M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’avenir des transports express régionaux.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

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Plan d’action en faveur des territoires ruraux

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le plan d’action en faveur des territoires ruraux.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Jacques Genest, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Genest, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat ne perd jamais une occasion de parler de la ruralité.

Tout d’abord, parce que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République » et que celles-ci sont rurales à 90 %. Ensuite, et surtout, parce que les élus locaux savent à quel point les maux dont souffre le monde rural sont profonds. Et ses habitants vivent avec le sentiment d’évoluer dans une société bloquée, qui entrave la promesse républicaine d’égalité.

D’ailleurs, d’où vient cette crise de la ruralité ? Tout simplement de ce que nous ne faisons plus d’aménagement du territoire. Cette politique a pourtant existé, notamment grâce à la création de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (Datar) en 1963, par le général de Gaulle.

Néanmoins, la réforme de 1963 n’a pas consisté en la création d’une nouvelle direction hyperspécialisée : elle a reposé sur un objectif simple, à savoir créer des pôles de croissance capables de réorienter les flux économiques avec un pilotage pragmatique et, surtout, des moyens financiers. Très exactement le contraire de la situation actuelle !

Cette politique a fonctionné aussi longtemps qu’elle a été maintenue. Hélas, les chocs pétroliers et leurs conséquences auront peu à peu conduit à considérer l’aménagement du territoire comme un luxe superflu.

Depuis lors, la ruralité n’a droit qu’à des soins palliatifs. Un bel exemple : on veut recréer des cafés, des stations-service, des petits commerces et redynamiser les bourgs-centres, après avoir tout fait pour les faire disparaître avec, entre autres, de gigantesques zones commerciales. C’est donner un cachet d’aspirine à quelqu’un sur qui on a tiré au bazooka !

Aujourd’hui, en 2020, le volume total des dispositifs d’aide est au plus bas. Je vous renvoie à la lecture du rapport de mon collègue Louis-Jean de Nicolaÿ sur le budget 2020, qui détaille les crédits consacrés à l’aménagement du territoire. Sa hausse ne résulte que de la création de l’Agence de la cohésion des territoires. L’effort réel de la part de l’État n’est que de 10 millions d’euros, sur lesquels les élus locaux n’auront guère leur mot à dire.

Si la responsabilité de ce désengagement est collective, que voyons-nous pour le monde rural quand nous regardons en avant ? Certains pensent encore que l’économie numérique va créer un mouvement massif et spontané vers le monde rural, qu’une start-up corrézienne ou, mieux, ardéchoise pourra travailler sans difficulté avec des clients brésiliens et des fournisseurs coréens.

Toutefois, jusqu’à présent, le développement du numérique a encore accentué la concentration géographique de la création de richesses. Je pense, par exemple, à l’installation de la fibre optique, gratuite pour les grandes agglomérations et payante pour les autres territoires. Ainsi, la communauté de communes de la Montagne d’Ardèche, avec ses 5 000 habitants, devra payer 2 millions d’euros. Quel bel exemple de solidarité territoriale !

Avant d’espérer, il faut déjà s’accorder sur certains postulats et tailler en pièces les idées reçues : oui, le monde rural peut s’insérer dans la mondialisation ; oui, le monde rural peut accueillir des activités économiques à forte valeur ajoutée ; enfin, non, le monde rural ne peut être cantonné au rôle de réserve naturelle destinée à combler la soif d’authenticité de nos amis citadins.

Concrètement, nous connaissons les deux défis à relever : l’un est économique, l’autre démographique. Aujourd’hui encore, les jeunes quittent le monde rural par manque de débouchés, et les entreprises ne s’y installent pas, faute de main-d’œuvre.

Il existe, madame la ministre, beaucoup de propositions intéressantes dans le plan du Gouvernement, et parfois des propositions de bon sens, qui ne sont ni coûteuses ni complexes à mettre en œuvre.

Vous savez pourtant, madame la ministre, que deux difficultés majeures préoccupent les élus que nous sommes : la fracture numérique et les déserts médicaux.

Comment encourager l’installation de nos concitoyens en zone rurale, si l’on ne peut s’y faire soigner ni même communiquer, que ce soit par internet ou même par téléphone ? Il est d’ailleurs particulièrement difficile de construire dans ces zones, parce que nos règles d’urbanisme sont inadaptées au développement de la ruralité.

Pis encore, comment voulez-vous y retenir des habitants qui perdent patience ? Cela n’a rien d’étonnant : quand on prend conscience que l’on n’a accès ni aux mêmes droits ni aux mêmes chances que ses compatriotes, l’impatience se transforme en colère.

La révolte des « gilets jaunes » s’illustre ainsi par quatre revendications essentielles : ils veulent pouvoir nourrir leur famille, se loger décemment, se déplacer et, surtout, se faire soigner. Le reste n’est que littérature !

Venons-en aux propositions du Gouvernement : je commencerai par le numérique, domaine où votre plan d’action est le plus timide, ce qui est bien dommage. Mon collègue Patrick Chaize, qui conclura ce débat, aura l’occasion d’y revenir plus en détail.

La technologie elle-même est sans doute moins importante que les usages qu’on peut en faire. De ce point de vue, je regrette, madame la ministre, votre passivité en matière de télétravail. Les grèves que nos concitoyens subissent devraient vous faire comprendre à quel point s’impose une véritable mesure d’allégement fiscal en la matière.

Concernant les déserts médicaux, je relève dans votre plan plusieurs solutions intéressantes : vous proposez notamment de renforcer le champ d’intervention des professionnels de santé non-médecins et d’assurer le déploiement de 400 postes de médecins salariés. Si l’on ne peut que soutenir ces mesures, je rappelle qu’elles sont de court terme, et que leur dose n’est qu’homéopathique.

S’agissant des réponses à plus long terme, vous proposez de déployer les stages d’internes en médecine dans les zones sous-denses, en priorité dans les territoires ruraux. Nous souscrivons évidemment à cette proposition ! Notre groupe y est tellement favorable qu’il avait, sur l’initiative de notre collègue Corinne Imbert, voté en faveur d’un dispositif analogue lors de l’examen de la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé.

Vous proposez ensuite de formaliser un partenariat entre les différents acteurs des territoires pour agir contre les difficultés d’accès aux soins, en particulier dans les territoires ruraux. Concrètement, on ne peut pas, à mon sens, attendre grand-chose de cette mesure, qui ne résoudra pas le problème de fond. Cela exigerait des actions fortes prises bien en amont, telles qu’une réforme du cadre des études de médecine.

En définitive, les propositions de votre plan d’action en matière de lutte contre les déserts médicaux et la fracture numérique ne me posent aucun problème.

J’irai jusqu’à dire qu’il y a une certaine indécence à produire un plan d’action aussi ambitieux pour, à peine trois mois plus tard, soumettre à consultation un nouveau cahier des charges pour le financement des réseaux d’initiative publique qui conduira, tout simplement, à la disparition du plan France très haut débit.

Les habitants du monde rural – vous le savez, madame la ministre – n’attendent pas de miracles. À force de promesses non tenues, ils sont devenus indifférents aux grandes opérations de communication dont ils sont les destinataires.

En la matière, comme dans tous les autres domaines de la vie publique, il ne faudrait jamais dire plus que ce que l’on est capable de faire.

C’est d’ailleurs tout à fait la philosophie qui a présidé à la création, par notre groupe, du groupe de travail sur la ruralité, que j’anime conjointement avec mes collègues Jean-Marc Boyer et Daniel Laurent. Ses propositions, qui seront simples et peu coûteuses à mettre en œuvre, seront connues dans les prochains jours ; elles compléteront celles que nous avions faites dès 2016.

Toutefois, aujourd’hui, madame la ministre, c’est de votre plan d’action qu’il est question. Qu’est-ce qui peut nous laisser penser que cette initiative aura un sort différent de celui des comités interministériels aux ruralités, lancés par la précédente majorité, où de vos conférences territoriales, déjà oubliées ?

Mobilité, santé, emploi, accès aux nouvelles technologies : souvenons-nous que le monde rural et les ruralités sont au carrefour de toutes les grandes problématiques du XXIe siècle. Y répondre, c’est déjà préparer, pour tous les Français, l’émergence d’une nouvelle société au sein de laquelle le monde rural aura davantage qu’une place : un avenir ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à saluer l’initiative du groupe Les Républicains, qui est à l’origine de la tenue de ce débat consacré à notre agenda rural.

Je me réjouis que le thème des ruralités soit l’objet de débats réguliers dans votre assemblée ; je sais combien il vous tient à cœur. Je me souviens que, peu après mon arrivée au ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, il m’apparut que ce ministère aurait tout aussi bien pu s’appeler « ministère de l’aménagement du territoire » : la cohésion présente dans sa dénomination implique en effet un tel travail d’aménagement.

Plusieurs groupes ont été à l’origine de telles discussions : je me souviens notamment de la tenue, sur l’initiative du groupe RDSE, d’un débat sur le thème : « La ruralité, une chance pour la France. » En mars dernier, le même groupe a pris l’initiative d’un autre débat, qui visait à dresser le bilan des dispositifs de soutien aux territoires ruraux les plus fragiles. Plus récemment encore, la délégation aux collectivités territoriales de la Haute Assemblée a organisé un colloque sur le rôle des collectivités territoriales comme levier de développement pour la ruralité.

Toutes ces initiatives témoignent à l’évidence du vif intérêt que vous portez à ce sujet. Je ne puis que me réjouir que nous ayons cette préoccupation en commun.

Avant de vous présenter les grandes lignes de l’agenda rural du Gouvernement, je tenais à vous faire part de quelques-unes de mes convictions les plus profondes en la matière.

Je crois tout d’abord que, pour donner corps à la notion de cohésion des territoires, ou d’aménagement du territoire, il faut cesser d’opposer les territoires entre eux et, notamment, les villes et les campagnes.

Je suis également convaincue qu’il est de notre devoir de battre en crèche certaines idées reçues qui ont cours au sujet des territoires ruraux.

On entend ainsi trop souvent dire que les Français privilégient toujours la ville au détriment de la campagne. C’est inexact : aujourd’hui, comme la presse l’a relevé, les territoires ruraux accueillent plus de nouveaux habitants que les villes. Non seulement l’exode rural est terminé, mais on observe désormais un phénomène inverse : les campagnes gagnent chaque année 100 000 habitants.

Je m’empresse de préciser – nous l’avons tous ici constaté – que ces nouveaux habitants ont des demandes importantes quand ils décident de renouer avec la ruralité. C’est un vrai enjeu.

Selon une autre idée reçue, les territoires ruraux seraient des territoires paupérisés en voie de relégation. Certes, je ne nie pas les difficultés de certains territoires, que je connais d’ailleurs très bien. J’estime néanmoins qu’il faut également réaffirmer la richesse et la potentialité de ces territoires, ainsi, plus largement, que la pluralité des ruralités. Certaines se portent mieux que d’autres, et, à l’évidence, il faut aider celles qui rencontrent le plus de difficultés.

Une telle vision des territoires ruraux, essentielle pour la cohésion territoriale et l’aménagement du territoire, est portée par le Gouvernement au travers de son agenda rural. Celui-ci exprime un engagement pris par le Président de la République en réponse à une demande de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) et surtout de son président, Vanik Berberian, que je tiens à saluer.

Au-delà du projet national, il est important de rappeler que cet agenda rural est également un projet européen. En novembre 2018, le Parlement européen a en effet adopté une résolution appelant la Commission et le Conseil à mettre en place un agenda rural européen. La France a été le premier État membre à soutenir cette démarche et à la mettre en œuvre à l’échelon national.

C’est dans ce contexte que j’ai mis en place une mission composée d’élus ruraux. J’ai souhaité m’appuyer sur leur expérience et sur leurs propositions, avec l’objectif, à la fois simple et complexe, d’améliorer la vie quotidienne des habitants des territoires ruraux.

Après plusieurs mois de travaux, ces élus m’ont remis un rapport où figuraient 200 propositions. Le Gouvernement s’est appuyé sur ces recommandations pour élaborer l’agenda rural annoncé par le Premier ministre le 20 septembre dernier à l’occasion du congrès de l’AMRF à Eppe-Sauvage, dans le Nord.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cet agenda rural est le premier plan d’action mené par un gouvernement en faveur des ruralités à regrouper des enjeux aussi larges que la transition écologique, l’agriculture, l’éducation, la santé, la formation, l’emploi, le développement économique et la culture.

Plus encore, il s’agit du premier plan d’action à destination des territoires ruraux qui ait été élaboré en partant du terrain et des propositions d’élus, et non d’idées préconçues et imposées depuis l’échelon national. Il inaugure en cela le commencement d’une nouvelle politique publique : ce sera la politique des ruralités, qui a tout autant le droit d’exister que la politique de la ville, menée depuis quarante ans.

Cet agenda constitue désormais le cadre gouvernemental de mise en œuvre des politiques publiques d’aujourd’hui et de demain en faveur des territoires ruraux. S’il comporte à ce jour 181 mesures, il a vocation à s’enrichir de nouvelles actions dans les mois et années à venir. Toutes les propositions sont naturellement bienvenues, car l’ambition du Gouvernement est bien de disposer d’un outil vivant et inscrit dans la durée.

Depuis l’annonce de ce plan, à la dernière rentrée, tout l’enjeu pour le Gouvernement est d’assurer la mise en œuvre rapide et concrète des mesures concrètes qu’il comporte.

C’est dans cette perspective que je présiderai personnellement un comité de suivi de l’agenda rural toutes les six à huit semaines. La première réunion de ce comité s’est tenue à la fin du mois de novembre dernier, en présence de six ministres et avec une représentation de tous les ministères. De manière inédite, j’ai souhaité y associer les auteurs du rapport de la mission « Agenda rural », tant parlementaires que représentants des associations d’élus, qui pourront ainsi suivre la mise en œuvre complète de ce plan d’action.

Depuis le 1er janvier, plusieurs dispositifs de l’agenda rural sont d’ores et déjà effectifs. Il s’agit, notamment, des mesures de soutien au petit commerce dans les territoires ruraux.

Dans la dernière loi de finances, nous avons en effet ouvert la possibilité, pour les collectivités qui le souhaitent, de mettre en place des exonérations fiscales en faveur des petits commerces dans les communes de moins de 3 500 habitants : pour la première fois, l’État compensera cette exonération de cotisation foncière des entreprises, de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, et de taxe foncière sur les propriétés bâties, à hauteur de 33 %.

Nous déployons en outre, toujours depuis le 1er janvier dernier, les 460 premiers espaces France services, un peu partout sur le territoire national. En effet, la présence des services publics dans les territoires ruraux est un enjeu majeur.

Nous avons souhaité déployer ce nouveau réseau pour offrir aux habitants de ces territoires un service public de proximité et de qualité. Nous avions tous fait le constat que les services publics avaient beaucoup reculé sur nos territoires. Nous poursuivrons évidemment le déploiement de ces espaces ; j’y reviendrai à l’occasion des questions qui me seront posées à ce sujet.

Enfin, l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), dont la création était effective sur le plan juridique depuis le 1er novembre dernier, est opérationnelle depuis le 1er janvier : cet outil sera particulièrement important pour les projets de territoires.

M. le président. Madame la ministre, il faudrait songer à conclure votre propos…

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Volontiers, monsieur le président ! J’aurai de toute façon l’occasion de revenir sur les autres questions au cours du débat.

La création de l’ANCT est évidemment très importante. Les élus y sont largement représentés. La présidence de cette agence revient d’ailleurs à une élue, Mme Caroline Cayeux, présidente de la Fédération des villes de France, une personnalité que le groupe Les Républicains connaît bien. (Marques dapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Genest. Excellent choix !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je préciserai bien évidemment tout à l’heure les missions qui incomberont à l’ANCT.

Dès à présent, je tiens à vous dire que c’est au sein de cette agence que sera gérée toute la politique de l’État en direction de la ruralité, dans les domaines techniques et d’ingénierie, en complément – je connais la sensibilité du Sénat sur ce point – de ce qui existe déjà sur les territoires ; je pense notamment à l’action des services techniques des départements ou des régions.

C’est à la demande des élus que nous interviendrons, et le préfet du département sera le représentant de l’ANCT sur son territoire. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer, en préambule, la création au 1er janvier 2020 de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, portée par notre groupe, qui devrait être fortement mobilisée dans le cadre de l’agenda rural pour accompagner les projets portés par les élus locaux, au travers d’un soutien en ingénierie et de la prise en compte de leurs spécificités.

Nos territoires ont un potentiel d’attractivité inexploité. Tel est le cas des petites villes, dont un regain d’activité peut avoir un effet particulièrement bénéfique pour les territoires ruraux environnants.

Au-delà de l’amélioration de l’habitat et du cadre de vie, il est impératif de favoriser le retour de la vie économique et de l’emploi dans ces petites villes. N’oublions pas d’encourager la renaissance des petits commerces, des cafés et des bistrots, lieux de vie et de convivialité qui disparaissent ! (Sourires.)

Sans de tels efforts, le bâti sera certes agréable, mais il restera vide ! (Marques dapprobation sur des travées du groupe Les Républicains.)

L’ANCT pilotera cette année son premier programme territorialisé : le plan Petites villes de demain, annoncé en septembre dernier. Il s’agira, je l’espère, d’une concrétisation de l’utilité de cette agence, mais aussi d’un changement de logique et de culture administrative. Les élus doivent être associés à l’élaboration de cette politique publique.

Entre 800 et 1 000 villes de moins de 20 000 habitants exerçant une fonction de centralité devraient être sélectionnées en fonction du nombre et de la nature des équipements dont elles disposent, ainsi que sur des critères de fragilité. Un indice lié à l’éloignement, qui permet de mesurer le temps d’accès au prochain pôle de centralité, mesure pourtant essentielle, ne serait utilisé qu’en dernier recours, à la lecture de l’instruction adressée aux préfets.

Madame la ministre, pourriez-vous nous préciser la pondération des critères retenus pour la sélection des villes concernées, afin de garantir un ciblage des territoires les plus fragiles, ainsi que les moyens financiers consacrés à cette initiative ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Le programme Petites villes de demain est, à mes yeux, complémentaire de la politique créée pour les villes moyennes, « Action cœur de ville », qui marche d’ailleurs très bien.

Nous n’ignorons pas pour autant qu’il existe de petites villes au sein des ruralités. C’est sciemment que je préfère ne pas les définir par le nombre de leurs habitants : que ces petites villes aient 3 000, 4 000, ou 7 000 habitants, elles représentent toutes une centralité dans un territoire et ont besoin d’être soutenues, qu’il s’agisse du commerce, de l’habitat, ou de la restructuration des centres-bourgs. Il faut une politique suffisamment souple pour pouvoir intervenir dans différents endroits.

Nous menons cette politique en partenariat avec les collectivités territoriales. Dans certaines régions, des initiatives ont déjà été lancées. C’est le cas dans le Centre-Val de Loire ; nous allons nous rapprocher de la région pour agir en complémentarité avec ce qu’elle accomplit déjà. Notre action sera donc menée avec les régions et les départements : nous déciderons, ensemble, quelles petites villes seront aidées dans le cadre de ce programme.

Quant aux moyens financiers qui seront consacrés à ce programme, la Banque des territoires, avec laquelle nous avons négocié un accord, financera les postes de chef de projet à hauteur de 25 % et prendra en charge à 100 % les missions d’assistance au management de projet pour les territoires en difficulté. Par ailleurs, elle interviendra au travers de l’octroi de prêts et investira dans certains projets. Une enveloppe de près de 200 millions d’euros devrait en outre couvrir les demandes.

Quant à l’investissement, une enveloppe de 50 millions d’euros permettra la réalisation d’une centaine d’opérations dans le cadre de ce plan.

L’Agence nationale de l’habitat (ANAH) apportera bien sûr un cofinancement des postes de chef de projet. Enfin, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) représente également pour nous un outil absolument remarquable de valorisation des projets locaux.

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le plan d’action en faveur des territoires ruraux présenté en septembre dernier traduit l’ambition forte du Gouvernement en faveur de la cohésion territoriale et de la lutte contre les inégalités et les disparités entre zones rurales.

Par cet agenda rural, vous ancrez dans la durée les actions en faveur des territoires ruraux, dans une démarche de concertation et de coconstruction à l’échelon national, mais aussi au sein de l’Union européenne.

Vous témoignez ainsi, madame la ministre, de l’écoute que vous accordez aux demandes des élus des territoires ruraux et à certaines préoccupations qu’avait pu exprimer notre Assemblée, notamment dans le rapport sénatorial sur la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs.

L’un des axes principaux du plan d’action en faveur des territoires ruraux est le soutien aux petits commerces et aux lieux de convivialité. Est notamment prévu un appui de votre ministère à l’initiative « 1 000 cafés », qui est portée par le groupe SOS, acteur essentiel de l’économie sociale et solidaire.

Il s’agit de revitaliser les communes rurales, en ouvrant ou en reprenant 1 000 cafés dans 1 000 communes de moins de 3 500 habitants n’ayant plus de café ou risquant de les perdre. Les appels à candidatures à destination des maires ont été lancés le 12 septembre 2019.

Madame la ministre, pourriez-vous dresser un bilan d’étape de la mise en œuvre de l’initiative « 1 000 cafés » ? Pourriez-vous en particulier nous indiquer le nombre de candidatures présentées à ce jour par les élus ? Comment vos services travaillent-ils concrètement avec le groupe SOS pour superviser cette action essentielle au renforcement sinon au maintien du lien social en milieu rural ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Buis, je vous remercie de m’avoir posé cette question sur le déploiement du projet « 1 000 cafés ».

Ce projet est effectivement issu de l’initiative du groupe SOS et soutenu par le Gouvernement dans le cadre de l’agenda rural. Le projet en question repose sur un double constat : d’une part, 90 % des Français considèrent que la présence dans une commune d’un café, lieu de convivialité et de rencontres, est fondamentale ; d’autre part, comme M. Genest le soulignait déjà tout à l’heure, les cafés ont disparu dans un trop grand nombre de nos communes.

M. Michel Savin. Et même dans les villes !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Dans le cadre de leur rapport, les élus ayant participé à la mission de préparation de l’agenda rural ont appelé à soutenir ce projet. Depuis l’annonce de cette mesure, en septembre dernier, dans le cadre de notre plan, le groupe SOS a lancé un appel à candidatures à l’attention des communes qui ne disposent plus de cafés ou dont le café subsistant voit sa survie menacée.

Depuis le lancement de cet appel à candidatures, le groupe SOS a reçu 500 candidatures de communes souhaitant accueillir un café sur leur territoire et 1 200 candidatures spontanées de personnes souhaitant tenir et gérer des cafés.

Ces candidatures sont toutes en cours d’examen, de manière à assurer l’adéquation entre projets et candidats. Ce travail nécessite du temps : il s’agit notamment de trouver un lieu susceptible d’accueillir le café, de former le personnel et de réaliser toutes les démarches pratiques nécessaires à son ouverture. En effet, la démarche de ce projet doit tenir compte de la liberté commerciale et de la liberté de s’installer. L’ouverture d’une quinzaine de cafés est déjà prévue pour le début de cette année.

Je tiens à rappeler qu’une telle démarche a été rendue possible par l’adoption de la loi « Engagement et proximité », fruit d’une commission mixte paritaire conclusive entre les deux assemblées. Y figure la mesure législative qui nous permet de garantir la création de ces cafés : les licences IV qui leur seront accordées ne pourront pas être transférées hors du département de création de l’établissement.