M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Madame Cohen, la non-compensation ne contrevient pas, en soi, à la Constitution : le principe de compensation intégrale relève de la loi. Le code de la sécurité sociale prévoit même les conditions dans lesquelles il est possible d’y déroger, en réservant le monopole de ces dérogations aux lois de financement de la sécurité sociale.
Par ailleurs, il importe que le Sénat puisse se prononcer sur ce PLFSS et donner ainsi sa propre vision – c’est ce que je disais sur les finances sociales.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Les membres du groupe socialiste et républicain partagent de nombreux éléments de diagnostic avec nos collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Nous partageons également beaucoup des objectifs qu’ils ont défendus pour une nouvelle politique de santé. Nous avions d’ailleurs voté une motion analogue en première lecture.
Mais nous pensons, aujourd’hui, qu’il faut débattre, cela pour au moins deux raisons.
Le plan Hôpital est maintenant connu ; le nouvel Ondam et la majoration de 200 millions plus 100 millions d’euros sont parfaitement identifiés. Et nous devons avoir l’occasion de dire soit tout le bien, soit tout le mal que nous pensons de ce plan.
Nous pensons également que le Sénat et le bicamérisme – nous savons que nos collègues du groupe communiste y sont eux aussi très attachés – n’auraient rien à gagner, en termes d’image dans l’opinion publique, à interrompre cette discussion.
Nous ne voterons donc pas la motion qui vient d’être présentée.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Notre groupe est également défavorable à cette motion. Certes, le déficit est organisé, pour ce qui concerne tant la branche vieillesse que la branche maladie, et nous pensons que le plan qui a été proposé ne convient pas.
C’est la raison pour laquelle nous souhaitons qu’une discussion ait lieu, afin que nous puissions avancer un certain nombre d’arguments au cours de cette journée de débats.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour explication de vote.
M. Guillaume Arnell. Le groupe RDSE, fidèle à sa tradition, prône lui aussi le débat et s’oppose donc à cette motion.
Nous nous sommes exprimés en première lecture : sans être toujours d’accord avec les différentes prises de position exprimées, nous avons suivi la majorité sénatoriale, convaincus que nous étions qu’il était anormal de ne recevoir un certain nombre d’informations qu’à l’issue de nos votes, et non, comme cela eût été préférable, en amont de ceux-ci.
Nous sommes, cette fois, en nouvelle lecture, et le Sénat est en position de s’exprimer pleinement et de livrer sa perception de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.
Ainsi le groupe RDSE ne votera-t-il pas non plus cette motion.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix la motion n° 237, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Je rappelle également que l’avis de la commission est défavorable et que l’avis du Gouvernement est défavorable.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 50 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 269 |
Pour l’adoption | 16 |
Contre | 253 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’excuser ma collègue Cathy Apourceau-Poly, qui, pour des raisons familiales, ne peut être parmi nous pour intervenir ce matin.
Le 14 novembre dernier, les organisations syndicales et les collectifs des personnels de la santé étaient en grève. Devant l’ampleur de la mobilisation des blouses blanches, le Président de la République a senti la nécessité d’annoncer un « plan fort » pour l’hôpital.
Ni le Premier ministre ni vous, madame la ministre, n’avez fait l’économie des superlatifs. Vous avez dit de ce plan de crise qu’il était conçu pour sauver un « trésor national », et parlé d’un « signe inédit de confiance du Gouvernement envers l’hôpital public ».
Nous espérions qu’enfin vous aviez compris qu’il fallait stopper la réduction des dépenses publiques.
Mais nous avons vite déchanté.
En définitive, il s’agissait davantage de tenter d’endiguer le mouvement social, en lâchant un peu de lest, que d’apporter les réponses et les crédits à la hauteur des défis et des revendications, qui sont claires et justifiées, des personnels.
Vous annoncez une augmentation de 300 millions d’euros des crédits de l’hôpital pour 2020, sur un budget de 80 milliards d’euros, alors que les organisations syndicales estiment les besoins à 5 milliards d’euros par an ! Même la Fédération hospitalière de France réclame 1 milliard d’euros par an pour réinvestir. Au total, les économies que vous avez prévues sur le dos de l’hôpital public seront juste un peu moins élevées qu’elles devaient l’être. De l’argent en plus, en revanche, il n’y a pas.
Vous annoncez une prime de 800 euros annuels, soit 66 euros par mois, pour les infirmières et infirmiers, ainsi que pour les aides-soignantes et les aides-soignants gagnant moins de 1 900 euros.
Madame la ministre, prime ne vaut pas salaire ! Les collectifs Inter-Urgences exigent 300 euros de revalorisation salariale par mois pour tous les personnels médicaux et paramédicaux. Vous avez préféré cibler les personnels d’Île-de-France alors que l’ensemble du territoire est concerné, tentant ainsi de diviser les personnels entre eux.
Quant à la reprise de 10 milliards d’euros de la dette des hôpitaux, elle est suspendue à une nouvelle loi qui en fixera les conditions. Mais l’essentiel est déjà connu : les établissements devront solliciter une demande de reprise partielle de dettes, qui se fera en échange d’un engagement contractuel avec l’État.
Vous appliquez la stratégie que le FMI applique aux pays en crise : annulation partielle de dettes en échange d’une politique d’austérité, en lieu et place d’un vaste plan d’investissements pourtant indispensable.
Pourtant, tous les signaux sont au rouge. En France, désormais, six hôpitaux sur dix sont en déficit et un tiers des établissements publics en situation de surendettement, d’après la Cour des comptes.
Faut-il s’étonner de l’ampleur du mécontentement et, en particulier, de celui qui s’est exprimé le 14 novembre dernier ?
Je pourrais vous parler de ma région, des centaines de personnels en grève ou mobilisés au centre hospitalier de Douai comme à ceux de Tourcoing, de Valenciennes, de Lille, de Seclin. Je pourrais vous parler de celui de Lens, où les urgences sont en grève depuis des semaines, de bien d’autres encore.
Partout se donnent à entendre la même colère et les mêmes revendications, auxquelles votre plan ne répond pas : des moyens supplémentaires pour ouvrir des lits, embaucher du personnel et revaloriser les salaires.
Vous préférez continuer à faire des cadeaux aux plus riches et faire peser l’austérité sur les plus fragiles.
Qu’il s’agisse de la désindexation des pensions de retraite et des prestations familiales, de la suppression de la majoration des indemnités journalières pour les parents de familles nombreuses ou de l’absence de mesures pour les services d’aide et d’accompagnement à domicile, votre obstination ne fait que réduire le pouvoir d’achat du plus grand nombre.
Madame la ministre, nous vous appelons à tenir compte des propositions alternatives que nous avons construites avec nos collègues députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) et rassemblées en une proposition de loi portant mesures d’urgence pour la santé et les hôpitaux.
Nous avons transmis ce texte en septembre à votre ministère, et ma collègue Laurence Cohen vous l’a remis en main propre lors de votre audition par la commission des affaires sociales. Si vous aviez pris le temps de le lire, vous auriez vu qu’y figurent des propositions qui sont, aujourd’hui, les principales revendications des personnels mobilisés : l’augmentation du budget de la santé à hauteur de l’évolution naturelle des dépenses, la suppression de la taxe sur les salaires, l’instauration d’un moratoire contre les fermetures de lits, de services et d’établissements ou la redéfinition des missions des hôpitaux de proximité.
Madame la ministre, écoutez les personnels qui se mobilisent, et écoutez la représentation parlementaire, quand bien même elle est dans l’opposition ! Cela vous éviterait de défendre un PLFSS caduc, car en dehors de la vraie vie ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner en nouvelle lecture le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, après avoir rejeté le texte en première lecture, dans l’attente des annonces du Gouvernement en faveur de l’hôpital public.
Ce plan d’urgence, annoncé le 20 novembre dernier, est l’expression d’un effort particulier pour aider le secteur hospitalier à se remettre à flot. Il s’agit non pas, comme certains le diront, de mesures anecdotiques ou d’un simple saupoudrage, mais d’un engagement fort du Gouvernement, qui démontre sa capacité d’écoute et sa réactivité.
Parmi ces engagements, la reprise d’un tiers de la dette du secteur représente un allégement de 10 milliards d’euros sur trois ans pour le budget des hôpitaux. Afin de faciliter les carrières du personnel soignant et de renforcer l’attractivité de ces métiers essentiels que sont ceux d’infirmier et d’aide-soignant, le Gouvernement prévoit une revalorisation des rémunérations et du cadre de travail.
La prime d’exercice territorial sera augmentée et étendue, et le personnel hospitalier travaillant en région parisienne bénéficiera d’une nouvelle prime annuelle. Dans l’idéal, cette prime devrait pouvoir profiter à l’ensemble des soignants, en tout point du territoire, mais nous sommes conscients des contraintes budgétaires qui obligent à de tels arbitrages.
D’autres mesures suivront pour réformer le statut du médecin à l’hôpital et moderniser la gouvernance hospitalière. Nous soutiendrons l’amendement du Gouvernement visant à encadrer le travail intérimaire et à renforcer le contrôle des rémunérations et des temps de travail.
L’objectif national de dépenses d’assurance maladie, inscrit à l’article 59 du présent texte, est relevé à hauteur de 2,45 % pour 2020. Cela représente une rallonge budgétaire de 300 millions d’euros dès l’année prochaine pour les établissements de santé. Suivront d’autres moyens, échelonnés sur trois ans, pour un total de 1,5 milliard d’euros. En complément, 150 millions d’euros seront directement alloués aux équipes soignantes pour financer les dépenses courantes, comme l’achat de nouveaux matériels.
Nous l’avions dit en première lecture : notre groupe soutient le texte du Gouvernement et les nombreuses avancées qu’il contient.
Madame la ministre, nous comprenons votre choix de faire porter à la sécurité sociale le poids des mesures sociales mises en œuvre par l’État. Il fallait, par des réponses d’urgence et de moyen terme, apaiser les tensions qui traversaient notre pays…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ces mesures ne changent rien !
Mme Colette Mélot. … sans pour autant pénaliser la France au regard de ses engagements européens.
Notre seul désaveu porte sur votre choix de reconduire en 2020 la sous-revalorisation des prestations sociales à hauteur de 0,3 % de l’inflation. Les plus faibles retraites sont épargnées, mais le pouvoir d’achat des ménages les plus fragiles et des classes moyennes est pénalisé – nous le regrettons.
Le texte prévoit, pour 2020, des avancées importantes, dont les maîtres mots seraient : valorisation du travail, justice sociale et accès aux soins.
L’indemnisation du congé de proche aidant, à l’article 45, permettra aux salariés, sans condition d’ancienneté, de consacrer trois mois à un proche sur l’ensemble de leur carrière. Il s’agit d’une deuxième étape importante, après celle de la création de ce congé en application de la loi du 28 décembre 2015 ; 8 millions de personnes, en France, pourraient en bénéficier.
Nous ne pouvons que saluer la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes de maladies professionnelles liées à l’utilisation de produits phytosanitaires, prévue à l’article 46. Nous sommes favorables à une couverture la plus complète possible des victimes.
Notre groupe est particulièrement sensible aux dispositions prises par le Gouvernement pour lutter contre les pénuries de médicaments.
Constatant que la France était exposée à des ruptures de stock de plus en plus fréquentes et dommageables pour la santé des patients, et à la demande de mon collègue Jean-Pierre Decool, nous avons été à l’initiative, en juillet 2018, de la création d’une mission d’information sur ce sujet.
L’article 34 prévoit notamment des obligations de stock, sur le continent européen, pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a recensé, en 2017, 538 signalements concernant ce genre de médicaments, contre seulement 44 en 2008. Il est important de maintenir de telles obligations de stock sur l’ensemble de ces médicaments, et non uniquement sur ceux pour lesquels il n’existe pas d’alternative thérapeutique, afin de permettre au médecin de prescrire librement le remède le plus adapté à son patient.
Parmi les mesures importantes du texte, je citerai également : la réforme du financement de la psychiatrie et des hôpitaux de proximité ; la prise en charge des cotisations sociales des jeunes médecins s’installant en zone sous-dense pendant leurs deux premières années d’exercice ; la création d’un droit au transport et à l’hébergement pour les femmes enceintes les plus éloignées des maternités. Ces mesures contribueront à réduire les inégalités territoriales d’accès à la santé et aux soins.
Nous présenterons de nouveau les amendements que nous avions déposés en première lecture – quatre d’entre eux avaient été adoptés par le Sénat, en faveur des pompiers volontaires, des revenus des agriculteurs et de l’encadrement des pratiques de remboursement différencié.
Nous réservons notre vote final, qui sera fonction de l’issue des discussions. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de revenir quelques instants sur nos débats lors de la première lecture de ce PLFSS, que je pourrais qualifier de « grand-guignolesque » si les conditions de son examen n’étaient pas si graves pour nos institutions.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très juste !
M. Alain Milon. Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, je tiens à vous le dire solennellement : au cours de tous les PLFSS que j’ai examinés – ils représentent, à la longue, un certain nombre de millésimes, malheureusement pour moi (Sourires.) –, jamais je n’ai ressenti un tel mépris pour la représentation nationale.
Le Gouvernement a en effet cherché à donner un rôle totalement factice au Sénat, le laissant délibérer sur un texte frappé d’emblée de caducité et d’insincérité.
Je réitère la mise en garde que j’avais faite lors de mon intervention en première lecture : à trop vouloir se passer du Parlement et des corps intermédiaires, le Gouvernement finira par se retrouver seul face aux mouvements sociaux en cours ou à venir. Un tel face-à-face est dangereux, soumis au risque inhérent aux mouvements de la rue, celui de conduire à la paralysie et à l’abandon des réformes, et, peut-être, à pire encore.
Or, nous le savons tous, notre pays a besoin de réformes ; malheureusement, plus nous avançons dans le quinquennat, plus les réformes structurelles s’éloignent.
J’en viens au projet de loi de financement de la sécurité sociale tel qu’il a été modifié par les députés et le Gouvernement.
Je fais trois constats : la non-compensation par l’État de la perte de recettes pour le budget de la sécurité sociale est toujours là ; le plan d’austérité, qui est notamment dirigé vers les retraités, les familles et le secteur de la santé, est toujours à l’ordre du jour ; l’inaction du Gouvernement s’agissant du déficit de la branche vieillesse se poursuit.
Premier constat : la non-compensation par l’État des recettes supprimées du fait des mesures prises en réponse au mouvement des « gilets jaunes » est confirmée.
Nous pensons que cette disposition marque une rupture dans le pacte d’autonomie de la sécurité sociale. L’instauration de ce que j’appelle la « bercysation » du financement de la sécurité sociale est une atteinte directe à notre modèle social.
Mme Laurence Cohen. Exact !
M. Alain Milon. En effet, le principe fondateur de notre protection sociale, en vertu duquel « chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins », reste parfaitement d’actualité.
Nous le voyons bien, ces milliards d’euros manquent cruellement au budget de la sécurité sociale, au moment même où il serait nécessaire de donner un nouveau souffle à l’hôpital – j’y reviendrai dans quelques instants.
Deuxième constat : cette situation de « déficit organisé » par le Gouvernement entraîne le maintien plus que contestable d’un plan d’austérité…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très juste ! Vous voyez, monsieur le rapporteur général, nous ne sommes pas les seuls à parler d’austérité !
M. Alain Milon. … illustré par plusieurs mesures.
Je pense tout d’abord à la non-revalorisation des pensions à hauteur de l’inflation, qui va avoir pour effet une nouvelle baisse du pouvoir d’achat pour une partie des retraités.
Cette mesure est d’autant plus critiquable qu’elle s’avère fragile du point de vue du principe constitutionnel d’égalité, comme l’a souligné notre collègue René-Paul Savary dans son rapport.
Elle permet en effet à un assuré dont les revenus du capital sont importants mais la pension faible de bénéficier d’une revalorisation au niveau de l’inflation, alors qu’un autre assuré, dont les revenus globaux peuvent être moins importants mais dont la pension est supérieure à 2 000 euros, ne voit sa pension revalorisée que de 0,3 %.
Nous pensons donc que la question se pose, au regard du principe contributif, de savoir s’il n’y a pas, en l’espèce, rupture d’égalité.
Par ailleurs, la confirmation de la sous-indexation des prestations familiales met une nouvelle fois à mal la politique familiale.
Alors que la situation financière de la branche s’est améliorée depuis 2018, il est injuste que les familles subissent davantage de mesures pénalisantes pour leur pouvoir d’achat.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que, depuis 2014, les familles ont subi : la modulation des allocations familiales, dont l’effet cumulé, depuis cette date, s’élève à 3,4 milliards d’euros ; la suppression du complément de libre choix d’activité majoré, qui représente 490 millions d’euros non perçus entre 2014 et 2019 ; la modulation de l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE), dont l’effet cumulé, toujours depuis 2014, s’élève à 870 millions d’euros ; l’alignement du montant et du plafond de l’allocation de base sur le complément familial, qui représente 260 millions d’euros entre 2018 et 2019.
Mme Catherine Deroche. Il faut sauver la branche famille !
M. Alain Milon. L’accumulation de ces mesures fait perdre à la branche famille son rôle essentiel de compensation des charges de famille.
Certes, le gouvernement actuel n’est pas à l’origine de toutes ces mesures, mais il n’a pas renoncé à l’héritage et n’a fait que poursuivre la casse de la politique familiale.
M. Philippe Mouiller. C’est grave !
M. Alain Milon. La majorité sénatoriale ne cesse de le rappeler : il est temps de mettre fin à ces mesures d’économies faites sur le dos des familles. Comme le souligne notre collègue Élisabeth Doineau dans son rapport, il est temps de reconstruire les moyens de relancer une politique familiale ambitieuse. Eu égard notamment à la baisse de 8,5 % en dix ans du nombre de naissances, il nous semble indispensable de changer de politique dans ce domaine.
Concernant le secteur de la santé – notre collègue Catherine Deroche l’a très bien dit en première lecture –, si nous reconnaissons, dans ce PLFSS, des avancées que nous soutiendrons, ce texte nous laisse cependant un goût d’inachevé au regard des enjeux inédits auxquels fait face notre système de santé.
Nous considérons que la réponse donnée à la crise de l’hôpital n’est pas à la hauteur des enjeux.
M. Philippe Mouiller. C’est grave !
M. Alain Milon. Depuis six mois, que fait le Gouvernement pour l’hôpital ? Il va de plan d’urgence en plan d’urgence : un premier plan pour les urgences, en juin dernier, et, à la clé, 70 millions d’euros sous forme de primes ; puis, en septembre, un nouveau plan, à 750 millions d’euros cette fois, mais sur trois ans, ces deux plans étant financés par un redéploiement de crédits.
Vient enfin un troisième plan de « soutien ». Cette fois, le montant annoncé est de 1,5 milliard d’euros sur trois ans, mais seulement 300 millions d’euros pour 2020. Ce plan, derechef, ne nous apparaît pas à la hauteur des enjeux. Ces 300 millions d’euros sont en effet à mettre en perspective avec les 800 millions d’euros d’économies que doivent réaliser les hôpitaux.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Exactement !
M. Alain Milon. Alors que le Sénat, en première lecture, avait proposé des recettes nouvelles pour la branche maladie, ces 300 millions d’euros sont financés par de la dette.
Quant à la reprise du tiers de la dette des hôpitaux, elle doit permettre à ces derniers de réduire leur déficit et de retrouver rapidement les moyens d’investir. Mais qui décidera de ces investissements ?
Les professionnels de santé attendaient un plan de sauvetage.
Or les revalorisations se sont transformées en primes ponctuelles, soumises à conditions. Qui plus est, ces primes ne seront pas destinées à l’ensemble des personnels hospitaliers : certaines d’entre elles ne concerneront que les personnels de quelques départements franciliens. Nous estimons qu’opposer les territoires n’est pas une bonne politique.
À passer le budget des hôpitaux sous la toise, à grand renfort de mesures de régulation censées nous permettre de tenir l’Ondam, tout le système craque. Il faut réarmer l’hôpital ! Le Gouvernement ne fait pas complètement ce choix.
À long terme, nous savons que les besoins de financement des hôpitaux vont s’accroître, car ceux-ci sont confrontés à une hausse structurelle de leurs dépenses, liée à l’évolution démographique, au vieillissement et à l’innovation médicale, ainsi qu’aux attentes des patients. Nous ne pouvons donc pas considérer les annonces faites par le Premier ministre comme des mesures d’ampleur ; elles n’ont d’ailleurs pas rassuré les professionnels de santé.
Nous considérons désormais que, sans une réforme systémique, les PLFSS se suivront à l’identique au désespoir des soignants et des soignés. Réformer l’hôpital est possible, selon nous, mais il faut faire preuve d’audace. Je livre à votre réflexion quelques pistes : nous pensons qu’il faut redonner leur autonomie aux hôpitaux, débureaucratiser l’hôpital et rendre le pouvoir à ceux qui soignent.
Réformer, c’est aussi accepter de donner une juste rémunération aux personnels pour rendre réellement les métiers attractifs. C’est également régionaliser l’organisation de la santé pour y impliquer les collectivités locales et se rapprocher des besoins de terrain.
Je terminerai mon intervention par un troisième constat : ce PLFSS traduit l’inaction du Gouvernement par rapport au déficit des régimes de retraite. Or il faut agir sans attendre une réforme systémique qui, peut-être, ne viendra pas.
Au motif de l’injustice des régimes spéciaux, le Gouvernement s’est lancé dans une vaste entreprise qui pourrait conduire à réformer tout le reste, en laissant de côté ces mêmes régimes qui ne rentreraient qu’un jour peut-être dans le système universel.
Ces derniers jours, le Gouvernement a renoncé à la fameuse « clause du grand-père », au profit d’une adaptation de la réforme des retraites « secteur par secteur ». Cela revient donc à conserver les inégalités qu’il s’agissait de supprimer…
En outre, alors que ce PLFSS présente une forte dégradation du solde de la branche vieillesse pour la période 2020-2023, la seule réponse proposée, cette année encore, est de sous-revaloriser les pensions.
Depuis plusieurs années, la majorité sénatoriale plaide pour un relèvement progressif de l’âge minimum légal de la retraite, seul à même de rétablir une trajectoire financière positive pour la décennie 2020. Si rien n’est fait, les retraités actuels continueront à voir leur pension diminuer et les futurs retraités auront des retraites beaucoup plus faibles.
M. René-Paul Savary. Exact !
M. Alain Milon. Cette paupérisation des retraités, nous n’en voulons pas ! Nous pensons que les Français sont prêts à entendre un discours de vérité. En revanche, la cacophonie gouvernementale actuelle ne fait que les angoisser.
En conclusion, le groupe Les Républicains adoptera un texte amendé en vue de donner plus de pouvoir d’achat aux retraités et aux familles et s’opposera à l’Ondam, qu’il considère sous-dimensionné par rapport aux besoins de l’hôpital. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Jocelyne Guidez applaudit également.)
M. Philippe Mouiller. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, où en sommes-nous aujourd’hui de la déstructuration de la sécurité sociale ? L’automne 2018 annonçait un hiver 2019-2020 plein d’espoir fondé sur un équilibre retrouvé. Même si l’ombre de Bercy planait sur les excédents à venir, les plus optimistes rêvaient de crédits nouveaux renforçant le plan Ma santé 2022, apportant des remèdes solides à la crise de l’hôpital public, amorçant une grande loi de l’autonomie.
À l’automne 2019, une révolte sociale non maîtrisée, une conjoncture moins favorable qu’envisagé et surtout des choix politiques assumant une vision régressive de la sécurité sociale conduisent à un projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 qui creuse ce que j’appellerai un nouveau « trou politique » de la sécurité sociale, qui abaisse le pouvoir d’achat des familles et d’une partie des retraités, qui ignore, sinon méprise, les forces intermédiaires de la démocratie, syndicales et parlementaires, provoquant dans notre chambre haute un véritable gâchis – l’arrêt de l’examen des articles –, qui amène la présentation lyrique, après l’annonce du Président de la République, d’un plan pour l’hôpital public éloigné des attentes des acteurs des établissements de santé.
J’insisterai sur deux points.
Premièrement, la non-compensation des exonérations de cotisations par le budget de l’État n’est pas un simple acte technique. Comment ne pas voir dans le déficit ainsi créé la justification d’une « maîtrise » brutale, aujourd’hui ou demain, des dépenses de protection sociale ? Comment ne pas voir dans la baisse des recettes, qu’amplifie le transfert du financement de deux agences nationales, le moyen de forcer celle des dépenses ? Plus grave encore est la rupture du contrat social de 1944, qui marque un changement complet de philosophie de la « sécu ». Celle-ci ne doit pas, je l’ai souvent souligné, évoluer vers une institution à l’anglo-saxonne d’assistance aux plus défavorisés. Cela détruirait un pilier de solidarisation de la société et tarirait une source de démocratie sociale.
Deuxièmement, la détermination des collectifs Inter-Blocs, Inter-Urgences et Inter-Hôpitaux, des associations, des organisations syndicales médicales et paramédicales à poursuivre ensemble leur mobilisation ce samedi manifeste la forte déception ressentie le 17 novembre.
En effet, les revalorisations salariales annoncées sont très en deçà des attentes, avec une distribution de primes – surtout franciliennes – sans augmentation du point d’indice, alors que c’était l’une des principales revendications des infirmiers et aides-soignantes, dont les salaires sont parmi les plus bas de l’Union européenne. En outre, il n’y a pas de volonté affirmée de mettre fin aux fermetures de lits. En une vingtaine d’années, 100 000 lits ont été supprimés, au grand dam des urgentistes, qui dénoncent le manque de places pour hospitaliser leurs patients. Il n’y a pas non plus de volonté d’augmenter les effectifs pour faire face à la surcharge de travail, devenue la norme et reconnue au plus haut niveau de l’État. De surcroît, les moyens financiers nouveaux n’ont nullement la dimension historique pourtant affirmée. L’Ondam connaît une hausse cumulée en trompe-l’œil de 1,5 milliard d’euros sur trois ans. Il passera de 2,5 % en 2019 à 2,45 % en 2020 et le sous-objectif « établissements de santé » progressera de 84,2 milliards d’euros en première lecture à 84,4 milliards d’euros, ce qui ne permettra d’engager aucun rattrapage des tours de vis donnés depuis tant d’années. Disant cela, j’assume la période 2012-2017, durant laquelle au moins les comptes ont été rétablis. Enfin, l’ampleur du décrochage de la psychiatrie publique est ignorée dans les mesures annoncées. La reprise d’une partie de la dette va dans le bon sens, madame la ministre, mais vous vous arrêtez en chemin et elle ne devra pas s’accompagner de mécanismes d’austérité. Il est urgent de poser la question de la place de l’hôpital, de ses missions, des valeurs et du sens que nous souhaitons voir inspirer notre système public hospitalier quand la médecine connaît des bouleversements majeurs.
Simone Veil s’exprimait en ces termes dans notre hémicycle, le 8 juin 1994 : « Gardons-nous d’oublier notre bien commun qu’est la sécurité sociale ! Gardons-nous de l’appréhender seulement sous l’angle des charges et des déficits ! […] La sécurité sociale, […] c’est d’abord un immense progrès social et le plus puissant facteur de cohésion sociale qui existe en France et que nous avons le devoir de préserver pour les générations futures. »
Pour conclure, je laisse la parole à une infirmière de la région parisienne s’exprimant sur ses conditions de travail : « Ce qu’on nous fait faire est inhumain, et finit par nous rendre inhumains ! » (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)