Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi, M. Daniel Dubois.
2. Hommage au Président Jacques Chirac
M. Édouard Philippe, Premier ministre
3. Questions d’actualité au Gouvernement
Mme Catherine Morin-Desailly ; M. Édouard Philippe, Premier ministre ; Mme Catherine Morin-Desailly.
M. Didier Rambaud ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
devenir de la mission de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires
M. Stéphane Artano ; M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.
Mme Céline Brulin ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; Mme Céline Brulin.
M. Didier Marie ; M. Édouard Philippe, Premier ministre.
M. Claude Malhuret ; M. Édouard Philippe, Premier ministre.
déficit de la sécurité sociale
M. Alain Milon ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; M. Alain Milon.
soutien aux forces de sécurité
Mme Christine Bonfanti-Dossat ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.
M. Yves Daudigny ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; M. Yves Daudigny.
M. Jean-François Husson ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Jean-François Husson.
malaise persistant chez les sapeurs-pompiers
M. Olivier Cigolotti ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.
M. Jean-Paul Émorine ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Jean-Paul Émorine.
stage des internes en fin de cycle dans les zones sous-dotées
M. Bernard Buis ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; M. Bernard Buis.
fiscalité des français de l’étranger
Mme Jacky Deromedi ; M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
Mme Michelle Meunier ; Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement ; Mme Michelle Meunier.
4. Souhaits de bienvenue à un nouveau sénateur
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
5. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
6. Mises au point au sujet d’un vote
7. Candidature à une commission
8. Sécurité des ponts : éviter un drame. – Débat organisé à la demande de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable
Mme Françoise Cartron ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; Mme Françoise Cartron.
Mme Éliane Assassi ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.
M. Alain Fouché ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; M. Alain Fouché.
Mme Nadia Sollogoub ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.
M. Jean-Pierre Corbisez ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Michel Vaspart ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.
M. Jean-Michel Houllegatte ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; M. Jean-Michel Houllegatte.
M. Jean-Marie Mizzon ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; M. Jean-Marie Mizzon.
M. Antoine Lefèvre ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; M. Antoine Lefèvre.
Mme Nicole Bonnefoy ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.
M. Didier Mandelli ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.
M. Olivier Jacquin ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; M. Olivier Jacquin.
M. Christophe Priou ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.
Mme Catherine Deroche ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.
M. Jean-Raymond Hugonet ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.
Suspension et reprise de la séance
9. Communication d’un avis sur un projet de nomination
10. Intelligence artificielle. – Débat organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen
M. Yvon Collin, pour le groupe RDSE
M. Pierre Ouzoulias ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique ; M. Pierre Ouzoulias.
M. Joël Guerriau ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique ; M. Joël Guerriau.
M. Olivier Cadic ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique ; M. Olivier Cadic.
M. Jean Bizet ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
M. Franck Montaugé ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique ; M. Franck Montaugé.
M. Jean-Yves Roux ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
Mme Noëlle Rauscent ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique ; Mme Noëlle Rauscent.
M. Jean-Marie Mizzon ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
M. Cédric Perrin ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique ; M. Cédric Perrin.
Mme Sylvie Robert ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
M. René-Paul Savary ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
Mme Nadine Grelet-Certenais ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
M. Jean-Pierre Leleux ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
Mme Brigitte Lherbier ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
Mme Florence Lassarade ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique ; Mme Florence Lassarade.
M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen
11. Ordre du jour
Nomination d’un membre d’une commission
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi,
M. Daniel Dubois.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Hommage au Président Jacques Chirac
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, Jacques Chirac nous a quittés jeudi dernier, dans sa quatre-vingt-septième année. La nouvelle de sa disparition nous a plongés, a plongé l’ensemble du pays, dans une grande émotion. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent.)
La séance, ce matin-là, a été suspendue dès l’annonce de cette triste nouvelle. Notre hémicycle s’est rassemblé dans le recueillement. Puis Philippe Dallier, qui présidait la séance l’après-midi, a rendu un premier hommage du Sénat à cet homme d’État au parcours exceptionnel, qui a profondément marqué la France et les Français. Nous étions nombreux, sénateurs et anciens sénateurs, à assister avant-hier à la cérémonie d’adieu en l’église Saint-Sulpice.
Au nom du Sénat tout entier et en présence de vous-même, monsieur le Premier ministre, et de nombreux autres membres du Gouvernement, je souhaite rendre un nouvel hommage solennel à Jacques Chirac, qui, tout au long d’une vie politique de plus de cinquante années, a occupé d’éminentes fonctions.
Jacques Chirac avait de la France une connaissance intime, celle d’un homme qui a gravi tous les échelons des mandats de terrain avant de présider au destin de la Nation.
Né de parents corréziens, Jacques Chirac accomplit ses études primaires et secondaires d’abord à Sainte-Féréole, en Corrèze, puis à Versailles et à Paris. Après son bac, rêvant de faire carrière dans la marine marchande, il s’engagea quelques mois comme pilotin sur un cargo charbonnier, mais son père ne le laissa pas persévérer dans cette voie. Il reprit alors ses études : Sciences Po, puis l’université d’Harvard, enfin l’École nationale d’administration.
Au cours de son service militaire, il se porta volontaire pour partir vers l’Algérie en guerre. Cette période d’aspirant, puis de sous-lieutenant, le marquera profondément. Il ira jusqu’à dire qu’elle fut peut-être la plus passionnante de son existence.
Si Jacques Chirac débuta sa carrière à la Cour des comptes, très vite, il s’engagea dans la vie politique : dès 1962, à trente ans, il devint chargé de mission au secrétariat général du Gouvernement, puis au cabinet du Premier ministre, Georges Pompidou, son mentor en politique, auquel il témoigna une fidélité indéfectible.
Parallèlement, avec l’énergie et la ténacité qui le caractérisaient, il se lança à la conquête de la Corrèze, se confrontant avec succès au suffrage universel. Élu conseiller municipal de Sainte-Féréole en 1965, il devint député de la circonscription d’Ussel deux ans plus tard, puis, en 1968, conseiller général du canton de Meymac.
Ensuite, vint la carrière nationale que nous connaissons tous : candidat aux élections présidentielles de 1981 et 1988, Jacques Chirac fut élu Président de la République en 1995 et réélu en 2002.
Nous avons tous en mémoire ces moments particuliers, mais permettez-moi d’apporter à cet hommage deux touches plus personnelles. Ministre de l’agriculture, Jacques Chirac a profondément marqué le monde agricole, dans une relation exceptionnelle nouée au moment où la politique agricole commune se mettait en place. Et, sans Jacques Chirac, je n’aurais jamais été élu maire de Rambouillet, en 1983.
Je rappellerai le souvenir d’un autre épisode, survenu dans cet hémicycle : un soir de déclaration de politique générale suivie d’un débat, Jacques Chirac arriva ici même… en smoking ! Le groupe d’opposition avait réclamé sa présence, estimant que le Premier ministre ne pouvait s’exprimer seulement par la voix de son ministre chargé des relations avec le Parlement, André Rossinot – n’en prenez pas ombrage, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement…
Ces souvenirs forts, humains, illustrent les qualités de Jacques Chirac. J’ai eu l’honneur de servir dans deux de ses gouvernements – quelques-uns dans cet hémicycle en faisaient aussi partie. Que de souvenirs de ses conseils des ministres… Que de souvenirs aussi de ces dimanches après-midi où il nous « convoquait » pour parler cohésion sociale, emploi et travail. Ces moments sont pour moi des souvenirs vivaces.
Jacques Chirac a incarné les valeurs de notre République.
La liberté, d’abord, en refusant toute compromission avec les extrêmes et en assumant le passé de notre pays, ses lumières et ses ombres ; son discours du Vel d’Hiv en est le symbole le plus éclatant.
L’égalité, ensuite, en tentant de résorber la fracture sociale, lui qui, maire de Paris, avait créé le SAMU social. Maire de Paris, il reçut de ses administrés une formidable reconnaissance, réussissant, à la fin de son premier mandat, le grand chelem dans les vingt arrondissements de la capitale. Reconnaissance d’un Paris qu’il a profondément aimé et transformé, comme de la Corrèze à laquelle il était tellement attaché.
La fraternité, enfin, dans sa proximité avec les Français, dans sa sensibilité à la souffrance de ceux qui sont empêchés par le handicap ou la maladie – je me souviens encore de la présentation en conseil des ministres du projet de loi dont est issue la loi de 2005. Il attachait le plus grand prix à être parvenu à faire adopter trois lois en faveur de l’intégration des personnes handicapées. Le plan Cancer fut, comme la sécurité routière, un autre grand chantier de son second mandat présidentiel ; il permit des améliorations dans la lutte contre cette terrible maladie.
Sur la scène internationale, le président Jacques Chirac sut conforter la place de la France et développer son rayonnement dans le monde. Il faut avoir vécu des conseils des ministres franco-allemands avec Jacques Chirac – ce fut mon cas pendant trois ans, sous des chanceliers différents – pour mesurer combien cet homme rayonnait.
S’il sut conforter la place de la France, il sut aussi assurer l’adaptation des moyens de notre défense aux progrès techniques et à leurs exigences. Il décida ainsi, ce qui n’était pas simple, la professionnalisation de nos armées.
Il chercha à promouvoir le multilatéralisme dans les relations internationales. Portant haut la voix de la France, il n’hésita pas à s’opposer aux Américains : le « non » à la guerre en Irak restera dans l’histoire.
Chacun ces derniers jours a rappelé son cri d’alarme à Johannesburg. Oui, le président Jacques Chirac s’est attaché à la préservation de l’environnement, domaine dans lequel il était à bien des égards précurseur. Des textes majeurs furent adoptés en la matière en 1975 et 1976, alors qu’il était Premier ministre, et la Charte de l’environnement fut intégrée au bloc de constitutionnalité en 2004, pendant son second mandat présidentiel.
Jacques Chirac était aussi un homme de culture, passionné par l’histoire des civilisations africaines et asiatiques, domaine dans lequel il faisait preuve d’une incroyable érudition. Il nous laisse un grand musée.
Chaleureux, attentif aux autres, simple aussi, il prenait le temps d’écouter et d’avoir un mot pour chacun, puissant ou humble. Il compatissait aux souffrances d’autrui, mais, pudique et discret, n’évoquait jamais les siennes, alors que la vie ne l’avait pas épargné.
Sa profonde humanité, sa proximité avec ses concitoyens et son contact charnel avec les Français ont suscité une sympathie qui dépasse toutes les sensibilités, comme en ont témoigné, dimanche dernier, les interminables files d’attente pour se recueillir devant son cercueil, lors de l’hommage populaire aux Invalides.
Permettez-moi de rappeler aussi combien Jacques Chirac aimait la France des outre-mer. Il l’aimait passionnément et avec attention. Il avait parfaitement compris que la France n’est vraiment la France qu’avec ses outre-mer.
À Bernadette Chirac, son épouse, qui a tant œuvré pour nos hôpitaux – j’en fus le témoin comme président de la Fédération hospitalière de France –, à sa fille, Claude Chirac, à son petit-fils, Martin, à toute sa famille et à ses proches, ainsi qu’à tous ceux qui ont partagé ses engagements, je renouvelle, au nom du Sénat, l’expression de la part que nous prenons à leur chagrin.
Peu d’entre vous ici ont connu Jacques Chirac Premier ministre – c’est pourtant votre cas, monsieur le haut-commissaire. Cet homme d’État dont nous voyions la grande silhouette arriver dans l’hémicycle avait un attachement au bicamérisme dont il a témoigné.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, recueillons-nous quelques instants en sa mémoire. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, observent une minute de silence.)
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, beaucoup a été dit, et très bien dit, sur Jacques Chirac : par le Président de la République, à l’annonce de son décès, jeudi dernier, par vous-même, monsieur le président, à l’instant, et par des Françaises et des Français en très grand nombre, célèbres ou inconnus.
Beaucoup a été dit, et très bien dit, sur ce sublime guerrier de la politique, sur son incroyable carrière, sans doute unique en son genre, sur ses victoires à la hussarde, sur ses défaites retentissantes, sur ses erreurs – qui n’en commet pas, surtout durant une si longue carrière ?
Beaucoup a été dit, et très bien dit, sur ses intuitions politiques profondes et sur ses décisions majeures, que le président Chirac a prises parfois soutenu, parfois seul, et dont nous mesurons aujourd’hui la sagesse et la perspicacité.
Beaucoup a été dit, et très bien dit, sur sa personnalité attachante et complexe, sur ses habitudes, sur ses goûts, sur ses combats secrets et ses blessures intimes.
Nombre de ces récits proviennent de compagnons, dont vous faites partie, monsieur le président, ainsi que d’autres sur ces travées, des compagnons dont certains étaient devenus ses amis. Car si la politique est parfois brutale, et peut-être pas toujours à la hauteur de ce qu’elle devrait être, elle peut être aussi, quand on le veut, l’expression d’un certain panache et le creuset d’amitiés profondes qui dépassent – c’est heureux – les limites des familles politiques, quand il s’agit de défendre une idée, un territoire, l’intérêt de la Nation ou des valeurs communes.
Le Sénat, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, est une excellente incarnation de cette opiniâtreté courtoise – ou de cette courtoisie opiniâtre, je ne sais comment dire – de la République, que Jacques Chirac lui aussi incarnait.
« C’est beau, mais c’est loin » : nul besoin de préciser qui est l’auteur de cette phrase… Si je l’ai retenue, c’est non seulement pour rendre hommage au sens de la formule du président Jacques Chirac, mais aussi pour souligner trois aspects de son parcours.
D’abord, avant d’être un grand Premier ministre, puis un grand Président de la République, Jacques Chirac fut un grand élu local : conseiller municipal de Sainte-Féréole durant douze ans, conseiller général de la Corrèze, puis président de ce département durant neuf ans, enfin maire de Paris durant dix-huit ans. Ainsi, il aura été à la fois un grand élu de la France rurale et le maire d’une des plus puissantes métropoles d’Europe – deux réalités françaises que Jacques Chirac synthétisait et qui n’ont jamais été pour lui exclusives l’une de l’autre.
Ensuite, cette formule dit quelque chose de la fonction d’élu local. Si nous sommes nombreux ici à avoir sillonné une ville, un canton, un département dans tous les sens, aucun d’entre nous, probablement, n’a sillonné la France autant que Jacques Chirac. Nous savons qu’un territoire, ce n’est pas un dossier ; que, pour le connaître, il faut l’arpenter physiquement, mètre carré par mètre carré. Parfois, quand nous arrivons à destination, après quelques kilomètres d’une route cabossée, dans un lieu comme il en existe des milliers en France – des lieux qui en font bien souvent le charme –, je sais que nous sommes nombreux, quelles que soient nos opinions politiques, à nous exclamer intérieurement quelque chose comme : « C’est beau, mais c’est loin. » Quelquefois, c’est d’ailleurs justement parce que c’est loin que c’est beau…
Enfin, cette formule souligne que, pour Jacques Chirac, aucun territoire de la République n’était trop éloigné. Aucun de métropole, bien entendu, mais aucun non plus des outre-mer, avec lesquels, comme vous l’avez rappelé, monsieur le président, il entretenait des liens extrêmement forts, des liens de proximité malgré la distance.
C’est ainsi que, au moment où les responsables politiques de l’Hexagone et des outre-mer, avec des chefs d’État du monde entier, se recueillaient en l’église Saint-Sulpice, nos compatriotes des outre-mer et leurs élus rendaient, eux aussi, hommage à Jacques Chirac : des centaines de personnes se sont réunies place de la République à Mamoudzou, à Mayotte, ainsi qu’au jardin de l’État à Saint-Denis de La Réunion ; des minutes de silence ont été observées en Guyane, en Martinique, en Guadeloupe et à Wallis-et-Futuna ; les habitants de Nouvelle-Calédonie ont pu exprimer leur émotion dans plusieurs livres d’or. Les unes des quotidiens d’outre-mer sont particulièrement éloquentes, où les mêmes termes reviennent : l’amoureux, l’ami, le grand défenseur.
Il y a le lien personnel que le président Jacques Chirac a su tisser avec les outre-mer, leurs populations et leurs élus. Il y a aussi les décisions prises, les inflexions données pour construire l’avenir de ces territoires. Je pense à la création, en 1986, de la défiscalisation orientant des fonds privés vers le tissu économique ultramarin. Autre décision majeure, dix ans plus tard : l’alignement du salaire minimal et des prestations sociales dans les outre-mer et en métropole, aboutissement du long combat pour l’égalité des droits sociaux.
Certaines décisions ont été plus douloureuses. Nous nous rappelons, bien sûr, les événements de Nouvelle-Calédonie et le drame d’Ouvéa, en 1988. Nous nous souvenons aussi que, dix ans plus tard, c’est sous la mandature du président Jacques Chirac, et grâce au travail du Premier ministre Lionel Jospin, que nous avons signé l’accord de Nouméa.
Un grand nombre de Calédoniens se souviennent que c’est sous l’autorité du même Jacques Chirac que la République a adopté la révision constitutionnelle gelant le corps électoral pour les élections provinciales. Au reste, j’observe que responsables indépendantistes et non indépendantistes ont salué avec une même émotion la mémoire du président défunt.
Gardons également en mémoire la décision difficile, car éminemment stratégique, de relancer les essais nucléaires en Polynésie française : une décision qui a provoqué des contestations, parfois violentes, mais qui a garanti notre indépendance. Quelques années plus tard, le président Jacques Chirac et le gouvernement de la Polynésie française ont proposé au Parlement un nouveau statut pour le territoire, marquant une étape importante vers une plus grande autonomie.
Le président Jacques Chirac, c’était aussi – au Sénat, vous le savez bien – une politique courageuse de reconnaissance de la mémoire de l’esclavage, dans le droit fil du rapport d’Édouard Glissant, conduisant à l’instauration, en 2006, d’une journée de commémoration officielle, le 10 mai. Une politique consistant, au fond, à regarder le passé droit dans les yeux, à nommer les choses pour mieux les surmonter.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, Jacques Chirac avait sans doute toutes les qualités pour faire un excellent sénateur… Il ne l’a jamais été, ce qui ne l’a pas empêché de bien connaître votre assemblée, comme ministre chargé des relations avec le Parlement, puis comme Premier ministre.
Dans une courte intervention pour accueillir les membres du bureau du Sénat à l’Élysée, en 1995, Jacques Chirac rappelait ainsi qu’il avait toujours entretenu des relations courtoises avec le Sénat. C’est d’ailleurs un sénateur qu’il nomma Premier ministre en 2002, Jean-Pierre Raffarin, engageant avec lui l’acte II de la décentralisation jusqu’à la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, dont vous connaissez mieux que quiconque les avancées considérables.
Un enracinement profond, une attention particulière aux territoires de la République, un amour de nos terroirs : voilà ce qui a fait de Jacques Chirac l’incarnation de la France et des Français – de nous tous, en somme –, avec ce que cela implique de défauts, de générosité et parfois de génie.
Pour paraphraser Malraux, le patriotisme de Jacques Chirac ignorait le chauvinisme. Cet équilibre subtil, exigeant, c’est celui d’une France souveraine, autonome, farouchement indépendante, d’une France fière de son identité, mais capable de s’ouvrir et de parler à tous, avec raison, mesure et sagesse ; de la France du multilatéralisme, du projet européen et de l’amitié franco-allemande, de la conscience écologique et du combat pour réduire les inégalités entre le Nord et le Sud.
Cette conception de la France, très gaullienne, est aux antipodes des discours que l’on peut parfois entendre. Dans l’une de ses dernières interventions, en mars 2017, le président Jacques Chirac nous exhortait à refuser l’extrémisme sous toutes ses formes. Douze ans plus tard, nous savons que ces propos n’ont rien perdu de leur acuité ; ils nous placent chacun devant nos responsabilités.
Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, mes pensées vont à la famille et à tous les proches du président Jacques Chirac, en particulier à son épouse, à sa fille, Claude, et à son petit-fils.
Au lendemain de la défaite de son mari aux élections présidentielles de 1988, Mme Chirac avait dit : « Les Français n’aiment pas mon mari. » S’il y a une chose que les derniers jours ont montrée, c’est que les Français aimaient passionnément Jacques Chirac.
Ils l’aiment sans doute plus qu’ils ne l’imaginaient et peut-être plus qu’il ne l’imaginait lui-même. Ils l’aiment comme on aime parfois ceux qui vous ressemblent le plus : avec des intermittences, des impatiences, mais aussi avec une profonde tendresse et une fidélité peu commune, qui résiste à tout. Aux vicissitudes de la vie politique, aux erreurs, aux opinions du moment. Et, surtout, au temps. (De nombreux sénateurs et plusieurs membres du Gouvernement applaudissent avec recueillement.)
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, je vous invite à nous recueillir encore quelques instants. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, observent un moment de silence.)
3
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
La séance est retransmise sur Public Sénat et sur notre site internet.
Je vous appelle, mes chers collègues, à être attentifs aux temps de parole et au respect des uns et des autres.
incendie survenu à rouen
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le Premier ministre, jeudi dernier, un terrible incendie a ravagé, heureusement sans faire de victime, une partie de l’usine Lubrizol de Rouen, dégageant un immense nuage noir qui s’est abattu sur une partie de la Seine-Maritime et au-delà. Je remercie vivement les forces de l’ordre, les salariés de l’usine et nos pompiers, car le pire a été évité. Mais, chez les habitants, une angoisse et une colère légitimes demeurent.
Les enquêtes judiciaire et administrative doivent rapidement déterminer les responsabilités. Mais, à cette heure, c’est la santé qui prime : à cet égard, des réponses précises et des explications claires sont attendues.
Lors de votre visite sur place, monsieur le Premier ministre, vous vous êtes engagé à la transparence, du reste garantie par l’article 7 de la Charte de l’environnement. Or, hier, le préfet a dévoilé des chiffres alarmants : 5 253 tonnes de produits chimiques ont été brûlées et 160 fûts sont toujours entreposés, dans un état délicat. Il faut que les prochaines analyses nous renseignent sur les molécules dégagées qui ont été inhalées, les retombées de suie et leurs conséquences !
Nos familles sont inquiètes. Vous avez reconnu la nécessité d’un suivi médical de long terme, mais il faut aussi un suivi épidémiologique strict de ceux qui sont intervenus sur le sinistre et de toute la population touchée d’une manière ou d’une autre.
Si, comme vous le dites, la reconnaissance de l’état de catastrophe technologique n’est pas envisagée, quelle solution proposez-vous pour indemniser les victimes ?
Je remercie Didier Guillaume, qui a reconnu la gravité de la situation et promis des aides aux agriculteurs, éleveurs et maraîchers des 206 communes de Normandie et des Hauts-de-France concernées par la suspension des récoltes et des collectes de lait.
Enfin, lorsqu’un événement de cette gravité et de cette ampleur se produit, il faut que l’ensemble des maires soient bien informés. Or ils nous ont dit regretter de n’avoir pas toujours pu jouer leur rôle auprès de la population. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Madame la sénatrice, lundi soir, avec d’autres parlementaires, députés et sénateurs, nous étions tous les deux sur le site pour mesurer l’ampleur de l’incendie.
Comme vous l’avez souligné, cet incendie très spectaculaire et grave a été maîtrisé en douze heures, sans victime ni blessé, grâce à l’exceptionnelle qualité de l’intervention des pompiers.
Je répondrai à votre question en tout point, mais permettez-moi d’abord de saluer devant le Sénat l’action remarquable des services de l’État et la coordination non moins remarquable entre les forces de l’ordre et de secours et les salariés du site. Grâce à eux, l’effet domino a été évité, alors que l’expansion du feu d’une zone de stockage vers des zones de production aurait eu des conséquences bien plus graves. Toutes vos questions sont légitimes, mais gardons à l’esprit l’exceptionnelle qualité de cette première réponse.
Madame la sénatrice, je comprends parfaitement l’émotion et l’inquiétude, voire la colère des Rouennais, et, au-delà, des habitants de la métropole et des communes qui ont vu passer le nuage et qui s’interrogent sur les conséquences de ce nuage sur leur santé.
Je redis le plus clairement et le plus fermement possible l’engagement absolu du Gouvernement à la transparence totale, complète. Toutes les informations, toutes les données scientifiques qui seront rendues disponibles par les analyses mises en œuvre seront communiquées au public.
Le principe de précaution a été appliqué avec vigilance dès le premier jour. Des recommandations claires ont été formulées. J’entends toutefois, madame la sénatrice, vos propos sur la diffusion de l’information. Le préfet, que je veux assurer de mon soutien, car son action était délicate, a reconnu lui-même, lors d’une rencontre avec les maires de la métropole rouennaise, que la qualité de l’information diffusée aux premières heures de l’événement à destination d’un certain nombre de maires n’avait peut-être pas été à la hauteur des aspirations légitimes formulées par les premiers magistrats des communes considérées.
Les retours d’expérience que nous réaliserons pour apprendre de cet événement nous permettront sans doute d’identifier les améliorations que nous pouvons apporter sur ce point.
Les consignes de vigilance ont été immédiatement données. Nous avons fait procéder au nettoyage de toutes les écoles avant leur réouverture lundi. Une campagne de surveillance approfondie de l’ensemble des impacts environnementaux sur l’eau, sur l’air, sur les sols avec des prélèvements a commencé dès vendredi.
Les résultats sont et seront rendus publics au fur et à mesure de leur délivrance, en fonction des produits qui sont testés et de la difficulté technique de ces analyses, certaines pouvant prendre plus de temps. Mais l’ensemble des résultats, je le répète, sera rendu public.
J’ai demandé au préfet de Normandie de rendre compte au public chaque jour en fin d’après-midi de l’avancée des travaux à l’occasion d’une conférence de presse. Il sera appuyé par une cellule nationale scientifique, car il faut apporter des réponses précises aux nombreuses questions techniques, environnementales ou médicales qui sont posées. Le directeur général de l’Ineris, l’Institut national de l’environnement industriel et des risques, un expert de Santé publique France et le chef du service de pneumologie du CHU de Rouen seront associés à ses prises de parole, afin de donner les réponses les plus précises possible aux questions qui ne manqueront pas d’être posées.
Hier, en fin d’après-midi, le préfet a rendu publique la liste complète des produits présents dans l’entrepôt qui a brûlé avec les caractéristiques de ces produits et les risques associés. Je veux sur ce point être clair, mesdames, messieurs les sénateurs : depuis la fin de l’année 2017, pour des raisons de sécurité qui n’échapperont à personne, la liste complète des substances autorisées sur les sites classés Seveso n’était plus rendue publique, mais, dans tous les cas, cette liste ne dit rien des produits et des quantités qui sont réellement présents sur un site à un moment donné.
La liste que nous avons rendue publique hier est précise ; elle mentionne les produits qui étaient effectivement présents dans l’entrepôt qui a brûlé, ainsi que leur quantité. L’État a reçu cette liste hier matin, et nous l’avons publiée dans la journée.
Sur la base de cette liste, l’Ineris et l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, seront saisis dès ce jour pour faire des recommandations sur des produits supplémentaires à rechercher dans l’air ou dans les suies.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne savons pas tout aujourd’hui, parce que les analyses sont en cours et qu’il va falloir les poursuivre, et pendant longtemps. Ce que nous savons d’ores et déjà, concernant la qualité de l’air, c’est que tous les prélèvements d’air dont nous disposons à cette heure, dont les analyses ont été rendues publiques, font apparaître un état habituel de la qualité de l’air sur le plan sanitaire à l’extérieur du site.
Des analyses complémentaires ont été engagées pour vérifier si des fibres d’amiante sont présentes dans l’air, parce que la toiture des bâtiments qui ont brûlé en contenait. Les premiers résultats, pour les mesures effectuées dans un rayon de 300 mètres autour du site, ont été rendus publics hier : ils montrent qu’aucune fibre n’a été détectée dans les prélèvements de surface, et que les prélèvements d’air ne révèlent pas d’anomalie. D’autres résultats sur des zones plus éloignées vont suivre dans les prochains jours ; ils seront bien sûr rendus publics.
Je n’ignore pas les odeurs incommodantes qui perduraient encore hier. J’ai parfaitement conscience qu’elles gênent et qu’elles inquiètent la population. Mais les résultats connus des mesures d’air permettent aux autorités sanitaires d’affirmer que ces odeurs ne présentent pas de risque pour la santé. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les autorités sanitaires. Les services de l’État travaillent d’ailleurs avec l’entreprise pour résorber les sources d’odeurs. Comme l’a indiqué le préfet hier, les opérations de nettoyage du site sont en cours ; une protection sera installée sur la zone contenant des fûts endommagés pour capter les flux d’air.
Monsieur le président, je vous prie de m’excuser de cette réponse trop longue…
M. le président. Il est important qu’au travers du Sénat l’ensemble de la population soit informé, monsieur le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je vous remercie de me permettre de préciser les choses de la façon la plus claire possible.
Madame la sénatrice, vous avez évoqué la possibilité de faire reconnaître l’état de catastrophe technologique. Un certain nombre d’élus rouennais m’ont également saisi de cette question. La loi Bachelot de 2003, qui a créé cette possibilité, a mis en place un régime d’indemnisation des victimes de catastrophes technologiques. Ce régime, je le dis au Sénat, vise à faciliter le traitement des accidents qui ont eu un très fort impact sur les biens immobiliers et mobiliers en s’appuyant sur le précédent d’AZF à Toulouse en 2001 : des milliers de logements avaient alors été affectés, voire rendus inutilisables.
Dans le cas présent, les critères qui ont été définis dans la loi ne semblent pas en première analyse adaptés. En effet, il n’y a pas eu de dommages importants sur les logements dans l’environnement du site. Par ailleurs, le dispositif tel qu’il a été conçu ne concerne pas l’indemnisation des producteurs agricoles.
Cela étant, il y a un acteur que nous n’avons pas encore mentionné. Dans tous les cas, je veillerai à ce que des mesures soient prises pour l’indemnisation immédiate des agriculteurs qui, en vertu du principe de précaution, voient leur production non commercialisée, mais aussi des riverains et de l’ensemble de ceux qui subissent un préjudice ou un dommage. Je veillerai à ce que rien ne vienne exonérer la responsabilité de l’industriel, car en matière d’installations classées, le régime juridique qui a été établi puis complété par la loi prévoit qu’il y a bien un responsable : il s’agit de l’entreprise, de l’acteur industriel qui est responsable des dommages causés au voisinage du fait des activités qu’il mène à l’intérieur d’un site.
Enfin, s’agissant de la demande de mise en place d’un suivi médical de long terme et d’une étude épidémiologique, évidemment, comme pour ce qui concerne la transparence, le Gouvernement mettra tout en œuvre pour dire, pour mesurer et pour faire connaître l’ensemble des causes et des conséquences de cette catastrophe industrielle dont nous souhaitons – nous allons y veiller – qu’elle ne devienne pas une catastrophe sanitaire ou une catastrophe environnementale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir m’excuser pour le temps que j’ai pris pour répondre à cette question, mais il me semblait important d’aller jusqu’au bout. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je vous remercie de vos réponses, monsieur le Premier ministre. Vous l’avez reconnu, la crise est grave : elle est sanitaire, écologique, économique. Elle nous conduit à nous interroger sur la sécurité des sites Seveso en général. Sommes-nous bien préparés à gérer ces crises industrielles, même si, vous l’avez dit, nos pompiers ont été absolument extraordinaires ? Toutes les leçons ont-elles été tirées de la catastrophe d’AZF ? La question se pose.
Nous allons prendre nos responsabilités au Sénat, mes chers collègues, et créer une commission d’enquête ou une mission d’information commune qui nous permettra d’effectuer un suivi très strict de cette situation et des analyses qui nous sera utile pour progresser et faire en sorte qu’un tel drame ne se reproduise pas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
agenda rural
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, pour le groupe La République En Marche.
M. Didier Rambaud. Madame la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, lors du congrès des maires ruraux de France, vous avez présenté avec le Premier ministre le plan d’action du Gouvernement dit « agenda rural ». Ce dernier comporte 173 mesures proposées à la suite du travail réalisé par une mission d’élus.
Pour reprendre votre expression, vous souhaitez faire du « cousu main ». Vous avez raison : il existe non plus une seule ruralité, mais plusieurs formes de ruralité, depuis l’hyper-rural jusqu’au périurbain en passant par la montagne.
En tant qu’ancien maire d’une commune rurale, Châbons, et d’un bourg-centre, le Grand-Lemps, j’accueille donc ce plan avec beaucoup d’espoir.
Espoir, car de nombreuses mesures annoncées sont attendues depuis longtemps : la revitalisation des centralités, avec le soutien aux petits commerces, le développement des lieux de convivialité, notamment l’opération 1 000 cafés dans les villages, ou encore le renforcement de l’accompagnement de la jeunesse de ces territoires, en lui facilitant l’accès aux services dont elle n’a pas toujours connaissance – les cartes de réduction, le permis à un euro, etc. – et d’autres propositions relatives à la culture, à l’accès au numérique ou à notre système de santé.
Vous le savez bien, madame la ministre : après le temps des annonces doit venir le temps des actes concrets. Afin de garantir la bonne réalisation des mesures de ce plan d’action, pouvez-vous nous préciser la méthode employée pour définir la carte de géographie prioritaire des ruralités, ainsi que le calendrier de cet agenda ? Quand ces territoires pourront-ils concrètement en ressentir les effets et répondre à des appels à projets ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Rambaud, nous partageons l’analyse selon laquelle il existe non pas une, mais des ruralités. Et il faut effectivement passer des annonces aux actes concrets pour améliorer la vie quotidienne des habitants de nos campagnes.
Pour y parvenir, vous l’avez rappelé, nous avons donné suite à un grand nombre de propositions de la mission agenda rural, dont je tiens à saluer la qualité du travail. La mission avait notamment recommandé d’élaborer une géographie prioritaire des territoires ruraux. Le Gouvernement a décidé de suivre cette recommandation, car nous pensons qu’il est nécessaire de concentrer nos efforts dans les territoires qui en ont le plus besoin.
Aujourd’hui, vous le savez, il existe des zones de revitalisation rurale, les fameuses ZRR, qui sont importantes pour les territoires. Elles couvrent près d’une commune sur deux dans notre pays, et leur effet nécessite d’être évalué. Vous êtes d’ailleurs un certain nombre sur ces travées à partager ce point de vue – je pense en particulier à Bernard Delcros, Frédérique Espagnac et Rémy Pointereau qui viennent de rendre un rapport sur ce sujet.
C’est la raison pour laquelle nous avons pris deux décisions : tout d’abord, prolonger jusqu’à la fin de l’année 2020 le zonage ZRR pour les 4 074 communes qui devaient en sortir en juin prochain ; ensuite, travailler sur une nouvelle géographie prioritaire. Nous avons une année pour le faire, et je le dis dès à présent : cette nouvelle géographie prioritaire sera naturellement définie en lien avec les membres de la mission, mais aussi les associations d’élus, et bien sûr des parlementaires.
La méthode du Gouvernement est constante : partir des besoins des territoires et coconstruire les solutions avec ceux qui les représentent.
devenir de la mission de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Stéphane Artano. Monsieur le Premier ministre, en 2013, sous l’impulsion de nos collègues Jacques Mézard et Alain Milon, le Sénat constituait une commission d’enquête sur les dérives sectaires dans le domaine de la santé qui a formulé 41 recommandations pour répondre à cette problématique.
La première conséquence des dérives sectaires dans le domaine de la santé est un nombre important de décès prématurés chaque année ; personne ne peut l’ignorer.
Ne nous y trompons pas : ce phénomène touche toute la société et justifie pleinement l’existence de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, la Miviludes, créée en 1996 sous une première forme. Son efficacité n’est plus à démontrer. Récemment encore, c’est elle qui a révélé l’affaire des essais cliniques non autorisés sur 350 personnes souffrant des maladies de Parkinson et d’Alzheimer.
Ce service, disposant d’un savoir-faire que de nombreux pays nous envient, est considéré comme unique au monde, parce qu’il est à la fois observatoire et régulateur.
Depuis un an, cette mission placée sous votre autorité, monsieur le Premier ministre, n’a plus de président, et je le regrette. Depuis plusieurs mois, des rumeurs circulent sur un rattachement au ministère de l’intérieur auprès du comité interministériel de la prévention de la délinquance et de la radicalisation ou du bureau central des cultes. Ce rattachement a d’ailleurs déjà été évoqué ou suggéré par la Cour des comptes en 2017.
Il semblerait que ce rattachement au titre de la police administrative de la prévention ait été récemment confirmé par le ministère de l’intérieur. Est-ce à penser que la Miviludes perdrait, de fait, ses pouvoirs en matière de police judiciaire ?
La Miviludes est indispensable dans notre société, touchée à tous les niveaux par les dérives sectaires et les phénomènes d’emprise mentale.
Monsieur le Premier ministre, j’aimerais – et je ne suis pas le seul sur ces travées – connaître vos intentions quant à l’avenir de la Miviludes et à son possible rattachement au ministère de l’intérieur : dans quelles conditions, si cela est confirmé, avec quels moyens et pour quelle mission l’envisagez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Artano, en 2002 a effectivement été créée la Miviludes, la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.
Cette dernière exerce des missions extrêmement importantes : d’abord, celle d’analyser le phénomène des dérives sectaires, qui, vous le savez, est mouvant, évolutif – nous l’avons observé au cours de ces vingt dernières années ; ensuite, celle d’assurer la coordination de la politique préventive et répressive de la lutte contre les dérives sectaires ; enfin, la Miviludes joue un rôle extrêmement important en matière de formation des agents publics, et d’une manière générale, de sensibilisation du public sur ce que sont les dérives sectaires.
Permettez-moi de faire trois observations.
Premièrement, nous constatons que les missions exercées par la Miviludes aujourd’hui impliquent sans doute une meilleure synergie, un meilleur partage de compétences avec d’autres organismes qui ont vu le jour depuis 2002 et qui sont également compétents en matière d’emprise, notamment mentale : je pense particulièrement au comité interministériel de la prévention de la délinquance et de la radicalisation.
Deuxièmement, un rapport de la Cour des comptes datant de 2017 soulevait l’hypothèse d’un rattachement de la Miviludes au ministère de l’intérieur.
Troisièmement, et c’est une remarque de bonne administration, de bonne gestion, il est de bonne politique que les politiques publiques soient menées dans les ministères sous l’impulsion et la coordination du Premier ministre et de son cabinet.
Pour ces raisons, il a été décidé de rattacher la Miviludes au ministère de l’intérieur, où ses compétences s’exerceront en parfaite synergie en matière d’emprise ou de radicalité avec d’autres compétences.
Je peux toutefois vous indiquer, monsieur le sénateur, ainsi d’ailleurs qu’à l’ensemble de cette assemblée, que les missions et les moyens de la Miviludes ne seront absolument pas remis en cause. Il ne s’agit pas de revenir sur le bilan extrêmement positif de la Miviludes depuis vingt ans.
Nous veillerons d’ailleurs à ce que la nouvelle organisation ne se réduise pas à la lutte contre une seule forme d’emprise : l’ensemble des phénomènes de dérives sectaires sera appréhendé dans le cadre de ses missions. Moyens et missions seront maintenus. La détermination du Gouvernement à lutter contre le phénomène des dérives sectaires reste pleine et entière. (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM.)
incendie de lubrizol à rouen
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Céline Brulin. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, vous avez enfin accepté de publier la liste des produits stockés chez Lubrizol, mais j’imagine et j’espère que les services de l’État en disposaient avant. Alors, pourquoi ne pas avoir fait évaluer dès les premières heures de l’incendie les conséquences sur la santé humaine et des animaux, sur l’air, l’eau, les sols ou les cultures de la combustion de ce cocktail de substances ?
Face aux effets sur la santé des populations touchées, quel plan d’action sanitaire, quel suivi épidémiologique comptez-vous concrètement mettre en œuvre ? Qu’est-il prévu pour les salariés présents sur le site lors de l’incendie, pour les sapeurs-pompiers ou les forces de l’ordre qui sont intervenus, qui ont mis leur vie en jeu et qui ont souvent l’impression, comme nos concitoyens, qu’ils courent de grands risques ?
Les élus locaux seront finalement réunis comme nous le demandions. Pouvez-vous nous garantir qu’ils seront désormais consultés et associés à chaque nouvelle étape ? Leur mise à l’écart, l’isolement et même le mépris qu’ils ont ressenti sont inacceptables, mais surtout contre-productifs. Vous vous êtes privés d’acteurs majeurs dans la gestion de la crise.
L’usine Lubrizol a bénéficié de ce que vous appelez des « simplifications » de la législation. Il s’agit en réalité d’un détricotage du droit de l’environnement et d’un recul sur les exigences de sûreté, en l’occurrence l’augmentation des stocks sans étude de danger. Allez-vous abandonner vos projets d’alléger encore les obligations d’évaluation environnementale pour les sites industriels ? Sans attendre la commission d’enquête sénatoriale, dont nous nous réjouissons, nous voulons, comme la population, des réponses précises à ces questions précises. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Céline Brulin, tout d’abord, comme le Premier ministre et d’autres collègues, je me suis rendue sur le site. Je mesure donc pleinement à la fois l’émotion et l’inquiétude des populations qui ont été touchées par cette catastrophe industrielle.
Permettez-moi de vous redire l’engagement du Gouvernement à agir avec la plus grande exigence et dans une transparence totale.
C’est dans cet esprit que, dès le début de l’incendie, des mesures ont été réalisées et ont concerné à la fois l’air et les retombées du panache de fumée, donc les suies qui se sont déposées. Cette surveillance de l’environnement a été effectuée depuis le départ. Les analyses dont nous disposons aujourd’hui ont fait apparaître qu’il n’y avait pas de concentration anormale de produits, que ce soit dans l’air ou dans les suies.
Le préfet a publié hier la liste des produits qui se trouvaient sur la partie incendiée du site, laquelle représente 15 % de ce dernier. Cette liste a dû être établie à notre demande par l’industriel, parce que, comme vous le savez, les autorisations, qui ne sont au demeurant plus publiques pour les raisons exprimées par le Premier ministre, portent sur la totalité du site. Or ce qui était requis, c’était la liste des produits présents sur la partie incendiée du site. Celle-ci a été diffusée dès qu’elle nous a été remise par l’industriel.
Maintenant que nous en disposons, Agnès Buzyn et moi-même allons saisir l’Anses et l’Ineris pour savoir s’il faut réaliser des analyses supplémentaires.
Je peux en tout cas vous assurer de la totale détermination du Gouvernement à garantir la plus grande transparence, à répondre à toutes les questions des élus, qui seront associés à toutes les étapes du processus, et, bien sûr, à fournir tous les éléments à la commission d’enquête.
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.
Mme Céline Brulin. Nous devons être collectivement conscients que les réponses que vous apportez, madame la ministre, et qui nous sont un peu répétées en boucle ne répondent pas à la colère qui se développe parmi nos concitoyens.
M. le président. Veuillez conclure !
Mme Céline Brulin. Il y a une aspiration immense à ce que l’État protège, et cette demande est légitime. Il faut l’entendre et y répondre très concrètement ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
incendie à rouen (i)
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Didier Marie. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, permettez-moi d’associer à mon intervention Nelly Tocqueville, sénatrice de Seine-Maritime, et mes collègues des Hauts-de-France.
Il y a six jours, l’agglomération de Rouen a vécu la plus importante catastrophe industrielle connue depuis le drame d’AZF en 2001. L’incendie de l’usine Lubrizol a généré un gigantesque nuage de fumée noire épaisse et nauséabonde, dont les particules ont tapissé jardins, cours d’école, habitations et récoltes, constituant une véritable marée noire terrestre. Le pire a été évité grâce au courage de 240 sapeurs-pompiers et au personnel de l’usine, dont je salue le dévouement.
Mais, monsieur le Premier ministre, la gestion de cette crise n’a pas été satisfaisante. Les maires ont été livrés à eux-mêmes : sirènes d’alerte actionnées tardivement, absence d’information dans certaines communes pourtant très proches du sinistre, consignes de confinement confuses, cacophonie totale quant à l’ouverture ou la fermeture des établissements scolaires. Les communications distillées au fil des heures se voulaient rassurantes : elles ont produit l’effet inverse, et la colère a empli le vide d’informations.
Comment croire qu’il n’y a pas de danger quand le préfet annonce qu’il n’y a pas de risque de toxicité aiguë, reconnaissant implicitement que les fumées sont bien toxiques ? Comment accepter qu’il n’y ait aucun risque lorsque l’État publie tardivement la liste des produits partis en fumée, et que l’on n’en connaît ni la quantité, ni la résistance à la chaleur, ni la dangerosité ? Comment se sentir en sécurité quand il reste 165 fûts endommagés qui peuvent dégager du sulfure d’hydrogène hautement toxique ? Comment être rassuré lorsque les agriculteurs de 206 communes ne sont toujours pas autorisés à procéder aux récoltes ni à vendre leur lait et leurs produits agricoles ?
Monsieur le Premier ministre, pour apaiser la colère et les angoisses, nous vous demandons d’accéder aux demandes suivantes : la transparence – vous y êtes engagé, nous vous en remercions ; la nomination d’un comité d’experts indépendants chargé d’analyser et d’interpréter les résultats des études ; la mise en place d’un suivi médical à court et long terme ; la reconnaissance de l’état de catastrophe technologique, qui permettrait d’ouvrir droit à indemnisation, même si les biens n’ont pas été détruits ; la réparation rapide des dommages, en ordonnant au préfet d’exercer ses prérogatives de police administrative et d’appliquer le principe du pollueur-payeur, sans attendre l’issue des procédures judiciaires qui prendront des années.
Il faut rétablir la confiance et la sérénité en faisant preuve de sérieux et de responsabilité. Ces propositions formulées en association avec une centaine d’élus peuvent y contribuer. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur Marie, j’ai indiqué, à l’occasion de la réponse que je formulais à Mme Morin-Desailly, les engagements de transparence totale pris par le Gouvernement.
J’ai dit que nous communiquions les éléments au fur et à mesure que nous les avons et vous comprendrez bien – je ne veux pas prendre le sujet à la légère – que je ne peux pas produire le résultat des analyses avant que celles-ci aient été réalisées.
Les tests de prélèvements visant à vérifier la présence éventuelle de dioxine prennent du temps. Ce n’est pas moi qui le dis – je ne suis pas chimiste –, ce sont les spécialistes qui font ces analyses, et qui les font bien, parce qu’ils doivent donner une information sérieuse et précise : je pense que nous pouvons nous accorder sur ce point. Nous vous communiquons les résultats dès que nous les avons.
J’ai parfaitement conscience qu’au fur et à mesure que nous diffusons des informations de nouvelles questions se posent. C’est bien naturel, et nous ne nous arrêterons pas à cela, au contraire : toutes les informations qui seront connues seront rendues publiques ; elles susciteront de nouvelles interrogations, parfois peut-être de nouvelles angoisses, et nous y répondrons. J’ai parfaitement conscience que la parole et parfois l’expertise publiques sont contestées, qu’elles ne sont pas crédibles aux yeux de certains. Je le mesure et le déplore.
Mais je ne vais pas commencer à raconter n’importe quoi ou arrêter de donner les informations pour autant. Nous allons faire exactement ce que je me suis engagé à faire : communiquer au fur et à mesure qu’elles sont disponibles absolument toutes les informations.
Pour répondre aux demandes que vous avez formulées, monsieur le sénateur, je le redis : oui à la transparence totale, oui au suivi épidémiologique et au bilan de santé à court et à long terme, oui à la discussion scientifique des éléments qui seront fournis par les analyses.
Permettez-moi toutefois d’indiquer qu’il revient d’abord à l’Anses, à l’Ineris et aux hôpitaux de donner les éléments et de répondre aux questions. Mais ces informations étant par définition publiques, elles seront discutées, peut-être contestées par d’autres scientifiques ou d’autres médecins. Cette discussion ne me fait pas peur : elle est nécessaire, elle aura lieu, et nous nous expliquerons.
Vous m’interrogez sur la reconnaissance de l’état de catastrophe technologique. Je comprends bien l’intérêt qu’il pourrait y avoir à reconnaître officiellement qu’une catastrophe a eu lieu. À l’évidence, une catastrophe a eu lieu, mais l’instrument juridique tel qu’il a été conçu par le Parlement en 2003 ne répond manifestement ni aux caractéristiques de l’accident qui est survenu sur le site de l’usine Lubrizol ni aux questions que celui-ci pose.
En la matière, je ne veux pas me payer de mots – je pense que vous en serez d’accord. Je veux dire les choses telles qu’elles sont, et mettre en place les dispositifs tels qu’ils existent.
Mais surtout, monsieur le sénateur, je veux dire et redire que la responsabilité, les dommages relèvent de l’industriel : il n’échappera pas à la mise en jeu de cette responsabilité. Et c’est tout le sens de la législation que vous avez produite sur les installations classées.
Nous allons donc appliquer toute la loi en la matière, avec la rigueur et avec la totale transparence qui est due à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
gafa
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le Premier ministre, vingt ans de développement à l’abri de toute régulation ont permis aux géants de l’internet d’être les maîtres du jeu et, peut-être bientôt, du monde. Google détient 90 % du marché des moteurs de recherche. Facebook absorbe les deux tiers des publicités sur internet. Amazon concentre la moitié des ventes en ligne aux États-Unis.
En commençant à fixer un cadre et des règles à ces nouveaux empires, la France s’est attiré la fronde des firmes concernées et l’hostilité du président des États-Unis qui nous menace de rétorsion sur les vins français.
Hier, Amazon a mis en œuvre sa menace de reporter sur les vendeurs de sa plateforme la taxe GAFA adoptée le 11 juillet dernier ; 10 000 PME se retrouvent pieds et poings liés, et certaines devront fermer leurs portes.
Le 24 octobre prochain, Google entamera un bras de fer contre la nouvelle loi française relative aux droits voisins, qui prévoit une redistribution des revenus du numérique au profit des éditeurs de presse. L’objectif de Google est de forcer les éditeurs à céder tous leurs droits et de faire pression sur les autres gouvernements européens pour une transposition plus favorable de la directive européenne.
Monsieur le Premier ministre, le Sherman Act américain de 1890 et les règles européennes contre les abus de position dominante ne sont plus adaptés aux pratiques des Gafam – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Confisquer les données de la vie privée, racheter les start-up concurrentes, exclure ses rivaux de la publicité en ligne, piller la production des entreprises de presse, ce n’est plus du tout la même chose que capter 90 % du marché du dentifrice.
Aujourd’hui, les monopoles des Gafam sont sans doute beaucoup plus préoccupants que ne l’étaient celui de la Standard Oil en 1911 et celui de AT&T en 1982.
Des deux côtés de l’Atlantique, de nouvelles lois antitrust sont nécessaires et de plus en plus évoquées. Il est urgent que l’Europe se saisisse de ce dossier. Quelle est la position du gouvernement français à ce sujet ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes SOCR, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Malhuret, comme vous l’avez indiqué, Amazon a annoncé sa décision d’augmenter ses prix en France et de répercuter la taxe sur les services numériques, créée par la loi du 11 juillet dernier, auprès des vendeurs.
La semaine dernière, Google a présenté un nouvel outil de publication pour les éditeurs et les agences de presse. Celui-ci, comme par hasard, a été configuré de telle sorte qu’il n’ouvre pas droit à rémunération, contrairement aux principes posés par la loi du 25 juillet 2019 sur les droits voisins.
Ces deux faits, qui ne sont pas sans lien, posent une question juridique, économique et, en vérité, politique extrêmement sérieuse.
Pour l’ensemble de nos concitoyens, il n’est pas acceptable qu’un acteur, aussi puissant soit-il – en l’occurrence, ces deux acteurs sont extrêmement puissants –, puisse changer ses règles de publication de manière unilatérale pour contourner une obligation légale.
L’objectif politique visé au travers de la création de la taxe sur les services numériques, comme pour la taxe sur les droits voisins, est extrêmement clair : il s’agit de permettre un juste partage de la valeur produite au bénéfice des plateformes par les contenus et services qu’elles référencent, valeur qui leur procure des revenus qu’elles conservent aujourd’hui en quasi-totalité, voire en totalité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en France et en Europe, il existe des entreprises qui innovent et qui créent de la valeur. Il y a aussi des gouvernements qui sont démocratiquement élus. Les lois sont votées par les représentations nationales. Les entreprises doivent mesurer que, en s’y opposant, c’est aux citoyens libres de ces États qu’elles s’opposent.
Nous voulons vraiment croire que la démarche de Google relève de l’erreur d’appréciation, et non de la volonté d’engager une épreuve de force avec la France et l’Europe. C’est pourquoi le ministre de la culture s’est exprimé le jour même pour que Google entame des négociations avec les éditeurs, les agences de presse, négociations qui sont prévues par la loi. La presse doit évidemment s’unir pour faire reconnaître ses droits dans cette discussion.
Par ailleurs, la question appelle évidemment une réponse européenne.
Au fond, nous sommes les premiers à y être confrontés, parce que nous avons été les premiers à transposer la directive. Cela étant, cette question concerne ou concernera tous les pays européens. Si nous voulons construire l’espace souverain de droits et de libertés que nous souhaitons bâtir ensemble à l’heure du numérique, alors l’Union européenne, au moins autant que chacun des États qui la composent, doit se saisir du sujet.
Cela exige – je vous rejoins bien volontiers sur ce point, monsieur Malhuret – non seulement de modifier notre corpus théorique en matière de droit de la concurrence, de politique industrielle et d’espace numérique, mais aussi d’accroître l’ambition de la Commission européenne dans ce domaine pour mettre en œuvre ces nouveaux concepts.
Il y a là un défi qui n’est pas insignifiant, car les avis diffèrent parfois, nous le savons, au sein de l’Union européenne. Seulement, si nous voulons défendre nos droits et notre conception, alors nous devons être offensifs et exigeants. C’est l’un des arguments que nous avons fait valoir auprès de l’ensemble des personnalités qui étaient pressenties pour devenir membres de la future Commission européenne, et c’est l’un des points qui s’est trouvé au cœur de la discussion entre le Président de la République et la future présidente de la Commission.
Ce ne sera pas un combat facile, car nous avons en face de nous des gens déterminés et puissants. Mais ce dont il s’agit, c’est quand même de faire respecter notre souveraineté et notre conception du monde numérique. Ce n’est pas un petit combat ; c’est un combat difficile qu’il nous revient de livrer ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Vincent Éblé applaudit également.)
déficit de la sécurité sociale
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon. Ma question s’adressait à M. le ministre de l’action et des comptes publics, mais il me semble que c’est Mme Dubos qui aura la lourde charge de me répondre.
Madame la secrétaire d’État, la sécurité sociale est malade et vous ne prescrivez pas le bon remède. Pis, vous aggravez le mal !
Vous remettez en cause plusieurs principes fondamentaux qui constituent, à nos yeux, le cœur de notre système de protection sociale.
Vous mettez fin à l’autonomie de la sécurité sociale en ne respectant pas la loi Veil de 1994 et en la privant de près de 3 milliards d’euros avec la mise en œuvre des mesures d’urgence économiques et sociales en réponse à la crise des gilets jaunes. Par ailleurs, vous mettez fin à son universalité.
En matière de politique familiale, alors que la branche famille est excédentaire, vous ne saisissez pas cette opportunité pour relancer cette politique et redonner confiance aux familles. Bien au contraire, vous persévérez dans la « casse » déjà engagée depuis plusieurs années de notre politique familiale, en prévoyant le quasi-gel des aides aux familles.
Enfin, les décisions du Gouvernement en matière de retraite nous laissent pantois quant à sa volonté de ramener l’équilibre du système à court terme.
Madame la secrétaire d’État, ma question est la suivante : le Gouvernement entend-il uniquement agir sur le levier de la baisse des pensions d’aujourd’hui et de demain ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président Alain Milon, je vous prie d’excuser l’absence de M. le ministre de l’action et des comptes publics qui ne peut être dans l’hémicycle cet après-midi.
Vous le savez pour l’avoir relevé, le Gouvernement a adopté des mesures fortes à la fin de l’année 2018 pour répondre aux attentes des citoyens en matière, notamment, de pouvoir d’achat et de justice sociale. Ces éléments et la révision des perspectives de croissance nous conduisent aujourd’hui à retarder le retour à l’équilibre.
Mais notre ambition demeure la même : l’objectif du Gouvernement en matière de redressement des comptes sociaux et de désendettement de la sécurité sociale reste entier.
M. François Bonhomme. Et celui de l’État ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 s’inscrit dans la perspective de la poursuite de l’effort engagé depuis 2018 en matière de maîtrise des dépenses sociales, tout comme pour l’ensemble des dépenses publiques (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.), tout en veillant à préserver et à soutenir nos concitoyens modestes et fragiles.
Nous avons entendu les demandes pour un système social plus juste (Mêmes mouvements.) et la nécessaire prise en considération de l’évolution des familles.
Mme Laurence Cohen. C’est n’importe quoi !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Le prochain projet de loi de finances prévoit une meilleure prise en compte des parcours de vie, un soutien à la petite enfance et l’accompagnement des familles monoparentales les plus vulnérables, mais aussi la couverture des nouveaux risques sociaux, l’indispensable simplification de l’accès au droit et la poursuite de la lutte contre les déserts médicaux. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) J’y reviendrai dans quelques instants.
Vous avez ainsi les axes de ce futur budget, dont vous aurez à débattre dans les prochaines semaines, notamment au sein de votre commission, monsieur le président, et auxquels, vous le savez, les ministres sont très attachés. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – Protestations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
Mme Laurence Rossignol. Ne lisez pas les fiches de Bercy, elles ne sont pas bonnes !
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour la réplique.
M. Alain Milon. Je voudrais que chacun d’entre nous ait en tête cette déclaration de Simone Veil : « la sécurité sociale, c’est d’abord un immense progrès social et le plus puissant facteur de cohésion sociale qui existe en France ; nous avons le devoir de la préserver pour les générations futures ».
Je souhaite que ces propos soient toujours d’actualité, mais je ne suis pas sûr que cela soit le cas, ne serait-ce qu’en raison de la « bercysation » sournoise du financement de la sécurité sociale et du non-respect de la loi Veil de 1994. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Aujourd’hui, les policiers sont dans la rue. Suicides, agressions, perte de sens de leur mission, cela fait vingt ans que les gardiens de la paix n’avaient pas crié aussi fort leur rage !
Rage à cause des violences qu’ils subissent et qui restent impunies ; rage à cause des heures supplémentaires qu’ils donnent ; rage face à l’indifférence générale à laquelle ils sont confrontés lorsque leur fonction est salie ; rage enfin à cause de leur sentiment d’être « lâchés » par les autorités.
Monsieur le ministre, ils ne sont pas les seuls : les pompiers, les personnels des hôpitaux, les enseignants crient eux aussi leur désespoir. Agressions, violences verbales et physiques, menaces, eux aussi sont seuls pour affronter ces tensions quotidiennes.
Et n’oublions pas les maires, dont nous avons tous vu cet été qu’ils ne sont plus uniquement « à portée d’engueulade », comme le dit le président Larcher, mais qu’ils sont aussi désormais à portée de coups !
Depuis des mois, faute d’un soutien sans faille des pouvoirs publics, ces hommes et ces femmes font face avec courage et détermination aux événements que le Gouvernement ne sait pas maîtriser. Mais la résistance humaine a ses limites !
Faute de réponse, faute d’une politique sans concession vis-à-vis de la violence, nous assistons à une perte d’autorité sans précédent.
Le sentiment d’abandon par la puissance publique domine. Or, monsieur le ministre, un État qui ne protège pas ses serviteurs est un navire sans boussole et, donc, en perdition.
Quelles sont les mesures immédiates que vous comptez prendre pour protéger les forces de l’ordre dans l’exercice de leur fonction ?
Quand vous déciderez-vous à sanctionner ceux qui appellent à la violence et à la mort de tous ces serviteurs qui incarnent pourtant l’autorité de la République ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, vous avez raison : la police souffre !
Elle souffre de l’état d’abandon budgétaire dont elle est victime depuis de trop longues années. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains, SOCR et CRCE.) Elle souffre d’un désengagement massif du budget de l’État et, notamment, d’une baisse de 13 500 emplois.
Aujourd’hui, on ne peut pas aborder la question des heures supplémentaires sans en évoquer la cause. Cette cause, c’est la baisse massive des emplois au sein de la police et la gendarmerie (Mêmes mouvements.), c’est la surmobilisation des effectifs après les attentats de 2015.
M. François Grosdidier. Vous avez tort de réduire ce sujet à cela !
M. Christophe Castaner, ministre. Aujourd’hui, il est nécessaire de tout remettre à niveau.
Madame la sénatrice, le budget de la police nationale, que je présenterai dans quelques jours devant votre assemblée, aura augmenté de plus de 1 milliard d’euros en trois exercices. Dans le prochain budget, les crédits dédiés à la police nationale augmenteront de 5,3 %. Voilà quelques réponses concrètes !
Nous allons également embaucher au travers d’un plan de recrutement de 10 000 emplois : 1 398 policiers supplémentaires seront ainsi recrutés dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020.
De la même façon, le Gouvernement et les organisations syndicales, que Laurent Nunez et moi-même rencontrons très régulièrement, avons fait le choix d’améliorer les conditions matérielles des policiers, notamment celles des gardiens de la paix et des gradés. Dès le début de l’année prochaine, dans le cadre d’une réorganisation profonde de notre police, ils gagneront près de 130 euros nets mensuels supplémentaires.
Voilà quelques réponses, même si nous devons aller au-delà : nous devons mieux équiper les personnels, mieux investir aussi dans l’immobilier : 300 millions d’euros seront consacrés l’année prochaine à rénover ou construire des commissariats…
M. François Grosdidier. Ce n’est pas assez !
M. Christophe Castaner, ministre. Mais c’est beaucoup plus que ce qui a été fait ces quinze dernières années ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Des efforts significatifs sont faits. Cela ne suffit certes pas, car je crois, comme vous l’avez dit, que nos forces de sécurité ont besoin de respect, de celui que toute la représentation nationale doit leur porter, dans l’esprit qui a présidé à votre question ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Yves Daudigny. Ma question porte sur le déficit de la sécurité sociale.
Il y a tout juste un an, le Gouvernement annonçait que, après dix-huit ans de déficit, la sécurité sociale dégagerait un excédent de 700 millions d’euros en 2019.
Nous y sommes : le déficit cumulé du régime général et du fonds de solidarité vieillesse pour 2019 sera de 5,4 milliards d’euros. Pour 2020, le déficit prévisionnel est à peine réduit à 5,1 milliards d’euros.
Y a-t-il eu dérapage des dépenses depuis janvier ? Non ! Le projet 2020 intègre-t-il des crédits exceptionnels pour résoudre la crise de l’hôpital ? Avec un Ondam à 2,3 % couplé à 4 milliards d’euros d’économies, ce n’est pas le cas !
Il y a un an encore, le Gouvernement se préparait à transférer les excédents attendus de la sécurité sociale vers le budget de l’État, fait – « pillage », diront certains – sans précédent.
Aujourd’hui, vous dérogez de nouveau à la loi Veil de 1994 en refusant de compenser par les crédits du budget de l’État les conséquences de vos propres choix fiscaux.
Madame la secrétaire d’État, quelle est la conception, la philosophie du Gouvernement en matière de sécurité sociale pour le XXIe siècle ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Martial Bourquin. Excellent !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, comme je viens de le dire, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 poursuit la transformation de notre système de protection sociale pour un système social plus juste, et prolonge notre politique qui consiste à augmenter le pouvoir d’achat des Français.
Ce texte renforce également la prise en compte des nouveaux risques sociaux qui pèsent sur les Français, dont la couverture est l’essence même de la sécurité sociale.
Permettez-moi de vous donner quelques exemples de ces belles mesures que comporte ce projet de loi.
Celui-ci prévoit un accompagnement des familles monoparentales, en offrant aux parents séparés un dispositif de sécurisation du versement des pensions alimentaires : plus de 40 millions d’euros seront consacrés à cette mesure dès 2020.
Il prévoit aussi la création d’un parcours d’accompagnement après la maladie pour les patients atteints d’un cancer, la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes des maladies professionnelles liées aux pesticides, si cher à votre groupe parlementaire,…
Mme Nicole Bonnefoy. Nous en reparlerons !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. … l’ouverture dès 2020 d’un congé indemnisé pour les proches aidants, mesure initialement défendue au Sénat par Jocelyne Guidez et Olivier Henno. (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe UC.)
Nous entendons la demande d’un système social plus juste sans remettre en cause les objectifs du Gouvernement en matière de redressement des comptes sociaux.
Lors des débats parlementaires, monsieur le sénateur, vous verrez que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 poursuit l’effort important, engagé depuis 2018, de maîtrise des dépenses sociales, comme pour l’ensemble des dépenses publiques, tout en veillant à préserver et à soutenir les citoyens les plus fragiles. (Moues dubitatives sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour la réplique.
M. Yves Daudigny. Madame la secrétaire d’État, je vous ai écoutée avec attention.
Nous devons constater notre profond désaccord de fond, parce que nous sommes arc-boutés sur la défense, non pas d’un monde ancien – nous ne sommes plus en 1945 –, mais de valeurs : la solidarité, la justice dont découle l’autonomie de la sécurité sociale.
Comment ne pas percevoir dans l’orchestration de ce déficit politique, madame la secrétaire d’État, les justifications à venir de nouveaux coups portés à notre protection sociale ? La sécurité sociale est une assurance solidaire de toute la société. Elle ne saurait en aucun cas se réduire à une chambre de compensation des politiques de l’État ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Pascale Gruny applaudit également.)
incendie à rouen (ii)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Quatre questions au Gouvernement démontrent la gravité de la situation à la suite de l’incendie de plus de 5 000 tonnes de produits chimiques dans l’usine Lubrizol de Rouen. Il convient de prendre la pleine mesure des conséquences sanitaires et des vives inquiétudes écologiques et économiques qu’expriment les populations et les professionnels intervenus sur le site.
Des réponses claires et sans ambiguïté qui relèvent de l’État se sont par trop fait attendre. Une communication brouillonne, inappropriée et inadaptée a donné le sentiment d’une crise très mal gérée par les pouvoirs publics, ce qui ne fait qu’accroître le malaise. Trop de questions restent sans réponse.
Aussi, je vous demande, madame la ministre, de faire la lumière sur plusieurs zones d’ombre.
Les leçons de l’incident survenu en 2013 ont-elles été tirées et, si tel est le cas, selon quel plan d’action ? Les réglementations Seveso ont-elles été intégralement respectées et, si tel est le cas, sont-elles à la hauteur des défis sanitaires ? Pourquoi avoir attendu cinq longues journées pour publier la liste des produits chimiques présents sur le site de l’usine Lubrizol ? Cette liste est-elle d’ailleurs complète ? Enfin, au-delà des premiers résultats communiqués par l’Institut national de l’environnement industriel et des risques, l’Ineris, d’autres analyses sont en cours. Vous engagez-vous à les rendre intégralement publiques ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Husson, je veux vous redire l’extrême mobilisation des services de secours et des services de l’État pour faire face à cette catastrophe industrielle.
Je veux de nouveau rendre hommage aux pompiers et aux services qui ont été mobilisés dès le début de l’incendie, qui ont permis de maîtriser ce dernier et d’éviter tout suraccident dans un contexte pourtant très compliqué.
Je peux vous assurer que les services de l’État sur le terrain ont également été mobilisés pour réaliser ou faire réaliser par l’exploitant, comme le lui impose la loi, de nombreux prélèvements dans l’air, l’eau, les sols et sur les végétaux. Dès que les résultats de ces analyses sont connus, ils sont rendus publics. Ils l’ont successivement été le vendredi et le samedi, et continueront de l’être sur le site de la préfecture
Par ailleurs, je peux vous confirmer que les leçons ont bien été tirées de l’incident survenu en 2013. À l’époque, les services de secours, les services de l’État ne disposaient pas des moyens de faire effectuer des prélèvements et des analyses avec autant de réactivité qu’aujourd’hui. Si nous avons pu disposer de ces informations aussi rapidement, c’est bien parce que nous avons tiré les conséquences de cet incident.
Comme pour tout accident ou toute catastrophe, nous devrons forcément encore progresser. Nous devrons notamment examiner les raisons pour lesquelles l’incendie s’est déclaré sur un site qui est pourtant très surveillé : trente-neuf inspections ont été réalisées depuis 2013, et dix au cours des deux dernières années.
Cela étant, cet incendie n’aurait pas dû se produire, et nous devrons en tirer les conséquences. Votre commission d’enquête nous éclairera sûrement à ce sujet. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.
M. Jean-François Husson. Madame la ministre, la parole publique, qu’elle provienne de l’État ou de l’exploitant industriel, a été défaillante dès le départ.
Entretenir le flou par la cacophonie et les déclarations officielles contradictoires n’est pas acceptable et symbolise une crise ingérable face au discrédit de la parole publique.
Notez bien que, en cinq jours, pas moins de cinq membres du Gouvernement, dont vous-même, madame la ministre, et M. le Premier ministre, sont venus sur place et ont tenu cinq discours différents, accentuant le trouble dans l’opinion.
Enfin, les préoccupations écologiques et environnementales, parce qu’elles sont aujourd’hui entrées dans la conscience des Français, méritent que l’on en partage les défis et les enjeux en toute transparence. Nous avons, l’État au premier chef, un devoir de vérité. Chacun le constatera, il reste beaucoup à faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
malaise persistant chez les sapeurs-pompiers
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Cigolotti. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur chargé de la sécurité civile.
Le Premier ministre a rendu un hommage bien légitime aux qualités et à la détermination de nos sapeurs-pompiers,…
M. François Patriat. Il a bien fait !
M. Olivier Cigolotti. … mais nos sapeurs-pompiers volontaires et professionnels sont à bout de souffle !
Ces hommes et ces femmes, dont l’engagement au service de nos concitoyens force le respect, sont sur tous les fronts et doivent faire face à une sursollicitation en intervenant parfois, et de plus en plus souvent, pour accomplir des missions non urgentes.
Dans nos territoires, ces soldats du feu sont devenus des soldats de la santé à force de pallier les lacunes de notre système de santé.
Monsieur le ministre, à l’occasion du congrès de la fédération nationale à Vannes, il y a quelques jours, vous le rappeliez vous-même, il existe entre les Français et les sapeurs-pompiers une relation spéciale.
Mais ces derniers n’en peuvent plus et notre modèle de sécurité civile est en danger. Les sapeurs-pompiers n’en peuvent plus de pallier toutes les sollicitations et de répondre à tous les défis : désertification médicale, réchauffement climatique, réorganisation et disparition des services publics dans les territoires ruraux. Toutes ces évolutions concourent à une situation malheureusement similaire à celles des urgences.
Beaucoup de questions sont posées, mais peu de réponses leur sont apportées. Je n’évoquerai que quelques points.
Concernant la directive européenne sur le temps de travail, aucune échéance n’a été donnée et aucune information n’est fournie. Nos volontaires demeurent dans l’expectative et s’inquiètent.
La déclinaison des propositions de nature législative du rapport de la mission volontariat, ainsi que les nouvelles mesures de lutte contre les agressions – le Sénat fera prochainement des propositions à ce sujet – n’ont pas connu de suite à ce jour.
Nous ne voyons toujours rien venir non plus s’agissant de la rationalisation du transport sanitaire héliporté.
Enfin, en octobre 2017, le Président de la République appelait de ses vœux la mise en œuvre d’un seul numéro d’appel d’urgence, le 112 : mise en œuvre sans une régulation médicale devenue inopérante. Deux ans après, la France est encore à la traîne, alors que tous les autres pays européens ont depuis longtemps intégré cette nécessité.
Monsieur le ministre, ma question est claire, et j’espère que votre réponse le sera tout autant : votre gouvernement entend-il véritablement mettre en place une politique de sécurité civile ambitieuse et capable de faire face aux défis sociétaux et environnementaux à venir ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, vous avez raison : il existe un malaise palpable, réel chez nos sapeurs-pompiers, compte tenu d’un certain nombre de dysfonctionnements cumulés, notamment celui que vous évoquez, la sursollicitation liée aux interventions dans le cadre du service des urgences.
Ainsi, 84 % de leur activité est mobilisée dans ce cadre-là : les sapeurs-pompiers ont donc trop souvent le sentiment d’être appelés pour accomplir des missions qui ne relèvent pas de leur savoir-faire et de leur formation, ce en quoi ils ont raison.
C’est pourquoi la ministre de la santé et moi-même travaillons à élaborer des propositions concrètes d’ici à la fin de l’année pour aller vers des plateformes communes de gestion des appels – c’est pour ne fâcher personne que je ne donne volontairement aucun numéro de téléphone.
Certains départements, je pense à la Haute-Loire ou à la Loire, nous ont montré l’exemple en fusionnant leurs plateformes pour avancer dans le même sens et avoir une cohérence d’ensemble de la gestion des appels.
Vous m’interrogez également sur certaines mesures nécessaires, prises à court terme.
Lors du congrès de Vannes, j’ai pu en évoquer quelques-unes sur lesquelles la ministre de la santé et moi-même sommes convenus d’avancer : par exemple, la création de postes de coordinateurs ambulanciers pour limiter les carences en ambulances, aujourd’hui compensées par les sapeurs-pompiers, l’amélioration de la coordination entre agences régionales de santé – les ARS – et services départementaux d’incendie et de secours – les SDIS –, avec des emplois dédiés et des missions confiées en particulier aux directeurs d’ARS pour fluidifier le système, ou encore des mesures pour limiter le temps d’attente aux urgences. Autant de sujets qui sont particulièrement importants.
Quant à l’arrêt Matzak et à ses effets, qui opposent d’ailleurs sapeurs-pompiers professionnels et volontaires – il ne faut pas négliger cette dimension –, j’ai pris l’engagement qu’il n’y aurait pas de conséquences négatives sur notre modèle du volontariat français.
Enfin, l’une des revendications importantes des sapeurs-pompiers porte sur la grille salariale et la prime de feu, mais vous comprendrez que je ne souhaite pas prendre la décision d’engager des dépenses qui relèvent des départements et des mairies sans leur accord. C’est pourquoi je réunirai le comité des financeurs des SDIS le 10 octobre prochain. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
situation des agriculteurs
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Émorine, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Paul Émorine. Ma question s’adressait à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Hier après-midi, le débat en séance a porté sur la place déclinante de notre agriculture dans les marchés internationaux.
Aujourd’hui, après une forte déprise – elle n’est pas récente –, notre agriculture n’occupe plus que 50 % de la superficie de notre territoire.
Depuis plus de trois ans, une majorité de nos agriculteurs désespère. Leur revenu est de plus en plus bas, voire parfois inexistant. Des moyennes de revenus de 500 euros par mois sont la règle.
La loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Égalim, a été hâtivement présentée comme une solution ; elle n’apporte qu’une déception supplémentaire pour le monde agricole ! Le Sénat, dont toutes les propositions avaient été rejetées, l’avait prédit…
La sécheresse sévissant dans certaines régions ne fait qu’aggraver la situation.
Les jeunes sont toujours plus endettés, les moins jeunes sont gagnés par le désespoir, malgré la passion pour le métier et l’engagement personnel dont nos agriculteurs font preuve au quotidien.
Certains d’entre eux, confrontés à une immense détresse, mettent fin à leur existence et plongent leur famille dans le deuil. Quel drame humain ! Que dirait-on d’une catastrophe qui, chaque année, ferait plus de 300 victimes ?
Quelles dispositions M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation compte-t-il prendre pour enrayer cette terrible hémorragie ? Quelles mesures structurelles ? Quelles mesures conjoncturelles ? Pour le Gouvernement, l’agriculture a-t-elle encore un avenir dans notre pays ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville se joint à ces applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Mesdames, messieurs les sénateurs, tout d’abord, je vous prie d’excuser le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, qui est actuellement retenu au sommet de l’élevage à Cournon-d’Auvergne.
Monsieur le sénateur Émorine, vous l’avez rappelé, la profession agricole est malheureusement très touchée par le drame du suicide, mettant en exergue la crise qu’elle traverse.
S’agissant précisément de l’élevage – un secteur qui compte beaucoup dans votre département –, la filière lait voit malgré tout la conjoncture s’améliorer. Même si l’on ne peut pas s’en satisfaire, le prix du lait progresse de plus de 5 % depuis le début de l’année.
Le franchissement de cette première étape – insuffisante, j’y insiste – est lié à la fois à la conjoncture mondiale et aux perspectives d’export.
Mais il s’agit également des premiers effets de la loi Égalim sur cette filière. Les outils sont entièrement en place depuis le 1er avril dernier. Il revient désormais à la profession de s’en saisir et de les faire vivre pour que l’on puisse améliorer le revenu des agriculteurs.
Par ailleurs, nous sommes vigilants sur de nouveaux sujets d’inquiétude : la perspective d’un Brexit dur ou le rétablissement des droits de douane par les États-Unis.
Cela dit, la conjoncture est actuellement très difficile pour la filière viande bovine, et la sécheresse ne fait qu’accentuer la crise.
Je rappelais, la semaine dernière, les mesures qui ont été prises en matière d’avancement des primes octroyées, à l’échelon européen, dans le cadre de la politique agricole commune – la PAC –, ou encore d’application, prévue dans de tels cas, de dégrèvements au titre de la mutualité sociale agricole – la MSA – ou de la taxe foncière sur les propriétés non bâties. Mais, dans un tel contexte, la mise en œuvre des orientations des plans de filière est plus que jamais nécessaire.
Je souhaite évoquer brièvement l’export. Pour ne citer qu’un exemple, nous pouvons faire mieux que les 200 tonnes actuellement exportées vers la Chine, tant ce marché est important et offre des perspectives d’avenir. Sur ce sujet également, il nous faudra accompagner la filière.
Je veux enfin saluer le travail réalisé par l’interprofession pour trouver des solutions, afin que la rémunération des éleveurs soit revalorisée dans les coûts de production.
Le Gouvernement est donc conscient de la situation et agit. Mais on le voit bien, la réponse ne peut se restreindre au seul plan économique. Au moins un suicide tous les deux jours, mesdames, messieurs les sénateurs, et, chaque fois, c’est un drame intime, familial, local. C’est, en définitive, un drame qui affecte toute la Nation, car, au-delà des difficultés économiques et conjoncturelles, la profession souffre d’une crise du sens.
Nous devons accompagner, défendre et protéger les agriculteurs. Nous devons leur dire ce que nous leur devons. Veillons aux mots que nous employons ! Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous partageons cette préoccupation quant à la nécessité de trouver les bons mots et d’arrêter, comme on le voit trop souvent dans les médias, de vilipender, de critiquer cette profession. (M. François Patriat applaudit.
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Émorine, pour la réplique.
M. Jean-Paul Émorine. Monsieur le ministre, votre réponse, je pense, ne satisfera pas le monde agricole. Je prends mes collègues à témoin : en grande majorité, nous sommes des élus des territoires et des terroirs, et nous devons les défendre. Ils représentent 50 % de l’espace de notre pays, des productions de qualité, des hommes et des femmes qui travaillent sept jours sur sept.
Nous demandons au Gouvernement de prendre rapidement les décisions qui s’imposent pour pouvoir maintenir nos agriculteurs sur le territoire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)
stage des internes en fin de cycle dans les zones sous-dotées
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe La République en Marche.
M. Bernard Buis. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Dans cette assemblée, au mois de juin dernier, dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé, nous débattions de l’obligation pour les étudiants de troisième cycle de médecine générale et d’autres spécialités d’effectuer leur dernière année en pratique ambulatoire, en autonomie, dans les zones caractérisées comme sous-dotées, et nous l’adoptions.
La plupart d’entre nous savent combien les élus de territoires ruraux, mais aussi dans certaines villes, souffrent de la carence de médecins pour répondre aux problématiques de santé de leurs administrés.
Je suis, par exemple, certain que, dans cette assemblée, nous avons, les uns et les autres, été interrogés par nos concitoyens sur leurs difficultés à trouver un médecin traitant. Cette mesure, madame la secrétaire d’État, est donc une bonne mesure, très concrète.
Elle a été saluée par les associations d’élus, pour son caractère réaliste et pragmatique : non seulement elle instaure la présence d’internes en fin de formation dans des secteurs souffrant d’une offre de soins insuffisante, mais aussi elle facilite et incite l’installation de ces jeunes praticiens dans nos territoires.
C’est également une mesure d’urgence, et je sais, madame la secrétaire d’État, que vous en avez pleinement conscience : dans le cadre du plan d’action en faveur des territoires ruraux, dit « agenda rural », présenté par M. le Premier ministre le 20 septembre dernier, l’engagement est pris de recruter 600 médecins salariés ou à exercice mixte ville et hôpital dans les déserts médicaux.
Ma question est simple : comment comptez-vous procéder pour appliquer très rapidement ces mesures et de quelle façon envisagez-vous d’y associer les maires ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Bernard Buis, le Gouvernement entend les attentes des élus et des citoyens sur les nombreux territoires, l’inquiétude, légitime, que suscite la question de l’accès aux soins.
La ministre des solidarités et de la santé s’est attaquée à ces sujets dès son entrée en fonction.
Ainsi, depuis 2017, nous avons apporté un certain nombre de réponses avec, notamment, le développement des maisons de santé – leur nombre a augmenté de 37 % en deux ans, et 80 % d’entre elles sont implantées en milieu rural –, l’augmentation des aides accordées aux médecins s’installant en zones sous-denses, le développement de tous les outils permettant de libérer du temps médical – coopération entre les professionnels, délégations des tâches, déploiement du numérique. D’autres solutions sont en cours de mise en œuvre.
Je pense aussi aux hôpitaux de proximité, qui compléteront l’offre de soins, mais également aux assistants médicaux, qui seront près de 4 000 d’ici à 2022.
Par ailleurs, nous accélérons le déploiement de 400 médecins généralistes, partagés entre la médecine de ville et l’hôpital, 200 dans les zones les plus modestes.
S’agissant du développement des stages, la mesure a été adoptée, sur l’initiative du Sénat, dans le cadre du vote de la dernière loi Santé. C’est une première réponse, efficace et pragmatique, à l’urgence territoriale.
Nous nous inscrivons dans le calendrier que vous avez adopté. Nous souhaitons systématiser le stage ambulatoire en soins en autonomie supervisée pour les étudiants en dernière année d’internat à compter de 2021.
Les contours du dispositif seront définis par un décret, pouvant notamment ouvrir la possibilité d’une supervision à distance, afin de laisser davantage de souplesse dans l’organisation des terrains de stage.
Un groupe de travail sera mis en place dans les prochaines semaines pour accélérer la dynamique et pour faire découvrir l’exercice en zone sous-dense. Je retiens votre proposition, monsieur le sénateur Buis, de pouvoir y faire participer les élus des collectivités locales.
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour la réplique.
M. Bernard Buis. Je vous remercie de ces précisions, madame la secrétaire d’État. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
fiscalité des français de l’étranger
M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacky Deromedi. Ce gouvernement aime-t-il les Français de l’étranger ? Permettez-moi d’en douter, monsieur le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics ! Notamment en matière fiscale…
Des centaines de compatriotes, relayés par leurs élus, m’interrogent sur leurs inquiétudes quant à l’augmentation faramineuse de leurs impôts. Vous êtes à l’origine de ce qu’ils décrivent comme une catastrophe fiscale.
J’ai deux questions.
Premièrement, les Français de l’étranger sont soumis aux prélèvements sociaux que sont la contribution sociale généralisée – ou CSG – et la contribution au remboursement de la dette sociale – ou CRDS – et au prélèvement de solidarité, pour un taux atteignant 17,20 %, alors même qu’ils ne bénéficient d’aucune prestation sociale en France.
À cela s’ajoute une discrimination entre Français de l’étranger, selon qu’ils résident ou pas à l’intérieur de l’Union européenne.
Ceux qui résident au sein de l’Union européenne, en raison de votre refus de supprimer ces prélèvements, ont saisi la Cour de justice de l’Union européenne, et ils ont gagné ! Ils en sont donc exemptés.
Vous avez refusé d’appliquer la même règle à ceux qui résident hors de l’Union européenne. Ces derniers continuent donc à être soumis à ce prélèvement de 17,20 %.
Pourquoi cette double injustice ?
Deuxièmement, s’agissant de la retenue à la source, vous avez augmenté le taux minimal de 20 % à 30 %, auquel il faut ajouter, pour les résidents hors Union européenne, le prélèvement CSG-CRDS et le prélèvement de solidarité précédemment mentionnés, pour un taux, je le rappelle, de 17,20 %.
Pour les Français dont les revenus sont inférieurs à 27 519 euros, la retenue à la source atteint 27,5 % lorsqu’ils résident dans l’Union européenne et 37,20 % lorsqu’ils résident hors Union européenne.
Pour les Français dont les revenus sont supérieurs à 27 519 euros, soit 2 300 euros par mois, la retenue à la source sera de 37,5 % lorsqu’ils résident dans l’Union européenne et de 47,20 % lorsqu’ils résident hors Union européenne.
Et cela hors application d’un taux moyen, s’ils acceptent de déclarer leurs revenus mondiaux.
Pourquoi cette autre discrimination ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Les mots que vous avez utilisés, madame la sénatrice Deromedi, pour qualifier la fiscalité des Français non résidents me paraissent un peu durs.
Rappelons que, dans le cadre de la loi de finances pour 2019, nous avons procédé à une réforme de la fiscalité des non-résidents, sur la base des préconisations du rapport de la députée Anne Genetet.
Nous avons ainsi remplacé la retenue à la source dérogatoire qui était appliquée à certains des revenus de source française, comme les traitements, salaires et pensions, par une retenue à la source de droit commun, déjà applicable aux mêmes revenus au-delà d’un certain seuil de 43 000 euros et déjà applicable, aussi, au premier euro d’autres catégories de revenus, ce qui était source de complexité et d’incompréhension.
Par ailleurs, comme vous l’avez rappelé, nous avons fait le choix d’un taux minimal d’imposition pour mettre en œuvre ce prélèvement à la source pour les Français de l’étranger.
Cette réforme a-t-elle eu des conséquences extrêmement importantes ? Dans quel sens ?
Il faut relativiser vos propos ou certaines des craintes que vous relayez.
Premièrement, l’application du droit commun, en lieu et place de la retenue libératoire, peut selon les cas se révéler plus ou moins avantageuse, en fonction, notamment, de la composition du foyer, de la part des revenus de source française ou de la nature des revenus.
Deuxièmement, les contribuables non résidents ont toujours la possibilité, comme auparavant, d’opter pour l’imposition de leurs revenus au taux moyen, plutôt que la retenue à la source. Cette imposition consiste à appliquer, aux revenus de source française, le taux qui relèverait du barème de l’impôt sur le revenu – un barème progressif, donc – appliqué à l’ensemble des revenus mondiaux.
M. François Bonhomme. Vous êtes sûr ? (Sourires.)
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. La réforme, ajoutons-le, s’est accompagnée de nouveaux avantages pour les non-résidents, avec, notamment, la déduction des pensions alimentaires pour le calcul du taux moyen, ou encore l’allongement de cinq à dix ans du délai d’exonération des plus-values immobilières.
Enfin, madame la sénatrice, la jurisprudence dite de Ruyter que vous avez évoquée en matière de CSG a effectivement été inscrite dans le droit français par la loi de finances pour 2019. Elle concerne uniquement les non-résidents dans l’espace communautaire.
M. François Bonhomme. On vous croit sur parole ! (Nouveaux sourires.)
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Le Gouvernement a choisi de rendre effective cette jurisprudence… datant de 2015 !
Il y a certainement quelques améliorations ou modifications à apporter. Le Gouvernement travaille dans ce sens, afin de pouvoir procéder à ces évolutions dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020.
régime de l’assurance chômage
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Michelle Meunier. Ma question s’adressait à Mme la ministre du travail.
L’Unédic vient d’analyser les deux décrets réformant l’assurance chômage pris par le Gouvernement et le verdict est sans appel : les perdants seront nombreux ! Ce sont 1,3 million de personnes à la recherche d’un emploi qui vont voir leurs allocations de chômage baisser : quatre chômeurs sur dix ! Plus de 200 000 travailleuses et travailleurs sans emploi seront privés d’indemnités, soir 10 % des personnes concernées.
En moyenne, l’Unédic estime que la baisse des allocations atteindra 19 %.
C’est à un mouvement de précarisation massif qu’il faut s’attendre si Mme la ministre du travail persiste à appliquer, dès le 1er novembre, les nouvelles règles.
Les associations de personnes précaires et les centrales syndicales pressentent déjà que les premiers touchés seront les plus jeunes, qui enchaînent des contrats courts et de faibles salaires ; les plus fragiles.
Cette perspective est dramatique, mais le pire est la vision très conservatrice de la ministre : elle prétend que la réforme aura pour conséquence d’inciter les chômeurs à reprendre une activité.
Sa logique dissimule mal l’ambition d’économies budgétaires, au détriment de celles et ceux qui ont pourtant cotisé.
Ma question est simple : qu’est-il prévu pour accompagner ces personnes, qui risquent de se retourner vers Pôle emploi ?
Les agents craignent effectivement une montée d’agressivité et de colère, et la parlementaire que je suis, élue de Loire-Atlantique, sait jusqu’où de tels actes peuvent mener. Quelles mesures de prévention l’agence Pôle emploi proposera-t-elle à ses agents ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État, porte-parole du Gouvernement.
Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement. Madame la sénatrice, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Muriel Pénicaud. Mme la ministre du travail ne pouvait être des nôtres aujourd’hui.
La question qu’il me semble utile, au fond, de se poser est celle-ci : pourquoi avons-nous souhaité mener cette réforme de l’assurance chômage ?
Je rappellerai trois chiffres, qui, pour moi, sont extrêmement importants : tout d’abord, 87 % des embauches en France sont réalisées en contrat à durée déterminée ; parmi ces embauches, 70 % correspondent à des contrats d’une durée inférieure à un mois ; parmi ces contrats de moins d’un mois, enfin, 85 % sont des réembauches.
Cette réalité, madame la sénatrice Meunier, c’est celle de la précarité des travailleurs et des travailleuses en France et, cette réalité, le Gouvernement ne peut pas l’accepter !
Dans le même temps, on constate qu’un chômeur sur cinq peut percevoir plus au chômage qu’en travaillant. (Exclamations sur des travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. Éric Kerrouche. Arrêtez !
Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire d’État. C’est une réalité !
On voit également que certains secteurs économiques usent et abusent des contrats courts, ce qui contribue à précariser toujours davantage les travailleurs.
Quelle réforme avons-nous proposée pour lutter contre cette précarité ?
D’abord, nous avons voulu en terminer avec le recours abusif aux contrats courts. Avec la mise en place du bonus-malus, la cotisation chômage de l’employeur pourra être modifiée en fonction de son comportement.
Nous avons aussi souhaité inciter davantage à la reprise du travail. Ainsi, nous ne changeons pas le capital d’indemnités auquel les chômeurs ont droit ; nous le répartissons juste différemment dans le temps, afin que, le plus rapidement possible, la personne en recherche d’emploi soit incitée à revenir à l’emploi.
Enfin, nous renforçons considérablement – j’insiste sur le terme – l’accompagnement des personnes en situation de chômage. C’est pour cette raison que la ministre du travail a annoncé des embauches importantes au sein de Pôle emploi.
Nous avons là une réforme qui nous permettra très largement de lutter contre la précarité du travail. (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour la réplique. Vous avez huit secondes, ma chère collègue…
Mme Michelle Meunier. C’est trop, monsieur le président ! Devant tant de caricatures et d’idées reçues, je reste sans voix ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
4
Souhaits de bienvenue à un nouveau sénateur
M. le président. Mes chers collègues, je salue l’arrivée parmi nous de Pascal Martin, sénateur de Seine-Maritime. Qu’il soit le bienvenu ! (Applaudissements.)
Il vient remplacer, parce que celui-ci en a décidé ainsi, notre doyen d’âge, Charles Revet, qui a beaucoup œuvré pour cette assemblée et a défendu de nombreuses valeurs auxquelles il est attaché. Je tiens, au nom du Sénat tout entier, à la fois à lui exprimer toute notre gratitude et à vous souhaiter, cher collègue Pascal Martin, le meilleur mandat possible. (Nouveaux applaudissements.)
Nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
5
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer la présence, dans la tribune d’honneur, d’une délégation de membres du Conseil national de Slovénie, conduite par M. Bojan Kekec, président de la commission des relations internationales et des affaires européennes. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
La délégation est reçue cette semaine au Sénat et en Seine-et-Marne par le groupe interparlementaire d’amitié France-Slovénie, présidé par notre collègue Colette Mélot.
La visite en France de la délégation porte en particulier sur les thèmes de l’énergie et du climat et de l’économie circulaire. Elle sera aussi l’occasion d’évoquer les enjeux européens.
Je forme le vœu que cette visite en France contribue à renforcer encore les liens qui unissent nos deux assemblées et nos deux pays.
Mes chers collègues, en votre nom à tous et au nom du Sénat, permettez-moi de souhaiter à nos homologues du Conseil national de Slovénie la plus cordiale bienvenue, ainsi qu’un excellent et fructueux séjour ! (Applaudissements.)
6
Mises au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Monsieur le président, j’appelle votre attention sur le scrutin public qui a eu lieu hier soir, lors de la première application de notre nouveau système de vote.
M. Roland Courteau. Ah !
M. François Patriat. En effet, à la suite d’une erreur de validation des consignes de vote sur la proposition de loi tendant à réprimer les entraves à l’exercice des libertés ainsi qu’à la tenue des événements et à l’exercice d’activités autorisées par la loi, je tiens à rectifier le vote de certains membres du groupe La République En Marche.
Pour le scrutin public n° 1, Michel Amiel, Julien Bargeton, Michel Dennemont, André Gattolin, Antoine Karam, Martin Lévrier, Frédéric Marchand, Thani Mohamed Soilihi, Georges Patient, Patricia Schillinger et Richard Yung figurent comme s’étant abstenus alors qu’ils souhaitaient voter contre.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, lors du même scrutin, mon collègue Yves Daudigny et moi-même avons été notés comme ayant voté contre l’amendement n° 2 rectifié ter ; or nous avions l’intention de nous abstenir. (Mme Catherine Deroche s’exclame.) Ma chère collègue, l’explication est très simple : du temps des cartes de vote, la couleur rouge signifiait l’abstention. Or, désormais – je ne l’avais pas remarqué spontanément –, le bouton rouge signifie « contre ». Le bouton bleu signifie « pour »…
M. Yvon Collin. Il faut suivre les formations ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. … et, pour s’abstenir, il faut presser le bouton blanc !
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
7
Candidature à une commission
M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a été publiée. Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
8
Sécurité des ponts : éviter un drame
Débat organisé à la demande de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, sur les conclusions du rapport d’information : Sécurité des ponts : éviter un drame.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis que le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Patrick Chaize, rapporteur. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Chaize, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a un peu plus d’un an, le 14 août 2018, l’effondrement du pont Morandi de Gênes entraînait la mort de quarante-trois personnes. Ce drame, qui a suscité beaucoup d’émotion, a soulevé, en France, des interrogations quant à l’état des ponts. Nombre d’entre nous se sont demandé s’il était possible qu’un tel accident survienne chez nous.
C’est pour répondre à cette interrogation que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a lancé une mission relative à la sécurité des ponts. Je tiens à en remercier son président, Hervé Maurey, ainsi que mon collègue Michel Dagbert.
Le but de cette mission était double : tout d’abord, connaître l’état des ponts en France ; ensuite, savoir comment ce patrimoine est entretenu par l’État et par les collectivités territoriales.
Après plusieurs mois de travaux, qui nous ont notamment permis de recueillir un grand nombre de témoignages d’élus locaux, les constats que nous avons présentés au début du mois de juillet dernier sont plutôt inquiétants.
Premièrement, personne aujourd’hui ne sait dire avec exactitude combien il y a de ponts en France. En soi, ce constat est déjà révélateur de la méconnaissance dont souffre ce patrimoine.
M. Roland Courteau. Ça, c’est sûr !
M. Patrick Chaize, rapporteur. On estime ainsi que la France compterait entre 200 000 et 250 000 ponts routiers, dont 90 % gérés par les collectivités territoriales.
Deuxièmement, l’état des ponts routiers s’est dégradé de manière continue au cours des dernières années, et, à ce jour, il se révèle préoccupant. En dix ans, le pourcentage des ponts gérés par l’État nécessitant un entretien sous peine de dégradation ou présentant des défauts a bondi de 65 % à 79 %. Plus de 700 ponts sont actuellement en mauvais état et exigent des travaux de réparation.
En parallèle, 8,5 % des ponts gérés par les départements sont en mauvais état, ce qui représente environ 8 500 ouvrages, et près de 30 % d’entre eux nécessitent des travaux d’entretien spécialisés.
Quant aux ponts gérés par les communes et les intercommunalités, c’est la grande inconnue. En 2008, date des dernières données disponibles, 16 % des ponts communaux étaient en mauvais état ; et tout indique que ces infrastructures ont continué à se dégrader depuis, notamment du fait de la suppression, en 2014, de l’assistance technique que les services de l’État apportaient aux collectivités, de l’absence de politique généralisée de surveillance et d’entretien des ponts et de la dégradation de la situation financière des collectivités.
D’après les experts que nous avons rencontrés, il est donc probable que, aujourd’hui, 18 % à 20 % des ponts des communes soient en mauvais état, soit plus de 16 000 ouvrages d’art. En additionnant les chiffres, on aboutit à un total d’au moins 25 000 ponts, en France, dont la structure est altérée ou gravement altérée.
Troisièmement, la dégradation de l’état des ponts pose des problèmes de sécurité et de disponibilité des infrastructures. En 2018, un audit externe a mis en lumière que 7 % des ponts de l’État présentaient, à terme, un risque d’effondrement, et que, selon une forte probabilité, ils devraient être fermés préventivement à la circulation.
En outre, au cours de ses travaux, la mission a été alertée à de nombreuses reprises sur les problèmes de sécurité que pose l’état des ponts communaux. Le maire de Lamenay-sur-Loire, dans la Nièvre, indique ainsi à propos d’un ouvrage : « Pour le moment, la structure tient bien, mais il y aura des difficultés prochainement, vu la charge de matériel agricole. » Quant au maire du Poislay, dans le Loir-et-Cher, il explique que le pont reliant sa commune à celle de Droué exige des travaux très importants, « car la réparation actuelle ne tiendra pas dans le temps ».
Le mauvais état des ponts se traduit également par des restrictions de circulation et des fermetures, qui pénalisent les usagers dans leurs trajets quotidiens. Lors des déplacements que nous avons effectués en Moselle et en Seine-et-Marne, nous avons pu mesurer combien la fermeture d’un pont pouvait infliger de difficultés aux habitants,…
M. le président. Il va falloir conclure.
M. Patrick Chaize, rapporteur. … en allongeant leurs délais de déplacement, notamment pour aller au travail ou conduire les enfants à l’école.
Mes chers collègues, je suis sûr que vous avez tous connaissance de situations analogues dans vos territoires.
M. le président. Merci, mon cher collègue !
M. Patrick Chaize, rapporteur. Il est donc urgent d’en parler et d’en prendre conscience.
Tels sont les principaux constats dont je souhaitais vous faire part. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Michel Dagbert, rapporteur.
M. Michel Dagbert, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le constat que vient de rappeler Patrick Chaize est, vous en conviendrez, inquiétant. Il invite à se demander comment on a pu en arriver à cette situation.
Plusieurs phénomènes expliquent que l’état des ponts se soit dégradé au cours des dernières années.
Le premier, c’est vraisemblablement le vieillissement de ce patrimoine. Comme toutes les infrastructures, les ponts ont une durée de vie limitée. Or de nombreux ouvrages ont un âge avancé. Un quart des ponts gérés par l’État ont été construits entre 1950 et 1975. Ils sont ou seront donc prochainement en fin de vie. De même, l’âge du patrimoine des ponts des communes dépasse souvent cinquante ans.
Le deuxième, c’est bien sûr l’insuffisance des moyens dédiés à l’entretien des ponts. Ces dernières années, l’État a consacré en moyenne 45 millions d’euros par an à l’entretien de ses ouvrages d’art. Or plusieurs audits du réseau routier ont montré que le maintien de ce budget à un tel niveau conduirait au doublement du nombre d’ouvrages en mauvais état dans les dix prochaines années et à son triplement, voire son quadruplement, à un horizon de vingt ans.
Le troisième, ce sont les limites que présente la politique de surveillance et d’entretien, qui concernent notamment le bloc communal : pour la plupart, communes et intercommunalités ne sont pas équipées pour assurer la gestion et l’entretien de leurs ouvrages d’art, car elles ne disposent ni de l’expertise en interne ni des ressources financières suffisantes pour solliciter une expertise privée. Le diagnostic de l’état d’un pont et les travaux d’entretien et de réparation peuvent représenter un coût important pour elles.
Nous pouvons l’illustrer par deux visites de ponts appartenant aux communes de Guérard et de Tigeaux, auxquelles M. Chaize vient de faire allusion. Ces ponts sont fermés à la circulation depuis 2014 en raison de leur mauvais état. Les travaux de réhabilitation sont estimés à 1 million d’euros pour chacun d’eux, alors même que le budget annuel de ces communes n’excède pas les 3 millions d’euros…
Ce constat nous a conduits à faire plusieurs propositions.
La première de ces propositions est d’ordre financier. Il ne faut pas se leurrer : sans moyens supplémentaires, il est évident que nous ne pourrons pas enrayer la dégradation de l’état de nos ouvrages d’art. Nous appelons donc au déploiement d’un véritable plan Marshall et à la création d’un fonds d’aide aux collectivités territoriales.
Ce fonds doit permettre de réaliser, dans les années à venir, un diagnostic de l’ensemble des ponts des petites communes et intercommunalités – c’est la moindre des choses ! En outre, pour procéder aux travaux de réparation et de reconstruction de leurs ponts, les collectivités territoriales pourront, grâce à lui, disposer d’un concours. Sans une telle aide, il est clair que les petites communes et intercommunalités ne seront pas en mesure de financer les travaux nécessaires.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Michel Dagbert, rapporteur. Nous préconisons également de recréer une ingénierie publique locale pouvant être mobilisée par ces collectivités.
Monsieur le secrétaire d’État, sur ce point, c’est peu dire que nous attendons beaucoup de la future agence nationale de la cohésion des territoires. En dehors de l’appui de l’ANCT, nous pensons utile d’encourager la mutualisation de la gestion des ponts à l’échelon des intercommunalités, lorsque leur taille est suffisante, ou des départements.
Enfin, il faut développer la gestion patrimoniale des ponts, en particulier en améliorant la prise en compte des dépenses d’entretien de ces ouvrages dans la comptabilité publique, en renforçant la connaissance de ce patrimoine par un système d’information géographique national et en exigeant la tenue d’un véritable carnet de santé pour chaque pont. À cet égard, je vous renvoie à la lecture des propositions incluses dans notre rapport.
Tels sont les principaux éléments que je tenais à porter à votre connaissance. Patrick Chaize et moi-même sommes heureux de voir s’ouvrir le débat ! (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR et sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, je tiens à saluer ce rapport important.
Il s’agit là d’un sujet qui a suscité plusieurs heures de débats lors de l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités, à savoir la vétusté de notre réseau, singulièrement des ouvrages d’art qui le composent. J’ajoute que la question est d’une actualité récente – hier encore, un pont s’est effondré à Taïwan – et je n’oublie ni l’effondrement du pont Morandi, à Gênes, ni celui du pont de Gennevilliers, qui, pourtant, avait fait l’objet d’importants travaux.
Pour que les termes du débat soient clairement posés, il convient avant tout de distinguer les différents ouvrages d’art, selon qu’ils relèvent de l’État ou des collectivités territoriales.
Les ouvrages d’art de l’État sont plutôt bien connus. On en dénombre environ 12 000, soit, approximativement, un par kilomètre. Ces ouvrages d’art sont répertoriés, inventoriés et entretenus selon des programmes calendaires, à l’aide de budgets croissants – les auteurs du rapport l’ont noté.
Vous le savez, la loi d’orientation des mobilités, la LOM, prévoit de mobiliser, à l’horizon 2023, 120 millions d’euros par an, comme le préconisent également les auteurs du rapport, avec une montée en puissance, à compter de l’année prochaine, à hauteur de 79 millions d’euros.
En outre, il faut distinguer le sujet général et les cas particuliers, comme le pont de Gennevilliers, dont j’ai pu m’entretenir avec Hervé Maurey : en l’occurrence, c’est non pas l’infrastructure en soi, mais bien le mur de soutènement en terre armée qui était en cause, comme c’est d’ailleurs le cas pour de nombreux remblais en Île-de-France. La technique en question, employée il y a une vingtaine d’années, a depuis été remplacée par d’autres.
Monsieur Chaize, vous l’avez précisé : les ouvrages des collectivités territoriales sont les plus mal connus, et c’est pour eux qu’il est nécessaire de trouver une solution quant à l’effort de financement.
Pour ce qui concerne leur connaissance et leur inventaire, la question est, d’abord, celle de la compétence. Vous avez rappelé l’hétérogénéité des situations. Certains conseils départementaux sont très bien armés. Ils disposent d’une forte compétence en ingénierie : je pense notamment à la Haute-Saône. Grâce aux entités spécialisées que M. Krattinger, ancien sénateur de la Haute-Saône, y a développées au sein du conseil départemental, ce territoire possède aujourd’hui une bonne connaissance de ses ouvrages d’art. De plus, grâce à ses compétences, il est à même de proposer de l’ingénierie de proximité aux communes et aux intercommunalités de son ressort. Je pense aussi à la Mayenne, qui est dotée d’entités comparables.
Aussi, l’effort doit porter sur les petites communes, dont les ouvrages d’art sont parfois nombreux et mal inventoriés, et pour lesquelles les solutions de financement doivent être débattues.
Nous y reviendrons sans doute au cours de ce débat : évidemment, il faut mettre en œuvre le soutien en ingénierie du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, le Cérema, ou encore de la future agence nationale de la cohésion des territoires. Au moins 10 % des effectifs du Cérema sont dédiés aux ouvrages d’art ; certes, ces personnes ne sauraient couvrir à elles seules tous les besoins des collectivités, mais leur compétence est tout à fait mobilisable.
S’agissant du financement des ouvrages des collectivités, pour faire court…
M. Pierre Ouzoulias. Ça va être très court !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Je vais peut-être vous décevoir, monsieur le sénateur,…
M. Pierre Ouzoulias. Pas forcément !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. … en prenant le temps de détailler cette question ! En effet, nous pouvons avancer sur trois points.
Tout d’abord, il faut avancer au sujet des règles budgétaires et comptables : hier, j’ai eu l’occasion de m’en entretenir avec Sébastien Lecornu et Gérald Darmanin. À la faveur des prochains projets de loi de finances, nous pourrions progresser vers une meilleure prise en compte de dépenses de régénération non récurrentes. S’ils relevaient des sections d’investissement, ces montants cesseraient d’être soumis aux règles de Cahors. Évidemment, cette proposition devrait être débattue, lors des discussions budgétaires, avec mes collègues de Bercy.
Par ailleurs, lors des débats budgétaires, il pourrait être intéressant d’examiner le cas des ouvrages d’art relevant des conseils départementaux. Il convient de savoir si la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR, ou la dotation de soutien à l’investissement local, la DSIL, sont appropriées pour financer des opérations d’entretien ou de maintenance non récurrentes.
En outre, j’ai d’ores et déjà perçu certaines interrogations au sujet de la loi dite Didier. Il s’agit des ouvrages de rétablissement, construits pour rétablir une voie de communication qui, elle-même, a été interrompue par de nouveaux ouvrages, comme une LGV ou une autoroute. Au total, la France dénombre 15 400 ouvrages de rétablissement, répartis sur l’ensemble du territoire. Ces derniers font l’objet d’un recensement qui se poursuivra jusqu’à la fin de cette année. Ensuite, suivant la liste fixée par voie d’arrêté ministériel, un cofinancement sera assuré par les collectivités et les gestionnaires de l’infrastructure dédiée.
Enfin, j’aborderai un point de réflexion plus systémique – j’ai pu en discuter rapidement en coulisses avec Hervé Maurey et je sais qu’il y est attaché. Actuellement, nous raisonnons sur la base d’une maintenance calendaire ou programmée et, pour l’État, les pas de maintenance sont de l’ordre d’un à trois ans.
Il me semble nécessaire de se pencher sur la maintenance dite « prédictive ». Il est possible de répertorier les ouvrages les plus empruntés et ceux où, à l’inverse, la circulation se révèle restreinte ou réduite, en les dotant de capteurs permettant de connaître, en temps réel, leur état de santé ; dès lors, il sera possible d’adapter les pas de maintenance. Ces derniers seront plus réduits ou plus longs suivant les ouvrages. Ainsi, nous pourrons être plus réactifs et nous y gagnerons très largement sur le plan financier : appliquée à d’autres champs du secteur des transports, la maintenance prédictive permet d’ores et déjà de dégager des économies substantielles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà, en quelques mots, les éléments que je voulais porter à votre connaissance avant de répondre à vos questions.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition absolue que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, préserver et garantir l’état de nos ponts constitue, plus que jamais, un enjeu majeur de sécurité pour nos politiques publiques. Nos concitoyens sont très attentifs à cette question qui, souvent, leur inspire des inquiétudes.
Les auteurs du présent rapport soulignent cette spécificité française : l’importance du patrimoine routier géré par les collectivités elles-mêmes, qui représente 98 % du réseau pour deux tiers du trafic routier national. En tout, un pont sur trois est géré par une commune et près de deux ponts sur trois sont gérés par un département. En Gironde, par exemple, hors métropole, près de 1 800 ponts et 200 murs de soutènement – vous avez également évoqué ces aménagements, monsieur le secrétaire d’État – sont gérés par le département.
Ce patrimoine national et local précieux est en partie dégradé ; du fait d’un manque d’entretien au cours des dernières années, de nombreux travaux de réparation apparaissent aujourd’hui nécessaires, en particulier pour les ponts relevant des communes et des intercommunalités. Or – je l’indique à mon tour – certaines d’entre elles méconnaissent l’état de leurs ponts, voire leur nombre, ne sont pas équipées pour en assurer la gestion et se heurtent à des difficultés financières.
Pour répondre à ces problématiques, la mission, dont je salue le travail, a formulé un certain nombre de recommandations. Elle affirme notamment qu’une offre d’ingénierie améliorée, à destination des collectivités, permettrait de définir des procédures adaptées de surveillance et d’entretien. Elle ouvrirait également la voie à une mutualisation de la gestion des ponts à l’échelle départementale ou intercommunale.
La mission propose ainsi de mobiliser l’agence nationale de la cohésion des territoires. Cet outil, souhaité par les collectivités territoriales, a été défendu par le Gouvernement alors que beaucoup semblaient douter de sa pertinence. À mon sens, voilà un bon exemple de son utilité : monsieur le secrétaire d’État, qu’en pensez-vous ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice, vous avez tout à fait raison d’insister sur la mobilisation, probable et souhaitable, de l’agence nationale de la cohésion des territoires, qui, comme vous le savez, sera active à compter du 1er janvier prochain.
Sur ce sujet, il me semble que nous devons disposer d’un bouquet de solutions. Plusieurs conseils départementaux ont gardé ou conquis une très forte expertise à cet égard. À mon sens, ils seront capables d’offrir aux collectivités territoriales cette ingénierie de proximité dont vous parlez. Le Cérema est, lui aussi, tout à fait en mesure de leur apporter son soutien. De mémoire, il a publié en septembre 2018 un guide portant à la fois sur la surveillance et sur la maintenance des ouvrages d’art, document auquel les collectivités pourront se référer avec profit.
Pour ce qui concerne l’ingénierie, ce bouquet de solutions permettra d’offrir un conseil de qualité aux collectivités territoriales, que vous défendez !
M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, pour la réplique.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. À la suite du terrible drame de Gênes, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a produit un excellent rapport, dont je tiens à saluer la grande rigueur.
Sur l’initiative de notre collègue Évelyne Didier, les élus du groupe auquel j’appartiens ont d’ailleurs contribué à mettre cette problématique en lumière ; adoptée, notre proposition de loi relative aux ouvrages d’art est aujourd’hui en vigueur.
En la matière, les enjeux sont considérables. En effet, le mauvais état des ouvrages d’art constitue une bombe financière pour les collectivités territoriales, lesquelles sont mal informées de leurs responsabilités en la matière. Pourtant, 98 % du réseau routier national dépend des collectivités, ce qui représente quelque 150 000 ponts ; et ces infrastructures se dégradent rapidement, faute de financements publics adéquats, dans un contexte d’asphyxie financière des collectivités.
Pour la plupart des collectivités territoriales, la décentralisation de 1982 a été un cadeau empoisonné ! Mais dorénavant, grâce à la loi Didier, pour chaque nouvel ouvrage d’art, les gestionnaires d’infrastructures sont dans l’obligation de signer une convention avec les collectivités pour définir des règles de répartition des charges de travaux.
À nos yeux, il convient premièrement et, oserai-je dire, prioritairement de dresser un bilan de l’application de cette loi ; et, deuxièmement, d’étudier très sérieusement la possibilité d’appliquer ce dispositif de manière rétroactive, dans le cadre d’un grand plan de modernisation des infrastructures. Ainsi, les responsabilités seront clarifiées.
Pour être entretenus, les ponts exigent d’importants moyens financiers, faute de quoi leur mauvais état deviendra, in fine, un argument en faveur de leur privatisation.
Monsieur le secrétaire d’État, alors que 25 % des ponts arrivent en fin de vie, comment votre gouvernement va-t-il soutenir les collectivités territoriales pour entretenir leurs ouvrages d’art ? Quels moyens mobilisera-t-on, notamment via la future agence nationale de la cohésion des territoires, pour aider les plus petites d’entre elles ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice, je tiens à vous apporter quelques précisions au sujet des ouvrages dits « de rétablissement », qui procèdent effectivement de la loi Didier, texte adopté sur l’initiative de la Haute Assemblée, qui s’appliquera à compter du 1er janvier prochain.
Je l’ai dit, on dénombre 15 400 ouvrages de rétablissement ; ces derniers sont en cours de recensement. Leur liste, publiée sur le site du Gouvernement, est revue de concert avec les collectivités territoriales. Ainsi, l’arrêté ministériel appliqué à compter de janvier prochain n’en omettra aucun. Plus précisément, 4 400 de ces ouvrages concernent des voies navigables ; un peu plus de 2 700 concernent des voies ferrées ; quant aux ponts restants, ils appartiennent au réseau routier. Cet ensemble est donc tout à fait important.
Vous insistez sur l’ingénierie de qualité qu’il convient de garantir pour recenser ces ouvrages, afin qu’ils fassent l’objet d’une convention entre le gestionnaire et les collectivités territoriales concernées. Ce travail est tout à fait nécessaire : c’est le sens du dispositif mis en œuvre et des conventions de financement qui seront conclues à compter du début de l’année prochaine.
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Tout d’abord, je remercie le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, M. Hervé Maurey, qui est à l’initiative de cette mission consacrée à la sécurité des ponts, ainsi que les rapporteurs, MM. Patrick Chaize et Michel Dagbert.
Je mesure l’urgence de la situation et souhaite que nos propositions soient rapidement suivies d’actions. Le constat est alarmant : nous ne sommes pas à l’abri d’une catastrophe comme l’effondrement du pont Morandi.
La situation est d’autant plus grave qu’elle est complexe.
En effet, d’une part, la gestion du réseau se partage entre l’État et les collectivités locales ; d’autre part, les collectivités ne sont financièrement pas en mesure de prendre en charge la rénovation et l’entretien des 90 % du réseau qui leur échoient.
Or nous n’avons pas d’autre choix que de faire preuve d’ambition, compte tenu de la difficulté de la situation. Il s’agit donc, dans un esprit de responsabilité politique, de s’engager au plus vite sur un ambitieux plan d’action commun destiné à éviter toute catastrophe, sachant qu’un tel événement peut arriver n’importe quand.
Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement doit s’engager à déployer ce qu’Hervé Maurey a nommé un plan Marshall ; nous appelons un tel déploiement de nos vœux d’ici à 2021. Vous connaissez naturellement les difficultés financières de plus en plus importantes des collectivités ; les préfets devront être chargés de piloter et de suivre la mise en œuvre de ce plan, et les collectivités territoriales devront évidemment y être associées.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Un mot, d’abord, sur ce que représente, en termes de trafic, le réseau routier national, qui relève de l’État : à peu près 2 % des ponts – vous l’avez dit –, mais 20 % du trafic. Et ces ponts font bien l’objet d’un plan Marshall, pour reprendre les termes que vous avez utilisés, dans la mesure où des crédits de régénération et d’entretien ont été inscrits dans la loi d’orientation des mobilités : de 50 millions d’euros environ pour l’année 2015, nous passons à 70 millions d’euros pour cette année et à 79 millions d’euros pour l’année prochaine, avec, à compter de 2023, un rythme de croisière de 120 millions d’euros annuels, de manière à affronter la réalité de la vétusté de ces réseaux.
S’agissant des collectivités, que vous avez citées, l’un des enjeux est celui de l’ingénierie, c’est-à-dire leur capacité à connaître l’état des ponts ; en la matière, il faut déterminer les voies praticables de cofinancement, y compris celle qui pourrait consister à faire sortir les travaux de régénération non récurrents des critères de Cahors, que vous avez également mentionnés, afin de faire porter l’effort de remise à niveau de l’ouvrage sur le budget d’investissement, lequel, comme vous le savez, ne fait pas l’objet des contraintes qui s’appliquent aux plus grandes collectivités, les 1,2 % notamment.
J’espère que l’ensemble de ces mesures sera de nature à satisfaire votre ambition, que nous partageons.
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour la réplique.
M. Alain Fouché. J’ai bien entendu, monsieur le secrétaire d’État, ce que vous avez dit sur le réseau national, qui n’est d’ailleurs pas, lui non plus, dans un état extraordinaire. Ce qui est très important pour nous, naturellement, ce sont les ponts qui relèvent de la compétence des collectivités. Pour ceux-là, compte tenu des difficultés que celles-ci connaissent, nous avons besoin d’un engagement financier très fort de l’État ; à défaut, nous ne pourrons y arriver et le Gouvernement aura sans doute une part de responsabilité s’il arrive des catastrophes.
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub.
Mme Nadia Sollogoub. Ceux qui ont été maires savent que les problèmes de ponts ne sont jamais simples à régler. Quand ils surviennent, c’est bien souvent qu’il est déjà trop tard. Il s’agit de désordres visibles, évidents, signalés par les riverains ou les usagers, et les travaux afférents sont forcément coûteux.
Participant à cette mission d’information et revenant sur ma propre expérience, je me suis demandé pourquoi, sur ce sujet particulier, nous pratiquions presque tous la politique de l’autruche. En effet, pourquoi pensons-nous à surveiller nos toitures, nos chaudières, nos gouttières, et oublions-nous nos ponts ? Pourquoi faisons-nous comme si les ponts étaient éternels ?
La complexité des procédures et le coût des diagnostics devenus incontournables depuis la loi sur l’eau ne sont pas étrangers à cette situation. Il y a quelques années, le cantonnier communal pouvait faire un peu de maçonnerie préventive. Aujourd’hui, il faut nécessairement faire un appel d’offres, trouver un bureau d’études, financer l’étude – pour rappel, le coût d’une visite initiale sommaire varie entre 2 000 et 5 000 euros par ouvrage –, recourir forcément à une entreprise spécialisée qui saura respecter des procédures désormais complexes.
Je tenais donc, monsieur le secrétaire d’État, à attirer votre attention sur ce point : l’entretien courant n’est plus possible au-dessus d’un cours d’eau.
J’en viens à ma question – mais vous y avez partiellement répondu. Je suis très intéressée par ce qui concerne Voies navigables de France, VNF – mon collègue Patrick Chaize a évoqué ce qui se passait dans plusieurs communes de la Nièvre.
Bien des collectivités manquent d’une connaissance exacte des transferts de compétences qui se sont opérés au cours du temps. Les ouvrages se dégradent ; s’ils sont anciens, aucune convention n’établit clairement le partage des charges et responsabilités – Mme Assassi a parlé longtemps de la loi Didier.
Vous avez dit que le recensement qui était prévu pour le 1er janvier 2018 était en cours. Peut-on raisonnablement laisser l’établissement Voies navigables de France nous dire qu’il ne s’intéresse, comme son nom l’indique, qu’à la partie navigable des voies d’eau et que, à ce titre, la surveillance des ouvrages qui enjambent celles-ci se résume, de son point de vue, à vérifier que les morceaux qui se seraient éventuellement détachés du pont ne modifient pas significativement, pour les bateaux, la profondeur ? Quid des usagers de la voie d’eau ?
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Nadia Sollogoub. Nous pouvons peut-être entendre, à la limite, que la probabilité de recevoir un morceau de pont sur la tête est relativement faible…
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État : j’ai entendu que des possibilités de cofinancement existaient. Nous y sommes très attachés.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice, je suis en accord avec vous sur le fait que nous avons, collectivement, trop tardé. Or plus nous tardons à assurer la maintenance des ouvrages dégradés, plus le coût pour la collectivité est important. D’où l’intérêt qu’un inventaire soit fait le plus rapidement possible et que des conventions de cofinancement partagent ensuite très clairement la responsabilité et la charge financière entre les collectivités et le gestionnaire public, à savoir VNF.
Je le redis : 4 400 des 15 400 ouvrages, soit presque un tiers d’entre eux, sont liés à des voies navigables, ce qui est tout à fait important. Nous sommes évidemment très vigilants s’agissant de vérifier que les conventions sont signées relativement rapidement, à compter du début de l’année prochaine, puisque l’arrêté devrait être pris à l’issue de la revue, qui arrive à son terme le 31 décembre prochain.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le rapport remis par notre mission a mis en exergue un état de vétusté inquiétant de nos ouvrages d’art, dont l’état structurel, pour 25 000 d’entre eux, pourrait mettre en péril la sécurité des usagers.
Les collectivités territoriales sont particulièrement affectées, puisque ce problème touche 20 % des ponts relevant des communes ou des intercommunalités. Parmi ces dernières, les plus petites sont largement démunies : pas d’ingénierie technique, pas de ressources budgétaires ni d’assise financière suffisante pour obtenir les prêts permettant de conduire les travaux.
J’en veux pour preuve la situation d’une commune de mon département qui, avec ses 2 500 habitants, et après avoir déjà financé une expertise à hauteur de 6 000 euros, devrait supporter une dépense de l’ordre de 700 000 euros pour la remise en état d’un ouvrage d’art rétrocédé par VNF sans que la ville n’ait rien demandé.
Le plan Marshall pour les ponts sollicité par la mission devient, dans ce contexte, une absolue nécessité – je pense en particulier à la création d’un fonds d’aide aux collectivités territoriales doté de 130 millions d’euros par an sur une période de dix ans.
Je trouve donc particulièrement regrettable que les fonds disponibles sur la ligne du budget de l’Afitf, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, dédiée à la sécurisation des tunnels aient été reversés au budget du réseau routier et non fléchés sur la mise en sécurité des ponts, d’autant plus qu’entre 2009 et 2014 cette ligne budgétaire était dotée d’un montant exactement égal à celui que préconise notre mission.
Nous ne saurions laisser dire qu’un simple jeu de vases communicants suffirait à répondre à de tels enjeux.
Nous demandons non pas une réorientation de crédits, mais bien la mobilisation d’une enveloppe nouvelle, et espérons que le débat prochain sur le projet de loi de finances sera l’occasion pour l’État de prouver qu’il a pris la pleine mesure de la situation. (Mme Françoise Laborde ainsi que MM. Jean-Yves Roux et Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Je vais clarifier mon propos sur le financement. Nous avons parlé, d’une part, des ouvrages qui relèvent de l’État, pour lesquels les coûts d’entretien et de régénération sont inclus dans la trajectoire de la LOM – j’ai cité ce chiffre, qui résout l’équation budgétaire pour les ouvrages d’État : 79 millions d’euros en 2020, 120 millions d’euros par an à compter de 2023. Cette enveloppe est à la fois devant nous et derrière nous, selon la perspective adoptée.
Et il y a évidemment, d’autre part, ces ouvrages que vous évoquez, monsieur le sénateur, notamment ceux qui relèvent de VNF ou du réseau routier concédé, bref les ouvrages dits de rétablissement. Ils feront, eux, l’objet de conventions de financement, au titre desquelles il faudra trouver y compris des financements de l’État. Ces financements, comme tels, seront inscrits dans les lois de finances ou collectifs budgétaires à venir. C’est donc bien de l’argent nouveau qu’il faudra consacrer à l’ensemble de ces 15 400 ouvrages qui sont en cours de recensement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Corbisez. Nos élus locaux sont déjà bien échaudés par le projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, concernant notamment le financement de la revalorisation de l’indemnité des élus par l’augmentation des impôts locaux. À six mois des élections municipales, le Gouvernement est dans l’obligation d’apporter de vraies réponses juridiques, techniques et financières aux élus locaux ; à défaut, on peut s’attendre à des catastrophes.
M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart.
M. Michel Vaspart. Je parle au nom d’Édouard Courtial, qui a rédigé cette intervention.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, chacun garde en mémoire les images terribles de la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc qui, le 24 mars 1999, avait suscité une très grande émotion en France, ou celles de l’effondrement du pont Morandi de Gênes, l’année dernière. Hier encore, un pont long de 140 mètres s’est écroulé à Taïwan.
Ces infrastructures sont donc un enjeu majeur de sécurité pour les usagers. Cependant, comme le soulignent Patrick Chaize et Michel Dagbert dans leur excellent rapport, l’état et la gestion de ces ouvrages soulèvent de nombreuses inquiétudes.
Les propositions qu’ils formulent vont indéniablement dans le bon sens ; je pense notamment au constat qu’ils posent d’un besoin urgent d’investissement, compte tenu du vieillissement du patrimoine, mais aussi à l’affirmation de la nécessité de mettre en place une gestion sur le long terme.
De même, l’idée de créer un fonds spécial et de mettre en œuvre une ingénierie à destination des collectivités locales est intéressante, même si certaines de ces dernières ont déjà pris le problème à bras-le-corps. Tel est le cas du conseil départemental de l’Oise, qu’Édouard Courtial a eu l’honneur de présider, et qui a voté en 2017 un plan de 5 millions d’euros par an pendant dix ans dédié au renforcement de la sécurité des 700 ouvrages que compte son territoire et qui sont régulièrement suivis.
Mais ce sujet pose des difficultés pratiques lorsque les ponts enjambent des voies SNCF ou des voies d’eau.
Ces difficultés sont de deux ordres : premièrement, la responsabilité relative à l’entretien voire à la reconstruction de l’ouvrage est souvent confuse ; la seconde difficulté a trait, une fois la responsabilité établie, à l’obtention des autorisations nécessaires pour intervenir, en particulier au-dessus d’une voie d’eau.
Je prendrai rapidement l’exemple du pont Saint-Ladre, à Crépy-en-Valois. Construit en 1929 par la compagnie des chemins de fer, il appartient au gestionnaire de la chaussée, mais son entretien doit être assuré par la SNCF. En 2008, la SNCF inspecte le pont. En 2013, le département intervient auprès de la SNCF pour connaître l’état de la structure, et celle-ci fait savoir qu’elle envisage la reconstruction du pont, pour finalement abandonner cette idée en 2015. En 2016, le département introduit un référé pour que la justice statue sur la responsabilité. Un expert est désigné, qui conclut à l’interdiction du passage des poids lourds. Depuis, c’est le statu quo.
Vous l’aurez constaté, monsieur le secrétaire d’État,…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Michel Vaspart. … les résistances administratives et juridiques sont nombreuses, malgré une volonté d’agir. Que peut faire le Gouvernement pour y remédier ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, vous avez tout à fait raison de mettre en lumière les difficultés administratives multiples que l’on rencontre lorsqu’on cherche à produire une solution partagée : les diagnostics sont difficiles à établir ; l’ingénierie, que vous avez évoquée – cela est peut-être moins vrai à Crépy-en-Valois que dans des territoires plus ruraux –, n’est pas toujours forcément à disposition des acteurs locaux ; il est compliqué de préciser quelles sont les responsabilités respectives du gestionnaire et de la collectivité.
C’est bien tout l’objet de la loi Didier, qui, à mon avis, représente une avancée considérable pour clarifier la responsabilité et donner un cadre financier et budgétaire clair.
Les ouvrages analogues à celui de Crépy-en-Valois, liés aux voies ferrées, sont au nombre de 8 700.
Cette liste est en cours de recensement ; elle sera publiée dans une version définitive le 1er janvier prochain, et les ouvrages qui y sont inscrits feront l’objet de conventions de financement établissant très précisément la charge pour l’État et la charge pour la collectivité concernée, étant entendu que tout ce dont nous avons parlé, s’agissant de rendre disponibles l’ingénierie nécessaire ou des contrats types à destination des plus petites collectivités, représente ou représentera une avancée considérable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte.
M. Jean-Michel Houllegatte. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Mark Twain disait : « La catastrophe qui finit par arriver n’est jamais celle à laquelle on s’est préparé. » Pour ne pas céder au fatalisme, j’ajouterai que, dans un ouvrage de référence publié en 1989 et intitulé Catastrophes ? Non merci !, Jean-Louis Nicolet nous proposait une démarche pragmatique en nous invitant à penser désormais les objets technologiques comme des systèmes complexes, dont les éléments, en interaction dynamique les uns avec les autres, pouvaient entrer en résonance jusqu’au dépassement des limites de rupture.
D’où l’importance de l’analyse, de l’expertise, de la vigilance et de la surveillance, qui permettent, le cas échéant, de déclencher les interventions prédictives ou curatives les plus appropriées.
Or, s’agissant de nos collectivités territoriales, qui gèrent désormais à elles seules plus de 90 % du réseau routier français, le rapport met en évidence divers constats.
Le transfert des compétences qui s’est opéré s’agissant notamment de la voirie et des ouvrages d’art associés ne s’est pas toujours accompagné des plans de récolement des ouvrages et de toute la documentation technique associée. Ceux-ci ont souvent été égarés ou se sont avérés incomplets, à moins que l’évolution des interventions sur les ouvrages n’y ait pas été retracée.
Quant aux compétences des agences techniques de l’État qui exerçaient dans les différents services, elles ont été redéployées, voire supprimées. Et les financements nécessaires à l’entretien n’ont pas été transférés.
Ma question est simple, monsieur le secrétaire d’État : vous avez parlé de l’ANCT ; pouvez-vous nous préciser selon quelles modalités cette agence pourra intervenir auprès des collectivités ? Par ailleurs, n’est-il pas nécessaire de lancer un véritable plan national pour développer et diffuser les innovations technologiques, en matière de maintenance des ponts notamment, et – vous en avez parlé – de décliner les diverses possibilités offertes par les outils numériques, maquettes numériques de reconstitution des plans, géolocalisation, capteurs à jauge de déformation ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Je commencerai par préciser que les modalités concrètes d’exercice des missions de l’ANCT sont encore en cours de construction ; il m’est donc aujourd’hui impossible de vous dire exactement comment l’ANCT sera précisément en mesure de soutenir les collectivités en matière d’ingénierie – mais telle sera, évidemment, l’une de ses missions. Il faut a minima concevoir l’action du Cérema et celle de l’ANCT comme concomitantes, ou en tout cas parallèles ; leur vocation est de produire l’ingénierie dont les collectivités ont bien besoin.
S’agissant des objets connectés et, plus largement, de la maintenance prédictive, que vous avez évoqués, ces perspectives – je l’ai dit dans mon propos liminaire – me paraissent représenter un futur désirable, dans la mesure où des expérimentations existent déjà. En général, celles-ci portent sur des objets qui ont présenté des fragilités, des difficultés ou des dysfonctionnements particuliers, mais il me semble que, pour les objets les plus fréquentés, ceux sur lesquels la circulation est la plus importante, ou pour ceux sur lesquels il existe déjà des restrictions, de tels équipements pourraient avoir un sens, afin de s’assurer de la santé des ouvrages en temps réel.
Je le dis d’autant plus volontiers que des contrôles routiers menés sous l’autorité du Gouvernement ont démontré que 10 % des poids lourds en circulation étaient en surcharge et qu’il existait donc, pour les ouvrages très fréquentés, une surcontrainte qui peut éventuellement les fragiliser et rendre nécessaire une maintenance plus régulière.
Pour ces raisons, la dimension technologique que vous évoquez me paraît tout à fait essentielle ; il faudra que nous réfléchissions collectivement à un plan d’équipement des plus grands ouvrages à échéance relativement courte, de manière que nous disposions, petit à petit, d’informations de plus en plus précises et en temps réel sur la santé de nos ouvrages, partout en France.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, pour la réplique.
M. Jean-Michel Houllegatte. Vous aurez peut-être l’occasion de me répondre par ailleurs, mais je souhaitais également évoquer la nécessité de développer la recherche et l’innovation, en matière d’utilisation de nouveaux matériaux notamment – je pense aux polymères en particulier. Ces nouveaux matériaux peuvent être tout à fait appropriés à des opérations de maintenance sans que leur emploi n’affecte ni l’esthétique ni les autres caractéristiques du pont. Il me semble important, donc, qu’un plan de recherche soit développé dans ce domaine.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon.
M. Jean-Marie Mizzon. Je veux interroger M. le secrétaire d’État sur un cas particulier qui fait l’actualité, chez nous, en Moselle, avant peut-être de la faire au plan national : celui du pont de Petite-Rosselle.
Cet ouvrage construit au milieu du XIXe siècle pour les besoins de l’exploitation charbonnière et permettant la liaison routière entre les communes de Petite-Rosselle et de Forbach est aujourd’hui dans un état de délabrement tel qu’il est urgent de procéder à sa reconstruction.
L’État en étant propriétaire – toutes les recherches effectuées par la commune l’attestent –, il est normal qu’il assure la charge de cette reconstruction.
Mme la ministre Élisabeth Borne en était d’ailleurs entièrement d’accord puisque, le 19 mars dernier, en séance publique, elle déclarait : « le pont de Rosselmont appartient sans ambiguïté à l’État, eu égard à la reprise par celui-ci du patrimoine des houillères. […] Je confirme qu’il appartient à l’État, dans le cadre de sa mission de gestionnaire de l’ancien patrimoine des houillères, de remettre ce pont en état. Les travaux à cette fin vont être programmés. »
Par conséquent, vous comprendrez la perplexité du maire de Petite-Rosselle à la réception du courrier du préfet de la Moselle l’informant que les travaux seraient seulement cofinancés à hauteur de 35 %, qui plus est au titre de la DETR, privant ainsi la commune d’un autre projet prioritaire. C’est la double peine !
Monsieur le secrétaire d’État, qu’en pense l’État ? Et que va faire l’État ?
M. Patrick Chaize, rapporteur. Bonne question !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. C’est une très bonne question, monsieur le sénateur. Et mes services ne sont pas d’accord avec vos affirmations.
Je vous propose donc d’emprunter la troisième voie, qui consiste à reprendre les propos de Mme la ministre, que vous avez cités. Elle avait proposé une prise en charge partielle des travaux de régénération.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Totale, et pas partielle ! C’était ici même, en séance publique !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Je vérifierai ce point, car je ne veux pas m’aventurer plus avant, et je vous ferai une réponse écrite sur ce sujet. Mais il me semble qu’elle avait émis le souhait que les collectivités et l’État se mettent autour de la table pour une prise en charge partielle…
MM. Michel Dagbert et Hervé Maurey, rapporteur et président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Totale !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. … ou totale – nous préciserons ce point – et que cette initiative n’avait pas pu prospérer. Cette situation mérite donc une clarification, et je m’engage à revenir vers vous par écrit sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour la réplique.
M. Jean-Marie Mizzon. Merci, monsieur le secrétaire d’État. Je prends acte de cet engagement. Mme la ministre l’avait non seulement dit, mais écrit.
M. Jean-Marie Mizzon. Je prends à témoin sur ce point Hervé Maurey, qui connaît parfaitement ce dossier.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Je confirme !
M. Jean-Marie Mizzon. La commune en question a fait des recherches : elle a épluché toutes les délibérations depuis 1850, sachant que les choses, chez nous, sont compliquées, à cause de la période d’occupation – il faut savoir lire l’allemand et même la Spitzschrift ! Elle n’a trouvé aucune trace, ni directe ni indirecte, qui pourrait laisser penser qu’elle a pris part, de près ou de loin, à la construction de ce pont.
En revanche, cette commune a fait effectuer des recherches aux archives départementales. Elle y a trouvé nombre de traces qui attestent que ce sont bien les houillères de Petite-Rosselle qui ont construit ce pont – plans portant le sceau des houillères, notes de calcul, devis : tout laisse penser que là est la vérité.
Je disais tout à l’heure que ce pont faisait l’actualité départementale ; j’attire votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur le fait qu’il faut faire vite si nous ne voulons pas que cette actualité devienne nationale !
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le cadre de la loi Didier du 7 juillet 2014, l’État a procédé à un recensement des ouvrages d’art de rétablissement des voies publiques interrompues par une nouvelle infrastructure de transport pour lesquelles aucune convention de répartition des charges n’existait avant l’entrée en vigueur de cette loi.
Parmi ces ouvrages, l’État identifiera ceux dont les caractéristiques, notamment techniques et de sécurité, justifieront la conclusion d’une convention dans les conditions définies par la loi.
Or bon nombre d’ouvrages SNCF affectant des routes départementales ou voies communales de mon département, l’Aisne, ne figurent pas dans la liste provisoire qui a été publiée par l’État au mois d’août dernier.
Lors de leur reconstruction, ces ouvrages ont en effet donné lieu à l’établissement de procès-verbaux de récolement fixant la répartition des charges d’entretien des ouvrages auxquels le Conseil d’État a admis une valeur conventionnelle.
Cependant, ces procès-verbaux ne contiennent aucune disposition en matière de répartition des charges de grosses réparations, de démolition et de reconstruction des ouvrages, si bien que le gestionnaire de la voie portée ne dispose d’aucun moyen de recours à l’égard de l’exploitant de la nouvelle infrastructure en dehors des opérations d’entretien courant.
Si seuls les ouvrages figurant sur la liste qui sera définitivement arrêtée par l’État pourront faire l’objet d’une convention nouvelle, le problème est donc le suivant : la question des interventions majeures sur les ouvrages non recensés restera entière pour les collectivités gestionnaires de ces voies portées – nos deux rapporteurs l’ont déjà signalé !
Ma question est simple, monsieur le secrétaire d’État – elle a déjà été posée précédemment : au-delà des enjeux d’ingénierie, dont vous avez parlé, quels moyens financiers comptez-vous donner aux collectivités qui sont confrontées à ces problèmes importants ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. L’objet même de l’actuel recensement, qui se déroule jusqu’au 31 décembre prochain, est de permettre aux collectivités de demander l’inscription sur cette liste d’objets qui n’y figurent pas aujourd’hui, afin que le dossier de tel ou tel ouvrage soit instruit par l’État et que celui-ci soit inclus, le cas échéant, dans l’arrêté qui sera pris en début d’année.
S’agissant du financement, j’ai commencé à ébaucher une réflexion collective – j’ai saisi mes collègues Sébastien Lecornu, ministre chargé des collectivités territoriales, et Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics – destinée à étudier la possibilité que les opérations d’entretien non récurrentes conduites par les collectivités fassent l’objet d’une inscription dans la section d’investissement de leur budget, afin que ces dépenses ne pèsent pas sur la section de fonctionnement et ne soient donc pas soumises au pacte de Cahors.
Par ailleurs, nous étudions la possibilité que ce débat sur les ouvrages d’art puisse avoir lieu au sein des conseils départementaux, et qu’éventuellement des moyens non récurrents, via la DETR et la DSIL, puissent aussi alimenter la part du financement qui relève des collectivités.
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour la réplique.
M. Antoine Lefèvre. Merci, monsieur le secrétaire d’État, pour votre réponse. Il faudra effectivement des moyens plus importants, assortis de systèmes dérogatoires, pour faire face à ces enjeux, qui sont essentiels.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux évoquer la question de l’ingénierie et de l’expertise apportées par les services de l’État, notamment par les établissements publics que sont le Cérema et l’Ifsttar, l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux.
Le rapport d’information a mis en avant les carences de la politique de gestion des ponts menée par l’État, s’agissant tant des méthodes d’évaluation des ponts que de leur entretien. Nous connaissons pourtant l’importance de la mise en œuvre d’une politique de surveillance et d’entretien pour la sécurité des ouvrages d’art.
Alors que l’expertise des établissements publics précités paraît de plus en plus indispensable pour effectuer une analyse des risques et réaliser les travaux d’entretien nécessaires, les moyens qui leur sont accordés sont en constante diminution.
Les effectifs du Cérema n’ont en effet cessé de baisser, la réduction annuelle du plafond d’emploi étant de l’ordre de 4 % ces dernières années. Cette baisse des effectifs, comme vous pouvez l’imaginer, n’est pas sans conséquence sur son activité ; le Cérema indique d’ailleurs que la mise en œuvre de sa stratégie d’évolution relative à la gestion du patrimoine est entravée par cette diminution.
Comme le notent les auteurs du rapport, cette situation pourrait non seulement réduire ses capacités d’intervention, mais aussi entraîner une perte de compétences de l’établissement.
Il en est de même pour l’Ifsttar, où, ces dernières années, les personnels travaillant dans le domaine des ouvrages d’art sont également beaucoup moins nombreux qu’auparavant.
Il est à craindre que cette tendance ne se poursuive et même ne s’accentue dans les années à venir, puisque le projet de loi de finances pour 2020 prévoit notamment une baisse de 1 700 postes pour le ministère de la transition écologique et solidaire.
Au vu de ces éléments, monsieur le secrétaire d’État, comment comptez-vous garantir cette expertise d’excellence et en assurer la transmission ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice, je profite de votre intervention pour rebondir sur la question sur la recherche que m’a posée tout à l’heure M. le sénateur Houllegatte – les deux sujets sont liés.
Le Cérema comme l’Ifsttar possèdent de nombreuses compétences, connaissances et savoir-faire ; ils sont capables de se projeter dans l’avenir sur le sujet des technologies « embarquées », ces technologies qui permettront de traiter le plus adéquatement possible les problèmes d’entretien et de régénération des ponts.
Je précise quand même, s’agissant du Cérema, que le travail de 10 % de ses effectifs, soit 300 personnes, est aujourd’hui consacré aux ouvrages d’art. Et le Cérema, en plus du guide que j’évoquais tout à l’heure, publié en septembre 2018, met à disposition des collectivités un certain nombre d’outils, logiciels, formations, entretiens techniques, afin d’assurer l’apport nécessaire en ingénierie.
Quant à la dimension budgétaire dont vous avez parlé, je ne doute pas qu’elle fera de nouveau l’objet de vifs débats lors de l’examen du projet de loi de finances.
M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli.
M. Didier Mandelli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mes propos vont rejoindre ou reprendre un certain nombre de ceux des orateurs qui m’ont précédé.
Les images de la catastrophe de Gênes ont marqué tous les esprits ; la création de cette mission a donc pris tout son sens là où il s’agissait de répondre aux interrogations légitimes de nos concitoyens.
Son excellent travail sur la sécurité des ponts a mis en exergue les nombreuses lacunes de la France, en particulier l’absence de contrôle effectif, faute d’un recensement exhaustif de nos ouvrages.
Selon la mission – cela a été dit –, 25 000 ponts sont en mauvais état structurel et posent, à ce titre, des problèmes de sécurité pour les usagers. Il y a donc urgence à agir.
Le projet de loi d’orientation des mobilités était justement l’occasion de répondre à cette urgence en permettant à l’État de soutenir financièrement les collectivités au travers des financements alloués à l’Afitf.
Nous avions anticipé, au Sénat, en inscrivant dans le texte qu’« en partenariat avec les collectivités territoriales, premiers gestionnaires de ce patrimoine, et dans le cadre d’une programmation pluriannuelle, l’État accompagnera l’inventaire, la surveillance, l’entretien et, le cas échéant, la réparation de ces ouvrages, qui sont des actifs clés pour l’attractivité française et présentent aujourd’hui des risques de sécurité mal connus. »
Je regrette que cette solution n’ait pas été retenue par l’Assemblée nationale, qui lui a préféré un simple accompagnement logistique sans aucune garantie financière.
À la suite de la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc en 1999, l’État a pourtant débloqué, via l’Afitf, des fonds exceptionnels de 1,2 milliard d’euros sur onze ans entre 2007 et 2018, afin de financer la mise en sécurité des tunnels de notre réseau routier.
La mission d’information démontre bien que nous ne sommes pas à l’abri d’un accident qui toucherait nos ponts les plus vétustes. Faut-il prendre le risque d’attendre un drame en France pour que nos ponts bénéficient des fonds nécessaires à leur mise en sécurité ?
Entendez-vous, monsieur le secrétaire d’État, reprendre les propositions formulées par le Sénat dans le cadre du projet de loi d’orientation des mobilités ou valider la création du fonds préconisé par la mission ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, je salue les travaux que vous avez accomplis dans le cadre de l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités. Nous avons eu l’occasion de nous connaître, notamment au sein de l’Afitf.
Tout d’abord, on ne l’a pas dit aujourd’hui, « mauvais état » ne veut pas dire « dangereux ». On estime que 6 % des ponts en France sont en mauvais état, c’est-à-dire qu’ils présentent des dégradations nécessitant un entretien à un horizon plus ou moins lointain, mais en général relativement proche. Les ponts qui sont jugés dangereux sont interdits à la circulation. Je ne veux pas laisser prospérer l’idée qu’il y aurait des ponts dangereux un peu partout sur le territoire.
S’agissant du financement, vous avez évoqué deux points : d’une part, les financements inscrits dans le projet de loi d’orientation des mobilités, cette fameuse trajectoire qui est portée à 120 millions d’euros par an à compter de 2023 ; d’autre part, les financements nouveaux qui seront le fruit des discussions actuelles sur les ouvrages dits de « rétablissement » et dont le périmètre pour l’État et pour les collectivités sera établi de façon objective. Pour ces derniers, l’État consacrera des fonds nouveaux. Nous parlons bien de deux trajectoires, dont l’une est incluse dans le projet de loi d’orientation des mobilités et l’autre reste à créer, à débattre et à inscrire en loi de finances.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le secrétaire d’État, pendant l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités, j’avais directement interpellé Mme la ministre au sujet du pont de la commune de Pierre-la-Treiche en Meurthe-et-Moselle. Ce pont, construit par Voies navigables de France, VNF, pour établir une circulation sur un canal en 1980, est aujourd’hui en mauvais état. Or il ne donne pas lieu à un entretien et à une surveillance régulière de la part de VNF. Mme la ministre m’avait confirmé par écrit que ce pont faisait bien partie de l’inventaire des ouvrages concernés par la loi Didier.
Au mois de juin dernier, nous avons organisé une rencontre entre le maire et VNF, en présence du sous-préfet, pour faire un point précis. Je ne constate aucun empressement pour avancer sur cette question et établir la convention qui fixera la responsabilité des uns et des autres, ainsi que les financements concernés, ce que je peux comprendre au vu de la situation budgétaire de VNF.
J’ai cru comprendre qu’une pré-évaluation sommaire de la situation de VNF pour les 2 200 ouvrages concernés estimait l’impact financier à près de 50 millions d’euros, soit la moitié du budget d’investissement de cet opérateur, et soulignait le manque d’ingénierie propre à VNF pour les ouvrages d’art. Je viens de vous entendre dire, monsieur le secrétaire d’État, que l’on pouvait envisager de solliciter la DETR et la DSIL pour la part communale. C’est la réponse que l’on nous fait systématiquement. Pouvez-vous nous apporter plus de précisions ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, vous avez reçu le 12 mars 2019 un courrier de Mme la ministre précisant que l’ouvrage en question figurera dans le recensement des ouvrages d’art dits « de rétablissement » en vertu de la loi Didier. Une réunion s’est bien tenue le 7 juin 2019, qui pose les grandes bases de ce que sera éventuellement la convention de répartition des charges. En tout état de cause, cette convention ne pourra être signée qu’à compter du début de l’année prochaine dans la mesure où le recensement est en cours.
M. Olivier Jacquin. Il est recensé !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Oui, mais il faut recenser l’ensemble des ouvrages, soit 15 400 ouvrages partout en France et 4 400 ouvrages impliquant VNF à hauteur d’un peu plus de 50 millions d’euros, montant que vous avez cité. Le volume d’ouvrages et les volumes financiers tant sur les réseaux ferrés que sur les réseaux fluviaux ou routiers sont tout à fait considérables. La charge de l’État sera donc importante.
La deuxième partie de votre question portait sur le financement. J’ai évoqué au moins deux pistes : la première est celle de la DETR et de la DSIL ; la deuxième tend à faire sortir ces opérations d’entretien non récurrentes de la section de fonctionnement pour les inscrire dans la section d’investissement des collectivités. Cette dernière piste devra être étudiée dans le cadre de la future loi de finances.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour la réplique.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le secrétaire d’État, je comprends tout à fait cette procrastination face à l’impact financier et eu égard aux difficultés budgétaires de VNF et de la SNCF. Les autoroutiers sont dans une situation un peu différente de ce point de vue. Je m’interroge néanmoins sur le risque d’un accident et d’une crise qui viendraient clarifier la situation et accélérer les choses. C’est une situation que nous ne souhaitons absolument pas. Vous pourrez compter sur mon opiniâtre courtoisie républicaine, selon l’expression utilisée par M. le Premier ministre lors des questions d’actualité, pour suivre ce dossier.
M. le président. La parole est à M. Christophe Priou.
M. Christophe Priou. Monsieur le secrétaire d’État, la mission d’information sur la sécurité des ponts souligne la nécessité d’une gestion patrimoniale des ponts. Nous avons tous des exemples, dans nos territoires respectifs, de ponts vieillissants, insuffisamment entretenus, fermés à cause d’un péril imminent. Souvent, il s’agit d’ouvrages majeurs, alors même que nous n’avons aucune idée précise de l’état des petits ponts fortement endommagés.
Un exemple emblématique dans le département de la Loire-Atlantique est le pont de Saint-Nazaire, point stratégique majeur reliant la Bretagne à la Nouvelle Aquitaine en passant par la Vendée et le Poitou. Construit en 1975, il est le plus long de France avec plus de 3,3 kilomètres – ce titre ne revient donc pas au pont de Normandie qui vous est cher, monsieur Maurey ! (Sourires.) Ce pont à haubans qui enjambe l’estuaire de la Loire est particulièrement surveillé. Près de 30 000 véhicules le franchissent chaque jour.
Le département de Loire-Atlantique, chargé de son entretien, doit faire face aux besoins permanents de travaux de consolidation. Le béton est dégradé par les embruns maritimes. Les campagnes d’entretien sont longues et coûteuses pour les collectivités territoriales : de 2010 à 2014, le pont a fait l’objet de 20 millions d’euros de réparation sur sa partie sud et de 8 millions d’euros sur sa partie nord en 2018. Il a même fallu prévenir l’affaissement des travées en renforçant des poutres en béton. Tous les trois ans, des spécialistes auscultent sur plusieurs mois les semelles et les fondations immergées des piles.
Je viens d’évoquer la situation du plus long pont de France, lui-même touché par les outrages du temps. Mais, à côté des ouvrages de premier ordre, combien de petits ponts subissent des désordres dans l’indifférence ? On estime à plus de 200 000 ces ouvrages qui structurent les voies de nos communications quotidiennes.
La mission d’information souhaite intégrer dans les budgets des collectivités locales les dépenses de maintenance des ouvrages. Nous attendons un signal fort de l’État, car un tiers des ponts sous sa responsabilité sont en mauvais état. Quelle suite le Gouvernement entend-il donner aux excellentes préconisations contenues dans ce rapport ?
On dit : pas de stationnement, pas de commerces. Il en va de même pour l’économie : sans infrastructures, il n’y a pas de vie ni de développement économiques !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, en raison de ses grandes dimensions, le pont que vous évoquez pourrait être équipé pour des démarches exploratoires, à l’instar de celles qui sont actuellement entreprises en Italie après le drame que nous avons tous en mémoire. Cela permettrait un suivi très précis, notamment grâce à l’analyse des vibrations, et nous pourrions organiser des opérations d’entretien et de maintenance plus adéquates.
Pour ces ouvrages, notamment pour les plus importants qui sont à la charge du conseil départemental, il serait intéressant d’expérimenter ce type d’équipement pour en mesurer les apports, tant sur le suivi en temps réel que sur les économies de moyens et de finances.
Les premières indications dont nous disposons font valoir que ces économies seraient tout à fait substantielles dans la mesure où de telles analyses permettent d’allouer plus efficacement les moyens.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. L’effondrement du pont de Gênes a révélé un souci global quant à la sécurité des infrastructures. Ma question sortira du sujet des ponts, mais porte néanmoins sur la sécurité des structures.
À la suite d’un accident tragique survenu dans mon département – la chute d’un balcon à Angers en 2016 –, j’avais attiré l’attention du Gouvernement sur la nécessaire certification des armatures du béton. Le béton armé est le matériau de construction le plus utilisé en France. L’incorporation d’armatures est indispensable au renforcement de la solidité de l’ouvrage, mais des armatures de mauvaise qualité ou une pose incorrecte peuvent avoir des conséquences dramatiques.
À la fin de 2017, le ministre de la cohésion des territoires, Jacques Mézard, nous avait annoncé le lancement d’une étude confiée à l’Agence Qualité Construction consacrée à la sinistralité affectant les balcons. Ce travail a été mené et achevé cet été. Il a recensé un certain nombre de malfaçons récurrentes que je ne détaillerai pas ici, puisqu’elles concernent les balcons. Néanmoins, dans 15 % des dossiers, un défaut sur la structure des balcons a été relevé, avec un placement défaillant ou une mauvaise mise en œuvre du béton.
L’étude propose des perspectives d’amélioration, avec l’instauration d’audits ou des contrôles de la disposition des armatures. Mais qu’en est-il de la certification des armatures ? Plusieurs pays européens, comme l’Allemagne, l’Espagne, la Belgique, ont introduit une certification obligatoire pour les entreprises fabricant ou mettant en œuvre ces armatures.
L’Association française de certification des armatures du béton alerte les pouvoirs publics depuis plusieurs années sur la nécessité de recourir à des armatures de qualité et à des entreprises de pose compétentes. J’ai relayé ses préoccupations il y a deux ans déjà. Seules 50 % des entreprises du secteur sont aujourd’hui titulaires de cette certification. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous indiquer ce qu’il en est aujourd’hui de cette demande ? Ma question ne concernant pas directement les ponts, je comprendrai que vous me fassiez une réponse différée.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice, vous me surprenez en flagrant délit d’incompétence sur le sujet. Je vais me rapprocher de mon collègue ministre de la cohésion des territoires pour avoir accès au dossier et vous adresser une réponse écrite, qui sera certainement plus précise et plus intéressante que celle que je pourrais vous faire ici ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le secrétaire d’État, comme la pédagogie est affaire de répétition, je rappellerai à mon tour que, le 14 août 2018, le viaduc dessiné par l’ingénieur civil Riccardo Morandi s’effondrait à Gênes, en Italie, faisant quarante-trois morts, dont quatre de nos compatriotes. Comme souvent, il aura fallu attendre une terrible catastrophe pour mettre en évidence le vieillissement de ce type d’infrastructures et se pencher, par voie de conséquence, sur leur état en France. Dès lors, cela nous renvoie évidemment au défi lié à leur entretien.
Je tiens à cet instant à remercier nos collègues sénateurs Patrick Chaize et Michel Dagbert pour avoir conduit ce travail particulièrement utile avec la mission d’information sur la sécurité des ponts.
Bien entendu, plusieurs ingénieurs tirent la sonnette d’alarme et appellent à investir davantage. Mais la véritable question, comme d’habitude, est : « Qui va payer ? »
Premier constat, en France, ce sont les collectivités territoriales qui sont en première ligne. Il s’agit d’une spécificité française ! Les communes et les départements gèrent près de 90 % de ces ouvrages d’art. Je suis marqué par le désarroi des élus locaux qui gèrent des communes de taille modeste. Aujourd’hui, 20 % des ponts communaux présenteraient une structure altérée ou gravement altérée, soit un total de 16 000 ponts potentiellement dangereux. Or les communes manquent de ressources financières pour régler ce problème.
Je prendrai un exemple que je connais bien, celui de Limours, commune dont j’ai été maire pendant dix-sept ans et qui ne se situe ni en Loire-Atlantique ni en Normandie, mais dans l’Essonne, à 30 kilomètres de Paris. Comment, monsieur le secrétaire d’État, cette commune peut-elle entretenir, entre autres, vingt-cinq bâtiments communaux, une église du XVIe siècle, 56 kilomètres de voirie, 100 kilomètres de canalisations, trois ponts et un viaduc avec une dotation globale de fonctionnement en retrait de 650 000 euros sur quatre ans ?
Ma question est simple, monsieur le secrétaire d’État : la création d’un fonds d’aide spécifique aux collectivités locales est-elle envisageable afin de leur permettre d’effectuer un suivi patrimonial des ponts et d’entreprendre les travaux nécessaires à leur sécurisation ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, puisque la pédagogie est l’art de la répétition, je préciserai de nouveau le cadre dans lequel nous souhaitons financer les travaux nécessaires en ce qui concerne les ponts.
Le projet de loi d’orientation des mobilités fixe la trajectoire pour les ponts relevant de l’État, soit 120 millions d’euros par an, certes pour 2 % des ponts, mais qui subissent 20 % du trafic routier. C’est une somme tout à fait significative. Il incombera effectivement à l’État de trouver des financements supplémentaires pour financer la charge sur les 15 400 ouvrages que nous avons évoqués au cours du débat. Il faudra répartir la responsabilité en droit et la responsabilité financière. L’État et les collectivités devront trouver les voies et moyens, en s’appuyant sur les différents dispositifs que j’ai cités.
J’ajoute que le Gouvernement n’a pas l’intention de tomber dans la procrastination, pour reprendre les mots de M. Olivier Jacquin. Je salue MM. les rapporteurs, Patrick Chaize et Michel Dagbert, qui ont fait œuvre utile, sous la présidence de M. Hervé Maurey. Leur travail permet d’éclairer d’un jour nouveau et de voir d’un œil aiguisé ce sujet important non seulement pour la sécurité des personnes, mais aussi pour la régénération de nos réseaux, dont la dégradation participe parfois au sentiment de relégation et d’abandon dans les territoires.
Nous prenons ce problème très au sérieux à la fois sur le plan de la sécurité, mais aussi sur le plan politique. Vous pouvez compter sur nous pour apporter les réponses nécessaires.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. le président de la commission.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Je me réjouis de ce débat et je remercie les rapporteurs de leur travail. Je salue également l’ensemble des groupes politiques qui ont participé aux travaux de la mission. Je remercie M. le secrétaire d’État. Même s’il a déjà participé à une séance de questions au Gouvernement dans cet hémicycle, c’est un peu aujourd’hui son baptême du feu. Nous avons bien travaillé ensemble sur la loi pour un nouveau pacte ferroviaire. C’est donc un plaisir de le retrouver aujourd’hui.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez annoncé que, à l’avenir, les travaux sur les ponts pourraient être imputés dans les dépenses d’investissement, ce qui permettra notamment aux collectivités locales de récupérer la TVA. Si c’était confirmé, ce serait une bonne nouvelle. Mais force est de constater qu’il ne s’agit que d’une des dix propositions que nous avons formulées. Nous sommes donc loin du plan Marshall que nous avions appelé de nos vœux !
En France, 25 000 ponts sont jugés à risques. Même si la situation est plus satisfaisante en ce qui concerne les ponts d’État, 7 % d’entre eux ne sont pas dans un état satisfaisant.
J’ai noté avec plaisir que la trajectoire budgétaire en matière d’entretien des ponts était positive. On y consacrait en moyenne environ 40 millions d’euros. On y consacrera 79 millions en 2020 et 120 millions en 2022 : c’est effectivement la somme nécessaire, d’après l’État lui-même, pour entretenir son réseau. Nous devrons parvenir rapidement à de tels financements, car plus on tarde à entretenir les ponts, plus les moyens nécessaires à leur réparation seront importants. Si nous ne faisons rien aujourd’hui, nous serons confrontés dans dix ans à deux fois plus de ponts en mauvais état !
Si l’on compare nos ratios en termes d’entretien des ponts par rapport aux autres pays, la France est très loin de l’Allemagne, par exemple, ou d’autres pays de l’OCDE.
En ce qui concerne les collectivités locales, nous l’avons bien mesuré, la situation est beaucoup plus préoccupante. Cela ne vaut pas tant pour les départements qui, grosso modo, arrivent à faire face, car ils disposent de services compétents, que pour les communes et les communautés de communes.
Comme Didier Mandelli, je ne peux que regretter que le dispositif que nous avons voté dans le projet de loi d’orientation des mobilités pour obliger l’État à aider les collectivités locales à entretenir les ponts n’ait pas prospéré à l’Assemblée nationale. Il faut d’abord aider les communes et les communautés de communes à recenser leurs ponts, puis les aider à les réparer.
J’ai souvent cité l’exemple d’un pont de mon département où l’on a découvert un beau matin qu’il manquait un pilier ! Fort heureusement, il relevait de la compétence de la communauté de communes, qui dispose d’un peu plus de moyens que la commune. Mais dans le département de l’Eure, où il n’y a pas de DETR sur les ponts, il en a coûté 300 000 euros à la communauté de communes. Un deuxième pont était dans le même état que le premier, la communauté de communes a donc dû débourser près de 1 million d’euros pour ces deux ponts.
Dans d’autres départements, comme l’Essonne ou la Seine-et-Marne où nous sommes allés dans le cadre de notre mission, la compétence « ponts » est restée aux communes. En conséquence, à 50 kilomètres de Paris, des communes ont dû purement et simplement fermer leurs ponts à la circulation, ce qui pose des problèmes sur lesquels je n’ai pas besoin de m’étendre.
Je regrette, comme M. Corbisez, que l’on n’ait pas décidé d’utiliser le fonds créé pour faire face à l’entretien des tunnels à la suite de la catastrophe du Mont-Blanc pour réaliser les travaux nécessaires sur les ponts. Une fois de plus, je déplore que, dans notre pays, il faille attendre une catastrophe pour parvenir enfin à dégager les moyens nécessaires !
Au-delà du financement, le besoin d’ingénierie n’est pas satisfait aujourd’hui avec la suppression de l’assistance technique de l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire, l’Atesat, en 2014. Quant à savoir ce que pourra vraiment faire l’Agence nationale de la cohésion des territoires, l’ANCT, en matière d’ingénierie, nous sommes quand même collectivement dans le flou.
Par ailleurs, en ce qui concerne le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, le Cérema, on peut s’inquiéter de constater chaque année dans les budgets successifs que ses moyens humains sont en régression. Aujourd’hui, le Cérema intervient déjà beaucoup plus pour l’État que pour les communes, alors qu’il a été initialement constitué pour aider les communes.
Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État, on a eu Gênes, on a eu Taïwan, on a failli avoir Gennevilliers. J’aimerais que la série s’arrête là et que l’État, dont je connais les contraintes budgétaires, soit en mesure de faire le nécessaire pour éviter un drame dans notre pays. Il s’agit certes de sommes importantes, mais elles sont néanmoins bien minimes au regard de l’enjeu que représente la sécurité de nos concitoyens. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport d’information : Sécurité des ponts : éviter un drame.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
9
Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-338 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l’aménagement du territoire a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable – 29 voix pour, aucune voix contre – à la nomination de M. Jean-Pierre Farandou aux fonctions de président du directoire de la SNCF.
10
Intelligence artificielle
Débat organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, sur le thème : « L’intelligence artificielle : enjeux politiques, stratégiques et économiques. »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Yvon Collin, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Yvon Collin, pour le groupe RDSE. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parce qu’elle concentre de forts enjeux stratégiques, éthiques et économiques, l’émergence de l’intelligence artificielle est communément qualifiée de quatrième révolution industrielle.
Aussi, le RDSE a souhaité que le Sénat en débatte ce soir. J’en profite pour saluer les travaux du groupe de suivi de notre assemblée qui s’est emparé de ce sujet dès 2017.
Si l’intelligence artificielle fut pour la première fois évoquée en 1956 dans le cadre d’une conférence universitaire aux États-Unis, ce sont les recherches technologiques les plus récentes qui permettent son développement fulgurant.
Je ne m’attarderai pas sur sa définition qui, vous le savez, interroge souvent, tant cet outil est « disruptif ».
Pour faire simple, je dirais qu’il s’agit de seconder l’intelligence humaine pour augmenter celle-ci… La compilation de données du big data combinée à la puissance de calcul ouvre des horizons incroyables pour effectuer des fonctions, pas forcément toujours mieux que le ferait un homme, mais en tout cas beaucoup plus rapidement.
Au cours des dernières années, l’intelligence artificielle a investi de nombreuses applications qui commencent à envahir notre quotidien : voitures autonomes, diagnostics médicaux, finance algorithmique, robots industriels, jeux vidéo…
Ces applications ne sont que le début d’un développement irréversible, une tendance qui charrie également nombre de craintes et de phantasmes. Je balaierai tout de suite celui de la perte du contrôle de l’intelligence artificielle, qui conduirait la machine à échapper à son créateur, une situation largement véhiculée par des œuvres de fiction littéraire ou cinématographique.
Même si je n’ignore pas la lettre ouverte cosignée en 2015 par 700 chercheurs de renom alertant l’opinion sur l’hypothèse d’une « intelligence artificielle malveillante ou trop autonome », je pense qu’il est préférable de croire à la possibilité d’en fixer les limites, d’en encadrer les usages. Raisonner autrement nous obligerait à renoncer à une partie du potentiel offert par l’intelligence artificielle et à laisser des États moins scrupuleux s’en emparer complètement.
Par ailleurs, relativisons la vision d’une intelligence artificielle triomphante. En effet, si la machine peut atteindre une puissance extraordinaire pour la réalisation de nombreuses tâches, il lui manquera toujours ce qui fait notre singularité et notre supériorité sur elle en tant qu’êtres vivants : l’intuition et l’imagination.
Cette inquiétude pose en tout cas le débat des enjeux éthiques. Je m’arrêterai un instant sur la question de la protection des données, la matière première qui alimente l’intelligence artificielle.
Notre pays est particulièrement soucieux de la protection des données, tout comme l’Union européenne, qui dispose d’un marché de 500 millions de consommateurs qu’elle doit impérativement protéger.
C’est tout le sens des dernières législations adoptées par l’Union, au premier rang desquelles le règlement relatif à la libre circulation des données à caractère non personnel, la directive concernant la réutilisation des informations du secteur public, ou encore les règles relatives à la cybersécurité. L’Europe s’est dotée d’un véritable cadre juridique, que l’on ne peut qu’applaudir.
Au-delà de la protection des données, il doit aussi être question de responsabilité, de transparence des algorithmes et d’information sur les décisions sous-jacentes aux applications. L’intelligence artificielle doit également être inclusive, et ce à double titre : n’oublier personne pour les bénéfices qu’elle apporte, et protéger tout le monde des bouleversements qu’elle pourrait induire sur le plan sociétal. Je pense en particulier à l’organisation du travail, qui pourrait être impactée à la fois négativement et positivement.
Dans ces conditions, mes chers collègues, et comme le souligne très clairement le rapport intitulé Donner un sens à l’intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne, remis au Gouvernement par Cédric Villani et rendu public l’année dernière, doit-on autoriser l’accès aux données européennes à des entreprises qui ne seraient pas implantées en Europe et qui ne se plieraient donc pas à nos principes éthiques ?
Cette réserve s’impose en raison de la domination des Gafam sur la récupération de données et, plus globalement, en raison de la compétition entre la Chine et les États-Unis qui prend en étau l’Union européenne.
Nous savons, s’agissant des États-Unis, que les Gafam leur donnent un avantage considérable. Leur avance en termes de collecte des données, de matériel de pointe et de recherche sera – soyons lucides – difficilement rattrapable. Les investissements qu’ils consacrent à l’intelligence artificielle, cumulés à ceux que les pouvoirs publics américains injectent de leur côté par le biais de leurs grandes agences, leur confèrent un leadership indétrônable pour les années qui viennent. Quant à la Chine, elle ambitionne de contester ce leadership en investissant chaque année plusieurs dizaines de milliards d’euros dans l’intelligence artificielle.
Dans ce contexte, quel est le niveau de l’ambition européenne ? En avril 2018, la Commission a jeté les bases d’une stratégie sur l’intelligence artificielle ayant pour but d’augmenter les investissements publics et privés, afin qu’ils atteignent au moins 20 milliards d’euros par an au cours des dix prochaines années. Monsieur le secrétaire d’État, où en sommes-nous de cet objectif financier ?
Il y a urgence. Le manque de capitaux dans les entreprises innovantes aboutit parfois à la perte de fleurons européens, comme ce fut le cas en 2016 avec le rachat de l’entreprise anglaise DeepMind par Google et de l’allemande Kuka par un groupe chinois.
En février dernier, le Conseil européen a confirmé les propositions de la Commission visant à faire de l’Europe un acteur de premier plan dans le domaine de l’intelligence artificielle, et souhaité que les États membres investissent dans tous les secteurs économiques. Soit ! Mais, à cet égard, compte tenu des besoins colossaux de financements, il me semblerait pertinent que chacun des États membres s’emploie plutôt à performer sur un segment, tandis que l’Union européenne positionnerait de son côté des champions européens sur divers secteurs par le biais des « projets importants d’intérêt européen commun », les Piiec.
Parmi les secteurs que notre pays doit privilégier, je pense à celui de la santé, dont la croissance du volume de données créées sera la plus forte d’ici à 2025. Dans ce domaine, compte tenu de son système de protection sociale, la France dispose d’un atout de taille : une centralisation forte des données par l’administration. Nous avons par ailleurs intégré le règlement général sur la protection des données, le RGPD, dans notre législation, ce qui doit permettre de garantir la sécurité de l’exploitation de données médicales, des données qui sont bien entendu intrinsèquement sensibles.
Je citerai également le secteur de la sécurité, comme l’a préconisé la ministre des armées à Saclay le 5 avril dernier. Il s’agit là, pour des raisons stratégiques évidentes, de nous appuyer sur l’intelligence artificielle pour conserver notre supériorité opérationnelle.
Dans le monde numérique qui nous attend, le principal défi est de pouvoir conserver notre souveraineté, qu’elle soit économique, politique ou stratégique. Le maintien de notre indépendance par le développement de nos propres outils d’intelligence artificielle est le gage de la protection des libertés de nos concitoyens, de notre territoire et d’une transformation douce de notre économie pour réaliser une répartition juste de la valeur au bénéfice de tous.
Ce défi, vous l’aurez compris, impose la mobilisation de moyens considérables afin de nous permettre d’agir en amont plutôt que de subir.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous remercie d’avoir été attentifs à mon intervention, qui n’a pas été rédigée à la plume Sergent-Major, mais qui n’est pas non plus le fruit d’un algorithme, bien heureusement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier le groupe RDSE d’avoir pris l’initiative de ce débat, car le sujet de l’intelligence artificielle est décisif pour l’avenir de l’économie française en général. Il me semble très important que nous puissions en débattre au Parlement.
Je commencerai par partager avec vous quelques convictions, que j’aurai l’occasion de détailler par la suite.
Tout d’abord, vous l’avez dit, monsieur le sénateur, il faut constater que le paysage technologique mondial, particulièrement dans le secteur du numérique, est dominé par deux pays – les États-Unis et la Chine –, l’Europe en étant relativement absente.
Je commence par ce constat assez large, car il me paraît difficile de limiter le débat sur la souveraineté technologique de l’Europe au seul sujet de l’intelligence artificielle. Il convient de l’appréhender de manière globale, au niveau du numérique.
Nous le verrons très rapidement, des questions liées au calcul quantique vont se poser. Google a ainsi annoncé, la semaine dernière, avoir atteint la suprématie quantique. À côté de l’intelligence artificielle, un certain nombre de technologies clés font aujourd’hui l’objet d’une bataille technologique mondiale, dominée par les Américains et les Chinois.
La question qui se pose à nous est donc celle de la capacité de l’Europe à faire émerger des champions qui soient à la hauteur de Google ou de Facebook, dont je rappelle qu’ils ne sont pas des spécialistes de l’intelligence artificielle : au début, Google était un moteur de recherche et Facebook un réseau social. Mais l’économie mondiale est ainsi faite que ces groupes grossissent, se développent et dégagent des marges considérables leur permettant, ensuite, d’investir près de 40 milliards d’euros chaque année dans l’intelligence artificielle.
Le premier combat à mener ne concerne donc pas l’intelligence artificielle en tant que telle. Il s’agit de faire émerger en France et en Europe des entreprises de cette taille.
En matière d’intelligence artificielle, la France a une carte à jouer.
Je le rappelle régulièrement : j’ai eu l’occasion de rencontrer la plupart des responsables de l’intelligence artificielle de Google, Facebook, DeepMind, Apple et Amazon, et j’ai pu constater que, la plupart du temps, il s’agissait de chercheurs français.
M. Jean Bizet. Exact !
M. Cédric O, secrétaire d’État. Cette situation est liée à la qualité de l’école française de sciences de l’informatique et de mathématiques.
Dans un monde où le combat pour l’intelligence artificielle est d’abord un combat pour l’intelligence humaine, le problème de notre pays est de garder ses chercheurs, d’en avoir davantage et d’en faire venir d’autres de rang mondial. Ce sujet est au cœur de la stratégie présentée l’année dernière par le Président de la République.
La plus grande part de l’argent public – 1,5 milliard d’euros – qui sera consacrée au cours du quinquennat à l’intelligence artificielle bénéficiera aux équipes de recherche. En effet, dans un monde où le passage de la recherche fondamentale à l’application sur le marché est très rapide, notre premier combat doit être de constituer des équipes de recherche dans notre pays. Pour le dire pragmatiquement, cet argent ira donc au cadre de la recherche, aux équipes et aux salaires des chercheurs.
Nous disposons d’ores et déjà de la qualité humaine qui nous permettra de nous battre. Mais il sera probablement compliqué, à court terme, de combattre les Américains et les Chinois dans un domaine où ils ont pris une avance considérable, celui des très grandes bases de données de consommateurs. Les bases de données dont ils disposent augmentent exponentiellement, et aucun acteur européen n’y a accès.
Il n’en demeure pas moins, eu égard à la spécificité de l’industrie et de l’économie françaises, que certains de nos secteurs disposent du savoir-faire, des bases de données et des grandes entreprises permettant de faire émerger des champions et de participer à la compétition internationale. Je pense aux secteurs de l’énergie, de la santé, aux systèmes critiques et à la mobilité – nous aurons l’occasion d’y revenir.
Je précise que la stratégie qui a été présentée couvre des sujets tels que les calculateurs, les puces, l’adoption par l’administration de l’intelligence artificielle et le développement de celle-ci au sein des entreprises. Il y a là un débat. Il s’agit de faire en sorte que nos PME, et pas seulement de grands groupes et les entreprises du numérique, soient capables d’utiliser les outils de l’intelligence artificielle.
L’aspect européen de la question, que vous avez mentionné, est absolument essentiel.
Si nous voulons atteindre le niveau d’investissements des Américains et des Chinois, nous ne pouvons le faire qu’au niveau européen. Vous avez mentionné le chiffre de 20 milliards d’euros. À ce stade, il est très difficile de dire à quel niveau nous en sommes. L’Union européenne a estimé qu’il fallait investir 20 milliards d’euros par an. J’estime, à titre personnel, que nous investissons actuellement moins de 10 milliards d’euros aujourd’hui.
On mesure l’effort à faire au niveau européen ! Ce point sera au cœur de la mission de Margrethe Vestager et de Sylvie Goulard, qui était auditionnée aujourd’hui même au Parlement européen.
Un certain nombre d’initiatives ont été prises, qu’il faut saluer. Je pense à celle prise dans le domaine des calculateurs, à celle aussi en faveur d’une agence pour l’innovation de rupture, qui peut rappeler l’agence américaine Darpa.
Il faut, de toute évidence développer collectivement ces initiatives. Au seul niveau franco-allemand, nombre de projets peuvent encore être menés, au-delà de ce qui existe déjà.
Je tiens à mentionner un autre élément qui relève du niveau européen : la politique commerciale. Dans certains domaines, en effet, nous allons voir arriver des applications ou des sociétés dont les produits seront meilleurs que ceux de nos entreprises, parce qu’ils auront été développés grâce à des bases de données incontrôlées. Je pense notamment aux produits de reconnaissance faciale en provenance d’Asie, dont la supériorité est liée au fait que ces pays n’exercent pas suffisamment de contrôle sur ces productions et ont une conception de la vie privée différente de la conception européenne.
Devrons-nous laisser ces produits entrer sur le marché européen, dans la mesure où ils ont été conçus sur la base de valeurs qui ne sont pas les nôtres ? Nous serons confrontés assez rapidement à cette question, et l’Europe devra donner une réponse à la hauteur.
Ce dernier sujet me permet d’établir un lien avec les questions éthiques qui, vous l’avez dit, sont au cœur de la thématique de l’intelligence artificielle. Ces questions concernent la perte de contrôle de l’être humain, les biais et certaines problématiques techniques. Il convient, pour des raisons économiques, d’aborder ces sujets en premier lieu aux niveaux international et européen.
À cet égard, la France a été très active. Vous avez mentionné, monsieur le sénateur, le RGPD, qui est inspiré de la législation française et du travail de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL. Je pense également à l’initiative, laquelle est en passe d’aboutir, relative à la création d’un « GIEC de l’intelligence artificielle », portée par la France et le Canada : un pas important a été franchi lors du dernier G7, à Biarritz, ce qui permettra de partager, d’abord, les acquis du consensus scientifique et, demain, un certain nombre de règles d’utilisation de l’intelligence artificielle au niveau international. À cet égard, la transparence des algorithmes est un sujet clé.
Je dirai pour conclure qu’il s’agit probablement du commencement de l’histoire. Je ne suis pas de ceux qui pensent que nous sommes au début d’une dystopie. L’intelligence artificielle apporte beaucoup au secteur de la santé, pour la personnalisation des soins par exemple. Il convient d’être à la hauteur de cet enjeu, d’abord au niveau français – car dans un monde où c’est le leader qui fixe la norme, nous devons, nous aussi, être capables d’avoir des leaders –, mais aussi au niveau européen.
Je vous remercie le Sénat de s’être saisi de ce sujet. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE. – MM. Olivier Cadic et Jean Bizet applaudissent également.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Dans les disciplines qui contribuent aux recherches sur l’intelligence artificielle, les Gafam, avec des moyens considérables, développent des stratégies, efficaces et prédatrices, de recrutement des chercheurs des institutions publiques.
Vous nous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, une bonne partie des Gafam fonctionnent aujourd’hui avec des chercheurs venant de la recherche publique. Ces firmes y parviennent parce qu’elles proposent des rémunérations de cinq à dix fois supérieures aux salaires du secteur public. En outre, elles mettent à la disposition des chercheurs des infrastructures exceptionnelles. Vous avez ainsi évoqué la capacité supposée de Google de permettre aux chercheurs de travailler sur des ordinateurs quantiques.
Face à l’attractivité et à la prédation de ces conglomérats supranationaux, quelle est la stratégie du Gouvernement pour enrayer la fuite des cerveaux de la recherche française ? Cette question est fondamentale.
Si vous ne parveniez pas à développer une telle stratégie, nous perdrions à très court terme toutes les capacités intellectuelles de notre pays au profit des Gafam.
Vous avez esquissé le problème, mais je n’ai pas entendu la solution. J’aimerais donc que vous développiez votre propos. Quelles solutions trouverez-vous, dans le cadre de la grande loi de programme pour la recherche, pour enrayer cette fuite des cerveaux ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, je profite de cette occasion pour saluer le rapport que vous avez réalisé sur ce sujet avec M. Gattolin, car il souligne un certain nombre de défis.
Je l’ai dit, nous avons des atouts, notamment la qualité de notre recherche publique. Nous devons être capables de garder nos chercheurs, et nous sommes en train d’y parvenir. À la suite de l’annonce faite par le Président de la République l’année dernière, nous avons fait un peu de « judo » : les Gafam et de nombreux centres d’intelligence artificielle ont ainsi localisé en France leurs centres de recherche.
Mais il faut regarder la situation en face. Pourquoi les chercheurs rejoignent-ils les Gafam ? Non pas seulement à cause des salaires, mais en raison de l’intérêt des recherches qu’ils peuvent mener dans ces centres. Il nous faut donc faire en sorte de localiser les meilleurs centres d’intelligence artificielle en France, l’idée étant de créer un écosystème de recherche.
Un tel écosystème doit englober les entreprises et la recherche publique. Il permet aussi aux chercheurs du secteur public de mener leurs recherches dans un cadre intéressant et de trouver un écosystème attractif.
Nous avons ainsi décidé de concentrer une partie de nos forces sur quatre hubs de recherche – Paris, Grenoble, Toulouse et Nice – et de créer, dans ces cadres-là, un écosystème qui encourage les chercheurs à rester dans notre pays. Ces conditions favorables tiennent aux salaires, à la présence de post-doctorants qui puissent travailler avec eux, d’entreprises qui investissent pour leur fournir les bases de données dont ils ont besoin, qu’ils travaillent dans les domaines de l’aéronautique, de la cybersécurité ou de la santé.
Nous constatons que nous avons enrayé le phénomène des départs. Nous avons même réussi à faire revenir plusieurs chercheurs. L’un des meilleurs chercheurs chiliens, qui exerçait à Stanford, a ainsi rejoint l’institut Aniti à Toulouse, parce qu’il a trouvé là un écosystème favorable. Cela ne nous dispense pas de disposer, aussi, des meilleures entreprises.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la réplique.
M. Pierre Ouzoulias. Votre réponse n’est pas claire, monsieur le secrétaire d’État. Que les Gafam s’installent en France en créant des laboratoires de recherche dans lesquels ils attirent la recherche française, cela ne me rassure pas… Dans un tel écosystème, nous allons nous faire « boulotter » – je vous prie d’excuser cette expression – par de grands carnassiers ! Il faut absolument trouver autre chose.
Vous dites que le phénomène est en train de s’inverser. En vue de préparer ce débat, j’ai interrogé mes collègues mathématiciens du CNRS, qui m’ont dit que les laboratoires étaient vides, car ils perdaient systématiquement leurs chercheurs.
M. Jean Bizet. C’est vrai !
M. Pierre Ouzoulias. Dans le cadre de la loi de programme pour la recherche, il faut aujourd’hui envoyer un signal. La recherche française doit donner aux chercheurs ce qu’ils ne trouvent pas chez les Gafam : une carrière professionnelle ayant du sens, la liberté et la capacité de gérer leurs recherches fondamentales sur le long terme.
C’est ainsi que nous pourrons à partir à l’assaut des Gafam, et je souhaite que cet objectif soit inscrit dans la loi de programme pour la recherche.
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Je tiens à saluer l’initiative de nos collègues du RDSE d’ouvrir le débat sur les enjeux économiques et stratégiques de l’intelligence artificielle.
Le groupe Les Indépendants avait eu l’occasion, à l’automne 2017, d’interpeller le Gouvernement sur cette problématique majeure du XXIe siècle, dans le cadre d’un débat parlementaire orienté sur le rôle que la France et l’Europe peuvent encore espérer jouer dans cette course à l’innovation. Le constat que nous faisions n’était guère réjouissant.
Deux ans plus tard, ces craintes n’ont pas disparu ; au contraire, elles se sont même renforcées. Et pour cause : les preuves ne cessent de s’accumuler qui démontrent qu’il s’agit bel et bien d’une nouvelle révolution technologique. Elle percutera de plein fouet notre modèle social ainsi que nos modes d’organisation.
L’intelligence artificielle recourt à des algorithmes pour reproduire des processus cognitifs humains. D’où le sentiment de dépossession que nous éprouvons souvent face à ses utilisations toujours plus diverses. Les robots imitent de mieux en mieux les humains, au point qu’il est devenu monnaie courante de les confondre, tantôt en écoutant la réponse pleine d’humour d’un assistant vocal, tantôt en lisant un message personnalisé prérédigé par un téléphone dit « intelligent ».
Le risque existe de voir émerger à grande échelle de nouveaux réseaux de crime organisé qui utiliseraient l’intelligence artificielle pour mieux tromper particuliers et entreprises. La menace existe déjà. C’est notamment le cas avec les deepfakes : image et voix humaines sont copiées et l’identité est détournée pour diffuser de fausses informations.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous confirmer que les services de l’État agissent pour faire face à cette nouvelle forme de délinquance et de piratage ? Quelles mesures sont prévues pour cibler et punir ces délinquants et ces criminels de l’intelligence artificielle, qu’ils agissent en France ou à l’étranger ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, nous n’avons aucun intérêt à laisser entendre qu’un cauchemar s’annonce. L’intelligence artificielle permettra énormément de progrès, dans le domaine de la santé par exemple, à la fois pour personnaliser les soins et pour traiter plus efficacement. Elle permet ainsi de détecter plus facilement et plus en amont un certain nombre de cancers, notamment celui du sein.
Ne tombons pas dans le rejet absolu de l’intelligence artificielle ! Il y a des enjeux auxquels il faut veiller, mais aussi de très nombreuses opportunités, et nous devons faire en sorte d’être parmi ceux qui en profitent.
Vous avez cité un certain nombre de dérives de l’intelligence artificielle. Or nous n’en sommes qu’aux débuts de cette technologie. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de deepfakes en circulation, car cela nécessite une certaine maîtrise technologique. Il est vrai que des risques existent. Le premier défi qui s’impose à l’État, c’est d’avoir les compétences en interne pour traiter ces sujets. On a parlé des deepfakes ; on peut évoquer aussi le recrutement et le tri de candidatures par voie d’algorithmes… Les Français doivent avoir la garantie que nous sommes capables d’auditer les algorithmes et d’éviter ainsi les biais racistes ou genrés. C’est pourquoi, avec la direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État, la Dinsic, nous travaillons en vue de recruter des data scientists – pardon pour l’anglicisme ! – et des personnes ayant le niveau de compétences pour procéder à ce type de vérifications. Il s’agit de profils rares et chers, et nous devons donc nous préparer à ces recrutements en amont.
M. Bruno Sido. Peut-on les payer ?
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour la réplique.
M. Joël Guerriau. Le cauchemar, ce peut être l’intrusion dans la vie privée d’une personne via l’intelligence artificielle. Je suis d’accord avec vous, il faut considérer positivement cette évolution technologique, mais à condition de la maîtriser parfaitement et d’éviter le pire, c’est-à-dire que des individus ne se retrouvent dans une situation indescriptible. D’où l’importance de prévoir tous les éléments de protection nécessaires, et de ne pas s’illusionner en pensant que le monde est entièrement beau et gentil.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. La Chine, qui affirme vouloir dominer le monde dans les trois prochaines décennies, ne reconnaît pas la démocratie et les droits de l’homme comme valeurs universelles. Sa Constitution la définit comme un « État socialiste de dictature démocratique populaire ».
La Chine a créé un « cybermur » pour imposer un contrôle social de sa population, en combinant réseaux sociaux, caméras à reconnaissance faciale et intelligence artificielle.
Elle utilise l’intelligence artificielle à des fins de contrôle social à très grande échelle, via un système algorithmique de reconnaissance faciale. Chaque citoyen et chaque entreprise disposent d’un capital initial de mille points. En fonction de leurs comportements et fréquentations, ils gagnent ou perdent des points. « Les mauvais citoyens » sont sujets à des restrictions médicales, d’accès à l’emploi ou à des interdictions de déplacement. Cela peut également se traduire par des traitements d’humiliation sociale, par l’affichage sur la voie publique et sur écran géant du portrait d’un passant en retard de paiement ou ayant jeté un mégot dans la rue.
Cette dictature 5G utilise ses Routes de la soie pour tenter de prendre subrepticement le contrôle de pays en liant son aide à la signature de contrats de fourniture d’équipements technologiques. Un tiers des pays du monde ont d’ores et déjà signé des partenariats avec les entreprises chinoises pour leur acheter ces technologies. À elle seule, Huawei fournit des technologies de surveillance fondées sur l’intelligence artificielle à plus de cinquante États.
Envisagez-vous de faire interdire sur notre territoire – ou tout au moins d’en restreindre l’accès – les produits de sociétés chinoises telles que Huawei ou Alibaba, par exemple ?
Notre pays dispose-t-il d’un plan pour nous protéger des pratiques intrusives chinoises, susceptibles de menacer à terme nos libertés ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, j’ai eu l’occasion d’aborder cette question lors mon intervention liminaire. Je pense qu’il y a là un sujet défensif et un autre offensif.
D’un point de vue défensif, certaines technologies développées dans un contexte de valeurs opposées aux nôtres doivent être considérées via le prisme de la politique commerciale de l’Union européenne. En effet, pour ce qui est de la reconnaissance faciale, les Chinois sont probablement meilleurs que nous, en tout cas pour un certain nombre d’applications. Il faudra en tirer les conséquences : on ne saurait accepter une distorsion de concurrence fondée sur des pratiques contraires à notre propre éthique.
Il faut avoir une approche défensive, mais également offensive, car, malheureusement, dans le monde du numérique, les usages s’imposent souvent. Les Français peuvent trouver que Google et Facebook ne paient pas suffisamment d’impôts et qu’ils ne respectent pas assez la vie privée, comparativement à ce qu’exigent nos valeurs nationales et européennes… Il n’empêche que 40 millions de Français utilisent Facebook et que Google dispose de plus de 90 % de parts de marché en tant que moteur de recherche !
Il nous faut donc avoir nos propres Google et Facebook. Dans un monde où les usages s’imposent et où n’existent qu’un seul moteur de recherche, un seul réseau social et une seule application de réservation de voitures, nous devons avoir nos propres leaders, parce que le leader fixe la norme. Il est impératif de mener cette stratégie défensive de protection de nos valeurs et de nos relations commerciales, mais également – je le répète – de faire émerger nos propres champions, lesquels fixeront la norme pour tous.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour la réplique.
M. Olivier Cadic. Je vous parle de la Chine et vous me répondez en évoquant Google et les entreprises américaines !
Le véritable sujet est celui de la réciprocité. Que je sache, Google et Twitter ne sont pas autorisés en Chine. Même si nous développions nos entreprises dans ce domaine, il ne leur serait pas pour autant permis de travailler dans ce pays… Je souhaite donc que l’on impose le principe de réciprocité.
Puisque l’on ne peut pas vendre en Chine, puisque nos entreprises ne peuvent pas garantir à certains citoyens chinois la protection de leurs données et une approche démocratique, il faut appliquer le principe de réciprocité à l’envers : ce qui est interdit pour nos entreprises doit être interdit pour les entreprises chinoises au sein de l’Union européenne. Je pose la question : dans quel monde voulons-nous vivre demain ?
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Comme chacune et chacun d’entre nous, je me réjouis des actions engagées au plan national en faveur de l’intelligence artificielle. Vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, la France dispose d’une recherche d’excellence, dont les liens avec le monde industriel doivent malgré tout être renforcés. C’est précisément l’un des axes de la stratégie européenne pour l’intelligence artificielle que propose la Commission européenne, avec l’ambition qu’y soient consacrés pas loin de 20 milliards d’euros chaque année à partir de 2021.
La France doit saisir cette initiative européenne et se positionner en leader de l’intelligence artificielle en Europe avec l’Allemagne. Car, face aux géants américains et chinois, ce n’est qu’à l’échelle européenne que pourra se déployer une stratégie globale prenant en compte les dimensions non seulement scientifique et économique, mais aussi éthique et sociétale de cette nouvelle forme d’économie, et capable de faire prévaloir une approche fondée sur la transparence et la confiance.
Dans un rapport publié en janvier 2019, la commission des affaires européennes appelait à utiliser tous les moyens pour combler notre retard. Sur ce fondement, le Sénat a recommandé dans une résolution européenne de mars dernier que l’intelligence artificielle puisse faire l’objet d’un projet important d’intérêt européen commun, comme ce fut le cas avec succès pour la micro-électronique. Ce mécanisme, prévu par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, permet, sous certaines conditions, le versement d’aides financières de la part de plusieurs États membres.
Ainsi, nous pourrons construire cet « Airbus de l’intelligence artificielle » que les ministres français et allemand de l’économie appelaient encore de leurs vœux il y a quelques jours. Il en résulterait des effets d’entraînement positifs pour l’ensemble des vingt-sept États membres.
Monsieur le secrétaire d’État, comptez-vous porter cette ambition devant le Conseil pour contribuer, au-delà des coopérations bilatérales que nous saluons, à la mise en place d’une véritable stratégie industrielle européenne en faveur de l’intelligence artificielle ?
M. Bruno Sido. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Le projet que vous évoquez est au cœur de la volonté commune de Bruno Le Maire et de Peter Altmaier de travailler à la souveraineté européenne en faisant émerger un certain nombre de champions dans des domaines particulièrement stratégiques pour la souveraineté européenne comme l’intelligence artificielle. Vous avez cité, monsieur le sénateur, l’« Airbus de l’intelligence artificielle », évoqué par les deux ministres, mais on peut également penser au projet de cloud souverain ou au domaine du calcul quantique.
Les outils que vous évoquez – les projets importants d’intérêt européen commun – peuvent être extrêmement intéressants. Ils permettent d’aller au-delà d’un certain nombre de contraintes liées aux aides d’État. C’est ce qui a été fait pour les supercalculateurs et le plan Nano, lequel n’est pas sans lien d’ailleurs avec l’intelligence artificielle. En effet, comme je l’indiquais, il faut prendre en compte non seulement les logiciels, mais également les puces, qui sont un élément de la souveraineté.
Nous travaillons donc sur un certain nombre de sujets. Dans son programme de travail, la nouvelle Commission a placé sur le haut de la pile le dossier relatif à l’émergence de champions européens de l’intelligence artificielle. Nous sommes extrêmement engagés sur ces sujets, sur lesquels nous progresserons, je le pense, dans les années à venir.
Il est également important de favoriser la consolidation d’un certain nombre de start-up européennes. Ces entreprises sont souvent leaders sur leur marché domestique, mais il faut leur permettre d’atteindre le niveau de leurs concurrents américains ou chinois – les premiers sont déjà là, et les seconds arrivent. C’est la raison pour laquelle cette consolidation européenne est nécessaire, ce qui nécessitera peut-être d’assouplir certaines règles européennes relatives aux concentrations.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. L’exploitation algorithmique des grandes bases de données est un des aspects que recouvre la notion d’intelligence artificielle, qui est en réalité sémantiquement plus large. Ma question portera sur les conséquences de cette technique sur le travail et l’emploi.
Nous le constatons aujourd’hui avec les travailleurs du clic et de la nouvelle industrie des plateformes, le monde du travail est peu préparé à l’économie du numérique qui émerge sous nos yeux partout dans le monde.
Il est très difficile d’évaluer les conséquences du développement de l’intelligence artificielle, de l’automation et de la robotique, notamment en termes de solde des emplois qui en résultera. Ce qui paraît certain en revanche, c’est que la plupart des métiers et des organisations seront affectés.
Dans son rapport intitulé Donner un sens à l’intelligence artificielle, le député Cédric Villani nous appelle à une réflexion sur les modes de complémentarité entre l’humain et l’intelligence artificielle, une complémentarité non aliénante, mais source de progrès pour l’humanité et prenant en compte la dimension écologique de l’économie nouvelle émergente.
Dans ce contexte, quelles initiatives et démarches structurées le Gouvernement compte-t-il prendre pour refondre le pacte social et républicain, d’ores et déjà affecté par ces nouvelles formes de travail ? Dans un ouvrage récent, la sociologue Dominique Méda relève que « le capitalisme de plateforme participe de l’émergence de formes renouvelées, voire exacerbées, de sujétion du travailleur ».
La proposition intéressante de Cédric Villani de créer un « lab public de la transformation du travail » retient-elle votre intérêt pour articuler ces grandes transformations sociétales avec les politiques publiques, qui doivent les prendre en compte et même les anticiper ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. La question des conséquences de la numérisation – j’irai plus loin que l’intelligence artificielle, car nous sommes face à un bouleversement du monde du travail, qui découle de la transformation numérique – ne fait pas l’unanimité au sein du monde de la recherche. Il est très difficile, vous l’avez dit monsieur le sénateur, de dire s’il y aura des disparitions d’emplois, combien de métiers seront transformés, si le résultat sera bénéfique ou négatif.
Je constate que les Allemands ont six fois plus de robots que nous et qu’ils sont au plein-emploi. La question, c’est d’être compétitif et au bon niveau, pour tirer notre épingle du jeu. Le véritable problème est celui de la transition : il faut être capable de former les gens et de les reformer, car certains emplois, comme dans la banque ou la distribution, seront considérablement transformés, afin de les conduire, quel que soit leur niveau de qualification – les ingénieurs seront aussi touchés –, vers les emplois du numérique.
Ce sujet est au cœur du pacte productif sur lequel nous travaillons avec Muriel Pénicaud et Bruno Le Maire. Nous abordions précisément ce matin encore la question de la formation et de la reformation dans le cadre de la transformation numérique, qui est aussi un atout : 80 000 postes sont ouverts dans le secteur numérique, et il y en aura 200 000 en 2022.
Il faut voir le numérique comme un atout, mais il est nécessaire de penser la transition et la formation des travailleurs. Je suis convaincu qu’il faut définir un cadre national, mais que les choses se feront par bassin d’emploi. C’est autour de Perpignan, de Lille, que les employeurs, les organisations syndicales, les collectivités territoriales, Pôle emploi et l’État doivent travailler pour identifier combien de personnes risquent de voir leur métier transformé, quelles sont leurs opportunités et comment les former pour s’adapter aux changements.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.
M. Franck Montaugé. Monsieur le secrétaire d’État, merci d’avoir évoqué la dimension territoriale du sujet, que je souhaitais aborder. J’espère que nous ne nous concentrerons pas uniquement sur la question des emplois et de leur transformation au cœur des métropoles ou en périphérie de celles-ci, et que les territoires ruraux seront aussi pris en compte.
Dans la continuité de la communication de la Commission européenne intitulée L’intelligence artificielle pour l’Europe, il est, me semble-t-il, urgent que soit créé, pour reprendre le jargon de la Commission européenne, un projet important d’intérêt européen commun. Cela pourrait d’ailleurs être un élément de réponse à la question posée par Jean Bizet.
Je conclurai en soulignant que les moyens financiers sont vraiment très insuffisants par rapport aux enjeux que représentent l’intelligence artificielle et son développement, notamment face aux États-Unis, à la Chine et à quelques autres pays dans le monde.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux.
M. Jean-Yves Roux. Les usages de l’intelligence artificielle et des algorithmes qui y président sont multiples, croissants et, dans bien des cas, invisibles et incompréhensibles pour le commun des mortels.
Parmi les usages les plus emblématiques, je citerai les fils d’actualité des réseaux sociaux. Or ces réseaux constituent pour les jeunes de 15 ans à 34 ans les vecteurs d’information principaux dans plus de 70 % des cas.
Les algorithmes qui régissent les réseaux sociaux et les mécanismes de traitement des données associées nourrissent tous les fantasmes et autorisent des manipulations d’opinion. Pour reprendre un propos de Tristan Mendès France, maître de conférences à la Sorbonne, spécialiste des nouveaux médias, « les algorithmes accentuent, non pas ce qui est vrai, mais ce qui est choquant, ce qui est clivant ».
Le rapport de la Commission nationale de l’informatique et des libertés de décembre 2017 sur les algorithmes à l’heure de l’intelligence artificielle posait déjà la question en ces termes : comment permettre à l’homme de garder la main ? J’ajouterai : comment le citoyen, la démocratie, la République peuvent-ils garder la main ?
Là où le débat public, le débat démocratique, la Constitution, la République posent des règles – l’égalité hommes-femmes, des principes non discriminatoires, le respect de la vérité –, la fabrique de l’opinion pour les jeunes générations s’opère très majoritairement dans un espace dérégulé, international, dans lequel la réalité peut être distendue.
Aristote disait que le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous. Monsieur le secrétaire d’État, quelle stratégie comptez-vous proposer pour mettre en œuvre des usages éthiques et régulés de l’intelligence artificielle dans le secteur de l’information ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. La première question à régler aujourd’hui – et cela fera partie, je pense, du programme de travail de la prochaine Commission –, avant même la régulation, est celle de la transparence.
Aujourd’hui, l’État, ou la puissance publique, n’est pas capable de dire pourquoi on voit telle information, comment ces informations sont hiérarchisées, et comment on décide de montrer telle information à telle personne. C’est une boîte noire, même si nous avons fait quelques progrès.
La première chose à faire, c’est d’obliger ces entreprises à nous dire comment elles traitent l’information, afin que nous, ou des organismes de contrôle d’ailleurs, puissions voir si cela pose problème. Si ces entreprises se politisaient et décidaient de soutenir quelqu’un, nous ne le saurions même pas, puisque je ne vois pas la même chose que vous sur mon fil d’actualité.
La question de la transparence est la mère de toutes les batailles.
D’abord, il faut comprendre ce qui se passe pour chaque personne et pour chaque profil.
Ensuite se pose la question de la régulation, qu’il ne faut d’ailleurs pas prendre uniquement dans le sens de l’information. La proposition de loi de la députée Laetitia Avia arrive au Sénat, et nous aurons l’occasion de débattre des contenus haineux. Le Gouvernement propose un certain nombre de mécanismes pour imposer des obligations aux plateformes et vérifier qu’elles les respectent.
La question de l’information est encore plus sensible, puisque la liberté de la presse impose certains cadres. Nous devons avoir un débat de société sur ce sujet.
Pour conclure, tout ce que nous avons pu lire sur la manipulation de l’information montre que le nœud du problème se situe dans la capacité à former nos jeunes et nos moins jeunes à l’esprit critique. Nous devons traiter cette question extrêmement importante avec l’éducation nationale ; le Sénat ou l’Assemblée nationale pourrait également s’en saisir.
M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent.
Mme Noëlle Rauscent. Service public et intelligence artificielle peuvent apparaître comme des sujets très éloignés l’un de l’autre. En réalité, un grand nombre de dispositifs utilisent aujourd’hui l’intelligence artificielle pour accompagner au quotidien nos concitoyens.
L’intelligence artificielle se positionne ainsi comme un vecteur innovant pour rendre l’administration française plus proche des besoins des usagers, plus efficace, plus efficiente et tournée vers l’avenir. Porteuse d’opportunités nouvelles, elle favorise le recentrage des agents publics sur leur cœur de métier, sans diminuer le contact humain.
Monsieur le secrétaire d’État, je connais votre implication sur le sujet. Aussi, pouvez-vous nous dire quelles sont les prochaines étapes prévues par le Gouvernement pour accompagner la transformation de notre administration ? Et Dieu sait si elle en a besoin ! Quels seront les moyens financiers et humains mis à disposition pour atteindre nos objectifs en matière d’e-administration ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Je le disais, nous devons nous occuper de la montée en compétences de notre administration pour qu’elle soit capable de réguler l’intelligence artificielle. C’est aussi une grande opportunité ! En effet, l’intelligence artificielle, utilisée comme un outil et non comme une finalité, permet de réduire la pénibilité d’un certain nombre de métiers, quand il faut traiter un très grand nombre d’informations.
Pour vous donner une idée, environ 10 % des fonds du plan que nous avons annoncé sont consacrés à la transformation de l’administration. C’est le cas par exemple dans la santé, ou au sein de la Dinsic, que j’évoquais précédemment, qui est dotée d’une compétence spécifique sur l’intelligence artificielle.
Nous voulons procéder en deux temps. D’abord, en développant des cas concrets d’utilisation de l’intelligence artificielle avant d’aller plus loin dans sa généralisation : nous avons lancé un appel à projets, qui a eu plus de succès que nous ne le pensions, pour que les administrations proposent des exemples d’utilisation de l’intelligence artificielle. Nous avons sélectionné vingt et un projets. En voici quelques exemples : la détection du cabanage illégal dans les zones protégées de l’Hérault, l’amélioration de la veille sur la sécurité économique ou l’identification des différences de jurisprudence de la Cour de cassation. Ces projets sont très concrets.
L’idée, c’est que ces projets soient abondés par le fonds pour la transformation de l’action publique, qui est doté de 700 millions d’euros – ces sommes ne sont pas uniquement consacrées à l’intelligence artificielle, mais permettent tout de même de financer de nombreux projets y ayant trait. Il faut, à la fois, juger des secteurs où l’investissement est le plus utile, décider comment faire monter à bord les agents publics, puisqu’il est question de les accompagner dans l’utilisation de ces outils, et imaginer dans les mois et années à venir un déploiement plus massif de ceux-ci.
Je le redis, ces outils permettent, dans de nombreux cas, d’alléger la pénibilité du travail des agents publics.
M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent, pour la réplique.
Mme Noëlle Rauscent. Merci de votre réponse ! J’espère que parmi les vingt et un projets – vous en avez évoqué quelques-uns – certains concernent l’agriculture.
L’agriculture, et notamment l’élevage, a particulièrement besoin de transformations et d’innovations pour évoluer dans le monde actuel.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon.
M. Jean-Marie Mizzon. En novembre 2018, le Gouvernement présentait les grandes lignes de sa stratégie de recherche en matière d’intelligence artificielle, à laquelle seront consacrés 665 millions d’euros d’ici à 2022.
Le Gouvernement entendait notamment augmenter les financements de doctorants en intelligence artificielle et le nombre de ces derniers, qui était d’environ 250. Il projetait également de créer 40 chaires via un appel à candidatures national et international. Sur ce point précis, où en sommes-nous ? Ce programme, qui a le grand mérite d’exister, ne semble pas à la mesure de la compétition internationale qui fait rage – presque tout le monde ici le reconnaît, et vous-même en avez convenu en y intégrant la stratégie européenne.
De notre côté, nous sommes pleinement conscients que des machines autonomes pourraient demain prendre le contrôle de nos existences, utiliser nos données comme bon leur semble pour, par exemple, nous exclure de la société ou renforcer une élite. Les machines ont désormais des capacités « d’apprentissage profond » : elles peuvent tirer des points communs ou des règles statistiques d’une immense quantité de données. Elles reconnaissent ainsi une image ou un son, orientent un véhicule ou une personne.
Dans ces conditions, pourquoi ne pas s’engager davantage ? Les Français le comprendraient aisément et rejoindraient M. Villani, notre médaille Fields, quand il dit : « Il y a […] un travail d’éducation à faire pour défendre la responsabilité humaine, éviter que des algorithmes surestimés ne renforcent des discriminations, et définir le meilleur partage des tâches entre humains et machines. »
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, deux minutes, c’est trop court pour répondre à toutes vos questions ! Je m’attarderai sur le premier sujet, qui concerne la stratégie de recherche, puisque je n’ai pas eu l’occasion de la détailler auparavant.
Le programme national de recherche présenté par le Président de la République a quatre objectifs : constituer un réseau national attractif pour les acteurs de la recherche en intelligence artificielle ; mettre en place des outils pour réaliser cette recherche académique ; recourir à des mesures incitatives pour développer la recherche partenariale entre le privé et le public ; et, enfin, augmenter le nombre de doctorants et de chaires – vous avez cité les sommes que nous y investissons.
La mise en œuvre du plan avance très bien. Les instituts interdisciplinaires d’intelligence artificielle, dits 3IA, sont les grands pôles sur lesquels une partie de l’effort sera concentré : il s’agit, je le rappelle, de Grenoble, Paris, Toulouse et Nice, et aujourd’hui ouvrait d’ailleurs l’institut Prairie de Paris.
Ces instituts ont été mis en place ; ils concentreront les compétences scientifiques interdisciplinaires, en particulier par le déploiement, dans un premier temps, de 120 chaires d’enseignement supérieur, lesquelles seront portées à 150. Les 40 chaires que vous avez évoquées sont des chaires supplémentaires, qui sont en dehors de ces pôles spécifiques. Au total, ce sont donc près de 200 chaires qui sont consacrées à l’intelligence artificielle. C’est ce qui me permet de dire que nous progressons.
Sur le programme doctoral, l’appel à projets de l’Agence nationale de la recherche a reçu 30 propositions correspondant à une demande de plus de 450 thèses. Ce programme doctoral spécifique en intelligence artificielle dotera les établissements de recherche de supports budgétaires équivalant au montant de la rémunération minimale de 200 contrats doctoraux.
Vous pouvez le constater, monsieur le sénateur, le lancement de la mise en place de la stratégie de recherche est très satisfaisant. Il s’agit maintenant de prolonger et de porter plus loin notre effort. Je vous propose de discuter en aparté du deuxième point que vous avez abordé, lequel mérite davantage que dix secondes de réponse !
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin.
M. Cédric Perrin. L’intelligence artificielle ouvre pour nos armées de nouvelles perspectives. Elle fait figure d’enjeu de souveraineté de premier ordre. Elle a pour particularité, en matière de défense, d’être tirée par le secteur civil, et est emblématique de l’inversion des circuits d’innovation traditionnels.
Dans ce contexte singulier, les usages de l’intelligence artificielle dans le domaine militaire doivent impérativement donner lieu à un effort de formation et de programmation.
Trois questions semblent s’imposer.
La première concerne l’enjeu crucial de formation des armées et de l’ensemble des corps.
La cellule de coordination de l’intelligence artificielle de défense annoncée cet été est un mouvement positif, qui permettra de développer une réelle expertise de métier. En parallèle de cette dynamique, comment l’État compte-t-il répondre aux besoins de formation aux nouvelles technologies, induits par l’intelligence artificielle, de l’ensemble de nos forces armées sur le terrain ?
La deuxième question a trait aux collaborations de recherche comme enjeu de compétitivité.
L’objectif est de faire entrer la défense dans les écosystèmes de la recherche publique française, à la fois, par la formation et par la recherche appliquée. Afin de gagner du temps pour développer de meilleures technologies, quelle logique de décloisonnement de la recherche militaire l’État a-t-il prévu afin d’absorber et de collaborer avec les institutions publiques bénéficiant de financements importants en termes d’innovation ?
La troisième question porte sur la valorisation croisée des innovations civiles et militaires.
Les investissements alloués à la recherche de défense sur l’intelligence artificielle permettront-ils de capter des technologies de rupture dans le domaine civil ? À l’inverse, des résultats importants de la recherche publique pourront-ils être classifiés facilement, afin de les protéger temporairement ? Enfin, dans quelle mesure ces découvertes de recherche publique pourront-elles bénéficier à nos entreprises françaises ?
Ne répétons pas l’erreur commise avec les télécommunications militaires que nous n’avons pas su utiliser dans le domaine civil pour développer la 5 G !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Il va de soi que, s’agissant d’une technologie aussi importante pour l’industrie et la souveraineté que l’intelligence artificielle, les applications de défense font partie des applications prioritaires.
La ministre des armées a eu l’occasion, il y a quelques mois, de présenter le projet de son ministère en matière d’intelligence artificielle. Cet effort est substantiel puisque, sur les 1,5 milliard d’euros consacrés par l’État à ce domaine, 400 millions d’euros le sont par le ministère des armées.
Par exemple, 200 personnes se consacrent aujourd’hui spécifiquement à Rennes aux questions d’intelligence artificielle pour les armées. La feuille de route repose sur quatre principes que je ne ferai que citer : gouverner la donnée, travailler sur le cloud de défense qu’est le projet Artemis – c’est une question importante en termes de souveraineté –, concevoir des calculateurs convergés, et augmenter le travail commun entre privé et public.
J’ai travaillé sur le sujet avec Florence Parly, mais il est évident que nous devons faire encore des progrès, pour que les start-up de l’intelligence artificielle, souvent civiles ou duales, fondées par des chercheurs français soient davantage financées par des crédits de défense. Ceux-ci sont aujourd’hui fléchés selon des principes plus traditionnels, avec une grande part de subventions qui ne correspondent pas au modèle de développement de ces start-up.
Nous avons présenté, il y a quelques jours, le Next 40, c’est-à-dire les 40 pépites technologiques françaises dont on espère qu’elles pourraient devenir des licornes. Je ne crois pas qu’une seule d’entre elles ait été financée par le ministère de la défense. Cela est étonnant si l’on regarde les pratiques, par exemple, des États-Unis ou de la Chine.
Nous devons améliorer notre capacité à financer des innovations duales. On pouvait encore lire aujourd’hui dans un important quotidien économique français un article évoquant ce point. La ministre des armées est parfaitement consciente du problème, sur lequel nous pourrons, je le pense, progresser dans les mois qui viennent.
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour la réplique.
M. Cédric Perrin. Merci de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État. Concernant les 40 entreprises que vous avez citées, il est important de mettre en avant la création récente de l’Agence de l’innovation de défense, l’AID, qui devra chercher de nouveaux talents dans nos régions. Car l’innovation ne se fait pas qu’à Paris ! Nous avons proposé, dans un rapport que je viens de rendre avec mon collègue Jean-Noël Guérini, de mettre en place des réservistes de défense pour capter cette innovation.
Autre point que je me permets d’aborder, celui de l’éthique. Mon collègue Joël Guerriau a évoqué cette question, et vous lui avez fort bien répondu. Aujourd’hui, il y a de nombreuses idées arrêtées sur la question de l’intelligence artificielle. Dans le domaine de la défense, il est nécessaire d’ouvrir rapidement le sujet de l’éthique, pour mettre un terme à certaines idées fausses.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. La série Black Mirror imagine une société dystopique où l’usage intensif et dévoyé de l’intelligence artificielle conduit à des comportements parfois proches de la bestialité qui érodent le lien social et affectif entre les individus. Elle nous conduit à questionner notre rapport éthique à l’intelligence artificielle et à réfléchir à l’utilisation qui en est faite. Implicitement, elle souligne que l’intelligence artificielle n’est ni bonne ni mauvaise en soi ; c’est bien son usage qui détermine sa légitimité, ainsi que son apport au bien public.
Récemment, un mécanisme de reconnaissance faciale sur la voie publique a été expérimenté pour la première fois en France. De même, une région a manifesté son souhait de tester la reconnaissance faciale par biométrie à l’entrée de lycées. Il est à prévoir que la volonté des collectivités territoriales d’expérimenter ces nouvelles technologies, par-delà la reconnaissance faciale, va probablement s’intensifier à l’avenir.
Naturellement, les enjeux d’ordre public pèsent énormément dans leur décision. Pour autant, le recours à des dispositifs fondés sur l’intelligence artificielle ne peut être anarchique. En contrepoint des problématiques sécuritaires se posent des questions majeures en termes tant de respect des droits fondamentaux que de souveraineté numérique.
Par conséquent, il est essentiel de fixer démocratiquement une méthodologie et un cadre à l’emploi de ces technologies par la puissance publique. C’est précisément ce cadre qui déterminera leur degré d’acceptation par la population.
D’un point de vue juridique, à l’inverse des caméras fixes ou des caméras-piétons, un flou certain demeure sur les usages et les finalités qui peuvent être poursuivis par la reconnaissance faciale et les technologies à venir. Une réflexion sur une éventuelle modification législative et réglementaire paraît, pour le moins, s’imposer.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, mon interrogation est assez simple : entendez-vous ouvrir un véritable débat public sur l’utilisation de la reconnaissance faciale et, plus globalement, sur l’ensemble des technologies futures ayant un impact sur la vie privée, auxquelles pourraient d’ailleurs recourir les collectivités ? Par ailleurs, envisagez-vous de mieux encadrer juridiquement leur usage ?
L’équilibre à trouver entre impératif sécuritaire, libertés individuelles et utilisation éthique de l’intelligence artificielle est particulièrement subtil et important ; il nous faut, je le crois, en discuter démocratiquement.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. J’insiste sur ce que j’ai déjà dit : il ne faut pas présenter uniquement les risques de l’intelligence artificielle. Il faut que nous soyons capables, avec nos acteurs industriels, de créer des champions de l’intelligence artificielle, sinon nos acteurs ne se développeront pas, et les Français utiliseront des produits américains ou chinois.
Sur le sujet que vous évoquez, notamment celui de la reconnaissance faciale, un travail très intéressant a été mené récemment par le député Didier Baichère, qui proposait – et le Gouvernement est prêt à aller en ce sens – de fixer un cadre juridique plus « clair » pour les expérimentations en matière de reconnaissance faciale. Ainsi, les collectivités territoriales pourraient tester des dispositifs dans le cadre d’une supervision mieux définie. Il faut avoir en tête l’ensemble des éléments, c’est-à-dire rester sur la ligne de crête que j’évoquais entre les impératifs économiques et les impératifs de protection de la vie privée.
Je peux affirmer que le Gouvernement est tout à fait prêt à avancer dans cette direction, qui consiste à définir un cadre juridique clair et protecteur, éventuellement pour mieux permettre des expérimentations.
Évidemment, la question se pose également au niveau international – nous devons avancer sur ce sujet – et au niveau européen.
La Commission européenne a annoncé vouloir produire, dans les cent premiers jours de son mandat, une réglementation sur l’éthique de l’intelligence artificielle, notamment sur la reconnaissance faciale. Nous serons vigilants au respect de cette ligne de crête, entre innovation économique et protection des citoyens, mais je pense que c’est le bon échelon pour intervenir.
En effet, pour revenir à la politique commerciale, que j’évoquais précédemment, nous devons pouvoir innover tout en respectant nos valeurs et, le cas échéant, empêcher les produits n’ayant pas été développés conformément à celles-ci de pénétrer sur notre marché.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. On l’a bien vu, le déploiement de l’intelligence artificielle se traduira par des comportements nouveaux dans nombre de secteurs économiques, mais – la question a été posée – il y aura peut-être aussi un revers douloureux, au travers de destructions massives d’emplois, certaines tâches pouvant de plus en plus être réalisées par des robots ou des agents intelligents, et non plus par des humains.
En effet, avec l’intelligence artificielle, les robots ne remplacent plus le travail humain seulement dans les usines, mais également, désormais, dans les emplois de services. Or ceux-ci représentent 75 % de l’emploi en France.
Dans le cadre de la délégation sénatoriale à la prospective, ma collègue Marie Mercier et moi-même menons des travaux destinés à anticiper les changements majeurs que la robotisation pourra entraîner dans les emplois de services. De nombreux secteurs sont concernés – la banque, l’assurance, la santé, le secteur social, l’enseignement, le transport ou encore la sécurité – et il nous faut éviter les différents scénarios catastrophes, qui peuvent revêtir plusieurs visages.
Le premier, qui n’est sûrement pas le plus probable, consiste en un déploiement de l’intelligence artificielle aboutissant à la destruction massive d’emplois. Selon un deuxième scénario, peut-être plus sournois, l’intelligence artificielle serait capable de réaliser des tâches de plus en plus complexes, et de s’adapter et d’analyser plus vite que nous ; dans ce cas, les emplois peu ou faiblement qualifiés, voire les emplois intermédiaires, seraient alors massivement touchés.
Mes questions sont les suivantes, monsieur le secrétaire d’État. Avez-vous identifié les activités et les métiers les plus menacés par le déploiement de l’intelligence artificielle ? Quelle est la stratégie du Gouvernement à cet égard ? Quel accompagnement proposer aux employés peu qualifiés des secteurs de services, qui vont devoir monter en gamme ? Quelles actions envisagez-vous pour diffuser une culture de l’adaptabilité au travail, en France ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Nous avons déjà eu l’occasion d’aborder le sujet et j’ai indiqué que les projections, en matière de créations et de destructions d’emplois – vous l’avez bien dit –, sont aujourd’hui assez peu claires quant au résultat final.
Ce qui est certain, c’est que certains métiers fortement répétitifs – vous avez parlé de la banque, on peut aussi penser à la distribution ou à certains secteurs industriels – sont effectivement menacés par l’intelligence artificielle, qui traite très bien les tâches répétitives. Cela concerne aussi des métiers plus élevés, dans lesquels il y a beaucoup de données à traiter ; je pense par exemple au métier d’avocat, qui peut être fortement menacé par l’intelligence artificielle, puisque ce métier consiste pour une part à repérer des schémas dans de très grandes bases de données.
Il nous faut donc prévoir la transition ; tel est l’objet de la GPEC, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, sur laquelle nous sommes mobilisés.
En effet, nous sommes confrontés à une aberration : d’un côté, des métiers sont menacés, mais, d’un autre côté, certains emplois, et non pas seulement des emplois d’ingénieur, sont non pourvus. Ainsi, il y a aujourd’hui 80 000 postes dans le numérique en France, et il y en aura 200 000 en 2022, soit 900 000 à l’échelon européen – 900 000, rendez-vous compte ! –, et, je le répète, il ne s’agit pas que du métier d’ingénieur. Il y a certes des tensions sur le métier d’ingénieur, mais il y en a aussi sur les métiers de technicien et d’opérateur.
La question à se poser est donc celle de la formation. Un certain nombre de cadres doivent être définis à l’échelon national, mais cela doit aussi être traité localement, bassin d’emploi par bassin d’emploi, y compris dans la ruralité. Il se crée aujourd’hui, quasiment partout en France, des emplois liés au numérique et, encore une fois, pas seulement des emplois d’ingénieur ; néanmoins, encore faut-il être capable d’identifier les populations menacées d’ici à trois ans ou cinq ans. Cela permettra de mettre ensuite en place les formations pertinentes – souvent, elles existent déjà et, généralement, ce n’est pas l’argent qui pose problème, mais il faut brancher les bons tuyaux –, afin d’organiser cette période de transition.
C’est donc aux acteurs sur le terrain – c’est la proposition que nous ferons dans les mois qui viennent – de se saisir du sujet, qui est profondément local.
M. le président. La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais.
Mme Nadine Grelet-Certenais. Je remercie également le groupe du RDSE de l’organisation de ce débat, qui est d’une actualité brûlante, en raison notamment des débats sur le projet de loi d’orientation sur les mobilités ; je pense en particulier à l’article 20 de ce texte, qui porte sur les conditions de travail des travailleurs de plateforme.
Ayant organisé ici même, en juin dernier, avec mes collègues Monique Lubin et Olivier Jacquin, un colloque sur la problématique du travail numérique et les risques de formation d’un « cyberprécariat » dépourvu de droits sociaux, je souhaite attirer votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur l’imminence d’une crise sociale profonde, liée à l’expansion du travail numérique, et rebondir ainsi sur l’excellente question de mon collègue Franck Montaugé.
Le récent numéro de l’émission Cash Investigation a opportunément confirmé nos craintes sur la destruction de la citoyenneté sociale des travailleurs, chère au regretté Robert Castel.
En effet, par leur modèle de développement, les sociétés multinationales que nous connaissons bien – Uber, Amazon, Google, et autres – prospèrent sur un vide juridique, que votre gouvernement entretient. Ce vide juridique permet à ces entreprises de ne pas payer de cotisations sociales patronales, en faisant croire aux autoentrepreneurs recrutés qu’ils sont indépendants. Le Conseil national du numérique, le CNNum, l’a confirmé récemment : ces travailleurs sont plus dépendants d’un algorithme que d’une véritable relation humaine.
Pis, tous les systèmes d’exploitation – sans vouloir faire de mauvais jeu de mots – de l’intelligence artificielle reposent sur du travail humain. Des microtâches sont réalisées en Asie, en Afrique et en Europe – en France même – par ce qu’Antonio Casilli appelle les « travailleurs du clic », des travailleurs du numérique sous-payés et complètement invisibles pour le droit du travail. Et tout cela au service de la machine, de l’intelligence artificielle, qui dévoile ainsi son vrai visage.
Il nous faut donc réfléchir à une fiscalité qui permettrait d’imposer les plateformes sur le fondement du travail invisible de ces usagers, et à un dispositif pour rémunérer ces derniers. En effet, la fiscalité est aussi une question de souveraineté.
Au regard de l’augmentation du tâcheronnage numérique, allez-vous changer de braquet, et imposer à ces entreprises un cadre beaucoup plus strict et protecteur, afin d’enrayer cette évolution inquiétante du travail ? Quelles solutions allez-vous mettre en œuvre pour lutter contre cette para-subordination, qui nie les droits de ces travailleurs ?
Il s’agit d’un enjeu politique et sociétal de premier plan.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Ce sujet mériterait évidemment plus de deux minutes, mais il occupe beaucoup le quotidien de ma collègue Muriel Pénicaud.
Pour répondre rapidement, il y a évidemment un sujet de transformation et de fragilisation des rapports sociaux, mais il y a aussi un gisement d’opportunités ; dans certains quartiers, l’économie ubérisée a créé de l’emploi et a permis à des gens de se rapprocher de l’emploi. De toute évidence, il faut poser un cadre – on ne peut pas être dans le non-droit total –, mais il faut adapter ce cadre.
Prenons un exemple, celui du livreur de Deliveroo ; il y a une différence entre la personne qui en fait son travail, et qui se trouve, de fait, quasiment dans une relation de salariat, et l’étudiant – comme mon beau-frère, par exemple – qui le fait une heure par soir pour gagner un peu d’argent. Il n’est pas question de traiter ces deux situations exactement de la même manière, que ce soit pour la formation, pour les droits et pour la représentation.
Je pense fondamentalement qu’une partie de la solution – encore une fois, cela mériterait plus de temps – réside dans la représentation syndicale ou para-syndicale. En effet, le bon équilibre sera trouvé dans la tension, parfois dans le rapport de force, qui est nécessaire dans les rapports sociaux.
Le cabinet de Muriel Pénicaud travaille actuellement sur la manière de représenter ces travailleurs et sur la capacité qu’auront les syndicats à négocier avec les employeurs. Je le répète, cela ne peut pas être la même chose pour quelqu’un dont c’est le travail à temps plein ou à quasi-temps plein, et pour quelqu’un qui fait cela comme une activité supplémentaire.
C’est dans cette dialectique, pour répondre très brièvement, que se situe une partie de la réponse.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux.
M. Jean-Pierre Leleux. Le rapport d’avril 2018 de notre collègue député Cédric Villani a largement ouvert le débat public et politique, sur l’urgence qu’il y a, en France et en Europe, à amplifier considérablement les moyens et le soutien au développement de la recherche dans le domaine de l’intelligence artificielle. Il s’agit, vous l’avez dit, d’un enjeu majeur pour notre indépendance et notre souveraineté futures.
Cédric Villani tente de nous convaincre qu’il n’est pas trop tard pour entrer dans le jeu de la compétition mondiale ; j’en accepte l’augure, et je me félicite des moyens, même s’ils restent insuffisants, débloqués par le Président de la République – un milliard et demi d’euros – pour mettre un coup de pression et encourager le développement de l’intelligence artificielle en France et en Europe.
Les questions qui se posent sont évidemment très nombreuses ; j’isolerai trois aspects : éthique, juridique et culturel.
Bien sûr, le rapport a cherché à proposer, avec humilité, est-il précisé, les fondements d’un cadre éthique pour le développement de l’intelligence artificielle et du débat dans la société. Quand nous parlons d’éthique ou de valeurs, chez nous, nous nous appuyons sur l’histoire culturelle française et européenne, et nous avons tendance à penser que ces valeurs sont universelles. C’est évidemment loin d’être le cas ; les valeurs ne sont pas du tout les mêmes en Europe, aux États-Unis et encore moins en Chine.
Déjà, des voix s’élèvent pour affirmer que, si nous sommes trop rigides dans notre conception de l’éthique et des valeurs, cela bridera les initiatives des chercheurs, et nous courons alors le risque de prendre un retard concurrentiel, sur le plan technique, par rapport à d’autres pays.
Comment définir, selon vous, les bornes de l’acceptable, voire de l’exigence de notre éthique ? Comment trouver, dans un contexte de concurrence scientifique mondialisée, l’équilibre entre, d’une part, le respect de notre éthique et, d’autre part, l’avancée scientifique de pays qui n’ont pas la même interprétation des valeurs que nous ?
Ma deuxième question concerne l’accompagnement juridique de l’intelligence artificielle, et tout particulièrement celui de la responsabilité civile et morale des actes provoqués par l’algorithme. Jusqu’où faire confiance à la décision du matériel porteur de ces algorithmes ? N’y a-t-il pas des domaines qui comportent des limites, au-delà desquelles la décision humaine doit reprendre la main ou le relais de la décision ?
M. le président. Veuillez conclure.
M. Jean-Pierre Leleux. Ma dernière question concernait la culture ; j’y reviendrai dans ma réplique.
M. le président. Je crains qu’il ne vous reste plus du tout de temps pour une réplique, mon cher collègue…
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Je serai très heureux, monsieur le sénateur, de vous répondre hors micro sur votre dernière question.
Sur votre premier point, je suis persuadé qu’il n’est pas trop tard. C’est un peu le dernier wagon qui part, mais on peut encore monter à bord. Pourquoi suis-je persuadé qu’il n’est pas trop tard ? Parce que nous avons la matière première : les cerveaux. La question se pose de savoir comment les retenir et comment faire en sorte qu’ils trouvent ici le terreau leur permettant de se développer et de créer leurs entreprises, mais ce serait bien plus compliqué si l’on ne les avait pas.
Il n’est donc pas trop tard, mais il faut les retenir et en former plus. Pour revenir à ce que disait précédemment le M. le sénateur Ouzoulias, on manque effectivement de personnes compétentes, il faut en former plus. C’est pourquoi nous avons l’objectif de doubler le nombre de formations ; il y avait 18 masters en intelligence artificielle, voilà deux ans ; il y en a 34 aujourd’hui. Cela avance.
Sur la question des valeurs, je pense avoir en partie répondu tout à l’heure. Il faut trouver la ligne de crête, être capable de développer nos propres champions sans abandonner nos valeurs. Ce n’est jamais facile et il n’y a pas de règle préconçue qui s’applique.
Cela dit, il faut, au minimum, libérer les expérimentations – je le disais tout à l’heure à propos des collectivités territoriales et de la reconnaissance faciale –, dans des cadres très limités et très stricts.
En outre, il faut ne pas être naïf ; c’est le sujet de la politique commerciale que j’évoquais tout à l’heure. Ainsi, dès lors que nous aurons fixé le cadre et les valeurs intangibles pour nous, on ne pourra pas permettre à des pays qui développent des algorithmes en contradiction avec nos valeurs de concurrencer nos entreprises, lesquelles ne pourront évidemment pas être compétitives.
Quant à la question juridique, il est difficile d’y répondre aujourd’hui. Beaucoup de questions se posent ; s’il y a un accident impliquant une voiture pilotée par l’intelligence artificielle, qui est responsable ? Une partie de la réponse résidera dans l’expérimentation. Il faut rendre celle-ci possible, parce que beaucoup de réponses se dégageront. Aujourd’hui, en tout cas, il est difficile de vous donner une réponse claire et précise.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Lherbier.
Mme Brigitte Lherbier. Je m’inscrirai dans la continuité du propos de mon collègue Jean-Pierre Leleux.
C’est avec un œil de juriste que j’ai décidé d’aborder le débat que nous avons aujourd’hui.
Le développement des intelligences artificielles fait partie des plus grandes avancées scientifiques de l’histoire de l’humanité. Cette révolution technologique a de plus en plus d’impact dans nos vies quotidiennes, on l’a vu. Imaginer les applications matérielles des intelligences artificielles peut susciter l’émerveillement, mais il nous faut aussi examiner des cas pratiques. Vous venez de l’aborder, monsieur le secrétaire d’État, étudier, par le prisme du droit, un accident de la route impliquant un véhicule autonome est tout aussi intéressant.
Il faut se poser des questions pragmatiques, simples, pour cerner les problèmes juridiques, par exemple en droit de la responsabilité. En tant que législateurs, nous devons nous interroger sur la place que prendront les intelligences artificielles dans notre droit. Qui devrait-on considérer comme pénalement responsable, lors d’un accident grave causé par une voiture autonome ? Le conducteur ? Le propriétaire ? Le constructeur ? L’informaticien ? Ou encore l’auteur des algorithmes ?
On considère aujourd’hui que le conducteur doit toujours être en mesure de prendre le contrôle de sa voiture. Il serait donc en théorie responsable en cas d’accident, mais qu’en serait-il si les véhicules devenaient totalement autonomes ?
La même question pourrait se poser pour les intelligences artificielles prédictives en matière militaire. Qui sera responsable en cas d’échec d’une mission ? Le décideur ou le robot ? J’ai entendu ces questionnements pour la première fois au forum international de la cybersécurité, organisé à Lille, chaque mois de janvier depuis vingt ans, par la gendarmerie nationale. Les militaires ne veulent pas dépendre de l’incontrôlable, ils veulent rester maîtres de toute leur stratégie.
La technologie évolue désormais si vite que nous nous devons de prendre les devants. Gouverner c’est prévoir, n’est-ce pas ?
Monsieur le secrétaire d’État, envisagez-vous cet aspect juridique, ce regard destiné à encadrer de la loi ?
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Brigitte Lherbier. Le Sénat est là pour travailler sur le sujet ; sachez-le, monsieur le secrétaire d’État, nous sommes prêts.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. J’essaierai de vous répondre le plus précisément possible.
Une petite remarque, tout d’abord : il est vraisemblable qu’il y aura moins d’accidents quand toutes les voitures seront autonomes ; il est intéressant de le préciser. (Sourires.) Du reste, quasiment tous les accidents d’avion – ce n’est pas le cas pour le Boeing 737 MAX – sont aujourd’hui liés à une erreur humaine.
En France, vous le savez, les expérimentations de circulation de véhicules autonomes sur la voie publique sont permises depuis 2015, dans un cadre strict ; je ne reviens pas sur les détails.
En matière de responsabilité civile, le droit commun s’applique ; cette analyse a été validée par le Conseil d’État. En matière pénale, pour ce qui concerne le code de la route, des adaptations sont nécessaires. La loi Pacte a précisé les règles de responsabilité pénale pour les expérimentations – cela fait le lien avec la question précédente.
Ainsi, le conducteur n’est pas responsable pendant les périodes où le système de délégation de conduite est activé ; en cas d’accident, si une faute a été commise dans la mise en œuvre du système de délégation, l’expérimentateur est pénalement responsable d’un délit d’atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité de la personne. Pour l’avenir, un régime permanent doit être élaboré par ordonnance, dans le cadre de l’habilitation prévue à l’article 12 du projet de loi d’orientation des mobilités.
J’ajoute un élément moins technique : la question que vous posez est extrêmement liée, dans le cas de l’intelligence artificielle, à la certification. C’est l’un des plus grands défis des industriels, car, pour une partie des algorithmes ou des techniques utilisées, on ne sait pas expliquer pourquoi l’intelligence artificielle a pris telle ou telle décision. Un des véritables sujets devant nous – c’est une question juridique, sociale et industrielle – réside dans la capacité à mettre en place des certifications.
Ce point est au cœur d’un des grands défis que veut relever l’État dans le cadre de l’agence pour l’innovation de rupture. Nous aurons l’occasion d’en rediscuter, mais il est très important que le Parlement se penche sur le sujet de la responsabilité, en ayant en tête cette idée d’expérimentation et de ligne de crête à trouver entre innovation et protection.
M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade.
Mme Florence Lassarade. Les outils d’intelligence artificielle dans le domaine de la santé se développent depuis plusieurs années, avec notamment l’aide au diagnostic en imagerie ou en matière de chirurgie. La France possède de nombreux atouts, grâce à d’importantes compétences scientifiques, une base médico-administrative solide et, prochainement, une infrastructure numérique, avec la plateforme des données de santé, le Health Data Hub, qui permettra de développer l’intelligence artificielle en santé.
Cela dit, il faut regarder plus loin, car les évolutions sont rapides. Les géants de la technologie numérique, les Gafama – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, Alphabet – cherchent à se diversifier, et à conquérir le secteur de la santé. Ils disposent d’une puissance financière largement supérieure à celle des nations.
Les Gafama sont arrivés dans le domaine de la santé avec une dynamique d’influence et de diffusion de valeurs qui ne sont pas à proprement parler humanistes. Leur avance industrielle peut avoir des conséquences sur les modalités de diffusion de l’intelligence artificielle et de la robotisation en santé.
À titre d’exemple, l’entreprise Verily Life Sciences, filiale d’Alphabet, donc de Google, a lancé la Baseline Study, qui collecte des données phénotypiques sur 10 000 volontaires en quatre ans, en collaboration avec les universités de Stanford et Duke. Entre 2013 et 2017, Alphabet a déposé 186 brevets dans le domaine de la santé.
En France, les données de santé sont et resteront protégées, mais des collectes de données se font via des applications ou des objets connectés, et ces données sont transmises à des entreprises privées sans aucun contrôle. D’autre part, des utilisateurs français pourraient à l’avenir demander à importer une solution d’intelligence artificielle élaborée à l’étranger et non autorisée en France.
Sachant que ces entreprises ne respecteront pas forcément les règles éthiques en vigueur en France et en Europe, il est évident qu’il faut organiser un contre-pouvoir au développement des Gafama dans le secteur de la santé.
Monsieur le secrétaire d’État, comment faire en sorte que les Gafama ne mettent pas la main sur les données de santé des Français ? Quelle stratégie envisagez-vous de mettre en œuvre pour préserver le système de santé français face aux géants américains ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Madame la sénatrice, vous soulignez un sujet extrêmement important, dans lequel il faut avoir une approche tant défensive qu’offensive.
Aujourd’hui, nous avons un cadre assez protecteur des données de santé, mais, je le disais tout à l’heure, dans le cadre du numérique – c’est particulièrement vrai dans le secteur de la santé –, les usages s’imposent.
Nous pourrions donc nous retrouver dans cette situation, assez aberrante : nous interdirions la recherche sur les données des Français ; les Chinois l’autoriseraient chez eux et développeraient des champions ayant des algorithmes permettant de mieux soigner ; et, demain, quand vous aurez le choix entre – pardon de le dire très trivialement – vivre cinq ans de plus en donnant l’accès à vos données et garder celles-ci, mais avoir une espérance de vie un peu réduite, votre choix sera assez rapide…
Voici quel est l’enjeu pour la France, aujourd’hui : nous avons un atout – nous possédons l’une des cinq plus grandes bases de données de santé du monde –, donc il faut faire en sorte, dans un cadre protecteur de la vie privée, de mettre ces données à la disposition de la recherche et d’un certain nombre d’industriels.
De cette manière, c’est nous qui développerons ces champions et ces systèmes. Je pense profondément que les entreprises ont une identité et que, comme c’est le leader qui fixe la norme, il faut faire en sorte que ce leader soit français et européen. Ainsi, on en revient toujours à cette ligne de crête entre innovation et protection, dans un cadre où l’usage s’imposera in fine par rapport à la protection de la vie privée, car on choisira toujours la santé aux dépens de la protection de données.
Autre problème : il faut faire en sorte que ces algorithmes fonctionnent pour les Européens. En effet, on pourrait se retrouver dépendants d’algorithmes chinois ou américains, élaborés sur le fondement de phénotypes ou de problématiques, respectivement, chinois ou américains, et fonctionnant donc moins bien pour des Européens.
Ma réponse sur ce sujet absolument passionnant est trop courte, mais il faut à la fois avoir une attitude défensive et offensive, et faire en sorte que ce soit nous qui développions ces champions, afin d’avoir tant les soins que la valeur créée par ces entreprises.
M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour la réplique.
Mme Florence Lassarade. L’exploitation des données et leur protection sont un sujet très important. Sur le marché noir du net, les données médicales frauduleusement acquises peuvent se monnayer vingt fois plus cher que les données bancaires…
Conclusion du débat
M. le président. Pour clore le débat, la parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe auteur de la demande.
M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour conclure ce débat passionnant sur les enjeux politiques, économiques, mais aussi éthiques, de l’intelligence artificielle, je souhaite revenir sur les principaux points que nos échanges ont évoqués.
Je me félicite tout d’abord de l’intérêt suscité par ce sujet d’actualité, proposé par le groupe RDSE, qui concerne tous les acteurs et tous les territoires.
En introduction, mon collègue Yvon Collin, instigateur de ce débat, a bien insisté sur le développement spectaculaire des technologies d’intelligence artificielle dans le monde actuel. Il a souligné en particulier la place prépondérante des États-Unis et de la Chine, et – hélas ! – le retard européen en la matière.
Vous l’avez également souligné, monsieur le secrétaire d’État, nous vivons aujourd’hui à l’époque des algorithmes et des machines apprenantes. Si l’intelligence artificielle a été inventée au tournant de la Seconde Guerre mondiale, les changements se sont vraiment accélérés depuis vingt ans, à un rythme exponentiel, au point de donner parfois le vertige.
Cette révolution technologique tend à renforcer le clivage entre des zones urbaines hyperconnectées, qui ambitionnent de devenir des « villes intelligentes », et des territoires, souvent ruraux, qui, pour des raisons géographiques, économiques ou démographiques, restent en marge de cette transformation.
Pourtant, les territoires ruraux peuvent tirer un grand parti des applications de l’intelligence artificielle. Dans le domaine de la santé, ces technologies peuvent ainsi contribuer à faire des prédiagnostics à partir des données médicales des patients ou dans le cadre de consultations à distance, alors que la pénurie de médecins généralistes ne pourra être résolue que dans plusieurs années.
Les façons de travailler sont également en plein bouleversement, avec des conséquences qui pourraient profiter à des territoires éloignés des grands centres urbains et de tous les inconvénients qu’ils entraînent – surdensité, saturation des réseaux de transport, stress, pollution, voire troubles à l’ordre public… Nous touchons là à une question structurante de l’aménagement du territoire de demain, un sujet cher à notre groupe.
Le rapport Villani, cité plusieurs fois, contient des développements très intéressants sur l’agriculture augmentée, domaine dans lequel la France pourrait devenir un leader. À l’heure du changement climatique et de la remise en cause de notre modèle agricole, l’agriculture a grandement besoin de technologies de big data pour rester productive, tout en tenant compte des impératifs de protection de l’environnement et de la biodiversité.
Par exemple, un meilleur suivi des rendements ou des troupeaux permettra d’améliorer le bilan énergétique et d’optimiser l’utilisation d’intrants. L’intelligence artificielle pourrait même contribuer à faire émerger de nouveaux modèles de valeur et à améliorer le dialogue entre les agriculteurs et l’industrie agroalimentaire.
Ce potentiel d’innovation ne doit pas faire oublier les aspects plus préoccupants du développement de l’intelligence artificielle. Le livre récent du philosophe Gaspard Koenig, La fin de l’individu, montre les risques de dépossession et de déresponsabilisation des individus lorsque nos vies seront entièrement façonnées par l’intelligence artificielle, ou encore les opportunités, mais aussi les dangers, liés à la police et à la justice prédictives.
Le cadre juridique établi en France, depuis la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, et en Europe, avec le règlement général sur la protection des données, est très protecteur des données personnelles et de la vie privée, contrairement aux cadres américain et surtout chinois.
En revanche, l’Europe doit mobiliser beaucoup plus de moyens pour combler son retard technologique. Le 11 juillet dernier, la Commission européenne a annoncé un financement de 50 millions d’euros pour créer un réseau européen de recherche en intelligence artificielle, dans le cadre du programme Horizon 2020. C’est bien trop peu !
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué la nécessité de constituer de solides équipes de recherche et de pouvoir les conserver en Europe. Dans des secteurs comme l’énergie, la santé ou les transports, nous disposons du savoir-faire et de la taille critique pour faire émerger des champions européens.
Je salue également les initiatives comme le projet de supercalculateur ou encore l’agence européenne pour l’innovation de rupture.
Vous avez mentionné la politique commerciale de l’Union européenne. On pourrait également penser à sa politique de concurrence, dont était chargée la commissaire Margrethe Vestager, qui empêche parfois de faire émerger des champions continentaux. Nous devons progresser sur ce point, afin de pouvoir réaliser « l’Airbus de l’intelligence artificielle », car nous ne pouvons nous résigner à laisser l’Europe à la traîne, s’agissant d’une question aussi fondamentale pour notre économie et pour notre souveraineté.
Permettez-moi de conclure mon propos avec une citation du cinéaste et humoriste américain, Woody Allen, selon lequel « l’intelligence artificielle se définit comme le contraire de la bêtise humaine »… (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe du RDSE.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « L’intelligence artificielle : enjeux politiques, stratégiques et économiques. »
11
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 3 octobre 2019 :
À dix heures trente :
Débat sur les conclusions du rapport d’information : « Adapter la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 : urgence déclarée ».
À quatorze heures trente :
Débat sur les conclusions du rapport d’information : « Violences sexuelles sur mineurs en institutions : pouvoir confier ses enfants en toute sécurité » ;
Débat sur la santé en Guyane.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures.)
nomination d’un membre d’une commission
Le groupe Union Centriste a présenté une candidature pour la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Pascal Martin est proclamé membre de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication