M. le président. La parole est à M. Claude Haut.
M. Claude Haut. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes amenés cette année à examiner les crédits de la mission « Défense » dans des conditions très singulières.
Aujourd’hui même, la Nation tout entière a rendu hommage à ses héros.
Treize soldats français morts pour la France, dans la lutte sans merci que notre patrie mène contre le terrorisme, au nom de la liberté et de la paix.
Treize familles meurtries, pour lesquelles nous ne cesserons d’avoir une pensée émue et parmi lesquelles se trouve celle de notre collègue Jean-Marie Bockel. Notre mémoire demeurera intacte.
Face au sacrifice et à l’abnégation de nos soldats, face à leur immense courage, aucun mot ne saurait exprimer la profonde reconnaissance qui est la nôtre. Nous leur devons le respect.
C’est au nom de ce sacrifice que nous, élus de la Nation, devons soutenir le combat qu’ils mènent sans relâche contre l’obscurantisme menaçant nos libertés et la paix.
Notre devoir est de relayer le sens de la mission Barkhane, de ce combat contre le terrorisme au Sahel que nous devons poursuivre.
Comme vous l’aviez affirmé, madame la ministre, ce combat « appartient au temps long ».
Le Mali et le Sahel, en général, sont la proche frontière du sud de l’Europe. Les groupes armés terroristes qui sévissent dans la région déstabilisent les États du Sahel, affaiblissent les autorités locales, usent de la propagande pour délégitimer les opérations militaires internationales sur place, s’en prennent aux militaires déployés et intimident les populations civiles. Dans cette région grande comme l’Europe, ils créent des zones de non-droit qui menacent notre propre sécurité.
Nous nous battons donc pour que le Sahel ne devienne jamais un sanctuaire terroriste à notre porte.
Avec les Britanniques, les Danois, les Espagnols, les Estoniens, les Belges, et bientôt les Tchèques, nous nous battons pour garantir la sécurité du territoire européen. Comme vous, madame la ministre, nous sommes convaincus qu’un sursaut de la part de nos autres partenaires européens est nécessaire, et qu’il est de leur intérêt d’unir nos forces au Sahel.
Ce sujet ne manquera pas d’être évoqué demain, à Londres, à l’occasion du sommet exceptionnel de l’OTAN.
Madame la ministre, devant la Haute Assemblée, vous avez appelé les pays européens à constituer, ensemble, un pilier au sein de cette organisation. Vous avez raison !
Nous vivons un moment crucial. La crise profonde que traverse l’OTAN entache la force de la solidarité et de l’unité entre alliés. Elle nous oblige à réfléchir ensemble sur le sens et l’avenir de l’Alliance atlantique, sur la force stratégique de nos engagements et, plus largement, sur l’architecture sécuritaire de notre continent.
Monsieur le président de la commission des affaires étrangères, vous avez eu les mots justes, vendredi dernier, lorsque vous avez présenté la photographie de l’état instable du monde d’aujourd’hui et évoqué le nécessaire « réveil stratégique de l’Europe, qui doit apprendre à se défendre seule ». Je reprends donc vos paroles, qui résument parfaitement les enjeux de ce sommet à Londres : « il faut utiliser le moment de crise que nous vivons pour aller vers une Europe plus forte dans une OTAN plus forte ».
Pour cela, il est urgent de travailler à la redynamisation des fondamentaux de l’Alliance atlantique et, simultanément, à l’autonomie stratégique européenne et au développement d’une véritable culture stratégique commune, tout en consolidant l’industrie de défense européenne.
Nous ne pouvons donc que soutenir l’action en ce sens du Président de la République, demain à Londres, où un autre dossier brûlant sera d’ailleurs discuté, celui de l’offensive turque dans le nord-est syrien. Cette offensive, qui est venue saper des années d’efforts en matière de lutte contre le terrorisme, a ébranlé, encore une fois, la maison otanienne.
Dans ce contexte géopolitique des plus tendus et des plus incertains, ce budget de la défense pour 2020 est, à la fois, équilibré et ambitieux. Il envoie un message de crédibilité politique à nos partenaires.
Il atteint 37,5 milliards d’euros à périmètre constant, ce qui représente un effort national de défense de 1,86 % du PIB et une hausse de 4,5 % par rapport à 2019.
C’est un budget des engagements tenus, puisqu’il est en tout point conforme à la trajectoire établie lors de la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025.
Dans cette deuxième année de mise en œuvre de cette loi, un effort particulier est consenti en faveur d’un modèle d’armée « à hauteur d’homme ».
Le renforcement des équipements d’accompagnement et de protection des soldats se poursuit, à travers le déploiement du programme Combattant 2020 et une hausse de 150 millions d’euros des crédits dédiés. Ainsi, en 2020, la totalité des militaires déployés en OPEX seront dotés du nouveau treillis et du gilet pare-balles nouvelle génération.
Le plan Famille lancé en 2018 se poursuivra aussi, et 80 millions d’euros lui seront consacrés. Plusieurs mesures d’action sociale et de reconversion sont prévues.
De plus, ce budget confirme la priorité accordée à la remise à niveau des hébergements au sein d’enceintes militaires, avec un plan Hébergement de 120 millions d’euros, ainsi que 540 millions d’euros pour la maintenance et l’entretien des infrastructures.
Alors que se prépare le chantier de la nouvelle politique de rémunération des militaires, ce budget consacre 40 millions d’euros à l’amélioration de la fidélisation des personnels et de l’attractivité des carrières du ministère. On y trouve notamment la nouvelle prime de lien au service.
Ensuite, avec 14,7 milliards d’euros de crédits d’engagement et 6,8 milliards d’euros de crédits de paiement, le budget en forte hausse alloué aux équipements se traduit par du matériel adapté aux besoins de nos armées et au meilleur niveau technologique, comme ce sera le cas avec la livraison du premier sous-marin nucléaire d’attaque, le Suffren, ou encore la poursuite du déploiement du programme Scorpion pour l’armée de terre.
Enfin, nous nous félicitons que, pour la première fois, la dotation initiale prévue au titre des OPEX passe à 1,1 milliard d’euros, conformément à la loi de programmation militaire. Ce chiffre est à mettre en perspective avec les 450 millions d’euros des années précédentes.
Même si le coût des opérations extérieures est difficilement prévisible, cette réserve est désormais normalisée et plus proche de la réalité. C’est donc, pour ces OPEX, un financement rendu sincère et sécurisé.
Je conclurai en saluant, madame la ministre, votre engagement infaillible auprès de nos armées.
Parce que ce budget est ambitieux, qu’il prépare notre défense de demain et qu’il garantit notre autonomie stratégique, le groupe La République En Marche votera avec conviction les crédits de la mission « Défense ». (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Christian Cambon. Non, ce n’est pas le soleil d’Austerlitz que nous célébrerons aujourd’hui, cher Olivier Cigolotti ! Car nous vivons un jour d’une immense tristesse, un jour de compassion dont la mémoire collective gardera le souvenir.
La Nation, endeuillée, a pleuré aujourd’hui ses treize héros morts pour la France et, en cet instant, j’aurai, comme nous tous, madame la ministre, mes chers collègues, une pensée particulière pour ces hommes formidables, mais aussi pour leur famille, dévastée par la tristesse, et pour leurs camarades de combat et de régiment. Je pense tout spécialement à Jean-Marie Bockel, qui aurait dû être parmi nous ce soir et que nous avons accompagné, avec compassion, cet après-midi.
En ces instants, nous pensons aussi aux 30 000 hommes et femmes qui sont déployés en opération, sur le territoire national comme à l’extérieur.
J’aime cette pensée de Thucydide, rappelée par le général Lecointre : « La force de la cité ne réside ni dans ses remparts ni dans ses vaisseaux, mais dans le caractère de ses citoyens ». Nous mesurons pleinement aujourd’hui, par la dignité des familles et des frères d’armes endeuillés, la justesse d’une telle affirmation.
Oui, mes chers collègues, l’excellence de nos armées provient surtout de la qualité des femmes et des hommes qui les servent : aviateurs, marins, soldats, qui ont en partage les valeurs militaires de respect, d’abnégation, de solidarité, de courage, valeurs qui irriguent et fortifient l’ensemble de la Nation.
Dans un monde « ensauvagé » par des crises toujours plus nombreuses et plus violentes, pour voir clair dans le brouillard de la guerre, dans la poussière des conflits, des guérillas, face à la brutalité du terrorisme, nos forces armées sont un rempart et une boussole.
C’est pour elles que le Sénat a adopté, à une écrasante majorité, la loi de programmation militaire. C’est pour elles que, nous, sénateurs, nous sommes institués, en quelque sorte, en garants de l’exécution de ce texte.
Le présent projet de loi de finances nous met indiscutablement sur la trajectoire prévue par la loi de programmation militaire.
Les nouveaux matériels arrivent – les rapporteurs ont amplement détaillé ce point : MRTT Phénix, drones Reaper, blindés Griffon et, bientôt, Jaguar, sous-marin Barracuda, hélicoptères Caïman, satellite Musis, et bien d’autres !
L’effort sur la condition du personnel et les infrastructures se poursuit. Les problèmes d’attractivité et de fidélisation, bien que non entièrement résolus, sont pris en compte.
Tout n’est pas parfait, mais nous sommes vraiment sur une bonne trajectoire, et je veux à mon tour, madame la ministre, vous rendre hommage et saluer votre détermination sans faille et votre pugnacité pour obtenir ces résultats.
Nous aurions pu donner un quitus total au Gouvernement, si, bien sûr, les conditions de l’exécution budgétaire de 2019, après celles de 2018, ne posaient pas quelques questions et n’étaient pas venues assombrir un peu le tableau.
En effet, majorer les crédits en loi de finances initiale est une chose. Encore faut-il tenir cet engagement sur l’exécution !
Comme l’an passé, de ce point de vue, un bémol doit être apporté : 70 millions d’euros ont été annulés dans le collectif sur la mission « Défense ».
En outre, pour le financement du surcoût des OPEX, le Gouvernement a pratiqué la solidarité ministérielle inversée. Alors que le Sénat avait rétabli, dans la loi de programmation militaire, le principe d’un financement interministériel de ce surcoût, c’est l’inverse qui s’est produit : la défense a dû financer le surcoût des mesures liées à la crise des « gilets jaunes » et 284 millions d’euros sont passés à la trappe !
Vous me demanderez – et je ne suis pas loin de comprendre ce point de vue – si cela importe dans un budget de 37,5 milliards d’euros, en hausse de 1,7 milliard d’euros.
Ce n’est pas cette année qui nous inquiète, madame la ministre. Ce sont les années suivantes ! En 2019 et en 2020, si nous donnons quelques petits coups de canif dans le contrat, qu’en sera-t-il lorsque nous en serons à la seconde partie de la loi de programmation militaire, à partir de 2022, avec des marches aussi redoutables que 3 milliards d’euros d’augmentation de crédits chaque année ?
Nous serons vigilants sur ce point et, d’une certaine manière, c’est vous aider à maintenir le cap et à faire en sorte que les derniers arbitrages budgétaires de fin d’année ne portent pas atteinte à la sincérité des votes de notre assemblée.
Nous le savons tous, et nous en avons eu la preuve au cours des derniers jours, les militaires donnent beaucoup à la Nation : leur vie, parfois, et toujours leur engagement ; leur temps, aussi, au détriment de leurs familles. Ils le font avec enthousiasme ! Ils le font avec fierté ! Nous, les politiques, nous leur devons le respect de la parole donnée ! C’est une véritable question de confiance !
C’est pourquoi, encore une fois, nous souhaitons vous soutenir dans vos efforts pour maintenir le cap de ce budget, madame la ministre.
Au vu de toutes ces considérations, des efforts déjà accomplis par le Gouvernement, et malgré les éléments que j’ai souhaité rappeler, mon groupe votera ce budget. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et Les Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini.
M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je souhaite à mon tour rendre hommage à tous nos soldats tombés en opération. Engagés pour notre sécurité et notre liberté, volontaires pour toutes les missions au service de la paix, ils font preuve d’un courage remarquable. Nous ne le dirons jamais assez, ils font la fierté des Français et l’honneur de la France.
J’ai, en cet instant, une pensée particulière pour notre collègue et ami, ancien ministre, Jean-Marie Bockel, lui-même membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Nous lui présentons, ainsi qu’à sa femme et à ses proches, nos plus sincères condoléances. Nous pensons à son fils et aux douze camarades de celui-ci, tous disparus au Mali. Nous pensons à eux, et à tous les autres !
Nos soldats sont de grands professionnels, formés au plus haut niveau et parfaitement encadrés. J’ai pu le mesurer dans mes précédentes fonctions, chaque fois que j’ai eu l’honneur de leur rendre visite. J’ai pu observer le travail quotidien d’entraînement, la constance de la pédagogie, la répétition inlassable des techniques, le savoir-faire incroyable dans les déploiements opérationnels, l’évaluation permanente des risques, l’apport décisif de nos renseignements… Toutes ces dispositions conduisent à des décisions d’engagement en conscience.
Je peux en témoigner : tout est mis en œuvre, afin que les femmes et les hommes composant nos armées prennent le moins de risque possible. Tout est mis en œuvre pour qu’ils puissent réaliser leur mission au service de la patrie.
Malheureusement, nous le mesurons comme eux-mêmes, toutes les missions qui leur sont confiées comportent leur part de risques. C’est en conscience que nos militaires s’engagent au péril de leur vie. Telle est la grandeur de leur service. Personne ne peut douter de leurs principes et de leurs valeurs. Nos soldats « serv[ent], sans se servir ni s’asservir », portant le devoir avant tout. Notre tristesse de les voir frappés dans leur chair n’en est que plus grande encore. Je veux adresser mes sincères pensées aux familles et aux proches des récents disparus.
Je pense aussi à nos blessés, dont le courage est quotidien et dont la force mentale est exceptionnelle, quand leurs forces physiques s’amenuisent. Ils se relèvent, appuyés par les personnels du service de santé des armées et de l’Institution nationale des Invalides. Ils se relèvent grâce à la présence, à leurs côtés, de leurs familles et de leurs camarades, qui ne laissent jamais personne derrière eux.
En pensant à nos soldats, nous admirons la solidarité et les liens de fraternité qui les unissent, des liens solides et durables, exemplaires pour l’ensemble de notre société.
La professionnalisation des armées a, de ce point de vue, largement renforcé cette unité en rapprochant encore plus les chefs de leurs troupes. J’ai pu m’en rendre compte à de nombreuses occasions, notamment lorsque j’ai eu à passer les fêtes de fin d’années à leurs côtés, ou au cours de mes échanges avec les différents chefs d’état-major.
Madame la ministre, nous examinons aujourd’hui les crédits de la mission « Défense », dans le cadre du projet de loi de finances pour l’année 2020. Je le dis sans ménager de suspens, mon groupe votera ces crédits, et nous vous aiderons pour qu’ils ne soient pas insincères, à l’inverse de ceux – si j’ai bien compris les propos de M. de Legge, rapporteur spécial de la commission des finances – qu’a présentés Jean-Yves Le Drian, sous le précédent gouvernement. Votre collègue ministre des affaires étrangères sera heureux de l’apprendre.
Nous saluons l’augmentation des crédits de 1,6 milliard d’euros, portant le budget à plus de 37 milliards d’euros pour 2020. Cette hausse place l’effort à hauteur de 1,86 % du PIB, et la trajectoire vers l’objectif de 2 % en 2025 semble respectée, telle qu’elle est précisée par la LPM. En matière de budget pour la défense, nous remarquons que le gouvernement actuel poursuit le travail engagé dès 2012, sous la présidence de François Hollande.
Ce budget comporte de véritables avancées en termes d’équipements, avec les livraisons attendues de 12 000 fusils HK416F, qui complètent le remplacement des Famas, de 128 Griffon, ou encore des hélicoptères NH90, des deux A400M Atlas ou des deux premiers Mirage 2000D rénovés. Entre autres avancées, figurent aussi le plan Famille, avec 80millions d’euros, et les 120 millions d’euros affectés à l’hébergement des militaires et de leurs familles. Nous pouvons aussi saluer le recrutement de 300 ETPT dans le renseignement et la cyberdéfense.
Néanmoins, si nous saluons de manière générale ce budget et si nous voterons en conséquence, nous souhaitons aussi vous faire part de nos nombreuses interrogations.
Pour ce qui concerne le recrutement et la fidélisation des personnels, nous sommes toujours en attente de la présentation d’un véritable plan de recrutement de hauts potentiels pour nos services de renseignement et de cyberdéfense.
De ce point de vue, le volume de recrutement est, à ce stade, la seule approche communiquée. Or nous savons que la qualité du recrutement constitue l’enjeu essentiel. Comment recruter les meilleurs et les fidéliser ? Ce questionnement, qui vaut pour l’ensemble de nos armées, concerne encore plus fortement ces métiers spécifiques, puisque la concurrence avec les géants du secteur privé est directe. Quels sont nos atouts face aux Gafam, face à leurs offres salariales et à leurs opportunités de développement de carrière ? Si nous élargissons le prisme, la question se pose aussi pour nos militaires du rang. Ces dernières années, à côté de l’exercice de leur métier traditionnel, un ensemble de tensions supplémentaires liées aux nombreuses opérations dans lesquelles ils sont engagés, notamment l’opération Sentinelle, est apparu.
Les formes de l’engagement ont changé pour nos jeunes soldats. Comment prendre ce fait en compte ? Quelles sont les perspectives au-delà de l’actuel plan Famille, qui, à bien des égards, est un plan de rattrapage, dans la continuité des rattrapages déjà effectués lors du précédent quinquennat ?
Enfin, madame la ministre, je vous disais nos doutes face à l’avenir incertain qui se présente à nous. Une grande partie de ces doutes semble partagée par de nombreux cadres de nos armées.
À l’heure où nous parlons, plus de 30 000 militaires sont engagés pour la défense de la France : parmi eux, 8 000 sont en OPEX, pour l’essentiel dans la bande sahélo-saharienne et au Levant ; 20 000 sont engagés sur le territoire national, dans le cadre des postures permanentes de sauvegarde maritime ou de sûreté aérienne, dans l’opération Sentinelle, au sein de nos forces de souveraineté dans nos collectivités d’outre-mer ; 3 700 sont prépositionnés comme forces de présence à l’étranger. Comme le dit le général Lecointre : « rapporté à nos effectifs aujourd’hui, ce niveau d’engagement soutenu depuis de nombreuses années est inédit et il ne devrait pas fléchir dans les années à venir ». Nous ne pouvons que partager le constat et les observations du chef d’état-major des armées.
Malheureusement, si ce budget est en augmentation et apparaît comme une réponse à court et peut-être moyen termes, il ne semble pas, ou pas encore, répondre aux enjeux à long terme. Vous paraissez en avoir conscience, madame la ministre, puisque vous avez posé peu ou prou le même constat, lors d’une conférence que vous avez donnée en septembre dernier. Les guerres de demain appellent des décisions aujourd’hui.
Alors, si nous nous inscrivons dans cette logique, les 300 nouveaux emplois dans le domaine de la cyberdéfense apparaissent ainsi bien maigres au regard des défis qui nous attendent ; voyez les déploiements d’autres pays comme la Chine ou la Russie, pour ne citer qu’eux. La compétition est déjà lancée. La France n’est pas complètement sortie du jeu, mais elle connaît des retards significatifs, dans un environnement sécuritaire où ses forces sont fortement mobilisées.
L’équation est certes complexe, mais, nous le savons, ce ne sont pas les effets d’annonce et de communication qui feront que notre pays pourra se défendre face à des attaques hybrides, multiples et parfois insaisissables.
Dans le domaine de la défense spatiale, une réorganisation a été annoncée et fortement commentée. Elle est en cours, mais quid des investissements réels et pérennes dans ce secteur encore largement inexploré ? Voilà un défi redoutable : gérer le quotidien de nos armées tout en les projetant vers l’avenir. L’Europe de la défense semble la seule hypothèse solide et durable, mais, là encore, nous notons des annonces régulières et largement partagées, mais peu d’avancées concrètes.
Nous avons conscience des difficultés de cette équation à plusieurs inconnues, dans un environnement mondial en permanente mutation. Nos concitoyens, et parmi eux nos soldats, attendent aussi des réponses concrètes sur le long terme.
Enfin, en leur nom, je tiens à dire que les sénatrices et sénateurs socialistes soutiendront toujours toute démarche visant à améliorer nos capacités de défense : elles constituent un investissement de la Nation pour assurer la sécurité et la liberté de tous.
Pour autant, cela ne nous empêche pas de constater et de relever tous les effets négatifs d’un mauvais projet de loi de finances pour l’année 2020, qui enrichira encore plus les très riches sans redistribuer réellement à celles et ceux de nos compatriotes qui en ont le plus besoin, dans un climat social terriblement effrayant pour la plupart des Français, qui s’inquiètent, quel que soit leur niveau au sein de notre société, des étudiants aux familles, des salariés aux entrepreneurs, de nos jeunes à nos anciens.
M. le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. Jean-Marc Todeschini. Le groupe socialiste continuera à dire son opposition entière à la politique économique et sociale du gouvernement actuel ; cependant, il votera les crédits de la mission « Défense ». Nous le devons à nos militaires, à leurs familles et à nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons le budget de la mission « Défense », dans un moment critique pour nos forces militaires, après la mort de treize soldats français tués au Mali. L’hommage national rendu aujourd’hui a honoré leur mémoire, et nous renouvelons notre soutien aux familles durement éprouvées, à notre collègue Jean-Marie Bockel, et à tous les compagnons d’armes de ces défunts soldats qui accomplissent leur mission dans des conditions chaque jour plus périlleuses.
Oui, chaque jour plus périlleuses, car plus de 40 militaires français ont trouvé la mort dans la région. Nous y déployons 4 500 militaires. Outre nos forces, des soldats maliens, burkinabés, nigérians subissent des pertes plus nombreuses encore. Dans la région, plus de 5 millions de personnes dépendent désormais, entièrement, de l’aide humanitaire.
Madame la ministre, vous venez vous-même de déclarer : « sur place, j’ai pu constater que la situation se dégradait ». Le bilan humain de cette guerre, que les populations de la région considèrent de moins en moins comme la leur, s’alourdit dramatiquement, sans que l’on voie poindre d’issue positive. Le risque d’enlisement et d’un rejet croissant des troupes françaises est maintenant manifeste.
Voilà qui conduit à s’interroger sur le budget que nous examinons. Le coût des OPEX augmente fortement. Au-delà des seules lignes budgétaires directement imputées à ces opérations, une part de plus en plus importante de nos crédits d’équipement, eux aussi en forte hausse, vise en fait à accroître notre capacité de projection extérieure. N’est-il pas temps de réévaluer le bilan de cette politique, aujourd’hui au Sahel, hier en Libye, ou ailleurs encore en Afrique ou au Moyen-Orient ?
Au Sahel, notre engagement est maximal ; la situation sociale, humanitaire et sanitaire se dégrade au rythme du délitement des États et de leurs politiques publiques, dû à des années d’ajustement structurel, de pillage économique, de corruption et d’interventionnisme militaire et politique. Les conflits internes, la violence, les trafics et le banditisme se répandent au fur et à mesure que grandissent la pauvreté et l’absence totale de perspective pour la jeunesse. La violence djihadiste, loin de reculer, embrase maintenant le Mali et les États voisins. Nos priorités ne doivent-elles pas être l’objet de questions et probablement être inversées ? La primauté donnée à l’action militaire s’avère désormais dangereuse pour l’Afrique, pour la France et pour nos militaires.
Les équilibres de notre politique extérieure en matière de développement, de diplomatie et d’action militaire doivent être revus. Quels sont-ils aujourd’hui ? Un budget militaire en hausse tourné vers l’opérabilité extérieure, une diplomatie aux moyens sans cesse rognés, et une aide au développement qui ne décolle pas malgré les promesses… Nous marchons sur la tête ! Remettre notre politique à l’endroit doit nous permettre de changer nos rapports politiques et de développement avec les États et les forces vives en Afrique. C’est le seul moyen d’éviter l’enlisement, dans une guerre qui devient chaque jour plus meurtrière.
Le premier de nos désaccords porte donc sur les opérations extérieures. Plus globalement, nous souhaiterions que l’augmentation des budgets consacrés à la modernisation de nos équipements soit revue à l’aune d’une révision stratégique d’ensemble. Nous ne visons pas là les conditions matérielles de nos soldats, marins et aviateurs, qui, eux aussi, ont subi de dures années d’austérité et méritent cette remise à niveau.
Nous visons, par exemple, l’intégration croissante dans les stratégies de l’OTAN de nos objectifs en matière de dépenses militaires et de nos concepts d’emploi des forces, alors même que l’Organisation est fortement remise en question. Quelles conclusions tirons-nous de ce qui vient de se passer en Syrie, avec le retournement de nos alliés ? Quel est le coût budgétaire de notre engagement dans le commandement intégré ? Depuis les propos du président Macron sur la « mort cérébrale » de l’Organisation, les déclarations gouvernementales censées les expliquer ne nous éclairent pas beaucoup sur notre vision d’avenir. Nous débattrons de l’OTAN dans cette enceinte le 12 décembre prochain, à la demande, acceptée par le Sénat, de mon groupe. Mais avec quels engagements et quelles conséquences budgétaires la France se rendra-t-elle au sommet de l’OTAN, à Londres, dès cette semaine ? Nous allons voter ce budget sans disposer de réponses claires à cette question pourtant essentielle.
Nous visons aussi les stratégies de nos industries de défense, qui s’imbriquent progressivement en Europe, sans que des doctrines d’emploi communes, à l’exception de celles de l’OTAN, ne soient mises au clair. L’Europe de la défense ne serait-elle pas, pour le moment, qu’une Europe des industriels de la défense, dictant les programmes à financer, plutôt qu’un projet politique commun à débattre et à arbitrer avec les parlements et les citoyens ? Ces industries de défense se tournent également toujours plus vers des stratégies agressives à l’export, nourrissant un commerce des armes florissant, devenu dans ce contexte géopolitique instable l’un des principaux facteurs de dangers, de conflits et de violences.
Voilà le dernier point aveugle de cette discussion budgétaire : alors qu’il nous est proposé d’adopter des dépenses militaires en forte hausse, dans un monde où reprend une fort dangereuse escalade, où sont les initiatives politiques de la France en faveur du désarmement, à l’aune pourtant d’une année qui sera marquée par la convention de révision du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires à l’ONU ?