M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat et la concertation sont indispensables à la vie démocratique. C’est d’ailleurs la méthode que nous avons suivie depuis le début du quinquennat et que nous continuons de suivre pour répondre aux attentes de nos concitoyens et leur apporter les meilleures solutions possible.
C’est notamment le cas sur la maîtrise des frais bancaires. Le sujet est important, dans un contexte où nombre de nos concitoyens sont confrontés à une dégradation de leur situation économique et sociale.
Le plafonnement des frais d’incidents bancaires mis en place par le Gouvernement en faveur des publics fragiles est effectif. Il permet de soutenir nos concitoyens en difficulté dans la période actuelle. Le Gouvernement ne s’est pas contenté de promesses sur le sujet ; il a pris des mesures fortes qui s’appliquent désormais.
Première étape, au mois de septembre 2018, nous avons conclu un accord avec le secteur bancaire pour plafonner les frais d’incidents à 20 euros par mois et à 200 euros par an pour les publics bénéficiaires de l’offre dite « clients fragiles ». Cette offre spécifique, prévue par la loi depuis 2014, garantit l’accès aux services bancaires de base à un prix modique. Nous avions également fixé l’objectif d’une progression de 30 % du nombre de personnes bénéficiant de l’offre, soit environ 300 000 à l’époque.
Deuxième étape, au mois de décembre 2018, nous avons élargi le principe du plafonnement à tous les clients identifiés comme fragiles financièrement, permettant à plus de 3 millions de personnes d’être éligibles au dispositif. Les banques se sont engagées auprès du Président de la République à plafonner à 25 euros par mois et à 300 euros par an les frais d’incidents bancaires pour tous les clients concernés.
Ces mesures sont importantes. Elles fonctionnent aujourd’hui pour les Français touchés par la crise. Le dispositif que nous avons mis en place a démontré son efficacité pour réduire les frais d’incidents des personnes en fragilité financière. Comme vous le savez, ces engagements sont suivis et contrôlés depuis 2019 par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et l’Observatoire de l’inclusion bancaire. Des contrôles de l’ACPR et de la DGCCRF ont ainsi été diligentés à partir de 2019. Nous avons réalisé sur cette base un bilan de l’application du plafonnement en février dernier. Il en ressort que les engagements pris par les banques en matière de plafonnement ont bien été respectés.
Le plafond mensuel de 25 euros de frais d’incidents bancaires s’applique à 3,3 millions de clients. Il a permis une diminution des frais pour plus d’un million de nos concitoyens. En 2019, 490 000 personnes ont bénéficié de l’offre spécifique, contre 380 000 à la fin de l’année 2017, soit une progression de plus de 100 000 personnes en quelques mois. Ces résultats sont significatifs.
Sur la base de ce bilan, nous avons amélioré le dispositif pour répondre aux attentes des différentes parties prenantes. En février dernier, nous avons obtenu l’engagement des grandes entreprises émettrices de factures de déployer d’ici à la fin de l’année 2021 des solutions, afin que les prélèvements infructueux représentés – ils peuvent générer plusieurs fois des frais – soient automatiquement identifiés. Ainsi, pourra être évitée l’application répétée de frais. Ces entreprises vont également pouvoir proposer à leurs clients de choisir librement les dates de prélèvement pour prévenir les accidents de trésorerie.
D’autres améliorations inspirées de discussions concrètes avec les acteurs de terrain vont être mises en œuvre dans les prochaines semaines.
Dans le cadre de l’examen du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, Bruno Le Maire s’est engagé à améliorer la définition de la fragilité financière, qui conditionne l’accès à l’offre bancaire spécifique et au plafonnement des frais d’incidents. Cette évolution vise à permettre aux personnes fragiles de bénéficier plus rapidement des effets du plafonnement, qui intervient aujourd’hui après trois mois. L’idée est de déclencher plus précocement ce repérage des personnes fragiles. Nous allons également renforcer la transparence relative à l’application du plafonnement par chaque établissement de crédit et aux résultats concrets.
Vous le voyez, le dispositif existe, il est effectif et les résultats sont au rendez-vous. Cela démontre qu’il n’est pas besoin de passer par la contrainte législative pour parvenir à des résultats concrets et puissants, et que le dispositif peut être amélioré constamment en s’appuyant sur les remontées de terrain. Nous proposons donc pragmatiquement de poursuivre dans cette voie, car elle a démontré son efficacité.
Au-delà de cette question de méthode, nous avons également une divergence de fond avec le dispositif proposé. Le texte de la proposition de loi elle-même n’est pas en accord avec l’exposé des motifs. En effet, il prévoit un plafonnement de l’ensemble des frais bancaires, et pas seulement de ceux qui sont liés à des incidents, pour toutes les clientèles, quelle que soit leur situation de revenus et de patrimoine. Cela ne nous semble pas vraiment pertinent. Il nous paraît difficile de défendre un plafonnement généralisé qui s’appliquerait de manière indiscriminée aux frais d’incidents et aux frais de fonctionnement normaux, lesquels rémunèrent des prestations habituelles fournies par les établissements bancaires. Il nous semble aussi difficile de défendre l’extension aux clientèles plus aisées d’un dispositif de plafonnement créé pour les clients fragiles.
Il n’y a rien d’anormal à ce qu’un client effectuant de nombreuses transactions bancaires et disposant de moyens financiers importants paye des frais, notamment en cas d’incident ; on peut effectivement estimer qu’il est suffisamment organisé pour éviter une telle situation.
En outre, un plafonnement généralisé aurait des effets collatéraux contre-productifs. En plafonnant tous les tarifs pour toutes les clientèles, nous risquons d’inciter les établissements à ne plus proposer certains services, qui sont quasiment gratuits aujourd’hui, comme la mise à disposition de chéquiers, mais aussi à renchérir d’autres produits, comme les crédits à la consommation ou les crédits immobiliers, pour qu’ils puissent retrouver des marges.
Une telle contrainte risquerait enfin d’accélérer la réorganisation de certains réseaux bancaires, ce qui pourrait nuire à la continuité territoriale de l’offre bancaire et à la densité des réseaux, à laquelle je sais votre assemblée à juste titre sensible.
J’ajoute enfin que cette proposition irait à l’encontre du développement de services innovants. En effet, dans le secteur bancaire, le développement d’offres alternatives favorise le consommateur. Je pense notamment aux néo-banques, qui font partie intégrante du paysage bancaire pour nombre de nos concitoyens et qui permettent d’accéder à des services bancaires de qualité pour un coût très faible.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, le Gouvernement ne soutiendra pas ce texte, qui, tant sur la méthode que sur les propositions formulées, n’améliorera pas la situation des plus fragiles.
En matière de frais bancaires, le dispositif de plafonnement des frais d’incidents mis en place par le Gouvernement en lien avec le secteur bancaire et les associations protège nos concitoyens touchés par la fragilité financière. Nous allons poursuivre la mise en œuvre de cette méthode de terrain fondée sur la concertation, qui a démontré son efficacité.
Les Français, particulièrement dans cette période difficile, attendent avant tout des résultats. C’est ainsi que nous répondrons réellement au défi social qui est devant nous.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous discutons aujourd’hui de la proposition de loi du groupe socialiste visant à renforcer le plafonnement des frais bancaires.
Les observateurs quelque peu cyniques y verront sans doute une scène écrite d’avance ; lors de ce duel annoncé entre les consommateurs, en particulier les plus modestes, et les banques, chaque côté de l’hémicycle défendra probablement un camp différent, dans un style très « ancien monde »… En réalité, il ne s’agit pas du tout de cela. C’est pourquoi je remercie le rapporteur et les auteurs de la proposition de loi d’avoir posé le problème.
Soyons précis : qu’un service proposé ait un coût, quoi de plus normal, d’autant que le jeu de la concurrence empêche les excès. Mon inquiétude porte moins sur le prix des services que sur les frais d’incidents bancaires. S’il me semble bienvenu de rappeler que le coût de gestion d’un incident de paiement ne se limite pas, pour la banque, au prix du timbre utilisé pour envoyer une lettre au client, est-il pour autant acceptable de constater que les citoyens les plus fragiles financièrement sont aussi ceux qui peuvent payer le plus de frais bancaires, au risque d’être entraînés dans une spirale sans fin ? Non, nous ne pouvons pas nous y résoudre !
Mes chers collègues, ce texte comporte néanmoins des imperfections manifestes. Outre les questions juridiques, le plafonnement proposé paraît excessif à bien des égards. Il vise ainsi l’ensemble des Français, alors que la problématique des frais bancaires ne pourra être résolue qu’au moyen d’une approche plus fine.
Quant à la suppression des frais proposée par les auteurs de cette proposition de loi durant la crise sanitaire, elle a certes le mérite d’envoyer un signal fort, mais elle ne résout en rien le problème de fond, au contraire même. Je suis d’ailleurs peu enclin à la gratuité, quelle qu’elle soit, car c’est une forme de leurre. Ce qui est gratuit a toujours un coût supporté par d’autres et a, de surcroît, un effet déresponsabilisant.
Il faut, me semble-t-il, lier ce débat à celui du modèle économique des banques dans son ensemble, notamment dans un contexte de taux bas. Si les prêts ne rapportent plus, il faut bien trouver l’argent ailleurs. Dans le retrait d’espèces ? On sait malheureusement qu’entre les zones blanches et la surabondance de distributeurs bancaires dans certains endroits, les injustices sont nombreuses.
Ne resterait-il alors que les frais bancaires pour survivre ? Non, assurément ! Et ce raisonnement simpliste doit nous conduire à nous interroger. Un plafonnement aveugle déplacerait simplement le problème, et, demain, une nouvelle proposition de loi socialiste serait peut-être déposée pour demander l’intervention de l’État face à une nouvelle étape de désengagement territorial des banques.
Le ciblage plus fin et la détection plus rapide des publics vulnérables, pour lesquels l’on pourrait ainsi réduire fortement la charge des frais bancaires pour leur éviter la spirale que j’évoquais précédemment, sans bouleverser davantage le modèle économique des acteurs bancaires, paraissent une piste intéressante. Nous avons eu l’occasion de rappeler que le taux de souscription de l’offre spécifique n’excédait pas 15 % des clients éligibles. Faut-il alors réformer le fonctionnement d’un outil considéré comme trop rigide pour ses détenteurs ? La question est posée.
Mais il est toujours délicat de faire en sorte que l’offre spécifique ne soit pas perçue comme punitive et stigmatisante. Pour autant, il ne s’agit pas d’en faire un statut comme un autre alors qu’elle signifie la fragilité du client.
Face à ce dilemme, les engagements forts négociés avec le secteur depuis la crise des gilets jaunes ont été rappelés. Dont acte. Oui, nous devons apprécier ces avancées, qui auraient bénéficié, selon vos chiffres, madame la secrétaire d’État, à un million de clients supplémentaires.
Profitons dès lors de ce texte pour traduire dans la loi les engagements mis en œuvre depuis dix-huit mois sur les frais bancaires, la loi étant par définition moins perméable aux aléas du contexte général. Le rapporteur, Michel Canevet, dont je salue une nouvelle fois le travail, propose de profiter de l’examen de ce texte pour apporter des améliorations reposant sur une logique importante, la transparence. Cette transparence paraît en effet nécessaire, ne serait-ce qu’en raison de la difficulté qu’il y a à connaître le réel montant des frais d’incidents bancaires acquittés chaque année par les Français. On le sait, derrière l’opacité, les règles de la réelle concurrence des marchés sont vite distordues ; c’est un terreau propice à certains abus.
Mes chers collègues, je pense que l’esprit de responsabilité de Sénat peut et doit imprégner cet épineux sujet, trop souvent réduit à la caricature du banquier qui se gave sur le dos des plus modestes. Sachons élever le débat au bon niveau, en évitant tout excès. Derrière les mots se cachent des réalités très différentes, et nous devons éviter de les caricaturer ou de les traiter à la légère.
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, pour le groupe socialiste et républicain, la crise que nous traversons n’est pas seulement une crise sanitaire et économique ; c’est aussi une bombe sociale à fragmentation. Les mesures prises par le Gouvernement depuis deux mois n’anticipent pas, malgré nos multiples alertes, cette situation dégradée qui attend notre pays et qui risque de s’installer pour de nombreuses années.
Certes, cette proposition de loi a été pensée bien avant que nous puissions imaginer la situation actuelle.
Certes, la problématique des frais bancaires est bien antérieure à la crise que nous vivons. Notre texte aurait été tout aussi pertinent il y a six mois, deux ans, voire plus encore.
Je dois le dire, même si c’est une évidence : le dispositif que nous proposons est encore plus opportun aujourd’hui. J’ai bien entendu les remarques de M. Husson, et je sais que des amendements ne manqueront pas d’être adoptés à l’occasion de notre débat. Mais nous sommes heureux de constater que ce texte d’interpellation a manifestement atteint sa cible.
Nous le savons, et l’histoire est là pour le rappeler, les crises sociales n’accouchent que rarement d’un monde d’après plus fraternel et plus solidaire. Il nous appartient de veiller à ce que cette solidarité s’inscrive dans les faits.
Si nous ne faisons rien, cette crise sera comme les autres. Les plus fragiles seront durement frappés, les inégalités augmenteront, une partie de la classe moyenne basculera dans la précarité et le populisme progressera.
La tâche qui nous attend est colossale. Deux mois de quasi-arrêt de l’économie, des échanges internationaux au plus bas, une confiance des ménages très faible : ces différents facteurs vont mécaniquement provoquer une hausse du chômage et une baisse des revenus pour de nombreux Français. Les chiffres publiés aujourd’hui par Pôle emploi sont terribles.
La crise ne pourra être évitée, mais ses conséquences doivent être réduites le plus possible. Pour cela, l’urgence la plus absolue doit être décrétée par le pouvoir exécutif. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Des mesures d’urgence ont bien été prises pour faire face au confinement et pour accompagner le déconfinement ; des aides ponctuelles ciblées ont été débloquées. Je les salue, mais les enjeux sont bien plus larges, et le thermomètre de l’explosion de la demande alimentaire doit plus que nous alerter.
Oui, l’urgence est à l’action sur le front social !
Convoquer l’esprit du Conseil national de la Résistance, comme l’a fait à plusieurs reprises le Président de la République, ne suffit pas. Il faut agir et mettre en place en urgence un nouveau pacte social national pour amortir l’effet de la crise sociale et sanitaire. Sinon, mes chers collègues, ce sont non pas des jours heureux qui nous attendent, mais des jours désastreux.
Le groupe socialiste et républicain compte sur la Haute Assemblée pour engager le travail, dès maintenant, en votant cette proposition de loi, sûrement amendée. J’espère que le Gouvernement, à la lumière de ces éléments et de la dégradation de la situation sociale, se montrera plus ouvert. Qu’il cesse de qualifier d’effet d’aubaine la limitation de ces frais, comme l’a rappelé Rémi Féraud ! Cette prise de position est calamiteuse et porte atteinte à la dignité des Français les plus en difficulté.
L’exécutif doit changer de ton et de position. Actuellement, il se contente de demander aux banques davantage d’autorégulation. Il semble donc placer la défense et la liberté d’action du secteur bancaire comme une priorité, plutôt que d’agir en direction des 80 % de nos concitoyens en situation d’endettement qui, dans les faits, ne bénéficient d’aucun plafonnement. En permettant aux banques de jouer le rôle du gendarme et, parfois, du voleur, il renforce les inégalités sociales.
La situation est grave. Actuellement, près de la moitié de la population active subit une perte substantielle de ses revenus en se retrouvant au chômage partiel, et risque de rejoindre la cohorte des Français précaires asphyxiés par des frais toujours plus importants.
Nous avons donc décidé que cette limitation des frais bancaires devait concerner non seulement les plus fragiles, mais également les Français qui subissent une perte de revenus temporaire en raison de la crise.
Notre dispositif de limitation de ces frais permet de réguler un domaine qui ne l’est pas assez et de desserrer l’étau qui empêche de nombreuses familles de sortir la tête de l’eau pour quelques centaines d’euros.
Ce n’est plus la pression des ronds-points qui doit vous pousser à agir dans ce domaine, madame la secrétaire d’État, mais la lutte contre le cataclysme social qui se dessine.
Le groupe socialiste et républicain pense que la République est légitime quand elle est sociale. Ce n’est pas un effet de tribune que de le dire. Il faut regarder les choses en face. Si nous ne faisons rien, la désespérance ne sera pas seulement sociale ; elle sera aussi démocratique, et elle entraînera des conséquences que chacun mesure parfaitement dans cette enceinte.
Aujourd’hui, mes chers collègues, vous avez le pouvoir d’agir pour le pouvoir de vivre. Ensemble, sachons saisir cette opportunité ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, rendre effectif et renforcer le plafonnement des frais bancaires est une démarche qui pourrait recueillir une très large adhésion au Parlement et sans doute être plébiscitée par nos compatriotes.
Cette initiative relève d’une bonne intention et peut avoir son utilité dans notre réflexion sur un tel sujet.
Avant de se prononcer sur ce texte, il convient de rappeler la situation du secteur bancaire et certaines caractéristiques de son fonctionnement et de son évolution.
Le modèle bancaire a changé au cours de la dernière décennie, avec un produit net bancaire en légère diminution de 3 % entre 2009 et 2016 et un équilibre de ses composantes qui s’est sensiblement modifié.
Si les banques se trouvent aujourd’hui parfois concurrencées par d’autres acteurs, notamment sur les moyens de paiement, leurs fondamentaux historiques – prêts, activités de marché, autrement dit les placements financiers, et commissions – résistent bien. Cependant, ils ne sont plus des vecteurs aussi dynamiques que par le passé, ce qui a conduit le secteur bancaire lui aussi à se diversifier, par exemple sur le marché de l’assurance.
Cette appréciation prudente de la solidité et des perspectives de ce secteur ne nous exonère cependant pas d’examiner la pertinence des méthodes et des niveaux de frais bancaires, surtout pour ceux auxquels la loi peut conférer une base légale.
Par ailleurs, il faut bien reconnaître que l’ensemble des commissions, frais, pénalités représente un vrai maquis dans lequel les clients ont souvent du mal à se retrouver et où la transparence s’affiche toujours en petits caractères.
Mais avec cette proposition de loi, nous nous intéressons moins au secteur bancaire ou financier qu’à ses clients, en particulier les plus modestes, c’est-à-dire ceux qui sont souvent les plus vulnérables pour ce qui concerne la gestion de leurs revenus et de leurs dépenses. Il est vrai que ces personnes fragiles, tout comme d’autres particuliers – travailleurs indépendants, artisans, commerçants, petites et moyennes entreprises –, sont confrontées, chacune à leur niveau, aux mêmes difficultés face aux frais bancaires, ce qui peut les entraîner dans une spirale infernale pour les uns, mais profitable pour les autres. Ainsi, l’imputation des frais et pénalités du mois précédent sur un compte peut mettre celui-ci en position de découvert ou de dépassement d’autorisation, générant ainsi de nouveaux impayés et le déclenchement de nouveaux frais bancaires. C’est le système de la cascade : petit à petit, certains clients creusent le trou de leur compte.
La facturation globale du découvert bancaire représentait bien 6,5 milliards d’euros de revenus en 2016, dont 4,9 milliards d’euros de bénéfices, soit 16 % du résultat net des banques françaises, qui s’élevait à 30,4 milliards d’euros. Ces revenus sont toutefois supportés non pas majoritairement par les catégories les plus modestes, mais par le secteur des PME, TPE et travailleurs indépendants.
J’adhère à la réflexion entourant ce texte. Pour autant, je ne me ferai pas l’avocat de cette proposition de loi, pour deux raisons essentielles. Elle me paraît en effet, d’une part, trop générale sur la notion de frais bancaires, d’autre part, trop ciblée sur le public concerné.
Sur le premier point, en termes de frais bancaires, il convient de bien faire la différence entre ce qui relève d’un contrat ou d’une prestation de services soumis naturellement à la libre concurrence et ce qui relève des pénalités – même si celles-ci portent parfois un autre nom –, lesquelles peuvent justifier un encadrement par la loi ou la réglementation. Il convient donc d’agir plus sur les principes et sur les pratiques que sur le montant des commissions ou des rémunérations.
Sur le second point, le périmètre ne doit pas être limité au seul public en difficulté, qui bénéficie déjà des protections rappelées par Mme la secrétaire d’État, car il n’y a aucune raison que les limitations ou l’encadrement aient un caractère catégoriel, suivant des normes qui ressembleraient plus à celles d’une caisse d’allocations familiales qu’à celles d’une banque, même publique ou mutualiste.
Bien évidemment, les personnes modestes, qui rencontrent, pour de multiples raisons, des difficultés, devraient être les premières bénéficiaires de nouvelles limitations ou protections, qu’il convient cependant de définir et d’adopter de manière plus générique.
Dans ces conditions, non sans avoir au préalable remercié les auteurs de cette proposition de loi de nous avoir permis de développer une réflexion sur ce sujet et le rapporteur de son analyse et de ses propositions, le groupe RDSE se ralliera, dans un souci d’efficacité, à la proposition de nouvelle rédaction de l’article unique formulée par le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la question des tarifs pratiqués par les établissements bancaires a fait l’objet d’une grande attention depuis plusieurs mois.
Je crois cette préoccupation partagée par toutes les couleurs politiques, et je remercie mes collègues du groupe socialiste d’avoir inscrit cette proposition de loi dans le cadre de l’ordre du jour qui leur est réservé, aux termes du règlement de notre assemblée.
La question, comme les choses de la vie, a toute sa place dans le débat parlementaire : les associations de consommateurs estiment à près de 6,5 milliards d’euros les frais payés par les Françaises et les Français aux établissements bancaires. Ce chiffre comporte des disparités au niveau individuel : les clients en difficulté financière persistante se voient prélever près de 300 euros de frais par an, contre huit à neuf fois moins – 34 euros – pour l’ensemble des clients en moyenne.
Même si les chiffres ne sont pas objectivés faute de données fiables, les ordres de grandeur sont représentatifs de la situation des Français.
Cette question a fait l’objet d’une grande attention depuis plusieurs années : depuis 2007, les tarifs bancaires liés aux incidents de paiement, c’est-à-dire le rejet par les banques d’un ordre de paiement par chèque, prélèvement ou carte, sont plafonnés, tout comme les commissions d’intervention perçues en raison du traitement des irrégularités de fonctionnement d’un compte bancaire, depuis 2014. Voilà deux évolutions importantes, concrétisées sous deux majorités différentes.
En outre, et sous l’influence du droit européen, les établissements bancaires sont tenus, depuis la transposition de la directive du 23 juillet 2014, de proposer une offre spécifique comportant des services de base aux personnes en situation de fragilité financière. En sont bénéficiaires les personnes faisant l’objet d’une procédure de traitement de surendettement, les personnes inscrites au fichier central des chèques en raison d’un chèque impayé ou d’un retrait de carte bancaire par la banque et les personnes en situation de fragilité financière selon les banques.
Les mesures d’information ont également été renforcées : délai d’information avant de débiter les commissions d’intervention et présentation d’un document d’information tarifaire accessible en ligne gratuitement et distinct de la brochure tarifaire ; il s’agit de pouvoir comparer les frais bancaires d’un pays à l’autre.
Les évolutions ont aussi été liées à la colère exprimée à l’occasion du mouvement des gilets jaunes en 2018. Le Président de la République s’est largement impliqué lorsqu’il a convoqué les dirigeants des principales banques et obtenu le gel des hausses des frais bancaires en 2019.
D’autres engagements ont été pris, comme cela a déjà été souligné : plafonnement des frais d’incidents bancaires pour les personnes en situation de fragilité financière à 25 euros par mois, réduit à 20 euros par mois et à 200 euros par an pour les personnes bénéficiant de l’offre spécifique ; diffusion accélérée de l’offre spécifique pour la clientèle en situation de fragilité financière. Comme le note le rapporteur, Michel Canevet, dix-huit mois plus tard, force est de constater que ces engagements ont été tenus.
Je ne reviendrai pas sur l’article unique de la proposition de loi, le rapporteur ayant été suffisamment précis quant aux obstacles qui doivent pousser le Sénat à amender ce texte.
Les discussions entre le Gouvernement et les établissements bancaires se montrent fructueuses, sans mépris. Il me semble que les banques assument leur responsabilité dans le climat social de notre pays et répondent aux attentes toujours plus fortes et légitimes de justice.
Nous croyons, en revanche, que des précisions législatives peuvent intervenir. À ce titre, mon groupe proposera deux amendements.
Le premier vise à engager un effort de transparence des établissements bancaires quant aux critères qu’ils utilisent pour qualifier les personnes en situation de fragilité financière, lesquels relèvent à ce stade quasiment de leur libre appréciation.
Le second repose sur le constat que la transparence permise par le document d’information tarifaire, décliné en France par application de la directive du 23 juillet 2014, n’a pas conduit à une meilleure lisibilité pour les Français, tandis que disparaît progressivement l’extrait standard des tarifs.
Nous proposons donc que les banques publient dans un document unique les frais liés à douze services de base, et rien d’autre, en complément du document d’information tarifaire qui, lui, est exhaustif.
Par ailleurs, nous accueillons avec beaucoup d’intérêt les propositions du rapporteur, Michel Canevet. Il les a détaillées, et nous y reviendrons au cours du débat. À ce stade, je peux dire que nous partageons évidemment à la fois le constat du rapporteur et les pistes pour assurer une protection effective et une meilleure transparence. Ces propositions pertinentes doivent vous servir, madame la secrétaire d’État, à nourrir la réflexion sur ce sujet.
Enfin, mes chers collègues, je ne peux que rappeler la complexité de ces problèmes et des transformations qui sont à l’œuvre. La crise sanitaire a accéléré la fin de la monnaie sonnante et trébuchante des ferrailleurs de Max au profit d’un relèvement du paiement sans contact, par carte ou via smartphone. Mais elle a aussi rappelé que nombreux sont nos concitoyens exclus de ces outils. Je pense par exemple aux files d’attente devant les bureaux de poste formées de personnes désirant faire valoir leur droit à bénéficier d’allocations de solidarité. Face à cette étrange affaire, il faut travailler des solutions qui, sans doute, ne relèvent pas de la loi ; je pense notamment au développement d’applications numériques européennes et sûres pour une utilisation sur smartphone.
« La politique est une pratique créatrice », nous dit Cornelius Castoriadis. Alors, madame la secrétaire d’État, créons !