M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rémi Féraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les hypothèses sur lesquelles se fonde ce projet de loi de finances sont prudentes, mais reconnaissez que nous entamons cette discussion dans un contexte particulièrement incertain. Le pays, en effet, est de nouveau confiné ; la crise sanitaire se poursuit et nous ne connaissons pas encore toute l’étendue de ses conséquences économiques et sociales, pas plus que nous savons comment elle évoluera en 2021.
Ce que nous savons déjà, en revanche, c’est que la crise a fait basculer 1 million de nos concitoyens dans la pauvreté, en plus des 9 millions qui étaient déjà dans cette situation. La Fondation Abbé Pierre a rappelé récemment que près de 300 000 personnes sont aujourd’hui sans domicile fixe dans notre pays, soit deux fois plus qu’il y a dix ans.
Dans ces circonstances exceptionnelles, l’enjeu principal de ce budget est donc le plan de relance du Gouvernement, annoncé à hauteur de 100 milliards d’euros à grand renfort de communication depuis cet été. Mais, derrière cette valse des milliards, la réalité est que votre plan est moins massif et moins rapide qu’affiché. Le Gouvernement prévoit en effet des moyens étalés sur plusieurs années ; en fin de compte, ce sont donc seulement 30 milliards à 35 milliards d’euros, sur les 100 milliards annoncés, qui sont inscrits dans le projet de loi de finances, à ce stade, pour l’année 2021, auxquels il faut bien sûr ajouter la baisse de 10 milliards d’euros des impôts de production.
Cette réduction d’impôts sur les entreprises nous interroge : elle n’est soumise à aucune contrepartie ou presque, que ce soit en matière d’emploi, de responsabilité sociale des entreprises ou de transition écologique. S’agissant d’un tel montant – vous en conviendrez, monsieur le ministre –, c’est un pari risqué.
Cette action, qui porte sur l’offre et se veut structurelle, reste, quoi qu’on en pense, une réponse décalée face à une situation conjoncturelle aussi grave et exceptionnelle que celle que nous vivons. Elle ne résoudra pas à elle seule la brutale récession économique que nous traversons. Des économistes ont proposé d’autres solutions ; ainsi, celle qu’expose Xavier Timbeau, économiste à l’OFCE, l’Observatoire français des conjonctures économiques : « Plutôt que de baisser les impôts de production, il aurait mieux valu annuler les dettes des entreprises liées au covid-19, comme les charges sociales par exemple. »
C’est pourquoi, avec le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, entre autres mesures pour plus de justice fiscale, mais aussi pour plus d’efficacité dans la promotion d’un nouveau modèle de développement à l’issue de cette crise, nous proposerons de revenir sur cette baisse des impôts de production ou d’exiger au moins leur conditionnalité.
Nous proposerons le rétablissement de la tranche supérieure de la taxe sur les salaires pour les entreprises qui ne sont pas assujetties à la TVA sur la totalité de leur chiffre d’affaires ; nous proposerons également la suppression ou l’atténuation de la « niche Copé », dispositif d’optimisation fiscale, ainsi qu’un changement des modalités de calcul du crédit d’impôt recherche, afin d’en encadrer l’utilisation par les grands groupes.
Nous proposerons par ailleurs un élargissement de la taxe sur les surfaces commerciales aux activités de stockage de type Amazon, et la hausse de la taxe GAFA. Nous en parlons depuis si longtemps ; avançons enfin !
Dans la même logique, et afin de venir en aide aux commerçants qui sont particulièrement touchés par la crise au bénéfice des géants du numérique, nous proposerons une contribution exceptionnelle des grandes surfaces et des acteurs du e-commerce pour alimenter un fonds de soutien aux commerces de proximité.
En refusant obstinément de faire contribuer ceux qui le peuvent, et même ceux qui profitent de cette période de crise, le Gouvernement se prive de moyens pour agir en faveur des victimes de la crise et, en même temps, fait le choix du déficit public. Le niveau de la dette publique devrait par conséquent atteindre, à la fin de l’année 2020, 120 % du PIB ; elle n’est soutenable que grâce au niveau toujours plus bas des taux d’intérêt.
Pour ce qui est des Français eux-mêmes – je le disais au début de mon propos –, cette crise a fait basculer dans la pauvreté nombre de nos concitoyens, dont beaucoup se trouvaient déjà dans une situation précaire.
Pour lutter contre l’aggravation des inégalités sociales, nous pensons qu’il faut changer d’approche ; la crise le nécessite encore davantage. Vous avez déjà été contraints de faire ce changement d’approche, certes très modestement, dans le budget pour 2019, à la suite de la crise des « gilets jaunes ».
Lors de l’examen du dernier projet de loi de finances rectificative, au début de la semaine, vous avez refusé nos propositions en ce sens, au motif qu’elles seraient examinées lors de la discussion du projet de loi de finances. Il est temps ! N’attendez pas une nouvelle explosion sociale. Notre pays a besoin de justice fiscale ; la période exige d’aider davantage les victimes de la crise et de faire participer davantage les plus fortunés à l’effort de solidarité nationale.
Ainsi proposerons-nous la réinstauration d’un impôt sur le capital pour remplacer l’ISF et la suppression de la flat tax. Nous proposerons aussi de relever le plafond des dons au profit des associations d’aide aux personnes en difficulté. Parce qu’il n’est pas normal que notre pays laisse tant de jeunes sans perspectives et surtout sans moyens, nous proposerons la création d’une dotation « autonomie jeunesse ». Destinée aux 18-25 ans, elle leur permettrait de disposer des ressources auxquelles ils n’ont plus accès en raison des restrictions actuelles d’activité.
La présidente du Secours catholique Véronique Fayet le disait ce matin sur France Inter – nous sommes nombreux à l’avoir entendue – : « Dans cette situation de crise, il faut que les jeunes aient un accompagnement renforcé […], mais avec cela il faut qu’ils soient soutenus par une allocation digne. »
Lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative, lundi dernier, la majorité sénatoriale a rejeté, main dans la main avec le Gouvernement, tous nos amendements destinés à lutter contre la pauvreté.
La droite tire peut-être la sonnette d’alarme sur la pauvreté, comme je l’ai lu mardi matin dans Le Figaro…
M. Roger Karoutchi. Bonne lecture !
M. Rémi Féraud. … – j’ai de saines lectures, en effet ! –, mais la majorité sénatoriale est-elle prête, avec nous, à faire changer de voie le train du Gouvernement ? Il faut passer d’une prise de conscience et des paroles aux actes ; la discussion budgétaire nous en donne justement l’occasion.
M. Patrick Kanner. Ayez un peu de cœur !
M. Rémi Féraud. Les autres grands oubliés de ce budget sont bien sûr les collectivités locales. La baisse des impôts de production est pour elles une nouvelle perte d’autonomie fiscale. Mal compensée, l’autofinancement des collectivités étant discrètement raboté au cours des dernières semaines, cette baisse est une « faute politique et économique », selon les mots mêmes du président de l’AMF, l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, François Baroin.
M. Patrick Kanner. Eh oui !
M. Rémi Féraud. Là aussi, monsieur le ministre, entendez l’appel que vous lancent les maires.
Mes chers collègues, ce PLF apparaît très imparfait et fort déséquilibré : oubli de la jeunesse, réponse incomplète à la crise, hausse des déficits sans perspective de retour à l’équilibre, nouvelle fragilisation des collectivités locales. J’espère que la discussion que nous allons avoir au Sénat concourra à définir un meilleur équilibre et une réponse plus adaptée à la crise que nous traversons. Les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sont évidemment prêts à y contribuer. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées des groupes CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le ministre, écoutez bien ce que je m’apprête à dire – c’est peut-être le seul moment où nous serons d’accord : je partage avec vous le constat que la situation économique est difficile (Sourires.)
Mme Christine Lavarde. Nous savions tous, depuis l’annonce du deuxième confinement, que ce budget était mort-né. Nous regrettons cependant qu’une saisine trop tardive du Haut Conseil des finances publiques ne permette pas au Gouvernement de nous donner à débattre, d’ici quelques minutes, d’un texte cohérent, et qu’il faille donc attendre, peut-être, la fin de l’examen de la première partie, voire le vote définitif, pour avoir quelque chose qui « marche » dans la situation que nous vivons.
Pourtant, nous sommes aujourd’hui face au dernier « vrai » budget du quinquennat. Avons-nous devant nous un budget de relance, comme le dit le Gouvernement, ou plutôt un plan de rattrapage, comme l’a si justement qualifié M. le rapporteur général ? Ce budget ne présente-t-il pas l’avantage de faire plaisir à tout le monde à dix-huit mois de l’élection présidentielle – à cette fin, vous ressortez des tiroirs, ou des armoires, des dossiers qui s’y étaient perdus ?
Il nous semble qu’il y a dans ce plan de relance, qui vise pourtant à toucher tout le monde, des oubliés, notamment les plus démunis – cela a déjà été dit à plusieurs reprises. L’augmentation générale des minima sociaux, réclamée sur certaines travées, doit selon nous s’inscrire dans un vrai débat sur la redistribution et l’architecture de nos prélèvements et transferts destinés aux plus précaires. Nous soutiendrons, dans le cadre de ce texte, des mesures exceptionnelles et temporaires, pour favoriser l’emploi des jeunes notamment.
Je note aussi une absence de mesures d’économies structurelles, visant certainement à ne pas déplaire. Les crédits des missions baissent facialement… pour mieux se retrouver dans le plan de relance. Le groupe Les Républicains n’a pas peur de dire qu’il va falloir collectivement faire des efforts. Je pense à l’augmentation du temps de travail dans la fonction publique d’État, à la réforme de l’aide médicale de l’État (AME), ainsi qu’à l’allongement de la durée de cotisation, que nous avons votée lors de l’examen du PLFSS.
« Le meilleur temps pour réparer sa toiture, c’est lorsque le soleil brille », disait John Fitzgerald Kennedy.
Nous sommes entrés fragilisés dans cette crise. En 2019, la France était le seul pays de l’Union européenne, avec la Roumanie, à avoir un déficit supérieur à 3 % de son PIB, quand les deux tiers des États européens étaient en excédent.
J’ai déjà dénoncé, par le passé, le recul de la majorité sur la réduction des effectifs de la fonction publique : d’une réduction de 50 000 équivalents temps plein (ETP) dans le programme présidentiel, nous étions passés à 10 500 ETP en moins ; aujourd’hui, dans le PLF que vous nous proposez, nous constatons une baisse de 157 ETP…
Cette relance que vous nous annoncez, nous considérons qu’elle débute avec six mois de retard. En juillet, notre groupe avait déjà proposé un certain nombre de mesures ; 90 % des dispositions présentées par le Gouvernement n’entreront en vigueur qu’en 2021 ou en 2022 ! C’est beaucoup trop tard ; l’Allemagne, par exemple, a commencé bien avant nous.
Certaines des mesures que vous nous avez refusées en juillet ont été reprises par le Gouvernement en septembre. Je citerai, entre autres, la baisse des impôts de production, les mesures en faveur des jeunes et de l’apprentissage, ou encore l’extension de la prime remplaçant le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) pour les neuvième et dixième déciles.
Je relève donc avec malice que nous n’avons pas toujours de mauvaises idées !
Nous soutiendrons bien évidemment l’ensemble des dispositifs qui visent à baisser les impôts de production. Il n’est question en la matière, malheureusement, que d’une goutte d’eau : même en comptant ces mesures, nous resterons encore très loin de l’Allemagne et des autres pays de l’Union européenne.
Cette relance, je constate par ailleurs que vous la financez majoritairement par la dette. Le ministre de l’économie – je vais le citer à plusieurs reprises ; je regrette qu’il ne soit pas là pour nous répondre – l’a dit le 2 septembre : « C’est le temps de la dépense publique. » Un de ses prédécesseurs avait pourtant eu le courage de dire, en avril 1998, à l’Assemblée nationale : « Il nous faut abandonner l’idée qu’en matière de dépenses publiques, “plus” est synonyme de “mieux”. » Vous aurez tous reconnu là les propos de Laurent Fabius… (Sourires.)
Nous croyons qu’il vaut mieux sacrifier des recettes fiscales de demain et limiter l’endettement d’aujourd’hui. C’est pourquoi nous vous proposerons des mesures de déblocage de l’épargne forcée des ménages en faveur d’un soutien aux fonds propres des entreprises. Le surcroît d’épargne des ménages atteindra 100 milliards d’euros à la fin de l’année, soit le montant de votre plan de relance.
Nous pensons également que les collectivités territoriales doivent être au cœur de cette relance – je vous rappelle qu’elles représentent plus de 70 % de l’investissement public. C’est la raison pour laquelle nous soutiendrons notamment un versement contemporain des sommes dues au titre du FCTVA.
Par ailleurs, depuis deux ans, votre gouvernement nous annonce un green budgeting. Malheureusement, j’ai plutôt l’impression d’être face à un budget vert pâle… J’ai lu le « jaune » budgétaire : seuls 10 % des 574 milliards d’euros de dépenses du PLF pour 2021 sont considérés comme ayant un impact sur l’environnement. Nous sommes très loin des déclarations que faisait Bruno Le Maire au mois de septembre : « Grâce à ce budget vert, nous présentons l’impact environnemental de tous les crédits budgétaires et de toutes les dépenses fiscales de l’État. » Nous n’avons certainement pas la même définition du mot « toutes »…
Nous pourrons vraiment parler d’un budget vert lorsque le PLF se caractérisera par une augmentation significative des crédits en faveur de l’écologie. En tant que rapporteur spécial, je fais un constat simple : à périmètre constant, les crédits consacrés à l’écologie, à l’environnement et à la mobilité durable baissent de 6 %.
M. Didier Marie. On est d’accord !
Mme Christine Lavarde. Nous pourrions améliorer la démarche en réservant une partie du débat budgétaire à l’évaluation climatique des lois de finances et en organisant un suivi de cette évaluation par un organe spécialisé, sur le modèle de la Mecss, la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale.
Je pense d’ailleurs qu’il serait intéressant de procéder à une évaluation du coût de la tonne de CO2 évitée par les mesures du plan de relance. Les premiers chiffres qui circulent l’évaluent à plusieurs centaines d’euros…
Le groupe Les Républicains souhaite une écologie moins punitive.
Nous proposerons notamment – nous suivrons M. le rapporteur général – le lissage sur cinq ans de la hausse du malus. Je note d’ailleurs que, en la matière, vous revenez sur votre parole. Certaines décisions peuvent paraître incompréhensibles ; par exemple, comment allez-vous prendre en compte le bilan carbone d’une voiture moins lourde, mais fabriquée en Chine ? Comment allez-vous prendre en compte les situations particulières où l’achat d’un véhicule de plus grande taille empêche la circulation de plusieurs véhicules de plus petite taille ?
Nous voterons également pour la suppression du malus sur le poids, qui, vu toutes les mesures d’exception que vous proposez, ne concernera que 1 % du parc – reconnaissez que nous sommes là face à une mesure démagogique, qui aura pour seule conséquence de fragiliser notre industrie automobile. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Si encore l’ensemble des recettes du malus étaient affectées à la transition écologique… Que nenni ! Il ne s’agit que d’une mesure de rendement budgétaire.
Nous voulons surtout plus d’écologie positive.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
Mme Christine Lavarde. Nous proposerons une hausse des crédits de la prime à la conversion, un encouragement au télétravail et un déblocage anticipé de l’épargne salariale pour l’achat d’un véhicule propre ou la réalisation de travaux de rénovation thermique.
Il nous semble également que l’accès à l’excellence environnementale ne doit pas être ouvert uniquement aux plus aisés. Je donnerai deux exemples. Pour un foyer dont le revenu fiscal de référence par part est inférieur à 13 489 euros, le montant maximal d’aide publique pour l’achat d’un véhicule électrique est de 12 000 euros. J’ai eu beau consulter les catalogues de plusieurs constructeurs, je n’ai pas pu trouver de voiture dont l’achat représenterait, pour un tel ménage, un reste à charge inférieur à une année de son revenu fiscal de référence par part. Je me demande comment ce foyer passera à l’acte d’achat…
Par ailleurs, l’incitation à la rénovation thermique reste faible pour les propriétaires bailleurs, car elle est fortement conditionnée, notamment par un encadrement des loyers. Et ce ne sont pas eux qui paient ensuite les factures de chauffage des logements…
Ce budget, vous l’aurez compris, ne nous rassure pas et ne donne pas confiance dans l’avenir. Les contribuables s’effraient de l’envolée de la dette de l’État et de la dette sociale ; ils savent qu’il faudra bien les rembourser. Ils s’attendent tôt ou tard à voir leurs impôts augmenter – j’ai bien noté que Bruno Le Maire s’était engagé à ce que tel ne soit pas le cas tant qu’il serait ministre ; mais je suis bien obligée de constater aussi qu’il est en CDD… (Sourires.) L’épargne forcée du premier confinement va de plus en plus devenir une épargne de précaution.
Les entreprises, elles, s’inquiètent des effets de stop and go : les milliards pleuvent aujourd’hui… mais demain ? Un acteur économique raisonnable ne s’engage pas dans des dépenses de recherche et développement ou dans une révolution de son organisation s’il ne sait pas de quoi demain sera fait.
Quant aux élus, ils se sentent de plus en plus dépossédés. Une nouvelle catégorie de sous-préfets est apparue, et je note que seule une dizaine de sous-préfets ont été nommés à la mi-novembre, ce qui m’inquiète s’agissant du calendrier de la relance.
Année après année, les collectivités perdent leur autonomie fiscale au profit d’une hausse des reversements d’impôts d’État, qui pourront demain faire partie des variables d’ajustement.
La parole de l’État, elle, est sans cesse remise en cause. Je citerai trois exemples tirés de ce seul projet de loi de finances : la remise en cause des dispositions votées l’année dernière quant à la compensation de la perte des recettes de taxe d’habitation des départements ; la remise en cause des contrats d’achat d’énergie photovoltaïque signés avec l’État avant 2011 ; la remise en cause de la trajectoire du malus, le seuil de déclenchement baissant de 7 grammes par an alors que l’engagement portait sur une baisse de 5 grammes par an seulement sur le quinquennat.
Contrairement à ce que le Gouvernement indiquait dans le cadre du débat d’orientation des finances publiques, nous n’avons pas aujourd’hui un « budget de relance et de souveraineté au service des priorités écologiques et sociales ». Nous n’avons pas un budget qui donne confiance dans l’avenir.
Rien ne sera possible, pourtant, sans un changement de comportement des consommateurs, qui doivent être incités à dépenser l’épargne de précaution qu’ils ont accumulée depuis plusieurs mois. Tant que les Français n’auront pas confiance dans la reprise de l’économie, l’épargne forcée du premier confinement continuera à se transformer durablement en une épargne de précaution. Nous vous le disons : sans confiance, pas de croissance ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
Mme Sylvie Vermeillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le traditionnel examen du projet de loi de finances prend cette année une dimension exceptionnelle. Il s’établit dans un contexte profondément marqué par la crise du coronavirus.
L’instabilité sanitaire est devenue budgétaire. À titre personnel, je sais qu’il ne pouvait en être autrement, sauf à laisser notre santé publique, notre économie, nos emplois et notre modèle social sombrer.
Dans le prolongement des quatre lois de finances rectificatives de l’année écoulée, et afin de répondre à l’impact économique et social de la crise sanitaire, ce PLF est un projet de relance et d’espoir. Fondé sur une hypothèse de croissance de 8 % en 2021, il est censé s’inscrire dans un temps de rebond économique. Il reste que financer la relance par la croissance ne sera pas chose aisée.
Il appartient dès lors au Gouvernement, en premier lieu, de faire des choix politiques qui maximiseront les effets de levier sur la relance de l’activité.
Tel est l’objet d’une mesure phare de ce PLF, sur laquelle je souhaite concentrer mon propos : la baisse des impôts de production.
Les articles 3 et 4 du PLF pour 2021 prévoient une baisse des impôts de production pour les entreprises à hauteur de 10 milliards d’euros bruts.
La fiscalité de production est en France sept fois plus élevée qu’en Allemagne, et deux fois plus élevée que la moyenne observée dans les pays de l’Union européenne. Autrement dit, nos voisins ne s’y sont pas trompés, non plus, d’ailleurs, que notre ministre de l’économie et des finances, qui déclarait devant nos collègues députés, cet été, que « les impôts de production sont de mauvais impôts, des impôts stupides, parce qu’ils pèsent sur les entreprises avant même qu’elles aient fait des bénéfices ».
Cependant, en l’état, le texte cible exclusivement les impôts économiques locaux et réduit une nouvelle fois l’autonomie fiscale des collectivités territoriales.
Au nom du groupe Union Centriste, je défendrai un amendement visant à atteindre la bonne cible en supprimant la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) dont sont redevables les entreprises qui réalisent plus de 19 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Pour celles-ci, je proposerai de maintenir les impôts locaux de production, qui ne disparaîtraient que pour les plus petites ; évidemment, je proposerai en outre de compenser la perte des recettes de la C3S pour le budget de la sécurité sociale par une part de TVA.
Ce faisant, l’État et les collectivités partageraient l’abandon d’un impôt : 4 milliards d’euros pour l’État sans C3S et 4,6 milliards d’euros nets pour les collectivités sans CFE et sans CVAE.
Je n’ignore pas que l’État prévoit de compenser auprès des collectivités les pertes de recettes d’impôts de production, mais nous avons donné pour savoir que le risque de perdre au change est certain ; surtout, c’est encore une atteinte à la liberté d’administration des collectivités. (Mme Françoise Gatel et M. Christian Klinger applaudissent.)
Il semblerait que les régions soient satisfaites du deal gouvernemental. Mais les communes et les « intercos », qui fixent aujourd’hui le taux de la CFE ? Sont-elles d’accord ? Le Sénat doit porter leur message, leurs inquiétudes. Il doit proposer tout ce qui préservera le dynamisme et la volonté des territoires.
Nous avons une solution : partager l’effort, c’est-à-dire supprimer l’impôt local pour les petites structures, qui sauront apprécier l’allégement consenti, et supprimer la C3S pour les grandes qui, de toute façon, viendront réclamer cette suppression. Tôt ou tard, et même après la disparition de l’impôt local, les grandes entreprises nous expliqueront de nouveau combien la C3S est nocive pour leur compétitivité, combien elle est exclusivement française, donc illégitime. (Mme Françoise Gatel applaudit.)
Si nos fleurons nationaux gagnent en compétitivité, l’État sera l’autre grand bénéficiaire.
Le Conseil d’analyse économique estime que la suppression de la C3S permettrait de réduire le déficit de la balance commerciale de plus de 5 milliards d’euros. Telle est aussi l’hypothèse du groupe Union Centriste, et nous en débattrons. Mais n’oublions pas que l’État a tout autant besoin de collectivités fortes que d’entreprises fortes. Elles savent d’ailleurs très bien grandir ensemble. Laissons-les vivre en synergie ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances, Emmanuel Capus, Christian Klinger et Sébastien Meurant applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Victorin Lurel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà donc à l’examen du projet de budget pour 2021. Que constatons-nous ?
Nous constatons que, en quelques mois, toutes les doctrines budgétaires ont volé en éclat ; que toutes les règles de limitation des dépenses publiques sont devenues obsolètes ; tous les verrous et carcans d’hier, qu’ils soient nationaux ou communautaires, ont sauté. Sous nos yeux et au gré des PLFR successifs, ce qui était jusqu’alors impossible est advenu, et même devenu vital.
En termes comptables, nous convenons naturellement que l’effort budgétaire consenti cette année et celui prévu pour l’an prochain sont très importants. Toutes les missions ou presque voient leurs crédits augmenter, et le plan de relance semble enfin s’engager.
Cet effort, ce déficit et cet endettement, l’Europe les comprend, la Cour des comptes les comprend, chacun de nous ici les comprend et, par endroits, les approuve. Mais, si nous les comprenons, souffrez aussi que nous émettions des doutes sur l’exécution de ce budget et sur la répartition de l’effort, donc sur son efficacité.
Depuis plusieurs semaines, nous constatons que votre équation budgétaire est mise à mal par nos voisins européens illibéraux, Hongrie, Pologne et désormais Slovénie, qui bloquent l’adoption du plan de relance européen.
Depuis plusieurs mois, nous vous mettons en garde contre les annonces tonitruantes : comment croire en effet que, au-delà des milliards annoncés, les crédits inscrits seront bel et bien consommés ? L’expérience vécue outre-mer nous apprend en effet à être méfiants.
Mes chers collègues, le budget d’une nation est bien plus qu’une addition arithmétique de milliards. Un budget, c’est un acte politique, la traduction d’une philosophie, d’une vision, année après année, de l’avenir d’une société.
Or, par-delà les montants exceptionnels qui sont présentés, ce que nous contestons fondamentalement dans ce budget, c’est bel et bien son orientation et sa philosophie.
Me revient, en cet instant, une phrase célèbre : « L’économie vulgaire […] se contente des apparences […] et se borne à élever pédantesquement en système et à proclamer comme vérités éternelles les illusions dont le bourgeois aime à peupler son monde à lui, le meilleur des mondes possibles », et ce parce qu’elle ne parvient pas ou renonce même à « pénétrer l’ensemble réel et intime des rapports de production dans la société. » Vous aurez trouvé de quel auteur il s’agit…
La philosophie que nous mettons en cause est bien celle du libéralisme à tous crins, du monétarisme et de l’inégalitarisme ; c’est cette croyance fétichiste dans la supériorité du marché qui est celle de l’individualisme possessif et gourmand.
Cette crise a mis à l’épreuve votre doxa ; cette crise était donc pour vous l’occasion de changer de paradigme et de trouver, en quelque sorte, votre chemin de Damas. Cette théologie du salut individualiste souffre d’une déficience épistémique dont, j’en suis sûr, vous avez parfaitement conscience.
Mais, malgré les démentis infligés à vos choix économiques et sociaux, vous persistez dans cette politique darwiniste qui centralise, qui fragilise, qui précarise.
Regardez la partie relative aux recettes : aucun effort demandé aux plus fortunés ; rien sur la fiscalité patrimoniale ou successorale ; rien pour faire face à la voracité des multinationales ; rien pour soutenir l’épargne populaire – je déposerai des amendements en ce sens ; si peu pour soulager nos collectivités locales ; quasiment rien pour la justice fiscale, donc.