M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin.
M. Jean-François Rapin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la psychiatrie française est en crise. C’est pourtant une discipline primordiale, souvent décrite comme le « parent pauvre » de la médecine.
La psychiatrie, profondément marquée par un manque de moyens financiers et humains, traverse actuellement des difficultés majeures. La pédopsychiatrie, discipline plus récente, n’y échappe pas.
La psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent est peu étudiée, alors que la spécificité et l’incidence des troubles des mineurs sont importantes. L’Organisation mondiale de la santé affirme d’ailleurs que plus de 50 % des pathologies psychiatriques de l’adulte apparaissent avant 16 ans.
Le constat n’est pas nouveau. La mission d’information sur la psychiatrie des mineurs en France, dont j’ai fait partie, a d’ailleurs publié un rapport très complet à ce sujet.
D’une part, la pédopsychiatrie peine à recruter, les professionnels manquent, tout comme les professeurs enseignant cette spécialité. Selon le Conseil national de l’ordre des médecins, le nombre de pédopsychiatres a diminué quasiment de moitié entre 2007 et 2016. Reconnaissance et attractivité de la profession sont donc ici en jeu.
D’autre part, les moyens financiers alloués au secteur ne permettent pas de poursuivre une politique de santé publique adaptée aux enjeux. Les difficultés d’accès aux soins psychiatriques sont importantes, notamment dans les territoires ruraux ou isolés. Les inégalités territoriales sont frappantes et les structures existantes sur-sollicitées.
Au-delà de ce constat peu réjouissant, la situation de nombreuses familles devant faire face à des problématiques de santé mentale doit nous interpeller.
L’entourage du mineur, sa famille, mais également le personnel de la petite enfance, de l’éducation nationale – les services de médecine scolaire tendent malheureusement à décliner, monsieur le secrétaire d’État –, la médecine générale, l’ensemble des acteurs de la chaîne de soins doivent être mieux formés et informés.
Le repérage et le diagnostic précoces sont essentiels, tout comme la prise en charge qui en découle. Prenons l’exemple des enfants diagnostiqués autistes. Je ne referai pas ici le débat du diagnostic et du traitement de l’autisme. Je rappelle, en adressant un petit clin d’œil à notre collègue Patrick Kanner, que le premier médecin à avoir décrit les symptômes de l’autisme était le pédopsychiatre Léo Kanner.
M. Patrick Kanner. C’était un grand-oncle !
M. Jean-François Rapin. Leur prise en charge est complexe et coûteuse. C’est un réel parcours du combattant, qui ne fait qu’ajouter des souffrances à la pose d’un diagnostic angoissant pour les parents, toujours soucieux que leur enfant puisse être accompagné et pris en charge de la façon la plus efficace et la plus humaine possible, en évitant à tout prix son exclusion, voire sa stigmatisation.
Un autre exemple, qui touche plus particulièrement les adolescents, est celui de la consommation de cannabis. Cette substance addictive présente de multiples risques, comme toutes les addictions – on pourrait aussi parler de l’alcoolisme. Elle engendre des problèmes d’attention, de concentration, de mémoire, mais aussi des troubles cognitifs psychiatriques, voire l’altération de capacités cérébrales. Trop de jeunes méconnaissent les troubles liés à sa consommation et se retrouvent dans des situations de décrochage scolaire, de difficultés d’intégration sociale, de forte anxiété ou d’humeur dépressive. L’accent doit être mis sur la prise en charge spécifique de l’adolescent en souffrance, voire du jeune adolescent, car la consommation débute de plus en plus précocement.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a posé les bases d’un nouveau financement de la psychiatrie. Nous ne pouvons que nous réjouir d’une telle prise de conscience des pouvoirs publics. J’espère que, à la même occasion, la pédopsychiatrie verra aussi son financement rehaussé à la hauteur de ses enjeux.
Au-delà d’une réforme du financement, ne serait-il pas judicieux d’entreprendre une réflexion, bien plus large, sur la psychiatrie, et donc aussi sur la pédopsychiatrie, qui traiterait de sujets essentiels tels que la formation, la prévention, le repérage, le diagnostic, la prise en charge, l’inclusion scolaire et l’insertion sociale sous tous leurs aspects, et ce dans l’intérêt et le bien-être des plus jeunes.
Véritable enjeu de santé publique, il est nécessaire, pour l’avenir de nos enfants et des générations futures, de réformer cette branche de la psychiatrie et d’en développer la recherche, primordiale pour l’évolution de l’état de santé des jeunes patients.
Pour conclure, j’insisterai de nouveau, en tant que médecin, sur la médecine scolaire. Nous avons perdu beaucoup en abandonnant ce pan complet de la médecine préventive, monsieur le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE, Les Indépendants et SOCR. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jean-Louis Tourenne. Monsieur le secrétaire d’État, l’hôpital est malade, et vous n’avez posé que des cautères qui ne règlent rien. Les urgences embolisées, les manifestations des soignants, les démissions vous l’expriment presque tous les jours, sans que vous apportiez la moindre réponse acceptable. Le secteur psychiatrique est plus atteint encore, et, disons-le tout net, cela ne date pas d’hier. Le rapport de Michel Amiel réalisé en 2017 montrait déjà l’état de déshérence dans lequel se trouve ce secteur.
La psychiatrie infanto-juvénile n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était. On ne voit plus que le squelette de son organisation territoriale, qui se voulait performante. Elle a largement participé au dépistage précoce des signes de souffrance et des troubles psychiques. Mais la pédopsychiatrie publique ne peut actuellement apporter à tous les enfants, protégés ou non, les soins dont ils devraient bénéficier, faute de structures et de moyens suffisants.
L’ensemble des dispositifs du parcours de soins est en mauvais état, notamment le dépistage. On sait combien le dépistage précoce est déterminant dans le pronostic de retour à meilleure santé mentale. On constate toutefois un dépistage très tardif pour les enfants confiés aux départements.
Ainsi, études et rapports montrent que les enfants confiés à l’ASE présentent des troubles multiples, avec notamment une surreprésentation des troubles psychoaffectifs et du comportement : 13 % à 15 % des enfants confiés ont un dossier auprès d’une MDPH, c’est-à-dire sept fois plus que la population générale ; 1,6 % des mineurs placés dans des établissements sont sous antidépresseurs, soit sept fois plus que la population générale ; 7,2 % des enfants sont sous neuroleptiques, soit vingt-quatre fois plus que dans la population générale.
La médecine scolaire est dans l’incapacité de saisir dès le plus jeune âge, celui de l’école maternelle, les premiers symptômes de troubles du comportement.
On considère que la dépression maternelle périnatale, génératrice de risques particuliers pour l’enfant, touche aujourd’hui 15 % des femmes enceintes. Un tel chiffre suppose qu’un dépistage précoce de la dépression périnatale puisse être mis en place. Ce n’est pas le cas. Le diagnostic met un temps considérable à être établi, ce qui hypothèque gravement les chances d’une guérison.
On note, lors d’une table ronde, que l’âge moyen d’accueil des enfants dans la pouponnière spécialisée d’Angers est de 21 mois, alors que leur situation a été identifiée douze mois plus tôt. Le responsable signale combien ces enfants sont déjà profondément cassés, avec des troubles fixés, dont on sait qu’il sera beaucoup plus compliqué de les guérir pour leur permettre de reprendre un développement normal.
Nos collègues Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien rapportaient, dans la mission qu’elles ont conduite sur les troubles psychiques des mineurs victimes d’agressions sexuelles, les propos de la psychiatre Muriel Salmona : « Il faut rappeler que, presque partout, le délai minimum pour une prise en charge en centre médico-psychologique (CMP) est de six mois, mais le plus souvent compris entre douze et dix-huit mois. »
Et le témoignage d’une maman, parmi tant d’autres : « J’ai essayé d’obtenir un rendez-vous en CMP. J’ai rappelé, on est sur liste d’attente, j’ai réexpliqué le cas de mon fiston. Pour moi, ça devient urgent, je suis très inquiète de son comportement et aucun délai ne m’a été annoncé ; mon fils pense souvent à la mort, il a peur de nous perdre, sans compter ce qu’il y avait avant, je ne sais plus comment faire, je suis désemparée ».
Les CMPP connaissent les mêmes embolies et délais d’attente pour l’établissement d’un diagnostic, avec des prises en charge trop tardives et des perspectives de guérison aléatoires.
Les centres de planification familiale repèrent des situations d’addiction, de décrochage scolaire, les signes révélateurs de violence sexuelle ou de maltraitance physique ou psychologique. Mais les moyens dont ils disposent sont notoirement insuffisants.
Quant à la prise en charge des enfants ou adolescents victimes de troubles psychiques, elle se dégrade dangereusement. Leur nombre connaît une forte augmentation. On constate une demande de soins psychiatrique des mineurs en augmentation de plus de 14 % en dix ans.
Michel Amiel note dans son rapport les difficultés d’accès aux soins psychiatriques et les retards de prise en charge : « Ces difficultés constituent pour les mineurs atteints de troubles une perte de chance d’autant plus importante que la précocité de la prise en charge est déterminante. Plusieurs facteurs sont de nature à causer ces retards : l’inadaptation de l’offre et son insuffisance sont accentuées par la hausse de la demande. »
« La psychiatrie est sinistrée », titrait il y a peu un grand journal national, en apportant un certain nombre d’illustrations à cette affirmation.
En dix ans, le nombre de pédopsychiatres a été divisé par deux. L’offre de soins est la plus faible d’Europe. On compte seulement quatre professionnels, dont l’âge moyen est de 62 ans, pour 100 000 jeunes, et quatorze départements sont aujourd’hui sans pédopsychiatres. Bien que leur nombre ait baissé, 15,6 % des postes de praticiens sont vacants.
Pourtant, le nombre de demandes est en constante augmentation : 400 000 de plus en dix ans. Nous sommes passés de 310 enfants par CMPP en 1996 à 510 aujourd’hui, avec une croissance de 50 % des troubles du développement, de 30 % des troubles d’hyperactivité et de 30 % des troubles du spectre autistique. S’ajoutent à cela de nombreuses demandes liées à un contexte de problématique sociale, de grande précarité, de désinsertion et de difficultés d’ajustement aux cadres collectifs, autant de problèmes de comportement que les enseignants subissent avec angoisse.
Dès lors, les conditions de travail se dégradent. Il devient difficile de recruter quand le pédopsychiatre est tiraillé entre les diktats administratifs, le mécontentement des familles, la détresse des enfants, le délitement du dispositif soignant… Les professions paramédicales – psychomotriciens, orthophonistes, psychologues –, indispensables à la mise en œuvre des suivis, ne sont pas mieux loties, avec des grilles de salaires peu attractives.
Le Président de la République affichait récemment sa volonté de « redonner une perspective à la pédopsychiatrie et à la psychiatrie ». Voilà une belle déclaration pour tenter de redonner à ce secteur les moyens de faire face à une nécessité nationale, mais ce n’est pour l’instant qu’une déclaration… C’est en effet une nécessité nationale, car les conséquences de cette situation pour la cohésion sociale sont considérables : développement de la violence gratuite et montée du sentiment d’insécurité, coût considérable pour la société des troubles psychiques, qui se sont développés faute d’avoir été soignés à temps, multiplication des phénomènes de radicalisation chez des personnes déstructurées, qui cherchent des moyens de légitimer leur agressivité et de se croire enfin importantes, reproduction, de générations en générations, selon un modèle déjà vécu, des mêmes marginalisations, qui fait de la France la vice-championne du monde du déterminisme social.
Il y va, monsieur le secrétaire d’État, de la santé des enfants et adolescents concernés, de leur sérénité et de leur développement harmonieux. Il y va donc de l’avenir de notre nation.
Il faut rapidement recréer une organisation efficace, en mobilisant sur un territoire toutes les forces qui peuvent concourir à dépister, accompagner et guérir efficacement.
Il faut mettre en œuvre les moyens d’attirer, de nouveau, des professionnels praticiens et paramédicaux vers des fonctions essentielles à la préservation de notre cohésion sociale.
Nous devons investir dans la formation de ces praticiens et dans des locaux fonctionnels adaptés – 41 % des praticiens déclarent les locaux des CMP inadaptés à leur activité –, créer des lits supplémentaires, pour éviter que des enfants aux difficultés de comportement puissent se retrouver à quatre dans une même chambre.
Certes, le malaise n’est pas nouveau, et personne ne songe à vous faire reproche de la dégradation de la situation, monsieur le secrétaire d’État. Mais vous êtes aujourd’hui aux responsabilités, et il vous appartient d’y apporter remède.
Quelles sont les marges de manœuvre dont vous disposez ? Après que les comptes de la sécurité sociale ont été ramenés à l’équilibre, vous vous êtes empressés de lui faire les poches, et elles sont désormais vides. Et ça, c’est de votre responsabilité ! Et ce n’est pas fini, si j’ai bien compris ! Aux 3 milliards d’euros non compensés du budget pour 2020 vont s’ajouter des manques à gagner bien plus considérables.
La réforme du système de retraite contient une modification des plafonds de cotisation, qui passeraient de 370 000 euros à 120 000 euros. Or les économies, en matière de versements de retraites, ne seront réelles qu’à partir de 2037. D’ici là, les nouveaux hauts salaires verront leurs cotisations diminuer considérablement, d’où une perte pour la sécurité sociale de l’ordre de 4 milliards à 5 milliards d’euros par an.
Pour les fonctionnaires, les cotisations patronales de l’État atteignent plus de 74 %. Elles tomberont à 16,8 %, mais les retraites, qu’elles soient versées par la sécu ou un nouvel organisme, devront être au moins égales à celles d’aujourd’hui. Qui financera le déficit lié à cette perte de recettes, et comment ?
En réalité, au-delà de vos bonnes intentions, dont je ne doute pas, vous n’avez pas un sou pour les financer. Tel est bien le fond du problème ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, c’est un vaste sujet que celui de la pédopsychiatrie, tant les publics et les types de prise en charge sont divers. Je ne prétends pas faire le tour de la question en six minutes ; je vais simplement évoquer quelques pistes de réflexion et de sortie de crise, fondées sur l’avis de professionnels que j’ai rencontrés, ainsi que sur mon expérience de médecin et d’élue régionale chargée de la santé.
Si l’état d’urgence a été décrété dans plusieurs secteurs de la santé, celui de la psychiatrie est directement concerné par les pénuries de personnels, de structures adaptées et de lits d’hospitalisation. Le ministère de la santé a d’ailleurs bien identifié ce problème, en faisant de la psychiatrie et de la santé mentale des priorités du plan Ma santé 2022.
Des plans territoriaux de santé mentale devront ainsi être mis en œuvre d’ici à l’été, fondés sur un diagnostic partagé pointant les insuffisances du territoire et les préconisations pour y remédier. Ces contrats, établis entre les partenaires et l’ARS, permettront d’organiser la coordination territoriale en matière de prévention, de soins et d’accompagnement social. J’ai la chance de connaître un peu ce sujet, grâce à l’engagement de la région Grand Est, qui promeut notamment en Meurthe-et-Moselle de nouveaux dispositifs pluriprofessionnels innovants, dont la télémédecine, le repérage précoce et une plateforme dédiée pour mieux informer patients et professionnels.
Le repérage précoce est particulièrement pertinent dans le cas de la pédopsychiatrie, car certains troubles apparaissent très tôt. On le sait, plus la prise en charge est rapide, plus on limite les souffrances de l’enfant et de la famille, souvent confrontée à un véritable parcours du combattant. Malheureusement, pour que ce dépistage précoce s’effectue, nous avons besoin de professionnels formés.
La pédopsychiatrie est une spécialité à part entière. En l’absence de pédopsychiatres en nombre suffisant, la prise en charge des enfants se fait trop souvent tardivement et par des psychiatres pour adultes. Chez les paramédicaux, la problématique est la même, puisque, depuis 2010, s’est amorcé le départ à la retraite de nombreux professionnels expérimentés, qui se chargeaient jusqu’ici de la formation des plus jeunes à travers le compagnonnage.
Combiné à une formation trop centrée sur la médicalisation, chez l’adulte comme chez l’enfant, ce manque de personnel entraîne une surmédication caractérisée d’inquiétante par de nombreux professionnels que j’ai rencontrés.
Au-delà de cette inadéquation entre l’offre en professionnels formés et les besoins des enfants, on peut également s’interroger sur la pertinence de considérer les jeunes, dès 16 ans, comme des adultes, et donc de leur faire quitter le giron de la pédopsychiatrie. Les problématiques spécifiques des adolescents nécessitent des prises en charge spécifiques, bien différentes de la psychiatrie pour adultes. Voilà une question sur laquelle il est sans doute nécessaire de se pencher, monsieur le secrétaire d’État, puisque le Gouvernement semble enclin à faire bouger les lignes.
La marche est haute, car les pénuries sont nombreuses. La jeunesse de France souffre, à l’instar d’autres pays, et de plus en plus d’enfants présentent des troubles psychologiques, voire psychiatriques liés à la décompensation d’un trouble préexistant, à la prise de produits de type stupéfiant, alcool ou médicament, à un mal-être lié à une instabilité sociale, à la précarité ou encore à un milieu familial dysfonctionnant.
Cette situation se traduit par une augmentation du nombre de tentatives de suicide et d’admissions dans les services d’urgences. Lorsque des jeunes admis en état de crise ne peuvent être hospitalisés dans un service adapté faute de places, ils sont admis en pédiatrie, cohabitent avec des enfants présentant des pathologies somatiques et sont pris en charge par un personnel qui n’est pas formé pour.
L’offre de soins en ambulatoire souffre également, puisque les délais d’attente se sont allongés ces dernières années, avec les effets délétères que l’on connaît.
Enfin, s’agissant des instituts et centres d’accueil spécialisés, le constat est le même : le manque de places d’hospitalisation se répercute sur ces professionnels, les contraignant de maintenir dans leur structure des jeunes en crise, générant des situations complexes et quelquefois dangereuses.
Tout cela, vous le savez aussi bien que moi, c’est le résultat de quarante ans de promotion de la « psychiatrie hors les murs ». Si la lutte contre l’approche asilaire a eu un impact positif majeur sur la prise en charge des patients, elle a justifié la fermeture de trop nombreuses unités d’hospitalisation et a entraîné une perte d’attractivité de ces métiers, que nous payons aujourd’hui.
Chaque jeune doit pouvoir trouver une réponse adaptée à sa situation, qu’il puisse être suivi en ambulatoire ou qu’il ait besoin d’une hospitalisation d’urgence, qu’il puisse aller à l’école ou qu’il ait besoin d’une structure adaptée.
Ce constat étant posé, des solutions existent. Au-delà de l’augmentation de l’offre en hospitalisation, je voudrais tout d’abord parler de la prévention, en mettant l’accent sur les débuts de la parentalité, sur la sensibilisation aux effets de l’addiction – je pense aux psychotropes, mais aussi aux écrans –, sur le repérage du décrochage scolaire et du harcèlement…
Je veux ensuite évoquer la télémédecine, qui, dans le cas de la psychiatrie, apporte une réponse adaptée à certains besoins, notamment des personnes ayant des difficultés à sortir de chez elles ou trop éloignées d’un professionnel. Une enveloppe de 10 millions d’euros a été mise sur la table par le ministère pour développer le fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie, qui financera des projets innovants, dont la télémédecine.
Lors de l’examen de la loi Santé, l’été dernier, j’ai émis le souhait que chaque hôpital de proximité dispose d’un plateau de télésanté. En attendant que ce déploiement s’effectue, il est nécessaire que l’administration accueille plus favorablement les initiatives multiples qui fleurissent et apporte un début de réponse à la crise.
Sur ces deux points, le Gouvernement semble avoir pris la mesure des enjeux, en soutenant notamment l’action des collectivités au plus près du terrain. Gageons, comme toujours, que les actes rejoindront les paroles et que toutes les parties prenantes joueront le jeu, afin que la santé de nos jeunes s’améliore. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et Les Indépendants. – Mmes Élisabeth Doineau et Victoire Jasmin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’enfant et l’adolescent sont des êtres en devenir. L’un de leurs premiers droits est celui d’être en bonne santé. Il s’agit d’un défi de premier plan, et nous devons, avec l’ensemble des acteurs, tout mettre en œuvre pour parvenir à cet objectif.
Si, depuis le début des années 2000, la santé physique des enfants s’est considérablement améliorée, le bilan est nettement plus contrasté en ce qui concerne les troubles mentaux. Anxiété, dépression et troubles du comportement sont désormais en tête du podium des maladies qui touchent les jeunes.
L’état de la pédopsychiatrie en France est plus que préoccupant, et de nombreux spécialistes nous alertent depuis des années, notamment sur les délais de prise en charge des enfants. Ainsi, le professeur Maurice Corcos, pédopsychiatre à l’Institut mutualiste Montsouris à Paris, rappelle que, dans certaines régions, les délais d’attente pour une prise en charge peuvent atteindre de six mois à un an.
Nous constatons une offre de soins en nette diminution, due notamment au manque de professionnels qualifiés pour répondre à la demande.
Nous ne pouvons accepter que, par manque de lits, des enfants qui se présentent aux urgences après une tentative de suicide ou en cas de crise d’anxiété ou d’agitation aigüe ne puissent être pris en charge immédiatement.
En 2017, le rapport d’information de notre collègue Michel Amiel pointait une réalité face à laquelle nous devons réagir. Entre 1991 et 2003, le nombre de mineurs jusqu’à l’âge de 15 ans vus au moins une fois dans l’année par les intersecteurs de pédopsychiatrie a connu une hausse de plus de 80 %. Ce rapport notait également que, sur une centaine de postes de professeurs de psychiatrie dans les universités, seule une trentaine était spécialisée en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Il est donc particulièrement difficile pour les étudiants de se former. En dix ans, le nombre de pédopsychiatres recensés par l’Ordre des médecins a ainsi été divisé de moitié.
Face à ce constat désolant, le Gouvernement, par la voix de la ministre Agnès Buzyn, a annoncé aux professionnels du secteur que la psychiatrie et la santé mentale allaient disposer de moyens supplémentaires : 40 millions d’euros de plus sont ainsi promis pour « sauver la psychiatrie ». Ils financeront la mise en œuvre des mesures dévoilées fin juin par le Gouvernement, notamment en ce qui concerne le développement de la pédopsychiatrie, avec la formation de davantage de professionnels. Ainsi, en deux ans, ce sont vingt postes de chef de clinique en pédopsychiatrie qui ont été créés.
Dans la stratégie nationale que vous avez présentée, monsieur le secrétaire d’État, 20 millions d’euros sont alloués à la pédopsychiatrie dans le cadre du plan pour la santé mentale. Nous nous en réjouissons, même si l’ampleur des dégâts nous oblige à faire davantage et à aller plus loin.
Nous devons également entendre les propositions des différents acteurs, notamment celles du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), qui, chaque année, formule des propositions intéressantes en la matière.
Je pense notamment à la mise en œuvre d’un parcours de soins pédiatrique et pédopsychiatrique spécialisé pour les enfants et adolescents maltraités ou négligés, qu’ils soient dans leur famille ou accueillis par l’aide sociale à l’enfance. Le CNPE pointe également la nécessité que ce parcours soit porté par des professionnels de santé publics et privés formés.
La création d’un panier de soins pour les enfants victimes de violence pour une prise en charge totale des dépenses de soins somatiques et psychiques, médicaux et paramédicaux, en particulier ceux qui sont pratiqués par les psychologues et les psychomotriciens, serait aussi une réponse satisfaisante pour améliorer la prise en charge des enfants.
Mieux former les professionnels de santé, mieux repérer les troubles dès le plus jeune âge, en liaison notamment avec l’éducation nationale, garantir une offre de soins solide sur l’ensemble du territoire : tels sont les enjeux auxquels nous devons faire face aujourd’hui. Les récentes annonces du Gouvernement permettent d’y répondre en partie.
D’ailleurs, vous présenterez prochainement, monsieur le secrétaire d’État, les conclusions de la commission sur les « 1 000 premiers jours », présidée par le pédopsychiatre Boris Cyrulnik. Nous le savons, cette période comprise entre le quatrième mois de grossesse et l’âge de 2 ans est cruciale pour le développement de l’enfant. C’est pourquoi nous attendons beaucoup des conclusions de cette commission, qui, je l’espère, permettront un meilleur repérage et une meilleure prise en charge des enfants.
Enfin, l’intervention de pédopsychiatres dans les services de protection de l’enfance est une exigence, tant les enfants qui y sont accueillis constituent un public fragile sur le plan psychologique et psychiatrique.
C’est à la fois la responsabilité des départements de garantir une protection et un accompagnement de ces enfants, mais aussi à l’État de mieux former les professionnels.
Mes chers collègues, les défis sont nombreux. Je nous invite à travailler ensemble, avec les professionnels de santé, le tissu associatif et les acteurs locaux, dans l’intérêt supérieur des enfants. Ils sont à la fois l’avenir de notre pays et les graines de l’avenir. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Indépendants. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la pédopsychiatrie française va mal. Cet état de fait, largement partagé par les professionnels du secteur et constaté par les nombreux rapports qui y ont été consacrés, appelle une réponse forte et urgente de la part des pouvoirs publics. De longs délais avant d’accéder à une prise en charge, des soignants en nombre insuffisant, des patients déjà fragiles qui se sentent abandonnés et des familles laissées sans solution face à ces difficultés.
La prévention en santé est essentielle. Elle permet à la fois d’informer et de sensibiliser aux troubles et aux affections, en favorisant les diagnostics précoces, qui, cela a été maintes fois prouvé, permettent une prise en charge plus efficace du patient. C’est le cas notamment pour les troubles autistiques. Or la prévention est un objectif souvent évoqué, mais qui reste dépourvu des moyens financiers et humains à la mesure des besoins que nous constatons sur l’ensemble du territoire.
Prenons l’exemple de la prévention prénatale : 12,5 % des femmes enceintes ont déclaré une détresse psychologique anténatale et seulement 42 % d’entre elles ont bénéficié d’une consultation avec un professionnel spécialisé en psychiatrie. Or ces difficultés peuvent entraîner des conséquences sur le développement de l’enfant, si elles sont à l’origine d’un trouble de l’attachement, par exemple. Le dépistage, l’accompagnement et la prise en charge incluant un accompagnement au rôle parental paraissent alors essentiels pour infléchir les conséquences à court, moyen et long terme pour les mères et leur enfant.
Pourtant, les services de la protection maternelle et infantile (PMI) dans les maternités, qui sont souvent les premiers interlocuteurs des futures mères, ont été fermés – c’est le cas dans mon département. C’est un relais de moins pour prévenir et dépister les détresses psychologiques prénatales.
Les familles sont souvent dépourvues de ressources face aux troubles de comportement que présente leur enfant. C’est auprès du médecin généraliste qu’elles vont alors chercher des réponses, dans la proximité. Le médecin les oriente vers les centres médico-psychologiques (CMP) et les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP), qui assurent une prise en charge pluridisciplinaire de qualité et couverte financièrement par l’assurance maladie et qui constituent les pièces maîtresses de la sectorisation.
Les CMP accueillent également les mineurs relevant des services de la protection de l’enfance – en France, ils sont près de 300 000. Parce qu’ils ont subi des maltraitances et/ou des négligences, ces mineurs présentent deux à trois fois plus de risques de souffrir de troubles psychiques que la population générale.
Or, alors que les demandes explosent, ces structures d’accueil voient, elles aussi, leurs moyens réduits comme peau de chagrin et elles subissent des regroupements qui non seulement les éloignent de leurs patients, mais risquent aussi de provoquer des ruptures de soins. La réduction de leurs moyens a un impact sur la qualité des soins et la longueur des délais d’attente fait subir une perte de sens à la démarche, voire une moindre adhésion au dispositif thérapeutique.
Par ailleurs, comme l’a souligné ma collègue Laurence Cohen, le fonctionnement de ces structures se voit de plus en plus menacé par la pénurie de professionnels. En effet, les métiers clés – pédopsychiatres, orthophonistes, psychomotriciens – sont de plus en plus en tension, et ce pour des raisons multiples. En 2016, on comptait en moyenne en France 4 professionnels pour 100 000 habitants âgés de 0 à 20 ans ; 14 départements ne comptaient aucun pédopsychiatre et l’âge moyen de ces professionnels était de 62 ans. Il est nécessaire de renforcer l’attractivité de ces centres, en réajustant la grille de salaire, peu attractive pour les professionnels de santé.
Quant au rôle de la médecine scolaire dans le dépistage et la prévention des troubles pédopsychiatriques, j’aimerais rappeler que, dans le Nord, l’inspection académique faisait état, en 2018, de 40 postes de médecins scolaires vacants sur un total de 80.
Le manque de pédopsychiatres est lourd de conséquences, tant dans la pratique médicale que dans l’enseignement et la recherche. Si les postes vacants dans les services de pédopsychiatrie sont parfois occupés par des psychiatres pour adultes qui n’ont pas la formation adéquate, la situation est toutefois très problématique en ce qui concerne l’enseignement et la recherche, qui s’en trouvent fortement affaiblis.
Les professionnels de santé s’interrogent sur l’avenir et la pérennité de leur discipline : comment intéresser les étudiants en médecine à une spécialité qu’ils n’étudieront que peu lors de leur cursus général ? Comment faire évoluer les traitements et les prises en charge, alors que les crédits pour la recherche sont en berne ?
Il faut pérenniser les moyens des structures d’accueil, renforcer une politique de santé mentale infantile fondée sur la prévention et le soin. Pour cela, monsieur le secrétaire d’État, il faut arrêter les restrictions budgétaires et débloquer les moyens financiers et humains qui s’imposent. L’urgence est donc de passer du constat aux actes et des paroles aux décisions !
J’espère que ce débat, dont mon groupe est à l’initiative, contribuera à ce que votre gouvernement prenne enfin la mesure de la gravité de la situation de la pédopsychiatrie et mette en place un véritable plan de sauvetage de ce secteur. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)