Mme Annick Billon. Très bien !
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Je veux indiquer à mes collègues, en faisant preuve – je l’espère – de sobriété, que l’objet de cet amendement de suppression évoque un « éventuel vide juridique ».
Ce vide juridique est établi ! Nous avons des décisions de justice, du tribunal administratif de Nice ou de la cour administrative d’appel de Lyon, qui sont différentes. On ne légifère pas par plaisir, mais parce qu’une question est en suspens et met précisément en difficulté les chefs d’établissement ou les directeurs d’école.
Monsieur le ministre, vous ne souhaitez pas intervenir, mais je pense que, malheureusement, la réalité va vous rattraper dans quelques mois, lorsque ces chefs d’établissements vont se retrouver en porte-à-faux et seront mis en difficulté.
Ce n’est pas une vue de l’esprit, ce n’est pas quelque chose que l’on invente pour le plaisir d’une polémique ou d’un débat difficile ! C’est justement parce que la question est ardue que l’on doit intervenir, de manière sobre comme l’a dit notre rapporteur. Nous voulons uniquement préciser que les agents qui interviennent dans le cadre du service public, hors de l’école, mais dans le temps scolaire, pour des sorties, doivent être soumis à certaines règles. C’est tout de même extrêmement clair et limité, mais aussi véritablement nécessaire.
J’entends parfois ce débat déborder sur d’autres sujets. Nous parlons là de l’école, l’institution républicaine la plus importante, qui doit être préservée de toute intrusion de quelque nature qu’elle soit, y compris religieuse. La réaffirmation du principe de laïcité me semble essentielle.
Juste un point sur la sobriété lexicale. L’utilisation du terme « stigmatiser » dans l’objet de cet amendement est malvenue. On emploie ce mot à tout bout de champ : en 2004 par ceux qui étaient opposés à l’époque à la loi, en 2010 quand il s’agissait d’interdire la dissimulation du visage dans l’espace public, et chaque fois qu’un problème se pose.
Ce vocabulaire devrait garder sa signification première : je vous le rappelle, stigmatiser signifie « marquer des stigmates », en référence aux blessures du Christ en croix. C’est en quelque sorte un retour du refoulé ! Ce genre de vocabulaire ne participe pas à la sobriété des débats. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Mon intervention sera décalée, car je voudrais répondre avec beaucoup de respect et d’amitié au président Kanner, au président Assouline, à Pierre Ouzoulias et à Rachid Temal.
J’ai entendu ce que vous disiez sur la cohérence dont nous devrions faire preuve pour défendre l’école de la République, puisque l’école est bien le creuset de notre société et des valeurs dont nous ne cessons de parler.
Cher Max Brisson, il y a longtemps que nous avons quitté l’école, nous nous sommes envolés et non pas « envoilés ». (Sourires.) Nous ne sommes plus hors les murs, puisque nous parlons du problème de communautarisme qui existe dans notre société.
Cher président Kanner, vous avez loué les positions que défend la gauche depuis un certain nombre d’années en faveur de la République et de la laïcité. Permettez-moi de vous dire, sans polémiquer, que je m’étonne que vous n’ayez pas, dans cet esprit de cohérence évoqué par Rachid Temal, voté le texte sur l’école privée hors contrat, qui me semblait pourtant tout à fait répondre à la philosophie qui est la vôtre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Premièrement, puisque l’on parle de cohérence, je veux dire que je soutiens les propos qu’ont tenus mon collègue Pierre Ouzoulias et M. le ministre.
Finalement, la loi pour une école de la confiance a posé un acte très fort : l’interdiction de toute forme de prosélytisme. Je ne vois donc pas pourquoi, chers collègues, vous revenez sur le sujet.
Deuxièmement, vous appelez à rester dans le champ de l’école. Soyez cohérents !
J’entends qu’il y aurait une école dans les murs et une école hors les murs. Il y aurait donc un contenu pédagogique dans les sorties scolaires. (Eh oui ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Certes ! Toutefois, comme un de mes collègues l’a déclaré, ce sont les enseignants qui travaillent lors des sorties scolaires. On ne demande pas aux accompagnateurs de jouer un rôle pédagogique.
Or, si l’on va jusqu’au bout de la logique que vous dévidez à longueur d’interventions et que je ne partage pas, celle d’une école dans les murs et d’une école hors les murs, alors les accompagnateurs ont un rôle pédagogique, appartiennent à l’éducation nationale et ne doivent plus être bénévoles, mais rémunérés. (Exclamations sur les mêmes travées.) J’essaie simplement de suivre votre raisonnement !
Troisièmement, il n’y a pas besoin de renforcer la loi. En effet, la loi sur la laïcité de 1905 est suffisante, car elle est d’abord et avant tout une loi de liberté.
Par conséquent, nous nous interrogeons sur l’opportunité de la présente proposition de loi, qui instrumentalise un problème pour lequel il n’existe pas de contentieux. De fait, vous n’évoquez aujourd’hui pratiquement aucun cas d’incidents en matière de port du voile.
Cette proposition de loi participe d’une instrumentalisation extrêmement dangereuse dans le contexte politique actuel. Cela ne grandit pas celles et ceux qui la portent ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. À mes yeux, la mission de l’éducation, dans la République, est d’accepter les jeunes, mais aussi leurs familles, tels qu’ils sont et d’où qu’ils viennent, et de les accompagner pour qu’ils deviennent des citoyens.
Dès lors, une école qui renverrait des enfants dans d’autres organisations et ne leur offrirait pas la chance d’être accompagnés, parce que leur famille se sentirait exclue, ne serait plus l’école de la République.
Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué une laïcité intransigeante et vous vous êtes inscrit dans les pas de ceux qui ont milité pour la séparation de l’Église et de l’État. En ce cas, pourquoi le dispositif de la proposition de loi n’a-t-il pas été voté il y a cent quatorze ans ?
Permettez-moi de vous citer un extrait de l’intervention d’Aristide Briand, rapporteur de cette loi de liberté qu’est la loi de 1905 : « Dans ce pays où des millions de catholiques pratiquent leur religion, les uns par conviction réelle, d’autres par habitude, par tradition de famille, il était impossible d’envisager une séparation qu’ils ne puissent accepter. Ce mot a paru extraordinaire à beaucoup de républicains qui se sont émus de nous voir préoccupés de rendre la loi acceptable. […] Nous n’avons pas le droit de faire une réforme dont les conséquences puissent ébranler la République. »
Mes chers collègues, ces mots restent d’actualité, alors que certains d’entre vous proposent d’utiliser la laïcité pour fracturer la société et créer des divisions.
Je crois que nous devrions en rester à nos fondamentaux, demeurer inspirés par cette loi de liberté et ne pas en faire un carcan pour fabriquer des clivages et du communautarisme – or c’est ce que vous proposez, monsieur le rapporteur.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.
Mme Françoise Laborde. Je vais tâcher d’être brève.
Je pense qu’il convient de parler d’accompagnants, et non de mamans accompagnatrices ou de papas accompagnateurs. Les accompagnants peuvent aussi être les grands-parents, par exemple.
Quoi qu’il en soit, ce qui me gêne, c’est que l’enjeu n’est pas la liberté des parents ou de ces accompagnants : c’est la liberté de conscience que les élèves sont en train de se construire et qui fait la force de notre école publique française.
Oui, je suis cohérente, cher Antoine Karam : j’ai voté en son temps l’amendement qui était très intéressant, même s’il n’avait pas été voté par tous. J’ai voté d’autres textes, comme la loi Gatel.
En revanche, il est vrai, monsieur le ministre, que je n’ai pas voté l’amendement relatif au prosélytisme aux abords de l’école, non pas parce que je ne le trouvais pas intéressant, mais tout simplement parce que je pense qu’il n’y aura évidemment pas de prosélytisme si une personne revêtue d’un uniforme, le vaguemestre ou le policier municipal, le professeur principal, le principal ou le proviseur surveille. Sans surveillance, il y en aura !
Je parle du prosélytisme en général – on ne me fera pas traiter d’une religion en particulier.
Je resterai cohérente avec la position que je défends depuis des années. Je rappelle que j’avais déjà soulevé la question du prosélytisme passif à l’occasion de la discussion d’un texte inspiré par l’affaire Baby Loup.
N’en ayant pas eu le temps dans la discussion générale, je veux citer Ferdinand Buisson maintenant – à chacun ses références – : « Le triomphe de l’esprit laïque, ce n’est pas de rivaliser de zèle avec l’esprit clérical pour initier prématurément les petits élèves de l’école primaire à des passions qui ne sont pas de leur âge. […] C’est de réunir indistinctement les enfants de toutes les familles et de toutes les églises » – cela vaut aussi, bien sûr, pour ceux qui ne sont pas dans les églises – « pour leur faire commencer la vie dans une atmosphère de paix, de confiance et de sérénité. »
Je crois que, dans cet hémicycle, nous avons été à peu près sereins ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Nassimah Dindar, pour explication de vote.
Mme Nassimah Dindar. Le véritable problème est de lutter contre la religion de la violence dans les écoles.
À vous écouter, mes chers collègues, j’ai l’impression que l’on oublie la réalité du quotidien des chefs d’établissement : ceux-ci ne se demandent pas chaque matin qui sont les accompagnants et s’ils portent le voile !
C’est vraiment la question de la violence à l’école qui est le sujet principal.
Pour lutter contre les violences entre les enfants eux-mêmes, il vaut mieux que les parents soient parties prenantes, avec ou sans foulard sur la tête. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.
Mme Sophie Primas. C’est très hésitante que je suis venue participer à ce débat.
Je ne citerai aucune grande réforme ni aucun grand homme de l’éducation nationale,…
M. Bruno Retailleau. Sauf Max Brisson ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. … je parlerai plutôt avec mon cœur et sur la base de mon expérience.
Tout à l’heure, Laurence Rossignol a parlé de « ligne de crête ». Je crois que c’est la meilleure expression que l’on puisse utiliser dans ce débat. Oui, nous sommes sur une ligne de crête.
Je vois, partout sur le territoire, les élus locaux qui travaillent avec les écoles, les collèges, les lycées. Si certains y voient de l’électoralisme, je crois qu’il faut plutôt saluer ce travail, qui vise à recoudre la République là où elle pourrait se découdre. Il s’agit d’amener à l’école les accompagnants pour faire société et pour vivre ensemble.
Je veux remercier tous ceux qui, travaillant beaucoup sur ces problèmes, m’ont éclairée lorsque je les ai sollicités. Je pense à Raphaël Cognet, maire de Mantes-la-Jolie, à Catherine Arenou, maire de Chanteloup-les-Vignes, à François Garay, maire des Mureaux ou encore à Pierre Bédier, président du conseil départemental des Yvelines.
La question qui se pose aujourd’hui est la suivante : doit-on considérer que le temps de l’école hors les murs est le même que le temps de l’école dans les murs ?
Monsieur le rapporteur, vous m’avez convaincue : je voterai cette proposition de loi. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SOCR.)
Cependant, je ne veux pas donner raison aux fondamentalistes, comme à cette extrémiste avec laquelle vous avez débattu voilà quelques jours, madame Rossignol, sur un plateau de télévision – voyez comme je suis hésitante !
Finalement, je voudrais interroger les accompagnants : est-il si terrible d’enlever sa kippa ou son voile pour accompagner les enfants à une sortie scolaire ? Décider de retirer ce qui fait religion l’espace de quelques heures, n’est-ce pas, finalement, la meilleure façon d’affirmer, quand on est d’une confession, que, oui, on adhère aux principes de la République française ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et Les Indépendants. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour explication de vote.
M. Laurent Lafon. D’abord, je tiens à saluer le travail de M. le rapporteur, qui, à travers l’article 1er, a essayé de trouver une voie d’équilibre. Ce n’était pas simple, compte tenu des différentes préoccupations qui ont été exprimées.
J’apprécie la notion d’école hors les murs et dans les murs. Elle a du sens, notamment du point de vue pédagogique, au-delà même du problème qui nous réunit aujourd’hui.
Cependant, la notion de participation aux activités liées à l’enseignement, qui figure à l’article 1er à la suite de l’adoption d’un amendement en commission, m’inspire une réserve.
La fonction d’accompagnement permet de respecter les règles en matière de taux d’encadrement des sorties scolaires, celles qui impliquent, pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires, la présence d’un nombre important d’adultes. Je ne souhaite pas que cette fonction soit assimilée à une fonction active d’enseignement et de pédagogie, qui doit relever du seul personnel de l’éducation nationale. Je ne doute pas que telle est aussi votre intention, mais, dans la rédaction de l’article, cette distinction n’apparaît pas en tant que telle.
Comme j’ai essayé de l’exprimer tout à l’heure, je dois vous avouer que je suis gêné par le fait que le statut de l’accompagnant ne soit pas mieux défini.
Monsieur le ministre, je veux rebondir sur vos propos. Je suis assez sensible à ce que vous avez dit sur la nécessité d’une souplesse un peu accrue et d’une liberté de jugement, toutes les situations ne s’équivalant pas, notamment du point de vue du risque de prosélytisme.
Toutefois – n’y voyez pas de critique –, je suis surpris que vous n’ayez jamais fait référence aux recteurs. Je m’étonne tout de même que l’administration de l’éducation nationale ne s’implique pas davantage, au niveau des rectorats, pour mettre à l’abri les directeurs d’école, dont on ne peut nier qu’ils soient un peu seuls face à ce problème. Étant, par leurs fonctions mêmes, davantage confrontés aux parents, ils ne disposent pas forcément de la même hauteur de vue ou du même recul sur la décision qui doit être prise.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne pourrai répondre à toutes les interventions, ne serait-ce que parce que je dois être à vingt et une heures trente à l’Assemblée nationale pour la discussion du projet de loi de finances. Si l’examen de la proposition de loi devait se prolonger au-delà, ce sera le ministre chargé des relations avec le Parlement qui me remplacera à ce banc.
Sur le fond, il arrive que l’on tienne, sur l’éducation nationale, des propos correspondant à des jugements que l’on a forgés avec le temps, sans considérer les évolutions bien réelles qui se produisent sur le terrain.
À cet égard, je veux vous rassurer : dès les premiers discours que j’ai tenus aux recteurs et aux inspecteurs d’académie, j’ai exprimé mon soutien total aux inspecteurs de l’éducation nationale et aux directeurs d’école sur les questions relatives à la laïcité. Cet engagement n’a pas été purement verbal, puisque, immédiatement après, nous avons créé le Conseil des sages de la laïcité. Chacun doit bien comprendre que le travail que réalise cette instance est tout sauf négligeable.
L’existence de ce conseil est, en soi, un point de repère. Il édicte des règles que j’endosse moi-même. Tout directeur, toute directrice d’école doit bien savoir que l’ensemble de ces règles, qui figurent dans un vade-mecum, reçoivent le soutien du ministre. Nous faisons ensuite valoir ces règles par des équipes spécialisées en matière de laïcité dans chaque rectorat. Ainsi, chaque recteur de France est en capacité de venir en appui sur le terrain chaque fois que se pose un problème de laïcité.
J’y insiste, tout cela n’est pas que discours et pure théorie, comme en témoignent les centaines d’interventions qui ont eu lieu depuis deux ans et demi. C’est cela la laïcité au concret sur le terrain ! Je ne voudrais pas que l’on minimise, aujourd’hui, cette situation.
Je répète, en effet, que la question de l’accompagnement scolaire, quelle que soit par ailleurs l’issue qui sera réservée à la proposition de loi, est très loin d’être le principal sujet en matière de laïcité ou de lutte contre le communautarisme – plusieurs intervenants l’ont d’ailleurs déclaré. Je concède que le sujet est devenu emblématique, mais, soyez-en convaincus, ce n’est pas le plus important des problèmes concrets qui se posent sur le terrain.
Quoi qu’il en soit, pour répondre très clairement à la question qui m’a été posée, oui, les recteurs et les inspecteurs d’académie sont pleinement mobilisés. D’ailleurs, s’il y avait une quelconque exception à cette mobilisation, le ministre pourrait parfaitement être saisi. Nous tenons des réunions consacrées à ces questions et je dispose, sur ces enjeux, de remontées d’informations quotidiennes, dont je rends compte publiquement chaque trimestre.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. De nombreux arguments ont été échangés.
Je veux moi aussi rendre hommage à M. le rapporteur. Les propos qu’il a tenus sont très importants. J’y reviendrai tout à l’heure, dans mon explication de vote sur l’ensemble du texte.
On voit que, dans nos débats, deux conceptions de la laïcité, qui ne sont pas complémentaires, s’affrontent. J’y reviendrai également.
En réalité, si la question des signes ostentatoires divise notre hémicycle, si elle divise les élus et les politiques, elle rassemble très largement les Français.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Exactement !
M. Bruno Retailleau. Aujourd’hui, les sondages qui se succèdent, qu’ils soient réalisés pour la Fondation Jean-Jaurès ou pour l’Observatoire de la laïcité, montrent une angoisse de nos compatriotes, qui, à 78 %, craignent une remise en cause de la laïcité à laquelle nous tenons. Chaque fois qu’ils sont interrogés, les Français sont au moins 80 % à nous dire qu’il ne faut pas toucher à la loi de 1905 et qu’il s’agit d’un patrimoine commun, désormais consensuel à droite comme à gauche.
Je reviens sur notre histoire récente. Comme cela a été rappelé, l’affaire du voile de Creil, c’était il y a trente ans ! Il aura fallu quinze ans pour qu’une première loi soit votée. Il s’agissait alors d’exprimer une orientation pour ne pas se défausser sur les directeurs d’école.
Mes chers amis, dans ce parcours législatif, notre famille politique a rendu de nombreux services à la communauté nationale. C’est elle qui, en 2004, a porté l’interdiction du voile. C’est aussi elle qui, en 2010, a défendu l’interdiction du voile intégral.
Je dois rendre hommage à Myriam El Khomri, qui, dans la loi Travail, même si ce fut un peu timidement, a donné aux entreprises la possibilité de mieux encadrer la présence de signes ostentatoires dans leur règlement intérieur. Si ce texte avait existé à l’époque, l’affaire Baby Loup n’aurait sans doute jamais vu le jour…
Monsieur le ministre, vous avez évoqué la question de l’efficacité. C’est une question clé.
La loi de 2004 est efficace. J’en veux pour preuve la dernière mouture du sondage réalisé par l’IFOP pour la Fondation Jean-Jaurès, qui montre que seulement 15 % des jeunes filles sont voilées.
Vous nous parlez d’une situation hybride, de casuistique, de cas par cas. Non ! La loi doit être claire. Elle ne peut pas verser dans le « en même temps ».
M. le président. Il faut conclure.
M. Bruno Retailleau. Nous devons évidemment avoir le courage de légiférer. Sinon,…
M. le président. Il faut vraiment conclure !
M. Bruno Retailleau. … cela signifiera que nous nous défaussons sur le personnel de l’éducation nationale.
Il y a l’école dans les murs et l’école hors les murs ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Boyer. M. le rapporteur a, dès le début de son intervention, essayé d’encadrer la définition de l’activité périscolaire.
Qu’est qu’une activité périscolaire ? C’est une activité qui se déroule à côté de l’enseignement traditionnel dispensé au sein des établissements.
Durant ma modeste carrière, j’ai eu à encadrer des activités périscolaires, en particulier des activités sportives : piscine, ski de fond, ski alpin, escalade, natation, football, rugby… Cela ne s’est jamais produit, mais, franchement, je ne sais pas comment j’aurais réagi si un accompagnant, susceptible de participer à un arbitrage ou à l’encadrement d’un groupe, s’était présenté avec des signes religieux ostentatoires. Je pense que cela m’aurait paru complètement décalé.
Je crois que la définition des activités périscolaires, de leurs objectifs pédagogiques et de ce qui est attendu des accompagnants doit être clarifiée. Ainsi que M. le rapporteur l’a bien précisé au début de son propos, c’est là que se situe la limite ! On ne doit pas faire d’amalgame. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. L’histoire, sur ce sujet, est parfois complexe.
On a évoqué tout à l’heure la grande loi d’apaisement Briand-Clemenceau, Georges Clemenceau ayant été appelé au ministère de l’intérieur pour participer à ce grand compromis. On oublie de dire que, dans celui-ci, une circulaire très précise, consécutive à l’adoption de la loi de 1905, autorise le port de signes ostentatoires à l’école en échange du décrochage des crucifix.
Pourquoi ? Bien sûr, il y avait la nécessité de trouver un compromis politique avec les forces conservatrices du pays mobilisées – elles ont un peu changé de point de vue aujourd’hui. Cependant, il y avait aussi le pari de l’école, parce que l’interdiction du port de la croix aurait, à l’époque, fait sortir énormément d’enfants de l’école publique pour les ramener vers les écoles confessionnelles. D’ailleurs, je suis obligé de dire que, d’un point de vue religieux, ce choix assumé de Briand a porté ses fruits, puisque, malgré le droit de porter des signes ostentatoires, la pratique catholique a plutôt baissé.
La question qui est posée aujourd’hui porte toujours sur la force de l’école : l’école est-elle assez puissante pour permettre que les enfants, qui sont évidemment héritiers de la culture et des choix religieux de leur famille, se trouvent confrontés, à l’école, à un autre cadre de valeurs ? C’est cet équilibre entre l’héritage familial et ce qu’apporte l’école qui fait société.
Finalement, avec le dispositif que vous proposez, chers collègues, vous montrez du doigt les parents, vous ramenez l’enfant vers son héritage familial et vous fragilisez le message de l’école, qui permet justement de faire société en créant une distance entre l’enseignement scolaire et ce qui relève de l’héritage familial. Je crois donc que vous allez à l’inverse de ce que vous semblez rechercher.
La loi, aujourd’hui, est claire. Elle interdit le prosélytisme. Il ne faut pas y toucher ! (Mme Nassimah Dindar applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Nous parlons, depuis quatorze heures trente, du voile. Or, dans le texte, le mot « voile » n’apparaît pas. C’est pourtant l’une de nos obsessions ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je veux poser une question aux concepteurs de ce texte : celui-ci concerne-t-il également les accompagnateurs hommes qui seraient porteurs d’une kippa ? (Bien sûr ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Le vote que nous allons émettre sur cet article et sur l’ensemble de la proposition de loi est extrêmement politique.
Je vois bien les efforts des auteurs de ce texte pour le réduire à un « texte de précision technique », comme cela a été dit tout à l’heure, et pour masquer leurs intentions réelles.
Chers collègues, pourquoi en êtes-vous réduits à ce genre d’arguments ? Parce que vous n’êtes pas convaincants sur le texte et encore moins sur le contexte.
Sur le texte, vous ne cessez de dire que l’éducation nationale fait face, en ce moment, à un problème majeur, mais l’avez-vous démontré une seule fois depuis le début de nos débats ? Vous êtes-vous appuyés sur des faits qui en témoignent ? Non. Et pour cause : alors que 14 millions de personnes interviennent aujourd’hui dans le monde éducatif, si l’on additionne les enfants et les enseignants, on estime qu’il n’y a que quelques centaines de problèmes par an.
Au demeurant, ces problèmes, pour l’essentiel, ne concernent absolument pas l’accompagnement de sorties scolaires par des femmes voilées. Pourtant, vous focalisez tout le débat sur cette question.
En vérité, l’argument prétendument technique que vous employez n’en est pas un. Même si l’on s’en tenait à ce qu’a dit M. le rapporteur, à savoir qu’il ne s’agit que d’une qualification concernant les accompagnants, on ne réglerait pas le problème posé, car les parents d’élèves interviennent à de nombreux moments de la vie scolaire, et pas seulement lors des sorties : ils accompagnent leurs enfants dans les classes à l’école maternelle, ils participent aux kermesses, aux réunions de parents d’élèves…
En adoptant ce texte, on mettrait le doigt dans un engrenage extrêmement dangereux.
En vérité, les motivations de votre proposition de loi sont ailleurs : on les trouve malheureusement dans le contexte très préoccupant que nous connaissons actuellement, que, pour certains, vous accompagnez et que, pour d’autres, vous alimentez ! Vous surfez sur des eaux nauséabondes (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) et vous prenez la responsabilité de jeter de l’huile sur le feu,…
M. le président. Il faut conclure.