M. Pierre Cuypers. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Vous évoquez tout d’abord la volaille, madame la sénatrice. Ce n’est pas 30 %, mais 50 % d’importations ! Les Français mangent 50 % de volailles françaises et 50 % de volailles importées.
Évidemment, la volaille importée est plutôt un produit bas de gamme, consommé par ceux qui ont le moins d’argent, alors que la volaille française s’apparente généralement à un produit de qualité, souvent labellisé, réservé à ceux qui ont les moyens. C’est un vrai problème.
Pour la PAC, l’enjeu n’est pas tant le changement de modèle que l’irréversibilité de la transition agroécologique. Le contrat d’objectifs et de performance (COP) de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) est centré sur cette question, de même que les propositions des syndicats agricoles pour l’après-covid.
La question que vous posez est cependant indispensable, madame Primas. Y a-t-il deux types d’alimentation pour deux types de population ? L’épidémie de covid a montré une discrimination alimentaire très forte entre ceux qui ont les moyens et les autres.
Je ne voudrais pas toutefois que l’on oppose les produits d’entrée de gamme et les produits segmentés. Les secteurs agricole et agroalimentaire français, quel que soit le niveau de gamme, fournissent des produits de grande qualité.
Jamais je ne stigmatiserai nos entreprises agroalimentaires – vous ne l’avez pas fait ! Il est facile de les montrer du doigt, mais c’est grâce à elles que les Français ont mangé pendant la crise.
L’agriculture française doit être encore plus compétitive. Nous ne pouvons pas faire grand-chose de plus aujourd’hui en termes de fiscalité. La perte de compétitivité entre l’agriculture française et l’agriculture européenne n’est pas liée à la main-d’œuvre, mais à un problème de compétitivité de notre modèle agricole. Nous lancerons ce débat à la rentrée.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nelly Tocqueville. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Nelly Tocqueville. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise économique et sociale due à la crise sanitaire nous oblige à repenser nos modes de production et de consommation.
Les enjeux sont nombreux et tous primordiaux, au nombre desquels s’impose le devoir de tendre vers un système plus vertueux, plus soucieux de l’environnement, de la biodiversité et de la qualité des sols.
Au cours d’enquêtes, nos concitoyens expriment clairement ces préoccupations et revendiquent l’accès à une alimentation de qualité, durable et locale.
Les nombreuses auditions que j’ai coanimées sur ce thème au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable démontrent, de façon évidente, qu’il faut repenser notre modèle agricole. La crise pandémique a révélé la fragilité de la chaîne alimentaire et notre dépendance à certains produits, posant la question non seulement de la sécurité alimentaire, mais aussi de la souveraineté.
Répondre à ces deux priorités, sécurité et souveraineté, c’est poser aussi la question du bien manger. Cela suppose de reconsidérer les pratiques agricoles, mais aussi de bâtir une vraie politique alimentaire à l’échelle des territoires.
Il est indispensable d’accompagner les agriculteurs dans la transition agroécologique et numérique. Il est indispensable aussi de relocaliser l’agriculture, de soutenir les producteurs locaux et de développer une polyculture urbaine. Il faut aider à l’installation de jeunes agriculteurs, alors qu’un agriculteur sur deux va partir à la retraite dans les dix ans.
Mais cela ne peut s’envisager qu’au moyen d’une politique foncière volontariste, permettant l’accès à la terre. Cela justifie la grande loi sur le foncier que le Président de la République lui-même avait appelée de ses vœux au salon de l’agriculture en 2019. Vous venez, monsieur le ministre, de l’évoquer et d’en confirmer la nécessité. Pourquoi repousser cette loi foncière à 2022, alors que cette réforme permettrait de redéployer de façon cohérente les activités agricoles dans les territoires, en prenant en compte leurs besoins spécifiques, tout en répondant aux urgences environnementales et en garantissant notre indépendance agricole ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Joël Labbé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, vous avez évoqué la sécurité et la souveraineté alimentaires, ainsi que la dépendance de notre chaîne d’approvisionnement.
Pendant l’épidémie de covid, il n’y a pas eu de problème de sécurité alimentaire. Certains ont essayé de le faire croire, mais ce n’est pas vrai. La sécurité alimentaire a été assurée à chaque instant et à tous les niveaux de la chaîne alimentaire.
Quant au problème de souveraineté, nous le connaissions bien avant. Ces dix dernières années, nos excédents commerciaux ont fondu comme neige au soleil, passant de plus de 12 milliards d’euros à 6 milliards d’euros. Nous avons perdu des parts de marché à l’extérieur et avons été de plus en plus dépendants en matière d’alimentation pour le plus grand nombre, comme le rappelait Mme Primas.
Nous devons nous battre contre cette tendance, et il apparaît en effet indispensable de définir une politique alimentaire – c’est d’ailleurs le thème du présent rapport, que je soutiens de toutes mes forces.
En revanche, ce doit être, me semble-t-il, une politique alimentaire européenne, et non régionale. La concurrence de l’agriculture française n’est pas internationale ; elle est à 95 % ou 98 % européenne. Tant que nous ne réglerons pas le problème du dumping social et fiscal qui creuse les différences de compétitivité avec les pays de l’Union européenne, nous ne tiendrons pas le coup ! Les légumes allemands coûtent moins cher sur le marché de Strasbourg que les légumes français. De même, les melons espagnols sont meilleur marché sur le marché de Carpentras que les melons de Carpentras. C’est un problème.
Nous devons donc travailler sur cette dimension européenne, mais aussi sur les projets alimentaires territoriaux que nous évoquions, afin que, régionalement, nous arrivions à des orientations qui nous permettent de nourrir les habitants avec l’agriculture de cette région. Il faut repenser notre modèle.
Enfin, oui, la politique foncière doit être revue. Nous essaierons d’y travailler dans le cadre du plan de relance. Le Président de la République l’a évoqué hier devant les membres la Convention citoyenne pour le climat.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nelly Tocqueville, pour la réplique.
Mme Nelly Tocqueville. J’aurais aimé avoir plus de précisions sur la refonte de la loi foncière. Est-elle repoussée jusqu’en 2022 ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Joël Labbé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère. (M. Pierre Louault applaudit.)
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France de l’alimentation durable passera indéniablement par les territoires.
Cette opinion, partagée sur les travées du RDSE, se concrétise notamment dans le travail effectué par notre collègue Françoise Laborde dans sa proposition de résolution sur la résilience alimentaire, déposée en décembre dernier.
Dans ses travaux, elle souligne le caractère indispensable à la vie de la Nation du foncier agricole, mais aussi la nécessité de renforcer la capacité d’anticipation et de prévention des pénuries. Elle fait également le lien entre résilience alimentaire et sécurité nationale, en proposant une révision de la loi de programmation militaire pour réfléchir à l’intégration de la production alimentaire et du foncier agricole nourricier comme secteur d’activité d’importance vitale.
Pour revenir à des considérations plus locales, le problème qui se pose aux territoires ruraux, c’est une double mécanique qui voit, d’une part, la réduction des terres agricoles et, de l’autre, la hausse du prix du foncier, deux vrais freins à l’installation de nouvelles exploitations, et donc à la construction de notre souveraineté alimentaire.
Qu’on le veuille ou non, la crise que nous venons de vivre nous a rappelé que cette idée de souveraineté alimentaire française, voire européenne, était assez difficile à intégrer, avec un nombre conséquent de produits que nous importons.
Oui, monsieur le ministre, il faudra continuer le travail de pédagogie sur la nécessité de manger local et de saison, mais cela sera vain sans une véritable impulsion donnée par l’État.
Récemment, et je m’en réjouis, le Président de la République a fait sien le terme de souveraineté alimentaire. Aussi, monsieur le ministre, comment comptez-vous adapter la PAC pour vous donner les moyens de vos ambitions ? Quels moyens financiers comptez-vous dégager et quel cap entendez-vous fixer pour garantir, demain, une alimentation fondée sur une production locale et accessible à tous ? Enfin, quelle gouvernance prévoyez-vous entre l’État, les régions et les territoires ? (M. Joël Labbé et Mme Michèle Vullien applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, vous avez raison de dire que la gouvernance doit être partagée.
Lorsque l’on parle de projets alimentaires territoriaux, de souveraineté alimentaire, d’alimentation à l’intérieur d’une région, on doit envisager une coconstruction entre les régions, les métropoles et, évidemment, l’État.
Seuls, les territoires ne pourront pas y arriver. Quant à l’État, il n’a évidemment pas une connaissance assez précise des réalités locales. C’est la raison pour laquelle nous lançons une grande réflexion : les structures, organismes, associations, ONG et syndicats agricoles nous ont envoyé des documents pour préparer l’après.
L’agriculture française correspond-elle aujourd’hui à ce qu’il faudra cultiver demain, avec le réchauffement climatique, pour alimenter les territoires et les régions ? Je ne suis pas sûr que la réponse soit si évidente, et c’est pourquoi nous devons y travailler.
Le sujet du foncier est essentiel. Madame Tocqueville, pour vous répondre avec un peu de décalage, je ne sais pas s’il y aura une loi foncière. Il faut arrêter de dire et de répéter « loi foncière, loi foncière… ». (Mme Nelly Tocqueville et M. Joël Labbé s’exclament.) Ce qui me semble le plus urgent, aujourd’hui, c’est un plan de relance pour éviter qu’il y ait des centaines de milliers de chômeurs d’ici à la fin de l’année. C’est la priorité du Gouvernement.
Sur le foncier, le Président de la République s’est exprimé hier – il suffit de l’écouter –, rappelant qu’il s’agissait d’un enjeu primordial. Ce qui m’importe, c’est que nous aboutissions, à la rentrée de septembre, à une coconstruction entre associations, syndicats, organisations, partis politiques et gouvernement pour traduire, dans un arrêté, un décret ou une loi, le fruit de ces réflexions.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire sans précédent que nous connaissons nous rappelle toute l’importance de la sécurité alimentaire et du besoin de savoir que l’on pourra s’alimenter en qualité et quantité suffisantes.
Cette question, la plus ancienne du monde, c’est celle posée par Stéphane Linou dans son ouvrage Résilience alimentaire et sécurité nationale. Il est donc plus qu’urgent de donner à l’alimentation un véritable statut et d’en faire définitivement un secteur d’activité d’importance vitale. Sécurité alimentaire, souveraineté alimentaire, garantie d’un accès à une alimentation de qualité pour nos concitoyens, notamment les plus précaires, préservation de la biodiversité, voilà les piliers qui doivent inspirer des contrats alimentaires territoriaux passés avec les collectivités.
Vous allez peut-être m’objecter que les projets alimentaires territoriaux, dont vous avez parlé il y a quelques instants, sont la réponse à cette question. Ils en sont un élément et constituent une avancée, mais leur prisme un peu trop restrictif – ils sont articulés autour de la question de la restauration collective –, leur caractère facultatif et la faiblesse des moyens financiers et humains rendent leur portée par trop limitée, même si de belles réalisations sont à mettre à leur crédit.
Pour réussir, ce contrat alimentaire territorial doit revêtir un caractère obligatoire et passer à une autre échelle territoriale, celle des EPCI qui sont les véritables bassins de vie, à un horizon raisonnable, 2022. Ils doivent aussi faire l’objet de révisions régulières.
Monsieur le ministre, pourquoi ne pas faire des EPCI des autorités organisatrices de l’alimentation durable et locale ?
Le contrat territorial doit affirmer le primat de l’alimentation durable et de notre sécurité alimentaire comme outil de développement par tous et pour tous. Les collectivités territoriales en ont la volonté et elles ont montré ces dernières semaines à quel point elles étaient essentielles pour la vie quotidienne de nos concitoyens.
N’attendons pas 2050 pour repenser notre alimentation ! C’est ce à quoi nous ont invités les cent cinquante membres de la Convention citoyenne pour le climat, qui ont fait de l’alimentation durable et locale l’un des axes de leurs propositions.
Monsieur le ministre, ne pensez-vous pas que le contrat alimentaire territorial doit être, demain, un outil essentiel pour cultiver ensemble notre jardin et faire vivre notre exception alimentaire aujourd’hui plus qu’essentielle ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Didier Rambaud, j’ai envie de vous dire : pourquoi pas ? Nous devons en effet nous appuyer sur toutes les intelligences territoriales et je pense que demain il faudra aller plus loin. Aujourd’hui, l’alimentation est devenue une question de vie quotidienne et une préoccupation pour nos concitoyens qui veulent savoir ce qu’ils mangent, d’où les produits proviennent, comment les animaux ont été abattus, etc.
M. Laurent Duplomb. Ça l’a toujours été !
M. Didier Guillaume, ministre. Cette évolution est irréversible et soit on se braque, soit on essaye d’avancer ensemble.
L’idée de désigner des autorités organisatrices de l’alimentation durable et locale est intéressante, il faut simplement regarder ce qui peut être fait concrètement avec les collectivités locales. Lors de son intervention télévisée, le Président de la République a annoncé une nouvelle décentralisation – je l’appelle de mes vœux ! – et je crois savoir que, sur l’initiative de son président, la Haute Assemblée va travailler sur cette question.
Là encore, nous devons coconstruire le modèle alimentaire de demain et je ne suis pas défavorable à ce que cela passe par des contrats alimentaires territoriaux, car les Français ne mangeront pas nécessairement la même chose selon la région où ils habitent.
Cependant, nous pouvons déjà avancer, en promouvant les PAT – Mme Loisier en a parlé. Il en existe aujourd’hui 200. Créons-en dans tous les départements et dans toutes les agglomérations. Nous verrons ensuite le mode de contractualisation. Dans cette perspective, votre idée est tout à fait intéressante !
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour, je veux saluer le travail réalisé par la délégation à la prospective et ses deux rapporteurs. Ce rapport a été préparé avant la crise et il prend une dimension singulière à la suite de celle-ci.
En effet, cette crise renforce l’urgence d’une interrogation sur les problématiques de l’alimentation à court, moyen et long terme pour apporter des réponses concrètes à nos concitoyens. Notre agriculture ne doit pas sombrer dans le productivisme ; elle doit trouver un équilibre, délicat il est vrai, entre l’objectif de nourrir la population et la nécessité de respecter l’environnement, au sens large, dans lequel elle s’insère – les hommes, les territoires, les paysages, etc.
Bien évidemment, manger est une nécessité absolue pour chacun d’entre nous. Or, quand il s’agit de se nourrir de manière saine et équilibrée, les inégalités sociales sont très fortes dans notre pays. Il y a donc grand besoin de repenser notre modèle agricole qui doit tout à la fois nourrir chacune et chacun et permettre aux producteurs de vivre dignement de leur travail.
Monsieur le ministre, je voulais initialement vous interroger sur la question du foncier, mais vous vous êtes déjà exprimé plusieurs fois ce soir sur cette question et nous avons compris que nous n’aurions pas une grande loi sur le foncier agricole, seulement des consultations…
Je vous interrogerai donc sur un autre sujet : comment comptez-vous lutter contre les inégalités sociales liées aux coûts de l’alimentation ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice Cécile Cukierman, la question de la discrimination alimentaire que vous posez est essentielle. Cette discrimination est de plus en plus prégnante et nous devons absolument veiller à ce qu’une alimentation saine, sûre, durable et tracée soit accessible à toutes les catégories de la population – beaucoup d’entre vous en ont parlé ce soir. Or ce n’est pas encore le cas aujourd’hui et nous devons repenser notre modèle agricole en ce sens. Je l’ai dit, notre modèle est excellent, mais il doit être plus compétitif pour nourrir aussi nos concitoyens qui ont moins de moyens.
Mme Cartron et M. Fichet proposent de distribuer des chèques alimentaires et je rappelle que, pendant la crise du covid-19, le Gouvernement a versé à un certain nombre de familles une somme de 150 euros augmentée de 100 euros par enfant, mais ce n’est pas avec de telles compensations que nous allons rééquilibrer durablement les choses. Il n’est pas acceptable que les poulets qui viennent d’outre-Atlantique – traités au chlore et nourris aux OGM ! – soient moins chers que ceux produits en France. Nous devons donc travailler à une réorientation profonde.
Je voudrais tout de même dire un mot sur le foncier, madame Cukierman. Je ne voudrais pas que l’on considère que cette question passe à la trappe ! Les grandes orientations que j’avais évoquées ici même lors d’une séance consacrée à ce sujet restent les mêmes : préservation des espaces agricoles, régulation du foncier, statut de l’agriculteur et du fermage, transmission, portage…
L’objectif du Gouvernement est clair : zéro artificialisation ! Nous devons partir à la reconquête des terres. Demain, les grandes zones commerciales qui sont à l’extérieur des villes devront laisser la place à des terres agricoles, mais à plus court terme nous pouvons déjà avancer sur la transparence des marchés fonciers ruraux pour éviter l’accaparement des terres. Il faut notamment interdire aux sociétés financières d’acheter des terres agricoles, décourager l’agrandissement excessif, mettre en place un véritable statut de l’agriculteur, permettre aux jeunes de s’installer, etc.
Tous ces sujets seront à l’ordre du jour de la future politique agricole commune.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Stéphane Cardenes applaudit également.)
M. Pierre Louault. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Françoise Cartron et Jean-Luc Fichet pour le travail qu’ils ont réalisé. Même si leur constat peut apparaître à certains un peu ringard, les vingt propositions qu’ils ont présentées sont toutes pertinentes et je les en félicite.
Deux points me semblent essentiels.
La France et l’Europe doivent se doter d’un véritable plan Protéines qui passe par une relance de la production de la luzerne pour la nourriture animale. Une telle nourriture permet de produire de la viande et du lait riches en carotène et en oméga 3, ce qui est bon pour la santé des Français. Il faut en finir avec le lobby anglo-saxon du soja ; cette industrie agroalimentaire est responsable de l’obésité généralisée.
Les protéagineux sont naturellement riches en protéines, alors que nous achetons du soja transgénique en masse en provenance d’Asie et d’Amérique du Sud. Favoriser leur développement permettrait d’avoir des produits plus sains et éviterait de les importer de l’autre bout du monde, ce qui réduirait l’empreinte carbone. De plus, ils s’intègrent facilement dans la cuisine traditionnelle française qui fait notre renommée internationale.
Une alimentation durable ne passe pas uniquement par du bio, mais avant tout par une alimentation diversifiée, équilibrée et de proximité.
Par ailleurs, nous connaissons les désastres écologiques et la déforestation massive provoqués par la culture du soja au Brésil.
Monsieur le ministre, il est urgent de mettre en place un véritable plan Protéines pour la consommation animale et humaine en Europe et en France. Comment comptez-vous agir pour avancer en ce sens ? (MM. Franck Menonville et Joël Labbé, ainsi que Mme Nadia Sollogoub applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Pierre Louault, vous avez raison, un véritable plan Protéines national et européen est indispensable pour que nous soyons autonomes en termes de nourriture animale et humaine. Vous allez l’obtenir !
M. Pierre Louault. Dans trois mois ?
M. Didier Guillaume, ministre. La nécessité d’un tel plan est une évidence pour le développement de la bioéconomie dans nos territoires et pour réduire nos importations d’engrais. Nos agriculteurs n’importent pas des tourteaux de soja par plaisir ; cela leur coûte cher et on n’a jamais vu une entreprise américaine perdre de l’argent sur ce marché… Nous devons supprimer cette dépendance ; c’est un enjeu géopolitique et économique.
C’est pour cette raison que le Président de la République a annoncé la mise en place d’un plan Protéines végétales visant à notre autonomie. Ce plan devait être présenté il y a deux mois ; il le sera à la rentrée et, dans le cadre du plan de relance, plusieurs dizaines de millions d’euros seront mis sur la table dès la première année. Notre objectif – le Président de la République l’a dit lors de sa visite au salon de l’agriculture – est une autonomie protéinique totale. Je ne peux pas vous dire aujourd’hui en combien d’années nous atteindrons cet objectif, mais je peux vous dire que nous voulons avancer vite dans cette direction.
Vous avez raison de dire, comme Mme Cartron et M. Fichet l’écrivent dans leur rapport, que nous devons incorporer davantage de protéines végétales et de légumineuses dans notre nourriture. C’est une question d’équilibre alimentaire. Je parlerais bien des lentilles du Puy, mais M. Duplomb me reprendrait… En tout cas, je le redis, l’ensemble des légumineuses, y compris la luzerne bien sûr, doivent être davantage utilisées dans notre alimentation. (Mme Nadia Sollogoub applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Madame la présidente, monsieur le ministre, je pourrais parler des lentilles vertes du Puy pendant largement plus de deux minutes, mais je ne le ferai pas… Je voudrais plutôt revenir sur le débat qui nous occupe aujourd’hui.
La résilience de notre modèle agricole et agroalimentaire pendant la crise sanitaire du coronavirus devrait nous pousser à remercier et à respecter nos agriculteurs, qu’ils soient cultivateurs, éleveurs ou les deux. Au lieu de cela, certains ont des agissements d’enfants gâtés qui cherchent par tous les moyens à casser leur jouet. Ils devraient au contraire remercier, respecter et reconnaître ces femmes et ces hommes qui travaillent plus de soixante-dix heures par semaine dans un pays qui ne cesse de travailler moins – il n’y a pas si longtemps, certains proposaient même de ne travailler que vingt-huit heures par semaine…
Une fois de plus, ce débat participe à la critique, absurde et totalement démagogique, de ceux qui travaillent d’arrache-pied. On pourrait croire que le seul but est de détruire l’agriculture française !
Pour cela, nous ne sommes pas à une contradiction près. Quand vous proposez de végétaliser l’assiette des Français, en demandant de manger moins de viande et donc plus de fruits et légumes, et quand dans le même temps vous souhaitez que la France retrouve plus d’autonomie alimentaire, vous ignorez – plutôt, encore plus grave, vous faites semblant d’ignorer – que nous sommes autosuffisants en viande, alors que nous importons un fruit et un légume sur deux, que ces denrées sont soumises à des normes différentes des nôtres et que des produits interdits en France sont utilisés pour leur production.
Au lieu de fermer les yeux sur ces évidences pour servir le bal médiatique d’une parole politique à la mode bobo-écolo, ne croyez-vous pas que, à force de taper sur nos paysans, comme vous le faites, vous allez les dégoûter de nous nourrir ? Je peux vous assurer que, dans nos campagnes, le sentiment de lassitude est grand. À force de critiques, vous aurez bientôt gain de cause, si tel est votre objectif, car il ne restera plus de paysans dans notre pays !
Je vous le dis, monsieur le ministre, l’heure est grave. Je le vois dans mon département et dans ma famille – tous mes beaux-frères sont agriculteurs…
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Laurent Duplomb. Si nous continuons de stigmatiser les agriculteurs comme nous le faisons, si nous continuons de critiquer notre modèle agricole qui est vertueux – il l’est, il n’a pas besoin de le devenir… – et qui est reconnu dans le monde entier, vous compterez les agriculteurs sur les doigts de quelques mains ! Ce n’est pas ainsi que nous retrouverons notre souveraineté alimentaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Duplomb, je n’ai pas compris à qui s’adressait l’agressivité de votre question…
M. Laurent Duplomb. Il n’y avait pas de question !
M. Didier Guillaume, ministre. De votre intervention, alors.
En tout cas, elle ne peut pas s’adresser au Gouvernement, puisque je partage une partie de ce que vous avez dit, notamment sur le dénigrement. Mettre toujours davantage de boulets aux pieds de nos agriculteurs est insupportable et ne peut que nuire à la compétitivité de notre agriculture.
Pour autant, nous devons aussi répondre à la demande sociétale et se braquer, s’arc-bouter, est contre-productif. Ce serait une erreur de voir le monde rural et le monde métropolitain comme deux TGV qui roulent l’un vers l’autre sur la même voie ! Nous avons bien vu pendant le mouvement des « gilets jaunes » que les campagnes en avaient assez. Si nous ne voulons pas que ce mouvement reparte, nous devons nous adresser différemment à la ruralité et aux agriculteurs et nous devons simplement aider ces derniers à faire leur métier.
Monsieur Duplomb, l’agriculture française a effectivement répondu présent pendant la crise du covid-19 et a nourri l’ensemble de la population, mais on ne peut pas opposer la viande et les légumes comme vous le faites. Vous dites que nous sommes autosuffisants en viande, mais en réalité une grande partie de nos concitoyens ne mangent pas de viande française. (M. Laurent Duplomb proteste.) Aujourd’hui, 80 % des restaurants parisiens se fournissent en viande étrangère et, dans la restauration collective, il n’y a pas de viande française. J’ai d’ailleurs réuni – c’était la première fois – l’ensemble des acteurs de la restauration pour que les choses changent.
En ce qui concerne les fruits et les légumes, nous ne produisons effectivement que la moitié de notre consommation. Nous devons progresser pour atteindre 60 % ou 65 %. C’est tout l’enjeu des mois qui viennent.