M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Pierre Leleux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la nuit du 15 au 16 avril dernier, l’incendie de Notre-Dame de Paris a submergé nos cœurs d’une émotion collective simultanée, dans une communion – osons le dire – jamais constatée dans l’histoire.
Dans les minutes qui ont suivi, un extraordinaire élan de générosité se manifestait et les dons affluaient des quatre coins du monde. Cette « brûlure à l’âme » révélait – ou réveillait – cette perception intime de notre conscience profonde que Notre-Dame de Paris représentait plus qu’un monument historique traditionnel, mais aussi le symbole de notre civilisation européenne quelque peu enfoui au fond de nos mémoires.
Il était légitime que le Président de la République, partageant cette émotion populaire unanime, s’exprimât rapidement. C’est – et l’on peut le comprendre – sous l’effet d’une forte émotion qu’il affirma : « Nous rebâtirons Notre-Dame, dans un délai de cinq ans, plus belle encore. »
Il n’en fallut pas plus pour que l’émotion, jusqu’alors consensuelle, se transformât en une polémique clivante sur les délais annoncés, le parti architectural qui allait présider à cette restauration, les risques d’un concours international pour reconstruire la flèche de Viollet-le-Duc, l’idée d’un « geste architectural contemporain », les matériaux qui seraient utilisés, etc.
Le Sénat, vous le savez, monsieur le ministre, a toujours manifesté une grande vigilance sur les sujets patrimoniaux, à la recherche d’un consensus sur toutes les travées, estimant que l’héritage commun que nous avons entre les mains devait échapper aux combats politiciens et partisans, le patrimoine légué par les générations qui nous ont précédés méritant respect, sérénité et humilité.
C’est, une fois encore, ce que nous avons fait, attentifs au débat public, en nous référant à l’histoire exceptionnelle et universelle de ce vénérable monument et en le resituant dans son contexte paysager au cœur de Paris, celui-là même qui avait conduit à la reconnaissance du site « Paris, rives de la Seine » au patrimoine mondial de l’Unesco.
Il en est résulté un vote quasi unanime de la commission de la culture, après le remarquable travail effectué par le rapporteur Alain Schmitz, la présidente Catherine Morin-Desailly et l’ensemble de ses membres, travail auquel je veux associer également la commission des finances, en la personne de son rapporteur pour avis, Albéric de Montgolfier, et de son président Vincent Éblé.
Je souscris en tout point à l’exposé que vient de faire M. le rapporteur dans cette discussion générale.
Je souhaite simplement insister sur trois éléments d’appréciation, plus personnels peut-être, qui marquent de façon plus volontariste encore mon souhait de voir restituer le monument de Notre-Dame dans un état le plus proche possible de celui dans lequel il était la veille du sinistre.
Le premier point concerne la reconstruction dite « à l’identique ». Je mesure l’ambiguïté de cette expression, mais je souhaite, à l’instar d’une majorité d’historiens et de spécialistes du patrimoine, qu’elle soit respectée autant que possible.
C’est la raison pour laquelle je demande, non seulement une « restitution visuelle », expression qui figure actuellement dans le texte, mais également une restitution respectueuse de l’état architectural antérieur au sinistre, y compris dans les matériaux utilisés.
Nous avons une opportunité extraordinaire de valoriser les compétences et les savoir-faire exceptionnels de nos experts et artisans du patrimoine, une occasion unique d’organiser une opération d’envergure européenne qui permettra de transmettre ces savoir-faire, dans l’esprit du compagnonnage, et, ce faisant, de revaloriser le travail manuel noble, pour lequel nous commençons à manquer de vocations.
Puis-je vous rappeler, monsieur le ministre, que vous avez déposé, au nom de la France, à l’Unesco, il y a tout juste deux mois, aux côtés de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Norvège et de la Suisse, une candidature au patrimoine culturel immatériel de l’humanité portant sur « les techniques artisanales et les pratiques coutumières des ateliers des cathédrales en Europe » ?
Quant aux matériaux, il appartiendra au maître d’ouvrage de nous prouver que l’usage du bois, des pierres et même du plomb est incompatible avec les nécessités contemporaines.
Nous disposons de l’ensemble des documents d’archives détaillant très précisément la disposition et l’agencement de tous les éléments constitutifs du monument à la date du sinistre.
Le deuxième point concerne l’opérateur qui sera maître d’ouvrage délégué. Je ne comprends pas qu’il soit nécessaire de créer un opérateur dédié à la restitution de Notre-Dame. Cet opérateur existe déjà : il s’agit de l’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture, l’Oppic, dont c’est précisément la mission. Ce dernier a opéré et opère encore sur d’importants chantiers touchant des monuments historiques majeurs, chantiers dans lesquels il a su démontrer son expérience et sa compétence.
Et je ne vois pas pourquoi, au moment même où le Premier ministre demande que des opérateurs de l’État soient supprimés, nous en créerions un nouveau alors que nous avons ce qu’il faut.
Le troisième point concerne bien entendu l’article 9, qui prévoit de déroger par ordonnances aux règles de droit commun en matière d’urbanisme, d’environnement, de commande publique et de préservation du patrimoine.
J’ai tremblé, monsieur le ministre, quand j’ai entendu Mme Sibeth Ndiaye, porte-parole du Gouvernement, déclarer juste après la conférence de presse du Président de la République, que le but était « d’accélérer les travaux » !
Vous comprendrez, monsieur le ministre, combien ce type de déclarations, quand il s’agit de notre patrimoine, qui plus est de Notre-Dame de Paris, peut soulever de légitimes inquiétudes.
Convaincu que ces règles, notamment dans le domaine de la protection du patrimoine, ne sont nullement un frein à l’exécution des travaux, que tout l’arsenal réglementaire existe déjà dans nos textes, y compris la possibilité de raccourcir les délais, je me réjouis de la suppression de cet article 9 par la commission de la culture, sur proposition de notre collègue rapporteur Alain Schmitz.
Je reviendrai sur ces points lors de l’examen des articles, mais je pense très sincèrement que cette thèse est celle qui permettra de satisfaire le mieux le vœu du Président de la République de voir le chantier achevé dans un délai de cinq ans.
En conclusion, je pense comme vous, monsieur le ministre, qu’il sera nécessaire de consulter régulièrement la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, pendant la phase de projets comme durant l’exécution du « chantier du siècle ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Schmitz, rapporteur, applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
La parole est à M. le ministre, qui souhaite apporter quelques éléments de réponse pour clore la discussion générale.
M. Franck Riester, ministre. Monsieur le rapporteur Alain Schmitz, la rapidité du dépôt de ce projet de loi s’explique avant tout par la volonté d’avancer vite sur les dispositifs fiscaux spécifiques que nous entendons instaurer.
Mais, puisque nous ne disposions pas de tous les éléments pour préciser directement dans le texte les quelques exceptions que nous souhaitons prévoir, nous avons proposé de travailler par voie d’ordonnances. Je déposerai d’ailleurs un amendement pour réintroduire dans la loi le fameux article 9.
Nous prendrons le temps qu’il faudra pour restaurer Notre-Dame. Nous voulons faire une restauration exemplaire. J’ai bien aimé votre expression : « une ambition au service d’une mobilisation », telle est précisément l’ambition du Président de la République quand il fixe ce cap des cinq ans. Toutefois, je l’ai dit et répété, nous ne mélangerons jamais vitesse et précipitation.
De plus en plus d’éléments nous incitent à créer un établissement public présidé par le général Georgelin, qui prendrait vraisemblablement la forme d’un établissement public administratif, un EPA, plutôt que d’un établissement public industriel et commercial, un EPIC, comme je l’avais envisagé en commission.
Vous dites ensuite que nous rejetons d’office la restauration à l’identique. Absolument pas ! Nous voulons simplement ne pas trancher à ce stade, pour ne pas fermer la porte à un beau débat patrimonial.
Jean-Pierre Leleux souhaite que la cathédrale soit restaurée sur le modèle voulu par Viollet-le-Duc. C’est un choix parfaitement respectable. D’autres pensent au contraire qu’il faut accomplir un nouveau geste architectural sur la flèche.
Regardons les propositions et, ensuite, tranchons, après avoir consulté les experts, les spécialistes, les architectes en chef des monuments historiques et tous ceux qui, de près ou de loin, connaissent ces questions. Faisons vivre ce beau débat national et, le moment venu, décidons, après avoir consulté nos compatriotes, bien évidemment.
Ce chantier devra naturellement être la vitrine de notre savoir-faire français. Nous avons la chance d’avoir une histoire exceptionnelle en matière de restauration du patrimoine, des entreprises, des experts et des spécialistes reconnus dans le monde entier. Il faut que nous puissions mettre en avant ce savoir-faire, notamment pour inciter les plus jeunes à s’orienter vers ces métiers de la restauration.
C’est la raison pour laquelle, avec Muriel Pénicaud et Jean-Michel Blanquer, j’ai souhaité lancer ces fameux « Chantiers de France ». Nous voulons profiter de l’émotion suscitée par l’incendie et de cet éclairage sur la restauration du patrimoine pour promouvoir auprès des jeunes les formations conduisant à ces métiers. Ils sont passionnants, valorisants et offrent de nombreux débouchés, car ils souffrent d’un important manque de main-d’œuvre.
Il faut aussi saisir cette occasion pour mieux faire connaître les savoir-faire français et européen. Nos amis européens se sont mobilisés, par solidarité avec la France, et tant mieux si des spécialistes européens peuvent ensuite être reconnus dans le monde entier.
Monsieur de Montgolfier, j’ai toujours un peu de mal avec l’opposition que vous semblez dessiner entre l’État et les donateurs. N’oublions pas que les financements de l’État se composent, au final, de l’argent des contribuables.
L’État ne veut pas s’exonérer du financement de la restauration du patrimoine en s’appuyant uniquement sur les donateurs. Mais nous n’allons pas non plus casser cet élan de générosité au motif que l’État devrait absolument payer.
Je vous rejoins en revanche sur votre volonté d’éviter tout effet d’aubaine fiscal, même s’il me semble que nous en sommes loin. Au travers du mécanisme de réduction d’impôt lié au mécénat, l’État contribuera de toute façon à la restauration de Notre-Dame de Paris.
Il est clair également que, si jamais les moyens étaient insuffisants, l’État les compléterait. Et d’ores et déjà, depuis le 15 avril au soir, c’est bien l’État qui finance la restauration de la cathédrale, au travers de la DRAC d’Île-de-France, en liaison avec la direction générale des patrimoines, la DGPAT, et les architectes en chef des monuments historiques.
Pour moi, il ne s’agit pas d’une loi d’exception, mais d’une loi destinée à répondre à une situation véritablement exceptionnelle, laquelle exige une adaptation très circonscrite de notre dispositif. Il ne s’agit absolument pas de revenir sur les fondamentaux de notre droit en matière de préservation du patrimoine, d’archéologie, de préservation de l’environnement ou de procédures de marchés publics.
M. Vincent Éblé. Beaucoup d’exceptions sont pourtant prévues !
M. Franck Riester, ministre. Nous n’avons pas pu finaliser dans le projet de loi toutes les exceptions que nous voulions définir. Je comprends donc que l’on puisse s’interroger sur les limites de celles-ci, mais vous verrez, lorsque vous débattrez du contenu des ordonnances – je me suis engagé devant l’Assemblée nationale à inscrire leur ratification à l’ordre du jour –, que les exceptions sont très limitées.
Monsieur Assouline, je pense comme vous que tout ce qui est insignifiant doit être écarté, mais, en l’occurrence, il n’y a pas de loi d’exception !
Comme vous, madame Jouve, je crois qu’il doit y avoir un beau débat patrimonial. Pour autant, comme vous l’avez dit, il ne doit pas forcément être tranché de manière législative.
Madame Morin-Desailly, non, il n’y a pas « d’urgence imaginaire ». Notre-Dame de Paris, avec 14 millions de visiteurs, est le monument le plus visité de France. De nombreux fidèles veulent aussi récupérer leur cathédrale, et l’incendie a suscité une émotion exceptionnelle dans l’opinion. Il est donc important d’aller à bon rythme pour que, le plus rapidement possible, sans que la qualité et les règles en vigueur en souffrent, nous puissions rendre Notre-Dame de Paris aux fidèles et aux visiteurs. Ce monument est exceptionnel, et l’événement qu’il a subi l’est également.
Nous devons donc adapter les dispositifs pour permettre la meilleure restauration possible.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. Nous sommes d’accord.
M. Franck Riester, ministre. Bien évidemment, nous sommes en lien permanent et étroit avec l’Unesco, les rives de Seine étant classées au patrimoine mondial. Nous rencontrerons d’ailleurs très prochainement des représentants de cette organisation pour faire le point.
Monsieur Bignon, oui, il faut savoir faire preuve d’audace ! Nous ne retiendrons peut-être pas les audaces qui seront proposées par les architectes, mais nous ne souhaitons pas trancher la question dans l’immédiat. Par ailleurs, vous avez bien résumé l’enjeu : à monument exceptionnel et situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle !
Comme toujours, monsieur Gattolin, votre analyse juridique est pertinente. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) J’approuve vos propos sur la charte de Venise et sur l’Unesco et je vous remercie d’appeler de vos vœux un beau débat patrimonial.
Monsieur Ouzoulias, oui, les relations sont bonnes entre l’Hôtel de Ville, le diocèse et le ministère, aujourd’hui comme hier. Les sapeurs-pompiers de Paris, le ministère de la culture, l’Hôtel de Ville et le diocèse avaient l’habitude de travailler ensemble et de faire des exercices d’évacuation. Les sapeurs-pompiers savaient exactement où se trouvaient les œuvres à l’intérieur de Notre-Dame, et c’est ainsi qu’elles ont pu être sauvées.
Quel que soit le dispositif organisationnel retenu, nous aurons à associer très étroitement l’affectataire, à savoir le diocèse, et la mairie de Paris.
Quant à la possibilité de créer un établissement public, il ne s’agit absolument pas de déposséder le ministère ou de contourner ses équipes, cet établissement public étant bien évidemment placé sous la tutelle du ministère de la culture.
Monsieur Retailleau, si vous voulez conserver l’unité nationale et le rassemblement dont vous parliez, évitez de nous faire des procès d’intention. Nous souhaitons mener une restauration exemplaire, dont nous pourrons collectivement être fiers. Nous voulons associer tous les experts, les professionnels, les parties prenantes, les parlementaires et les Français à cette restauration. Nous ne voulons pas nous affranchir de toutes les règles ni bâcler la restauration sous prétexte qu’il faudrait aller vite.
Il est faux, par ailleurs, de dire que nous n’accordons pas de crédit aux architectes en chef des monuments historiques. Depuis un mois et demi, moi-même, mes équipes proches et des membres du cabinet de la direction générale des patrimoines sommes en contact quotidien avec Philippe Villeneuve, l’architecte en chef des monuments historiques, et les trois autres architectes qui œuvrent avec lui.
Nous ne pouvons que vanter la qualité de leur travail. Je ne cesse de le dire à tous ceux qui viennent visiter Notre-Dame ou qui nous demandent comment se passe la restauration. Contrairement à ce que vous laissez entendre, monsieur Retailleau, nous faisons confiance à Philippe Villeneuve et à ses équipes !
Par ailleurs, pourquoi faudrait-il toujours se fier au passé ? Il faut aussi faire confiance au présent et à l’avenir. Nous verrons s’il faut accomplir ou non un geste architectural, et la décision sera prise avec nos compatriotes.
Ne renvoyons pas la préservation du patrimoine à un conservatisme absolu. Jean-Pierre Leleux, vous êtes président de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture. Vous savez bien que, régulièrement, la question d’apports architecturaux contemporains se pose, et que la décision finale ne consiste pas toujours à ne rien ajouter et ne rien changer.
Ces questions sont à la base de toute restauration du patrimoine. Posons-les, débattons-en et tranchons. Refuser par principe un tel débat ne nous permettrait pas ensuite d’être collectivement fiers des choix que nous ferons. Or Notre-Dame de Paris le vaut bien ! (M. André Gattolin applaudit.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi pour la conservation et la restauration de la cathédrale notre-dame de paris et instituant une souscription nationale à cet effet
Article 1er
Une souscription nationale est ouverte à compter du 15 avril 2019 pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Elle est placée sous la haute autorité du Président de la République française.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, sur l’article.
Mme Catherine Dumas. Monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’occasion de l’ouverture de la discussion sur cet article 1er, et dans le prolongement de la discussion générale, je forme le vœu que nos débats conduisent le Gouvernement à réviser considérablement les orientations fixées, sans doute sous le coup de l’émotion, par le Président de la République
Monsieur le ministre, la souscription lancée par la Fondation du patrimoine, visée dans cet article 1er, est un succès indéniable, qui nous oblige. En effet, dans un récent sondage Odoxa, 72 % des Français se montrent très opposés à une loi d’exception pour Notre-Dame. C’est un fait.
Ils sont nombreux, y compris sur nos travées au Sénat, vous l’avez compris, à vouloir aussi que le monument garde à terme son allure, son profil et retrouve sa silhouette si familière.
Par ailleurs, le principe d’égalité appelle le législateur à un respect scrupuleux du bloc de constitutionnalité, notamment du principe selon lequel la loi doit être la même pour tous : si la loi est trop lourde, si elle est inadaptée, compliquée, alors nous devons la modifier, mais pour tous et sur tout le territoire ! Dans le cas contraire, il faut faire avec l’existant. C’est possible, qu’il s’agisse de la création d’un établissement public, des déductions fiscales ou encore d’un assouplissement des règles d’urbanisme.
Pour conclure, et en d’autres termes, monsieur le ministre, ne placez pas Notre-Dame « hors-la-loi » en dérogeant au code du patrimoine. Le monde entier nous regarde ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Éblé, sur l’article.
M. Vincent Éblé. Monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi doit répondre à une situation exceptionnelle, sans se transformer en projet de loi d’exception. Il a vocation à permettre une réparation optimisée et diligente de la cathédrale Notre-Dame de Paris à la suite de l’incendie du 15 avril dernier.
J’accueille pour ma part favorablement l’idée émise par ce texte de créer un établissement public ad hoc, qui associera l’ensemble des partenaires : Ville de Paris, culte affectataire, mais aussi organismes collecteurs des dons, singulièrement le Centre des monuments nationaux, en charge de longue date de l’accueil payant du public dans les tours et parties hautes de la cathédrale. Il me semble également pertinent que les trois fondations privées siègent dans ce conseil d’administration, car elles seules peuvent représenter les donateurs. Je proposerai un amendement en ce sens.
Je souhaite souligner qu’accepter la création d’un tel établissement public dédié ne préjuge pas de l’application des règles relatives aux procédures traditionnelles en matière de travaux sur monuments historiques. Bien entendu, nous exprimons notre refus de déroger aux règles légales et réglementaires des codes de l’urbanisme, de l’environnement, du patrimoine et des marchés publics. Si nous avons adopté ces règles dans notre droit positif, c’est qu’elles ont leur utilité !
Que diront demain d’autres maîtres d’ouvrage, publics ou privés, parisiens ou provinciaux, si l’on déroge ici, mais pas pour eux ?
Cette disposition d’exception porte en elle le risque d’un détricotage de notre droit. C’est un danger inacceptable, non seulement pour notre patrimoine historique – les professionnels ont massivement exprimé leur opinion à ce sujet –, mais également pour notre urbanisme, nos paysages, notre protection écologique et la lutte contre tout favoritisme et toute corruption.
Sur la question fiscale, je suis assez favorable à l’idée de passer de 66 % à 75 % de déductibilité jusqu’à 1 000 euros de dons. Ce geste n’impactera que très légèrement les recettes de l’État, dans la mesure où les recettes de TVA lors de la facturation des travaux seront pour leur part très importantes au regard des montants nécessaires à la restauration de l’édifice.
Je terminerai mon propos en évoquant les fondations collectrices de dons, singulièrement la Fondation du patrimoine. Le remplacement de la collecte pour Notre-Dame de Paris par un appel aux dons « Plus jamais ça ! » de nature généraliste au bénéfice d’une multitude de monuments en grave péril est destiné à protéger les missions traditionnelles de ladite fondation, puisque, des quatre organismes habilités à recueillir les dons de la souscription nationale, elle est la seule à bénéficier exclusivement de dons privés dans le champ unique de la protection du patrimoine.
Les très nombreux correspondants bénévoles et délégués départementaux et régionaux de la fondation ont fait valoir le risque que leurs missions traditionnelles ne bénéficient plus des soutiens financiers nécessaires pour d’innombrables autres monuments qui souffrent dans la grande diversité de nos territoires, singulièrement ruraux – nous ne pouvons pas les oublier !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, sur l’article.
M. Jean-Pierre Leleux. L’article 1er ouvre la voie à la mise en place d’une souscription nationale. On peut imaginer qu’aujourd’hui cette souscription est relativement cristallisée et que les montants dont elle bénéficiera ne bougeront plus beaucoup.
Dans la discussion de cet article, nous constaterons, monsieur le ministre, notre désaccord sur la date d’effet de la déductibilité fiscale, mais nous sommes bien entendu d’accord pour accompagner cette souscription. L’afflux de dons a été à la fois surprenant et réconfortant et a révélé l’émotion et la solidarité des Français autour de ce monument inestimable.
On ne connaît pas encore le coût futur du chantier, ce qui est parfaitement normal – les différentes évaluations demanderont encore quelques mois –, mais le débat est déjà ouvert sur la question de l’éventuel différentiel, en plus ou en moins, qui pourrait à terme être constaté entre le montant des travaux et les sommes collectées. Des mesures adaptées devront être prises pour respecter l’intention des donateurs, née de l’émotion et spontanée, car ce qui se prépare ne va pas nécessairement dans le sens de cette intention.
Nous devons donc déjà travailler sur cette question du différentiel, ce que nous allons faire lors de l’examen de ce texte. Nous le savons, la masse des dons pourrait dépasser le coût du chantier, ce qui a suscité des initiatives : pourquoi ne pas financer, avec le solde, les quelque quatre-vingts autres cathédrales qui appartiennent à l’État, les abords ou les petites églises rurales – un amendement a été déposé en ce sens ? Nous devons prendre le temps d’y réfléchir et de mesurer précisément les flux de recettes et de dépenses afin de clarifier les choses.
Sur l’aspect financier, je me permettrai deux remarques. Tout d’abord, ce serait quand même la première fois qu’un monument historique appartenant à l’État serait totalement financé par des donateurs privés. Ensuite, en ce qui concerne l’aspect fiscal et au-delà de la question de la déductibilité, il me paraît assez utile de rappeler que les travaux qui seront exécutés apporteront d’importantes recettes de TVA à Bercy.
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, sur l’article.
M. André Gattolin. L’élan de générosité qui s’est manifesté en France et partout dans le monde témoigne de l’intérêt et, surtout, de l’amour que chacun d’entre nous porte à cet édifice, quelle que soit sa région, sa nation, sa confession ou sa culture.
Ce projet de loi propose d’établir un cadre légal pour recueillir les dons, en ouvrant une souscription nationale placée sous la haute autorité du Président de la République. Dès le 15 avril au soir, sur le parvis de Notre-Dame, le Président de la République a déclaré qu’une souscription nationale serait ouverte dès le lendemain, c’est-à-dire le 16 avril.
Afin de rester fidèle à l’engagement pris ce soir-là, il convient de maintenir la date d’ouverture de la souscription nationale au 16 avril, ce qui constitue déjà une mesure rétroactive.
Même si des cagnottes ont été créées dès le lundi soir, la date retenue est celle du versement. Or, dans la majorité des cas, il a eu lieu plus tard, ce qui le rend éligible à la réduction d’impôt prévue à l’article 5 du projet de loi.
Par ailleurs, cette disposition respectera, quoiqu’il arrive, l’égalité entre les personnes ayant fait des dons. Des règles comptables seront mises en place pour faire en sorte que les personnes ayant fait des dons le lundi 15 soient éligibles à la déduction prévue.
C’est pour ces raisons que nous souhaitons revenir à la rédaction initiale du projet de loi. D’ailleurs, le Conseil d’État n’a pas mis en cause ce choix ni le fait que la souscription nationale était placée sous la haute autorité du Président de la République. En outre, étant donné le caractère exceptionnel de cette disposition, il a estimé qu’elle ne méconnaissait pas les règles constitutionnelles.
Enfin, d’autres projets de loi ouvrant une souscription nationale font office de jurisprudence en la matière.
C’est pourquoi le groupe La République En Marche votera l’amendement n° 61 déposé par le Gouvernement qui rétablit la rédaction initiale de cet article.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. Dans la suite de la discussion générale, je tiens à ajouter quelques éléments que je n’ai pas pu développer et qui me semblent centraux.
Tout d’abord, en ce qui concerne la souscription, je ne trouve absolument pas normal que la défiscalisation ne bénéficie qu’aux personnes qui paient l’impôt sur le revenu, en oubliant tous les autres donateurs qui ont, eux aussi, agi avec cœur et enthousiasme et sans esprit de calcul, ce qui n’est peut-être pas le cas de tout le monde… Procéder ainsi entraînera une inégalité fiscale, l’État étant même, finalement, moins reconnaissant envers les plus défavorisés qui ne paient pas l’impôt sur le revenu – certes, ils n’attendaient aucun retour de leur geste ! C’est pourquoi le groupe socialiste a déposé un amendement pour transformer ce dispositif en un crédit d’impôt, ce qui permettra de réintroduire une forme d’égalité dans ce texte.
Ensuite, il n’était évident pour personne que la souscription allait servir à la reconstruction de Notre-Dame et à celle de ses abords immédiats. Or certains ne le savent pas, mais l’esplanade qui, pour tout le monde, fait partie intégrante du monument n’est pas la propriété de l’État, ce qui pose la question du financement des événements qui seront organisés pendant la durée des travaux, notamment par la Ville de Paris, pour accueillir, malgré tout, les visiteurs. Ces animations pourraient avoir lieu sur le parvis, dans le square Jean-XXIII ou dans le parking souterrain – des œuvres habituellement situées dans la cathédrale pourraient par exemple y être exposées. Nous avons donc déposé un amendement pour préciser que les dons pourront aussi financer les aménagements des abords immédiats de la cathédrale.