compte rendu intégral
Présidence de Mme Hélène Conway-Mouret
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Françoise Gatel,
M. Dominique de Legge.
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Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
La lutte contre la fraude à la TVA transfrontalière
Débat organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, sur le thème : « La lutte contre la fraude à la TVA transfrontalière. »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que l’auteur de la demande du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Yvon Collin, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Yvon Collin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au sein de l’Union européenne, la souveraineté fiscale des États, confortée par la règle de l’unanimité, conduit le plus souvent au chacun pour soi.
Le projet de taxe dit « Gafa » – pour Google, Apple, Facebook et Amazon –, dont nous avons débattu la semaine dernière, est l’illustration la plus récente d’une divergence d’approches entre plusieurs pays européens. Je note toutefois avec satisfaction que la Commission européenne a ouvert, en janvier dernier, le débat sur l’idée d’une transition progressive vers la majorité qualifiée en matière fiscale, ce dont nous nous félicitons.
En attendant, cette absence de convergence entre les politiques fiscales permet soit une concurrence déloyale entre les États membres, soit la mise en œuvre de systèmes d’évasion fiscale.
Aussi, le RDSE a souhaité inscrire à l’ordre du jour de nos travaux la question de la fraude transfrontalière à la TVA, un fléau qui crée un manque à gagner colossal pour les administrations publiques.
En effet, chaque année, la Commission européenne déplore l’ampleur des pertes. Dans son dernier rapport, ce sont près de 147 milliards d’euros qui ont été captés en 2016 par la fraude à la TVA, dont 20 milliards d’euros pour la France. La seule fraude à la TVA transfrontalière s’élèverait à 50 milliards d’euros, soit presque un tiers du budget de l’Union européenne.
Bien que l’écart de TVA ait diminué depuis quelques années, les résultats varient d’un pays à l’autre. La Suède et la Croatie ne perdent que, si j’ose dire, 1 % de leurs recettes théoriques, tandis que l’Italie et la Grèce en perdent respectivement 25 % et 30 %. La France se situe dans une position médiane, avec un écart de TVA resté stable à 12 %, mais le montant de la fraude a tendance à augmenter en valeur absolue.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, s’agissant en particulier de la fraude à la TVA transfrontalière, celle-ci s’appuie principalement sur le système dit « carrousel », une technique assez futée qui implique plusieurs entreprises d’une même chaîne commerciale présente dans au moins deux États membres de l’Union, réalisant entre elles des acquisitions intracommunautaires et des livraisons intracommunautaires et/ou des importations et des exportations.
Finalement, la fraude repose sur le non-reversement à l’État de la TVA par celui qui l’a collectée, un intermédiaire qui disparaît le plus souvent, rendant ainsi impossible le recouvrement de cette taxe. Exploitant les failles des circuits de collecte de la TVA transfrontalière, de véritables sociétés-écrans, encore appelées « sociétés taxis », se sont créées, dont certaines financeraient des activités criminelles, voire terroristes.
Quand on ne cherche pas à récupérer la totalité de la somme à des fins malveillantes, il peut s’agir de commercialiser, en bout de chaîne, des produits à des prix bien sûr nettement inférieurs aux prix du marché officiel, les gains des maillons intermédiaires étant financés par le Trésor du fait du non-reversement de la TVA. Ces pratiques affectent ainsi le fonctionnement normal du marché et créent des distorsions de concurrence pour les opérateurs respectueux de leurs obligations fiscales.
Il est donc urgent, monsieur le ministre, d’agir sur ce front, d’autant que la fraude au carrousel, que je viens d’évoquer, n’est ni nouvelle ni isolée.
On peut également citer les fausses factures liées à la vente de véhicules prétendument d’occasion, qui créent artificiellement de la TVA déductible, ou encore la fraude au régime 42 – celle-ci profite d’une suspension de TVA le temps que la marchandise circule. Cet ensemble d’escroqueries a été mis en place dès le lendemain de la création du marché unique.
Mes chers collègues, d’où vient cette vulnérabilité ?
À l’évidence, l’existence de vingt-huit régimes de TVA différents favorise bien entendu cette situation. N’est-il pas incohérent d’avoir un marché unique sous-tendu par une TVA encore assise sur des frontières ? On ouvre la porte à des fraudes et on complique la vie des entreprises sérieuses au travers de règles de facturation transfrontalières pas toujours simples, je le concède.
Rappelons aussi que le régime actuel de TVA pour les échanges entre les États membres de l’Union européenne date de 1993 et qu’il n’a jamais été corrigé en profondeur. Depuis lors, les échanges commerciaux se sont intensifiés, l’Europe s’est élargie et les communications électroniques se sont accélérées, ouvrant un peu plus le terrain de jeu des fraudeurs.
Dans ces conditions, il n’est pas inutile de rappeler à l’Union européenne ses responsabilités dans ce chantier, et ce d’autant plus que la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales est devenue une priorité pour nombre d’États membres.
Bien entendu – nous le savons pour avoir déjà avoir formulé des propositions en la matière –, la Commission européenne est mobilisée depuis 2016 sur la question de la TVA. À la fin de 2017, elle avait présenté un programme de réforme des règles de l’Union européenne en matière de TVA, qui, selon ses estimations, pourrait réduire de 80 % le montant de la fraude – c’était une bonne proposition.
L’idée générale, que la majorité de mes collègues du RDSE partage, est de mettre rapidement en place un espace de TVA unique à l’échelle de l’Union européenne.
Nous approuvons aussi les quelques mesures techniques simples qui seraient de nature à écarter la fraude : le prélèvement de la TVA directement sur les échanges transfrontaliers entre entreprises, la mise en place d’un guichet unique en ligne permettant à la fois le paiement par les entreprises dans leur langue d’origine et le reversement de la TVA d’un État vers l’État du consommateur final.
Le 22 juin 2018, le Conseil avait approuvé des mesures visant à accroître la coopération administrative, afin de renforcer la lutte contre la fraude à la TVA, notamment par une amélioration de l’échange d’informations ou encore le renforcement du réseau Eurofisc – c’est un début. Mais où en sommes-nous de cette collaboration entre les États membres ?
Nous en sommes bien conscients, je l’ai évoqué en introduction, la règle de l’unanimité ralentit, pour ne pas dire empêche, la mise en œuvre rapide d’une politique fiscale cohérente à l’échelle de l’Union européenne.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que, partout en Europe, les citoyens réclament davantage de justice fiscale et que les gouvernements s’emploient à alléger les impôts sur les ménages, l’Union européenne doit se montrer plus volontaire pour édicter des règles de nature à mieux lutter contre la fraude et pour convaincre de l’intérêt d’une convergence plus forte entre les politiques fiscales.
Tout cela ne dispense pas bien entendu chacun des États membres d’améliorer leurs dispositifs nationaux. À cet égard, vous pourrez sans doute, monsieur le ministre, nous apporter des éclairages utiles, et peut-être faire des annonces, pour enrichir ce débat. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe de l’Union Centriste. – M. Jean Bizet applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-François Husson. M. le ministre monte à la tribune dans un silence de cathédrale… Où sont les marcheurs ?
M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie le groupe du RDSE, notamment le président Requier et M. Yvon Collin, qui s’est exprimé pour son groupe, d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat, un débat heureux tant les enjeux qui y sont associés en matière de finances publiques le justifient amplement.
Je le dis devant le président de la commission des finances et les sénateurs, l’examen du prochain projet de loi de finances nous donnera l’occasion de parler non seulement de la fiscalité locale, mais aussi de la lutte contre la fraude, en particulier d’un « paquet TVA ».
Le débat d’aujourd’hui, la série de questions-réponses et les échanges que nous avons eus dans le cadre des travaux du Sénat, singulièrement les vôtres, ainsi que les interpellations que M. le rapporteur général a faites au cours des deux dernières années nous permettent de prendre langue en vue d’inscrire des mesures dans le projet de loi de finances. Nous ne devons pas uniquement être dans le constat : il nous faut accompagner effectivement les mesures que vous proposez et celles que demande la Commission européenne.
La fraude à la TVA est un phénomène ancien, dangereux pour les recettes de l’État et, il faut bien le dire, protéiforme.
Ce phénomène est dangereux, tout d’abord, pour les recettes.
Vous le savez, l’impôt a été créé dans les années cinquante. Force est de constater que le problème se pose avec d’autant plus d’acuité avec l’instauration du marché unique – vous l’avez relevé vous-même, monsieur le sénateur – et l’augmentation du volume des importations intracommunautaires, réalisée notamment par le commerce électronique et les plateformes numériques, car la fraude est naturellement plus facile dans le cadre d’échanges communautaires, ainsi que vous l’avez rappelé.
Ce phénomène est dangereux, ensuite, pour les recettes de l’État.
Bien qu’elles soient difficilement chiffrables, les pertes de recettes fiscales douanières liées à la manipulation des flux ou à la dissimulation des recettes sont très importantes. De fait, avec un peu plus de 160 milliards d’euros, la TVA constitue la première ressource de l’État et la moitié des ressources fiscales nettes ; elle est d’ailleurs le deuxième prélèvement obligatoire après les cotisations sociales, devant la CSG, la contribution sociale généralisée, et, bien sûr, l’impôt sur le revenu, ainsi que l’impôt sur les sociétés.
Dans son étude annuelle sur le sujet, la Commission européenne a estimé que le manque à gagner de TVA pour la France représentait approximativement 20 milliards d’euros, soit presque 12 % des recettes potentielles que notre pays pourrait compter.
Pour l’Union européenne, le manque à gagner atteindrait plus de 150 milliards d’euros, vous l’avez dit, monsieur le sénateur, soit près de 13 % des recettes des vingt-sept États membres. Nous pouvons nous réjouir dans notre malheur d’avoir à peu près le même manque à gagner que la plupart des pays européens.
Le phénomène est protéiforme, enfin. Pour schématiser, il y a deux grandes familles de fraudes à la TVA.
Il existe une fraude sophistiquée, s’appuyant sur des réseaux complexes, de grande ampleur, parfois proches du crime organisé, comme vous l’avez indiqué, où évoluent de grands délinquants, et qui soustrait par la technique bien connue du carrousel des sommes très importantes aux caisses de l’État.
À l’inverse, ne l’oublions pas, il existe également une fraude diffuse, plus quotidienne, reposant certes sur de petits montants individuels – cela n’en reste pas moins de la fraude –, mais qui représentent des sommes très importantes lorsqu’on les met bout à bout.
En tout état de cause, une chose est sûre : une politique de lutte contre la fraude digne de ce nom, que le Sénat et l’Assemblée nationale souhaitent, tout comme le Gouvernement, ne peut se désintéresser de la fraude à la TVA, cette taxe étant, je le rappelle, notre première recette fiscale. Bien au contraire, ce doit être la préoccupation première. À cet égard, je le répète, je remercie le groupe du RDSE d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour de vos travaux.
La fraude à la TVA est un sujet moins en vue dans le débat public que l’évasion fiscale internationale – moins d’émissions télévisées et moins de titres de journaux y sont consacrés – et l’optimisation agressive des grandes entreprises, un sujet certes important, il faut le relever, et médiatique – les gouvernements successifs ont essayé de faire des choses –, mais qui est peut-être moins important en termes de masses financières. L’audit en cours de la Cour des comptes nous le confirmera peut-être lors de l’examen du projet de loi de finances dont nous aurons à débattre.
Quoi qu’il en soit, traiter un sujet ne signifie pas ne pas traiter l’autre : il importe de s’y employer en même temps, monsieur le sénateur, et je remercie encore une fois le Sénat de s’être intéressé à cette question au travers des travaux de fond conduits par la commission des finances.
Le Gouvernement est pleinement mobilisé, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’échelle européenne, au niveau national et en lien avec le législateur pour changer les choses, dès le projet de loi de finances pour 2020.
Face aux phénomènes que nous avons évoqués, ni nous, membres du Gouvernement, ni les parlementaires que vous êtes, ni l’Union européenne ne restons les bras croisés.
Au niveau communautaire, comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, la Commission européenne est très active sur ces sujets depuis quelques années. Depuis 2015, les services électroniques – musique, logiciels, films – sont imposables dans l’État du consommateur en vertu du principe dit « de destination ».
Pour faciliter les obligations déclaratives des prestataires, un outil de déclaration centralisé, appelé « mini-guichet unique », a été mis en place. Ce système a fait ses preuves, puisque la France a obtenu en 2018 – vous le constaterez lors de l’examen du projet de loi de règlement – plus de 600 millions d’euros de recettes supplémentaires au titre de la TVA. Ce sont autant de fraudes en moins.
Une nouvelle directive relative à la TVA a été adoptée le 5 décembre 2017 par le Conseil de l’Union européenne, pour application à compter du 1er janvier 2021, pour ce qui concerne le e-commerce ; je proposerai que nous y revenions dès l’examen du prochain projet de loi de finances.
Par ailleurs, le Conseil a été saisi en mai 2018 d’une nouvelle proposition de directive visant à instituer un régime définitif de TVA et mettant fin au régime en vigueur depuis le 1er janvier 1993 en matière de flux intracommunautaires de marchandises entre entreprises.
Si les mécanismes prévus dans cette proposition doivent permettre d’éradiquer les schémas de fraudes au carrousel, qui représentent des montants importants, les négociations au Conseil prendront malheureusement du temps, et nous n’en verrons pas les bienfaits tout de suite.
Sachez que le Gouvernement est très mobilisé. Je le sais, Pierre Moscovici l’était également sur ce sujet, nous en avons discuté à plusieurs reprises. Le Parlement européen, à peine élu, s’y intéressera, et la prochaine Commission européenne devra être particulièrement attentive. La France prendra sa part, en vue de faire avancer rapidement les négociations, en dépit de la règle de souveraineté des États que vous avez évoquée.
Toutefois, ce n’est pas parce que les règles de fiscalité doivent être prises à l’unanimité et que cela demande du temps à l’échelle européenne qu’il ne faut pas avancer au niveau national.
Chaque mois, nous organisons une task force de lutte contre les fraudes à la TVA, pilotée par la DGFiP, la Direction générale des finances publiques, qui, sous mon autorité, réunit les grands services que sont la DNRED, la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, le SNDJ, le service national de douane judiciaire, la BNRDF, la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, du ministère de l’intérieur, et le Service national des enquêtes de la DGCCRF, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
Nous prouvons ainsi que les contacts sont permanents entre l’administration fiscale, au niveau central et aux échelons déconcentrés, et les parquets et les services d’enquêtes concernés. De même, nous coordonnons l’ensemble des services qui concourent à la lutte contre la fraude à la TVA. Il s’agit d’un phénomène pluriel et épars.
Divers sont les secteurs concernés : le bâtiment, les véhicules d’occasion, que vous avez cités, les logiciels de caisse programmés – j’ai rectifié quelque peu les mesures importantes prises par l’ancien gouvernement pour lutter contre la fraude à la TVA, afin de ne pas trop embêter nos artisans –, les locations saisonnières, le transport de personnes, les ventes à distance, les logiciels de caisse programmés pour éluder du chiffre d’affaires.
Nombreux sont donc les secteurs dans lesquelles les administrations dont j’ai la charge interviennent et améliorent constamment leurs outils, afin de recouvrer les sommes dues et sanctionner les auteurs de fraude.
Il ne faut pas considérer que les administrations sont trop tatillonnes avec les entreprises – bien sûr, la majorité des entreprises françaises ne fraudent pas – ; elles doivent être présentes pour lutter contre la fraude, afin de rétablir la juste concurrence entre entreprises et de favoriser l’emploi. D’ailleurs, les PME elles-mêmes le demandent, me semble-t-il.
Le sujet nous occupant plus particulièrement aujourd’hui étant la fraude à la TVA transfrontalière, je me contenterai d’évoquer les actions menées spécifiquement contre ce type de fraude ; je ne serai pas long, madame la présidente, car je vois que j’ai consommé mon temps de parole de huit minutes. Je répondrai ensuite aux questions qui me seront posées.
S’agissant de la lutte contre les carrousels de TVA, mes services ont procédé à plus de 350 demandes de suspension de numéro de TVA intracommunautaire pour des sociétés impliquées dans des schémas de carrousels très importants. Nous avons procédé à des signalements au titre de l’article 40 du code de procédure pénale : ceux qui ont été effectués par la DNEF, la Direction nationale d’enquêtes fiscales, ont visé plus de 213 personnes physiques ou morales et vingt-deux enquêtes sont en cours.
S’agissant du contrôle de la TVA intracommunautaire, l’ancien gouvernement a mis en place en 2015 un dispositif permettant aux prestataires de ne pas s’immatriculer à la TVA dans chaque État membre de consommation ; c’est un point très important. Nous étendrons ce dispositif à partir de 2021 ; la DGFiP réalisera, à titre de tests, un plan de contrôles coordonnés sur un échantillon d’entreprises actuellement enregistrées.
Enfin, s’agissant de la lutte contre la TVA à l’import dans le cadre du dispositif d’autoliquidation de la TVA, la DGFiP et les douanes travaillent actuellement à fiabiliser et automatiser le rapprochement des données. À mon arrivée au ministère, j’ai découvert que les douanes et la DGFiP, au sein du même ministère, ne travaillaient pas forcément ensemble en matière d’échange de données…
Nous allons lutter très fortement contre les fausses déclarations à la TVA. Le logiciel de data mining et les rapprochements juridiques permis par la dernière loi relative à la lutte contre la fraude y concourront.
Sur le plan législatif, enfin,…
Mme la présidente. Vous avez très largement dépassé votre temps de parole, monsieur le ministre ! Je rappelle que quinze questions-réponses suivent.
M. Gérald Darmanin, ministre. J’accélère, madame la présidente. J’aborderai les derniers sujets en répondant aux questions.
Permettez-moi simplement de souligner que, sur le plan législatif, les récents débats que nous avons eus lors de l’examen de la loi Fraude, comme lors de celui des deux dernières lois de finances, montrent l’importance de la question du e-commerce.
J’aurai l’occasion d’évoquer ultérieurement les propositions que je formulerai, notamment dans le cadre du projet de loi de finances, et qui seront bien sûr complétées par les amendements des sénateurs. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, je veux tout d’abord vous remercier de l’excellent choix que vous avez fait pour diriger la mission sur la fraude sociale. (Sourires.) J’espère que ma collègue Carole Grandjean et moi-même serons à la hauteur. Je vous remercie également d’avoir respecté les engagements que vous aviez pris en commission des finances.
Lors de votre audition par la commission des finances sur ce sujet, vous aviez indiqué qu’un logiciel de détection précoce de la fraude à la TVA était en place dans votre ministère. La question qui se pose aujourd’hui et que tout le monde va poser est la suivante : comment pouvons-nous harmoniser les procédures au niveau européen, c’est-à-dire renforcer le réseau Eurofisc, bien entendu, ainsi que le partage des données, comme vous venez de le dire ?
Où en êtes-vous de ce logiciel de détection précoce des données ? Comment comptez-vous améliorer encore la coordination avec les pays européens, dans la mesure où il s’agit d’un impôt européen ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. Vous me dites que j’ai fait un excellent choix, madame la sénatrice… C’est le Premier ministre qui vous a envoyé une lettre de mission, mais nous ne pouvons évidemment que partager votre enthousiasme.
Vous m’interrogez sur la coopération européenne. Il est vrai qu’il s’agit d’un impôt européen, que les règles sont européennes et que la question des frontières est essentielle. La fraude intracommunautaire peut être très importante. Pour autant, cet impôt est perçu à l’échelon national.
Je veux le dire devant la représentation nationale – nous aurons de nouveau cette discussion dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances –, la multiplication des taux réduits de TVA ou des taux différenciés favorise parfois la fraude et nuit à l’interprétation du contrôle. On ne peut pas vouloir à la fois lutter absolument contre la fraude et réduire les taux pour de nombreuses raisons, qui sont toujours très bonnes… Je le rappelle, nous avons par exemple réduit le taux de TVA qui est applicable aux droits d’entrée pour la visite des parcs zoologiques.
La douane, bien sûr, et la DGFiP, évidemment, travaillent à la mise en place de ce logiciel. Je lis de temps en temps dans la presse que quelques grandes sociétés estiment étonnant que l’administration ne travaille pas avec elles. Mais ce n’est pas parce que nous ne travaillons pas avec elles que nous ne travaillons pas avec des sociétés d’informatique !
D’ailleurs, les services de l’État ont des données sensibles, parfois secrètes, en lien avec des enquêtes ou qui protègent le secret fiscal ou celui des affaires. Nous devons veiller à ne pas travailler avec les sociétés pour lesquelles nous aurions un doute quant à l’enregistrement et à l’utilisation des données. Ce point, très important, concerne le ministère de l’intérieur, ainsi que les services placés sous mon autorité.
Nous travaillons en coopération avec les pays européens pour avoir un maximum d’informations. Ce chantier est si important que nous devons travailler sur la coopération européenne et sur la coopération au sein de notre ministère.
Je l’ai rappelé précédemment, le rapprochement numérique et le rapprochement des fichiers sont essentiels pour les douanes et la DGFiP, pour que ces services exploitent ces données. Toutefois, nous aurons sans doute l’occasion de vous rassurer, madame la sénatrice, lors de l’examen du prochain projet de loi de finances.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, je n’étais pas du tout inquiète ! Ma question était liée non pas au contrôle, mais au suivi du travail en cours, car la tâche est immense – nul n’en doute – et le sujet vraiment très important.
Le logiciel de data mining est sûrement très bien, et je n’ai aucune raison de privilégier une société plus qu’une autre. D’ailleurs, vous avez bien fait d’évoquer la question des données sensibles.
Par ailleurs, l’avènement d’un parquet européen devrait permettre de multiplier les procédures engagées au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, que vous avez évoquées, et d’harmoniser au niveau européen le suivi de ces procédures.
En effet, il n’y a pas de fraude transfrontalière sans coopération. Il conviendra donc de travailler sur la coopération judiciaire, qui est une question très importante. À cet égard, il faudra disposer de plus de personnels encore.
Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’invention de Maurice Lauré est aujourd’hui l’une des premières sources de recettes fiscales en Europe. Elle constitue près de la moitié de celles de l’État français.
La TVA est aussi devenue l’objet de fraudes très rentables : selon Europol, elle est la première ressource du crime en Europe, devant le trafic de drogue.
La création du marché unique européen a permis à la fraude, notamment à celle de type carrousel, de se développer, vous l’avez dit, monsieur le ministre. Les fraudeurs profitent de l’exonération de la livraison intracommunautaire et jouent sur les délais de recouvrement de la TVA. Ils parviennent alors à se faire rembourser une taxe qu’ils n’ont jamais payée.
En 2016, ce sont 147 milliards d’euros qui auraient dû être collectés au titre de la TVA, mais qui ont échappé aux États membres. Le montant de cette fraude est monumental ; il faut y voir un manque à gagner considérable pour les gouvernements européens, et donc pour les contribuables, mais aussi des sommes astronomiques détournées par des réseaux mafieux, parfois même terroristes. Des fraudes à la TVA organisées en Scandinavie ont ainsi concouru au financement d’activités terroristes d’Al-Qaïda !
Il est urgent de réagir, mais les États européens peinent à se mobiliser sur un sujet qui requiert l’unanimité. L’Union a fait un premier pas avec la mise en place de l’outil d’analyse des réseaux de transactions, ou TNA, que l’on vient d’évoquer.
Ma question est donc simple : monsieur le ministre, pensez-vous que cet outil permettra de réduire significativement la fraude et d’appréhender les auteurs de ces infractions ?