Mme Catherine Procaccia. Je précise que, pour proposer cet amendement, je n’ai pas regardé ce qui se passait à l’étranger. Je me suis exclusivement fondée sur deux éléments.
J’ai tout d’abord pris acte du fait que l’Assemblée nationale, puis le Sénat, hier, ont adopté l’extension de la PMA aux femmes célibataires, et considéré la situation aberrante dans laquelle se trouverait une femme veuve, qui, en l’état actuel du droit, ne peut pas procéder à une fécondation en se faisant implanter un embryon.
Mon amendement est beaucoup plus circonscrit que les précédents, puisqu’il ne vise que les embryons déjà conçus, et non les gamètes. D’après les discussions que j’ai pu avoir avec des notaires, il n’y aurait dans ce cas aucun problème juridique par rapport à l’héritage de l’enfant. Il s’agira bien évidemment de cas exceptionnels – quelques-uns par décennie, selon les statistiques –, mais pourquoi exclure ces femmes ?
S’agissant des délais – je pense en particulier aux sous-amendements présentés par Jacques Bigot –, je me suis fondée sur les positions du Comité consultatif national d’éthique. Mais je suis naturellement prête à les modifier à la demande de la commission spéciale.
Je remercie enfin mes collègues, nombreux, qui ont cosigné cet amendement, même s’ils n’apparaissent pas sur le texte de celui-ci en raison d’un petit bug… (Sourires.)
M. le président. Le sous-amendement n° 324, présenté par Mme Schillinger, MM. Mohamed Soilihi, Iacovelli et Buis, Mme Cartron, MM. Théophile, Hassani, Marchand et Bargeton, Mme Constant, MM. Cazeau, Patient, Haut, Rambaud, Karam et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :
Amendement n° 24, alinéa 5, deuxième phrase
Remplacer les mots :
au maximum dix-huit mois après le décès, après autorisation de l’Agence de la biomédecine
par les mots :
au maximum vingt-quatre mois après le décès
La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Cette présentation vaudra également défense de l’amendement n° 268 rectifié, monsieur le président.
Comme certains de mes collègues l’ont précédemment mentionné, dès lors que le texte permet aux femmes seules d’avoir recours à l’AMP (assistance médicale à la procréation) avec tiers donneur, il semble délicat de trancher en faveur d’une interdiction de l’AMP post mortem.
Dans une telle configuration, une femme veuve pourrait en effet procréer en recourant aux gamètes d’un tiers donneur, mais pas à l’embryon fécondé dans le cadre du projet parental entrepris avec son conjoint décédé.
Dans le même temps, il paraît essentiel, dans l’intérêt de l’enfant, d’encadrer cette pratique, afin qu’elle ne porte pas le sceau du deuil.
L’amendement de Catherine Procaccia tend à rendre possible l’AMP post mortem dans un délai de six à dix-huit mois après le décès du conjoint. Pour notre part, dans l’amendement n° 268 rectifié, nous visons un délai de six mois à deux ans après le décès.
Par cohérence, nous proposons, par le présent sous-amendement, de porter à deux ans le délai limite pour recourir à l’AMP, afin d’offrir toutes les conditions d’une prise de décision éclairée.
Si ce sous-amendement était adopté, je voterais l’amendement de Catherine Procaccia ainsi modifié.
M. le président. Le sous-amendement n° 325, présenté par M. Jacques Bigot, Mmes de la Gontrie, Meunier et Blondin, MM. Daudigny, Jomier et Vaugrenard, Mme Rossignol, M. Kanner, Mme Conconne, M. Fichet, Mme Harribey, M. Montaugé, Mme Monier, M. Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mme Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mme Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daunis, Devinaz, Durain, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes Féret, M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais et Guillemot, M. Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly, Kerrouche, Lalande et Leconte, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Manable, Marie et Mazuir, Mme Perol-Dumont, M. Raynal, Mme S. Robert, MM. Roger, Sueur et Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini et Mme Van Heghe, est ainsi libellé :
Amendement n° 24, alinéa 5, deuxième phrase
Remplacer le mot :
dix-huit
par le mot :
vingt-quatre
Ce sous-amendement a déjà été défendu.
Le sous-amendement n° 326, présenté par M. Jacques Bigot, Mmes de la Gontrie, Meunier et Blondin, MM. Daudigny, Jomier et Vaugrenard, Mme Rossignol, M. Kanner, Mme Conconne, M. Fichet, Mme Harribey, M. Montaugé, Mme Monier, M. Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mme Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mme Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daunis, Devinaz, Durain, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes Féret, M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais et Guillemot, M. Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly, Kerrouche, Lalande et Leconte, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Manable, Marie et Mazuir, Mme Perol-Dumont, M. Raynal, Mme S. Robert, MM. Roger, Sueur et Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini et Mme Van Heghe, est ainsi libellé :
Amendement n° 24, alinéa 5, deuxième phrase
Supprimer les mots :
après autorisation de l’Agence de la biomédecine
Ce sous-amendement a également déjà été défendu.
L’amendement n° 268 rectifié, présenté par Mme Schillinger, MM. Mohamed Soilihi, Iacovelli et Buis, Mme Cartron, MM. Théophile, Hassani, Marchand et Bargeton, Mme Constant, MM. Cazeau, Patient, Haut, Rambaud, Karam et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 6
Supprimer cet alinéa.
II. – Après l’alinéa 11
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L’insémination ou le transfert des embryons peut être réalisé à la suite du décès de l’homme, lorsque le couple est formé d’un homme et d’une femme, ou de la femme, lorsque le couple est formé de deux femmes, dès lors qu’il ou elle a donné par écrit son consentement à la poursuite de l’assistance médicale à la procréation dans l’éventualité de son décès. Cette faculté lui est présentée lorsqu’il ou elle s’engage dans le processus d’assistance médicale à la procréation ; son consentement peut être recueilli ou retiré à tout moment. L’insémination ou le transfert des embryons ne peut être réalisé qu’au minimum six mois et au maximum deux ans après le décès. La naissance d’un ou de plusieurs enfants à la suite d’une insémination ou d’un même transfert met fin à la possibilité de réaliser une autre insémination ou un autre transfert. L’insémination ou le transfert peut être refusé à tout moment par le membre survivant.
Cet amendement a aussi été défendu.
L’amendement n° 116 rectifié bis, présenté par Mme Guillotin, MM. Arnell et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme Costes, MM. Dantec, Gabouty et Labbé, Mme Laborde et MM. Requier et Roux, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 6
Supprimer cet alinéa.
II. – Après l’alinéa 11
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le transfert des embryons peut être réalisé à la suite du décès de l’homme, dès lors qu’il y a préalablement consenti par écrit. Cette faculté lui est présentée lors des entretiens prévus à l’article L. 2141-10. Son consentement peut être recueilli ou retiré à tout moment. Le transfert des embryons ne peut être réalisé qu’au minimum six mois et au maximum dix-huit mois après le décès, après autorisation de l’Agence de la biomédecine. La naissance d’un ou de plusieurs enfants à la suite d’un même transfert met fin à la possibilité de réaliser un autre transfert.
La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. J’ai conscience que cet amendement concerne un sujet très sensible.
Dans notre esprit, il vise non pas à ouvrir des droits pour le principe, mais plutôt à apporter une réponse empreinte d’humanisme à un paradoxe résultant de l’examen de ce texte.
Il s’agit de situations certes rares, mais éminemment douloureuses, comme en ont témoigné au cours de leurs auditions les professionnels de santé qui y sont confrontés.
Actuellement, les dispositions en vigueur n’autorisent pas l’insémination en cas de décès du conjoint. Or le présent projet de loi étend la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes. Cela signifie qu’une femme dont l’époux est décédé au cours d’un projet parental bien défini et déjà engagé pourrait bénéficier d’un don de gamètes d’un homme anonyme, tandis que l’implantation d’embryons conçus avec les gamètes de son époux lui serait refusée. Suprême paradoxe : ces mêmes embryons pourraient en revanche être utilisés pour féconder une autre femme dans le cadre d’une PMA…
La seule question qui vaille est non pas celle de l’accès de la PMA aux femmes seules, désormais autorisé, mais bien celle de savoir si le décès d’un parent avant la naissance de l’enfant constitue un obstacle absolu au développement harmonieux de ce dernier, et donc à son intérêt supérieur.
Sincèrement, je ne le crois pas. Ces enfants sont le fruit d’une volonté conjointe et d’un amour parental affirmé. Les signataires de cet amendement considèrent que la qualité de l’accueil d’un enfant venu au monde prime la conformité de sa famille. Nous pensons que la conviction d’une femme dans la solidité du projet parental qui la liait avec son époux disparu peut suffire à nourrir affectivement l’enfant qui en sera issu.
Il convient enfin de souligner que la rédaction de notre amendement est particulièrement prudente, puisqu’elle s’articule autour de la notion de consentement de l’époux, lequel serait recueilli et révocable.
Cet amendement permet également que le projet parental se poursuive dans un délai encadré et raisonnable, compris entre six et dix-huit mois, le même que celui que prévoit l’amendement présenté par Mme Procaccia.
M. le président. L’amendement n° 279 rectifié, présenté par Mmes Rossignol et Meunier, MM. Vallini et Temal, Mme Tocqueville, MM. Duran, Jacquin, Kerrouche et Tissot, Mme Lepage, M. Tourenne, Mme Féret et M. Manable, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 6
Compléter cet alinéa par les mots et deux phrases ainsi rédigées :
sauf dans le cadre de la précision du consentement à la poursuite de l’assistance médicale à la procréation. Dans l’éventualité du décès d’un des membres du couple, la personne survivante, et en capacité de porter un enfant, peut avoir accès à l’assistance médicale à la procréation avec les gamètes ou l’embryon issu du défunt, si le couple a manifesté son accord au moment du consentement à l’assistance médicale à la procréation. Il ne peut être procédé à l’implantation post mortem qu’au terme d’un délai de six mois prenant cours au décès de l’auteur du projet parental et, au plus tard, dans les deux ans qui suivent le décès dudit auteur.
II. – Après l’alinéa 11
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le couple peut préciser son consentement à la poursuite de l’assistance médicale à la procréation dans l’éventualité du décès de l’un d’entre eux, pour que la personne survivante, et en capacité de porter un enfant, puisse poursuivre le projet parental avec les gamètes ou les embryons issus du défunt.
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Cet amendement se situe à la convergence de l’amendement de Catherine Procaccia, modifié par les sous-amendements nos 325 et 326, et d’autres amendements.
Il prévoit qu’une femme puisse engager le processus de PMA jusqu’à vingt-quatre mois après le décès de son conjoint. Une question se pose néanmoins : est-ce la durée pendant laquelle les actes médicaux de PMA seront accomplis ou la durée pendant laquelle la PMA pourra être engagée ? Une personne qui aurait entamé la procédure de PMA pendant ce délai pourrait-elle la poursuivre au-delà, jusqu’au succès de celle-ci ?
Cet amendement tend ensuite à exclure l’Agence de la biomédecine du processus. Je ne crois pas que ce soit vraiment sa place, et je ne suis pas sûre qu’elle ait vraiment les compétences en la matière. Le consentement du conjoint décédé et l’accompagnement psychologique déjà prévu pour les PMA me semblent suffisants.
Je conçois bien par ailleurs le trouble que peut susciter la PMA post mortem ; c’est incontestable, il ne faut pas le nier. Elle peut donner l’impression que l’on cherche à « enjamber » la mort du père pour poursuivre un projet conçu du vivant de ce dernier.
Le consentement du père est indispensable, et il faut veiller également à ce que la femme ne soit pas soumise à la pression de la belle-famille, qui lui demanderait de poursuivre la PMA au nom de la continuité de la personne décédée. C’est pourquoi l’accompagnement psychologique est aussi important.
M. le président. L’amendement n° 157, présenté par M. Canevet, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Compléter cet alinéa par les mots et une phrase ainsi rédigée :
, sauf si un projet parental a été établi avant le décès du père et sous réserve d’un accompagnement médical et psychologique de la conjointe. Dans ce cas, le transfert des embryons ne peut se faire que six mois au minimum et dix-huit mois au maximum après le décès du père ;
La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Prenant acte que l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation pour les mères célibataires pourrait être acquise, je considère légitime de l’étendre également aux veuves, à condition bien évidemment d’encadrer cette pratique.
Cet amendement s’appuie notamment sur l’avis du Comité consultatif national d’éthique, qui prévoyait, après le décès, un délai de six mois minimum et de dix-huit mois maximum.
M. le président. L’amendement n° 96 rectifié, présenté par Mmes Doineau et Guidez, MM. Chasseing, Cazabonne et Guerriau, Mme Vérien, MM. Cadic, Capo-Canellas et Détraigne, Mme Saint-Pé et M. Delcros, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Compléter cet alinéa par cinq phrases ainsi rédigées :
Par exception, l’insémination ou le transfert des embryons peut être réalisé à la suite du décès de l’homme, lorsque le couple est formé d’un homme et d’une femme, ou de la femme, lorsque le couple est formé de deux femmes, dès lors qu’il ou elle a donné par écrit son consentement à la poursuite de l’assistance médicale à la procréation dans l’éventualité de son décès. Cette faculté lui est présentée lorsqu’il ou elle s’engage dans le processus d’assistance médicale à la procréation ; son consentement peut être recueilli ou retiré à tout moment. L’insémination ou le transfert des embryons ne peut être réalisé qu’au minimum six mois et au maximum trois ans après le décès. La naissance d’un ou de plusieurs enfants à la suite d’une insémination ou d’un même transfert met fin à la possibilité de réaliser une autre insémination ou un autre transfert. L’insémination ou le transfert peut être refusé à tout moment par le membre survivant ;
La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Maintenir l’interdiction de la procréation post mortem aux couples engagés dans une AMP, alors qu’on ouvre parallèlement la possibilité aux femmes non mariées d’accéder à cette technique de procréation, est contradictoire et injuste.
Au décès de l’autre membre du couple s’ajoutera, si la femme le souhaite, l’obligation d’engager un nouveau parcours avec un tiers donneur, alors qu’elle dispose des gamètes de son conjoint décédé ou des embryons in vitro.
Cet amendement tend donc à autoriser la procréation post mortem dans des conditions d’encadrement équilibrées. Celle-ci serait possible lorsque l’autre membre du couple a consenti préalablement à l’insémination ou au transfert d’embryons post mortem.
La naissance d’un ou de plusieurs enfants à la suite d’une insémination ou d’un même transfert mettrait fin à la possibilité de réaliser une autre insémination ou un autre transfert.
Enfin, l’insémination ou le transfert d’embryons ne pourrait être réalisé que dans un délai compris entre six mois et trois ans après le décès.
M. le président. L’amendement n° 64 rectifié n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique. Chacun l’a bien compris au vu des explications qui ont été données : la situation visée est celle d’un couple qui, ayant un projet parental, a recours à l’AMP, mais dont le futur père décède alors que cette dernière n’a pas été totalement mise en œuvre. Les embryons existent, mais aucun n’a encore été implanté.
Faut-il dans ce cas autoriser la veuve à implanter l’un de ces embryons ? Le droit commun ne le permet pas, la mort mettant fin à la procédure d’assistance médicale à la procréation. La raison en est assez simple : lorsqu’un projet parental a été conçu à deux, il disparaît si l’un des deux membres du couple vient à manquer.
Ainsi, la question ne se posait guère jusqu’à présent, même si elle a déjà été abordée dans cet hémicycle, me semble-t-il. Si elle se pose aujourd’hui, c’est parce que cette femme veuve, qui acquiert le statut de femme seule, pourrait désormais accueillir un autre embryon ou d’autres gamètes, dès lors que les femmes seules peuvent bénéficier d’une procédure d’assistance médicale à la procréation. Mais en aucun cas elle ne pourrait avoir recours à l’embryon qu’elle a conçu avec son défunt époux. C’est un paradoxe, nous dit-on, mais un paradoxe apparent, selon moi, le projet parental n’existant plus en l’absence de l’un des deux parents.
On peut certes parfaitement comprendre la cruauté de la situation pour cette femme, qui pourrait avoir un enfant, mais pas de la façon qu’elle avait envisagée jusqu’alors, c’est-à-dire par AMP avec son époux. Il est cruel de perdre son mari ; il est tout aussi cruel de perdre l’espoir de concevoir des enfants à deux.
L’intérêt de la femme qui avait conçu ce projet est peut-être de bénéficier de cet embryon. Mais, en face, comme toujours dans ce projet de loi, il y a l’intérêt de l’enfant.
Or voilà un enfant qui naîtra orphelin de père et qui, excusez-moi de le dire aussi crument, naîtra d’un mort, ce qui me semble constituer une rupture anthropologique assez forte, de nature à abolir la distinction entre le vivant et le mort.
Voilà entre quoi vous devez choisir, mes chers collègues…
J’émets pour ma part les plus vives réserves sur ces amendements, mais cela n’a pas été le cas de la commission spéciale. Et comme je suis son rapporteur, je vous indique qu’elle a émis un avis favorable sur l’amendement n° 24, présenté par Mme Procaccia.
Conformément à l’avis du Conseil consultatif national d’éthique, cet amendement est celui qui encadre le plus cette procédure.
Il se limite au cas où l’homme décède, quand d’autres amendements prévoyaient aussi le cas de couples de femmes – cela n’aurait toutefois aucun sens, puisqu’il n’y a pas d’embryon dans ce cas.
Il prévoit en outre l’expression du consentement de l’homme à ce transfert post mortem et l’encadre par des bornes temporelles – la transplantation doit avoir lieu entre six et dix-huit mois après le décès. Il prévoit enfin une autorisation de l’Agence de la biomédecine et limite le nombre de naissances susceptibles d’intervenir dans ce cadre.
En revanche, la commission est défavorable à tous les autres amendements et sous-amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Je répondrai de façon générale, et Mme la garde des sceaux interviendra plus spécifiquement sur le volet juridique.
Lorsque j’ai été amenée à réfléchir à cette mesure, au tout début de l’élaboration du projet de loi, j’y étais favorable, au nom des arguments qui ont été développés lors de la présentation de ces amendements : souci de cohérence par rapport aux femmes non mariées qui peuvent désormais accéder à l’AMP, volonté de ne pas infliger à des femmes en deuil, qui vivent déjà un moment dramatique, la frustration ultime de ne pouvoir mener à terme leur projet parental. Je comprends ces arguments, et l’émotion que de telles situations peuvent susciter.
Je souhaite toutefois dérouler à présent le fil d’autres arguments. En effet, progressivement, je me suis construit une autre conviction sur l’AMP post mortem, en dépassant la situation la plus emblématique de cette femme robuste, qui dispose d’un embryon congelé, dont le mari décède brutalement et qui veut mener son projet parental à terme, comme un ultime acte d’amour.
Il me semble, en premier lieu, que l’argument de cohérence ne tient pas. Les femmes seules qui construisent un projet parental dans le cadre d’une AMP ont mûrement réfléchi leur décision et ont généralement tissé une forme de nidation, un référentiel familial ou amical d’altérité paternelle autour d’oncles ou d’amis proches. Je le sais pour avoir conduit un grand nombre d’auditions.
Au contraire, nous parlons de la situation de femmes qui vivent un deuil, un traumatisme, et qui doivent subitement reconstruire leur projet parental dans une situation complètement différente en termes de rapports familiaux, amicaux, financiers… Tout est rupture dans le deuil. Ce que nous pouvons souhaiter de mieux à ces femmes, c’est qu’elles puissent faire leur deuil et construire d’autres projets, peut-être se remarier ou repenser un projet parental en tant que femmes seules. En revanche, nous ne leur souhaitons pas forcément de poursuivre leur projet d’AMP préexistant.
Je rappelle de surcroît que les chances de succès de l’AMP sont de 15 % à 20 % seulement. Ces femmes devront donc attendre six mois avant de pouvoir poursuivre leur projet, puis elles seront confrontées à un risque d’échec plus élevé que ne le sont leurs chances de succès. On les expose donc à un deuil quasiment interminable et renouvelé, voire à un double ou à un triple deuil d’incapacité.
Au final, c’est une fausse sécurité, une fausse liberté que nous donnerions aux femmes qui se trouvent dans cette situation.
De plus, ces dernières peuvent subir une pression sociétale, amicale ou familiale que Mme Rossignol a évoquée.
Pour un cas parfait que nous avons tous en tête – nous voulons tous aider cette personne –, nous prendrions donc le risque considérable d’amener plusieurs femmes vers un deuil interminable, des échecs successifs, des pressions…
Certains d’entre vous ont toujours l’embryon en ligne de mire, cet embryon congelé que l’on pourrait donner à d’autres. Comment pourrait-on faire cela à ces femmes en deuil, nous dit-on ?
Tout d’abord, je le rappelle, il est extrêmement rare que des embryons congelés soient donnés à d’autres couples. On compte aujourd’hui moins de vingt naissances par an issues de dons d’embryons. Chaque couple veut généralement son propre embryon et, dans les situations dont nous parlons, la femme peut évidemment en demander la destruction.
Surtout, l’embryon n’est pas le stade ultime de l’AMP. Le fait d’avoir des embryons ou des gamètes congelés ne correspond pas à des stades successifs de la démarche d’AMP. Il ne reflète que le type d’infertilité. On ne peut par conséquent pas traiter différemment, dans le cadre de cette AMP post mortem, les embryons ou les spermatozoïdes congelés et leur donner un statut différent, puisque l’utilisation des uns ou des autres est simplement liée à la pathologie sous-jacente.
On placerait donc ces femmes en situation d’espérer et dans l’impossibilité de faire leur deuil, alors que nous leur souhaitons au contraire de pouvoir se reconstruire autrement, une fois le deuil accompli.
Enfin, avant même l’autorisation d’autoconservation des gamètes, il existe déjà des milliers de situations dans lesquelles les spermatozoïdes masculins sont conservés, notamment dans le cas de maladies comme le cancer.
Comme l’a dit Mme la rapporteure, on ouvrirait peut-être la voie à une réelle rupture anthropologique. Combien de temps après la mort peut-on donner naissance à un enfant ?
Je développerai pour conclure un dernier argument. Nous nous préoccupons, depuis le début de l’examen de ce projet de loi, de l’intérêt de l’enfant. Or, sincèrement, je ne sais pas qui, dans ce cas de figure, peut garantir l’intérêt de l’enfant. Nous garantissons l’intérêt des femmes qui veulent continuer leur projet parental, mais qui peut garantir qu’un enfant conçu dans cette situation n’aura pas une place particulière, liée à la projection du père absent, une place différente de celle d’un enfant conçu au terme d’un projet parental construit par une femme seule ? Aucune étude ne peut assurer la place de l’enfant dans de telles situations.
À la lumière de ces arguments, je me suis forgé la conviction que, malgré leur légitimité, malgré l’émotion qu’elles peuvent susciter et le souci de cohérence qui nous anime, nous commettrions une erreur si nous accédions à ces demandes. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement s’oppose à la totalité de ces amendements.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Je veux simplement compléter rapidement les propos d’Agnès Buzyn sur le plan juridique.
Je ne me place ni du point de vue de la douleur évidemment ressentie par les femmes qui vivent de telles situations ni du point de vue médical.
Autoriser la PMA post mortem entraînerait deux difficultés juridiques, qui ne seraient pas nécessairement insurmontables, mais qui poseraient néanmoins de sérieux problèmes.
La première difficulté concernerait la filiation. Qui dit AMP, dit consentement à l’AMP. Toutefois, ce consentement du père défunt et de la mère n’emporte pas filiation. Or, par définition, l’enfant naîtra après le délai des 300 jours durant lesquels la présomption de paternité liée à la reconnaissance anticipée reste valide. Il faudrait donc imaginer un autre système de filiation, ce qui serait tout de même assez complexe à mettre en œuvre, même si le droit n’est qu’un outil.
La seconde difficulté serait liée à la succession. Aux termes du code civil, pour hériter, il faut exister au moment de l’ouverture de la succession. Il faudrait donc modifier l’article 725 dudit code pour inclure, parmi les héritiers, l’enfant à naître, alors même que l’embryon ne serait pas implanté au moment du décès. Là encore, l’obstacle n’est sans doute pas infranchissable, mais le problème reste complexe.
Il faudrait aussi modifier les textes relatifs à la capacité de recevoir par testament ou donation. En l’état actuel, on ne peut léguer ou donner à une personne qui n’est pas encore conçue.
Le règlement de la succession serait retardé de plusieurs années. Il serait de plus soumis à plusieurs aléas : la décision de la mère de réaliser ou non l’implantation, au terme d’un délai que vous souhaitez voir compris entre six et dix-huit mois après le décès, le succès de l’AMP, comme l’a souligné Agnès Buzyn, et enfin la viabilité de l’enfant au moment de la naissance. Rien n’est impossible en droit, mais ce serait tout de même une véritable difficulté.
Ces raisons juridiques confortent l’avis défavorable du Gouvernement sur ces amendements.