M. Franck Riester, ministre de la culture. Madame la sénatrice Dumas, vous avez raison : les bouquinistes de Paris représentent bien notre capitale ; ils incarnent, le long de la Seine, un certain art de vivre à la parisienne. Ces librairies uniques en leur genre, avec leurs boîtes vert wagon, sont défendues avec beaucoup de cœur par des professionnels exceptionnels, les bouquinistes, qui doivent être accompagnés.
En 2019, le ministère de la culture a précisément accompagné l’association culturelle des bouquinistes de Paris dans ses démarches d’inscription à l’inventaire national du patrimoine culturel immatériel. J’en suis convaincu, le savoir-faire de ces professionnels doit être préservé, et même sauvegardé, pour reprendre votre terme.
Vous le savez, pour tout ce qui concerne la gestion au quotidien, l’autorité régulatrice de ce secteur, c’est la Ville de Paris. Pour autant, le ministère de la culture est très attentif à l’avenir des bouquinistes, comme à l’avenir de toutes les librairies, à Paris et partout en France.
Bruno Le Maire et moi-même, sous l’autorité du Premier ministre, avons mis en œuvre un plan d’envergure en faveur des librairies ; il s’inscrit dans le cadre du dispositif 2020 pour la sauvegarde du secteur du livre, lequel représente plus de 230 millions d’euros. Comme nous l’avons annoncé tout récemment, nous avons renforcé les mesures en faveur des librairies, notamment les librairies indépendantes.
Ainsi, nous veillons à accompagner les librairies les plus en difficulté. Au total, 25 millions d’euros vont être confiés au Centre national du livre (CNL) pour accompagner ces librairies. En outre, au-delà des aides proposées par le CNL, 7 millions d’euros seront déployés cette année, et 6 millions d’euros l’année prochaine, pour accompagner la modernisation des librairies.
Dans le cadre de nos discussions avec la Ville de Paris et le CNL, une partie de ces moyens pourront-ils être fléchés vers les bouquinistes ? Pourquoi pas : il faut y travailler. C’est ce que je vous propose de faire. Bien sûr, je resterai en contact avec vous sur ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, pour la réplique.
Mme Catherine Dumas. Monsieur le ministre, merci de votre réponse. Il s’agit d’un sujet très important. Les Parisiennes et les Parisiens sont très attachés aux bouquinistes. Je ne manquerai pas de solliciter une nouvelle fois la Ville de Paris, que vous avez évoquée, même si, sur ce sujet, elle n’est pas toujours au rendez-vous. En tout cas, j’ai pris bonne note de votre réponse et je compte sur vous : nous devons continuer à protéger ces passionnés, héritiers d’une longue tradition, qui conservent le charme de Paris !
surveillance par des équipes pénitentiaires spécialisées des abords des prisons
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, auteure de la question n° 1202, adressée à M. la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nathalie Delattre. Madame la garde des sceaux, grâce à une baisse sans précédent de la population carcérale, opérée par voie d’ordonnance, la vie au sein de nos prisons reprend cahin-caha son cours normal.
Mon collègue François-Noël Buffet et moi-même avons constaté, au fil des auditions et des déplacements inhérents à notre mission de suivi des lieux de privation de liberté, que l’épreuve du confinement a révélé des failles au sein de certaines prisons.
Au centre pénitentiaire de Gradignan, en Gironde, les projections de téléphones, d’armes blanches ou de boulettes de stupéfiants dans les cours intérieures de l’établissement par des individus de l’extérieur ont connu une activité intense pendant le confinement, comme à l’accoutumée malheureusement.
Aux alentours de la prison, ces canaux d’alimentation représentent un véritable trouble à l’ordre public et à la sécurité des riverains. À l’intérieur, ces trafics suscitent des comportements qui mettent en danger tant le personnel pénitentiaire que les détenus. Pour se tenir éloignés de ces trafics, certains d’entre eux refusent même la promenade quotidienne.
Des prévenus sont sous l’emprise de la drogue : j’ai pu le constater dernièrement, en exerçant mon droit de visite.
Pourtant, il suffirait de peu pour réguler cette situation : une équipe pénitentiaire spécialisée, avec port d’arme, autorisée à intervenir aux abords de la prison et une volonté affirmée de la part de la direction.
Justement, la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice permet la mise en place de ces équipes de sécurité aux abords immédiats des établissements. Ainsi, le centre pénitentiaire de Fresnes a entrepris la formation de ses agents avant le confinement sanitaire et la reprend avec le déconfinement. Mais, quant à elle, la prison de Gradignan n’envisage aucune création d’unité dédiée pour la surveillance des abords de ses murs avant 2022, au mieux.
Votre ministère peut-il inciter un directeur de prison à ériger en priorité la création d’une équipe spécialisée de surveillance pénitentiaire au sein de son établissement ? Pouvez-vous venir constater par vous-même la prégnance de ces trafics dans la prison de Gradignan et entendre les représentants du personnel et le maire de la ville afin de prendre les mesures qui s’imposent ? L’attente est forte !
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice Delattre, la situation que vous avez décrite pose une véritable difficulté, non seulement à la prison de Gradignan mais dans l’ensemble des établissements pénitentiaires.
Le déploiement des équipes locales de sécurité pénitentiaire (ELSP) permet, comme vous l’avez souligné, de lutter activement contre le trafic de substances ou d’objets illicites et interdits en détention. Ces structures sécurisent les fouilles sectorielles et renforcent les équipes de surveillance lors des incidents qui peuvent se dérouler en détention. La loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a d’ailleurs renforcé leurs pouvoirs de contrôle.
En 2019, 311 agents ont été formés et habilités pour intégrer les équipes de sécurité pénitentiaire. D’ores et déjà, 29 équipes locales sont déployées sur l’ensemble des établissements pénitentiaires. Dès l’année prochaine, 50 établissements seront dotés d’une ELSP.
S’agissant du centre pénitentiaire de Bordeaux- Gradignan, où je compte en effet me rendre, nous ne l’avons pas priorisé dans le cadre du déploiement des ELSP, et ce pour deux raisons.
D’une part, une équipe régionale d’intervention et de sécurité (ÉRIS), un autre élément de notre dispositif, est basée sur place : elle peut être actionnée en cas d’incident ou d’atteinte à la sécurité.
D’autre part, ce centre pénitentiaire va être entièrement reconstruit, avec une sécurisation totalement repensée, pour un investissement de près de 137 millions d’euros. Les travaux de démolition préalable ont démarré en juin dernier. Cette opération permettra de livrer un nouvel établissement de 600 places, entièrement sécurisé ; sa première phase se terminera à la fin de 2022.
Plus largement, je veux souligner l’effort particulièrement important que nous consacrons à la sécurisation des établissements pénitentiaires : 64 millions d’euros sont inscrits à ce titre dans la loi de finances initiale pour 2020, une dotation en hausse de 8 millions d’euros par rapport à l’année dernière. Cette augmentation vise notamment à sécuriser les abords périmétriques des établissements par le renforcement des clôtures, l’installation de filins anti-projections et la maintenance des installations de sécurité.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour la réplique.
Mme Nathalie Delattre. L’ÉRIS n’est jamais, ou quasiment jamais sollicitée. Quant à la nouvelle prison, elle ne sortira pas de terre avant des années. La situation est fort préoccupante, et une équipe locale de sécurité plus que nécessaire. Madame la garde des sceaux, nous vous attendons sur place avec impatience !
restitution des « biens mal acquis » aux pays et populations spoliés
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la question n° 1197, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame le garde des sceaux, les biens mal acquis représentent une corruption transnationale scandaleuse. Selon l’ONU, elle atteint près de la moitié du montant des aides au développement !
Il est donc très important d’œuvrer pour que les biens déclarés mal acquis par la justice reviennent aux populations spoliées. L’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) accomplit un travail éminent en la matière, mais n’a pas les moyens d’assurer cette restitution.
C’est pourquoi j’ai eu l’honneur de présenter une proposition de loi devant le Sénat, en mai 2019. Cette proposition de loi a été adoptée par notre assemblée à l’unanimité. Là-dessus, le Gouvernement a décidé de confier à deux députés le soin de travailler sur le sujet, ce qui est en effet une possibilité. Ces députés ont rendu leur rapport.
Ainsi donc, vous avez en votre possession une proposition de loi adoptée à l’unanimité par le Sénat et un rapport de deux députés : quand allons-nous prendre des décisions concrètes ? Votre collègue Amélie de Montchalin, siégeant au banc du Gouvernement lors de l’examen de cette proposition de loi, avait pris l’« engagement formel et solennel » que les dispositions seraient définitivement adoptées dans le cadre de la loi de finances pour 2020.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Sueur, la restitution des avoirs criminels confisqués dans le cadre des procédures pénales dites des biens mal acquis est effectivement un enjeu majeur ; elle participe à l’œuvre de justice en faveur des populations lésées.
En l’état de notre droit, les règles de restitution ou de partage ne prévoient pas un retour systématique et intégral de ces biens aux États et populations lésés. En effet, aucun mécanisme de contrôle ne garantit le bon emploi des fonds restitués, notamment leur redistribution aux populations civiles.
Inspirés notamment par les réflexions du Sénat, nous sommes conscients de la nécessité de doter la France d’un dispositif efficace de restitution des avoirs criminels. C’est pourquoi le Premier ministre a désigné les députés Warsmann et Saint-Martin pour examiner la pertinence d’un dispositif innovant de restitution des biens mal acquis.
Sur la base de ces travaux, des échanges sont en cours depuis plusieurs semaines entre les ministères de l’économie et des finances, des affaires étrangères, de l’action et des comptes publics et de la justice en vue d’établir un tel mécanisme, tout en assurant un contrôle des fonds retournés.
Nous travaillons sur deux options pour assurer la restitution effective aux populations spoliées du produit de la corruption internationale confisqué par les juridictions françaises : créer un fonds de concours géré par l’Agrasc ou affecter chaque année à l’Agence française de développement les sommes correspondant aux biens mal acquis, avec un fléchage vers le pays concerné.
Vous n’ignorez pas les enjeux budgétaires et diplomatiques qui doivent être pris en compte. Du point de vue judiciaire, nous devons également veiller à bien délimiter le champ des infractions et à articuler le futur dispositif avec les règles habituelles d’indemnisation des victimes.
Monsieur le sénateur, je puis vous assurer de mon engagement pour trouver les modalités les mieux adaptées permettant de mettre en œuvre dans les meilleurs délais un dispositif de restitution des biens mal acquis, articulé de manière satisfaisante avec l’ensemble de nos impératifs.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame le garde des sceaux, je prends acte de votre réponse, tout en répétant que le dispositif proposé par le Sénat a été adopté à l’unanimité.
Les deux orientations que vous avez présentées sont tout à fait recevables. L’important, c’est que les fonds ne reviennent pas systématiquement aux États. En effet, comme vous le savez, une juridiction de Paris a considéré que ces sommes, issues de corruptions au plus haut niveau de certains États, devaient revenir aux populations spoliées.
Je souhaite qu’un dispositif soit inscrit dans la loi le plus rapidement possible. Devant le Sénat, je le répète, le Gouvernement s’était engagé pour le mois de décembre de l’année dernière…
rapprochement entre pôle emploi et cap emploi au 1er janvier 2021
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, auteur de la question n° 1034, adressée à Mme la ministre du travail.
M. Bernard Buis. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention, bien en amont du 1er janvier 2021, sur l’organisation à mettre en place dans le cadre du rapprochement, prévu à cette échéance, entre Pôle emploi et Cap emploi.
Depuis que le Premier ministre a annoncé, en juillet 2018, la fusion de Cap emploi et Pôle emploi en un lieu unique de droit commun pour les personnes en recherche d’emploi, des temps de concertation et de travail ont été organisés pour réfléchir aux modalités de rapprochement des deux entités.
Un des scénarios retenus dans le cadre de ces réflexions consiste en un rapprochement opérationnel, Cap emploi devenant un service au sein de Pôle emploi, chargé spécifiquement de l’accompagnement des personnes en situation de handicap, que le handicap soit installé, consécutif à un accident de la vie ou médical. Cette réorganisation se met en place avec des unités pilotes dans chaque région ; des expérimentations sont menées pour évaluer le nouveau dispositif en amont de sa généralisation.
Le maintien dans l’emploi, aujourd’hui de la compétence de Cap emploi mais pas de Pôle emploi, est un volet important et indispensable de l’accompagnement dans l’emploi des salariés en situation de handicap. Il convient donc de le conserver au sein du futur service fusionné. Madame la ministre, pouvez-vous nous éclairer sur l’attention qui sera accordée, dans le cadre de ce rapprochement, aux missions de maintien dans l’emploi en faveur des personnes en situation de handicap ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur Bernard Buis, je vous remercie de soulever cette question importante, d’autant que le Gouvernement a fait du handicap et de la construction d’une société inclusive une des priorités du quinquennat.
Avant même la crise que nous connaissons, le taux de chômage des personnes handicapées s’élevait à 18 %, soit deux fois plus que la moyenne nationale. Tout doit donc être fait pour améliorer l’efficacité du maintien dans l’emploi et de l’accompagnement vers l’emploi des personnes en situation de handicap.
En ce qui concerne le rapprochement des deux opérateurs Cap emploi et Pôle emploi, le Premier ministre a appelé de ses vœux un lieu unique d’accompagnement aux fins, justement, de servir encore mieux les personnes en situation de handicap et de les rapprocher des entreprises. J’ai demandé aux deux opérateurs de travailler sur une expérimentation, lancée à la fin de l’année dernière sur dix-neuf sites pilotes répartis sur l’ensemble du territoire métropolitain et d’outre-mer. Nous envisageons une généralisation en 2021.
Il s’agit non pas d’une fusion, mais d’une coordination opérationnelle renforcée, visant à permettre la construction d’une offre de services intégrée et s’appuyant sur la double expertise de ces structures. Comme j’ai pu m’en rendre compte sur le terrain, les synergies opérationnelles sont extrêmement précieuses ; les équipes qui travaillent désormais ensemble le reconnaissent.
Monsieur le sénateur, l’accompagnement dans l’emploi inclut le maintien dans l’emploi des salariés et agents publics exposés à un risque de perte d’emploi du fait de leur handicap. Le réseau de Cap emploi demeure l’opérateur désigné pour assurer cet accompagnement, prévu depuis 2016 et qui nécessite une expertise spécifique.
Les deux expérimentations visent à renforcer les synergies dans les domaines de la désinsertion professionnelle et du maintien dans l’emploi. Dans cette perspective, nous avons lancé un travail commun à la direction générale du travail et à la Caisse nationale d’assurance maladie, qui débouchera sur des propositions au second semestre de cette année. La fédération des Cap emploi, Cheops, est associée à l’échelon national de ces travaux.
Pour l’avoir constaté sur le terrain, je veux souligner à quel point les équipes sont mobilisées. Encore une fois, je le répète, il s’agit non pas de fusionner les opérateurs, mais de les faire travailler ensemble au service du lien entre les personnes en situation de handicap et les secteurs public et privé. C’est ainsi que, pas à pas, nous construisons une société inclusive !
situation des jeunes à la recherche d’un apprentissage
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, auteur de la question n° 1194, adressée à Mme la ministre du travail.
M. Olivier Henno. Madame la ministre, la situation des jeunes qui souhaitent s’insérer dans le monde du travail est particulièrement préoccupante. Pas une journée ne passe sans que la presse relate leurs difficultés dans le contexte de crise que nous connaissons.
Avec la crise économique, les entreprises sont parfois frileuses à embaucher pour la rentrée de septembre. Combien de promesses de stage, d’embauche en CDI, en CDD ou en apprentissage ont-elles été remises en question ? Combien de postes n’ont-ils pas été ouverts à la suite du confinement ? Une génération entière est en train d’être abandonnée au bord de la route !
De fait, des milliers de jeunes sont bloqués, dans l’attente de démarrer enfin leur vie professionnelle. Les plus chanceux sont aidés par leur famille, parfois elle-même frappée par la crise ; d’autres doivent impérativement trouver un emploi précaire pour rembourser leur prêt étudiant ou payer leur loyer. Avec la peur de se retrouver sans emploi, l’anxiété grandit, souvent dans un isolement néfaste.
Nous ne pouvons pas avoir une génération sacrifiée à cause du Covid ! Nous devons donc entendre la détresse de nos jeunes, leur tendre la main, nous mobiliser pour proposer des mesures exceptionnelles.
Les jeunes à la recherche d’un apprentissage sont les premiers touchés par le ralentissement de l’économie. En effet, la baisse des embauches est particulièrement sensible dans les très petites, petites et moyennes entreprises, qui sont les premiers employeurs d’apprentis.
Pourtant, l’apprentissage, nous le savons, est une chance incroyable pour les jeunes : il permet à nombre d’entre eux d’acquérir une qualification et des compétences qu’ils ne pourraient pas obtenir dans un autre cadre.
Madame la ministre, depuis l’inscription à l’ordre du jour de ma question, un dispositif de 5 000 euros pour les mineurs et de 8 000 euros pour les majeurs a été adopté ; je le salue, mais je pense qu’il faut aller plus loin encore, en diminuant le reste à charge pour les entreprises et en alertant les partenaires sociaux sur le risque d’une génération sacrifiée. Quelles politiques publiques comptez-vous mettre en œuvre pour favoriser l’apprentissage ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur Olivier Henno, nous partageons une conviction : il n’est pas question de laisser une génération être sacrifiée.
Le taux de chômage des jeunes avait commencé à baisser : certes, il était encore de 18 %, mais il était auparavant de 21 %. C’était il y a quatre mois. Le nombre d’apprentis était en hausse de 16 %. On commençait à voir la lumière au bout du tunnel, et les jeunes reprenaient espoir.
Il n’est pas question que, en raison de la crise économique liée à la crise sanitaire, nos jeunes soient sacrifiés. C’est la raison pour laquelle l’emploi des jeunes est un thème majeur des concertations avec les partenaires sociaux que le Président de la République m’a demandé de mener.
S’agissant de l’apprentissage, nous avons déjà pris des décisions, car il y avait urgence : la rentrée se prépare maintenant. Sur les autres sujets, le Président de la République recevra de nouveau les partenaires sociaux dans quelques jours, sur la base des propositions que je lui présenterai à l’issue des concertations.
Pour l’apprentissage, nous avons voulu aller vite, car c’est maintenant que les jeunes s’inquiètent, maintenant qu’ils doivent pouvoir signer un contrat. Nous avons donc décidé une aide exceptionnelle, inédite dans notre pays : une prime de 5 000 euros pour l’embauche d’un apprenti mineur, 8 000 euros pour un apprenti majeur. En fait, ce dispositif couvre l’intégralité du coût de l’embauche, à quelques dizaines d’euros près pour les plus âgés. Ainsi, la première année d’apprentissage aura un coût quasi nul pour les entreprises.
Il nous a semblé important d’envoyer ce signal inédit, car les jeunes ont compris la dynamique de l’apprentissage : ils ont compris que c’est une voie d’excellence, une voie d’avenir. Ainsi, depuis notre réforme, la demande augmente énormément – nous l’avons constaté, cette année encore, dans Parcoursup et Affelnet. Nous devons être au rendez-vous pour ne pas décevoir nos jeunes !
Le risque est du côté de l’offre, du côté des entreprises, pour les raisons que vous avez décrites. D’où l’aide exceptionnelle que nous avons décidée, mais aussi la possibilité accordée aux centres de formation d’apprentis d’accueillir jusqu’à six mois un jeune sans qu’il ait encore son contrat d’apprentissage, pour l’aider à consolider ses acquis et à trouver un maître d’apprentissage. Je pense aussi à la lutte que nous menons contre la fracture numérique : pendant le confinement, 90 % des apprentis ont pu suivre leur formation à distance, mais 10 % ne l’ont pas pu ; nous devons équiper tous nos apprentis pour « rattraper » ceux qui ont été en difficulté.
Plus que jamais, nous pensons que l’apprentissage est une voie d’excellence, une voie de réussite ; plus que jamais, l’emploi des jeunes est pour nous une haute priorité. Nous aurons l’occasion d’y revenir à l’issue de la concertation en cours, mais ne doutez pas que, pour moi, c’est la première priorité de notre plan de relance de l’emploi !
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour la réplique.
M. Olivier Henno. Merci pour votre réponse, madame la ministre. Oui, il est indispensable de faire des efforts pour cette génération, qui prend le Covid en pleine face sur le plan économique.
Je salue les mesures prises en faveur de l’apprentissage. Il est vrai que le reste à charge est extrêmement réduit. Reste à bousculer encore un peu les mentalités des entreprises, en mobilisant tous les partenaires sociaux. De ce point de vue, l’Allemagne est un exemple : au sein de Bayer, la première donnée mise en avant est le nombre d’apprentis, avant même le chiffre d’affaires. Voilà le chemin à suivre !
difficultés à trouver un contrat en alternance au sein d’une entreprise
M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger, auteur de la question n° 1105, transmise à Mme la ministre du travail.
M. Gilbert Roger. Madame la ministre, j’ai rédigé cette question voilà quelques mois, mais je pense qu’elle est toujours d’actualité, et même encore plus. Elle porte sur les difficultés rencontrées par les étudiants, notamment en Seine-Saint-Denis, pour trouver un contrat en alternance au sein d’une entreprise.
De nombreux jeunes, en particulier après le bac, sont contraints de renoncer à leur projet d’étude en alternance dans le supérieur, faute de trouver une entreprise pour les former et les rémunérer à temps partiel dans le cadre d’un contrat d’apprentissage ou de professionnalisation.
Trouver un contrat en alternance est un véritable parcours du combattant pour ces jeunes, dont les parents ne disposent pas toujours du capital culturel et économique nécessaire pour les aider dans leur recherche. Sans compter que les organismes de formation ne leur apportent aucun soutien, bien que certains vantent dans leur plaquette promotionnelle l’aide à la recherche que permettrait leur gigantesque réseau – en réalité, un simple appât pour remplir les classes…
Dès lors, quelles mesures le Gouvernement pourrait-il prendre pour qu’un plus grand nombre de jeunes soient accueillis en alternance dans les entreprises ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur Gilbert Roger, je souscris à votre intention : l’apprentissage est une voie d’excellence, l’alternance est vraiment le pied à l’étrier vers l’emploi et la qualification pour les jeunes !
On constate que les jeunes de la Seine-Saint-Denis et, de façon générale, des quartiers prioritaires de la politique de la ville ont deux fois moins accès que les autres à l’apprentissage : ils ne trouvent pas d’entreprise, pas de maître d’apprentissage, parce qu’ils ont moins de réseau professionnel et que leurs parents ne peuvent pas toujours les aider. C’est à l’action publique de lutter contre cette moindre chance, de donner à ces jeunes les mêmes chances qu’aux autres de trouver un apprentissage.
D’abord, dans le cadre de la réforme de l’apprentissage, j’ai renforcé la mission des centres de formation d’apprentis (CFA) dans le domaine de l’accompagnement des jeunes pour trouver un employeur. Désormais, ces centres peuvent les accueillir pendant trois ou six mois pour les aider dans leur recherche. Pas plus tard qu’il y a quelques jours, j’ai visité à Rouen un centre de formation d’apprentis, accueillant de nombreux jeunes des quartiers prioritaires : on leur fait faire des stages en immersion et rencontrer des employeurs, on leur apprend les codes de l’entreprise, la rédaction d’un CV et la manière de passer un entretien d’embauche, toutes choses efficaces.
Ensuite, les CFA doivent aider les jeunes aussi à résoudre des difficultés d’ordre matériel ou social, par exemple en matière de logement ou de transport. Depuis la réforme, nous finançons dans le coût contrat des développeurs de l’apprentissage, chargés dans chaque CFA de mettre en relation les jeunes qui cherchent une entreprise et les entreprises qui cherchent un jeune.
En outre, nous avons mis en place des soutiens aux associations assurant cette mise en relation ; je pense aux Entretiens de l’excellence et à Un avenir ensemble, des associations habilitées à percevoir la taxe d’apprentissage et à accompagner les jeunes issus des familles les plus modestes.
Par ailleurs, nous avons mobilisé le réseau « La France une chance. Les entreprises s’engagent ! » : dans ce cadre, 7 000 entreprises prêtes à s’engager dans une approche inclusive peuvent tendre la main aux jeunes et faciliter leur recherche.
Enfin, avec le ministre de l’éducation nationale et la ministre de l’enseignement supérieur, j’ai mis sur pied une plateforme, qui ouvrira dans quelques jours, regroupant les souhaits de tous les jeunes sur Affelnet et Parcoursup vers l’apprentissage. Je demanderai aux préfets de réunir chaque mois toutes les organisations professionnelles, tous les partenaires sociaux et tous les acteurs de l’éducation nationale pour identifier les jeunes qui n’ont pas encore trouvé d’employeur et les aider de manière très concrète sur le terrain.
Oui, l’alternance est une voie d’excellence, une voie d’avenir : c’est pourquoi tous les jeunes doivent y avoir également accès !