Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain, sur l’article.
M. Jérôme Durain. Nous abordons là un sujet central.
La déontologie de la fonction publique est observée par la société et nos concitoyens. On a coutume de prêter à la fonction publique beaucoup de défauts et les cas de passage de hauts fonctionnaires dans le secteur privé font la manchette des quotidiens et valent des commentaires qui alimentent un climat malsain dans notre vie publique et notre vie politique.
La proposition de fusion de la commission de déontologie de la fonction publique et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, la HATVP, et de restriction du périmètre de contrôle suscite des inquiétudes très fortes au sein de mon groupe. Quelles seront les capacités réelles de contrôle de la déontologie des mouvements du public vers le privé, ce que l’on appelle le pantouflage, de retour du privé vers le public, ce que l’on nomme le rétropantouflage, puisque les départs vers le privé ne seront plus automatiquement contrôlés ?
L’entrée dans le secteur public après l’exercice d’une activité dans le privé sera elle aussi moins contrôlée. En outre, la portée des avis rendus sera moins importante et moins effective.
D’une façon générale, tout cela concourt à un affaiblissement de ce qui devrait être au cœur de la fonction publique, à savoir une déontologie incontestable.
Pour toutes ces raisons, nous avons déposé des amendements visant à conforter le dispositif existant et à améliorer les propositions formulées par le Gouvernement dans le présent projet de loi, même si nous reconnaissons que la commission des lois a travaillé sur cette question et a elle-même déposé de nombreux amendements.
Nous serons très vigilants sur ce sujet, car nous considérons qu’il y a là péril pour l’image de la fonction publique et pour la qualité du débat politique en France.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Avant d’aborder l’examen de cet article, je souhaite faire un point sur la déontologie.
D’où venons-nous ?
La situation était peu satisfaisante. Il faut rappeler que la commission de déontologie de la fonction publique placée auprès du Premier ministre n’a pas eu les résultats escomptés : 61 % des avis sont rendus de manière tacite, implicite, faute d’instruction du dossier. Ce n’est évidemment pas acceptable.
Le Sénat a formulé de nombreuses propositions depuis trois ans, par l’intermédiaire de la commission des lois ou de la commission d’enquête sur les mutations de la haute fonction publique et leurs conséquences sur le fonctionnement des institutions de la République. Il a d’ailleurs été le premier à proposer, en 2016, la fusion de la commission de déontologie de la fonction publique et de la HATVP. Il a été suivi par l’Assemblée nationale, alors que le Gouvernement était plus réservé sur ce sujet. Passer d’une commission administrative dépendant de l’exécutif à une autorité administrative indépendante est une évolution tout à fait significative.
Je vais tenter de convaincre Jérôme Durain qui vient de s’exprimer : cette évolution va vraiment dans le bon sens.
Où allons-nous ?
Nous allons vers un contrôle renforcé de la HATVP sur les cas les plus sensibles. Comme l’a dit Pierre-Yves Collombat en commission, l’enjeu n’est pas de contrôler un professeur qui ouvre une pizzeria ! Il s’agit plutôt de se pencher sur les cas les plus problématiques.
La commission des lois a substantiellement modifié le texte de l’Assemblée nationale au bénéfice de la HATVP. Elle a notamment renforcé le contrôle du rétropantouflage pour les agents venant du secteur privé : cette instance serait ainsi compétente pour 7 615 emplois, contre 228 dans la version initiale.
La commission des lois a également amélioré le suivi des réserves de la HATVP en confortant ses dispositifs d’investigation et en prévoyant une sanction pénale pour les agents qui ne seraient pas coopératifs. De même, elle refuse que le Gouvernement mette la main sur cette instance en tentant de reconstruire une commission de déontologie bis à l’intérieur même de la Haute Autorité. La HATVP est une autorité administrative indépendante et doit le rester.
Ne tombons pas dans l’extrême inverse : la mobilité des agents vers le secteur privé n’est pas interdite, bien au contraire. À nous de prévoir les contrôles déontologiques adaptés tout en refusant la chasse aux sorcières et en prenant en considération le déroulement de la carrière des fonctionnaires. C’est important. Quand un fonctionnaire d’une cinquantaine d’années envisage un changement dans sa carrière et souhaite passer du secteur public au secteur privé, il faut prendre en compte cette évolution avec bienveillance. Il ne s’agit pas de traiter tous les dossiers avec les mêmes critères.
Enfin, si l’on en reste à la rédaction proposée par la commission des lois, la publicité des avis serait laissée à la discrétion de la HATVP elle-même.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Sur la question de la déontologie, le Gouvernement avait trois objectifs initiaux.
Premièrement, il s’agissait de recentrer le travail de la commission de déontologie de la fonction publique sur les cas les plus à risques. M. le rapporteur l’a évoqué, depuis 2016, cette structure examine plusieurs milliers de cas par an ; pour les deux tiers d’entre eux, un accord tacite est donné, dans la mesure où il est considéré que la profession exercée dans le secteur public ne fait pas courir de risque déontologique. Recentrer l’examen systématique des dossiers sur les professions à risques s’inscrit dans une volonté d’efficacité.
Deuxièmement – et cet objectif est atteint –, il s’agissait de créer un contrôle lors du retour dans le secteur public, comme au moment de l’entrée dans ce dernier. Autant trop de postes faisaient l’objet d’un contrôle systématique à la sortie – c’est pourquoi nous restreignons ce champ en laissant au supérieur hiérarchique la possibilité de saisir en cas de doute la commission de déontologie de la fonction publique –, autant le retour du secteur privé vers le secteur public ne donnait lieu à une saisie de cette instance que sur l’initiative du supérieur hiérarchique, sans qu’il y ait de contrôle systématique, comme l’a évoqué M. Durain, y compris pour les postes à risques.
Nous instaurons donc un tel contrôle, et nous créons un contrôle systématique à l’entrée pour étudier la situation au regard de la déontologie de ceux qui seraient recrutés comme contractuels à des emplois de direction.
Troisièmement, sur les modalités de publicité des avis, le Gouvernement a quelques divergences avec la commission des lois du Sénat. Nous allons en discuter dans quelques instants. Les députés de la majorité, accompagnés par les députés de cinq autres groupes, ont souhaité aller plus loin et fusionner la commission de déontologie de la fonction publique et la HATVP. Le Gouvernement y a souscrit, permettant ainsi à la commission de déontologie de la fonction publique d’acquérir le statut d’autorité administrative indépendante.
En revanche se pose la question d’une formation spécialisée en matière de déontologie, le rapporteur l’a évoqué. C’est un point de divergence.
Se pose aussi la question de la composition du nouveau collège au sein de la HATVP. Il serait formé de six magistrats désignés par le Conseil d’État, la Cour des comptes et la Cour de cassation et de six personnalités qualifiées : le texte adopté par l’Assemblée nationale prévoit que deux d’entre elles sont nommées par l’Assemblée nationale, deux par le Sénat et deux par le Gouvernement. Lors de la discussion générale, j’ai rappelé mon attachement à cette disposition.
Je pense véritablement que nous renforcerons le contrôle déontologique grâce à la publication des avis, à la vérification systématique des allers-retours entre la fonction publique et le secteur privé pour les postes à risques et en octroyant le statut d’autorité administrative indépendante à la commission de déontologie.
Mme la présidente. Je suis saisie de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 497, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
Rétablir le 1° dans la rédaction suivante :
1° Le I de l’article 25 ter est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est complété par les mots : « ou à l’autorité hiérarchique dans les conditions prévues par décret en Conseil d’État » ;
b) Le second alinéa est supprimé.
II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Le I de l’article L. 4122-6 du code de la défense est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par les mots : « ou à l’autorité hiérarchique dans les conditions prévues par décret en Conseil d’État » ;
2° Le second alinéa est supprimé.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Le Gouvernement souhaite, par cet amendement, apporter des précisions sur l’autorité à laquelle est transmise la déclaration d’intérêts et transposer le dispositif aux militaires.
Dans le droit actuel, la déclaration d’intérêts est d’abord transmise à l’autorité investie du pouvoir de nomination, qui la communique ensuite à l’autorité hiérarchique chargée de procéder à l’analyse du contenu de la déclaration. L’autorité investie du pouvoir de nomination peut parfois être directement le Président de la République ou le Premier ministre, ce qui ralentit évidemment le traitement de la déclaration.
Aussi souhaitons-nous, afin de garantir une bonne gestion de ces déclarations d’intérêts, que le destinataire initial puisse être, selon le cas, soit l’autorité investie du pouvoir de nomination, soit l’autorité hiérarchique de l’agent. Les modalités de transmission des déclarations entre ces deux autorités seront prévues par décret.
Cette modification, je l’ai dit, serait également transposée aux militaires.
Mme la présidente. L’amendement n° 244, présenté par M. Collombat, Mmes Assassi, Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 3
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Le premier alinéa du I de l’article 25 ter est ainsi rédigé :
« La nomination des membres, en activité, détachés ou mis à disposition, des corps du Conseil d’État, de la Cour des comptes, de l’Inspection des finances, de l’Inspection générale de l’administration, de l’Inspection générale des affaires sociales ; des administrateurs civils, des ingénieurs des mines, des ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts, des administrateurs de l’Institut national de la statistique et des études économiques, des corps diplomatique et préfectoral, des directeurs du ministère des finances, de l’économie, de l’industrie, de la santé qui n’appartiendraient pas aux corps précédemment cités, des secrétaires généraux et directeurs généraux des deux assemblées parlementaires, des cadres dirigeants des organismes publics : entreprises, autorités administratives, agences et établissements publics ainsi que des cadres dirigeants de la Banque de France, de la Caisse des dépôts et consignations, de la Banque publique d’investissement est conditionnée à la transmission préalable par le fonctionnaire d’une déclaration exhaustive, exacte et sincère de ses intérêts. »;
II. – Alinéa 11, première phrase
Remplacer les mots :
dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions justifient
par les mots :
défini au premier alinéa du I de l’article 25 ter de la présente loi
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Cet amendement a été déposé par mon collègue Pierre-Yves Collombat. Sachez toutefois que je n’ai pour le défendre ni son brio ni sa verve…
M. Loïc Hervé, rapporteur. Nous verrons !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ne vous sous-estimez pas ! (Sourires.)
M. Pascal Savoldelli. Le projet de loi prévoit de rendre obligatoire pour les « fonctionnaires occupant un emploi dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient » une déclaration à la HATVP avant leur nomination ou avant une demande d’autorisation d’accomplir un service à temps partiel, de créer ou de reprendre une entreprise, de cesser ou d’interrompre leurs fonctions.
Notre groupe soutient ce dispositif. Pour autant, nous ne souhaitons pas que la liste de ces emplois soit fixée par décret en Conseil d’État.
Notre amendement vise donc à établir la liste précise des emplois qui seront soumis à ces déclarations et à ces contrôles de la HATVP. Cette liste permettra d’éviter les trous dans la raquette, si vous me permettez cette expression un peu triviale, ou d’avoir des doutes sur l’appréciation que portera le Conseil d’État sur ces emplois, ce dernier étant le corps d’origine de nombreux fonctionnaires susceptibles d’occuper ces emplois.
Mme la présidente. L’amendement n° 142 rectifié bis, présenté par MM. Durain, Marie, Kanner et J. Bigot, Mme de la Gontrie, M. Fichet, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Sueur, Sutour, Antiste, Bérit-Débat, Montaugé, Temal et Raynal, Mme Monier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 8 et 9
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
- après les mots : « l’examen de la », la fin du dernier alinéa est ainsi rédigée : « Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, dans les conditions prévues à l’article 25 octies de la présente loi. » ;
II. – Alinéas 10 et 11
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Cet amendement tend à supprimer la disposition qui prévoit que, désormais, seuls « les fonctionnaires occupant un emploi dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient » seront contrôlés par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en cas de création ou de reprise d’une entreprise.
Cette disposition revient sur un apport important de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, qui avait étendu le contrôle de la Haute Autorité à tout fonctionnaire, les exigences en matière de déontologie et de lutte contre les conflits d’intérêts ne devant pas s’appliquer aux seuls hauts fonctionnaires.
Pour reprendre l’exemple de M. Hervé, il n’est évidemment pas question de s’intéresser au fonctionnaire désireux d’ouvrir une pizzeria – il faut garder une certaine mesure. En revanche, limiter le nombre de fonctionnaires concernés et ne s’intéresser qu’au sommet de la hiérarchie nous paraît insuffisant. Une restriction du périmètre de contrôle à certains fonctionnaires est d’autant moins acceptable que c’est le Gouvernement qui déterminera par décret en Conseil d’État la liste des emplois assujettis à ce contrôle.
Par ailleurs, à quoi servirait-il de créer une superstructure, fruit de la fusion de la HATVP et de la commission de déontologie de la fonction publique, si, plutôt que de lui octroyer les moyens nécessaires à ses missions, on profite de cette occasion pour réduire son champ d’action ?
Chacun se souvient que nous avons passé une partie de l’année dernière à débattre de déontologie. Nous avons alors vu qu’il valait mieux éviter de se fier aux seules cartes de visite et aux profils de poste ! L’actualité nous impose d’être extrêmement vigilants sur ces sujets.
Mme la présidente. L’amendement n° 492, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 9, seconde phrase
Supprimer les mots :
ou, à défaut, le fonctionnaire,
II. – Alinéa 23, seconde phrase
Supprimer les mots :
ou, à défaut, le fonctionnaire
III. – Alinéa 32
Remplacer les mots :
ou, à défaut, par la personne concernée
par les mots :
dont relève l’emploi
IV. – Alinéa 33, seconde phrase
Supprimer les mots :
ou, à défaut, par la personne concernée
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Le Gouvernement est favorable à la possibilité pour l’agent, prévue par la commission des lois, de saisir directement la Haute Autorité en cas de défaillance de l’administration.
Cependant, une telle saisine directe ne nous semble opportune que dans les cas où la saisine de la Haute Autorité est obligatoire. Dans les autres cas, la saisine doit demeurer une faculté relevant de l’appréciation de l’autorité hiérarchique, d’autant plus qu’elle ne peut intervenir que si l’avis du référent déontologue n’a pas permis de lever le doute sur la situation de l’agent.
La saisine directe de l’agent ne paraît pas non plus adaptée dans le cadre du contrôle préalable à la nomination sur un emploi sensible, l’administration devant pouvoir maîtriser seule son processus de recrutement.
Mme la présidente. L’amendement n° 470 rectifié, présenté par Mme Costes, MM. Collin, Vall et Labbé, Mme Laborde, MM. Léonhardt et Requier, Mme Jouve et MM. Guérini, Gabouty, Castelli, Gold, A. Bertrand et Artano, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 9 et 33
Compléter ces alinéas par une phrase ainsi rédigée :
Dans les cas de décision favorable et en l’absence de doute sérieux, l’autorité hiérarchique notifie une copie de sa décision à la Haute Autorité.
II. – Après l’alinéa 20
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …° D’émettre à sa propre initiative un avis sur toute situation individuelle mentionnée aux précédents alinéas pour laquelle elle n’aurait été préalablement saisie.
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Cet amendement a été déposé par ma collègue Josiane Costes.
Nous nous félicitons tout d’abord de ce que l’Assemblée nationale se soit inspirée de notre proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d’intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires, adoptée par le Sénat le 14 février 2018.
Ainsi, l’article 16 du présent projet de loi reprend la plupart des dispositions ayant fait consensus au sein de la Haute Assemblée, notamment l’absorption de la commission de déontologie par la HATVP et l’institution d’un contrôle du rétropantouflage.
Toutefois, afin de ne pas engorger la HATVP, l’article 16 prévoit deux procédures de contrôle déontologique distinctes. La saisine de la HATVP sera en effet réservée aux cas les plus sensibles concernant des emplois figurant dans une liste fixée par décret en Conseil d’État. Dans les autres cas, le contrôle sera effectué par l’autorité hiérarchique, le référent déontologue pouvant être saisi.
Les décisions des autorités hiérarchiques n’étant pas centralisées, ce dispositif ne répond pas aux critiques formulées contre l’ancien système par les personnes auditionnées par notre collègue Josiane Costes. Elles déploraient en effet les décisions disparates et imprévisibles. C’est pourquoi nous proposons que la HATVP soit informée de l’ensemble des décisions de mobilité prises, sans que son avis soit requis, et qu’elle soit dotée d’un pouvoir d’autosaisine, afin qu’elle puisse intervenir dans les cas problématiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Le droit en vigueur est très clair : la déclaration d’intérêts d’un fonctionnaire est transmise à l’autorité de nomination puis, après la nomination, à l’autorité hiérarchique.
Ces deux transmissions répondent à des logiques différentes : il s’agit, dans un cas, d’apprécier le dossier du fonctionnaire au moment de sa nomination ; dans l’autre, de prévenir les conflits d’intérêts au cours de l’exercice des fonctions.
Le Gouvernement souhaite, dans certains cas, supprimer la transmission à l’autorité de nomination, ce qui constituerait un recul : celle-ci doit être suffisamment éclairée lorsqu’elle nomme un fonctionnaire à un poste sensible. En outre, le renvoi au décret semble inopérant : la liste des destinataires des déclarations d’intérêts constitue une garantie fondamentale pour les agents, et doit donc, de notre point de vue, être fixée dans la loi.
Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 497 du Gouvernement.
De même, elle est défavorable à l’amendement n° 244, de Pierre-Yves Collombat, qui vise à établir la liste des corps soumis à déclaration d’intérêts. Cette liste serait, en réalité, moins large que celle qui serait déterminée par décret. Je rappelle qu’environ 7 500 agents publics sont aujourd’hui soumis à déclaration d’intérêts et que la liste fixée par décret inclut également des agents des collectivités territoriales, par exemple lorsqu’ils gèrent des marchés publics.
La commission émet aussi un avis défavorable sur l’amendement n° 142 rectifié bis, qui tend à maintenir une saisine de l’instance déontologique de tous les dossiers concernant des cumuls d’activités, comme c’est le cas depuis 2016. Or la commission de déontologie est aujourd’hui submergée par le nombre de dossiers de cumul d’activités – environ 3 500 chaque année – qu’elle a à traiter. Faute de temps pour instruire cette masse de dossiers, 61 % de ses avis sont tacites.
Un ciblage des contrôles nous paraît plus efficace. Comme l’a dit Pierre-Yves Collombat en commission, les risques de conflits d’intérêts sont limités dans le cas d’un professeur souhaitant ouvrir une pizzeria…
Nous émettons un avis défavorable sur l’amendement n° 492 du Gouvernement. En commission, nous avons autorisé l’agent à saisir lui-même la HATVP. Il s’agit, notamment, d’éviter que l’administration ne bloque la mobilité de l’agent concerné en refusant de saisir le HATVP.
Le Gouvernement fait un pas vers nous en acceptant cette disposition pour les emplois les plus sensibles, lorsque la saisine de la HATVP est obligatoire. Il est toutefois plus réservé lorsque cette saisine est facultative et laissée à la libre appréciation de l’autorité hiérarchique. Néanmoins, dans les cas limites, les agents préféreront peut-être saisir la HATVP pour avoir des certitudes. C’est selon nous un droit que nous devons garantir à l’agent. Notre version nous semble également beaucoup plus lisible.
Enfin, l’amendement n° 470 rectifié de Mme Costes, présenté par M. Labbé, vise à renforcer les capacités d’autosaisine de la HATVP. Il me semble globalement satisfait par les alinéas 36 à 38, qui permettent à la HATVP de s’autosaisir dans un délai de trois mois. Nous demandons donc le retrait de cet amendement ; à défaut, nous émettrons un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur les amendements nos 244, 142 rectifié bis et 470 rectifié, pour les mêmes raisons que la commission.
Je note, comme M. le rapporteur, que la liste visée par l’amendement n° 244 de M. Pierre-Yves Collombat serait plus restreinte que celle que nous envisageons puisqu’elle ne concernerait que des hauts fonctionnaires. Or nous savons qu’un certain nombre de postes occupés par des agents de catégorie B ou C peuvent être tout aussi sensibles en termes de déontologie. C’est le cas des chefs de service chargés des marchés publics dans la fonction publique territoriale par exemple.
Pour le reste, le Gouvernement ne partage pas l’appréciation du rapporteur sur les amendements nos 497 et 492, ce qui le conduit à les maintenir.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. Sur ces questions, nous devons être extrêmement vigilants à l’opinion publique.
La fraude fiscale, en particulier, suscite beaucoup d’émotion dans notre pays. De même, les conflits d’intérêts, les questions de déontologie des fonctionnaires, les allers-retours entre fonction publique et secteur privé, sont à juste raison source de nombreuses interrogations.
Pour ces motifs, nous sommes évidemment très favorables à la fusion de la HATVP et de la commission de déontologie proposée notamment par la commission d’enquête du Sénat et par Mme Costes dans sa proposition de loi.
Toutefois, nous ne devons pas en rester à une simple fusion administrative. Nous devons garantir à nos concitoyens que les conflits d’intérêts ne seront plus possibles entre l’administration et le secteur privé, qu’il n’y aura plus de zone floue entre l’intérêt privé et l’intérêt général. Pour cela, nous devons confier de larges missions de contrôle et d’investigation à la HATVP. Nous ne devons pas d’ores et déjà prendre acte du fait que la Haute Autorité, à qui l’on va confier les missions de la commission de déontologie, n’aura pas les moyens d’examiner ces 3 000 dossiers. Ce serait faire fausse route. Nous n’irions pas suffisamment loin.
Il est évident que les agents de la HATVP, s’ils sont saisis de tous les dossiers, pourront passer très vite sur un certain nombre d’entre eux, comme dans les cas évoqués par M. Collombat, que nous allons beaucoup citer ce soir, je pense, car il a été à l’initiative sur ce dossier. Ces agents pourront néanmoins ainsi repérer les dossiers posant problème et mettre en œuvre les mesures qui s’imposent.
Ces questions sont une grande préoccupation pour les Français aujourd’hui. Nous nous devons d’être à la hauteur.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Comme vient de le dire ma collègue, nous ne sommes pas défavorables à la fusion du comité de déontologie et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Encore faut-il s’assurer que cette superstructure sera plus efficace que les deux structures existantes et qu’elle aura les moyens d’agir.
Nous sommes particulièrement inquiets de la décision du Gouvernement de revenir sur la loi d’avril 2016, laquelle prévoyait que l’ensemble des fonctionnaires quittant la fonction publique devaient être contrôlés.
Le décret fixera peut-être une large liste. Vous indiquez que près de 7 000 cas pourraient être contrôlés. Or il n’y a pas que les hauts fonctionnaires qui peuvent être en situation de conflits d’intérêts. Il y en a d’autres, à tous les niveaux. Si la nouvelle autorité indépendante est dotée des moyens nécessaires, elle sera en mesure d’examiner l’ensemble des cas.
Comme l’a dit ma collègue, il faut prendre en compte l’exigence de transparence et de contrôle de l’opinion publique aujourd’hui. Or nous craignons que les dispositions que le Gouvernement nous propose ne soient pas suffisantes et satisfaisantes pour l’opinion publique.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Je souhaite rappeler deux dispositions de l’amendement proposé par notre collègue Josiane Costes : l’institution d’un contrôle du rétropantouflage, cette question justifiant une réelle transparence ; la possibilité pour la HATVP de s’autosaisir des cas les plus problématiques.
J’insiste sur cet amendement, que je continue de défendre.