Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, si les conséquences de l’épidémie de Covid-19 occupent les esprits et influencent nos prises de décision depuis plusieurs semaines, cette proposition de loi a le mérite de s’attaquer à l’un des sujets de préoccupation des malades et de leurs familles.
Toutefois, en proposant la création d’un fonds dédié à l’indemnisation rapide de toutes les victimes du coronavirus, les auteurs posent un certain nombre de questions aux législateurs que nous sommes, sans que la rédaction de la proposition de loi apporte, à notre sens, les réponses attendues. Car il s’agit bien ici de déroger au principe de la déclaration en maladie professionnelle pour une maladie infectieuse, ce qui constituerait une première et, pour certains, ouvrirait le risque à un champ de contentieux considérables.
La reconnaissance et l’indemnisation des maladies professionnelles font l’objet d’un financement dédié à travers la branche AT-MP de l’assurance maladie et sont soumises à des critères stricts qui en garantissent une utilisation raisonnée et équitable.
Ce mode de fonctionnement éprouvé permet aux victimes de maladie professionnelle de bénéficier de la gratuité des frais médicaux. En cas d’arrêt de travail, il leur donne accès à des indemnités versées par la sécurité sociale et l’employeur. En cas d’incapacité permanente de travail, une indemnité complémentaire leur est octroyée.
Certes, ce système est loin d’être parfait. Une réflexion sur les réformes à envisager pourrait en effet être menée, afin de répondre aux critiques relatives à la complexité et à la lenteur des procédures, ce que certains décrivent comme un véritable parcours du combattant.
J’ai cru comprendre, en écoutant votre propos liminaire, que vous vous y engagiez, monsieur le secrétaire d’État.
Néanmoins, est-ce notre rôle, aujourd’hui, avec cette proposition de loi, de remettre en question toute cette organisation d’indemnisation ? D’autant que le Gouvernement a annoncé son intention de prendre des mesures pour garantir l’automaticité de la reconnaissance en maladie professionnelle pour tous les soignants et pour garantir aux non-soignants un accès à la procédure normale lorsqu’ils ont été contraints de travailler pour assurer la continuité de services essentiels à la vie de notre pays.
Des inquiétudes doivent toutefois être levées pour les professionnels de santé libéraux, qui ont aussi été en première ligne malgré le manque de matériel et qui ont payé un lourd tribut face à la maladie. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous confirmer que, conformément à ce qui a été annoncé, tous les soignants bénéficieront de la reconnaissance en maladie professionnelle, y compris ceux qui n’ont pas cotisé pour le risque professionnel, ce qui est un sujet d’inquiétude sur le terrain ?
Cette proposition de loi nous semble prématurée. On ne connaît pas encore toutes les décisions qui seront prises par le Gouvernement pour adapter le système à la crise actuelle. Surtout, on ignore l’évolution du Covid-19 à moyen et long termes, compte tenu de l’état parcellaire des connaissances scientifiques et médicales sur cette maladie émergente. Je fais donc miennes les nombreuses réserves que soulève l’examen de cette proposition de loi.
Bien sûr, nous entendons les revendications, toutes légitimes, des patients et de leurs familles. Certains d’entre eux sont morts ; d’autres ressentent encore des troubles de la période aiguë, et nous ne connaissons pas encore les séquelles, à long terme, de cette pathologie.
Par ailleurs – je l’ai dit –, la création d’un fonds pour les victimes d’une maladie contagieuse ayant largement circulé dans la population créerait un précédent : nous devons faire preuve de prudence. Des maladies infectieuses apparaissent et disparaissent chaque année dans notre pays.
Certes, la crise du Covid-19 a surpris par sa violence. Elle laissera des marques indélébiles en France et dans le monde entier. Néanmoins, une situation exceptionnelle n’appelle pas toujours des réponses exceptionnelles. Dans un premier temps, nous devons nous appuyer sur le système existant, quitte à l’adapter aux réalités de cette crise sanitaire.
Ce virus a fait de nombreuses victimes dans tous les pans de notre société. D’autres épidémies suivront probablement, hélas. Je suis donc convaincue que la création d’un tel fonds d’indemnisation ne répondrait pas totalement aux demandes légitimes de nos concitoyens ; en outre, elle ajouterait de la complexité. Ce que les intéressés attendent, c’est surtout la mise en place d’un système performant, protecteur, équitable pour toutes les personnes exposées aux maladies professionnelles et qui ne laisse personne au bord du chemin.
J’entends ceux qui invoquent la responsabilité de l’État pour justifier la création d’un fonds spécial. Certaines critiques font état d’un retard à l’allumage et d’un manque de matériels de protection sur le terrain, qui a été une réalité pour de nombreuses professions. Les commissions d’enquête de l’Assemblée nationale et du Sénat se pencheront sur cette question de la responsabilité de l’État. Elles permettront d’identifier les limites du système actuel et les réformes à mener. C’est dans ce cadre que des leçons pourront être tirées quant aux capacités de réaction de l’État.
Si nous espérons qu’une crise de cette ampleur demeurera un phénomène exceptionnel, on ne peut pas oublier que l’augmentation des échanges internationaux, le réchauffement climatique et la mondialisation dans son ensemble provoqueront certainement de nouvelles épidémies. C’est en gardant cette réalité en tête que nous devons penser la prise en charge globale des victimes de maladies infectieuses dans le cadre de leur profession. Il y va de l’équité, valeur à laquelle nous sommes tous attachés.
Pour résumer, cette proposition de loi part d’un bon sentiment : elle vise à offrir aux victimes graves du Covid une réparation simple, rapide et équitable pour tous les préjudices subis. Je fais mienne cette ambition, mais mes collègues du groupe du RDSE et moi-même n’approuvons pas l’option choisie. Comme je l’ai indiqué, nous manquons de recul sur l’évolution de la maladie et sur la capacité d’adaptation du système à la crise que nous vivons.
Ceux qui ont continué à travailler pendant le confinement ont été davantage exposés à la contamination. Pour eux, un processus d’indemnisation plus simple et plus rapide doit être mis en place : c’est la volonté de l’État. Laissons donc au Gouvernement le temps de passer de la parole aux actes. Les membres du RDSE ne voteront pas ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous l’avons tous dit, mais nous ne le répéterons jamais assez : l’engagement de nombre de nos concitoyens, qu’ils soient professionnels ou bénévoles, et quel que soit le stade de l’épidémie de la Covid-19, a suscité l’émotion et l’admiration de tous.
Dès l’apparition des premiers foyers de contamination sur le territoire de la République française, médecins urgentistes, infirmières en réanimation, personnels d’Ehpad ou même jeunes internes, tous se sont mobilisés pour prendre en charge les malades. À cette occasion, ils ont été exposés à un risque parfois élevé de contamination.
Bien au-delà du seul secteur du soin, de nombreuses personnes ont, tant bien que mal, maintenu leur activité pendant cette période afin d’assurer la permanence des services essentiels à la vie de la Nation. Je pense aux pompiers, aux ambulanciers, aux policiers et gendarmes, aux élus, aux enseignants chargés d’accueillir les enfants de soignants, aux aides à domicile, aux éboueurs, aux caissiers ou encore aux transporteurs routiers : qu’ils soient tous remerciés, et que ceux que j’oublie veuillent bien m’excuser.
Parmi ces femmes et ces hommes, certains auraient développé des formes graves de la pathologie, pouvant entraîner des séquelles invalidantes ou incapacitantes – comme des atteintes respiratoires, cardiaques, dermatologiques ou neurologiques – ou provoquer des décès.
Parce que, à leurs yeux, « il appartient à la société dans son ensemble et, donc, à l’État » d’assurer aux victimes de l’épidémie de Covid-19 « une réparation simple, rapide et équitable de tous les préjudices subis », Victoire Jasmin et plusieurs de ses collègues ont déposé, le 12 mai dernier, sur le bureau du Sénat une proposition de loi visant à « créer un fonds d’indemnisation spécifique pour les victimes de l’épidémie de Covid-19, qu’elles soient salariés du privé, fonctionnaires, indépendants ou bénévoles ».
Ce texte comprend dix articles.
L’article 1er pose le principe de la réparation intégrale des préjudices des personnes souffrant d’une maladie ou d’une pathologie consécutive à la contamination par le virus de la Covid-19 et qui, préalablement à cette contamination, ont été, dans l’exercice de leur profession ou d’une activité bénévole sur le territoire de la République française, en contact régulier avec des personnes elles-mêmes contaminées ou avec des objets susceptibles de l’être, ainsi que ceux de leurs ayants droit.
L’article 2 crée un fonds d’indemnisation des victimes de la covid-19, géré par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam), le financement de ce fonds étant défini à l’article 7. Enfin, la procédure de demande d’indemnisation auprès du fonds est détaillée aux articles 3 à 5, ainsi qu’à l’article 8.
L’intention de Mme Jasmin et de ses collègues est louable, mais la mise en œuvre de cette initiative parlementaire constituerait un précédent majeur en matière d’indemnisation pour une contamination par une maladie infectieuse ; à cette date, nous n’avons pas encore le recul scientifique nécessaire pour établir les éventuels effets à long terme d’une telle contamination sur la santé.
De plus, le fonds d’indemnisation créé par le présent texte serait adossé à l’Oniam. Permettez-moi de rappeler que, comme son nom l’indique, cet office a vocation à assurer l’indemnisation des « accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ». Ainsi, il a été mobilisé récemment en faveur des victimes du Mediator.
La réparation par l’Oniam suppose en principe que soient en cause des accidents médicaux imputables à des activités de prévention, de diagnostic ou de soin. La contamination par le virus de la Covid-19 n’entre pas dans ce champ, et il serait inconcevable de créer un champ spécifique pour une maladie virale de ce type.
Conscient de ce problème et des conséquences auxquelles les personnels concernés peuvent être confrontés, le ministre des solidarités et de la santé a annoncé que les soignants bénéficieraient d’une reconnaissance automatique comme maladie professionnelle, avec indemnisation en cas d’incapacité temporaire ou permanente. Cette règle s’appliquera aux soignants quels qu’ils soient et « quel que soit leur lieu d’exercice, à l’hôpital, en Ehpad ou en ville ». Les professionnels libéraux bénéficieraient eux aussi de ce mécanisme. Pour les autres travailleurs cités précédemment qui auraient pu être contaminés sur leur lieu de travail, il s’agira également de permettre une indemnisation au titre de la maladie professionnelle sans que celle-ci soit automatique.
Cette reconnaissance sera mise en œuvre dans les prochains jours, à la suite de la publication des décrets. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie d’en avoir clairement détaillé les modalités et de vous être engagé à agir au plus vite : c’est l’essentiel.
Mes chers collègues, pour ces raisons, les membres du groupe La République En Marche voteront en défaveur de cette proposition de loi visant à créer un fonds d’indemnisation spécifique pour les victimes de l’épidémie de Covid-19.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise de la Covid-19 a mis en lumière les « héros en blouse blanche » applaudis tous les soirs à 20 heures. Mais leurs efforts n’ont pas été sans risque : un grand nombre d’entre eux ont été contaminés. Certains ont conservé des séquelles, tandis que d’autres sont malheureusement décédés.
Au 11 juin dernier, on dénombrait 30 675 cas de contamination dans les établissements de santé ; 84 % des personnes concernées étaient des professionnels de santé et près de 10 % des professionnels non soignants. Parmi les soignants et soignantes, 29 % étaient des infirmières et infirmiers et 24 % des aides-soignantes et aides-soignants. Nous espérons que les efforts et les sacrifices de ces femmes et de ces hommes ne seront pas oubliés lors du Ségur de la santé.
De même, lorsque la République rendra hommage aux victimes, il ne faudra pas oublier de citer les seize professionnels de santé décédés en essayant de sauver la vie des autres.
Cela étant, les personnels hospitaliers n’ont pas été les seuls à prendre des risques durant la pandémie en poursuivant leur activité. Il y a également eu les pompiers, les policiers, les caissières des magasins d’alimentation, les livreurs des plateformes, les égoutiers, les postiers, les éboueurs et l’ensemble des travailleuses et des travailleurs qui ont œuvré pour le pays, eux aussi au péril de leur santé, parfois de leur vie.
Permettez-moi d’avoir une pensée particulière pour ces intérimaires envoyés en première ligne, souvent sans protection particulière, sans formation aux gestes de sécurité ou sanitaires, que ce soit chez Amazon ou sur les plateformes logistiques, pour ne citer que ces deux exemples.
À ce titre, chers collègues du groupe socialiste et républicain, la proposition de mettre à contribution les géants du numérique pour financer le dispositif paraît tout à fait pertinente. Certaines de ces entreprises ont profité de la pandémie en réalisant un chiffre d’affaires exceptionnel tout en laissant leurs salariés sans dispositif de protection.
L’enjeu est donc d’accorder reconnaissance et réparation à toutes les victimes de la Covid-19 – salariés du privé, fonctionnaires, indépendants ou bénévoles, quel que soit leur statut – qui ont apporté leur aide dans la lutte contre l’épidémie et qui en gardent de graves séquelles. C’est l’objet de cette proposition de loi créant un fonds d’indemnisation spécifique pour l’ensemble des victimes de la Covid-19.
Ce texte vise à trouver une solution face à une situation exceptionnelle, pour laquelle notre système actuel de réparation des maladies professionnelles ne semble pas adapté. Actuellement, il faut en moyenne huit mois pour qu’une demande de reconnaissance d’une pathologie non inscrite au tableau des maladies professionnelles – c’est le cas de la Covid-19 – aboutisse, et la réparation n’est jamais intégrale.
S’ajoutent des difficultés spécifiques, dont l’absence de tests au début de la pandémie, qui compliquent encore l’établissement du lien direct de la maladie avec l’exposition professionnelle.
Enfin, cette pandémie aveugle a touché à la fois des fonctionnaires, des salariés, des travailleurs indépendants et des bénévoles, catégories pour lesquelles les voies de reconnaissance des risques professionnels sont multiples.
La solution préconisée par nos collègues socialistes afin de ne pas décourager les victimes d’une maladie qui n’entre pas dans les cases de notre système de réparation actuel nous semble judicieuse.
Toutefois – j’insiste sur ce point –, selon nous, la création de ce fonds doit aller de pair avec la reconnaissance de la Covid-19 comme maladie professionnelle. C’est une revendication de l’ensemble des organisations syndicales et des associations de victimes, comme la coordination des associations des victimes de l’amiante et de maladies professionnelles (Cavam), l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante et autres maladies professionnelles (Andeva) et la Fédération nationale des accidentés de la vie et des handicapés (Fnath).
J’ai d’ailleurs sous les yeux un courrier que m’ont adressé l’association Covid-19 Grand Est, le comité de défense des travailleurs frontaliers de Moselle, l’association de défense des victimes de l’amiante et autres maladies professionnelles (Adevat-ANP) et le docteur Lucien Privet. Ils demandent que la Covid-19 soit inscrite au tableau 76 des maladies professionnelles, car « si elle n’est pas inscrite dans un tableau, une reconnaissance au titre d’une maladie professionnelle d’une pathologie Covid-19 s’apparentera à une mission impossible ».
Les élus de notre groupe avaient déposé un amendement tendant à inscrire la Covid-19 dans le tableau de classification des maladies professionnelles, mais il a été jugé irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, ce qui m’attriste.
Selon nous, ce texte représente une avancée pour les victimes, même si nous avons quelques critiques à formuler.
Tout d’abord, nous aurions préféré que la gouvernance du fonds de réparation soit confiée au fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, au sein duquel sont représentées les organisations de victimes, comme l’Andeva et la Fnath, sachant que, dans sa composition actuelle, l’Oniam n’accorde qu’une place très minoritaire aux organisations syndicales : il est loin d’être paritaire.
En outre, nous nous inquiétons du message potentiellement adressé au patronat, qui se plaint beaucoup de sa contribution à la branche accidents du travail-maladies professionnelles. Il ne faudrait pas envoyer, même involontairement, un signal de délaissement de cette branche au profit de fonds spécifiques pris en charge par d’autres acteurs.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Michelle Gréaume. Enfin, la complexité du processus actuel de reconnaissance d’une maladie professionnelle doit nous amener à lancer une réflexion globale pour en améliorer l’accès, réduire les délais et accorder aux victimes une meilleure réparation.
Les membres du groupe CRCE voteront ce texte, qui va dans le sens du progrès pour les victimes directes ou indirectes de l’épidémie, tout en rappelant la nécessité de reconnaître la Covid-19 comme maladie professionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie Mme Jasmin, auteur de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, et Mme Féret, rapporteur.
Ce texte vise à instaurer un fonds d’indemnisation pour les victimes du Covid-19 qui auraient été contaminées par le virus dans le cadre de leurs activités professionnelles ou bénévoles. Ces personnes courageuses ont permis à notre pays de tenir malgré de graves difficultés.
Pour la prise en charge des victimes du Covid-19, deux doctrines coexistent : la reconnaissance de cette pathologie comme maladie professionnelle et la création d’un fonds d’indemnisation ad hoc.
Le 29 mars dernier, le Gouvernement a opté pour une reconnaissance au titre des maladies professionnelles pour tous les soignants malades du Covid-19. Cette reconnaissance donne accès à une couverture totale des frais médicaux, à une indemnité d’incapacité de travail et, en cas de décès, à la perception d’une pension par les ayants droit. Cette règle s’appliquera aux soignants quel que soit leur lieu d’activité, à l’hôpital, en ville ou en Ehpad.
Nous saluons cette annonce, mais nous comprenons les critiques qu’elle a suscitées. En effet, les soignants n’étaient pas les seuls à prendre des risques lors du confinement. Je pense notamment aux pompiers, professionnels et bénévoles, aux membres des forces de l’ordre, aux caissiers, aux agents de propreté, aux livreurs, aux enseignants et aux ambulanciers, pour ne citer que quelques professions.
Monsieur le secrétaire d’État, afin de compléter utilement ce dispositif, vous avez annoncé la semaine dernière que le Gouvernement allait étendre cette couverture à ces travailleurs qui se sont mobilisés pour assurer la continuité de leurs missions malgré l’épidémie et le confinement.
Cette mesure, approuvée par l’Académie nationale de médecine, vise les personnes dont l’activité est indispensable au fonctionnement du pays et qui n’étaient pas en mesure de respecter les règles de distanciation sociale. Ces personnes ont pris des risques, pour elles-mêmes et pour leurs familles, dans des conditions d’hygiène et de sécurité parfois difficiles, compte tenu des difficultés d’approvisionnement en masques de protection ou de la nature de leurs tâches.
Cette reconnaissance existe déjà pour les cas de cancers dus à l’amiante, d’intoxication au plomb ou de troubles musculo-squelettiques. Lorsque les critères définis sont remplis, l’établissement du lien entre la pathologie et l’activité professionnelle est automatique et les frais médicaux sont pris en charge à 100 %. De plus, en cas d’incapacité temporaire ou permanente, le salarié bénéficie d’une indemnité, dont le financement est assuré par la branche AT-MP de la sécurité sociale. Il repose sur les cotisations des entreprises, lesquelles sont proportionnelles à leur sinistralité.
Une fois le décret pris, après examen par le conseil d’orientation des conditions de travail (COCT), la création d’un fonds d’indemnisation, dont on maîtrise mal les mécanismes, ne sera plus nécessaire, même si nos connaissances sur cette maladie restent imparfaites, notamment en ce qui concerne la grande diversité des symptômes et des séquelles associés. Cela créerait de surcroît un précédent.
Pour être aussi effective que possible, cette mesure devra prendre en compte certains professionnels de santé exerçant hors du milieu hospitalier et ne pas se limiter à la période du confinement, mais couvrir l’ensemble de la période d’urgence sanitaire. Vous le savez, des foyers ont été détectés après le confinement, notamment dans les abattoirs.
Les membres du groupe Les Indépendants sont favorables à la reconnaissance du Covid-19 comme maladie professionnelle, pour tous les professionnels et bénévoles qui étaient ou sont exposés au virus. Le dernier décret doit normalement couvrir tous les travailleurs en contact avec le public et être adapté aux réalités. Si tel est le cas, la proposition de loi de Mme Jasmin, texte généreux dont j’approuve l’objectif, fera doublon. M. le secrétaire d’État nous assure que ce décret entrera en vigueur rapidement. Il nous semble propre à permettre de traiter de manière équitable toutes les victimes du Covid-19.
En conclusion, les membres du groupe Les Indépendants ne soutiendront pas cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Michelle Meunier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons ce matin une proposition de loi socialiste qui vise à réparer une profonde injustice.
Nous souhaitons voir reconnaître et indemniser un préjudice, celui d’avoir été contaminé par le virus de la Covid en ayant permis à notre pays de vivre, lorsque la plupart d’entre nous se confinaient.
Cette proposition de loi s’inscrit dans une continuité : le soutien aux victimes est défendu de longue date par les socialistes et par la gauche en général.
Dernièrement, les travaux que le député de la Martinique Serge Letchimy a dédiés à l’indemnisation des victimes du chlordécone ont fait écho aux propositions d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques soutenues ici depuis 2012 par notre collègue Nicole Bonnefoy.
Dans un autre domaine de risque, avec mon collègue Yannick Vaugrenard et bien d’autres, je soutiens régulièrement les démarches engagées par les associations de victimes de l’amiante pour une juste reconnaissance du préjudice subi.
Je pourrais également citer les travaux en vue d’une juste indemnisation des catastrophes naturelles menés par Nelly Tocqueville ou pour une meilleure reconnaissance des victimes des essais nucléaires en métropole ou en Polynésie française.
Cet historique nous rappelle que ces débats sont âpres et longs. Souvenons-nous de Martin Nadaud : c’est après dix-huit années de luttes parlementaires, menées entre 1880 et 1898, que ce député-ouvrier républicain socialiste obtint l’instauration, par la loi, d’une protection contre les accidents du travail. Il fut ainsi le précurseur de la branche AT-MP.
Ces débats sont longs, car le rapport de force qu’ils cherchent à rééquilibrer est souvent en défaveur des victimes. Si ces dernières sont nombreuses, leur indemnisation coûte cher et suscite des réserves et des précautions pour abonder les fonds. Si elles sont peu nombreuses et isolées, la tentation est forte de les ignorer et de les oublier.
Le 21 avril dernier, le Gouvernement a annoncé l’indemnisation des soignantes et des soignants contaminés dans l’exercice de leurs fonctions. Outre que ce dispositif tarde à démontrer son efficacité – j’y reviendrai –, il écarte une part non négligeable de la population concernée.
Les précédents orateurs l’ont dit : les professionnels de santé n’étaient pas seuls « mobilisés », « sur le front ». La société dans son ensemble s’est montrée solidaire et une myriade de professions a contribué à « l’effort de guerre », pour reprendre les termes du Président de la République.
À mon tour, j’en nomme quelques-unes : les hôtes et hôtesses de caisses de supermarchés et d’épiceries, à qui, par un sourire masqué, nous avons témoigné notre soutien ; les professionnels de la chaîne logistique, qui s’affairaient dans l’ombre ; les camionneurs et transporteurs, que leurs tournées exposaient à de multiples reprises ; les éboueurs, toujours au rendez-vous, même quand le moindre emballage devenait suspect ; les conductrices et les conducteurs de transports en commun, confinés dans leurs cabines ; les membres des forces de l’ordre et de sécurité, les agents pénitentiaires, exposés sur le terrain, qui ont observé un régime de quatorzaines pour éviter de contaminer leurs unités ; l’ensemble des personnels des Ehpad, chargés des soins, de l’accompagnement, de l’entretien, des services de restauration et d’hébergement ou des tâches administratives ; les aides à domicile, dont les associations étaient souvent les dernières à recevoir les masques et les protections distribués par les agences régionales de santé (ARS) ; les travailleuses sociales chargées d’accompagner les femmes victimes de violences conjugales ; les animateurs et les animatrices qui ont accueilli les enfants des personnels mobilisés, dans une ambiance éducative à l’opposé de leurs habitudes de travail, sans proximité ni activité collective, afin de protéger tout ce petit monde, tout en croisant, le soir venu, des pompiers, des infirmières potentiellement contaminés ; enfin, les employés funéraires, confrontés à l’anxiété d’être contaminés au contact des défunts et à la douleur, parfois à l’incompréhension, des familles devant se conformer aux mesures de précaution. Évidemment, cette liste n’est pas exhaustive.
Mes chers collègues, il a fallu toute une nation pour faire face à cette pandémie et contenir sa propagation. Les personnes contaminées ont éprouvé la souffrance de la maladie, la détresse respiratoire, l’intubation, qui peut laisser des séquelles, et bien des symptômes. Après de longues semaines d’épuisement, certaines d’entre elles ont guéri, d’autres sont décédées.
Ces personnes sont des victimes ; leurs proches et leurs ayants droit sont des victimes. Nous le reconnaissons pleinement et nous souhaitons les indemniser, parce qu’il serait injuste d’appauvrir davantage encore ces malades, qui ne sont en rien responsables de la pandémie. Bien qu’étant en deuxième ligne, ils étaient souvent les premiers et les premières de corvée.
Tel est l’objet de cette proposition de loi, préparée par notre collègue Victoire Jasmin et construite avec l’appui du secteur associatif et des organisations syndicales. Saluons l’expertise de l’Andeva, de Coronavictimes et de la Fnath, le soutien de la CFDT, de Force ouvrière et de la Confédération générale des cadres (CGC). Leur regard acéré a permis d’éviter les écueils de la réglementation actuelle, liés au régime de la reconnaissance comme maladie professionnelle, l’établissement de la preuve incombant à la victime.
Depuis le dépôt du présent texte, ces discussions nous ont conduits à adapter le dispositif : nous examinerons donc des amendements socialistes visant à préciser le champ d’application du dispositif, la période couverte et le mode de financement du fonds d’indemnisation.
Nous souhaitons élargir le bénéfice de ce fonds à toutes celles et tous ceux, salariés ou bénévoles, qui ont assuré la continuité des activités essentielles. Ils furent légion à affronter le risque pour exercer leurs compétences, en tant que secouristes par exemple.
Nous ciblons les activités exercées au cours de la période de risque maximal : entre le 16 mars dernier et le 10 juillet prochain, c’est-à-dire entre le début du confinement strict et la fin de l’état d’urgence sanitaire. Au cours de cette période, nombre de nos concitoyens ont pu bénéficier d’autorisations spéciales d’absence, d’un régime d’activité partielle ou de travail à domicile ; pour les autres, l’exposition au risque fera l’objet d’une présomption irréfragable : c’est la seule manière d’inverser la charge de la preuve.
Enfin, nous prévoyons que les connaissances scientifiques viennent compléter, par décret, l’appréciation de cette exposition et de ses conséquences devant faire l’objet d’un dédommagement.
En ce qui concerne le « nerf de la guerre », à savoir le financement, point sur lequel achoppe souvent la mise en place d’un fonds d’indemnisation, nous proposerons par voie d’amendement de solliciter la solidarité nationale, à savoir l’État, d’une part, et la branche AT-MP, d’autre part, celle-ci étant excédentaire, comme l’a rappelé la Fnath.
Ces dispositions ont été préparées par la rapporteure, notre collègue Corinne Féret, dont je salue le travail. En commission des affaires sociales, les membres du groupe Les Républicains ont rejeté ces amendements, ce que nous regrettons. Je salue toutefois leur abstention constructive sur le texte, qui permet son examen en séance publique. Mes chers collègues, il n’est jamais trop tard pour bien faire… (Sourires.)
J’évoquais à l’instant l’annonce gouvernementale d’accorder la reconnaissance du caractère de maladie professionnelle pour les soignantes et les soignants contaminés par le coronavirus. Monsieur le secrétaire d’État, cette réponse qui divise au lieu de rassembler semble loin d’être immédiatement efficace, y compris pour les professionnels de santé : faute de décret, les médecins libéraux qui ne cotisent pas à l’assurance facultative AVAT voient leur demande d’indemnisation rejetée. Le Gouvernement mesure-t-il l’injustice de sa réponse, très partielle ?
C’est avant tout pour mieux protéger les plus faibles que les socialistes ont déposé cette proposition de loi, qui constitue une réponse unique, claire et ambitieuse, témoignant d’une prise en considération de l’ensemble de la société, et pas simplement de la première ligne de front contre le Covid-l9.
L’examen de ce texte se poursuivra, je l’espère, à l’Assemblée nationale. Il pourra enrichir les travaux de nos collègues députés socialistes Régis Juanico et Christian Hutin, qui ont déposé une proposition de loi analogue.
Je l’ai dit, c’est un long combat que nous entamons. Il faut consolider le dispositif pas à pas, comme cela a souvent été le cas pour les démarches d’indemnisation que j’ai citées au début de mon propos. Nous avons conscience que ce dispositif n’a pas vocation à répondre à tous les besoins, mais il vise large et n’instaure pas de tri : c’est là notre fierté. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)