M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, si ce débat sur le statut de l’élu local arrive au bon moment, à la suite de la déclaration de politique générale du Premier ministre s’inspirant de ses expériences havraises, il arrive certainement au bon endroit, au Sénat, chambre des territoires.
L’élu local est au cœur de la démocratie. À ce titre, il est désigné pour représenter nos concitoyens et conduire une collectivité, à savoir mettre en place les politiques publiques et les projets qui la font vivre.
Premier interlocuteur des concitoyens, il est en contact direct et permanent avec eux, « à portée d’engueulade », pour reprendre l’expression désormais célèbre et souvent citée de notre président Gérard Larcher. À cette fin, il exerce un mandat.
Un principe historique préside à l’exercice de sa mission : la gratuité. Héritée de la pratique romaine, elle a été reprise dans les lois municipales de mars 1831 et confirmée par celle de 1884. C’est précisément cette gratuité qui fait la force de notre démocratie locale. Le mandat est libre, dénué d’intérêt pécuniaire. C’est un engagement citoyen au service de la collectivité, même si le principe de gratuité n’empêche pas une indemnisation, une compensation juste de cet engagement.
Les travaux du Sénat et le rapport de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, intitulé Faciliter l’exercice des mandats locaux, ainsi que de nombreux témoignages d’élus montrent que la conduite du mandat et l’engagement sont devenus très difficiles. Les facteurs sont identifiés et connus : multiplication des normes, manque de moyens, attentes fortes des citoyens, flou dans la répartition des compétences… À un an des élections municipales, Le Monde, en partenariat avec l’Association des maires de France et le Cevipof, publiait ainsi une enquête sur le blues des élus locaux.
La proposition de loi du sénateur Pierre-Yves Collombat et de plusieurs de nos collègues préconise la création d’un statut de l’élu communal et un ensemble de mesures lui garantissant un cadre sécurisé. Elle nous donne surtout l’occasion de débattre et de réfléchir sur un sujet très attendu par de nombreux élus et de trouver des solutions pour favoriser leur engagement dans un contexte ayant largement évolué ces derniers temps. Ce texte soulève toutefois quatre remarques de ma part.
Tout d’abord, la création du statut de l’élu risque d’enfermer la personne dans un cadre strict et de figer le dispositif. C’est pourquoi j’ai souhaité déposer un amendement visant à poser les principes généraux des conditions d’exercice des mandats locaux. Ces dispositions, plus souples, permettent néanmoins de guider et d’éclairer les élus.
Ensuite, la suppression de la gratuité du mandat remet en cause le sens historique de l’engagement volontaire et désintéressé des élus. Conférer une dimension pécuniaire revient à professionnaliser les élus locaux, en leur conférant les charges, les devoirs et les droits d’un salarié. L’élu local devient un salarié de la commune. Or je suis profondément opposée à ce changement de paradigme. C’est le sens de l’amendement que j’ai déposé, cosigné par plusieurs de mes collègues.
Par ailleurs, l’impact financier de cette proposition de loi est fort pour les collectivités locales. Il me paraît à ce jour déraisonnable. La conduite d’une étude d’impact et d’une concertation approfondie me semble donc nécessaire, comme a pu le souligner la commission des lois.
Les conditions matérielles sont souvent évoquées comme un frein à l’engagement politique. J’ai souhaité déposer un amendement tendant à ouvrir le bénéfice du complément de mode de garde aux élus. Une telle disposition, dont le champ est plus large que le remboursement des frais de garde, devrait permettre à de jeunes parents de s’engager et de disposer du temps nécessaire, en toute sérénité, à l’exercice de leur mandat local. Il est de notre devoir d’accompagner les jeunes parents élus dans cette mission.
Enfin, l’enchevêtrement et la multiplication des normes rendent encore plus indispensable la formation des élus. Elle est désormais bien établie, grâce aux lois de 1992 et de 2015. L’article 3 tend à renforcer ces obligations de formation et à instituer un fonds national pour la formation des élus locaux, qui serait alimenté par les communes. Toutefois, le mécanisme mis en place présente un double écueil d’ordre financier et politique : la création d’un fonds national pour la formation des élus risque de conduire à nationaliser le financement de la formation des élus, ce qui reviendrait à brider l’autonomie des collectivités locales.
M. André Reichardt. Tout à fait !
Mme Agnès Canayer. Le Gouvernement va prochainement ouvrir le débat sur l’amélioration des conditions d’exercice des mandats locaux. La délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation a émis des propositions, fruits de la réflexion des élus, sous l’autorité de son président Jean-Marie Bockel et de notre rapporteur Mathieu Darnaud.
Cette proposition de loi est avant tout une occasion d’amorcer le sujet, dans la sérénité, pour que des solutions améliorant la vie pratique des maires soient définies et libèrent leur action au service de leurs concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure où l’intercommunalité multiplie le nombre d’instances auxquelles participent les conseillers municipaux, à l’heure où la décentralisation a confié un nombre toujours croissant de responsabilités aux élus locaux, à l’heure où, d’élection en élection, l’âge moyen des maires augmente, à ‘heure où le droit devient de plus en plus complexe à appliquer, nos élus locaux ont besoin, plus que jamais, d’un ensemble cohérent de dispositions régissant l’accès au mandat, l’exercice du mandat et la sortie du mandat.
Je souhaite insister tout particulièrement sur la question de la fin de mandat, laquelle peut constituer un repoussoir au moment d’accepter de prendre des responsabilités municipales lorsqu’on a une carrière professionnelle devant soi.
Chacun s’accorde à reconnaître la nécessité de fluidifier la transition entre mandat local et vie professionnelle afin d’enrayer la crise des vocations électives et d’encourager les actifs à se porter candidats. Cette question de l’après-mandat devient une préoccupation essentielle pour tous les élus, au moment où notre démocratie tend à prendre la voie de la limitation du cumul des mandats dans le temps. Il existe donc une nécessité impérieuse de gommer les risques encourus en cas de non-réélection des élus locaux qui freinent le rajeunissement de la moyenne d’âge de nos maires.
Le texte que nous examinons cet après-midi présente des pistes de réflexion intéressantes en vue d’offrir des garanties aux élus pour qu’ils puissent exercer leur mandat dans de bonnes conditions.
En tout premier lieu, il a le mérite de reconnaître que l’investissement des élus, leur engagement, leurs responsabilités dépassent le cadre du bénévolat. Toutefois, permettra-t-il d’éviter une crise des vocations redoutée à l’occasion du scrutin municipal de 2020 ? Suffira-t-il à remonter le moral des maires que l’on dit découragés et fatigués ? Je n’en suis pas sûr… Les mesures proposées ne couvrent pas toutes les attentes des élus et leur impact financier pour les communes et leurs groupements, ainsi que pour les entreprises, ne semble pas avoir été pleinement mesuré.
Comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, un projet de loi a été annoncé pour l’automne sur ce sujet. Il sera présenté en conseil des ministres dès le mois prochain. Dans cette perspective, il apparaît primordial de trouver les solutions les plus adaptées et de dégager un consensus en poursuivant les concertations avec les représentants des élus locaux. Il sera également important de veiller à ne pas obérer davantage les capacités financières de nos collectivités.
Aussi, dans ce calendrier, cette proposition de loi apparaît comme le préambule d’un débat nécessaire. Beaucoup reste à faire pour aboutir à un projet totalement satisfaisant.
Je voudrais enfin rappeler que le Sénat a adopté, en 2001, un texte présenté par Jean-Paul Delevoye.
Mme Nathalie Goulet. Excellent texte !
M. Joël Guerriau. Nathalie Goulet, présente ce jour-là, avait voté ce texte… (Sourires.)
Il est temps d’avancer et d’aller au bout de cette démarche. Je tiens à remercier le groupe CRCE de cette belle initiative, qui va permettre d’ouvrir un débat fort utile, nécessaire, et qui, je l’espère, aboutira à des décisions concrètes pour les élus qui en attendent beaucoup. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – Mmes Laurence Cohen et Nathalie Goulet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour, je voudrais rappeler que l’organisation territoriale française en un maillage communal est une particularité issue de la Révolution qui doit être sauvegardée du fait de ses nombreux bienfaits en termes de proximité avec les citoyens, de porosité aux problématiques qu’ils rencontrent et de lien social.
Cependant, il aura fallu attendre la loi du 3 février 1992 relative aux conditions d’exercice des mandats locaux pour que le statut d’élu local connaisse une première concrétisation. Cette loi a été complétée par celle du 27 février 2002 et par celle du 31 mars 2015, laquelle comprenait une charte de l’élu local qui affirmait un certain nombre de principes s’apparentant déjà aux conditions d’une bonne gouvernance. Or, dans un contexte marqué par un déclin du civisme et par la complexification de l’exercice des mandats locaux, ces derniers principes doivent absolument s’accompagner des outils et des moyens suffisants pour faciliter l’exercice de ces mêmes mandats.
Au regard du ras-le-bol de nombre d’élus, dont certains ont d’ores et déjà affiché leur volonté de ne pas se représenter en 2020, il est urgent d’instaurer un véritable statut de l’élu local qui permette aux citoyens qui le souhaitent de candidater aux prochaines élections municipales, avec la garantie de pouvoir articuler leur mandat électif avec une vie personnelle et professionnelle.
Toutefois, cher collègue Collombat, si certaines pistes de réflexion proposées par les auteurs de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui sont intéressantes, voire même consensuelles, d’autres soulèvent des difficultés tant sur le plan juridique que financier.
Je ne vais pas trop me répéter : il en va ainsi de l’article 3, qui propose d’étendre l’obligation de formation aux communes de 1 000 habitants et de créer un fonds national pour la formation des élus locaux, lequel serait abondé par les sommes non dépensées des formations complémentaires des communes de moins de 3 500 habitants.
Dès lors, le financement des formations des petites communes serait transféré à un fonds national, faisant remonter les financements du niveau local au niveau national, pour ensuite redescendre au niveau local. Tout cela est un peu compliqué, pour ne pas dire cocasse.
Si, sur un plan théorique, ce type de dispositif pourrait fonctionner à périmètre financier constant – je pense que tel est le souhait des auteurs de ce texte –, il ne garantit pas la stabilité des moyens d’un tel fonds. Dans l’hypothèse où il serait déficitaire, que ferait-on alors pour les communes concernées ?
De même, l’article 2, qui propose d’étendre le congé électif, actuellement réservé aux candidats des conseils municipaux des communes d’au moins 1 000 habitants, aux communes de plus de 500 habitants, appelle à la prudence. En effet, l’extension des garanties prévues pourrait peser, à des degrés divers, sur les finances des entreprises et des administrations qui emploient ces personnes. L’absence d’un salarié peut également être un facteur de désorganisation pour une entreprise, et ce à plus forte raison encore pour une petite entreprise artisanale ou commerciale. Faute de ne pouvoir être mesuré, l’impact de cette mesure pourrait avoir un effet contre-productif.
À ces difficultés, s’ajoutent celles liées à la philosophie française de ce qu’est un élu local. La remise en cause du principe de gratuité des fonctions, telle que proposée à l’article 1er pourrait peut-être conduire à une certaine « professionnalisation » de la fonction élective. Or un mandat local, tout comme un mandat national, ne constitue pas une activité professionnelle, mais un engagement civique au service de la collectivité.
L’indemnité de fonction n’est donc pas une rémunération, mais une compensation devant permettre de couvrir les frais liés à l’exercice du mandat pour ne pas pénaliser ni, a fortiori, décourager les élus. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai déposé une proposition de loi visant à maintenir, au-delà du 1er janvier 2020, les indemnités de fonction des présidents et vice-présidents des syndicats intercommunaux dont le périmètre est supérieur à celui d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et de certains syndicats mixtes.
Malheureusement, l’amendement qui reprenait cette disposition, comme l’a souligné M. Kerrouche, a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. À mon tour, je le regrette vivement. Je ne désarme pas pour autant, et j’espère que ma proposition de loi viendra en discussion avant le 31 décembre, à moins, monsieur le ministre, que vous ne me brûliez la politesse – vous pouvez d’ailleurs le faire avec bonheur, au grand bénéfice des communes.
Principaux artisans du bien-être de nos concitoyens, indispensables relais entre les pouvoirs nationaux et les territoires,…
M. le président. Il faut conclure !
M. André Reichardt. … les élus locaux constituent un organe vital, le poumon de la République, à laquelle ils insufflent leur énergie et leur sens de l’intérêt général. Ce poumon manque aujourd’hui de souffle. J’espère que nos débats…
M. le président. Merci !
M. André Reichardt. … permettront d’adopter au plus vite les mesures nécessaires pour redonner confiance à nos candidats aux élections municipales. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Allizard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien que parfois sévères vis-à-vis de l’action et de l’actualité politiques, les Français demeurent attachés à leurs communes, « cellules de base » de la démocratie, et à leurs maires.
En tant que sénateurs représentant les collectivités territoriales et pour la plupart d’entre nous, exerçant ou ayant exercé des fonctions communales, nous savons mieux que quiconque l’importance des élus communaux, les difficultés du quotidien auxquelles ils sont confrontés, leur responsabilité pénale qui peut être engagée et, plus globalement, le manque d’attractivité du mandat – d’autres orateurs l’ont déjà souligné. Il n’y a pas, selon moi, de mauvais moment pour en parler.
Nous le savons, l’une des réponses à la crise sans précédent des « gilets jaunes » consiste à rebâtir une France plus unie et plus égalitaire à partir du terrain, à partir des territoires, en s’appuyant notamment sur les élus locaux parfaitement au fait des problématiques de leur bassin de vie. Je rappelle d’ailleurs que leurs mises en garde à propos des effets des fractures territoriales sont restées lettre morte. On connaît la suite…
Au moment où le pays a plus que jamais besoin d’eux, nous ne pouvons plus continuer à compter uniquement sur leur bonne volonté et leur dévouement, car, à l’image d’autres serviteurs de l’intérêt général, comme les pompiers, les policiers ou la fonction publique hospitalière, beaucoup d’élus communaux sont las. Certains démissionnent, d’autres ne se représenteront pas. Les territoires les plus fragiles en seront les premières victimes. Dès lors, où et comment trouver des candidats disponibles, dévoués, désintéressés et compétents ? Certaines communes s’inquiètent déjà pour les prochaines élections municipales. Il faut donc les aider, car, comme l’a justement noté le rapporteur, améliorer les conditions d’exercice des mandats locaux constitue une ardente nécessité. C’est ce que propose de faire, bien qu’imparfaitement, la présente proposition de loi par la création d’un statut de l’élu communal assortie de diverses mesures.
De façon générale, l’amélioration des conditions d’exercice des mandats communaux passe d’abord, à mon sens, par des moyens financiers accrus et un arrêt de la pression normative s’exerçant sur eux. Sans ressources suffisantes pour boucler leur budget, sans frein aux normes, l’exercice du mandat s’avérera toujours plus compliqué et éreintant, quelles que soient par ailleurs les mesures prises en faveur des élus.
Dans une étude que j’ai réalisée dans mon département à la fin de l’année 2018, 66 % des réponses des élus – c’est considérable – attestent d’une baisse des dotations. La question financière me paraît d’autant plus essentielle que les pistes de réformes envisageables pour mieux indemniser, former et protéger des élus locaux induisent une hausse des dépenses des collectivités territoriales, comme nous l’a rappelé notre collègue Reichardt.
Les élus ont surtout besoin de stabilité. Les modifications permanentes du cadre juridique et institutionnel dans lequel ils évoluent – SCOT, intercommunalités, fiscalités, modes de scrutin et seuils – sont autant de facteurs de complexité et, souvent, de dépenses supplémentaires. S’y ajoute ce sentiment d’une administration de l’État toujours omniprésente, qui suggère ou dicte aux élus ce qu’ils ont à faire dans un pays pourtant largement décentralisé et alors même que le soutien des services de l’État aux collectivités s’est réduit.
S’agissant précisément des mesures en faveur des élus, je ne crois pas opportun de supprimer le principe de gratuité pour ce qui concerne leurs fonctions, comme cela est proposé par les auteurs de cette proposition de loi. Pour autant, la question du montant de leurs indemnités se pose, notamment dans les petites communes, de même que celle de leur fiscalité, vécue parfois comme complexe ou injuste.
En outre, les élus communaux, en particulier des petites communes, sont ceux qui bénéficient le moins des crédits destinés à la formation.
M. le président. Il faut conclure !
M. Pascal Allizard. L’amélioration des conditions d’exercice des mandats communaux et, plus largement, locaux est un sujet important qui nécessite de poursuivre la réflexion. Le Sénat a déjà beaucoup produit sur le sujet. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Monsieur le ministre, vous m’avez fait savoir que vous souhaitiez répondre aux orateurs. Je vous indique qu’il y a 70 amendements à examiner et qu’il nous reste deux heures trente. Il est sans doute trop ambitieux de penser que nous irons au bout de ce texte aujourd’hui, car, à vingt heures quarante-sept, je serai obligé de lever la séance.
Vous avez la parole, monsieur le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Répondre aux orateurs me permettra de développer plus succinctement l’avis du Gouvernement sur les différents amendements. En outre, nous sommes au début du cycle des travaux avec le Sénat. Il est sans doute utile de préciser quelques éléments qui nous permettront de bien articuler l’action du Gouvernement et les souhaits du Sénat s’agissant de l’engagement des élus.
Je retiens trois types de questions.
La première est culturelle : faut-il créer un « statut » ? C’est la question posée par le sénateur Kerrouche s’agissant d’une éventuelle professionnalisation, ce qui soulève aussi la question de la gratuité et des motifs de l’engagement. Par ailleurs, bien que ce sujet ne me concerne pas en tant que ministre des collectivités territoriales, si on crée un statut pour les élus locaux, la question se posera aussi pour l’engagement syndical ou associatif.
Le deuxième type de questions, souvent mélangé avec le premier type, porte sur les questions pratiques, notamment juridiques et financières. Je le redis, de nombreuses demandes de nos collègues élus locaux ne datent pas d’hier.
Le troisième type de questions concerne la doctrine : que faut-il régler par la loi ? Je l’ai dit bien des fois à l’occasion d’autres propositions de loi, on règle par la loi ce qui concerne l’égalité, pour s’assurer que la même réponse est apportée sur l’ensemble du territoire. Que faut-il régler par d’autres moyens, pour garantir une plus grande liberté ? Le débat opposera donc le plus souvent les notions d’égalité et de liberté, y compris dans le débat sur la différentiation et, plus largement, la décentralisation.
Je l’ai dit il y a quelques instants, messieurs Savoldelli et Kerrouche, je ne souhaite pas faire de politique politicienne concernant le statut de l’élu. Pour votre part, au détour de quelques phrases, vous avez avancé sur ce terrain, en suspectant que le projet de loi à venir serait électoraliste. Vous ne pouvez pas dire que, depuis deux ans, le Gouvernement ne comprend rien à rien aux territoires et qu’il n’entend pas les propositions émanant du Sénat et dénoncer, au moment où il commence à coproduire avec le Sénat sur ces questions, une œuvre électoraliste. Il faut être cohérent ! En tant qu’ancien maire et président de conseil départemental, je peux légitimement dire que, sur le terrain, en tout cas dans l’Eure, les élus locaux attendent des réponses concrètes.
Monsieur le sénateur Kerrouche, vous dites que le Gouvernement découvre aujourd’hui l’existence des élus locaux – j’en suis un ! –, qui auraient été particulièrement maltraités en 2018, notamment par les contrats de Cahors. Il me semble que vous avez la mémoire courte ! J’ai été élu maire en 2014. J’ai donc subi les baisses unilatérales, autoritaires et sans négociation possible des dotations de l’État. Vous les avez votées dans le cadre des projets de loi de finances défendus par le gouvernement précédent. La loi NOTRe, qui a conduit à la mise en œuvre des grandes intercommunalités, à multiplier les irritations des élus locaux, qui se sont sentis dépossédés.
M. Alain Marc. Absolument !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Quant à la métropolisation non complètement aboutie, c’est vous aussi qui l’avez votée, dans le cadre de la loi Maptam.
Vous dites qu’Emmanuel Macron, Édouard Philippe et moi-même sommes responsables du désespoir des élus locaux. La réalité, c’est que les nombreuses modifications législatives que vous avez initiées et votées ont créé du vague à l’âme chez les élus locaux. Nous, nous tentons de trouver des solutions, mais sans big bang ! Moins de politique et plus de pragmatisme, c’est une bonne voie tant pour le Sénat que pour le Gouvernement pour répondre aux élus locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
Vous m’avez enfin interpellé, monsieur le sénateur Kerrouche, au sujet de l’absence de réponse à votre question écrite concernant les démissions. Au nom du Gouvernement, je vous présente mes excuses. Si nous réussissons à avoir les chiffres des démissions par strate avant la fin du débat, je vous les communiquerai. Ne l’oublions pas, il existe plusieurs raisons à ces démissions, je pense notamment au cumul des mandats – je suis dans ce cas. Je veux que le Sénat connaisse ces données importantes. Elles nous permettront de travailler sereinement et éviteront le procès qui m’est fait selon lequel les maires démissionneraient parce qu’Emmanuel Macron est Président de la République. Les maux sont beaucoup plus profonds ; essayons d’y répondre tous ensemble !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre intervention. Il y a certainement dans les propos que vous avez tenus les bases d’un travail en commun au service de nos collectivités territoriales. Vous le savez bien, le Sénat est ouvert à ce dialogue.
Vous l’avez rappelé, vous avez été maire et président de conseil départemental. J’ai le souvenir d’avoir travaillé avec vous au sein du regroupement des cinq départements de Normandie, et je puis attester de votre expérience et de votre proximité avec les élus de votre département et des autres départements, comme celui que je représentais.
À mon avis, vous avez bien fait d’élargir la question, qui ne se limite pas aux conditions d’exercice des mandats locaux. En effet, si le découragement peut conduire un certain nombre d’élus locaux à renoncer à se présenter aux élections de 2020, cela est dû, nombre d’entre nous peuvent en témoigner, aux difficultés de l’action locale, qui s’accumulent depuis bien plus longtemps que l’élection du Président Macron, mais n’ont pas été corrigées depuis lors.
Nous voulons bien croire que votre nomination témoigne d’une prise de conscience. Après les contrats de Cahors, la suppression de la réserve parlementaire et celle, brutale, des contrats aidés dont nos communes se servaient pour les cantines scolaires ou d’autres activités de service très utiles, le Gouvernement actuel est-il tout à fait décidé à lever un certain nombre d’obstacles à l’exercice des libertés locales ? Outre l’amélioration des conditions d’exercice des mandats locaux, c’est ce que nous attendons.
Cela étant, je dois vous l’avouer, l’actualité nourrit chez moi une certaine inquiétude.
Vous m’avez demandé la semaine dernière de vous adresser sous huitaine les propositions du Sénat pour lever un certain nombre de difficultés. Je vous ai adressé toutes les propositions que nous avons faites. Il s’agit non pas uniquement de propositions individuelles ou de la commission des lois, mais de votes intervenus dans notre assemblée. Ainsi, le 13 juin 2018, il y a donc exactement un an, nous avons adopté une proposition de loi visant à restaurer la responsabilité communale à l’intérieur des grands ensembles intercommunaux, à améliorer les capacités d’action des départements pour répondre, notamment, aux problèmes de développement économique qui leur sont soumis.
Nous sommes prêts depuis longtemps. Vous avez sur la table la position du Sénat sur l’évolution nécessaire des dispositions de la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République. Or le Premier ministre, dans son discours de politique générale, a bien évoqué une partie de ce dossier, à savoir les conditions d’exercice des mandats. En revanche, il a paru renvoyer à plus tard, c’est-à-dire après les élections municipales, un travail de fond sur les libertés locales et le problème du millefeuille administratif, tout en évitant, comme vous l’avez dit, le big bang.
Pour nous, c’est une inquiétude. Comment remotiver les Français souhaitant s’engager dans la vie municipale et départementale ? Pourriez-vous éclairer le chemin pour que nous puissions avancer rapidement, mais sans précipitation, puisque la réflexion est sur la table depuis déjà plus d’un an sur certains sujets, voire plus sur d’autres. En effet, il nous semble que le fait de différer les modifications de la loi NOTRe serait une grave erreur par rapport aux attentes de nos collectivités.