombreux équipements, ainsi que les différentes commandes prévues en 2021. Je pense par exemple aux systèmes de drones tactiques SDT, aux engins blindés de reconnaissance ou encore aux avions de transport et de ravitaillement A330 MRTT Phénix. Il s’agit ici de signes visibles et concrets de la remontée en puissance des armées. Cette arrivée de matériels témoigne des efforts et des progrès accomplis en termes d’innovation.
Vous l’aurez compris, madame la ministre, nous sommes plutôt satisfaits à la lecture de ce budget. Cependant, je souhaite appeler votre attention sur quelques points de vigilance.
Le premier de ces points, et non des moindres – il a été évoqué –, est la question de l’actualisation de la loi de programmation militaire. Le Parlement reste dans l’incertitude à cet égard. L’actualisation doit intervenir en 2021. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s’est à plusieurs reprises interrogée sur la forme que cela prendra et sur le calendrier. À l’occasion de l’examen des crédits de la mission « Défense », pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous nous interrogeons également sur le prochain porte-avions de nouvelle génération, qui aura vocation à remplacer le Charles-de-Gaulle à l’horizon 2038. Les arbitrages sur ce dossier seront-ils rendus prochainement ?
Cette année encore, le projet de loi de finances initiale est grevé par le surcoût généré par les OPEX et les missions intérieures (Missint). En 2020, ce surcoût intègre notamment le renforcement des effectifs de l’opération Barkhane, la création de la task force Takuba, qui relève des OPEX, ou encore l’opération Résilience, qui relève des Missint. Le montant des surcoûts OPEX et Missint s’élève à 1,461 milliard d’euros, après 1,398 milliard d’euros en 2019.
Je souhaite également revenir sur la fidélisation de nos forces. Les crédits de personnels sont en hausse de 179 millions d’euros dans ce projet de loi de finances, ce qui représente une augmentation de 1,5 %. L’année 2021 sera en effet la première année de la mise en œuvre de la nouvelle politique de rémunération des militaires.
Le plan Famille, lancé voilà trois ans, est essentiel à cette démarche de fidélisation. En 2021, il se traduira par la poursuite des efforts en matière de construction d’hébergement, de crèches et de logements, en métropole comme en outre-mer, d’amélioration des conditions de vie en garnison, d’action sociale et d’accompagnement des conjoints à l’emploi ou à la mobilité. Si certaines de ses mesures sont perçues très positivement par les militaires, des avis plus contrastés ont été exprimés sur la situation du logement et les conditions d’hébergement dans les enceintes militaires.
Dans son rapport spécial fait au nom de la commission des finances, Dominique de Legge, dont je salue ici le travail, ainsi que celui de tous les rapporteurs pour avis, estime même que tout cet effort de fidélisation pourrait être compromis par le retard pris en matière d’infrastructures et de logement. La question des pensions de retraite militaires fera également l’objet d’un suivi très scrupuleux de la part de notre commission.
Enfin, nous ne pouvons que constater que la défense est la « grande oubliée » du plan de relance. Elle n’est concernée qu’au titre de l’accélération des commandes d’aéronefs, à hauteur de 600 millions d’euros. Le plan de relance vise à soutenir les secteurs qui souffrent et à provoquer un effet levier. Or cet effet est généralement particulièrement dynamique dans l’industrie de la défense. Dans ce secteur d’activité, l’efficacité de l’investissement public en matière d’emploi est bien supérieure à ce qu’elle est dans tous les autres.
Madame la ministre, le groupe UC votera les crédits de la mission « Défense » et sera tout à fait attentif à l’évolution des points soulevés dans cette intervention. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Gilbert Roger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec 39,2 milliards d’euros, en hausse de 4,5 %, le projet de budget des armées pour 2021 apparaît toujours comme une priorité nationale. La loi de programmation militaire 2019-2025 est respectée, ce dont je ne peux que me féliciter.
À y regarder de plus près toutefois, c’est l’arrêt des usines d’armement pendant le confinement qui a facialement préservé l’exercice 2021, puisque cela a conduit le ministère à ne pas dépenser 1,1 milliard d’euros de crédits. Ces crédits non consommés ont permis de couvrir les dépenses nouvelles de 2020, notamment les surcoûts des opérations extérieures. Ces derniers devraient atteindre un record inégalé, avec 1,6 milliard d’euros à la fin de l’année 2020, soit 500 millions d’euros de plus que prévu, en raison du renforcement de l’opération Barkhane, de l’opération de secours menée au Liban, mais également du soutien à la lutte contre le covid.
Il faut y ajouter les surcoûts liés aux missions intérieures, avec la montée en puissance de l’opération Sentinelle et ses 7 000 soldats mobilisés. Si l’on s’en tient à l’article 4 de la LPM, les surcoûts OPEX et Missint devraient être financés par la solidarité interministérielle. Or, comme l’a souligné M. le président de la commission des affaires étrangères, cet article n’a jamais été appliqué depuis son entrée en vigueur.
Il est un sujet de préoccupation sur lequel le projet de budget est silencieux : les 18 avions Rafale que la France doit fournir à la Grèce, 6 neufs et 12 d’occasion. Cette opération risque de laisser un surcoût pour l’armée évalué à 1 milliard d’euros. Le produit de la vente de ces Rafale est estimé à 400 millions d’euros. Si la possibilité d’une rétrocession de ces produits via un compte d’affectation spéciale a été évoquée, les recettes de vente seront inscrites au budget général de l’État, et non au budget du ministère des armées. Certes, madame la ministre, il vous revient de négocier la rétrocession de cette vente, mais cette négociation entre votre ministère et Bercy est loin d’être garantie.
Enfin, l’autre conséquence immédiate est l’affaiblissement de nos capacités opérationnelles d’ici à 2025 : retirer 12 Rafale sur 102, c’est diminuer la flotte de plus de 10 %. Madame la ministre, avez-vous signé le bon de commande pour les Rafale au profit de nos armées ?
Le coût des réparations à la suite de l’incendie du sous-marin nucléaire Perle est aussi un élément de préoccupation.
L’industriel était assuré à hauteur de 50 millions d’euros. La facture pour l’État s’élève à 60 millions d’euros et inclut la réparation de la Perle et la prolongation du Rubis. Rapporté au budget global de la défense, ce coût représente un choc financier majeur.
Les décisions prises sur le futur porte-avions de nouvelle génération, dont le programme devrait être prochainement lancé, sont un autre sujet d’inquiétude. Madame la ministre, pourriez-vous nous confirmer le calendrier de conception et de construction du nouveau porte-avions ? Quid d’une prolongation du Charles-de-Gaulle au-delà de 2038 ? Est-il envisageable qu’il reste déployé en Méditerranée, comme je vous le suggère dans le rapport d’information qu’Olivier Cigolotti et moi-même avons rédigé ?
Aux inquiétudes que je viens d’exprimer quant au respect de la trajectoire de la LPM s’ajoute la crise que traversent les industries de défense, cela a été souligné. Malgré la mise en place au mois de mai dernier d’un guichet spécifique pour les PME, ainsi qu’un plan de rattrapage capacitaire, la situation est très préoccupante : fragilisation des chaînes de production, difficultés avec les banques, fonte des marchés à l’export, menace d’une multiplication de rachats par des sociétés étrangères prédatrices. On peut citer l’exemple de Photonis, qui a échappé in extremis à un rachat par l’américain Teledyne.
J’en viens aux incertitudes de la coopération européenne alors que la LPM mise sur son développement. L’autonomie stratégique européenne nécessite de partager une vision commune des menaces, mais aussi d’avoir la volonté de renforcer l’indépendance et la capacité d’innovation des industries européennes du secteur. Or le Fonds européen de défense est reconduit avec un budget amputé de moitié. Est-ce un bon signe à adresser à nos partenaires, en particulier allemands ? Je ne le crois pas.
Comment, dans un tel cadre, rester compétitifs en matière de recherche et d’innovation technologique, alors que l’Europe est confrontée à un environnement de plus en plus compétitif ?
La culture commune en matière de défense est à construire. Il est nécessaire que toutes les initiatives nationales fonctionnent de façon complémentaire, avec un objectif unique. Or cet objectif n’existe pas encore. C’est tout l’enjeu de la boussole stratégique. Nous avons proposé que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s’empare du sujet.
Cette coopération européenne doit aussi se traduire dans les faits. Au mois de février dernier, la France et l’Allemagne ont lancé la première phase du programme de système de combat aérien du futur (SCAF). Cependant, une interrogation demeure sur la sécurisation des financements. De même, il faut également considérer l’important effort des Britanniques, à hauteur de 1,74 milliard d’euros pour la recherche militaire.
Madame la ministre, pour les raisons que j’ai indiquées et dans l’attente des réponses que – nous l’espérons – vous nous apporterez, le groupe SER votera les crédits de la mission « Défense ». (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je salue à mon tour la mémoire de nos militaires disparus et rends hommage à l’engagement de tous ceux qui participent à la défense de notre pays et œuvrent pour la paix et la sécurité, en France et à l’étranger, ainsi qu’à leur famille. N’oublions jamais en effet que les proches d’un militaire représentent le soutien indispensable et l’ancrage qui participe aussi à la réussite de leur mission.
Madame la ministre, vous nous présentez un budget de la défense pour 2021 conforme à vos engagements et à la trajectoire de la LPM. Nous observons avec satisfaction que les crédits de paiement s’élèvent à 39,2 milliards d’euros, soit une augmentation de 1,6 milliard d’euros, dont une grande part sera consacrée au programme 146.
Ce fléchage vers le renouvellement des matériels est à souligner du fait de la très grande attrition et de l’obsolescence des matériels utilisés sur les théâtres d’OPEX. Il faut une politique de maintien en condition opérationnelle (MCO) plus réactive, capable de mieux anticiper les besoins des hommes sur le terrain. Il y va du principe même de notre capacité opérationnelle. Des efforts ont été réalisés en amont avec les industriels, et nous nous en félicitons.
Néanmoins, la question se pose encore plus avec les conséquences de la covid, qui n’ont pas épargné l’industrie française de défense, grands groupes ou PME, en France et à l’étranger, avec un lourd impact sur les trésoreries et les capacités de production.
Les efforts de la direction générale de l’armement (DGA) en direction des 1 000 PME sous-traitantes des fournisseurs sont bienvenus, mais restent insuffisants en comparaison des autres pays, dont les usines ont poursuivi leur activité.
Nous regrettons que le plan de relance ne concerne la défense qu’au titre de l’accélération de commande d’aéronefs, et pour 600 millions d’euros.
À cela s’ajoutent les très grandes difficultés pour les sociétés françaises à trouver des soutiens financiers, les banques restant trop frileuses vis-à-vis du secteur de la défense. C’est ubuesque.
À titre de comparaison, les Britanniques ont annoncé qu’ils consacreront à leur défense près de 27 milliards d’euros sur les quatre prochaines années, ce qui en fait le deuxième contributeur budgétaire au sein de l’OTAN, après les États-Unis. Cette décision, qui n’est pas seulement liée au Brexit, entraînera la création de 10 000 emplois et de nouvelles capacités, quand nous supprimons des postes militaires dans nos ambassades. Pourtant, avec la dégradation de l’environnement sécuritaire, jamais nous n’en avons eu autant besoin.
Sur le volet capacitaire toujours, comment imaginer que nos capacités resteront inchangées à la suite du prélèvement des 18 avions Rafale sur la flotte de l’armée de l’air ? C’est l’incarnation de la politique du « en même temps » : d’un côté, vous augmentez les crédits des programmes 146 et 144 ; de l’autre, vous amputez l’armée de l’air de 25 %.
Comment obtenir la garantie que le produit de cessions des Rafale à la Grèce reviendra au budget des armées, alors même qu’il ne bénéficie plus de la solidarité interministérielle pour le financement des OPEX ?
Il y avait l’option d’un compte d’affectation spéciale, mais ce serait un retour en arrière en termes de « sincérisation » budgétaire, car c’est un retour à la logique du financement par recette exceptionnelle, comme sous le précédent quinquennat.
En outre, nous devons reconnaître – hélas ! – que notre soutien matériel à la Grèce est lié à une incapacité politique et stratégique de l’Alliance et de l’Union européenne vis-à-vis de la Turquie. En tant que vice-présidente de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, très attachée aux valeurs de l’Alliance, je ne peux que regretter la faiblesse des réactions de cette organisation, de l’Union européenne et de leurs États membres face à des agressions caractérisées envers un autre État membre, Chypre, et envers des pays partageant les valeurs otaniennes, comme l’Arménie. Dans cette affaire, la France subit une double peine : du point de vue diplomatique et du point de vue de son outil militaire.
La politique de fidélisation des armées, enjeu majeur pour leur avenir, constitue un autre sujet primordial. Recruter, c’est bien ; préserver et conserver les effectifs, c’est mieux. Pour cela, la mise en place d’une véritable politique dédiée au quotidien des familles prenant en compte la spécificité de l’état militaire est cruciale.
Nous saluons les 95,5 millions d’euros pour 2021 pour le renouvellement du parc locatif et l’augmentation des places d’hébergement, notamment dans les zones tendues. Sur ce point, madame la ministre, pourriez-vous nous dire où en sont les discussions avec la maire de Paris ?
Le Val-de-Grâce, contre la fermeture duquel je m’étais beaucoup élevée, sera cédé en 2024. Pour quoi, à qui et pour combien ? Pourquoi ne pas l’avoir réhabilité pour les acteurs de la défense ?
N’oublions pas non plus que les infrastructures dédiées à l’hébergement des militaires doivent répondre à des critères de sécurité, les militaires étant eux-mêmes des cibles.
Enfin, je tiens à vous remercier de l’ouverture d’une journée défense et citoyenneté (JDC) en ligne, accessible aux Français de l’étranger, tout en rappelant l’importance du présentiel pour nos jeunes qui participent à cette journée, dès que la crise covid sera derrière nous.
Madame la ministre, je vous remercie de prendre en compte ces observations. (M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit.)