compte rendu intégral
Présidence de M. jean-marie vanlerenBerghe
président d’âge
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Installation du bureau d’âge
M. le président. Mes chers collègues, je salue les six plus jeunes sénateurs présents qui rempliront, lors de cette séance, les fonctions de secrétaire d’âge :
- M. Rémi Cardon, sénateur de la Somme ; (Applaudissements.)
- Mme Elsa Schalck, sénatrice du Bas-Rhin ; (Applaudissements.)
- M. Jean Hingray, sénateur des Vosges ; (Applaudissements.)
- M. Jérémy Bacchi, sénateur des Bouches-du-Rhône ; (Applaudissements.)
- Mme Christine Lavarde, sénateur des Hauts-de-Seine ; (Applaudissements.)
- M. Fabien Gay, sénateur de Seine-Saint-Denis. (Applaudissements.)
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Ouverture de la session ordinaire de 2020-2021
M. le président. En application de l’article 28 de la Constitution, la session ordinaire de 2020-2021 est ouverte.
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Liste des sénateurs proclamés élus
M. le président. M. le président du Sénat a reçu communication de la liste des sénateurs proclamés élus le 27 septembre 2020.
Acte est donné de cette communication.
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Démission et remplacement d’un sénateur
M. le président. M. Alain Schmitz a fait connaître à la présidence qu’il se démettait de son mandat de sénateur des Yvelines à compter du 30 septembre 2020, à minuit.
En application de l’article L.O. 320 du code électoral, il est remplacé par Mme Toine Bourrat, dont le mandat de sénatrice a commencé aujourd’hui, 1er octobre, à zéro heure.
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Décès d’anciens sénateurs
M. le président. J’ai le regret de vous rappeler le décès de nos anciens collègues :
- Adrien Gouteyron, qui fut sénateur de la Haute-Loire de 1978 à 2011 ;
- Christian Poncelet, qui fut sénateur des Vosges de 1977 à 2014, président du Sénat de 1998 à 2008 et ancien secrétaire d’État ;
- Jean Cluzel, qui fut sénateur de l’Allier de 1971 à 1998 ;
- Daniel Soulage, qui fut sénateur de Lot-et-Garonne de 2001 à 2011 ;
- et Colette Giudicelli, qui fut sénateur des Alpes-Maritimes de 2008 à 2020, disparue la semaine dernière et pour laquelle un éloge funèbre sera prononcé.
6
Allocution de M. le président d’âge
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est pour moi un grand honneur que de présider la séance d’ouverture de la session parlementaire de 2020-2021. Notre règlement m’autorise à m’exprimer devant vous en cette circonstance, en vertu du privilège de l’âge, et j’y suis profondément sensible.
En préambule, j’adresse mes sincères et chaleureuses félicitations à l’ensemble des sénatrices et sénateurs nouvellement élus ou réélus dimanche dernier et je leur souhaite la bienvenue au sein de notre assemblée. (Applaudissements.)
J’ai aussi une pensée particulière pour toutes celles et tous ceux qui ne siégeront plus parmi nous, soit parce qu’ils ont décidé de se retirer de la vie parlementaire, soit parce qu’ils n’ont pas été reconduits. Qu’ils soient remerciés de leurs actions constructives, dans tous les domaines, et de leur participation à nos débats.
Je tiens également à rendre hommage à nos collègues qui nous ont récemment quittés et plus particulièrement au président Christian Poncelet, que beaucoup parmi nous ont connu et apprécié.
Président du Sénat de 1998 à 2008, ce grand serviteur de la République, ardent défenseur des territoires et amoureux passionné du sien – les Vosges –, a présidé notre institution parlementaire avec humanisme et générosité, dans un souci constant de rassembler et de fédérer les bonnes volontés sur toutes les travées. (Applaudissements.)
Le Sénat a ses règles, ses codes, son ambiance plus feutrée que celle de l’Assemblée nationale. Loin des turbulences du Palais-Bourbon, souvent soumis aux soubresauts de l’actualité, la Haute Assemblée reste pour moi un espace de stabilité dans nos institutions. Mais le Sénat ne vit pas moins intensément le débat, il fabrique la loi de façon plus subtile et plus réaliste. Nous sommes des parlementaires avant tout, dans un régime qui l’est de moins en moins, malgré l’article 24 de la Constitution.
Mes collègues le savent, je suis un partisan acharné du dialogue constructif, de la co-construction des lois avec le Gouvernement, mais surtout avec l’Assemblée nationale, avec des députés qui ne comprennent pas toujours que ce qui leur reste de pouvoir se trouve là, dans le dialogue avec nous. C’est une manière de rendre le bicamérisme vivant et notre pouvoir de contrôle plus efficace.
Néanmoins, co-construction ne veut pas dire consensus mou. Quel dommage, d’ailleurs, d’affubler si souvent ce mot de cet adjectif ! Je suis pour un consensus « d’action », qui demande beaucoup d’efforts et de courage, « le courage de la nuance », comme disait Albert Camus. Il y a d’ailleurs une somme de talents, de compétences et d’expériences dans notre assemblée qui peut apporter beaucoup à la fabrication des lois.
Le rôle du Sénat est plus que jamais, en tant qu’assemblée des territoires, de fédérer les énergies qui en émanent, et vous l’incarnez parfaitement, cher Gérard Larcher.
Mes chers collègues, en tant que sénateurs, notre position et notre histoire personnelle d’élu local, régional ou départemental – de maire souvent – le permettent, l’autorisent, l’exigent même, et nous ne devons pas laisser « l’archipel français » qu’évoque Jérôme Fourquet exploser avec violence sans tenter de relever les défis de notre temps : défis économiques et sociaux, enjeux sociétaux, culturels et environnementaux, qui s’empilent déjà sur la table du haut-commissaire au plan, mon ami François Bayrou.
Parmi ceux-ci, l’éducation et la formation tout au long de la vie sont les clés de notre avenir. J’ai pour ma part toujours pensé, avec le pédagogue Antoine de La Garanderie, que « tous les enfants peuvent réussir » et qu’ils représentent une richesse pour notre pays, dont la démographie fait la force. Un traumatisme comme le chômage devrait être à terme obsolète. La formation et l’adaptation aux nouveaux métiers devraient être considérées comme des activités indemnisées, et le revenu de base comme la solution universelle qui apporte une sécurité à chacun dès sa naissance.
Dans le même temps, il convient d’agir avec un maximum de vigueur sur le terrain des inégalités et de la pauvreté, terreau des chantres de la démagogie et de la terre brûlée.
Nombre de nos concitoyens, se sentant abandonnés, ont déserté les urnes. Ils ont trouvé sur les ronds-points, avec les « gilets jaunes », un moyen de se rendre visibles, un moyen de se faire entendre. Notre système de représentation a sans doute fait son temps. Il doit évoluer. Le référendum permettrait certes de consulter le peuple sur des sujets cruciaux ; il est une réponse, mais pas la seule. Le scrutin proportionnel offre également une piste à envisager sérieusement.
Un autre enjeu essentiel est la santé. La covid-19 est là pour nous le rappeler : la santé est un bien précieux, que nous avons tous peur de perdre.
Notre système est enviable et envié, mais il présente des lacunes que le Ségur tente de corriger en ce qui concerne la gouvernance, l’accès aux soins et la reconnaissance des personnels soignants. Son financement est problématique, car il est trop lié au travail, et le contrôle des dépenses et prestations n’est pas satisfaisant, avec des actes inutiles ou redondants, ainsi que des fraudes aux prestations et aux cotisations. Ce sont des milliards d’euros qu’il nous faut récupérer afin de financer l’autonomie des personnes âgées et handicapées, sans oublier la lutte contre les maladies chroniques de nos sociétés modernes ou les prochains virus qui nous guettent.
À la liste évoquée précédemment, nous devons ajouter un enjeu capital, l’emploi et sa relocalisation, ainsi que le partage des richesses et des responsabilités. C’est la « troisième voie », plus nécessaire que jamais, que le général de Gaulle appelait de ses vœux, pour que chaque homme trouve « sa place dans la société, sa part et sa dignité ».
Enfin, le défi climatique et écologique est immense. Je l’ai compris il y a bien longtemps, grâce aux propos prémonitoires de Jean-Marie Pelt, professeur de biologie végétale, inspirateur de nombre d’écologistes aujourd’hui. Il écrivait déjà, en 1977, dans L’Homme renaturé : « La situation est sans précédent. Quand donc, avant nous, l’humanité avait-elle accumulé assez de pouvoir et de savoir pour anéantir toute vie sur la Terre et se détruire elle-même ? »
On a vu la difficulté à mobiliser l’ensemble de la planète sur ce sujet. C’est donc à l’Europe de relever ce défi essentiel. Grâce à l’action conjointe de la chancelière Merkel et du président Macron, l’Union européenne a pris un tournant fédéral décisif à mes yeux, avec la mobilisation par le budget de l’Union de sommes fabuleuses pour éviter l’effondrement de notre économie et faciliter la relance. Cela traduit une mutation profonde de l’esprit de l’Union vers plus de solidarité.
C’est donc à l’Europe de conduire, avec chaque État, une politique concertée sur la transition écologique et énergétique. Elle doit également coordonner les politiques concernant l’accueil des migrants et la lutte sans relâche contre l’islamisme radical et tous les séparatismes qui menacent notre civilisation.
Mme Éliane Assassi. Il est en campagne électorale !
M. le président. Enfin, l’Europe doit aider les États à reprendre le contrôle sur le pouvoir tentaculaire et l’abusive optimisation fiscale pratiquée à grande échelle par les multinationales, à commencer par les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Avec elles, la machine à accélérer le temps est en marche.
J’ai tracé ici quelques pistes sur des sujets qui me sont chers, mais il me faut conclure.
Que de fois ai-je entendu la sentence : « Jamais je ne ferai de politique » dans la bouche de responsables et d’acteurs de la société craignant de s’afficher ou de se compromettre. À leur propos, paraphrasant Charles Péguy, on pourrait dire : ils ont les mains pures, mais ils n’ont pas de mains. Car, qu’on l’admette ou non, rien n’échappe à la politique. Mon ami Jean Lecanuet s’amusait même à brandir un verre d’eau en affirmant : « Tout est politique, même l’eau » – un sujet d’actualité s’il en est.
Pour ma part, je ne me suis jamais posé la question de l’engagement politique ; il allait de soi. J’ai eu la chance de naître dans une famille profondément chrétienne, où l’engagement, le service, le partage et l’accueil des autres étaient la règle. (Mme Éliane Assassi s’exclame.)
La politique, pour moi, c’est donc donner et aimer. Donner généreusement de son temps, de ses compétences et de son cœur. Mais aussi aimer, car il faut aimer sincèrement les gens pour faire de la politique. C’est ce qui me permet de continuer à en faire passionnément.
Je vous souhaite donc, mes chers collègues, de vivre aussi ce mandat, qui s’annonce difficile, avec passion. (Applaudissements.)
7
Élection du président du Sénat
M. le président. L’ordre du jour appelle le scrutin pour l’élection du président du Sénat.
J’ai été saisi des candidatures de Mme Éliane Assassi (Exclamations.), de M. Guillaume Gontard (Mêmes mouvements.), de M. Patrick Kanner (Mêmes mouvements.) et de M. Gérard Larcher (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.).
Mes chers collègues, rassurez-vous, ce n’est pas un vote par applaudissements : chacun pourra se prononcer en toute liberté, au scrutin secret ! (Rires.)
Conformément à l’article 2 du règlement, cette élection a lieu au scrutin secret à la tribune.
Pour être élu au premier tour, un candidat à la présidence du Sénat doit recueillir la majorité absolue des suffrages exprimés.
Si la majorité absolue des suffrages exprimés n’a pas été acquise au premier ou au deuxième tour de scrutin, au troisième tour la majorité relative suffit.
Je vous rappelle que les délégations de vote sont admises, mais que le délai limite pour la transmission des délégations de vote est expiré depuis quatorze heures.
La liste des délégations de vote régulièrement adressées à la présidence a été remise à Mmes et MM. les secrétaires, afin qu’ils puissent procéder au contrôle.
Les sénateurs qui ont reçu une délégation pourront venir voter à l’appel soit de leur nom, soit de celui du délégant.
J’invite nos deux plus jeunes secrétaires d’âge, M. Rémi Cardon et Mme Elsa Schalck, à me rejoindre pour superviser les opérations de vote.
Mes chers collègues, en raison du contexte sanitaire que nous connaissons tous, les opérations de vote pour cette élection ont été adaptées.
Des bulletins de vote et une enveloppe ont été disposés sur votre pupitre. Afin d’accélérer les opérations et de limiter les déplacements, je vous demande de bien vouloir rester à votre place tant que vous n’aurez pas voté.
À l’appel de votre nom ou de celui de votre délégant, vous êtes invités à descendre et, si vous le souhaitez, à passer dans l’isoloir, installé à côté de la tribune, avant de voter.
Lors de votre passage à la tribune, vous déposerez vous-même votre bulletin dans l’urne, sous le contrôle visuel du plus jeune secrétaire d’âge.
Après avoir voté, je vous invite à quitter la salle des séances en utilisant la porte située sur ma droite, et cela afin de réduire, dans un souci de précaution sanitaire, les circulations dans l’hémicycle.
Il va maintenant être procédé à l’appel nominal de nos collègues, en appelant tout d’abord ceux dont le nom commence par une lettre tirée au sort ; il sera ensuite éventuellement procédé à un nouvel appel des sénateurs qui n’auront pas répondu au premier appel de leur nom.
Je vais tirer au sort la lettre par laquelle commencera l’appel nominal.
(Le sort désigne la lettre H.)
M. Loïc Hervé. Très bien ! (Sourires.)
M. le président. Le scrutin pour l’élection du président du Sénat est ouvert.
Il sera clos quelques instants après la fin de l’appel nominal.
Huissiers, veuillez commencer l’appel nominal.
(Il est procédé à l’appel nominal.)
M. le président. Le premier appel nominal est terminé.
Il va être procédé au nouvel appel.
(Le nouvel appel a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires d’âge à se rendre en salle des conférences pour procéder au dépouillement public du scrutin.
La séance est suspendue pendant l’opération de dépouillement public du scrutin.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
Voici le résultat du premier tour du scrutin pour l’élection du président du Sénat :
Nombre de votants | 345 |
Bulletins blancs | 19 |
Bulletins nuls | 2 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Majorité absolue | 163 |
Ont obtenu :
M. Gérard Larcher : 231 voix ; (Applaudissements nourris. – Mmes et MM. les sénateurs des groupes Les Républicains, UC et RDSE se lèvent pour acclamer le nouveau président.)
M. Patrick Kanner : 65 voix ; (Applaudissements.)
Mme Éliane Assassi : 15 voix ; (Applaudissements.)
M. Guillaume Gontard : 13 voix. (Applaudissements.)
M. Gérard Larcher ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour de scrutin, je le proclame président du Sénat. (Applaudissements.)
Conformément à l’article 1er du règlement, j’invite M. Gérard Larcher à venir prendre place au fauteuil de la présidence. Je lui adresse mes félicitations chaleureuses et enthousiastes.
(M. Gérard Larcher remplace M. Jean-Marie Vanlerenberghe au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
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Allocution de M. le président du Sénat
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais en premier lieu saluer M. Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur du Pas-de-Calais et doyen de notre assemblée. Je veux le remercier d’avoir présidé cette première séance ; je veux aussi le remercier de ses propos.
Cher doyen, je connais vos convictions, que vous venez de rappeler, votre engagement social et territorial et votre suivi très attentif du projet de loi de financement de la sécurité sociale en tant que rapporteur général.
Je souhaite remercier nos secrétaires d’âge. Être parmi les benjamins de notre assemblée est à la fois un honneur et un bonheur ! Je peux attester, pour l’avoir été, que c’est un bonheur qui passe trop vite ! (Rires.)
Comme notre doyen, je souhaite saluer la mémoire de Christian Poncelet, qui nous a quittés le 11 septembre dernier. Il fut un président du Sénat qui ne cessa de défendre le bicamérisme comme condition de la démocratie. C’est sous son impulsion que la révision constitutionnelle de 2003 permit que les projets de loi « ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales » soient soumis en premier lieu au Sénat. Je prononcerai le 13 octobre prochain un hommage en sa mémoire. J’ai également une pensée émue pour notre collègue Colette Giudicelli, qui nous a quittés la semaine dernière.
Bienvenue aux nouvelles sénatrices et nouveaux sénateurs. Nous sommes heureux de les accueillir dans cet hémicycle du Sénat de la République.
J’ai une pensée amicale pour les visages familiers de nos collègues que je ne retrouve pas cet après-midi dans les travées de notre assemblée ; à ceux que je vois en tribune, je veux dire mon amitié. Cette maison est la leur ! (Vifs applaudissements.)
Je voudrais saluer les candidats qui se sont présentés à la présidence du Sénat – Mme la présidente Éliane Assassi, M. le président Patrick Kanner et M. le président du nouveau groupe de notre assemblée, M. Guillaume Gontard – et remercier tout particulièrement l’ensemble de celles et de ceux qui m’ont accordé leur confiance. Je constate – pardonnez cette immodestie ! – que, à la différence de la situation financière, leur nombre ne cesse d’augmenter ! (Sourires et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
La démocratie s’est exprimée et je veux dire à tous mes collègues que, dès cet instant, je suis le porte-parole de toutes les sénatrices et tous les sénateurs de métropole, d’outre-mer et des collègues qui représentent les Français établis hors de France. Nous sommes une assemblée de liberté, où chaque voix est respectée. Croyez-moi, j’en serai le garant.
Vitalité de la démocratie, force des territoires, le Sénat au service de la République : tel est le projet que je vous ai proposé pour les trois prochaines années.
Oui, je le crois, et c’est le sens de mon engagement : être sénateur, c’est faire vivre la démocratie, incarner le territoire, être au service de la République et des citoyens. Et nous pouvons tous, avec nos sensibilités et nos différences, nous retrouver autour de ces principes.
Que serait notre démocratie sans le bicamérisme, sans une deuxième chambre ne procédant pas de l’élection présidentielle, sans ce contre-pouvoir institutionnel ? Dans le cadre de la Constitution de la Ve République, ce contre-pouvoir puise son origine dans le discours de Bayeux du général de Gaulle. Permettez-moi de le citer : « Il faut donc attribuer à une deuxième Assemblée, élue et composée d’une autre manière, la fonction d’examiner publiquement ce que la première a pris en considération, de formuler des amendements, de proposer des projets […]
« Tout nous conduit donc à instituer une deuxième Chambre dont, pour l’essentiel, nos Conseils généraux et municipaux éliront les membres. »
Nous sommes autonomes, libres et indépendants. Nous sommes héritiers, mais aussi acteurs, d’une « façon sénatoriale » de faire de la politique : avec sérieux et calme, mais avec vigueur ; sans précipitation, mais avec détermination.
Nous plaçons au-dessus de toute autre considération l’intérêt du pays. Nous sommes cet « espace de respiration » dans la République, cet espace de débat, cet espace où chacun se respecte, un espace où la solidarité nationale s’exprime quand il s’agit de l’essentiel.
Le Sénat a dit majoritairement « oui » chaque fois qu’il s’est agi de voter, par exemple, les projets de loi d’urgence sanitaire ou les projets de loi de finances rectificative. Mais il a dit « non » chaque fois que les droits du Parlement étaient menacés, chaque fois qu’il s’est agi de fragiliser le lien de proximité entre le parlementaire et le citoyen, que la loi sur le non-cumul des mandats a déjà entamé.
Mes chers collègues, on ne renforce pas la démocratie en abaissant le Parlement par la réduction de ses pouvoirs ou du nombre de ses membres. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE, ainsi que sur de nombreuses travées du groupe SOCR.)
Oui, le Sénat est un élément structurant de la vitalité démocratique de notre pays et je souhaite poursuivre et amplifier, avec vous, le travail réalisé depuis plusieurs années.
Il nous faut continuer l’amélioration de la « fabrique de la loi ». Trop de lois votées et jamais appliquées ! Il nous faudra réfléchir à une procédure – nous avons abordé ce sujet dans le cadre de notre groupe de travail constitutionnel – qui permette au Parlement de saisir le juge administratif lorsqu’un décret d’application des lois manque à l’appel.
Le recours aux ordonnances est devenu massif. Ainsi, depuis mai 2017, 183 ordonnances ont-elles été publiées. C’est un recours abusif, qui est loin d’être toujours justifié par l’urgence. De surcroît, le Gouvernement met plus de temps à publier ces textes que nous n’en mettons pour voter les lois. (Applaudissements.)
Nous devons donc mieux contrôler le recours aux ordonnances, et la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai dernier nous oblige à exiger systématiquement que ces dernières soient ratifiées par le Parlement ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – Des sénateurs du groupe SOCR applaudissent également.)
Nous allons poursuivre l’amélioration de nos procédures, et le Gouvernement devra naturellement y prendre toute sa part.
Il nous faut renforcer encore notre mission de contrôle. Je vous proposerai notamment d’examiner de manière approfondie les nominations de l’article 13 de la Constitution. Je souhaite engager une réflexion pour étendre les pouvoirs d’investigation des commissions permanentes et territorialiser leur action.
Je souhaite poursuivre les efforts de modernisation et de gestion engagés au Sénat depuis 2008. En dix ans, nous avons refondu l’organigramme des services. Depuis douze ans, nous avons gelé, en euros courants, la dotation qui nous est versée par l’État. Avec les questeurs et le bureau, nous avons décidé la mise en place d’un commissariat à l’audit, placé sous l’autorité du secrétaire général du Sénat.
Ce mouvement d’ampleur de modernisation de l’administration sénatoriale doit se poursuivre, notamment en favorisant une plus grande ouverture vers l’extérieur.
Je veux redire à l’administration sénatoriale notre confiance. Pour ses agents comme pour nous, sénateurs, c’est avant tout le service de l’institution, du pays et de la République qui compte.
Par ailleurs, mes chers collègues, je tiendrai à votre disposition les conclusions du tout récent rapport du groupe d’États contre la corruption du Conseil de l’Europe, le Gréco, adopté le 25 septembre dernier, qui souligne, en matière de déontologie et de pratique de contrôle, le travail accompli dans notre institution au cours des trois dernières années.
La dernière mandature a été marquée par un renforcement de la responsabilité environnementale au Sénat. L’institution s’est engagée en matière de développement durable : effort de dématérialisation en séance publique et en commission, lancement d’un audit environnemental, biodiversité au jardin, que nous entretenons et qui accueille plus de deux millions de visiteurs chaque année. C’est un espace de respiration pour les Parisiens et pour tous les touristes venant visiter Paris. Je souhaite que cette démarche du Sénat en faveur du développement durable soit poursuivie avec détermination.
Mes chers collègues, en 2017, je fondais le projet que je vous proposais alors sur l’équilibre des territoires. Qu’y a-t-il de plus dévastateur pour une nation que son « archipélisation » ?
Ces trois années nous ont permis de replacer le territoire au cœur du débat public. Nous sommes les artisans de cette évolution, car la Conférence nationale des territoires du 17 juillet 2017, au cours de laquelle l’on nous promettait un pacte de confiance entre l’État et les territoires, n’a pas produit les effets attendus. En vérité, l’action publique est demeurée verticale et centralisée.
On nous annonce un changement de cap. J’en accepte l’augure, je l’ai dit au Premier ministre au début du mois de septembre.
Le Sénat sera un acteur majeur du rééquilibrage des pouvoirs au profit des collectivités territoriales. Passons désormais aux travaux pratiques ! Que l’exécutif saisisse l’occasion qui lui est proposée par le Sénat avec les « cinquante propositions pour le plein exercice des libertés locales », pour une nouvelle génération de la décentralisation. C’est l’une de nos deux contributions au Président de la République pour la relance, que nous avons faites à sa demande.
Il est temps de garantir l’autonomie financière des collectivités territoriales, qui n’a cessé d’être réduite. Il est temps de réaffirmer que la commune est la cellule de base de notre organisation administrative. (Applaudissements sur toutes les travées à l’exception de celles du groupe LaREM.) La coopération intercommunale doit permettre aux maires et aux élus municipaux de mieux exercer leurs compétences en les mutualisant. Il est temps de leur reconnaître le droit à la différenciation, sans pour autant porter atteinte à l’unité de la République, à laquelle je tiens par-dessus tout. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.) Il est temps d’interrompre la spirale « étouffante » de la surréglementation et de l’empilement des normes, qui embolisent les décisions.
Enfin, c’est l’essence même de notre mandat, mes chers collègues, nous sommes au service de la République et des citoyens. Nous sommes élus au suffrage universel indirect par les 550 000 élus locaux – conseillers régionaux, départementaux et municipaux – évoqués dans le discours de Bayeux et qui, vous l’avez vu lors des crises récentes, cimentent l’unité de notre pays et notre démocratie. Ils puisent leur légitimité dans la proximité, qui constitue sans doute aujourd’hui le besoin le plus essentiel de nos concitoyens.
J’ai la conviction que la confiance ne se retrouvera que dans l’action de proximité dans chaque territoire de la République. Nous, sénateurs, devons être les architectes de cette reconstruction de la confiance.
Ce sont les crises qui éprouvent nos institutions. Dans les crises naissent les pulsions populistes qui sapent les fondements de nos démocraties. Au Sénat, nous avons la responsabilité de ne jamais fléchir quand l’essentiel est en jeu ! Il s’agit de défendre les libertés, de préserver nos institutions et de résister aux pressions d’une médiatisation anarchique, où la « justice » des réseaux sociaux tente de se substituer à la justice rendue par des juges au nom du peuple français.
En ce début d’octobre, nous n’en avons pas terminé avec la crise sanitaire. La crise économique et sociale est devant nous. On nous parle de crise de la représentation, de perte de confiance du citoyen envers les institutions. Certes, c’est une réalité. En vérité, ne sommes-nous pas face à une crise plus fondamentale puisant ses racines dans l’impuissance de l’État et la toute-puissance de la technostructure ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Sophie Taillé-Polian applaudit également.) Dans une crise de l’autorité, de la verticalité de la gouvernance, de l’ignorance des corps intermédiaires et des élus locaux ? En fait, n’avons-nous pas d’abord, collectivement, une crise de l’absence de résultats ?
Nous avons donc le devoir de recoudre un pays miné dans sa cohésion.
Au cours des trois années écoulées, j’ai sillonné la France : plus de cent déplacements à la rencontre des élus locaux, de nos concitoyens, dans des exploitations agricoles, dans des entreprises, dans des associations, dans des maisons de santé et ailleurs. C’est chaque fois la réalité de leur quotidien qu’ils m’ont exprimée, et aussi, parfois, peut-être aujourd’hui encore plus qu’hier, leurs souffrances et leurs inquiétudes – cela, vraiment, je le ressens dans le pays.
Cessons donc d’opposer les jeunes aux plus âgés, le Nord au Sud, l’Est à l’Ouest, et maintenant, hélas, les origines entre elles… Il ne peut y avoir qu’une seule communauté nationale. (Applaudissements.) Et le singulier est pour moi essentiel, car c’est ainsi que se conjuguent la République et les valeurs qui sont les nôtres !
Cela exige solidarité entre les générations et solidarité entre les territoires.
La France doit, par ailleurs, retrouver sa souveraineté dans les domaines stratégiques – la crise sanitaire nous l’a douloureusement rappelé. Cessons néanmoins de craindre l’Europe et de craindre le monde ; car enfin, que pourrait la France seule face au reste du monde ?
L’Europe est une chance ; la mondialisation est une réalité et un défi.
Mes chers collègues, cette élection à la présidence du Sénat est un honneur, et c’est pour moi aujourd’hui comme au premier jour. Vous me connaissez : vous savez que j’ai la République chevillée au corps. Tranquillement, sereinement, et avec détermination, je resterai fidèle à ce que je suis : attaché aux institutions, au rôle du Parlement, à la séparation des pouvoirs, à l’indispensable bicamérisme – sur chacun de ces points, je ne serai pas simplement intransigeant : je serai extrêmement exigeant (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.) ; attaché, aussi, aux valeurs qui ont motivé mon engagement politique et mon engagement social.
Le Sénat demeurera ouvert, respectueux des droits et des libertés ; je souhaite rester le garant de cette « singularité » sénatoriale.
Mes chers collègues, vous connaissez mon projet. Je serai à l’écoute de vos propositions. Je souhaite que vous me fassiez remonter ce que, notamment pour 171 d’entre vous, vous avez partagé avec le pays tout au long de ces dernières semaines. C’est sur cette voie que je vous propose de nous engager pour un Sénat plus fort, dans une France que je voudrais plus apaisée, rassemblée, une France qui compte en Europe et dans le concert des nations, pour que vive le Sénat, que vive la République et que vive la France ! (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement.)
Il faut goûter ces moments, mais ne pas trop s’y habituer… (Sourires.)
Merci, mes chers collègues ; merci à vous aussi, monsieur le ministre délégué.