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Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous remercie d’excuser l’absence du président du Sénat, qui assiste au même moment, à Puy-Guillaume, à la cérémonie d’hommage à notre ancien collègue Michel Charasse.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site internet du Sénat et sur Facebook.
Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.
référendum d’initiative partagée sur aéroports de paris
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. Fabien Gay. Monsieur le Premier ministre, plus d’un million de personnes soutiennent un référendum sur le projet de privatisation d’Aéroports de Paris.
Après le scandale des autoroutes et avant celui des barrages hydroélectriques, les Français restent opposés majoritairement au bradage de leur patrimoine commun.
Ainsi, 248 parlementaires de tous bords – c’est inédit – se sont associés pour déclencher la procédure du référendum d’initiative partagée (RIP).
Plus d’un million de personnes soutiennent cette initiative, malgré un site internet complexe, digne du Minitel, malgré une information officielle inexistante, malgré un black-out médiatique assourdissant, sans comparaison avec les millions d’euros d’argent public déboursés pour privatiser la Française des jeux ou organiser le grand débat, et malgré le mépris affiché par le Président de la République, qui n’a pas daigné recevoir les parlementaires signataires.
Pourtant, ce soutien apporté par plus d’un million de personnes est une grande victoire démocratique.
Le Président de la République, à l’issue du grand débat national, avait promis d’abaisser le seuil du RIP à un million de soutiens. Nous y sommes !
Monsieur le Premier ministre, vous aviez promis de ne pas toucher à la retraite à 62 ans et vous êtes en train de faire passer au forceps une loi qui va faire travailler les Français au minimum jusqu’à 65 ans. Et là, nous sommes un million de soutiens, et vous envisagez de ne pas organiser le référendum !
Pour redonner confiance en la politique, il est important de tenir ses engagements. Car, si la Constitution ne vous y oblige pas, l’engagement présidentiel vous y invite.
Aussi, plutôt que d’utiliser le 49-3 pour étouffer la colère sociale et bâillonner l’opposition parlementaire sur les retraites, êtes-vous prêt à proposer au Président de la République d’utiliser l’article 11, alinéa 1 de la Constitution, pour donner la parole au peuple français sur la privatisation d’Aéroports de Paris ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur, j’entends votre question et les remarques qui l’accompagnent, et je ne vous cache pas que je suis un peu surpris par votre lecture du droit actuel.
Vous êtes législateur – c’est éminemment respectable –, et je peux imaginer que, en tant que tel, mais aussi en tant que citoyen, d’ailleurs, vous êtes soucieux de respecter la loi, que celle-ci soit ordinaire ou constitutionnelle.
Or, au travers des éléments que vous avez portés à la connaissance du Sénat et qui accompagnent la question que vous posez au Gouvernement, vous faites une lecture que je crois inexacte de la loi constitutionnelle.
En premier lieu, il ne vous a pas échappé que la procédure dite « du RIP » exige, pour être mise en œuvre – je parle de mémoire et j’espère ne pas être imprécis –, la signature de plus de 4 millions de citoyens.
Mme Éliane Assassi. 4,7 millions !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Ce sont donc environ 4,7 millions de citoyens qui doivent signer.
Vous vous êtes engagé avec ferveur dans une campagne qui consistait à faire signer cette pétition par nos concitoyens et, avec les parlementaires à l’origine de cette procédure, vous avez réussi à obtenir un million de signatures.
M. Fabien Gay. C’est une grande victoire !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous pouvez parfaitement estimer que c’est une grande victoire, mais, pour ma part, je peux parfaitement constater – c’est un fait – que vous êtes loin, très loin du seuil de déclenchement prévu par la Constitution, ou plus exactement par la loi organique.
Mme Éliane Assassi. Nous le savons !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur, pour aller jusqu’au bout de ma réponse, je me permets de vous dire que, quand bien même vous auriez obtenu ces 4,7 millions de signatures, cela n’aurait pas impliqué immédiatement – vous le savez parfaitement, car vous êtes un législateur assidu – l’examen, sur le fondement de l’article 11 de la Constitution, d’une proposition de loi constitutionnelle.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas la question !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cela aurait imposé, ou plus exactement invité à l’organisation d’un débat parlementaire. Et c’est en l’absence d’un tel débat qu’il y aurait référendum. (M. Fabien Gay s’exclame.)
Monsieur le sénateur, j’essaie de vous répondre, et je le fais d’ailleurs avec beaucoup de plaisir. (Rires. – M. Martin Lévrier applaudit.) C’est vrai ! N’y voyez aucune offense : j’aime le débat et je vous réponds avec plaisir !
Je crois, et je me permets de vous l’indiquer, que votre lecture de ce dispositif constitutionnel n’est pas correcte et ne correspond pas à la façon dont il s’applique.
Par ailleurs, vous avez affirmé que le projet de loi que nous portons sur les retraites avait pour effet d’augmenter l’âge de départ à la retraite.
M. Fabien Gay. Je le maintiens !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je me permets, là encore, puisque vous êtes un législateur assidu et précis, d’indiquer que l’engagement que nous avons pris de ne pas modifier l’âge légal sera tenu. (Marques d’ironie sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
Je le dis d’autant plus volontiers que les réformes précédentes ont déjà eu pour objet de faire cotiser les Françaises et les Français plus longtemps avant de partir à la retraite.
Mme Éliane Assassi. Nous n’en sommes pas responsables : nous les avons combattues !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Reconnaissez-le, c’est une pratique intéressante, peut-être plus discrète, mais pas forcément beaucoup plus respectable, à mon sens.
Monsieur le sénateur, il y a un débat parlementaire à l’Assemblée nationale et, demain, il y aura un débat parlementaire au Sénat sur la retraite. Tant mieux !
J’ai eu l’occasion d’indiquer que, dans ce cadre, je ferai usage de l’ensemble des prérogatives qu’offre à un chef de gouvernement la Constitution, comme je suis certain, monsieur le sénateur, que, de votre côté, vous ferez usage de toutes les prérogatives qu’elle vous offre. Et c’est tant mieux : cela s’appelle la démocratie, et c’est très sain. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)
politique agricole commune
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, jeudi dernier, le ministre de l’agriculture nous annonçait ici qu’un accord européen avait été obtenu pour un budget de la politique agricole commune (PAC), maintenu à 375 milliards d’euros. Il nous disait même que son objectif était désormais d’obtenir 380 milliards d’euros… En fait, aucun accord n’a été trouvé, et les négociations ont été suspendues. Bref, tout reste à faire !
Deux questions politiques essentielles demeurent sans réponse.
Tout d’abord, quel est l’objectif du Président de la République pour la part française de la PAC ? Depuis 2014, celle-ci est de 9 milliards d’euros par an. Cette somme doit être l’ambition minimale de la France pour ses agriculteurs et les territoires ruraux.
Ensuite, quelle PAC voulez-vous ? Le principe de subsidiarité pourrait accroître les distorsions de normes de production entre les États membres, tout en détruisant ce qui reste de commun à notre politique agricole européenne.
Quelles orientations entendez-vous donner au plan stratégique national de la France que vous allez soumettre à la Commission ?
Sur le verdissement, quelles seront vos priorités ? Et comment allez-vous les articuler avec le Green New Deal de la présidente de la Commission européenne ? Envisagez-vous un renforcement de la conditionnalité des aides ? Souhaitez-vous développer des outils novateurs, comme les paiements pour services environnementaux rendus par les agriculteurs à la société dans son ensemble ?
Monsieur le ministre, sur ces questions qui conditionnent son avenir, le monde agricole attend des réponses claires. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – MM. Éric Bocquet, Henri Cabanel et Jean-Marc Gabouty applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des affaires européennes.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, comme tous les membres du Gouvernement, je suis allée au salon de l’agriculture. Tous, nous disons aux agriculteurs et aux agricultrices de France la même chose : ils sont essentiels pour nourrir la France, et nous nous battons pour eux sur le front européen.
Nous nous battons effectivement pour que l’enveloppe française de la PAC ne baisse pas et pour que nos agriculteurs ne soient pas ceux qui financent le Brexit.
Le plus fort gage de confiance que l’on peut leur donner, c’est que nous nous refuserons à donner notre accord à tout budget européen qui ferait baisser l’enveloppe dont nous disposons. Nous ne pouvons pas demander plus à nos paysans et leur donner moins de moyens !
Nous n’accepterons jamais une baisse de revenus pour nos agriculteurs : c’est l’engagement du Président ; c’est celui du Gouvernement.
La PAC, ce n’est pas trop cher, ce n’est pas has been, c’est essentiel pour le projet européen que nous voulons, un projet de puissance, un projet de souveraineté alimentaire, un projet de transition écologique. Nous sommes donc fiers, et je crois que nous devons le rester, de produire en Europe des produits de qualité. C’est une mission extrêmement importante, et nous devons donner aux agriculteurs les moyens d’y parvenir.
Trois points sont encore en discussion, sur lesquels Didier Guillaume mène la négociation.
Premièrement, il s’agit de la régulation des marchés, plus que jamais actuelle face aux États-Unis, après le Brexit. Nous devons conserver l’équilibre que propose la Commission entre ceux qui veulent moins de régulations et ceux qui en veulent davantage.
Deuxièmement, il s’agit du verdissement, c’est-à-dire de l’architecture environnementale. Sur ce point, il reste du travail.
Nous avons trois souhaits : tout d’abord, dans le cadre de cette politique agricole commune, que les éco-schémas soient obligatoires pour tous les pays, que tous s’engagent dans la transition, tout comme nous voulons renforcer les conditionnalités vertes ; ensuite, que soient prévues de vraies incitations, pour permettre aux agriculteurs de renforcer la compétitivité de leurs exploitations, car il n’y aura pas de transition si celle-ci n’est pas économiquement viable ; enfin, que soit simplifié le modèle de mise en œuvre, car, s’il est trop compliqué, les agriculteurs ne peuvent pas s’engager.
Une année de transition est prévue avant d’entrer réellement dans cette nouvelle PAC. Ce ne sera pas une année blanche. Ce sera une année destinée à nous éviter de prendre du retard, pour donner corps ensuite à nos ambitions. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.
M. Franck Montaugé. Madame la secrétaire d’État, je comprends que l’objectif est au minimum de 9 milliards d’euros. Nous prenons acte, et date !
La retraite à 85 % du SMIC pour les anciens, que vous avez rejetée ici par un vote bloqué, les suicides, les transmissions et le renouvellement des générations, la régulation du foncier, les zones non traitées (ZNT), qui restent un problème pour tout le monde, la ressource en eau, les revenus des agriculteurs, que la loi Égalim n’a absolument pas augmentés, et qu’elle a même dégradés pour certains : les difficultés demeurent, nombreuses, et vous n’y avez pas du tout répondu.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Franck Montaugé. Donnons à l’agriculture, à ses femmes et à ses hommes, la reconnaissance qu’ils méritent et les moyens de vivre décemment. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – MM. Jean-Paul Émorine et Gérard Dériot applaudissent également.)
négociation du futur budget européen
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, vous comprendrez que, compte tenu des enjeux dans nos territoires ruraux, ma question soit quelque peu similaire à celle que vient de poser notre collègue.
Les discussions lors du sommet extraordinaire européen consacré à la négociation du cadre financier pluriannuel ont montré, une fois encore, la complexité de la tâche. L’Union européenne va vraisemblablement devoir gérer de front les négociations avec le Royaume-Uni et celles du budget européen pour la période 2021-2027.
La concomitance de ces situations entraîne des risques pour le financement des programmes. Je pense particulièrement au financement de la PAC, cette politique agricole commune que, comme vous, madame la secrétaire d’État, nous souhaitons forte, réformée, juste et, surtout, financée à la hauteur de nos ambitions, car elle est indissociable de nos territoires.
Les sénateurs de l’Aveyron que nous sommes, Jean-Claude Luche et moi-même, ne peuvent que vous transmettre les craintes de nos agriculteurs et de nos concitoyens, bien conscients des enjeux des prochains mois.
La baisse de 13 % du budget de la PAC, avec une répartition insatisfaisante entre les deux piliers dans la proposition que le président du Conseil européen avait mise sur la table le 14 février dernier, n’était pas acceptable pour nos territoires. Et je sais que vous partagez ce point de vue.
Les 12 milliards d’euros en moins par an dans le budget à la suite du départ des Britanniques, ainsi que l’entêtement des États dits « frugaux » à ne pas dépasser 1 % du revenu national brut nous semblent déboucher sur une impasse.
L’espoir, quant à lui, semble se diriger désormais vers une contre-proposition comme réponse à la crise.
La PAC ne peut définitivement pas être une mesure d’ajustement. Chateaubriand disait : « La vieille Europe, elle ne revivra jamais ; la jeune Europe offre-t-elle plus de chances ? » Cette phrase trouve un nouvel écho aujourd’hui.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous détailler les options qui s’offrent à nous, afin de financer ambitieusement la nouvelle PAC, de permettre à l’Union européenne d’offrir, demain, toutes les chances possibles à nos agriculteurs et de défendre notre alimentation ? Car avoir une PAC forte, c’est avoir une Europe forte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des affaires européennes.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, effectivement, jeudi et vendredi dernier, nous avions beaucoup à faire : nous devions décider vite, pour nous donner des moyens à la hauteur de nos ambitions, s’agissant non seulement de l’agriculture – je vais y revenir –, mais aussi d’autres priorités que nous défendons.
Cela n’a pas pu être fait. Nous le regrettons et nous continuons à travailler.
Il faut tirer des leçons de ce Conseil, il faut profondément changer de méthode, il faut repenser notre méthode de travail. Nous ne pouvons pas, au sein de l’Union, décider de crise en crise et laisser des blocs s’affronter. Notre puissance, notre force, c’est notre union, et quand nous organisons la division ou la laissons s’organiser, c’est l’impuissance qui gagne.
Nous avons trois priorités avec ce budget européen.
Tout d’abord, la politique agricole commune. Je l’ai dit, nous ne pouvons pas demander à nos agriculteurs de faire plus avec moins de moyens.
Ensuite, nous voulons de nouveaux instruments de souveraineté, comme le Fonds européen de la défense.
Enfin, nous voulons réformer le financement, parce que la solution, ce n’est pas de sacrifier l’agriculteur français pour faire plaisir au contribuable néerlandais, ou de sacrifier l’élu local d’outre-mer pour financer la défense européenne. Cela n’a pas de sens !
Nous devons, en revanche, augmenter nos ressources et trouver de nouveaux leviers de financement, pour que nous puissions investir en complément des contributions nationales. Si nous disposons des mêmes moyens qu’il y a vingt ans, nous aurons les mêmes politiques qu’il y a vingt ans. Or nous avons de nouvelles ambitions, qu’il faut financer.
Comment faire ? En taxant ceux qui bénéficient du marché européen et des politiques européennes, mais qui, aujourd’hui, n’y contribuent pas. Il est hors de question d’augmenter les impôts, et personne ne souhaite le faire.
Toutefois, des possibilités s’offrent à nous aujourd’hui : nous pouvons taxer le carbone aux frontières, les émissions de carbone, le plastique non recyclé, les géants du numérique. (Marques de scepticisme sur les travées des groupes Les Républicains et SOCR.)
M. Martial Bourquin. Chiche !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Ces taxes sont cohérentes avec nos objectifs politiques, avec l’écologie, avec la justice sociale, avec la protection des Européens. Ce sont de nouvelles ressources, ce sont des armes politiques pour l’Europe. Ces acteurs bénéficient de l’Europe, mais ils n’y contribuent pas. Nous pensons qu’il y a là une voie à suivre pour financer nos agriculteurs et notre développement. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants.)
article 44 du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Raison. Ma question s’adresse au ministre de l’agriculture.
Nous avons remis un rapport d’information sur la loi Égalim, adopté à l’unanimité le 30 octobre 2019. À la suite de cette adoption, le président du groupe de suivi, Daniel Gremillet, a déposé une proposition de loi pour, modestement, corriger quelques effets pervers de cette loi en matière d’encadrement des promotions.
Malgré le vote unanime en séance de cette proposition de loi, le ministre de l’agriculture, avec une logique que l’on pourrait comprendre, s’est arc-bouté contre celle-ci, expliquant qu’il fallait attendre l’issue de l’expérimentation, à la fin de 2020.
Même si je suis en désaccord sur le fond, compte tenu de l’urgence, on pourrait en comprendre la logique. Là où cela se complique, c’est quand nous découvrons l’article 44 du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), par lequel le Gouvernement demande au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnance toute mesure nécessaire afin de prolonger de trente mois la durée de cette expérimentation, et ce sans explication. (Marques d’indignation sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Trente mois !
M. Michel Raison. Monsieur le Premier ministre, on a souvent du mal à saisir la logique de votre gouvernement. Ma question est simple : je voudrais la comprendre dans ce cas précis. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Raison, je vous remercie de cette question, qui met en valeur l’intérêt porté sur ces travées au rééquilibrage des relations commerciales entre les agriculteurs, les industriels et la grande distribution.
Nous procédons progressivement à ce rééquilibrage avec la loi Égalim et l’expérimentation que vous mentionnez.
Ce matin au salon de l’agriculture (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), j’ai rencontré les représentants de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et des filières du lait, du bœuf, du porc, des céréales et de la bière, pour ne citer qu’eux.
Tous m’ont dit qu’ils souhaitaient voir cette expérimentation prolongée, parce qu’elle faisait bouger les lignes et que, pour la première fois, certains d’entre eux étaient en mesure de négocier des accords sur cinq ans, chose qu’ils n’avaient pu faire depuis dix ans. (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. On ne doit pas voir les mêmes !
M. François Bonhomme. Vous vous contentez de lire ce qui est écrit sur votre fiche !
M. François Patriat. Laissez s’exprimer Mme la secrétaire d’État !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Ils m’ont rapporté que les ambiances dans les box avaient évolué fort favorablement et qu’il se passait quelque chose dans leur filière.
Tous reconnaissent aussi qu’il faut aller plus loin, et c’est ce que nous allons faire. Il faut pour cela disposer de l’évaluation de l’expérimentation que nous avons menée. Vous le savez comme moi, les deux économistes chargés de cette évaluation rendront leur rapport à la fin du mois de septembre prochain.
L’expérimentation prévue dans la loi Égalim se termine le 31 décembre. Il nous faut donc du temps – c’est ce que prévoit le projet de loi ASAP –, pour ajuster cette expérimentation.
Nous aurons d’ailleurs le loisir d’en discuter, puisque vous commencez l’examen de ce projet de loi en commission tout à l’heure et en séance publique la semaine prochaine.
Enfin, je partage l’idée qu’une évolution du droit est peut-être souhaitable dans certaines situations, notamment pour la filière foie gras.
M. le président. Il faut conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. En tout état de cause, soyez assuré de notre détermination, au service des agriculteurs et de la filière. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, pour la réplique.
M. Michel Raison. Madame la secrétaire d’État, nous ne devons pas écouter de la même façon les représentants des agriculteurs, ni surtout les agriculteurs eux-mêmes.
Toutes les sénatrices et tous les sénateurs dans cet hémicycle côtoient des agricultrices et des agriculteurs chaque semaine. Or ces derniers ne sont pas dupes de la communication réalisée autour de la loi Égalim. Ils savent bien que, si le cours du lait est légèrement remonté en 2019, ce n’est pas grâce à ce texte.
Toutefois, je prends note, madame la secrétaire d’État, que vous souhaitez malgré tout tenir compte des travaux du Sénat sur le foie gras, mais aussi sur d’autres produits. Il aurait certes été plus simple d’adopter notre proposition de loi, mais peut-être le Gouvernement aurait-il été vexé que ce soit le Sénat qui rectifie un défaut de la loi ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SOCR, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et CRCE.)
pandémie du coronavirus et dépendance envers les médicaments fabriqués en chine
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour le groupe Union Centriste.
M. Loïc Hervé. Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Monsieur le ministre, l’inquiétude de nos compatriotes grandit d’heure en heure à mesure que le risque d’une épidémie mondiale se fait jour.
Élu de la Haute-Savoie, département touché désormais à plusieurs reprises par des cas de coronavirus, mais aussi frontalier de l’Italie, j’ai été le témoin de la force de notre système de santé, notamment de l’hôpital public. Nous vous soutenons, unanimement je crois, quand, face à cette propagation, vous annoncez le déploiement d’un plan d’urgence national.
Si notre économie et notre industrie sont déjà touchées, le spectre du coronavirus dévoile également un autre aspect, tout aussi important à mes yeux, à savoir la fragilité et l’interdépendance de notre économie mondiale,…
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. Loïc Hervé. … au centre de laquelle se trouve désormais la Chine.
En effet, l’industrie pharmaceutique est fortement affectée par la délocalisation d’une grande partie de sa chaîne de production. Selon l’Académie nationale de pharmacie, quelque 80 % des principes actifs pharmaceutiques utilisés en Europe sont fabriqués hors de l’espace économique européen, et pour une grande partie en Asie.
Monsieur le ministre, quelles mesures entendez-vous prendre pour assurer la couverture des besoins pharmaceutiques en France et rassurer tant nos concitoyens que les professionnels de santé ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Hervé, je vous remercie de votre question. Vous avez rappelé la lutte menée par la France et de nombreux autres pays qui sont en proie à la menace épidémique liée au coronavirus.
Je vous remercie d’avoir également rappelé le rôle essentiel que joue chaque jour l’ensemble des soignants sur notre territoire, mais aussi ceux qui sont en première ligne – les pompiers, les ambulanciers et les agents de sécurité –, dont le travail a permis, jusqu’à présent, de confiner les cas confirmés sur le territoire national.
Vous me posez une question spécifique sur l’accès aux médicaments.
Tout d’abord, sachez que l’Agence nationale de sécurité du médicament a été saisie pour déterminer si, du fait de l’épidémie de coronavirus, certains médicaments pourraient venir à manquer. À ce stade, l’agence nous assure qu’il n’y a aucun problème de pénurie ou d’accès à des médicaments essentiels, que ce soit dans la lutte contre le coronavirus ou pour la prise en charge de maladies aiguës ou chroniques.
Cela étant, il est inutile de se voiler la face : depuis plus d’une décennie, les pénuries de médicaments augmentent chaque année dans notre pays, du fait notamment, vous l’avez indiqué, monsieur le sénateur, de la désindustrialisation qui touche le secteur pharmaceutique, non seulement en France, mais, plus largement, en Europe.
Pour pallier ces pénuries, des mesures actives et efficaces ont été adoptées par le Parlement, notamment l’obligation de constituer un stock de quatre mois pour tous les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur sur le territoire européen.
Il faut toutefois aller au-delà, vous l’avez dit, monsieur le sénateur, en réimplantant des usines de fabrication de médicaments en France et en Europe.
Nous devons mener cette réflexion à l’échelon européen. J’ai abordé cette question avec mes homologues européens de la santé hier lors de mon déplacement à Rome et au G7 la semaine dernière. Nous allons poursuivre cette discussion dans les jours, les semaines et les mois à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – Marques de scepticisme sur les travées du groupe Les Républicains.)