M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord, au nom du groupe Union Centriste, à saluer le travail de notre collègue députée Jeanine Dubié, ainsi que des membres du groupe Libertés et territoires, sur cette proposition de loi, qui est la bienvenue.
Si elle peut sembler, à première vue, très paramétrique, voire anecdotique, cette proposition de loi constitue en fait une avancée importante pour la simplification des procédures judiciaires. Comme cela a été dit précédemment, elle s’attelle à revoir la rédaction de l’article 706-5 du code de procédure pénale, dans le but d’en clarifier la rédaction et d’en faciliter l’application.
Cet article porte sur la procédure d’indemnisation des victimes d’infraction, plus particulièrement sur le délai imposé à celles-ci pour présenter leur demande d’indemnisation, laquelle doit être adressée à la commission d’indemnisation des victimes d’infractions, la CIVI, afin que le plaignant puisse recevoir une réparation du Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions à hauteur des dommages matériels et financiers causés par l’infraction.
Cet article prévoit trois délais distincts pour la demande d’indemnisation selon les situations : le premier est de trois ans à compter de la date de l’infraction ; le deuxième est d’un an après la décision de la juridiction qui a statué définitivement lorsque des poursuites pénales sont exercées ; le troisième est d’un an à compter de l’avis donné par la juridiction qui condamne l’auteur de l’infraction à verser des dommages et intérêts.
De cette complexité est né, le 28 mars 2013, un arrêt de la Cour de cassation allant à l’encontre de l’objectif fixé par le législateur.
Comme le signale l’excellent rapport de notre rapporteure Laurence Harribey, l’esprit de la loi du 15 juin 2000 visait à contraindre la juridiction saisie au fond à aviser la victime de son droit de présenter une demande d’indemnité à la CIVI dans un délai d’un an. Il s’agissait donc de renforcer les droits des victimes, en imposant aux juridictions d’informer celles-ci et de veiller à ce que le délai d’un an ne puisse courir sans que la victime en ait été expressément informée.
Or la juridiction suprême a jugé que le point de départ du délai d’un an imposé à la victime pour saisir la commission d’indemnisation des victimes d’infractions était fixé à la date de l’avis positif qui lui avait été donné en première instance, alors même que la défense avait fait appel de cette décision. La volonté du législateur a été contredite, dès lors que la Cour de cassation n’a pas examiné le troisième délai à la lumière du précédent, allant, de ce fait, dans un sens défavorable à la victime. S’en est suivie, pour cette dernière, qui a saisi la Cour de cassation, une confirmation de la nullité de sa demande d’indemnisation présentée un an et demi après l’avis de la juridiction de première instance.
Le but de la présente proposition de loi est d’éviter qu’une telle d’incohérence ne se reproduise. En effet, si tout l’or du monde ne peut soigner les blessures, toute victime ayant subi un traumatisme est en droit de s’attendre à recevoir réparation. Aussi, n’ajoutons pas au poids d’un souvenir douloureux celui de procédures trop lourdes et inutilement complexes. Notre rôle de parlementaires est également de veiller à ce que la loi soit la plus efficace possible, donc d’application la plus simple possible, même s’il faut reconnaître que certains textes ne suivent pas toujours cet axe.
Il est évident qu’il faut pallier le manque de clarté que montre l’arrêt de la Cour de cassation en votant cette proposition de loi, ce que ne manquera pas de faire le groupe Union Centriste, tant nous partageons l’objectif des auteurs de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi paraît à première vue d’essence procédurale, mais elle représente un symbole fort pour l’ensemble des victimes d’actes terroristes et de leurs proches.
Le texte tend vers une simplification administrative importante, en favorisant l’accès des victimes au droit à la réparation. Il faut saluer l’objectif d’uniformisation d’une procédure perçue comme floue et imprécise par les victimes.
La légitimité de la proposition de loi est bien réelle, puisque le Fonds de garantie continue de recevoir de nouvelles demandes d’indemnisation. Ainsi, bientôt quatre ans après l’attentat de Nice, plus d’une centaine de demandes ont été enregistrées en 2019. Ce texte est donc bien une nécessité, mais c’est aussi une initiative parlementaire qui renforce le lien entre la communauté nationale et les victimes.
Alors qu’un consensus s’est dégagé au Parlement sur cette proposition de loi renforçant les droits des victimes, je souhaite, madame la garde des sceaux, que le Gouvernement puisse aller plus loin et donner une impulsion plus forte encore, car, si le temps passe, l’émotion reste vive – vous le savez – et les attentes demeurent particulièrement fortes.
Pourtant, des outils existent et des propositions ambitieuses et concrètes ont été formulées.
Je pense, en premier lieu, au secrétariat d’État d’aide aux victimes du terrorisme, dont la suppression, en 2017, moins d’un an avant la première commémoration de l’attentat de Nice – le second attentat le plus meurtrier après ceux de Paris – a été, je vous l’assure, très mal perçue. Le remplacement de l’interlocuteur politique par une délégation interministérielle administrative, bien que celle-ci soutienne fermement l’évolution des protocoles, à l’instar de cette proposition de loi, n’aura jamais été véritablement compris par les victimes de Nice ou de nombreuses autres villes frappées par le terrorisme.
À cet égard, l’outil local, à travers le rôle bienveillant des collectivités territoriales, est primordial aujourd’hui pour conserver le lien. Je pense naturellement, là encore, à la ville de Nice, qui, dès 2012, en ouvrant la Maison pour l’accueil des victimes, pour accompagner les personnes victimes d’une infraction pénale grave, aura préfiguré ce qui est devenu le cœur du dispositif d’accueil des victimes et de leurs proches depuis l’attentat du 14 juillet. Cette structure, qui travaille main dans la main avec les associations d’aide aux victimes, accueille les personnes traumatisées, propose des ateliers sur la sécurité et apporte un véritable soutien juridique ou psychologique – je puis en témoigner.
Complémentaire, le Comité de suivi des victimes se réunit régulièrement à Nice – il l’a encore fait voilà quelques jours – pour entretenir une relation permanente. Cette démarche en continu est essentielle pour les victimes, qui ont besoin d’écoute afin de recenser leurs difficultés, leurs perceptions, leurs analyses, au-delà du temps des hommages et du recueillement.
Progresser dans l’accompagnement des victimes, ce serait aussi donner suite au rapport Comment améliorer l’annonce des décès ?, paru en 2019, qui fixe des référentiels afin d’améliorer la démarche délicate qui consiste à conjuguer le respect des proches et l’accompagnement des familles. Les victimes ont besoin d’être entendues et d’être au cœur du processus conduisant à des décisions prises avec humanité et dignité pour que l’on puisse éviter l’anonymat de procédures administratives ou judiciaires froides et désincarnées, comme on a pu en voir par le passé.
Je pense, par exemple, encore une fois dans le cas précis de Nice, à la restitution, un an après l’attentat de certains organes et de comptes rendus d’autopsie des victimes, laquelle a été faite au moyen d’une simple annonce administrative, par courrier, ce qui a bien évidemment été un véritable choc pour les familles concernées, qui n’étaient pas du tout au courant des prélèvements.
Enfin, progresser dans l’accompagnement des victimes, c’est l’esprit même du rapport de la Cour des comptes qui a été remis au Sénat en décembre 2018 sur la prise en charge des victimes de terrorisme. Celui-ci a montré qu’il y avait trop de numéros de téléphone, trop d’adresses e-mail, trop d’interlocuteurs et, au final, peu d’informations claires. « Simplifier le parcours des victimes » et « adapter les dispositifs de prise en charge financière » sont les deux axes préconisés par la Cour, qui, madame la garde des sceaux, encourage l’État à être plus vigilant face au sentiment d’injustice « très marqué » des victimes.
J’espère véritablement – les tristes événements qui ont eu lieu à Nice le méritent à eux seuls – qu’un certain nombre de ces mesures seront soumises à l’arbitrage du Gouvernement, afin que nous puissions obtenir des réponses, d’abord et avant tout pour les victimes et les familles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux, pour commencer, rendre hommage à l’excellent travail effectué par notre collègue députée Jeanine Dubié, que le RDSE est très heureux de relayer. Le consensus que sa proposition de loi a su créer à l’Assemblée nationale comme au Sénat prouve sa qualité, mais aussi l’importance de légiférer sur ce sujet à la fois sensible et technique, qui, je le sais, lui est particulièrement cher.
Je souhaite ensuite remercier mes collègues de la commission des lois et notre rapporteure, Laurence Harribey, d’avoir permis l’adoption conforme de ce texte.
J’ai enfin une pensée pour le réseau associatif de l’aide aux victimes, qui effectue un travail très soutenu et ô combien utile et nécessaire.
La perte d’un proche est toujours une épreuve, d’autant plus lorsque les circonstances sont dramatiques.
Créé au début des années 1990 par le regroupement de fonds dont l’origine remontait aux conséquences des attentats terroristes des années 1980, le FGTI a été conçu pour indemniser les victimes du terrorisme et celles de certaines infractions pénales, en particulier en cas d’insolvabilité des auteurs. Doté de la personnalité morale, il est gouverné de façon collégiale par des représentants du secteur assurantiel, de l’administration et les associations de victimes. Il est alimenté majoritairement par des prélèvements sur les contrats d’assurance de biens, ce qui garantit la stabilité de son financement. Il couvre, bien sûr, l’indemnisation des victimes de terrorisme, mais aussi la réparation intégrale des dommages corporels graves et des infractions sexuelles.
Comme cela a déjà été précisé, plus de 16 000 demandes d’indemnisation ont été prises en compte en 2018, pour un total de 324,4 millions d’euros. Ce chiffre pourrait cependant être bien plus important, car le bon fonctionnement de l’indemnisation se heurte à une difficulté.
La loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes a mis en place l’obligation pour la juridiction statuant en matière de dommages et intérêts d’aviser la victime de son droit à indemnisation auprès de la CIVI dans un délai d’un an.
Si l’objectif était louable, cette disposition s’est avérée moins vertueuse dans sa mise en œuvre. En effet, la jurisprudence actuelle fait courir le délai d’un an à partir de l’avis de la première juridiction allouant des dommages et intérêts, créant une situation paradoxale où l’on se prononce sur le versement de dommages et intérêts sur la base d’un jugement qui n’est pas définitif. Le principal problème est qu’une telle jurisprudence vient raccourcir le délai effectif accordé aux victimes pour demander réparation, ajoutant à la peine de la perte d’un proche ou de séquelles à vie un profond sentiment d’injustice.
L’objectif de la proposition de loi est clair : il s’agit d’achever le travail de la loi du 15 juin 2000 et de simplifier l’accès des victimes des infractions les plus graves à leur droit à indemnisation.
Le dispositif juridique, qui a été bien précisé à l’Assemblée nationale, modifie l’article 706-5 du code de procédure pénale. La création d’un délai unique d’un an pour présenter la demande d’indemnité après que la juridiction a statué définitivement vient mettre fin à de nombreuses situations de désarroi. Cette solution est d’autant plus une amélioration que l’obligation d’informer les victimes ayant reçu des dommages et intérêts de leur possibilité de saisir la CIVI est maintenue et qu’est créé un relèvement automatique de la forclusion si cette information n’est pas donnée. Ainsi, le risque de voir les victimes privées de leur indemnisation sera définitivement écarté.
Pour conclure, ce texte est, pour nous, l’exemple même de ce que doit être le travail parlementaire : il est précis, concret et soucieux du bien commun. En tant que législateur, notre rôle est d’abord de simplifier, de rendre lisible, de faciliter, ce qui, me semble-t-il, est le meilleur moyen de réconcilier les citoyens avec la chose publique, alors que la méfiance et la défiance règnent malheureusement trop souvent.
Pour ce qui concerne la méthode, le dialogue des chambres devrait permettre une adoption conforme. Cela démontre que nous pouvons et que nous savons nous parler lorsque nous sommes face à des propositions de loi de bon sens. J’espère que cet esprit continuera à guider nos travaux.
Les membres du RDSE approuvent bien évidemment à l’unanimité cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Agnès Constant applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Agnès Constant.
Mme Agnès Constant. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous rassemble aujourd’hui a, par son article 1er, un objet essentiel : consolider le droit effectif des victimes de présenter une demande d’indemnité à la CIVI. Je tiens à remercier ses auteurs, membres du groupe Libertés et territoires à l’Assemblée nationale, et, au sein de notre Haute Assemblée, le groupe du RDSE, qui l’a utilement inscrite à l’ordre du jour.
La technicité de ce texte, relatif à des délais de forclusion, ne saurait dissimuler son importance pour l’application de notre droit et pour la situation concrète des victimes. Ainsi, la notion même d’indemnisation renvoie à l’idée forte de réparation due à la victime : réparer le préjudice qu’elle a subi pour en compenser autant que possible les conséquences sur le plan monétaire, mais aussi la rétablir dans ses droits et dans le corps social.
Mes chers collègues, l’article 706-5 du code de procédure pénale que vient modifier la présente proposition de loi illustre bien, justement, la progression de la place de la victime dans les procédures.
Après avoir utilement rapproché, par la création du Fonds de garantie auquel renvoie l’intitulé de la présente proposition de loi, les situations en cas d’infractions de droit commun et en cas d’infractions terroristes, le législateur est intervenu de nouveau en 2000. La loi du 15 juin 2000 prévoyait l’information de la victime par la juridiction sur son droit de présenter une demande d’indemnité à la CIVI dans un délai d’un an. L’objectif opportun du législateur était de pallier un déficit d’information des victimes sur leurs droits, qui nuisait, effectivement, à leur situation.
Toutefois, à rebours de la démarche protectrice du législateur, cette réforme a donné lieu à des difficultés contentieuses s’agissant du point de départ du délai de forclusion dans les cas où l’auteur est condamné à verser des dommages et intérêts. Du fait de l’interprétation de la Cour de cassation, la nouvelle rédaction de l’article est paradoxalement venue complexifier le droit applicable et fragiliser la situation des personnes.
L’approche est technique, mais les implications sont concrètes.
Tout d’abord, la réduction effective du délai pour les victimes, qui ne peuvent attendre la fin de la procédure judiciaire pour saisir la CIVI, alors même qu’elles peuvent légitimement préférer attendre une décision définitive du juge pour recouvrer les dommages et intérêts contre l’auteur des faits avant d’en appeler à la solidarité nationale.
Il en résulte, par conséquent, un désavantage paradoxal des victimes auxquelles ont été alloués des dommages et intérêts par rapport aux autres victimes. Cette interprétation soulève ainsi des questions non négligeables d’égalité et de cohérence dans le traitement des situations.
Le présent texte propose donc de résoudre cet ensemble de difficultés malvenues en clarifiant l’article 706-5 du code de procédure pénale grâce à une rédaction consolidée par la rapporteure à l’Assemblée nationale, dans le cadre d’un travail conjoint avec les parties prenantes, et notamment le ministère de la justice. Je veux ici les en remercier.
La rédaction proposée clarifie tout d’abord le point de départ du délai de forclusion, qui est unifié. Il est ainsi précisé que le délai d’un an court à compter de la décision de la juridiction qui a statué définitivement sur l’action publique et sur l’action civile engagée devant la juridiction répressive pour présenter la demande d’indemnité.
En outre, l’absence d’information de la victime sur la possibilité de présenter une demande d’indemnisation la relèverait automatiquement du délai de forclusion. Il s’agit donc d’un renforcement des apports de la loi du 15 juin 2000 en matière d’information.
Cette clarification du droit est non seulement bienvenue, mais nécessaire, en ce qu’elle favorise une application jurisprudentielle en adéquation avec l’esprit de la loi et avec l’intérêt des victimes.
Il est pleinement de notre responsabilité de législateurs, je le crois, de créer les conditions d’un parcours de réparation qui ne soit pas inutilement complexe, et qui garantisse la sécurité juridique.
Mes chers collègues, je tiens à saluer l’approche de notre rapporteure et des membres de la commission des lois, qui a conduit à l’adoption unanime du texte, et dans laquelle le groupe LaREM s’inscrira encore aujourd’hui.
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.
M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie à mon tour la rapporteure Laurence Harribey de ses travaux et de sa présentation très claire des enjeux de cette proposition de loi dont l’objet, bien que technique, est à la fois simple et consensuel : clarifier le dispositif de l’article 706-5 du code de procédure pénale, qui encadre les différents délais de forclusion de la demande d’indemnité de toute personne ayant subi un préjudice résultant d’une infraction.
Ce texte concerne en effet spécifiquement la procédure d’indemnisation des victimes d’infractions. Deux instances en sont les garantes : les commissions d’indemnisation des victimes d’infractions, les CIVI, et le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, le FGTI.
Pour mémoire, une CIVI est une commission instituée dans le ressort de chaque tribunal judiciaire, devant laquelle les victimes d’infractions, ainsi que leurs ayants droit, peuvent réclamer une indemnisation. Elle a le caractère d’une juridiction civile, qui se prononce en premier ressort et de manière autonome.
Le recours devant la CIVI n’est pas subsidiaire ; il peut être exercé par les victimes avant que des poursuites pénales ne soient engagées, ou après, si ces poursuites ne lui ont pas permis d’obtenir réparation.
Il faut rappeler que cette procédure se déroule en parallèle des procédures judiciaires contre les auteurs des faits devant le juge pénal. La phase judiciaire devant la CIVI permet ainsi de reconnaître à la victime la place dont elle ne bénéficie pas toujours lors du procès pénal. Par ailleurs, lorsque ce procès n’a pas lieu, le passage devant la CIVI est la seule occasion pour elle de pouvoir être écoutée.
Après avoir été saisie par la victime, la CIVI transmet ensuite la demande au FGTI, qui propose un montant indemnitaire dans un délai de deux mois, au titre de la solidarité nationale, moyennant un recours ultérieur du fonds contre l’auteur des faits.
La CIVI, en tant que juridiction, peut soit homologuer l’accord, si la victime accepte l’offre du FGTI, soit fixer un montant d’indemnité si elle rejette l’offre. Selon la nature des atteintes portées à la victime, la réparation est intégrale ou plafonnée.
En outre, le délai dans lequel la CIVI peut être saisie d’une demande indemnitaire a évolué depuis la réforme de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes. Aux termes de l’article 706-5 du code de procédure pénale, à peine de forclusion, la demande d’indemnité doit être présentée dans un délai de trois ans à compter de la date de l’infraction. Toutefois, lorsque des poursuites pénales sont exercées, ce délai est prorogé. Il n’expire qu’un an après la décision de la juridiction pénale ayant statué définitivement sur l’action publique ou sur l’action civile.
L’article 706-15 oblige, quant à lui, la juridiction pénale qui a accordé des dommages et intérêts à aviser la victime de son droit de présenter une demande d’indemnité à la CIVI dans le délai d’un an.
Dans ce dernier cas – le versement de dommages et intérêts –, l’article 706-5 précité dispose que le délai d’un an court à compter de l’avis donné par la juridiction. A contrario, ce délai pour saisir la CIVI est supprimé en l’absence d’avis donné par la juridiction.
L’intention du législateur était bien sûr d’accorder à la victime des garanties supplémentaires par rapport à celle qui n’a pu, au terme d’une décision statuant définitivement sur l’action publique ou l’action civile, obtenir d’indemnisation.
Il ressort également des travaux préparatoires à l’adoption de la réforme du 15 juin 2000 que le délai d’un an court à partir de l’avis donné par la juridiction ayant statué définitivement.
Dans un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 28 mars 2013, les juges ont considéré que l’absence de caractère définitif de la décision de la juridiction pénale était sans incidence sur le point de départ du délai de saisine de la CIVI et que seule comptait la date de communication de l’avis d’information.
En conséquence, selon cette interprétation, pour les victimes s’étant vu allouer des dommages et intérêts par une juridiction, le délai d’un an ne court pas à compter de la décision ayant statué définitivement, comme pour les autres cas prévus à l’article 706-5, mais à compter de l’avis donné par la première juridiction qui alloue des dommages et intérêts, même si la décision de cette juridiction n’est pas définitive. Cela aboutit, de facto, à réduire le délai de forclusion.
Cette interprétation, non contestable juridiquement, revenait donc à altérer les droits des victimes, contrairement à la volonté du législateur exprimée en 2000, qui était de prévoir, lorsqu’un jugement pénal est intervenu, que le délai pour saisir la CIVI est d’un an à compter de la décision définitive de la juridiction pénale.
En application de cette jurisprudence, les parties civiles doivent donc saisir la CIVI sans attendre l’expiration des voies de recours contre la décision leur allouant des dommages et intérêts.
Or, comme cela a été souligné, certaines victimes pourraient légitimement préférer attendre une décision définitive du juge qui ne puisse plus être contestée et tenter ensuite de recouvrer les dommages et intérêts contre l’auteur des faits, avant de faire appel à la solidarité nationale afin d’obtenir une indemnisation.
L’application du texte étant rendue complexe par l’interprétation jurisprudentielle, la création de deux cas distincts instaurant de surcroît une inégalité entre les victimes, cette proposition de loi nous apporte les clarifications nécessaires.
La nouvelle rédaction de l’article 706-5 du code de procédure pénale crée ainsi un délai unique d’un an après la décision définitive de la juridiction pénale pour présenter la demande d’indemnité.
Elle maintient en outre l’obligation incombant à la juridiction d’informer les victimes ayant reçu des dommages et intérêts de leur possibilité de saisir la CIVI.
Enfin, elle crée un cas permettant de relever automatiquement la forclusion si cette information n’a pas été donnée.
Ainsi adoptées, ces dispositions permettront sans conteste d’améliorer la situation des victimes d’infractions. Notre groupe soutiendra donc pleinement cette proposition de loi et renouvelle ses félicitations à la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je voudrais simplement revenir sur trois points.
Tout d’abord, je veux répondre à Mme la sénatrice Benbassa, et peut-être à d’autres. Madame la sénatrice, vous avez dit qu’il y avait peut-être quelques difficultés avec la prise en charge financière des victimes par le FGTI. Sans nier que certaines familles soient en conflit sur l’indemnisation qui peut leur être versée, je souhaiterais tout de même préciser que, de manière systématique, le FGTI verse aux victimes 80 % du montant de l’offre d’indemnité à titre provisionnel, dans l’attente d’une réponse de la victime sur la proposition indemnitaire qui lui a été faite.
Je tiens également à vous rappeler que, en cas de contentieux sur ces questions de dommages et intérêts, ou sur des questions d’expertise, vous avez créé, ou plutôt le législateur a créé, en votant la loi de 2019 de réforme de la justice, un nouveau juge, le Jivat, le juge de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme, compétent pour régler les contentieux indépendamment de l’issue pénale du procès.
Ensuite, je veux rebondir sur ce qui a été dit par plusieurs d’entre vous, et notamment par vous-même, madame Benbassa, et par Mme la sénatrice Estrosi Sassone, sur la suppression du secrétariat d’État qui existait dans le gouvernement précédent. Quand je suis arrivée à mon poste ministériel voilà trois ans – je m’en souviens très bien –, les premiers rendez-vous que j’ai eus étaient avec les associations de victimes. De manière systématique, elles faisaient grief au gouvernement actuel d’avoir supprimé le secrétariat d’État. Je crois qu’aujourd’hui on n’entend plus ce reproche. En effet, la délégation interministérielle à l’aide aux victimes (DIAV), sous l’autorité de Mme Pelsez, fait vraiment un travail exceptionnel : un travail de rigueur, un travail d’accompagnement individualisé des victimes, un travail, également, de réflexion générale sur l’aide que l’on peut apporter aux victimes. Mme Estrosi Sassone a cité, à titre d’exemple, le rapport sur l’amélioration de l’annonce des décès. C’est la DIAV qui l’a écrit, avec ses 18 mesures qui sont en cours d’exécution ; c’est encore la DIAV qui a remis en place les 105 comités locaux d’aide aux victimes. Je pourrais multiplier les exemples sur cette prise en charge d’une véritable politique publique, qui est aujourd’hui interministérielle et pleinement assumée.
Enfin, mon dernier propos sera pour Mme la rapporteure, qui a fait état d’un certain nombre de préconisations. J’en ai noté deux autour de la question de la forclusion et autour de l’indemnisation par la CIVI. J’y prêterai une grande attention, parce que notre seul objectif est toujours de progresser aux côtés des victimes. Madame la rapporteure, je vous remercie de vos propos.