Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Un chiffre : 265 000 ! Il s’agit du nombre de personnes s’estimant victimes d’abus sexuels en France en 2017. Plus que des faits divers, c’est un véritable phénomène de masse que révèle ce chiffre. Dès l’enfance, ce sont des vies brisées. Dès lors, quelle est la réponse du Gouvernement à cette pandémie ? Quelle réponse l’exécutif souhaite-t-il donner à ces enfants souffrant de traumatismes durables ?
C’est pour répondre à ces attentes que le Sénat s’est saisi de cette thématique par le biais d’une mission d’information. Par nos travaux, nous avons notamment constaté l’absence de moyens mis en place afin d’aider les victimes à surmonter leur psychotraumatisme : manque de formation des praticiens médicaux, manque d’infrastructures spécialisées aux besoins psychiatriques et infantiles, prise en charge incomplète des frais médicaux. Le chemin est encore long pour que nous donnions aux victimes le suivi qu’elles méritent.
Mes questions sont donc les suivantes : dans un contexte où la psychiatrie des mineurs est sinistrée, quels moyens seront mis en place afin de mettre fin à ces déserts médicaux ? Enfin, prévoyez-vous la prise en charge intégrale des frais médicaux d’accompagnement psychologique ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Pour répondre brièvement à votre première question, j’indique que le Gouvernement présentera en novembre un plan de lutte contre les violences et mettra l’accent sur la prévention, parce que, pour protéger les enfants, il faut parfois mieux accompagner les parents dans leur projet parental. Il s’agit notamment de tout ce qui a trait aux 1 000 premiers jours de la vie de l’enfant, projet évoqué par Mme la présidente Deroche.
S’agissant de la prise en charge du psychotraumatisme, vous avez raison, tous les acteurs que j’ai rencontrés au cours de mes déplacements m’ont parlé des problèmes rencontrés par la pédopsychiatrie dans notre pays. La ministre de la santé, Agnès Buzyn, en a conscience. Elle a annoncé l’année dernière un plan d’investissement de 100 millions d’euros pour la psychiatrie, qui concernera pour partie la pédopsychiatrie. Il s’agit de reconstituer une filière, madame la sénatrice. Or, nous le savons, cela prendra cinq à six ans.
Nous avons créé dix postes de chef de clinique l’an dernier ; nous en créons dix autres cette année, sauf erreur de ma part. Dans l’intervalle, nous constituons des équipes mobiles afin d’accompagner les enfants victimes. Comme vous le savez probablement, le Président de la République a par ailleurs annoncé la création de dix centres de prise en charge traumatique, qui commencent à déployer leur action auprès des personnes victimes de violences.
C’est l’ensemble de ces mesures que nous sommes en train de mettre en place.
Quant à la question de l’extension aux soins psychologiques, c’est une proposition qui doit être expertisée tant dans son coût, vous vous en doutez, que dans sa mise en œuvre en termes notamment de procédure d’orientation, de formation et de coordination des professionnels. Une expérimentation que vous connaissez peut-être, appelée « Écoutez-moi », est mise en œuvre pour une durée de trois ans, avec un suivi national interministériel, ainsi qu’une évaluation prévue avant sa généralisation éventuelle si tant est que le modèle s’avère pertinent.
J’espère avoir répondu à vos deux questions, madame la sénatrice.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.
Mme Esther Benbassa. Vous n’avez pas répondu à ma deuxième question : prévoyez-vous la prise en charge intégrale des frais médicaux d’accompagnement psychologique ? Soyez sûr que notre groupe sera particulièrement vigilant quant aux moyens alloués à ces domaines au moment de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
J’attends votre réponse à ma deuxième question, monsieur le secrétaire d’État !
M. Stéphane Piednoir. Ce ne sera pas pour aujourd’hui ! (Sourires.)
Mme la présidente. Effectivement, M. le secrétaire d’État a épuisé son temps de parole.
La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. J’ai participé avec intérêt aux travaux de la mission commune d’information sur la répression des infractions sexuelles sur mineurs, et je tiens à saluer le travail accompli par sa présidente et les corapporteures. Le rapport formule des propositions utiles et pertinentes qui permettront d’avancer dans la prévention, la prise en charge des victimes, mais aussi des auteurs, ainsi que dans la connaissance du phénomène.
Je souhaiterais revenir sur la question du signalement, au risque d’être redondante. Cette disposition, pourtant adoptée par le Sénat dans le cadre de l’examen du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, avait été par la suite supprimée par la commission mixte paritaire. Une mission commune aux commissions des affaires sociales et des lois travaille actuellement sur cette question spécifique du signalement. Il me paraît en effet nécessaire de poursuivre les investigations sur ce sujet pour clarifier le droit applicable, parfois méconnu, et franchir une étape supplémentaire au bénéfice de la protection des enfants. Car le signalement ne saurait être associé à la délation ! Au contraire, il s’agit d’une responsabilité qui peut sauver des vies.
Le secret médical est certes un principe cardinal du code de déontologie médicale, mais il ne saurait supplanter la protection de l’enfant. Je rappelle, à ce titre, que 5 % seulement des enfants victimes de violence sont détectés par les médecins. Ce chiffre est forcément trop faible. Par ailleurs, le nombre de médecins scolaires a chuté de 25 % ces dix dernières années. Dans ces circonstances, comment repérer les violences ?
C’est pourquoi je souhaiterais vous demander, monsieur le secrétaire d’État, même si vous avez déjà en partie répondu à mon collègue Mohamed Soilihi, quelle est la position du Gouvernement sur l’introduction dans le code pénal d’une obligation de signalement des violences à l’attention des professionnels de santé. Enfin, des financements sont-ils prévus dans le budget pour 2020 afin de compenser l’alarmante déperdition de médecins et d’infirmiers scolaires ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Vous me parlez des professionnels, je vais vous parler des citoyens. Seul un Français sur quatre, face à une suspicion de violence, appelle le 119 ou un service d’urgence. Je le dis solennellement, cette responsabilité repose aussi sur chacun de nous. Face à cette situation, il n’est pas question de délation, seulement de protéger les enfants.
S’agissant des professionnels, au risque d’être redondant dans ma réponse…
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Dans ce cas-là, répondez plutôt à Mme Benbassa !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. J’ai répondu à Mme Benbassa, contrairement à ce qu’elle a dit.
Les textes existent, madame la sénatrice. Une obligation de dénoncer s’impose, y compris au dépositaire d’un secret professionnel lorsque le crime ou le délit est susceptible de se produire. Si une meilleure connaissance de la procédure de signalement par les praticiens de santé apparaît nécessaire, des outils existent et un travail est engagé pour améliorer leur diffusion, je l’évoquais précédemment.
La systématisation d’une obligation de signalement pour l’ensemble des infractions pénales pourrait avoir pour conséquence d’entamer la confiance dont bénéficient au premier chef les professionnels de santé et d’empêcher le recueil d’informations préoccupantes, ou encore de constituer un obstacle supplémentaire aux soins nécessaires aux enfants victimes, sans compter le risque de noyer les services départementaux.
En réalité, le problème ne vient pas tant, me semble-t-il, d’un défaut d’obligation, laquelle existe, y compris pour les professionnels soumis au secret médical, que d’un manque d’information et de coordination dans la mise en œuvre des dispositifs existants.
Le plan 2017-2019 élaboré par Laurence Rossignol prévoit la mise en place d’un référent sur les violences sexuelles au sein de l’hôpital – on pourrait l’envisager au sein des unités d’accueil médico-judiciaires pédiatriques. Ce dernier pourrait être l’interlocuteur des professionnels de santé pour faire remonter les suspicions de violences, en évitant le sentiment d’isolement face à une telle situation.
Mme la présidente. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de saluer en tribune les membres du conseil municipal de Ranspach-le-Bas, dont je suis moi aussi membre (Sourires.), et Mme le maire, Sandra Muth. Soyez-les bienvenus ! (Applaudissements.)
La parole est à M. Bernard Bonne.
M. Bernard Bonne. Permettez-moi d’abord de saluer le travail remarquable fourni par nos collègues rapporteures et, en particulier, par la présidente Catherine Deroche.
Le rapport montre clairement que la consultation du FIJAISV, qui contient davantage d’informations que le casier judiciaire, notamment l’ensemble des condamnations même non encore définitives, est loin d’être systématique.
Ainsi, au sein des établissements d’accueil du jeune enfant agréés par les conseils départementaux et dans ceux agissant dans le cadre de la protection de l’enfance, seul le bulletin n° 2 du casier judiciaire est interrogé. Il en va de même pour le contrôle effectué pour les employés travaillant au contact des enfants handicapés. C’est aussi le cas lors de la procédure d’agrément des assistantes maternelles par les services du conseil départemental.
Ce contrôle paraît largement insuffisant au regard de la vulnérabilité des publics concernés.
Mais, plus encore, il arrive que ces structures, pour faire face à des absences ou a un manque de personnel, soient contraintes d’embaucher à titre temporaire du personnel moins qualifié, parfois même sans diplôme. Elles n’interrogent alors que très rarement le bulletin n° 2, et le président du conseil départemental ne peut exercer son contrôle sur les recrutements.
Monsieur le secrétaire d’État, comment rendre obligatoire par les organismes employeurs la consultation du FIJAISV avant tout recrutement, quel qu’il soit ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. La question du FIJAISV se décompose en trois sous-questions : les conditions d’inscription à ce fichier, les conditions de consultation et les modalités de mise en œuvre de cette consultation auxquelles sont confrontées un certain nombre de collectivités ou d’associations.
Vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, deux outils nous permettent d’identifier les personnes qui ne doivent pas être mises en contact, occasionnel ou régulier, avec les mineurs : le B2 et le FIJAISV, qui comprend davantage de garanties puisqu’y figurent toutes les infractions, notamment celles en attente de jugement.
Nous voulons que ces outils performants soient plus efficacement utilisés. Les fichiers peuvent être améliorés, notamment les conditions d’inscription, et nous y travaillons avec la garde des sceaux. Il importe surtout de lever les freins à un usage massif et systématique de ces deux outils. Le FIJAISV, notamment, est insuffisamment consulté.
Les institutions que vous évoquez, l’aide sociale à l’enfance, les établissements d’accueil de jeunes enfants, ont la possibilité de consulter le FIJAISV, mais elles ne le font pas. Le ministère des sports et celui de l’éducation nationale ont instauré un système automatisé qui permet une consultation massive dans des délais conformes à la réalité de l’activité des personnes concernées. C’est ce que nous devons développer. En partenariat étroit avec le ministère de la justice, nous travaillons ainsi à garantir, par une action interministérielle d’envergure, un contrôle effectif des antécédents par l’intermédiaire du FIJAISV de toute personne exerçant une activité en contact régulier avec les mineurs. Nous devons coordonner et soutenir l’action des ministères à cet égard.
Au-delà de l’évolution normative et technique, nous devons mener une réflexion quant à la société que nous voulons pour nos concitoyens et leurs enfants. C’est un sujet sensible qui allie la protection des mineurs, mais aussi la liberté individuelle et la protection des données.
Mme la présidente. Je vous invite à conclure !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Pour moi, la protection des mineurs est supérieure à toute autre chose.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Bonne, pour la réplique.
M. Bernard Bonne. Le rapport de nos collègues préconise, pour plus d’efficacité, de mettre en place un dispositif de télédéclaration par l’employeur via une application sécurisée permettant d’interroger directement le fichier. Cet accès facilité au fichier ne pourrait-il pas être mis en place rapidement pour que les organismes puissent le consulter sur les personnes qu’ils emploient, temporairement ou pour une période plus longue ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Madame la présidente, permettez-moi de commencer mon propos par une pensée solidaire pour les fonctionnaires de la préfecture de police de Paris et leurs familles, frappés par un drame terrible il y a quelques minutes seulement. Plusieurs fonctionnaires de police sont décédés.
Monsieur le secrétaire d’État, le 28 septembre dernier, j’ai signé, avec ma collègue Laurence Rossignol notamment, l’appel visant à demander la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les abus sexuels au sein de l’Église catholique, aux côtés de l’association La Parole libérée, de Mme Bachelot et de Témoignage chrétien. En quelques jours, 30 000 signatures ont été recueillies. Le Sénat, pour des raisons qui lui appartiennent, a refusé la création de cette commission d’enquête, et la mission d’information est née.
Vous l’avez dit, tous les citoyens doivent se mobiliser.
Je rappelle que l’Australie a consacré 300 millions de dollars à la lutte contre ces phénomènes ; 40 000 personnes ont ainsi été identifiées. L’Irlande a nommé une commission d’enquête gouvernementale. Aux États-Unis, un procureur de Pennsylvanie a identifié 300 prêtres pédophiles. En Belgique, une commission parlementaire a été mise en place. En France, c’est la Conférence des évêques qui a créé la commission Sauvé, laquelle a déjà reçu 2 500 appels.
Ma question est donc la suivante : que fait l’État, puisque vous dites vouloir libérer la parole, pour permettre à toutes les victimes, actuelles ou passées, d’oser parler ? Le numéro d’appel d’urgence, le 119, est destiné à la maltraitance actuelle, mais que fait l’État pour les victimes antérieures ? (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. Madame de la Gontrie, le Sénat tout entier s’associe à vos propos concernant le décès de ces quatre policiers, auxquels nous rendons hommage.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. L’année 2018 a révélé en cascade l’ampleur insoupçonnée des abus sexuels commis par des membres du clergé catholique dans notre pays et, surtout, une forme de dissimulation de la part de la hiérarchie. Que fait l’État face à cela ?
Je ne me prononcerai pas sur la décision qui a été prise par cette noble assemblée ; cela ne relève pas de l’exécutif. Du point de vue du signalement, un protocole a été signé entre le procureur de la République et l’archevêque de Paris afin que toutes les dénonciations d’infractions sexuelles faites dans les diocèses soient désormais transmises systématiquement au parquet, même si la victime n’a pas porté plainte, de façon dérogatoire. Cela contribue à libérer la parole et à éviter que des affaires restent enfouies ou non traitées.
En outre, vous l’avez dit, la commission indépendante présidée par Jean-Marc Sauvé est chargée d’enquêter sur les abus sexuels commis sur les mineurs depuis les années cinquante. Elle bénéficie du soutien de l’État, de l’Inserm, qui analysera les témoignages, de la Maison des sciences de l’homme, qui produira des monographies sur des congrégations et diocèses déterminés, de l’École pratique des hautes études, qui travaillera sur la dimension sociohistorique et plongera dans les archives, mais aussi du ministère de la justice, qui demandera au parquet un inventaire des faits dont il a pu avoir connaissance. Enfin, les archives nationales et départementales pourront être sollicitées pour l’accompagner dans sa mission. Nous attendons les préconisations de cette commission.
Enfin, tout ce que nous allons mettre en place sur la prise en charge du psychotraumatisme, pour continuer de répondre à Mme Benbassa, bénéficiera aussi aux victimes de l’Église sur le chemin de la reconstruction.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour la réplique.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Monsieur le secrétaire d’État, je suis attristée par votre réponse, ou alors nous ne nous sommes pas compris. La commission Sauvé, que je sache, n’est pas une initiative de l’État. Vous vous appuyez sur l’initiative de la Conférence des évêques de France : vous avouerez que c’est tout de même singulier !
La Chancellerie, dites-vous, demandera un inventaire au parquet. J’en conclus que ce n’est pas encore fait, et je pense qu’il serait utile que cette circulaire soit rendue publique.
Surtout, je parle aussi d’information, de communication. Lorsque l’Australie consacre 300 millions de dollars à la question, elle n’envoie pas une simple circulaire au parquet. Massivement, les victimes doivent savoir qu’elles ont le droit de parler et que nous serons à leurs côtés. C’est sur ce point que j’espérais du Gouvernement des engagements ambitieux.
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Deseyne.
Mme Chantal Deseyne. Ma question porte sur l’évaluation de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite loi Schiappa.
Si cette loi a permis plusieurs avancées pour protéger les mineurs contre les infractions sexuelles, elle est loin d’avoir répondu à toutes les attentes, notamment des associations de victimes. Il suffit d’analyser les décisions judiciaires prises depuis l’entrée en vigueur de la loi pour comprendre que les jugements ne sont toujours pas à la hauteur des enjeux. Je ne citerai que l’affaire du Mans concernant ce grand-père récidiviste ayant commis un viol sur sa petite-fille âgée de huit ans. Alors qu’il encourait théoriquement vingt ans de réclusion pour viol devant une cour d’assises, il a été condamné, en mars dernier, par un tribunal correctionnel, à huit mois seulement, et avec sursis !
Beaucoup d’experts doutent que la loi suffise à mettre fin à la correctionnalisation des procédures, au détriment des victimes. Près de quinze mois après son entrée en vigueur, il est donc souhaitable d’en évaluer les effets, un souhait d’ailleurs partagé par le Gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, puisque vous avez récemment confié une mission d’évaluation à la députée Alexandra Louis.
Ma question est double. Premièrement, la garde des sceaux Nicole Belloubet a déclaré en juin dernier à l’Assemblée nationale que la loi Schiappa contenait des évolutions positives dont les juges s’étaient déjà emparés. Pouvez-vous nous faire part de vos premiers retours d’expérience permettant de mesurer l’impact de cette loi ? Conduit-elle les juges à retenir plus fréquemment la qualification de viol ? Permet-elle aux victimes déposant plainte plus de trente ans après les faits de faire condamner plus facilement leur agresseur ou aboutit-elle au contraire à des classements sans suite décevants ?
Ma deuxième question a davantage trait à la méthode que vous avez choisie pour procéder à l’évaluation de la loi. Accepteriez-vous de confier cette démarche d’évaluation à un collège pluraliste associant députés et sénateurs ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Je ne souhaite pas polémiquer sur les débats qui ont eu lieu à l’époque de l’examen de la loi Schiappa. Attendons les conclusions de la mission d’évaluation confiée à Alexandra Louis, qui étudiera l’ensemble des mesures qui ont été prises depuis.
Dans mes déplacements, sans en tirer aucune conclusion, car nous n’avons, vous comme moi, qu’une vision parcellaire à ce stade, certains juges que je rencontre se félicitent de la correctionnalisation, qui a permis d’accélérer les procédures et d’engager des poursuites qui n’auraient pas pu l’être précédemment. Ce n’est, bien entendu, qu’une remontée de terrain : il convient de la laisser à sa juste place, parmi l’ensemble des autres données à analyser.
Nous devons certes porter un regard exigeant sur notre action, mais la loi du 3 août 2018 a aggravé la répression et retardé la prescription d’un certain nombre d’infractions sexuelles. Elle comporte de réelles avancées, rappelons-le.
Dès le départ, la secrétaire d’État s’est engagée à suivre les recommandations de la mission. Quant à savoir si nous accepterions qu’une mission transpartisane procède à l’évaluation de la loi, je ne peux pas répondre à la place de Mme Schiappa, mais je lui transmettrai votre demande.
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Tous les mois, la presse se fait l’écho de scandales insupportables au sein même des institutions qui accueillent des enfants et qui ont aussi pour mission de les protéger. Ainsi, le 23 septembre dernier, au Mans, une éducatrice a été condamnée pour des atteintes sexuelles sur mineurs commises entre 2011 et 2018. Deux jours plus tard, le 25 septembre, Le Parisien rapportait qu’un directeur de centre de loisirs des Yvelines, accusé du viol d’une enfant de trois ans, était mis en examen. Pourtant, ce dernier avait déjà été condamné en 2017 pour exhibition sexuelle. Comment est-il possible que des personnes condamnées pour exhibition sexuelle puissent encore travailler au sein d’institutions accueillant des enfants ?
Le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, le FIJAISV, a justement pour objectif de prévenir la récidive des personnes déjà condamnées. Ne faudrait-il pas également inscrire dans ce fichier, par exemple, les personnes condamnées pour exhibition sexuelle ?
Ces drames posent aussi la question de l’évaluation des casiers judiciaires des personnes travaillant pour la protection de l’enfance. Si les structures ont accès à ces fichiers et sont en devoir de vérifier le casier judiciaire d’un salarié lors de son embauche, on constate qu’elles font très peu de vérifications ensuite au fil des carrières. Dans certaines situations, les structures ne sont même pas au courant de la condamnation d’un de leurs salariés, alors qu’il y a un risque évident pour les enfants !
Monsieur le secrétaire d’État, vous lancerez dans les semaines qui viennent un plan de lutte contre les violences faites aux enfants, à l’occasion du trentième anniversaire de la convention internationale des droits de l’enfant. Je vous sais sensible à ces questions, que nous avons eu l’occasion d’évoquer ensemble. Dès lors, pouvez-vous nous indiquer quelles mesures le Gouvernement compte prendre ? Intégrerez-vous dans le plan que vous annoncerez au mois de novembre les propositions que j’ai avancées dans mon intervention ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Je ne me prononcerai pas sur les affaires en cours, par respect du principe de présomption d’innocence.
Évidemment, nous sommes tous bouleversés par ce genre de situations, qui peuvent susciter indignation, incompréhension et sentiment d’injustice. C’est pour combattre de telles réalités, notamment les difficultés rencontrées par certains établissements, que la loi dite Villefontaine du 14 avril 2016 a créé une obligation d’information des administrations par le procureur quand une personne a été condamnée, avec un régime spécifique pour la protection des mineurs.
Désormais, pour des infractions graves à caractère violent ou de nature sexuelle commises par des personnes en contact habituel avec des mineurs, le parquet doit obligatoirement transmettre les informations à l’établissement employeur, via l’administration de tutelle.
Dans les faits, on constate que cette obligation n’est pas toujours respectée et que cette possibilité pour l’employeur de consulter le fichier n’est pas forcément connue et utilisée. Quand elle l’est, les délais de réponse du FIJAISV sont parfois trop longs : les personnes sont déjà employées quand l’information est connue.
En partenariat étroit avec la garde des sceaux, nous travaillons à essayer de garantir que l’arsenal législatif dont nous disposons soit effectivement appliqué. Nous devons pour cela évaluer la mise en œuvre des dispositions récentes de la loi du 14 avril 2016 et mieux appréhender les difficultés rencontrées, pour rendre le cas échéant cette obligation plus effective.
Nous ne devons pas non plus nous leurrer et penser que le fichage de tous les individus condamnés pour des infractions sexuelles, quelle qu’en soit la nature, résoudra la question du passage à l’acte des agresseurs. Je renvoie à nos échanges sur la prévention, un aspect sur lequel nous devons également travailler.
Enfin, je ne pourrai répondre complètement à votre question sur notre plan en cours de préparation. Nos travaux doivent encore être finalisés, et je souhaite réserver la primeur de l’annonce, le 20 novembre prochain, aux différents acteurs, dont je ne doute pas que vous ferez partie, monsieur le sénateur. Sachez toutefois que la question des conditions d’inscription au fichier des agresseurs sexuels et des modalités concrètes de consultation de celui-ci fait partie de nos réflexions depuis le départ.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin.
M. Michel Savin. Le sport n’est pas épargné par les violences sexuelles, comme tant d’autres milieux. Je le regrette profondément.
De nombreux sportifs ont récemment fait état de tels comportements à leur égard. Cette prise de conscience est importante, même si elle est encore trop faible. Leur mobilisation, comme celle, croissante, des pouvoirs publics, est une réelle avancée que nous devons profondément encourager.
La difficulté que le monde sportif rencontre pour lutter contre les violences sexuelles tient à l’absence de données sur le nombre d’actes et l’âge des victimes. Mais elle vient aussi d’un manque d’information et d’une véritable omerta sur le sujet. Trop souvent, les enfants se murent dans le silence.
L’association Colosse aux pieds d’argile, reconnue pour ses engagements contre les violences sexuelles dans le milieu du sport, nous rappelle que ces violences toucheraient environ 10 % des sportifs et 13 % des sportives.
Lors des auditions de notre mission, il a été souligné que la majorité des violences sexuelles commises dans le sport sont commises entre sportifs. Il n’en demeure pas moins qu’il existe malheureusement trop d’abus sexuels commis sur des enfants par un éducateur sportif ou un entraîneur. Je rappelle que, depuis 2015, près d’une centaine de cas d’éducateurs inscrits au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes ont été recensés. De nombreux trous dans la raquette demeurent toutefois. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous informer des mesures que compte prendre le Gouvernement sur la formation et l’information des éducateurs sportifs et des entraîneurs, mais aussi des présidents d’association, pour mieux les sensibiliser et les accompagner dans leurs missions ?
La ministre des sports avait annoncé vouloir expérimenter un dispositif de contrôle des casiers judiciaires des bénévoles, afin de protéger les jeunes licenciés. Qu’en est-il ? Aujourd’hui, des bénévoles peuvent être condamnés dans un département puis s’engager de nouveau dans un autre département. Comment avancer rapidement et concrètement sur ce sujet ?