M. le président. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier.
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si les crédits consacrés à la culture dans ce budget sont globalement stables, il faut rappeler qu’ils succèdent aux coupes sévères des années 2012 à 2014. En conséquence, nombre des moyens nouveaux n’opèrent qu’un retour en arrière et compensent simplement les baisses de ressources des années passées.
L’ensemble reste cependant satisfaisant dans le contexte actuel de maîtrise des dépenses publiques, comme l’ont souligné les rapporteurs. Je ne détaillerai pas l’ensemble des crédits, mais je souhaite évoquer plusieurs sujets d’inquiétude.
Je commencerai par le patrimoine. Le terrible incendie de Notre-Dame de Paris a mis en lumière le manque de moyens alloués à la préservation des monuments historiques, notamment de nos édifices religieux. Cette année, 2 millions d’euros sont inscrits au PLF pour sécuriser les 87 cathédrales dont l’État est propriétaire.
M. Vincent Éblé, rapporteur spécial. C’est du bonneteau !
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Or, comme l’a souligné Philippe Nachbar en commission, les besoins vont bien au-delà de cette somme. Ainsi, 23 % des immeubles protégés au titre des monuments historiques sont en mauvais état, et près de 5 % en situation de péril. Les annonces traduisent donc plus un affichage politique qu’un réel investissement.
Je veux également souligner le paradoxe que connaît cette année le mécénat. Au fil du temps, le mécénat est devenu le mode de financement naturel des institutions culturelles et de la rénovation de nos monuments historiques. En 2020, l’État compte plus que jamais sur lui, qu’il s’agisse de la rénovation de Notre-Dame de Paris, mais aussi d’autres grands chantiers, tels que celui du château de Villers-Cotterêts, où un apport de 25 millions d’euros est attendu, soit près d’un quart du budget total du projet. L’État encourage d’ailleurs ses grands opérateurs à attirer des mécènes, ce qu’ils font avec succès.
Toutefois, par l’article 50 du PLF que nous examinerons prochainement, le Gouvernement souhaite durcir la fiscalité du mécénat, en diminuant de 60 % à 40 % la réduction d’impôt pour les dons supérieurs à 2 millions d’euros. Aucune étude d’impact n’a été réalisée en amont. De plus, cette réforme intervient alors que le Premier ministre a confié à deux députées une mission visant au développement de la philanthropie française. Comment expliquer alors que le Gouvernement, au nom de la rigueur fiscale, prenne le risque de porter préjudice au mécénat ? Mon groupe soutiendra bien évidemment les initiatives revenant sur cette disposition.
Je souhaite dire également quelques mots sur l’objectif fixé par le Gouvernement d’un égal accès de 100 % des jeunes aux arts et à la culture. L’émiettement des crédits consacrés à l’éducation artistique et culturelle reflète les contours flous de ce projet. Les financements se concentrent surtout sur la mesure phare du pass culture, promesse de campagne, certes séduisante, du Président de la République. Cette enveloppe de 500 euros destinée aux jeunes de 18 ans, mise en place pour le moment dans 14 départements, vise à terme tous les jeunes résidant en France. Le PLF anticipe une montée en charge de ce dispositif, en augmentant les crédits qui lui sont dédiés de 34 à 39 millions d’euros. En revanche, l’action concernée diminue de plus de 4 millions d’euros.
Je partage donc l’inquiétude des rapporteurs et de nombreux collègues de la commission de la culture. Le pass culture ne saurait être le seul vecteur utilisé pour lutter contre les inégalités sociales et territoriales, et son développement ne doit pas s’opérer au détriment des actions traditionnelles.
Je crains surtout que ce projet ne soit peu réaliste.
La première expérience en la matière a en effet été un échec. Le Bonus Cultura italien a donné lieu à des trafics en tout genre : reventes de livres, émissions de fausses factures, achats de produits américains ou sud-coréens, etc. Le dispositif mis en place pourra-t-il éviter ces mêmes dérives ?
L’autre écueil serait que le pass culture manque son public. Le Bonus Cultura n’a profité qu’à la moitié des jeunes, précisément ceux qui avaient déjà accès à la culture. C’est dommage !
Les premières données de l’évaluation conduite sur le pass culture sont peu encourageantes, avec un taux d’activation de seulement 52 %, et un taux d’utilisation parmi les jeunes ayant créé un compte de 68 %. C’est surtout le profil exact des bénéficiaires qu’il faudrait connaître, avant d’envisager une généralisation du dispositif à toute la France.
Par ailleurs, il me semble que cet effort important de l’État serait plus utile s’il intervenait plus en amont dans la construction du jeune. Attendre l’âge de 18 ans est en effet bien tard pour sensibiliser un enfant à la culture. Je pense que cette ouverture pourrait et devrait d’abord se faire avec les instituteurs et les professeurs, au sein de l’école de la République, qui a pour mission l’éveil intellectuel de tous les élèves, sur l’ensemble du territoire. Nous serions ainsi certains de toucher tous les publics.
Pour conclure, hormis ces réserves, mon groupe constate l’évolution positive des crédits de la mission « Culture ». Il est donc favorable à leur adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Karam.
M. Antoine Karam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le ministère de la culture a célébré ses soixante ans. Comme l’a signalé, il y a quelques instants, Pierre Ouzoulias, de la première maison de la culture inaugurée en 1961 par André Malraux dans la belle ville du Havre à aujourd’hui, quel chemin parcouru ! Sans nul doute, le ministère de la culture peut être un motif de fierté. Cependant, sa tâche est encore immense.
Les défis que représentent l’accès à la culture pour toutes et tous, l’accès aux œuvres et aux artistes, mais aussi l’accès à la pratique et les conditions de son exercice, les droits d’auteur, le statut des intermittents du spectacle, le patrimoine et les archives constituent les fondements de l’action du ministère. Par son expertise, son expérience et la grande qualité de ses agents, celui-ci a un rôle prépondérant à jouer dans le rayonnement culturel de la France et de ses territoires.
Outre-mer, il existe un paradoxe surprenant : la culture, produit d’une histoire mouvementée, fondée sur les expériences douloureuses de l’esclavage et de la colonisation, est foisonnante et plurielle, mais nous constatons dans le même temps les manques d’une politique culturelle qui, trop longtemps, a traité les outre-mer en parents pauvres.
Comme le montrait en 2018 le rapport sur les zones blanches de la culture, il reste beaucoup à accomplir pour réduire les inégalités patentes qui demeurent entre les différents territoires de l’Hexagone, et entre l’Hexagone et les outre-mer. Trente-sept ans après le premier mouvement de décentralisation culturelle des lois Auroux, les chiffres révèlent un sous-équipement flagrant.
Pour les 2,7 millions d’Ultramarins répartis dans une dizaine de territoires, nous comptons au total seulement deux conservatoires et deux scènes nationales, aucune salle de plus de 3 000 places, aucun musée d’art contemporain et un seul fonds régional d’art contemporain (FRAC) situé sur l’île de la Réunion.
Il faut le dire, longtemps le pouvoir jacobin a nié nos spécificités culturelles, craignant de nourrir des velléités indépendantistes. Néanmoins, l’inauguration en 2015 – je salue au passage mon collègue Victorin Lurel – du Mémorial ACTe est l’exemple même que les choses changent et que nos territoires peuvent être à l’avant-garde dans certains domaines.
Toutes ces missions appellent à renforcer les services déconcentrés de l’État, à associer les collectivités territoriales, à conforter les associations et à s’appuyer avec cohérence sur les groupes privés. Il faut les renforcer à travers une politique ambitieuse et ouverte à la création, une politique de soutien à toutes les actrices et à tous les acteurs de la culture.
Comme ces deux dernières années, les crédits de la mission « Culture » sont maintenus en 2020, avec une hausse de 1 % par rapport à la loi de finances pour 2019.
Le budget qui nous est présenté se veut d’abord au service de l’émancipation citoyenne. Pour cela, vous engagez, monsieur le ministre, la généralisation de l’éducation artistique et culturelle, afin d’en faire une réalité pour tous les enfants et jeunes de 3 à 18 ans. Telle est la finalité de l’Objectif 100 % éducation artistique et culturelle.
Cependant, l’EAC elle n’est pas circonscrite entre 3 et 18 ans. Aussi, la commission de la culture sera attentive aux conclusions de la mission confiée à la députée Aurore Bergé sur la politique d’émancipation artistique et culturelle pour tous les âges.
De même, ma collègue Sonia de la Provôté et moi-même présenterons dans quelques jours le fruit de notre travail sur les nouveaux territoires de la culture. Nous défendrons notamment l’urgence de combattre les inégalités territoriales – elle l’a signalé il y a quelques instants –, inégalités que j’ai décrites précédemment, au profit d’un nouveau modèle de démocratisation culturelle fondé sur la notion de droits culturels.
L’émancipation citoyenne passe également par le pass culture. Pour observer l’expérimentation à l’œuvre sur mon territoire et participer à son suivi au sein du groupe de travail présidé par Jean-Raymond Hugonet, je peux témoigner de l’investissement des services déconcentrés de l’État et des effets déjà bénéfiques de ce dispositif.
En 2019, une nouvelle étape a été franchie avec la poursuite de l’expérimentation et le lancement de la société du pass culture. L’an prochain, 10 millions d’euros supplémentaires, soit un total de près de 40 millions d’euros, nous permettront d’accroître le nombre de jeunes éligibles et d’ouvrir l’expérimentation à de nouveaux territoires.
Cela étant, les résultats de la première expérimentation montrent que 52 % des jeunes auraient activé leur compte. Peut-être pourrez-vous nous dire, monsieur le ministre, les moyens que votre ministère entend mettre en œuvre pour que les jeunes aient une meilleure connaissance du dispositif lors des expérimentations à venir.
Les crédits alloués au programme « Création » sont, eux aussi, en augmentation. Le spectacle vivant se trouve ainsi renforcé à travers, entre autres, les grands opérateurs, importants vecteurs culturels irriguant le territoire ; en cela, ils sont des acteurs essentiels qui participent à la transmission des savoirs au plus grand nombre.
Je salue l’initiative des Micro-folies, opportunités formidables de diffusion de la culture. En outre-mer, ce dispositif a été lancé avec succès, le 16 novembre dernier, en Guadeloupe, avec l’inauguration des deux premières Micro-folies, dont une itinérante sur l’ensemble du territoire.
Enfin, les crédits du programme 175, « Patrimoines », de la mission « Culture » progressent de 6,8 %. Les 970 millions d’euros du programme sont, pour une large part, dévolus à l’entretien et à la restauration des monuments historiques et du patrimoine monumental, avec quelques chantiers particulièrement importants, comme le Grand Palais à Paris ou le château de Villers-Cotterêts. Ce château, méconnu de la plupart des Français, fait partie des hauts lieux de l’histoire de France. Il accueillera un projet francophone unique au monde, la cité internationale de la langue française, auquel nous adhérons tous – je suppose – sur ces travées.
Par ailleurs, l’année 2019 a été marquée par l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Le fonds dédié à la mise en œuvre du plan de sécurisation des cathédrales, doté de 2 millions d’euros, doit financer des audits qui nous permettront de nous assurer qu’une telle catastrophe ne frappe jamais l’une des 87 cathédrales classées appartenant à l’État.
Si ces chantiers sont évidemment indispensables, nous sommes heureux de constater que le budget alloué aux patrimoines de moindre ampleur est lui aussi en augmentation. Il est nécessaire d’envoyer, à l’adresse des collectivités, un signal pour montrer que l’État réinvestit dans ce patrimoine, qui est tout aussi important. Nous savons toutefois que les chantiers, en ce domaine, sont multiples et pratiquement inépuisables ; c’est pourquoi l’effort devra être prolongé.
Pour conclure, le budget de la présente mission progresse ; il va dans le sens d’une meilleure prise en compte de tous les territoires et privilégie les structures souples, qui s’adressent en priorité aux plus jeunes de nos concitoyens.
Pour toutes ces raisons, mon groupe votera les crédits de la mission « Culture ». (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que nous célébrons les soixante ans du ministère de la culture, il paraît opportun de rappeler l’ampleur de la mission assignée par son décret fondateur : « rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; […] assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et […] favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent ». Le présent budget est-il à la hauteur de ces enjeux primordiaux ?
Vous vous félicitez, monsieur le ministre, de nous présenter un budget ambitieux, en hausse de 73 millions d’euros, marquant la volonté du Gouvernement en matière de politique culturelle. Sa lecture appelle toutefois la prudence, tant les transferts et les rectifications intervenus en cours d’exercice par rapport aux crédits qui ont été votés pour 2019 peuvent en fausser l’analyse. En réalité, hors transfert et en crédits de paiement, seuls les crédits dédiés au programme 224, « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » sont en augmentation de 5 %.
Au sein du programme « Création » a été créée l’action n° 06, Soutien à l’emploi et structurations des professions, par transfert de l’action n° 08 du programme 224. Dotée de 38 millions d’euros, elle bénéficiera notamment au Fonpeps. Celui-ci a fait l’objet d’une refonte, mise en œuvre le 1er octobre dernier : une aide unique à l’embauche en CDI ou en CDD se substitue aux quatre premières mesures du fonds initial. Nous souhaitons que cette restructuration permette une plus grande lisibilité et une meilleure efficacité du dispositif.
En outre, nous saluons le maintien de la compensation de la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG), qui avait entraîné une baisse du pouvoir d’achat des artistes-auteurs. Nous resterons vigilants sur la mise en œuvre de la vaste réforme du statut social des professionnels du secteur.
Au sein du programme 224, l’action n° 01, Soutien aux établissements d’enseignement supérieur et insertion professionnelle, connaît cette année encore une baisse de 5 millions d’euros ; l’érosion des crédits de cette action se poursuit. Sans artiste, monsieur le ministre, pas de culture ! Un effort budgétaire plus important doit être consenti, afin de préserver la qualité des formations et de favoriser l’accompagnement des artistes vers la vie active : seuls 10 % des élèves diplômés parviennent à vivre exclusivement de leur pratique artistique ! De même, la révision du statut des professeurs des écoles d’art territoriales ne peut plus attendre.
L’action n° 02, qui finance le soutien à la démocratisation et à l’éducation artistique et culturelle, est en légère hausse ; elle est consacrée en réalité au pass culture, dont l’enveloppe est portée à 39 millions d’euros. L’expérimentation se poursuit, notamment dans ma région, où 18 000 jeunes sont inscrits.
Une mission d’évaluation est en cours et nous nous interrogeons au vu des premiers chiffres : le taux d’activation s’élève à 52 %, le taux d’utilisation parmi les jeunes ayant créé leur compte à 68 % et le taux de consommation à 60 %.
Lors de votre visite dans le Finistère, monsieur le ministre, les jeunes utilisateurs ont souligné des dysfonctionnements de l’application et l’insuffisance des offres locales, notamment dans les secteurs ruraux, dans lesquels la mobilité est une question cruciale.
Les professionnels s’inquiètent du manque de visibilité pour les petites structures. Nous demeurons vigilants à l’égard des déterminismes sociaux, géographiques et culturels, qui pourraient faire passer ce dispositif à côté de son objectif initial. La mise en œuvre d’une véritable médiation paraît plus que nécessaire.
Quant au mécénat, il a été évoqué à plusieurs reprises. Je n’y reviens pas.
Pour conclure, nous regrettons le peu de références aux droits culturels, introduits dans la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) et dans la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP). Ces droits culturels doivent pourtant constituer le fil directeur de l’ensemble des acteurs concourant aux politiques culturelles. Nous peinons également à dégager une cohérence d’ensemble aux politiques publiques soutenues par votre ministère. Ce dernier apparaît aujourd’hui comme affaibli, peinant à engager et piloter une politique culturelle structurée et structurante.
M. Julien Bargeton, rapporteur spécial. Tout en nuances !
Mme Maryvonne Blondin. Affaibli, le ministère l’est d’abord par les coupes budgétaires imposées par Bercy ; il l’est aussi par la place toujours plus prépondérante du secteur privé, qui entraîne la culture dans une logique marchande et financière ; il l’est, enfin, en vertu de son propre désengagement.
Si la culture est bien une compétence partagée, si nous ne pouvons que saluer l’effort annoncé en faveur d’une plus large déconcentration, ainsi que le travail conjoint avec les collectivités, cet aspect ne doit pas constituer un prétexte au désengagement de l’État. Mon groupe vous accorde néanmoins sa confiance, monsieur le ministre, même si le présent budget peine à masquer son manque de souffle. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.
M. Claude Raynal. Et voici la deuxième salve ! (Sourires.)
Mme Marie-Pierre Monier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le patrimoine est le bien commun de tous les Français. Il est notre mémoire collective, notre trésor national.
Son entretien, sa sauvegarde, sa mise en valeur sont une nécessité, un enjeu culturel éminent auquel il ne faut déroger en aucune façon, qu’il s’agisse du majestueux château de Villers-Cotterêts, dans l’Aisne, ou de la petite église romane de Châteauneuf-de-Bordette, dans les Baronnies provençales. (Sourires.)
Si cette année les crédits du programme 175 affichent une légère hausse en crédits de paiement – nous nous en réjouissons –, soulignons cependant que ce programme est « gonflé » de 63 millions d’euros supplémentaires provenant du programme 224. Hors transfert, le programme est en réalité en baisse de 1 % en crédits de paiement hors inflation. Ce budget, comme le soulignent les associations de protection du patrimoine, manque d’un certain élan, pourtant nécessaire pour concrétiser l’ambition que nous avons pour la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine dans tous les territoires.
Le budget alloué à l’entretien et à la restauration des monuments historiques s’élève à 338 millions d’euros en crédits de paiement. Si les crédits destinés aux monuments historiques, hors grands projets, sont en légère hausse, atteignant 300 millions d’euros, ils restent insuffisants au regard des besoins de restauration.
En effet, le Groupement des entreprises de restauration de monuments historiques estime, depuis déjà plus de dix ans, qu’un engagement de 400 millions d’euros en crédits de paiement et en autorisations d’engagement est nécessaire pour permettre la restauration et l’entretien des monuments historiques. Le compte n’y est pas !
Le compte n’y est pas non plus pour les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), qui n’ont pas toujours les moyens d’aider les propriétaires à entretenir leur patrimoine.
Beaucoup de collectivités et de propriétaires privés ont pourtant cruellement besoin d’assistance à la maîtrise d’ouvrage (AMO). Nous pensons d’ailleurs qu’un meilleur fonctionnement de l’AMO – la situation est très inégale selon les régions – permettrait sans doute d’améliorer la consommation des crédits chaque année.
Il convient aussi, de la part du Gouvernement, de maintenir une certaine cohérence : on ne peut pas d’un côté afficher la protection du patrimoine comme un enjeu politique majeur en matière de culture, et d’un autre remettre en cause 25 millions d’euros de crédits en sa faveur dans le cadre du PLFR de 2019. Le Sénat – c’est tout à son honneur – a fort heureusement rétabli ces crédits.
Concernant le loto du patrimoine, en adoptant, contre l’avis du Gouvernement, l’exonération des contributions à l’État, comme l’année dernière, le Sénat a une nouvelle fois été le gardien de la protection du patrimoine. Notre position est constante : l’État n’a pas à récupérer de nouvelles recettes sur ce loto. La totalité de l’enveloppe doit revenir au patrimoine, et non à Bercy. Par ailleurs, cette opération devrait être pérennisée, au-delà de 2020, même si, rappelons-le, ce type d’action doit avoir pour vocation de compléter et non de remplacer les subventions publiques.
Il en va de même pour le mécénat. Le durcissement de la fiscalité que vous envisagez, monsieur le ministre, aura évidemment des répercussions sur le financement du patrimoine ; il risque de casser une dynamique positive en sa faveur. Mon groupe a déposé un amendement, afin que le dispositif incitatif fiscal dont bénéficie grandement notre patrimoine ne soit pas modifié. J’espère que le Sénat aura la sagesse de l’adopter.
Je ne peux parler de patrimoine sans évoquer le chantier de restauration de Notre-Dame de Paris. Aucune ligne budgétaire n’est prévue.
Le Gouvernement compte donc bien faire financer l’intégralité du chantier, y compris les coûts de fonctionnement de l’établissement public, par les donateurs privés, ce qui est pour le moins contradictoire avec vos propositions de réforme du mécénat, vous en conviendrez ! Voilà qui laisse un goût amer, face au désengagement de l’État vis-à-vis d’un chantier patrimonial emblématique.
Concernant l’archéologie préventive, si les crédits de cette action sont reconduits à l’identique, cette stagnation des moyens, sur trois exercices budgétaires, limite les marges de manœuvre de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) sur les missions de diagnostic, de recherche et de valorisation, qui sont en déficit chaque année dès l’automne. Une revalorisation aurait été bienvenue.
Enfin, je dirai quelques mots du petit patrimoine rural, lequel est vital pour le rayonnement et le dynamisme de nos territoires.
Je me réjouis de l’augmentation de 5 millions d’euros du fonds incitatif et partenarial pour la restauration des monuments historiques des petites communes à faibles ressources. Mais cette hausse est financée par un redéploiement de crédits initialement dédiés à des opérations de restauration des monuments historiques dans les territoires, ce qui ne nous paraît pas opportun. L’amendement déposé par Vincent Éblé, au nom de la commission des finances, vise précisément à compenser ce manque à gagner.
Pour conclure, nous ne nous opposerons pas à un budget globalement en hausse, même s’il s’agit, au moins en partie, d’une progression en trompe-l’œil. Mais nous examinerons avec vigilance les suites qui y seront données dans les prochains exercices budgétaires ! (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Franck Riester, ministre de la culture. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, certains orateurs l’ont rappelé au cours de cette discussion générale : voilà soixante ans que le ministère de la culture existe ; soixante ans qu’il agit ; soixante ans que les ministres successifs viennent en présenter le budget dans cet hémicycle.
Depuis Malraux, l’ambition est la même : mettre la culture au centre de notre pacte social, en faire l’un des instruments privilégiés de la cohésion nationale, partout sur le territoire. En effet, la culture est ce qui nous rassemble, ce qui nous tient ensemble. Elle constitue, finalement, le ciment de notre société.
Voilà pourquoi nous devons faire en sorte que chacun puisse y avoir accès. Quels que soient son âge, sa situation et son lieu de vie, chacun doit pouvoir rencontrer les œuvres et les artistes, vivre les émotions que suscite l’art.
Telle est précisément l’ambition du budget de la culture pour 2020. L’an prochain, l’État consacrera 15 milliards d’euros aux politiques culturelles. Pour sa part, mon ministère bénéficiera de crédits budgétaires en hausse de 60 millions d’euros. La seule mission « Culture » recevra 21 millions d’euros supplémentaires : dans le contexte budgétaire actuel, marqué par la restauration des équilibres financiers, il s’agit là d’un véritable effort, qui nous impose des résultats. Or, pour obtenir des résultats, il faut établir des priorités.
Le budget que je vous présente en dénombre quatre. Il est au service de l’émancipation de tous, au service de la cohésion et de l’attractivité des territoires, au service des artistes et des créateurs et, bien entendu, au service de notre souveraineté culturelle.
La première priorité – l’émancipation des citoyennes et des citoyens – passe par la généralisation de l’éducation artistique et culturelle.
La culture, c’est nous retrouver autour de ce que nous trouvons beau. C’est partager ce qui nous plaît, au sens le plus noble du terme. Mais encore faut-il pouvoir aller au-delà de ce que nous connaissons ; découvrir ce que nous allons aimer sans même le savoir encore.
Faciliter la rencontre des plus jeunes avec les œuvres : tel est le sens de l’éducation artistique et culturelle et du label Objectif 100 % EAC. Tous les enfants et les jeunes de 3 à 18 ans doivent pouvoir en bénéficier, comme le Président de la République s’y est engagé.
Néanmoins, la rencontre avec les œuvres, comme la pratique d’une activité artistique, ne s’arrête pas à 18 ans. Elle s’étend tout au long de la vie. Chacun y a droit, quels que soient sa situation, son âge ou – j’y insiste – son lieu de vie.
C’est pour rendre ce droit effectif que sera créée, au sein du ministère de la culture, une nouvelle direction dédiée au pilotage de la politique de transmission et d’émancipation par les arts et la culture, au service de l’accès à la culture, au service de la démocratisation culturelle.
Cette émancipation pour et par la culture, nous l’encourageons aussi par le pass culture, que nous concevons, pour les jeunes, comme un instrument de liberté : liberté d’affirmer ses propres goûts, de tracer un chemin autonome vers la culture après avoir suivi le parcours d’éducation artistique et culturelle, dont certains ont parlé tout à l’heure.
À l’origine, le pass culture est une belle idée : 500 euros à 18 ans pour accéder à des offres culturelles. Cette belle idée, nous sommes en train d’en faire une réalité. Nous mettons au point une application géolocalisée qui permet à chaque jeune d’accéder à l’offre culturelle située à proximité du lieu où il vit ou, tout simplement, du lieu où il est.
En juin dernier, nous avons lancé une seconde vague d’expérimentation auprès de 150 000 jeunes. L’an prochain, 39 millions d’euros seront dédiés au pass culture, auxquels s’ajouteront 10 millions d’euros de reports de 2019 vers 2020, afin d’augmenter le nombre de jeunes éligibles – ils sont déjà plus de 35 000 –, d’ouvrir l’expérimentation à de nouveaux territoires et d’enrichir encore l’offre proposée.
Bien sûr, comme par le passé, je vous communiquerai les résultats de cette expérimentation avant de me prononcer sur la généralisation du pass. Je sais que le groupe de travail présidé par Jean-Raymond Hugonet suit l’évolution de cette politique de très près. De plus, nous mesurons constamment la mobilisation des jeunes et des acteurs culturels. Cette mobilisation est capitale : c’est grâce à elle que le pass culture deviendra un outil de valorisation de l’offre culturelle dans nos territoires.
La deuxième priorité de ce budget, c’est justement de renforcer la cohésion et l’attractivité de nos territoires. Nous les renforcerons d’abord par les services publics culturels de proximité. D’une certaine manière, il faut les conforter et les réinventer, en les adaptant aux nouvelles attentes de nos concitoyens dans un environnement marqué par l’irruption du numérique. Parmi tant d’autres initiatives, les Micro-folies sont emblématiques de cette ambition : nous allons accélérer leur déploiement pour atteindre 1 000 Micro-folies d’ici à 2022.
Une étude de l’inspection générale des affaires culturelles le démontre : dans notre pays, il n’existe pas de « déserts culturels » à proprement parler. Mais, ce qui est exact, c’est que certains territoires sont moins bien dotés en équipements culturels que d’autres : il faut donc corriger ces déséquilibres. Dans cette perspective, nous déploierons en priorité nos efforts vers les quartiers de la politique de la ville et vers les zones rurales.
Le ministère de la culture ne saurait se cantonner à la rue de Valois : d’ailleurs, cela n’a jamais été le cas. Il doit être partout, dans toutes les villes, dans tous les villages de France, en soutien à l’action des collectivités locales, des acteurs culturels, des associations et, bien sûr, des artistes.
Nos modes d’action doivent changer. Notre état d’esprit doit évoluer. En particulier, il faut déconcentrer les dispositifs de soutien déployés par le ministère. Une soixantaine d’entre eux seront concernés en 2020, dont la labellisation des centres culturels de rencontre et l’octroi des aides aux compagnies et aux festivals.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est dans nos territoires que doivent être prises les décisions, car c’est dans nos territoires que vit la culture. Je pense tout particulièrement à notre patrimoine : nombre d’entre vous l’ont rappelé au cours de la discussion. Je saisis cette occasion pour saluer votre décision de maintenir la totalité des crédits de 2019 en faveur des patrimoines, au titre du projet de loi de finances rectificative.
En 2020, près de 1 milliard d’euros seront consacrés aux politiques en faveur des patrimoines. J’ai le plaisir de vous confirmer que les moyens dédiés à l’entretien et à la restauration de nos monuments historiques augmenteront de 7 millions d’euros, pour atteindre 338 millions d’euros en crédits de paiement.
Nous soutiendrons les investissements du Centre des monuments nationaux (CMN), qui, vous le savez, est un puissant outil d’égalité entre les territoires. Nous poursuivrons la montée en puissance du fonds incitatif et partenarial (FIP) en faveur des communes à faibles ressources. Par ailleurs – je le confirme –, nous financerons un plan de sécurité incendie pour les cathédrales classées appartenant à l’État.
Pour ce qui concerne le mécénat, le Gouvernement a soutenu le relèvement du plafond d’investissement à 20 000 euros pour les PME.