M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.

Mme Esther Benbassa. Pour faire face à la propagation du coronavirus au sein de notre population, les articles 4 à 6 visent à instaurer un état d’urgence sanitaire. Il s’agit notamment d’habiliter le Gouvernement et ses représentants dans les départements à prendre toutes mesures nécessaires pour assurer la sûreté sanitaire de nos concitoyens. Seront en particulier concernées la liberté d’aller et de venir et celle de réunion.

Nous comprenons parfaitement l’urgence engendrée par la pandémie qui frappe notre Nation. À ce jour, on déplore plus de 260 décès et 9 000 cas de contamination. De ce fait, et bien que nous défendions à toute force les libertés individuelles et publiques, nous ne pouvons que nous résigner à la création d’un état d’urgence sanitaire, nécessaire en ces temps de crise.

Cependant, si nous en acceptons le principe, nous resterons très vigilants. La représentation nationale exercera son droit de contrôle sur les actions de l’exécutif pendant cet état d’urgence. Aucun excès d’autorité ne sera accepté. L’état d’urgence sanitaire est et devra rester exceptionnel. Il ne doit pas avoir vocation à intégrer le droit commun. Nous veillerons à ce que les mesures prises soient proportionnées, adaptées à la situation et toujours respectueuses de l’État de droit.

M. le président. L’amendement n° 24, présenté par M. Mouiller, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 6

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…) À l’article L. 3131-10, après les mots : « professionnels de santé » sont insérés les mots : « y compris bénévoles » ;

La parole est à M. Philippe Mouiller.

M. Philippe Mouiller. Dans le contexte actuel, le bénévolat tiendra une place essentielle pour contribuer au renforcement des ressources médicales des établissements publics de santé.

Or la définition des catégories de praticiens composant le personnel médical des établissements publics de santé a un caractère limitatif et ne mentionne pas la possibilité d’un exercice à titre bénévole. Cela rend incertain que ce mode d’exercice puisse être autorisé.

Le présent amendement vise donc à étendre les garanties assurées par l’établissement public de santé, dans le seul cas de l’urgence sanitaire, aux professionnels de santé y exerçant à titre bénévole.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. La commission estime que cet amendement, outre qu’il est utile, constitue une marque de reconnaissance à l’égard de tous les bénévoles qui concourent au service public de la santé. Elle émet donc un avis très favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. L’avis est défavorable, pour une double raison.

D’abord, cet amendement n’a pas de lien direct avec l’objet du texte. Le Gouvernement proposera assez systématiquement de ne conserver que des dispositions relatives à l’état d’urgence sanitaire.

Ensuite, les bénévoles, dont nous avons effectivement besoin, interviennent déjà dans les hôpitaux, au titre notamment de la réserve sanitaire. Ils peuvent bénéficier d’une protection juridique en tant que collaborateurs occasionnels, par exemple, dans le cadre de l’exercice hospitalier.

Votre amendement, qui a pour objet de garantir une protection aux personnes exerçant à titre bénévole dans un établissement de santé, est donc satisfait, monsieur le sénateur. En outre, je doute fort qu’il y ait le moindre contentieux, surtout dans une situation d’état d’urgence sanitaire.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 24.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 34 rectifié, présenté par MM. Kanner et Jomier, Mmes Rossignol et de la Gontrie, MM. Leconte, Sueur, Éblé, Carcenac, Montaugé, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 10

Après les mots :

catastrophe sanitaire

insérer le mot :

exceptionnelle

La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Monsieur le ministre, le Gouvernement a pris le parti de créer un régime juridique spécifique, alors même qu’il aurait pu adapter le régime de l’état d’urgence que notre pays connaît, malheureusement, depuis quelques années.

La loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence prévoit déjà un certain nombre de dispositifs. Des solutions existent, la preuve en est que vous avez pris un certain nombre de décisions sur ce fondement. Vous choisissez pourtant de créer un régime d’état d’urgence sanitaire.

Curieusement, votre texte ne contient pas de définition claire de la notion de « catastrophe sanitaire ». Il conviendrait sans doute d’établir une hiérarchie entre la « menace sanitaire grave », notion qui renvoie à l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, la « catastrophe sanitaire » et la « catastrophe sanitaire exceptionnelle ». Sinon, je ne vois pas comment vous pourrez faire le départ entre les diverses situations.

Nous proposons donc d’ajouter le mot : « exceptionnelle » après les mots : « catastrophe sanitaire », car il nous semble important de définir le plus précisément possible la situation qui nous occupe, afin d’éviter tout flottement dans l’interprétation et tout risque de recours excessif à l’état d’urgence sanitaire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement. S’il devait y avoir des catastrophes « exceptionnelles », cela signifie qu’il y aurait aussi des catastrophes « habituelles » ou « ordinaires ». Ces qualificatifs me paraissent incompatibles avec le mot « catastrophe »…

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Il existe bien des catastrophes dites « naturelles » !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Véran, ministre. Le Gouvernement émet un avis défavorable.

Pour avoir moi-même signé les arrêtés pris au titre du fameux article L. 3131-1 du code de la santé publique, je n’ignore pas, madame la sénatrice, que l’on peut prendre des dispositions restreignant les libertés individuelles et collectives en période de crise sanitaire.

Dans sa grande sagesse, le Conseil d’État considère toutefois que cette base est insuffisante pour fonder juridiquement toutes les mesures que nous sommes susceptibles de prendre, au regard de leur nature et de leur durée d’application.

Des pays voisins ont pris des dispositions visant à restreindre les libertés aux fins de lutter efficacement contre la propagation du virus et de réduire l’impact de l’épidémie. Le terme « exceptionnelle » ne renvoie pas à une définition précise. Chacun peut considérer qu’une situation virale qui oblige des pays comme la France, l’Italie ou l’Espagne, demain le Royaume-Uni et l’Allemagne, à fermer leurs écoles et à demander à leur population de se confiner a un caractère exceptionnel, mais celui-ci n’est pas explicité en l’espèce. Nous nous sommes conformés, pour rédiger cet article, aux recommandations du Conseil d’État.

Par ailleurs, le texte prévoit que la prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne pourra être autorisée que par la loi. Le dispositif juridique que nous proposons me paraît donc suffisamment sécurisé en l’état.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous tenons particulièrement à cet amendement.

Vous savez bien, monsieur le ministre, que le mot « catastrophe » est très banal dans notre littérature juridique. On intervient constamment pour obtenir la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle.

Or nous sommes véritablement là en présence d’une situation exceptionnelle. Nous voulons qu’il soit bien spécifié que les mesures que nous sommes appelés à voter ne s’appliqueront que dans la situation sans aucun précédent que nous connaissons : ce sera notre fil conducteur tout au long de l’examen de cet article. Ces mesures ont vocation à cesser, à ne plus avoir d’effet dès lors que cette situation sans précédent aura pris fin.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 34 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 48, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 11, première phrase et alinéa 16

Après les mots :

pris sur le rapport du ministre chargé de la santé

insérer les mots :

, après consultation des organisations représentatives du personnel

La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Nous pensons nécessaire d’instaurer un état d’urgence sanitaire, mais l’urgence ne doit pas conduire à exclure le débat. Concernant l’hôpital public, nous pensons que les organisations syndicales, qui connaissent bien la situation, doivent être consultées, au même titre que les directions. Plus nous les associerons à la concertation, mieux nous pourrons répondre à la crise.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. La commission considère – à regret, car il est toujours utile de consulter le personnel – que, dans les circonstances actuelles, il vaut mieux ne pas adopter un tel amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Véran, ministre. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 48.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 52, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 12

Remplacer les mots :

d’un mois

par les mots :

de douze jours

La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Cet amendement vise à ramener à douze jours la durée de l’état d’urgence sanitaire, pour les raisons qu’Éliane Assassi a exposées lors de son intervention en discussion générale et comme le prévoit la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence. La version initiale du projet de loi retenait d’ailleurs cette durée, qui apparaît raisonnable compte tenu du caractère exorbitant du droit commun des mesures envisagées.

Évidemment, nous ne nions pas l’urgence et la nécessité de prendre des mesures d’ampleur immédiatement, mais un contrôle régulier du Parlement doit pouvoir s’exercer. La situation évoluant extrêmement vite, fixer la durée de l’état d’urgence sanitaire à douze jours paraît approprié. Il sera toujours possible de proroger l’état d’urgence au-delà en cas de nécessité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Le Gouvernement a voulu créer, à côté du régime de l’état d’urgence prévu par la loi de 1955, un nouveau régime qui permette de lui attribuer des pouvoirs exorbitants du droit commun, dont celui de restreindre un certain nombre de libertés en vue de combattre une crise sanitaire.

Son intention était bien de faire coexister de manière permanente ce nouveau régime dérogatoire avec d’autres régimes dérogatoires, comme ceux qui résultent de la loi de 1955, de la théorie des circonstances exceptionnelles ou de l’article 16 de la Constitution.

La commission des lois a adopté un dispositif de nature différente. Nous ne voulons pas inscrire dans notre droit un régime exceptionnel qui pourrait être mobilisé dans des circonstances que nous ignorons dans cinq, dix ou vingt ans, parce que tout régime dérogatoire pose des problèmes en termes de respect des libertés publiques. Par conséquent, nous avons voulu circonscrire le recours à l’état d’urgence sanitaire à la crise que nous connaissons.

Nous ne retirons aucun des moyens que le Gouvernement souhaite se voir attribuer par le Parlement, mais nous ne voulons pas que ce système survive à la fin de la crise née de la propagation du coronavirus. Il y a changement de paradigme, si j’ose dire, entre l’approche du Gouvernement, qui souhaite mettre en place un régime permanent mobilisable en toutes circonstances à l’avenir, et celle de la commission des lois du Sénat, qui souhaite circonscrire l’instauration de ce régime à la crise présente.

Nous verrons plus tard, lorsque sera venu le temps de la réflexion et du bilan de la gestion de cette crise, s’il faut créer un nouveau dispositif permanent, mais, pour l’heure, nous ne pensons pas que ce soit indispensable.

Concernant la durée, le projet initial du Gouvernement, lorsqu’il a saisi le Conseil d’État, était un décalque parfait du régime de la loi de 1955 : le Gouvernement ne pouvait prolonger l’état d’urgence sanitaire au-delà de douze jours sans un vote du Parlement. Le Conseil d’État ayant considéré que douze jours n’étaient pas suffisants pour faire face à une épidémie, la durée d’un mois a finalement été retenue dans le projet de loi.

Nos collègues du groupe CRCE considèrent qu’un mois est une durée trop longue, sans doute parce qu’ils en sont restés à l’idée d’un système permanent dérogatoire – un régime que nous ne voulons pas mettre en place. Ils préféreraient donc que le Parlement se prononce plus tôt. Mais si le Parlement se prononce aujourd’hui, on ne va pas lui demander de le faire de nouveau dans douze jours !

Mme Éliane Assassi. Pourquoi pas ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Sinon, nous allons devoir sans cesse nous prononcer de nouveau sur des questions dont nous aurons débattu douze jours auparavant !

Nous pensons qu’il faut donner au Gouvernement des moyens étendus d’agir pendant une durée limitée. La commission des lois a porté cette durée à deux mois, mais le régime juridique n’est plus celui qui avait été prévu par le Gouvernement, d’abord pour douze jours, puis pour un mois.

J’espère m’être bien fait comprendre, mais je pense que nous aurons l’occasion d’y revenir. Pour l’heure, la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 52.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Véran, ministre. Le Gouvernement avait initialement retenu une durée de douze jours, avant de connaître l’avis de la commission des lois du Sénat et celui du Conseil d’État.

Le Conseil d’État a préconisé de fixer à un mois la durée de l’état d’urgence sanitaire, son éventuelle prorogation étant soumise à un vote du Parlement, afin que ce dernier puisse exercer un contrôle et déterminer si une telle prorogation est nécessaire. Le Gouvernement s’est rangé à la fois à l’avis de la commission des lois du Sénat et à celui du Conseil d’État.

J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement n° 52, même s’il tend, paradoxalement, à revenir à la rédaction initiale du Gouvernement.

Mme Éliane Assassi. Nous, ce qui nous intéresse, c’est l’avis du Conseil d’État !

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.

M. Pierre Laurent. Si je comprends bien, monsieur le rapporteur, vous souhaitez que l’état d’urgence sanitaire ne devienne pas un nouveau régime juridique permanent. Nous partageons cette préoccupation, mais cela n’empêche pas un contrôle plus régulier du Parlement. On nous dit que douze jours, c’est trop court, mais regardez ce qu’il vient de se passer en douze jours : la situation a changé plusieurs fois ! Cet après-midi encore, il a été nécessaire de convoquer une réunion exceptionnelle dans cette enceinte pour prendre des mesures nouvelles concernant les élections municipales. Douze jours, lors d’une crise de cette ampleur, cela peut être très long. Réunir le Parlement ne constitue pas un obstacle au déploiement des moyens nécessaires.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 52.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 89, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 12

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures réglementaires prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence sanitaire. À leur demande, sont portées à leur connaissance toutes informations utiles sur l’évolution de la catastrophe sanitaire ayant justifié sa mise en œuvre.

La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Cet amendement vise à préciser les conditions du contrôle parlementaire s’exerçant pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire. L’Assemblée nationale et le Sénat seront informés sans délai des mesures réglementaires prises par le Gouvernement. À leur demande, seront portées à leur connaissance toutes informations utiles sur l’évolution de la catastrophe sanitaire ayant justifié la mise en œuvre de cet état d’urgence sanitaire. (Mme Éliane Assassi sexclame.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. À la différence du Gouvernement, nous voulons que le contrôle parlementaire porte sur toute la loi, y compris sur les dispositions qui ne relèvent pas de l’état d’urgence sanitaire, et non sur le seul volet relatif à l’urgence sanitaire.

Il me semble, monsieur le ministre, que, compte tenu de la volonté manifestée par le Gouvernement de faire toute la transparence et l’union nationale sur tout ce qui touche à la mise en œuvre de sa politique de lutte contre cette épidémie, la dimension économique et sociale doit être incluse dans le contrôle parlementaire. C’est la raison pour laquelle nous avons émis un avis défavorable sur cet amendement, en espérant que notre position ne contrariera pas trop le Gouvernement, car nous sommes désireux d’aboutir à un accord entre les deux assemblées.

M. le président. Monsieur le ministre, l’amendement n° 89 est-il maintenu ?

M. Olivier Véran, ministre. Oui, monsieur le président.

Mme Éliane Assassi. Mais cela n’a pas de sens !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 89.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 17, présenté par MM. Kanner et Jomier, Mmes Rossignol et de la Gontrie, MM. Leconte, Sueur, Éblé, Carcenac, Montaugé, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 16

Remplacer les mots :

du ministre chargé de la santé

par les mots :

des ministres chargés de la santé, de l’intérieur, de la défense, de l’outre-mer, de la justice et de l’économie

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Compte tenu du fait que les dispositions relatives à l’état d’urgence sanitaire induisent des limites aux libertés d’aller et de venir, d’entreprendre et de réunion et qu’elles permettent de procéder à la réquisition des biens et des services, nous considérons qu’il serait souhaitable que le rapport sur lequel se prononcera le conseil des ministres soit rendu après avis des différents ministres cités dans le texte de l’amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. L’avis est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Véran, ministre. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 17.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 16, présenté par MM. Kanner et Jomier, Mmes Rossignol et de la Gontrie, MM. Leconte, Sueur, Éblé, Carcenac, Montaugé, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 23

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Les modalités de restitution des réquisitions mentionnées au premier alinéa du présent article sont définies par décret en Conseil d’État.

La parole est à M. Patrick Kanner.

M. Patrick Kanner. Le projet de loi prévoit la possibilité de procéder à des réquisitions pour faire face aux besoins d’hébergement, notamment pour les personnes en grande difficulté sociale, mais les modalités de restitution des réquisitions ne sont pas précisées. Or certains lieux d’hébergement qui auront été réquisitionnés pendant plusieurs mois pourront avoir subi des dégradations.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Le code de la défense règle ce problème. Nous sommes donc défavorables à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Véran, ministre. Pour les mêmes raisons que la commission, nous demandons le retrait de cet amendement. Le code de la défense prévoit déjà les conditions de restitution des biens réquisitionnés.

M. le président. Monsieur Kanner, l’amendement n° 16 est-il maintenu ?

M. Patrick Kanner. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 16 est retiré.

L’amendement n° 90, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Après l’alinéa 23

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

« 8° prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits rendues nécessaires pour prévenir ou corriger les tensions constatées sur le marché de certains produits ; le Conseil national de la consommation est informé des mesures prises en ce sens ;

« 9° en tant que de besoin, prendre toute autre mesure générale nécessaire limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l’article L. 3131-20.

II. – Alinéa 24

Remplacer la référence :

par la référence :

La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Le propre des crises sanitaires telles que celle du Covid-19 est d’être inédites et de justifier des mesures pouvant l’être également. Si la liste proposée dans le texte de la commission couvre la plupart des mesures qui sont actuellement prises, elle ne saurait pour autant être définitive ni exhaustive. À ce titre, il pourrait être utile de la compléter en prévoyant la possibilité d’adopter des mesures de contrôle des prix, à l’instar de celle qui a été prise par le biais du décret du 5 mars 2020 relatif au prix de vente du gel hydroalcoolique. Je le rappelle, cela m’a permis de plafonner le prix de vente de ce produit, qui était en train de décoller dans les pharmacies. Cette mesure a été prise sur le fondement du troisième alinéa de l’article L. 410-2 du code de commerce, sous la forme d’un décret en Conseil d’État après consultation du Conseil national de la consommation. Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, elle pourrait faire l’objet d’un décret simple.

D’autres atteintes potentielles à la liberté d’entreprendre pourraient intervenir. Je pense par exemple à des autorisations, voire des obligations, de fabriquer certains produits, comme le gel hydroalcoolique, par les entreprises dont les chaînes de production peuvent être adaptées en ce sens.

Afin de réduire la difficulté que pourrait poser l’édiction d’une liste strictement limitative, il est donc proposé de conserver la possibilité de prendre des mesures autres que celles qui y figurent. Le Gouvernement pourrait être amené à prendre dans l’urgence des mesures de régulation extraordinaires dans le champ de l’exercice du commerce, de manière à garantir l’accès à des produits absolument nécessaires d’hygiène ou de santé pour l’ensemble des Français. L’idée est de conserver suffisamment de fluidité et de souplesse pour ne pas perdre une minute. Il a tout de même fallu vingt-quatre heures pour mettre en application de façon opérationnelle la décision que j’avais prise de plafonner le prix du gel hydroalcoolique. Nous serons probablement amenés à prendre d’autres mesures de cet ordre dans les prochaines semaines. Le Gouvernement vous demande de simplifier la procédure pour que nous puissions simplifier la vie des soignants et des Français.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Je reconnais la valeur des intentions du Gouvernement, mais je dissocierai l’avis que je donnerai sur le 8° de celui que j’exprimerai sur le 9° du texte de l’amendement.

Sur le 9°, l’avis est défavorable. Nous avons fait un gros effort pour établir la liste des catégories d’actes limitant drastiquement un certain nombre de libertés, comme la liberté d’aller et venir ou la liberté du commerce et de l’industrie, que le Gouvernement peut prendre. À nos yeux, il existe une exigence constitutionnelle, qui est aussi une exigence républicaine, consistant à faire en sorte que l’on ne puisse pas utiliser des pouvoirs exorbitants du droit commun sans que le législateur ait circonscrit les catégories de mesures pouvant être prises dans ce cadre. Or le 9° du texte de l’amendement vise à ajouter une nouvelle catégorie à celles que nous avons définies en faisant référence à « toute autre mesure générale nécessaire ». C’est précisément ce que nous avons voulu éviter !

Si vous nous aviez proposé une disposition d’encadrement des prix de vente telle que celle que vous avez prise pour les gels désinfectants, nous aurions pu l’accepter.

Par conséquent, monsieur le ministre, si vous voulez emporter le morceau sur le contrôle des prix, rectifiez votre amendement en supprimant le 9°. À défaut, l’avis de la commission sera défavorable.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Je me permets de persister et de signer. J’ai besoin d’un dispositif souple. Des recherches thérapeutiques d’importance majeure sont conduites dans notre pays et à l’étranger. Je n’exclus pas de devoir être amené à demander la mise en œuvre de manière très réactive d’un dispositif de licences d’office ou de plafonnement du prix de médicaments, par exemple. Je sais que certains sénateurs sont très sensibles à ce sujet.

M. Philippe Bas, rapporteur. C’est possible dans le cadre du dispositif du 8° !

M. Olivier Véran, ministre. Non, il ne suffit pas, je vous le garantis. Sinon, j’aurais volontiers cédé face à votre argumentaire.

Imaginons que l’efficacité d’un produit expérimenté soit démontrée, qu’il puisse être fabriqué en France, mais que les brevets appartiennent à des entreprises chinoises ou américaines, par exemple. Dans ce cas, la mécanique légistique pour déclencher la production et faire un séquestre afin d’éviter que les médicaments ne sortent du pays est extrêmement complexe. Nous allons perdre du temps.

J’y insiste, nous sommes dans une situation exceptionnelle, qui nous oblige à prendre des dispositions exceptionnelles. Nous n’avons aucune intention d’abuser d’un tel pouvoir pour sortir du champ sanitaire. Simplement, des dispositifs légistiques trop complexes nous feront perdre du temps.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. Monsieur le ministre, croyez-le bien, je vous aurais volontiers aidé si, au lieu de prévoir une sorte de rubrique « pleins pouvoirs », vous aviez fait l’effort de définir plus précisément quelles étaient vos intentions. Vous les avez parfaitement exprimées oralement à l’instant, mais vous ne les avez pas traduites dans votre texte.

Par conséquent, puisque vous ne voulez pas le rectifier, j’émets un avis défavorable sur la totalité de votre amendement. J’espère d’ailleurs que, comme vous l’avez fait ces quinze derniers jours, vous trouverez dans l’arsenal juridique les ressources nécessaires pour pouvoir agir vite dans les domaines où vous voulez le faire. Si vous aviez rédigé votre amendement de manière à traduire clairement dans le droit votre intention, à laquelle je souscris, l’avis aurait été favorable.