M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour la réplique.
M. Henri Cabanel. Certes, monsieur le ministre, vous avez stabilisé les chiffres – nous avons d’ailleurs eu un débat sur l’enseignement agricole il y a quelque temps. Il n’en demeure pas moins que le secteur agricole est en baisse au détriment – ou au profit – des services à la personne, qui sont mis en avant dans l’enseignement agricole.
Je note que vous avez engagé un dialogue avec le ministre de l’éducation nationale. Il était important de se pencher sur ce sujet. L’agriculture en a bien besoin.
M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent.
Mme Noëlle Rauscent. La loi Égalim a pour ambition d’améliorer le revenu des producteurs. Force est de constater que les résultats sont pour l’instant insuffisants – vous l’avez d’ailleurs fait remarquer –, en particulier dans certaines filières. J’aimerais ici aborder le cas de la filière bovine.
La mise en œuvre d’une mesure phare de la loi Égalim, à savoir l’inversion de la construction du prix, se heurte, au sein de l’interprofession, au blocage des industriels et de la distribution. L’objectif, qui était de sanctuariser la prise en compte des coûts de production et de ne plus partir de la marge que souhaitent dégager les transformateurs et les distributeurs, n’est manifestement pas atteint.
Certaines organisations représentant les industriels et la distribution utilisent leur droit de veto afin de bloquer les méthodes de calcul ainsi que la prise en compte des coûts de production. Alors qu’est confié aux interprofessions le rôle de rédiger des plans de filière, ces méthodes empêchent toute perspective d’amélioration du revenu des producteurs, à l’instar de nombreuses filières. Aucune contrainte n’est prévue dans la loi, et l’État ne s’est pas doté de véritables moyens de pression.
Monsieur le ministre, quels sont les leviers d’action du Gouvernement pour motiver les interprofessions à mieux s’organiser au profit du producteur ? Comment peut-on remédier à ces blocages pour pouvoir enfin évaluer le potentiel de cette loi Égalim ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Vous posez une question importante, madame la sénatrice Rauscent.
Les États généraux de l’alimentation ont été un vrai succès : tous les acteurs étaient autour de la table et sont convenus de prendre un nouveau départ.
La loi Égalim a donné beaucoup d’espoir. Elle fonctionne globalement bien, mais, pour l’instant, nous sommes en grande difficulté pour l’application du titre Ier. En termes de rémunération des agriculteurs, le compte n’y est pas.
Cette loi prévoit l’inversion de la construction du prix. Cela n’avait jamais été essayé, alors qu’on constate depuis vingt ans que les agriculteurs ne gagnent pas assez bien leur vie. Cette mesure doit permettre d’y remédier.
Les agriculteurs sont les seuls producteurs qui ne fixent pas le prix de leurs produits. Lorsqu’un agriculteur vend son lait ou sa viande à la coopérative, c’est la coopérative qui lui dit combien elle va lui donner à la fin du mois.
Les filières et les OP (organisations de producteurs) ont mis en place leurs propres indicateurs, certes un peu tardivement, mais ils l’ont fait, et nous constatons d’ores et déjà que les prix sont en train de monter. Il faut maintenant que les négociations se passent de manière vertueuse.
La filière bovine est particulière, car son interprofession est complexe. En outre, un opérateur traite à lui seul 75 % des volumes. C’est à la fois un point positif, car il s’agit d’une grande entreprise française, et un sujet de préoccupation, parce que cet opérateur est non pas en situation de monopole, mais prédominant.
De plus, nous produisons beaucoup de steaks hachés, mais quasiment plus de viande maturée. Ainsi, à Paris, par exemple, 85 % des restaurants ne proposent pas de viande française à leurs clients. C’est pourquoi j’ai récemment entrepris un travail avec la restauration hors foyer, les grands groupes et les restaurateurs. S’il ne porte pas ses fruits, c’est que chacun des acteurs n’aura pas joué le jeu du patriotisme alimentaire.
M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent, pour la réplique.
Mme Noëlle Rauscent. Je vous remercie, monsieur le ministre. Il faudra toutefois se pencher de près sur la situation de la filière bovine. L’élevage, comme vous l’avez dit, est recherché par les jeunes, parce que cette filière a un potentiel remarquable, même si, aujourd’hui, la rémunération des producteurs n’est pas suffisante.
S’agissant de la commercialisation, il faudra bien mettre quelqu’un en face de cet opérateur qui représente 75 % du marché.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Si l’action du Gouvernement en faveur de l’agriculture est essentielle au niveau national, elle est primordiale au niveau européen. Les années qui viennent ne feront pas exception.
Alors que les négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel se poursuivent, avec des points de vue bien différents, et que la réforme de la politique agricole commune est également en discussion, l’agriculture constitue un point central où la France doit occuper une place de chef de file.
La Commission européenne a présenté en décembre dernier son pacte vert européen, dans lequel ambition se mêle à réalisation. Nous devrions donc connaître, dès mars 2020, la stratégie « de la ferme à la fourchette », qui sera révélée au même moment que celle pour la biodiversité, ou encore celle sur l’industrie européenne. Autant de sujets que l’Union européenne va devoir gérer en même temps, tout comme le verdissement de la PAC, la neutralité carbone, notre indépendance et notre sécurité alimentaires, l’aide aux agriculteurs, la lutte contre les pratiques déloyales dans le secteur agricole et la transition énergétique, pour ne citer que ces défis dont la liste est bien plus longue.
En somme, les questions agricoles sont au cœur des évolutions européennes. Elles sont à la croisée des chemins de bien des stratégies que l’Union européenne souhaite mettre en place. La question agricole est notre futur commun.
La transition environnementale et énergétique de l’agriculture doit être accompagnée de manière à ce qu’agriculteurs, consommateurs et entreprises du secteur soient en position de relever tous les défis auxquels ils font face.
Monsieur le ministre, dans ce contexte aux multiples challenges, pouvez-vous nous préciser l’action et la position du gouvernement français dans l’articulation indispensable entre la réforme de la PAC, son financement et les exigences principales du nouveau pacte vert européen ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice Mélot, je vous remercie pour votre question très précise.
Nous avons déjà évoqué les chiffres : des négociations sont en cours ; nous verrons ce qu’il en sortira. Du reste, je ne suis pas certain que la négociation de la PAC se termine ce week-end ; elle peut très bien se solder par un échec et reprendre en mars. Quoi qu’il en soit, la volonté de la France est claire : il est absolument indispensable de maintenir, aujourd’hui à vingt-sept, le niveau du budget de la politique agricole commune en euros courants. Tel est le mandat que porte le Président de la République.
Le Green New Deal porté par la présidente von der Leyen et par la nouvelle Commission, ce nouveau pacte vert et la stratégie « de la ferme à la fourchette » constituent une grande évolution. Avec les autres grands États européens, nous considérons que le Green New Deal n’est pas inclus dans la politique agricole commune, mais qu’il vient en plus.
J’en viens à l’évolution de la politique agricole commune. On pense souvent que le premier pilier finance essentiellement des aides à l’hectare pour les gros riches…
M. Bruno Sido. Bah non !
M. Didier Guillaume, ministre. … et que le deuxième pilier finance l’aménagement territorial. Ce n’est pas du tout cela !
M. Bruno Sido. Voilà !
M. Didier Guillaume, ministre. Le premier pilier inclut en effet l’indispensable DPB et l’aide directe aux agriculteurs, qui leur permet de continuer à vivre, mais il inclut également le verdissement – c’est la transition agroécologique que vous évoquiez. Si les éco-schémas qui vont être mis en place représentent 20 % à 30 %, ce sera 20 % à 30 % de verdissement. Il faudra bien sûr aider davantage les entreprises qui iront dans ce sens.
Quant au deuxième pilier, on pense qu’il est traditionnellement celui du verdissement, mais c’est aussi celui du développement économique. Je pense à la DJA (dotation jeune agriculteur), aux aides à l’installation ou au foncier, ou encore au futur système assurantiel pour répondre aux aléas.
Développement économique et verdissement doivent aller ensemble. Ne les opposons pas !
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.
Mme Colette Mélot. Je vous remercie pour ces précisions, monsieur le ministre.
L’agriculture est essentielle et ses défis sont multiples. Comme vous venez de l’expliquer, la réforme de la PAC doit être articulée avec le nouveau pacte vert européen.
M. le président. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Je voudrais évoquer l’application de l’article 44 de la loi Égalim.
L’une des lignes de force du discours tenu par le Président de la République le 13 février dernier au sujet de l’action de la France pour la transition écologique reposait sur la transition agricole au travers d’une logique et d’une action en faveur d’un renforcement significatif de la qualité de nos modèles, tout en préservant notre souveraineté. Cette volonté clairement énoncée a cependant été édulcorée, il me semble, par la perspective d’une mise en application qui doit, en même temps, satisfaire l’ensemble des parties concernées, à l’international comme au niveau européen.
Aujourd’hui, nous constatons régulièrement, à la fois, la mise en place de nouvelles contraintes pour nos agriculteurs et la possibilité offerte à des produits dont les fabricants ne respectent pas nos conditions de production et ne sont pas soumis au même contrat social de franchir nos frontières.
Aussi, cette vision d’ensemble soutenue par le Président de la République ne peut que soulever des inquiétudes. En effet, cela ne signifie-t-il pas une certaine perméabilité à l’idée qu’il faudrait approuver des produits répondant à des normes plus souples et, en définitive, compromettre la santé et la sécurité de tous au profit d’une logique de coopération, notamment en matière de réglementation, qui, justement, ne sert aucunement notre modèle ?
Dès lors, pourriez-vous nous exposer clairement votre façon d’envisager le renforcement de la qualité de nos modèles et préciser ce qu’inclut la notion de souveraineté ?
Pourriez-vous également nous garantir qu’aucune nouvelle mesure franco-française ne viendra alourdir un peu plus la situation du monde agricole confronté à des produits qui ne respectent pas le modèle que nous défendons ?
Enfin, comment abordez-vous l’application concrète de l’article 44 que nous avons introduit dans la loi Égalim, qui interdit la commercialisation de denrées alimentaires ne respectant pas la réglementation européenne ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Kern, un certain nombre d’organisations professionnelles et de syndicats agricoles ont fait leur le mot d’ordre suivant : « N’importons pas l’agriculture que nous ne voulons pas ! » Je fais mienne cette phrase, tout comme le Gouvernement : n’importons pas une alimentation que nous ne voulons pas !
C’est tout le sens du travail que nous menons pour la mise en place de normes équivalentes, avant tout en Europe, évidemment, car 95 % des importations agricoles en France viennent d’États membres de l’Union européenne. C’est sur ce volet que notre travail avec les pays du sud et de l’est de l’Europe doit porter : il faut unifier les normes pour trouver un meilleur équilibre.
Je parlais précédemment de convergence externe, mais nous devons aller beaucoup plus loin en matière de normes sociales et économiques. Tant que nous n’agirons pas dans cette direction, nous n’y arriverons pas. Un poulet en provenance d’Ukraine sera toujours moins cher qu’un poulet produit à Loué, dans les Landes ou à Saint-Sever.
Votre deuxième question porte sur la santé et la réglementation.
Franchement, nous pouvons être fiers de notre système de surveillance en France. Nous pouvons être fiers du travail mené par la DGAL, ainsi que des contrôles de la DGCCRF. Lors de l’épisode de l’arrivée frauduleuse de bœuf polonais en France, par exemple, il ne nous a fallu que trois jours pour récupérer la viande.
La France propose à l’Union européenne de mettre en place une task force – pour le dire en patois alsacien (Sourires.) – capable de conduire des investigations au niveau européen dans tel ou tel abattoir, ou telle ou telle entreprise de tel ou tel pays. Aujourd’hui, je peux vous assurer que tous les contrôles aux frontières que nous menons, dans le cadre du Brexit notamment, nous permettent de maîtriser la situation.
Votre troisième question a trait aux mesures franco-françaises. Même si ce n’est pas moi qui prends les décisions, je peux prendre un engagement, car le Président de la République a été clair sur ce point : pas de nouvelles normes, pas de nouveau boulet au pied de nos agriculteurs. Il faut absolument laisser les choses se faire.
Quant à l’article 44 de la loi Égalim, essayons de l’appliquer le mieux possible. Cela passe d’abord – c’est ma position – par la recherche du meilleur équilibre au niveau européen.
M. le président. La parole est à M. Claude Kern, pour la réplique.
M. Claude Kern. J’ai bien noté votre réponse, monsieur le ministre. Soyez assuré de notre vigilance sur ce dossier : n’importons pas l’agriculture que nous ne voulons pas ! Il est nécessaire de suivre ce mot d’ordre aujourd’hui.
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Monsieur le ministre, permettez-moi d’appeler votre attention sur les difficultés structurelles de la filière viande bovine française.
Nous ne pouvons pas nous résigner au constat d’un marasme économique sans fin. Nous le savons, les causes de celui-ci sont nombreuses. Elles tiennent en particulier au décalage entre l’offre et la demande de viande de bœuf sur le marché français, à l’absence de stratégie de développement pérenne à l’exportation, au long attentisme de l’interprofession, au statu quo du modèle économique des principaux industriels et distributeurs, mais également – je dois le concéder – à l’individualisme de nombreux éleveurs.
Une partie de la solution à ces problèmes structurels réside au niveau européen. Nous devons faire en sorte que la future PAC prenne en compte l’exception agricole au regard du droit de la concurrence, sur le modèle du Capper-Volstead Act américain de 1922.
Fort heureusement, ces dernières années, nos collègues du Parlement européen sont parvenus à faire bouger les lignes à deux reprises : avec l’adoption du règlement Omnibus de 2017, tout d’abord, et celle de la directive d’avril 2019 sur les pratiques commerciales déloyales, ensuite. Pourtant, il nous faut aller encore plus loin en modifiant fondamentalement les dispositions du règlement du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles.
Il conviendrait en quelque sorte de mettre fin à deux verrous : d’abord, la faible capacité à agir des organisations de producteurs pour améliorer les prix de vente des producteurs ; ensuite, l’impossibilité pour les autorités françaises d’accroître « en solo » les incitations financières en faveur desdites OP.
Mes questions sont claires, monsieur le ministre, j’attends des réponses claires.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le président Bizet, vous avez raison, la filière bovine est confrontée à des problèmes structurels, ce qui explique qu’elle fonctionne mal depuis plusieurs années. Cela étant, cette filière est en train de se prendre en main et d’évoluer ; je vais y revenir.
J’en viens au premier sujet que vous avez abordé.
Le Président de la République, lors de la remise des prix d’excellence du concours général agricole au ministère de l’agriculture, il y a un mois, a parlé pour la première fois de l’« exception agricole et agroalimentaire française », au même titre que nous parlons d’exception culturelle. La position du Président de la République et du Gouvernement est donc claire : on ne peut pas échanger des produits agroalimentaires et agricoles contre des voitures ou des fusées. Dans tous les accords internationaux en cours de négociation ou à venir, on ne peut pas mettre ce type de produits sur le même plan que les autres, faute de quoi ils seront toujours perdants.
Le Président de la République porte cet objectif d’une exception alimentaire et agricole française pour la première fois et devrait probablement en parler ce week-end à Bruxelles. Cette ambition n’avait jamais été défendue par la France. L’enjeu est très important, et vous avez raison de dire qu’il convient d’agir dans ce domaine.
Concernant la filière bovine française, plus particulièrement, nous savons très bien que, aujourd’hui, sans les aides de la PAC, les aides couplées et l’ICHN, toute une partie du bassin allaitant français n’existerait plus, alors même que nous avons des animaux et un élevage de grande qualité. Il faudrait peut-être simplement faire muter cet élevage en fonction de la demande : vous l’avez très bien dit, l’offre et la demande ne correspondent pas. J’évoquais la viande maturée française que l’on ne trouve plus dans les restaurants, à Paris comme ailleurs. Autre exemple : aujourd’hui, nombre de broutards partent pour l’Italie puis en reviennent, ce qui nous coûte plus cher en définitive. On devra sans doute changer de système.
La filière bovine française s’est néanmoins engagée sur la création d’OP et d’AOP. Cette réforme est absolument indispensable. Si l’on veut une massification des viandes bovines, une meilleure vision de la filière bovine sur l’état du marché, il lui faut une meilleure organisation.
La filière bovine est en train d’évoluer. J’ai assisté à son congrès il y a quelques semaines, et je pense que la création des OP et des AOP devrait lui permettre d’être davantage concurrentielle face aux acheteurs et aux coopératives. Je la soutiens complètement dans sa démarche actuelle.
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour la réplique.
M. Jean Bizet. Monsieur le ministre, je prends acte de vos réponses.
Je vous signale que la commission des affaires européennes du Sénat déposera une proposition de résolution sur ce point précis. Celle-ci sera adressée à la commission des affaires économiques, saisie au fond, qui l’amendera assurément avant qu’elle ne devienne résolution du Sénat.
Je souhaiterais véritablement que nous puissions vous faire partager ces orientations à Bruxelles, de sorte que nous puissions, d’une part, aider les agriculteurs qui s’engagent dans des OP ou dans des associations d’OP à obtenir une gratification et, d’autre part, nous doter grâce à divers mécanismes d’une politique d’exportation digne de ce nom, parce que de nombreux marchés s’ouvrent et qu’il faut savoir en profiter. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Roland Courteau. Les ventes de vin français ont diminué en volume et en valeur sur le marché américain, avec parfois l’annulation de certains marchés ou leur maintien, mais à perte. Les taxes de 25 % sur l’importation de vin français représentent 250 millions d’euros de pertes.
M. Roland Courteau. Si ce marché disparaît, la perte globale s’élèvera même à 1 milliard d’euros.
Des négociations pour supprimer ces taxes s’imposent donc au plus vite, mais, dans cette attente, il faut que nos entreprises puissent tenir le choc. Pour ce faire, des mesures de soutien doivent rapidement être prises, comme la mise en place d’un fonds de compensation par exemple.
La deuxième difficulté concerne le Royaume-Uni, qui représente un marché de 1,2 milliard d’euros pour nos vins et spiritueux. Dans ce dossier, un accord est vivement souhaité, afin de préserver les flux, la logistique et les accords de protection de nos IG.
Il nous faut en outre continuer à ouvrir le marché chinois en négociant des accords éliminant les barrières aux échanges et protégeant nos indications géographiques.
Un autre problème, monsieur le ministre, mérite d’être porté à votre attention, celui lié à l’ordonnance publiée dans le cadre de l’article 11 de la loi Égalim. La coopération agricole considère que cette ordonnance détricote le statut coopératif, dès lors que celle-ci se trouve banalisée comme un opérateur économique commercial, sans que l’on prenne en compte sa spécificité. Cette ordonnance ne va-t-elle pas à l’encontre de toutes les valeurs de la coopération ?
Enfin, j’ai une dernière question sur la possible coexistence, sur un même foncier de qualité agronomique médiocre, de primes PAC classiques et de revenus tirés d’une activité photovoltaïque, par exemple. Je pense notamment à un projet, qui est cher à mon collègue Franck Montaugé et qui consiste à utiliser l’ombre des panneaux photovoltaïques et à la répartir de manière à favoriser la culture de plantes aromatiques et médicinales, par exemple. Quelle est votre réponse sur ce point ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Courteau, je ne sais pas si deux minutes me suffiront à répondre à vos cinq questions. (Sourires.) Je tâcherai néanmoins d’aller le plus vite possible.
En ce qui concerne les taxes américaines, nous sommes évidemment en première ligne.
J’ai eu l’occasion de rencontrer en tête à tête Sonny Perdue, le secrétaire d’État américain à l’agriculture, ce qui m’a permis de défendre la position française, qui est claire. Nous reconnaissons que les États-Unis d’Amérique ont le droit de taxer les produits qu’ils souhaitent, mais nous estimons que les taxes sur le vin ne sont pas acceptables pour notre pays, car nos viticulteurs ne peuvent pas être les victimes collatérales de l’absence actuelle d’accord économique dans le conflit entre Boeing et Airbus. C’est la raison pour laquelle nous agissons sur trois leviers.
Premièrement, Jean-Yves Le Drian, Bruno Le Maire et moi-même négocions pour obtenir la suppression de ces taxes.
Deuxièmement, nous demandons à l’Union européenne la mise en œuvre d’un fonds de compensation – c’est ce que le Président de la République demandera ce week-end – qui pourra accorder des aides directes aux entreprises viticoles, et ce pour un montant, non pas de 200 et quelques millions d’euros, mais de plus de 300 millions d’euros.
Troisièmement, nous avons obtenu de Phil Hogan et du nouveau commissaire européen chargé de l’agriculture une aide à la promotion dans les nouveaux marchés des pays tiers.
En bref, je ne pense pas que l’on obtienne tout de suite la suppression des taxes américaines sur le vin ; en revanche, il nous faut obtenir immédiatement la mise en place d’un fonds de compensation, faute de quoi certaines entreprises viticoles pourraient disparaître, ce que nous savons tous.
M. Roland Courteau. Quel est le montant du fonds ?
M. Didier Guillaume, ministre. Nous demandons une enveloppe de 300 millions d’euros en compensation des taxes américaines.
Pour ce qui concerne la Chine et le Royaume-Uni, la seule chose qui peut nous sauver, c’est que ces pays reconnaissent nos indications géographiques. Or, lors de la dernière visite du chef de l’État en Chine, nous avons obtenu que cet État reconnaisse les IGP. La contrefaçon chinoise, c’est fini ! C’est très important, et cela devrait beaucoup nous aider.
S’agissant de l’ordonnance prévue à l’article 11 de la loi Égalim, soyons clairs : le Gouvernement est favorable au statut coopératif, et l’ordonnance n’a pas du tout été publiée dans l’esprit que vous supposiez. La coopération agricole a saisi les tribunaux administratifs, nous verrons bien ce qu’il en résultera.
Enfin, dernier point : nous sommes favorables aux panneaux photovoltaïques, mais pas en plein champ. Des panneaux de ce type sur les toits des bâtiments, oui, en plein champ agricole, non !
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, pour la réplique.
M. Roland Courteau. Merci pour votre réponse et les précisions apportées, monsieur le ministre.
La France reste, selon une étude de la Sopexa, le pays du vin par excellence. C’est notre pays qui bénéficie de la meilleure image dans le monde. C’est pourquoi les nuages qui obscurcissent l’horizon du vin français doivent être dissipés sans attendre. Dans le cas des USA et du Royaume-Uni, nul ne peut le faire à votre place.
Cela étant, nous savons tous ce que rapporte la viticulture française en termes d’emploi et d’excédents pour notre balance commerciale. Il faut donc vraiment faire le maximum, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé.
Mme Denise Saint-Pé. Le 5 février dernier, lors de l’audition par les commissions des affaires étrangères et économiques du Sénat de Mme Isabelle Hudon, ambassadrice du Canada en France, sur l’Accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada, de nombreux échanges ont eu lieu sur l’impact du CETA sur l’agriculture française.
À cette occasion, plusieurs de mes collègues ont souligné la souffrance de notre secteur agricole et, plus particulièrement dans le contexte du CETA, de la détresse ressentie par la filière bovine. En effet, celle-ci craint que la ratification du traité ne lui porte un coup considérable, dans un contexte où elle subit déjà une forte pression. Nous avons tous en tête l’hostilité, voire parfois les violences subies par les professionnels du secteur, les normes sans cesse plus exigeantes et les difficultés pour traiter à égalité avec les acteurs de l’agroindustrie, le tout dans un contexte où les attentes des consommateurs sont de plus en plus élevées.
Au-delà des enjeux du CETA, les difficultés rencontrées par la filière bovine ne démontrent-elles pas la fragilité de notre modèle ? Comment le Gouvernement se propose-t-il d’agir pour la soutenir ? La loi Égalim constitue un pas dans la bonne direction, mais elle n’est visiblement pas suffisante.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, nous avons déjà traité à deux ou trois reprises cet après-midi des difficultés que rencontre la filière bovine. Je propose que, collectivement, nous fassions plutôt en sorte de ne pas toujours parler des difficultés de cette filière et d’évoquer aussi les aspects positifs, parce qu’il y a aussi des choses qui vont bien !
Ainsi, la filière bovine se réorganise et met en place des OP et des AOP, comme l’évoquait Jean Bizet.
Lors de son dernier voyage en Chine, le Président de la République a emmené des représentants de la filière bovine, ainsi que de la viande bovine des races Aubrac, Salers et Limousine. Il a réussi à faire manger de la viande française au Président Xi Jinping, accompagnée d’un verre de vin rouge du sud de la France. Ce déplacement a permis de « booster » nos exportations.
Aujourd’hui, plus de 1 000 tonnes de viande bovine sont exportées en Chine. L’objectif était d’atteindre 2 000 tonnes en février, ce que l’épidémie de coronavirus nous a empêchés de faire, et reste d’exporter 20 000 tonnes d’ici la fin de l’année. En comparaison, nous avons importé moins de 50 tonnes de viande du Canada. L’exportation de viande bovine en Chine doit nous permettre de maintenir, voire de développer notre filière bovine et doit contribuer à ce que les prix remontent, car il faut que les prix se redressent pour que les éleveurs bovins puissent vivre de leur métier.
Par ailleurs, il nous faudra réfléchir à la meilleure manière d’exporter du vif et repenser l’organisation de la filière du broutard : c’est un vrai sujet dans notre pays.
Enfin, nous savons tous qu’il existe un marché et que ce n’est pas le Gouvernement qui fixe les prix. Nous avons besoin d’inciter les gens à manger de la viande française. Aujourd’hui, on voit bien que les Français mangent moins de viande que par le passé. Quand j’étais petit, on mangeait de la viande quasiment à tous les repas. Ce n’est plus le cas. La mode est aux « flexitariens ». Il n’est qu’à voir la communication d’Interbev, avec son slogan : « Aimez la viande, mangez-en mieux ».
Ce qu’il faut surtout, c’est qu’on puisse en manger mieux. Or, on le disait, l’approvisionnement en viande française dans notre pays n’est pas assuré. Nous n’avons pas les moyens suffisants pour fournir la restauration collective, la restauration hors domicile et les restaurants. C’est pourtant dans cette direction qu’il faudra avancer.
Je veux surtout retenir que la filière bovine se bagarre et se développe. C’est pourquoi il faut en parler positivement.