M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb.
M. Laurent Duplomb. Monsieur le ministre, vous venez d’expliquer que vous n’entendiez pas revenir sur les règles en vigueur en matière de foncier et d’utilisation de celui-ci. C’est une position qui me satisfait plutôt. Reste qu’une petite musique se fait entendre depuis quelque temps sur la définition du foncier agricole : certains voudraient parler d’un foncier agricole nourricier.
Comme cultivateur, je ne suis pas gêné par le mot « nourricier ». Seulement, il traduit une volonté de faire tomber le foncier agricole dans le domaine des biens communs de la Nation, ce qui me conduit à vous interroger sur le droit de propriété – soit, dans une définition bien française, le droit d’user, de jouir et de disposer.
Si un foncier agricole nourricier tombant dans le domaine commun était un moyen de reconnaître à sa juste valeur le labeur des agriculteurs, pourquoi pas ? Si cette nouvelle définition permettait à ceux qui labourent la terre d’être revalorisés, pourquoi pas ? Mais j’en doute…
Que veulent faire les promoteurs de la notion de foncier agricole nourricier tombant dans le domaine commun ? Pour eux, la société aurait le droit d’imposer aux agriculteurs des vues sur leur manière de cultiver. Une fois de plus, il s’agit de stigmatiser notre agriculture ! Je me refuse totalement à l’admettre, car je considère que le droit de propriété est garanti, sur le plan constitutionnel, par l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Monsieur le ministre, dès lors que vous aurez ouvert une discussion législative sur le foncier agricole, cette question sera lancinante tout au long du débat. Quelle position allez-vous défendre ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. La Constitution, c’est la Constitution, et le Gouvernement n’a aucunement l’intention de changer le droit de propriété garanti à l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
La concertation que nous allons ouvrir ne portera pas sur la définition du foncier nourricier ; peut-être certains aborderont-ils cette notion, mais ce n’est pas du tout l’intention du Gouvernement, non plus que de la Fédération nationale des Safer. Notre intention est de garantir que le droit de propriété soit reconnu à un agriculteur exploitant à titre majoritaire, pour qu’on ne puisse pas acheter du foncier à des fins d’investissement.
Au reste, il ne faut pas en rajouter. Des sociétés ont acheté des terres, notamment dans le vignoble bordelais, mais ce n’est pas énorme – je fournirai des chiffres tout à l’heure. Reste qu’il faut y faire attention. Nous voulons, nous, poser des barrières très claires pour cadenasser le foncier agricole : celui-ci doit revenir à des agriculteurs à temps plein, pas à des gens qui veulent faire de l’argent sur les terres !
Monsieur le sénateur Duplomb, vous qui connaissez mieux que quiconque ces sujets, vous pouvez donc être rassuré : il n’est aucunement question de changer le droit de la propriété. Moi-même et tout le Gouvernement nous y opposerons totalement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon.
M. Jérôme Bignon. Pour remédier à la disette alimentaire consécutive à la Seconde Guerre mondiale, un grand programme de modernisation de l’agriculture française a réaménagé le territoire agricole au service d’une agriculture pétrolière utilisant sans limites les matières et les énergies fossiles. C’est ainsi que 20 000 remembrements ont été financés, 500 000 kilomètres de haies supprimés, des milliers de champs drainés ou irrigués, des milliers de mares supprimées, des centaines de kilomètres de cours d’eau rectifiés et des milliers d’hectares de zones humides retournés.
Les sols ont été massivement artificialisés et continuent de l’être à un rythme soutenu. La taille des parcelles s’est accrue. Les rendements ont certes augmenté grâce aux engrais et aux pesticides, mais on mesure aujourd’hui la contribution de ceux-ci aux pollutions de toute sorte et, bien sûr, au réchauffement de la planète. La note, assurément, sera lourde…
Aucun insecticide n’est aussi efficace que l’oiseau, la coccinelle ou la grenouille qui loge dans les arbres, les fossés, les mares, les prairies humides que, malheureusement, l’intensification agricole de l’ère du pétrole a rasés, comblés, retournés ou abandonnés. Il ne faut pourtant pas désespérer : dame nature est bonne fille…
Le projet d’industrialisation de l’agriculture comportait le volet essentiel de l’aménagement foncier. Aujourd’hui, l’heureuse réorientation de l’agroécologie appelle un nouveau projet spatial, qui en accompagne et favorise la mise en œuvre. Une loi foncière est attendue. À cet égard, j’ai bien entendu le questionnement pertinent de mon collègue et ami Franck Menonville.
Monsieur le ministre, il faut que cette loi soit ambitieuse, qu’on n’hésite pas à répondre aux attentes de plus en plus vives, de plus en plus pressantes, de nos concitoyens, mais aussi aux souffrances réelles du monde agricole. Pour cela, il convient d’introduire la notion de localisation agroécologique pertinente des surfaces d’intérêt écologique dans la conditionnalité des aides de la politique agricole commune. Dans le cadre de la réforme de la PAC, la création et l’entretien de ces structures paysagères et écologiques pertinentes devraient faire l’objet de paiements pour services environnementaux dans tous les bassins de notre pays, avec le concours des agences de l’eau. Qu’en pensez-vous ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Bignon, chacun ici connaît votre engagement et tous les travaux que vous avez menés sur ces sujets, notamment sur la transition agroécologique.
Vous avez raison, l’agriculture de demain sera fondée sur la transition agroécologique, indispensable et irréversible. Simplement, sur tous ces sujets, il faut se garder de tout dogmatisme.
M. Jérôme Bignon. J’en suis bien d’accord !
M. Didier Guillaume, ministre. Je ne suggérais pas du tout que vous en faisiez preuve… Je constate seulement que le dogmatisme est souvent un obstacle.
Vous m’interrogez sur la future PAC, en particulier sur les paiements pour services environnementaux et les surfaces d’intérêt écologique, une question chère aussi à M. Montaugé. Il faut évidemment prendre en compte ces surfaces, et j’y travaille dans le cadre du plan stratégique national – une réunion du Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire s’est tenue sur ce sujet voilà quelques heures à peine.
Certains propos que j’ai tenus dans la presse n’ont pas été forcément bien perçus, et je suis content de pouvoir les rectifier devant le Sénat : oui, bien sûr, il faut que la France, comme tous les pays d’Europe, quitte cette dépendance aux produits chimiques, aux produits phytosanitaires, aux molécules chimiques ; mais, là aussi, il faut être objectif.
Voyez l’agriculture de conservation : tout le monde dit que c’est une très bonne chose, notamment pour la couverture des sols et les prairies, et je n’ai pas d’objection ; mais on sait que cette agriculture a besoin d’un peu de glyphosate – 1 litre par hectare, je crois. Évoquant ce sujet, j’ai dit que, comme nous ne laisserions personne sans solution, tant qu’il n’y aurait pas une alternative au glyphosate, une autre molécule permettant à l’agriculture de conservation de continuer à se développer, il faudrait continuer avec le glyphosate.
Je tenais à le souligner au moment où il est question de transition agroécologique : arrêter ces produits demain, ce serait arrêter l’agriculture de conservation, donc faire une erreur ; mais il faut que les chercheurs aillent vite pour trouver des alternatives.
M. le président. La parole est à M. Pierre Louault.
M. Pierre Louault. Je remercie le groupe Les Indépendants, en particulier Franck Menonville, un spécialiste du foncier agricole, pour l’inscription de ce débat à notre ordre du jour.
Nous connaissons tous l’attachement des Français au droit de propriété, pas même ébranlé au moment de la Révolution. Les Français, en particulier les agriculteurs propriétaires de terres, y tiennent plus que jamais.
Pourtant, il faut bien reconnaître que, aujourd’hui, on est en train de fragiliser l’agriculture française, parce qu’un certain nombre de nos jeunes agriculteurs ne peuvent plus accéder au métier, faute de terres disponibles. La semaine dernière, près de chez moi, 300 hectares ont été achetés par des fonds industriels… Remarquez, la propriété industrielle ne me dérange pas ; c’est l’exploitation industrielle qui pose un véritable problème. En l’occurrence, 300 hectares vont rester sans exploitant, sans compter que les propriétaires toucheront peut-être des primes agricoles. Il faut trouver le remède à ce problème.
En particulier, nous devons moderniser les moyens d’intervention des Safer. Aujourd’hui, le foncier n’est souvent pas la propriété d’une personne, mais d’une SCI ou d’un GFA, entre autres structures. Il faut renforcer la capacité d’action des Safer à travers certaines mesures comme les ventes avec cahier des charges, qui préservent le droit de propriété tout en ouvrant à des agriculteurs la possibilité d’exploiter des terres agricoles sur des superficies raisonnables.
Il convient aussi d’assurer la protection d’un certain nombre de lieux très précis, comme des vignobles, en tant qu’éléments du patrimoine culturel français.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Louault, vous posez la question, absolument fondamentale, de la souveraineté de notre pays en matière de terres agricoles. Les investisseurs étrangers ont connu ces derniers temps des fortunes diverses, mais ils sont de retour.
Certes, des méthodes de contournement bien connues permettent d’acheter du foncier agricole ; il s’agit d’acquérir une fraction des parts sociales de sociétés détenant du foncier. Mais, comme je l’ai souligné il y a quelques instants, la menace d’accaparement de terres agricoles par des investisseurs étrangers doit être relativisée. Ainsi, en 2018, sur les marchés de parts sociales, 1,2 % seulement des transactions ont été réalisées par des étrangers, 76 % des acquéreurs étrangers étant d’origine européenne.
Toujours est-il que les risques que ces investissements peuvent présenter à long terme pour la souveraineté alimentaire de la France ne peuvent pas être ignorés. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement n’est pas resté sans agir, notamment en vue de détecter le plus en amont possible de telles acquisitions par des personnes, physiques ou morales, non ressortissantes d’un État membre de l’Union européenne.
En particulier, dans le cadre de la loi Pacte, un décret a été pris en décembre dernier sur les investissements étrangers, un décret très important qui, je trouve, est passé un peu trop inaperçu. Il en résulte que, à compter du 1er juillet 2020, l’investissement dans le foncier agricole par des ressortissants étrangers devra faire l’objet d’une autorisation au titre de la garantie des intérêts du pays en matière d’ordre public, de sécurité publique ou de défense nationale. En d’autres termes, la France, sur la base de l’expertise menée dans le cadre de la procédure d’agrément, pourra opposer un refus au nom de sa souveraineté et de la défense des intérêts de la Nation.
M. le président. La parole est à M. Pierre Louault, pour la réplique.
M. Pierre Louault. Trois mots sur le photovoltaïque…
Monsieur le ministre, un agriculteur de ma connaissance fait le pari que, sur trente hectares, il peut faire pousser plus d’herbe sous des panneaux photovoltaïques, parce que l’herbe, c’est bien connu, pousse mieux à l’ombre, notamment en Normandie… N’ayons pas peur d’expérimenter !
Cela dit, je suis d’accord avec vous sur le principe : pas de photovoltaïque à l’heure actuelle ; mais si l’on arrive à démontrer qu’il est possible d’allier agriculture et production d’énergie, pourquoi pas ?
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur l’avenir du triangle de Gonesse.
On reproche aujourd’hui aux outils de régulation du foncier de ne pas avoir empêché l’artificialisation des surfaces agricoles et de ne pas permettre le renouvellement des générations, ainsi que l’essor de nouvelles modalités d’exploitation prenant en compte les enjeux environnementaux liés à l’activité agricole. Or, dans le triangle de Gonesse, près de 100 000 hectares de terres fertiles ont été perdus en cinquante ans au profit de l’expansion parisienne.
Même si le projet EuropaCity a été enterré grâce à la mobilisation citoyenne, notamment dans le cadre du Collectif pour le triangle de Gonesse, et à celle de nombreux élus, le devenir des 670 hectares du triangle de Gonesse, dernière niche agricole aux portes de Paris, reste soumis à des menaces de bétonisation. Y aura-t-il un autre quartier d’affaires ? Ou, comme l’a annoncé Emmanuel Macron, plusieurs projets coordonnés sur une superficie plus étendue, plus mixte et plus moderne ?
La question se pose également de l’évolution du type de cultures sur ces 670 hectares aujourd’hui cultivés par une dizaine d’exploitants, qui ne sont pas tous propriétaires des terres. Blé, colza, orge, maïs : autant de productions qui ne sont pas forcément en rapport avec la consommation du territoire qui entoure cette poche agricole.
Or, comme il a été rappelé lors des débats publics et réunions sur la préservation et l’avenir de ces terres agricoles, il n’y a pas si longtemps que la culture maraîchère et fruitière prédominait encore, assurant l’autosuffisance des villes alentours. Certains projets visent à y revenir pour développer une agriculture au service des agriculteurs, des consommateurs et de l’environnement, par la promotion des circuits courts au plus près du lieu de production ; je pense, par exemple, au projet Carma.
La mise en œuvre de tels projets est-elle possible avec les outils actuels de régulation foncière ? Comment le Gouvernement envisage-t-il l’avenir du triangle de Gonesse et de son aménagement ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. L’avenir du triangle de Gonesse est en débat depuis des années. Le Président de la République a pris une décision lors d’un conseil de défense écologique : il a dit non au projet qui était envisagé. De fait, l’heure n’est plus à l’artificialisation des terres pour construire de grands centres commerciaux – je pense, monsieur le sénateur Gay, que nous sommes d’accord sur ce sujet.
Pour autant, l’avenir de ce secteur très convoité n’est pas fixé. Pour connaître très bien les lieux, vous savez que de nombreux acteurs voudraient y investir… Les élus locaux définiront une vision en liaison avec les services de l’État, mais, en tout cas, il faut qu’il y ait sur ce secteur un projet ou plusieurs qui aillent dans le sens de l’agroécologie et de l’agriculture urbaine, afin de sauvegarder ces terres qui intéresseront les habitants de la grande métropole parisienne ou de la banlieue – je ne sais pas comment vous l’appelez, car c’est beaucoup trop grand pour qu’on connaisse ça chez nous. (Sourires.) Je pense, en effet, que la ressource de ce sol est absolument indispensable.
La position du Gouvernement est très claire : non au grand projet EuropaCity ; nous verrons s’il y a d’autres projets, mais le ministère de l’agriculture et de l’alimentation, comme vraisemblablement celui de la transition écologique et solidaire, est hostile à la bétonisation du territoire. Je puis comprendre la déception des promoteurs, celle aussi des élus locaux qui voyaient dans l’ancien projet la promesse de nouvelles activités économiques génératrices d’emplois et créatrices de richesses. Mais de tels aménagements appartiennent au passé. Nous devons préparer les aménagements du futur.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Lors du quinquennat précédent, le ministre Le Foll a fait progresser la question de la gouvernance du foncier agricole. Depuis lors, et à l’exception d’une loi de 2019, certes non négligeable, sur la protection foncière des activités agricoles en zone littorale, rien ne s’est passé, sinon quelques déclarations d’intention.
Pourtant, ce sujet est au cœur de la place et des moyens que la société française doit donner à son agriculture et à l’exercice de la profession d’agriculteur. Parmi les multiples enjeux posés, en voici quelques-uns qui permettent de mesurer l’importance et l’urgence de la question : la protection et la valorisation du foncier agricole, la diversité des formes d’exercice de la profession d’agriculteur, la contribution des agricultures à la biodiversité et à la préservation de l’environnement, la facilitation de la transmission des terres et de l’installation des jeunes agriculteurs, la nécessité d’une concurrence loyale et équitable pour l’accès aux terres.
Dans ce contexte, le Gouvernement a-t-il l’intention de présenter un projet de loi de régulation du foncier agricole, dont les principes ne reposeraient plus sur des critères techniques, comme c’est le cas aujourd’hui, mais sur les objectifs des politiques publiques qui touchent à l’emploi et à l’installation des jeunes, aux attentes des consommateurs et des élus locaux, à la transition agroécologique, à la biodiversité et au développement des territoires ? Si tel est le cas, quel est le calendrier législatif prévisionnel ?
Plus précisément, monsieur le ministre, envisagez-vous de donner aux Safer un pouvoir étendu de contrôle sur toutes les cessions de parts de sociétés, hors opérations intrafamiliales, et un pouvoir de négociation dans les cas problématiques au regard des enjeux de concentration et de respect des politiques territoriales ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Montaugé, vous dites que rien ne s’est passé. En ce qui me concerne, je trouve que, depuis un an, il ne s’est jamais passé autant de choses sur la question du foncier !
J’étais rapporteur pour le Sénat du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt présenté par Stéphane Le Foll. Nous étions largement intervenus sur le foncier et nous avions beaucoup travaillé avec la Fédération nationale des Safer, notamment sur le contrôle des structures, sur les cessions – nous ne sommes pas allés assez loin sur ce sujet – et sur la compensation – pour moi, cet aspect est essentiel.
Évidemment, nous aurons toujours besoin d’utiliser des terres, par exemple pour une route ou une déviation, mais cela doit être justifié par un intérêt public. En outre, contrairement aux pratiques passées, il faut qu’il y ait une compensation et elle ne doit pas être uniquement financière, mais aussi en terres. C’est ce que j’avais indiqué dans mon rapport sur la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. La lutte contre l’artificialisation et la concentration passe par ce type d’outil.
L’année dernière, au salon de l’agriculture, le Président de la République a évoqué ces questions. Depuis, nous n’avons eu de cesse de consulter l’ensemble des acteurs concernés : les ONG, les associations, le monde agricole – qui d’autre que lui connaît mieux les territoires ? – et les associations d’élus. Nous travaillons sur la lutte contre l’artificialisation des sols agricoles, sur la préservation des espaces, sur le statut du fermage – une mission d’information est en cours à l’Assemblée nationale à ce sujet –, sur la régulation du foncier, sur l’installation et la transmission, sur le portage du foncier et le développement des instruments, etc. Tous ces sujets font actuellement l’objet de concertations.
De son côté, l’Assemblée nationale a mis en place une mission présidée par M. Sempastous, député des Hautes-Pyrénées, et dont les rapporteurs étaient Mme Petel, députée des Bouches-du-Rhône, et M. Potier, député de Meurthe-et-Moselle.
Vous le voyez, nous avançons, mais dans la concertation – elle est indispensable. En tout cas, dans mon idée, les Safer doivent avoir un pouvoir étendu.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.
M. Franck Montaugé. La maîtrise du foncier agricole relève de la souveraineté nationale. Les Safer doivent être au cœur de cette régulation publique modernisée. Leur relation avec le contrôle des structures doit être revue, la mutation de parts sociales devant donner lieu à un agrément répondant aux objectifs d’un cahier des charges. Enfin, une évaluation des résultats de cette régulation modernisée doit être périodiquement réalisée.
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. À l’origine financées à 80 % par des fonds publics, les Safer sont victimes d’un désengagement continu de l’État. Pourtant, ces organismes sont des outils incontournables et légitimes du foncier agricole. Ils représentent une spécificité nationale, dont la France peut être fière. J’appelle donc depuis des mois l’attention sur les problèmes de budget rencontrés par certaines Safer et les difficultés qui en découlent dans la mise en œuvre de leurs missions de service public. Cela les a déjà conduites à déstocker le foncier qu’elles avaient en réserve, et la situation ne cesse de se détériorer dans un contexte de hausse des prix du foncier.
Les Safer jouent un rôle essentiel dans l’aménagement du territoire et la politique agricole nationale. En parallèle, les établissements publics fonciers régionaux poursuivent une mission de maîtrise foncière. Lorsque leurs réserves foncières sont agricoles, les missions de la Safer et des EPF se recoupent. Il existe déjà un terrain d’entente et de coordination sur certains territoires.
Les EPF reçoivent principalement trois types de ressources pour mener à bien l’ensemble de leurs missions : la taxe spéciale d’équipement (TSE), les produits de la vente et de la gestion des biens et l’emprunt. Ces ressources leur assurent une sérénité et une pérennité financières. Les Safer intervenant dans la partie agricole des missions des EPF, un transfert de ressources pourrait s’avérer pertinent.
Enfin, je tiens à rappeler que les Safer font face à un manque d’information important concernant les ventes de biens fonciers, ce qui ne peut que nuire à leur activité.
Monsieur le ministre, comment soutenir les Safer pour leur permettre de mieux réaliser leurs objectifs et avoir accès aux informations sur les ventes de foncier agricole, quelle que soit l’identité juridique du vendeur ? Pourrait-on évaluer la possibilité de transférer des ressources des EPF régionaux vers les Safer par une ponction sur la TSE ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Cabanel, nous ne laissons pas les Safer sans moyens ni solutions. Je l’ai dit précédemment, le Gouvernement entend aider et accompagner la Fédération nationale des Safer et promouvoir son travail, qui est essentiel. À l’occasion d’une question précédente, j’ai d’ailleurs indiqué que nous voulions donner plus de moyens encore aux Safer, parce que ce sont elles qui, objectivement, ont la vision la plus claire et savent ce qui se passe sur le territoire.
Votre question, plus large, porte sur les moyens des Safer et sur leurs liens avec les EPF régionaux et locaux. Tous ces sujets vont de pair. Dans notre pays, nous avons tendance à empiler les structures qui ont des statuts variés, publics ou privés, et qui dépendent de différents échelons administratifs – c’est une difficulté, parfois une force… Il nous faut bien sûr coordonner toutes ces structures.
Un EPF et une Safer répondent à des motivations différentes, mais contribuent finalement à la même chose : faire en sorte que des territoires, agricoles ou non selon les cas, ne soient ni oubliés ni développés n’importe comment.
Je réponds donc clairement à votre question : oui, les EPF et les Safer doivent coordonner leurs actions et, oui, nous devons donner les moyens aux Safer d’exercer leurs missions ! D’ailleurs, je l’ai déjà dit, à la suite de l’adoption de la loi Pacte, nous aurons la possibilité, à partir du 1er juillet prochain, de contrôler les ventes de terrains pour éviter, dans le cadre de notre souveraineté nationale et alimentaire, certaines acquisitions.
Les Safer doivent également mener un travail sur les cessions partielles – il me semble que c’est le sens de votre question. Ce sujet fait évidemment partie de la concertation en cours ; nous verrons à son issue comment avancer.
Pour conclure, je veux vous dire que nous ne souhaitons pas que le projet de loi à venir vienne « d’en haut ». Il doit être élaboré par tous les acteurs de terrain dans le cadre de cette concertation, être coconstruit. C’est ensemble que nous en bâtirons l’architecture.
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour la réplique.
M. Henri Cabanel. J’entends votre propos, monsieur le ministre, mais je ne peux que constater le désengagement de l’État. En fait, les Safer ont aujourd’hui comme seule source de financement les ventes de terrains. Elles vendent donc des grands domaines et prennent au passage un pourcentage, ce qui n’est, certes, pas si mal… C’est pourquoi je voudrais qu’on grave dans le marbre l’idée d’un financement pérenne des Safer. Pour cela, je vous soumets une proposition : évaluer les conséquences d’un transfert d’une part de la TSE vers les Safer. Cette proposition répondrait à l’objectif d’un financement pérenne.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Je voudrais évoquer plus particulièrement le foncier viticole.
La maîtrise du foncier est un enjeu essentiel pour les exploitations familiales viticoles et pour le maintien des équilibres entre le vignoble et le négoce. Elle permet notamment un partage de la valeur ajoutée entre les acteurs répartis sur les territoires grâce à un maillage de petites exploitations.
La fiscalité patrimoniale, que ce soit celle sur les successions ou celle sur les donations, frappe lourdement les transmissions familiales, notamment lorsque le prix du foncier est élevé. En conséquence, les héritiers sont incités à céder ce foncier, plutôt qu’à le conserver ou à le louer à des membres de la famille, ce qui fait courir un risque de morcellement et de disparition des exploitations familiales. Par exemple, entre 2006 et 2016, une diminution de 6 % des structures moyennes a été constatée en Champagne. Les mesures actuelles, principalement l’exonération partielle des biens loués par bail à long terme, n’apparaissent plus suffisantes pour résoudre ce problème.
Monsieur le ministre, j’aimerais recueillir votre avis sur quelques propositions – j’ai porté certaines d’entre elles lors de l’examen du dernier projet de loi de finances – : premièrement, favoriser les transmissions dans un cadre familial au travers d’une exonération significative des droits de donation et de succession pour les biens loués pendant une durée longue ; deuxièmement, exonérer d’impôt sur la fortune immobilière les propriétaires qui affectent durablement leurs terres à des exploitations agricoles ; troisièmement, rendre le contrôle du foncier agricole plus efficient, lorsque sa mutation prend la forme d’une vente de droits démembrés ou d’une cession de parts de société ; quatrièmement, rétablir une fiscalité patrimoniale incitative pour les investissements dans les parts de groupements fonciers agricoles.