M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, et le Gouvernement d’une durée équivalente pour y répondre.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Vous avez bien présenté les perspectives de l’Union européenne en matière de politique spatiale et les défis auxquels nous sommes confrontés en tant que Français et Européens. Il s’agit d’un sujet à la fois passionnant et essentiel, qui peut être un puissant levier de mobilisation des énergies et d’adhésion populaire. L’Europe a raison de s’en saisir, comme elle l’a annoncé il y a quelques mois, pour des raisons stratégiques.
Ce que l’on comprend à la lumière du rapport de la commission des affaires européennes, c’est que le spatial devient de plus en plus un enjeu de souveraineté pour les Européens.
La France reste une puissance spatiale qui compte, avec un budget de la recherche et un budget du CNES (Centre national d’études spatiales) parmi les grands budgets mondiaux ; grâce aussi, rappelons-le, au site de lancement de Kourou, en Guyane, qui fait de notre pays le seul État européen à disposer d’une capacité de lancement autonome.
Le niveau européen n’est pas en reste, puisque le budget de l’Agence spatiale européenne est l’un des premiers au monde. Plusieurs États européens y participent, membres de l’Union européenne ou non, notamment par le biais d’Eumetsat, agence spécialisée dans les satellites météorologiques. Les Européens ont à leur actif la réalisation de missions d’exploration spatiale remarquables, à l’instar de Rosetta.
Dans ce contexte, madame la ministre, comment l’Union européenne envisage-t-elle d’associer les territoires au développement de sa politique spatiale dans les années à venir ? Par exemple, Bordeaux Métropole préside cette année la Communauté des villes Ariane, qui regroupe responsables locaux, industriels et citoyens pour le développement de projets spatiaux. Quelle est l’action de l’Union européenne et du Gouvernement français dans ce cadre ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Requier, l’Agence spatiale européenne et la Commission européenne veillent aux retours sur engagements financiers ; c’est le cas, notamment, au sein de l’ESA.
Dans le cadre de cette dernière, le Gouvernement français plaide pour que le retour géographique soit conçu de façon globale, et pas obligatoirement mission par mission. Cette approche permettra de renforcer la compétitivité des entreprises, dans la mesure où un retour à l’échelle de chaque mission complique l’organisation industrielle. Il s’agit d’une demande récurrente d’ArianeGroup, de même que la préférence européenne. Comme vous le savez, ce groupe dispose de très nombreux sous-traitants en France, qui participent à la dynamique de nos territoires.
Le CNES également s’engage fortement en faveur de l’ensemble des territoires ; la communauté Ariane, qui regroupe seize villes, est au cœur de ses préoccupations.
Au niveau de l’Union européenne, nous avons beaucoup travaillé sur la préférence européenne, consistant à favoriser l’utilisation des lanceurs européens pour l’ensemble des satellites financés par les budgets des États membres. Ce principe a fait l’objet d’un vote favorable du Bundestag, dernière étape à franchir pour affirmer cette notion essentielle pour la viabilité de nos lanceurs, Ariane 6 et Vega C.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour la réplique.
M. Jean-Claude Requier. Merci de votre réponse, madame la ministre. L’Europe a besoin de faire rêver ! Peut-être la politique spatiale est-elle un moyen de faire rêver Français et Européens. En tout cas, quand on est là, on a la tête dans les étoiles… (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. De récents et excellents rapports de la Haute Assemblée sur la politique spatiale européenne le démontrent : avec l’arrivée du New Space, c’est-à-dire des nouveaux acteurs que vous avez cités, madame la ministre, tels SpaceX, qui cassent les prix de l’accès à l’espace, le spatial européen va au-devant d’une crise profonde.
Bien sûr, nous pouvons toujours nous féliciter des réalisations remarquables de l’Europe en matière spatiale, Galileo et Copernicus en tête ; elles sont indéniables, mais, si nous ne réagissons pas, elles pourraient bien s’apparenter au chant du cygne. Face à l’émergence du nouveau modèle spatial américain, la politique spatiale européenne doit se réinventer, économiquement mais aussi institutionnellement.
De fait, le cadre institutionnel actuel, qui a permis au spatial européen de devenir l’un des meilleurs du monde, est aujourd’hui obsolète. Depuis le traité de Lisbonne, de 2009, l’espace est une compétence partagée entre l’Union européenne et les États membres. Mais c’est l’Agence spatiale européenne, l’ESA, créée en 1975, qui est l’opérateur central du spatial européen. Or cette organisation internationale intergouvernementale repose sur le principe de l’unanimité.
De plus, l’ESA est fondée sur la règle du retour géographique, en vertu de laquelle toute somme investie par un État membre dans un projet de l’Agence est dépensée dans l’industrie spatiale de ce pays : 1 euro investi rapporte 1 euro. Ce fonctionnement est totalement contraire aux principes de l’Union européenne !
Madame la ministre, étant donné que c’est le maintien de notre autonomie d’accès à l’espace qui est en jeu, n’est-il pas temps de procéder à un big-bang institutionnel consistant à basculer la gouvernance du spatial européen de la coopération vers l’intégration ? N’est-il pas temps que l’Union européenne absorbe l’ESA ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Oui, monsieur le sénateur Kern, les temps ont changé : la prédominance qu’avaient la France et l’Union européenne dans le domaine des lanceurs est aujourd’hui mise au défi par d’autres compétiteurs que ceux auxquels nous étions habitués.
Évidemment, nous ne sommes pas restés les bras ballants. Nous avons créé une nouvelle force, ArianeWorks, qui réunit les meilleurs ingénieurs d’ArianeGroup et du CNES pour penser l’innovation, les lanceurs et les moteurs du futur, comme le moteur réutilisable Prometheus. Il s’agit de penser différemment des briques technologiques pour préparer l’avenir des lanceurs. Nous devons absolument poursuivre dans cette voie pour rester dans la course à l’innovation.
Le retour géographique au sein de l’ESA permet à de nombreux pays européens d’avoir un récit commun autour de l’espace, lequel contribue, comme M. Requier l’a souligné, à construire une histoire européenne. Néanmoins, je le répète, nous travaillons à mettre davantage ce principe au service de la compétitivité.
L’Union européenne fixe ses priorités, que l’ESA a pour rôle de mettre en œuvre. Ainsi, lors de la conférence ministérielle de Séville, ce sont bien les États membres de l’Agence qui ont donné leurs priorités, en présence de représentants de la Commission européenne, qui a donné les siennes. Après la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, il est essentiel que l’ESA, au sein de laquelle les Britanniques ont investi 1,7 milliard d’euros, puisse poursuivre son action. Il faut que nous continuions à travailler ensemble sur l’ensemble de ces sujets.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Ma question porte sur la militarisation de l’espace, alors que nous sommes confrontés à une nouvelle étape charnière en la matière.
À l’origine, la conquête spatiale a été protégée de la militarisation par le traité de 1967, puis la convention de 1972. Aujourd’hui largement attaquées, ces protections ne sont plus suffisantes : la guerre se déporte de plus en plus vers l’espace, dans l’espace lui-même mais aussi au sol, compte tenu de la dépendance de plus en plus grande des systèmes économiques et des troupes militaires à la géolocalisation.
Toutes les grandes puissances se dotent d’outils sophistiqués : le GPS, Galileo, les Beidou chinois, le Glonass russe. Autant de nouvelles cibles, toujours plus difficiles à défendre.
Alors que ces outils offrent des opportunités nouvelles considérables, que le rapporteur a détaillées, allons-nous accepter comme inéluctable la dérive vers la militarisation de l’espace ? Alors que l’escalade est marquée, notamment, par la création de la Space Army par Washington et, désormais, du corps d’armée spatial français, allons-nous laisser perdurer la réticence du Japon, des États-Unis et de l’Europe à discuter d’un nouvel accord international protégeant l’espace ?
Le Space Act américain de 2015, marquant une rupture unilatérale du traité de 1967, a autorisé les entreprises états-uniennes à s’emparer des ressources spatiales. Aujourd’hui, des acteurs privés majeurs sont subventionnés par le Pentagone, qui y consacre beaucoup d’argent. Pendant ce temps, nous prenons du retard, avec l’assèchement progressif d’ArianeGroup et le manque de soutien budgétaire à l’Onéra.
Ne faudrait-il pas plutôt essayer de stopper cette bataille de la militarisation ? La France est-elle prête à se battre en Europe pour que s’ouvrent des discussions autour d’un nouveau traité, à l’image du traité de désescalade militaire dans l’espace proposé par la Chine ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Laurent, sur la militarisation de l’espace, gardons-nous d’être naïfs. Si nous avons besoin de nous défendre, y compris au niveau de l’espace, c’est parce que certains n’ont potentiellement aucun scrupule à nous attaquer. C’est pourquoi il est très important que la France se dote d’un commandement militaire de l’espace. Nous en avons pris la décision non pour rendre l’espace agressif, mais pour nous mettre en état de répondre à des attaques.
En réalité, la militarisation de l’espace a existé de tout temps : les signaux observés depuis l’espace ont toujours eu des usages variés, y compris militaires.
Plus largement, notre objectif est de réaffirmer que toutes les ressources extraterrestres doivent rester non mercantiles ; nous faisons fortement pression pour que ce principe soit déclaré essentiel.
De même, nous nous battons, j’espère avec succès, sur la question des débris. Nous avons pris conscience, un peu tard, d’avoir parfois exagéré avec notre planète Terre. Nous devons être très attentifs à ne pas commettre la même erreur avec l’espace. D’ailleurs, cette question des débris spatiaux peut aussi être source de développement économique.
Telles sont les deux directions dans lesquelles la France travaille, avec l’Union européenne, pour convaincre l’ensemble de ses partenaires.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour la réplique.
M. Pierre Laurent. Madame la ministre, il n’y avait aucune naïveté dans ma question. Je pense que, si nous nous laissons aspirer vers la militarisation croissante de l’espace en la considérant comme inéluctable, elle mangera les ressources que nous devons consacrer, en France, en Europe et dans le monde, à des usages civils et coopératifs de l’espace. C’est pourquoi des initiatives politiques nouvelles seraient nécessaires. Pour l’heure, malheureusement, je ne vois rien venir…
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. « Le spatial est un succès européen » : telle fut la réponse du commissaire européen Thierry Breton dans son interview du 7 janvier dernier par Les Échos, interrogé sur ses projets pour la prochaine mandature européenne de cinq ans.
Oui, le spatial est un succès, qui touche à de multiples questions : défense, budget, industrie, souveraineté, compétitivité, identité. Mais, de plus en plus, le spatial est aussi une question de pollution – Mme la ministre vient de l’évoquer. En effet, voilà des décennies que nous lançons fusées, satellites et autres engins qui restent en orbite, basse ou géostationnaire, autour de la Terre. Si bien que, désormais, on peut parler de déchets spatiaux et de pollution spatiale.
Alors que l’Union européenne s’est dotée d’un paquet législatif pour donner de la circularité à son économie, elle devra, tôt ou tard, se pencher sur l’écocircularité des déchets qui gravitent à des milliers de kilomètres au-dessus de nos têtes.
D’autant que le problème se pose aussi sur le plan de la sécurité : comme l’a fait remarquer l’astronaute Thomas Pesquet, plus de 750 000 objets mesurant entre un et dix centimètres et plus de 130 millions de débris de plus d’un millimètre seraient en orbite autour de la Terre – sans parler des plus gros débris. Les conséquences peuvent être catastrophiques pour l’observation spatiale, mais aussi pour la navigation de nos satellites et fusées.
Dans les années 2010, la France a été l’un des premiers pays – à vrai dire, le seul – à se doter d’une loi traitant des débris spatiaux. Aujourd’hui, des projets européens voient le jour : RemoveDebris, autour de l’enjeu de la désorbitation, et e.Deorbit, qui récupérera le satellite mort Envisat en 2024.
Dans ce contexte, madame la ministre, quel est l’engagement de la France au plan européen, compte tenu de son expérience dans la lutte contre la pollution spatiale ? Le futur programme spatial européen prendra-t-il en compte la limitation et le traitement des débris spatiaux ? (M. Jérôme Bignon applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice Mélot, la question des débris spatiaux est au cœur des préoccupations de toutes les agences nationales comme de l’Agence spatiale européenne et de la Commission européenne.
Nous travaillons sur le réutilisable : j’ai déjà évoqué Prometheus, mais il y a aussi le projet Themis. Par ailleurs, la loi sur les opérations spatiales prévoit une désorbitation obligatoire.
Grâce à de petits moteurs réallumables, il est possible de placer les satellites sur des orbites de manière très précise, mais aussi de désorbiter les satellites en fin de vie, de manière à prévenir l’encombrement de l’espace : c’est un exemple de projets soutenus par l’ESA et la Commission européenne.
Du côté du CNES et des autres agences spatiales nationales aussi, des recherches sont menées qui vont au cœur de cet enjeu.
Il est impératif que nous commencions tout de suite à penser à cette pollution par les débris spatiaux de notre environnement proche. Si les tout petits débris pourront être détruits par leur entrée dans l’atmosphère, il y a des satellites devenus obsolètes. La récupération des gros débris, voire de satellites complets, fait l’objet de développements industriels, notamment au sein de certains de nos grands groupes. Cet enjeu sera d’autant plus important avec le déploiement des constellations et microsatellites, qui accroîtra le nombre d’objets dans notre espace proche.
M. le président. La parole est à M. Antoine Karam.
M. Antoine Karam. Madame la ministre, c’est au tour du régional de l’étape de vous interroger… (Sourires.)
Dans sa résolution du 9 août dernier sur la politique spatiale de l’Union européenne, le Sénat a souligné la nécessité pour l’Union européenne de continuer à disposer d’un accès souverain à l’espace.
Le général de Gaulle, le 21 mars 1964, a déclaré à Cayenne : « Nous avons à réaliser, vous, sur place, et la France avec vous, une grande œuvre française en Guyane. » Cinquante-six ans plus tard, deux satellites asiatiques, l’un sud-coréen, l’autre japonais, ont été mis en orbite voilà deux jours.
Il est plus que jamais nécessaire de consolider l’atout que représente le Centre spatial guyanais. Devenu une réalité, le CSG est à la croisée des chemins, au vu du contexte concurrentiel mondial : il doit impérativement se moderniser et remettre à niveau ses radars et stations de réception pour faire d’Ariane 6, dont le premier vol est prévu pour cette année, un lanceur durablement compétitif, notamment face aux progrès de SpaceX. Il lui faut également préparer la transition vers le réutilisable.
L’accès souverain de l’Union européenne à l’espace suppose de mettre en place une préférence européenne dans le domaine des lanceurs, afin de soutenir les entreprises qui opèrent dans ce secteur. À l’issue du sommet de Toulouse, le 16 octobre dernier, la Chancelière Merkel et le Président Macron ont réaffirmé leur soutien au principe de préférence européenne en ce qui concerne les lanceurs, en particulier pour Ariane 6. Ce ralliement de l’Allemagne semble aplanir les dernières difficultés.
Si je suis un élu guyanais soucieux des retombées du spatial pour mon territoire, je reste conscient que celles-ci reposent nécessairement sur la capacité du CSG à demeurer compétitif. Madame la ministre, peut-on désormais compter avec certitude sur la perspective d’une préférence européenne pour les lanceurs, susceptible de renforcer la compétitivité du Centre spatial guyanais et de consolider notre industrie spatiale ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Vous avez raison de le rappeler, monsieur le sénateur Karam, le Centre spatial guyanais, ou plutôt le port spatial de l’Europe – c’est vraiment comme ça que nous devons toujours le concevoir, afin qu’il continue de concerner l’ensemble des pays européens – dispose d’un budget de 200 millions d’euros, il compte 1 700 salariés et il représente 15 % du produit intérieur brut de la Guyane.
Lors de la dernière conférence ministérielle, à Séville, la France et ses alliés ayant porté l’idée de cette souveraineté dans l’accès à l’espace au travers du port spatial européen qu’est le CSG, un investissement de 100 millions d’euros a été décidé pour moderniser le centre, pour continuer la construction du pas de tir d’Ariane 6 et pour étudier la façon dont le centre spatial de Kourou pourrait être utilisé pour le lancement de microsatellites, même si, en ce qui concerne les microlanceurs, d’autres pays peuvent se positionner.
Ainsi, effectivement, la France, mais aussi l’Europe tout entière veillent à conserver cet accès autonome à l’espace, si important pour notre souveraineté.
Par ailleurs, vous le savez, le CNES joue un rôle très important dans le développement de formations sur le territoire, de façon à ce que, en Guyane, les jeunes puissent participer aux travaux du CSG.
Enfin, pour pouvoir instaurer la préférence européenne, la dernière étape consistait à obtenir un vote positif au Bundestag ; c’est fait, donc plus rien ne s’oppose à une vraie préférence européenne pour les lanceurs Ariane 6 et Vega C. Cela nous mettra dans une situation bien meilleure que ce que l’on observe aux États-Unis, où 100 % des vols institutionnels sont assurés par SpaceX.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Nous sommes entrés dans l’ère des mégaconstellations de satellites. C’est ainsi que, d’ici à 2030, nous pourrions avoir 50 000 satellites de plus en orbite ; or, depuis le début de l’ère spatiale, nous en avons envoyé 8 000. C’est dire sur quelle trajectoire – sans faire de jeu de mots – s’engage la colonisation de l’espace.
Indépendamment de la question fondamentale de la pertinence, du besoin réel, des usages que ces satellites permettront sur notre Terre – il peut, il devrait, y avoir débat là-dessus –, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle entre la dégradation de l’écoumène terrestre et la pollution promise, si ce n’est déjà effective, de l’espace satellitaire.
Il s’agit aujourd’hui d’un espace international peu régulé, et les sujets de préoccupation, si ce n’est d’inquiétude, sont multiples : d’abord, pour la gestion et le pilotage des engins, qui se sont complexifiés depuis l’arrivée en force des acteurs privés sur le marché ; ensuite, pour la préservation de l’espace lui-même contre les débris et les pollutions diverses qu’engendre cette activité en forte croissance.
Pour les orbites basses, inférieures à 600 kilomètres, le nettoyage se fait à peu près naturellement, puisque les engins se consument et se désintègrent en rentrant dans l’atmosphère. En revanche, pour celles qui se situent à 1 200 kilomètres, sans atmosphère, il n’y a pas de redescente.
Ma question, complémentaire de celle de Mme Mélot, est donc simple, madame la ministre : quelle est, s’il y en a une, l’ambition juridique internationale du Gouvernement pour que la France contribue, dans un contexte insuffisamment régulé, à préserver l’espace de toute pollution d’origine terrestre ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Vous avez raison, monsieur le sénateur Montaugé, la question des mégaconstellations doit être abordée avec beaucoup de sérieux ; c’est d’ailleurs ce qui est fait. Ainsi, je l’évoquais précédemment, avec l’ensemble des pays européens, des agences spatiales nationales et européennes et, au-delà, de nos partenaires, nous devons veiller communément à ne pas polluer l’espace. C’est pour cela qu’il est effectivement très important de prévoir des systèmes de désorbitation ; cela fait l’objet de discussions récurrentes.
Vous avez raison, il n’existe pas, à ce jour, de traité international garantissant l’effectivité de cette désorbitation. C’est pourquoi, là aussi, il est très important que nous puissions parler d’espace devant l’opinion publique, que nous puissions rappeler combien il est important de ne pas faire de l’espace une poubelle, parsemée de milliers de microsatellites. Croyez-moi, ce sujet est extrêmement étudié.
Vous posez aussi la question de l’importance et même de l’utilité de ces mégaconstellations. Oui, c’est extrêmement important, et je veux vous donner quelques exemples pour le démontrer, car le maillage que ces constellations constituent est, du point de vue de l’acquisition de données, incomparable par rapport à ce que peuvent produire des satellites de taille normale.
Cela a été rappelé précédemment, c’est ce maillage de microsatellites qui nous permettra d’obtenir des données plus précises de surveillance de la Terre – pollution, atmosphère, montée des océans – et d’apporter des réponses très concrètes. Je pense par exemple à l’indication du moment auquel un agriculteur doit traiter ses cultures, pour minimiser la quantité d’intrants utilisés et faire en sorte que l’impact soit le plus faible possible.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.
M. Franck Montaugé. Je vous remercie, madame la ministre.
Aujourd’hui, les opérateurs privés n’ont pas l’obligation de nettoyer les orbites ni de financer une mission pour redescendre leurs satellites en panne. Pour l’heure, la seule réglementation mondiale véritablement suivie par les opérateurs de satellites est le standard ISO 24113, qui n’est pas opposable juridiquement. Cette norme a pour objectif d’empêcher la création de nouveaux débris dans l’espace.
Il me paraît donc nécessaire, et peut-être intéressant pour notre pays, de construire, en partenariat avec d’autres pays, une industrie de la désorbitation, franco-européenne, par exemple.
M. le président. La parole est à M. Ronan Le Gleut.
M. Ronan Le Gleut. Ma question est relative à la nécessaire simplification de la gouvernance spatiale européenne.
Aujourd’hui, il existe trois piliers. Premier pilier : l’Union européenne, avec la nouvelle direction générale défense et espace, Copernicus et Galileo. Deuxième pilier : l’ESA, l’Agence spatiale européenne, à laquelle participent également des pays non membres de l’Union européenne, comme, depuis le Brexit, le Royaume-Uni, mais également la Norvège, la Suisse et des pays associés tels que le Canada. Troisième pilier : les agences nationales, c’est-à-dire, en France, le CNES mais encore la DGA et le nouveau commandement de l’espace, placé sous l’autorité du chef d’état-major de l’armée de l’air. On voit donc bien que, au travers de tous ces piliers, il y a un manque de synergie, de coordination.
Certes, il existe le conseil Espace, qui veille à rapprocher l’ESA de l’Union européenne, mais cela n’est pas suffisant. Je vais prendre deux exemples pour illustrer mon propos.
Premier exemple : l’exploitation minière de la Lune, décidée par les États-Unis et à laquelle s’associe le Luxembourg, tout cela en dehors des traités internationaux. On voit bien dans ce cas d’espèce qu’il n’y a pas de politique européenne, qu’il n’y a pas de cohérence d’ensemble des pays européens.
Deuxième exemple : l’accès à l’espace. C’est la France qui finance l’accès de l’Union européenne à l’espace ; il n’y a pas de stratégie européenne d’accès à l’espace. En finançant plus de la moitié du budget de l’ESA et au travers de Kourou, on voit bien que c’est la France qui permet l’existence de cette stratégie.
Par conséquent, il est nécessaire que l’on suscite davantage de cohérence, de cohésion, européenne.
Tel est l’objet de ma question ; allez-vous œuvrer en ce sens ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains – MM. Jérôme Bignon et Michel Canevet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur Le Gleut, lorsque l’on veut être efficace, la question de la gouvernance est toujours essentielle. Néanmoins, la gouvernance dont nous sommes en train de parler se décline à des échelons extrêmement différents.
Je le disais, l’Union européenne est un prescripteur, elle ne dispose pas des compétences techniques et scientifiques ni des ingénieurs dont sont dotées les agences européennes et les agences nationales. Il ne faut donc pas confondre la décision politique consistant à porter un projet spatial et la capacité de le mettre en œuvre, qui incombe aux agences nationales et européennes.
Le conseil de l’espace propose au Parlement européen les grandes orientations en matière spatiale ; j’y participe de manière évidemment très régulière.
L’implication de la France dans le budget de l’ESA représente 2,7 milliards d’euros, sur un budget de 14,4 milliards d’euros pour les trois années à venir ; c’est une contribution importante, qui s’ajoute, je l’indiquais, aux contributions annuelles de la France. Nous soutenons évidemment, au travers du budget de l’ESA, le lanceur Ariane 6 et la contribution à la rénovation du port spatial guyanais.
L’important est aussi de soutenir nos industries, et vous savez à quel point la question des lanceurs est, pour la France, l’Allemagne et l’Italie, une question prioritaire. Ce n’est pas un hasard si ces trois pays sont les trois plus gros contributeurs de l’ESA ; c’est parce qu’ils posent ensemble la question de la souveraineté et des lanceurs, dont le retour, pour leur économie, est évidemment majeur.