M. le président. Il faut conclure, monsieur le rapporteur !
M. Alain Schmitz, rapporteur. Dans un article paru la semaine dernière, le Sénat était décrit comme « le dernier rempart de la démocratie patrimoniale en danger ». Nous aurons à cœur de défendre cette position au cours de l’examen de ce projet de loi. De ce point de vue, les amendements que le Gouvernement a déposés, qui tendent purement et simplement à rétablir le texte de l’Assemblée nationale sans prendre en compte un seul des apports du Sénat, ne laissent pas de nous inquiéter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des finances.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Alain Schmitz vient de poser la bonne question, la seule qui nous intéresse en fin de compte : si l’événement a été exceptionnel par son retentissement et a porté sur un monument exceptionnel par sa notoriété, fallait-il pour autant une loi d’exception ?
Évidemment, la réponse est non, car les dispositions en vigueur permettent de répondre aux conséquences matérielles de l’incendie du 15 avril. Elles permettent de faciliter la restauration la plus rapide possible en s’appuyant sur le formidable élan de générosité qu’ont eu les Français, même si celui-ci reste à se concrétiser puisque 90 % des dons annoncés sont encore à l’état de promesses.
Vous avez néanmoins souhaité, monsieur le ministre, défendre un projet de loi d’exception. Il prévoit la mise en place d’une souscription nationale, la possibilité de créer un nouvel établissement public, ainsi qu’une majoration exceptionnelle de la réduction d’impôt sur le revenu pour les dons des particuliers, autant de dispositions qui ont justifié la saisine pour avis de la commission des finances. La commission de la culture nous a d’ailleurs délégué au fond l’examen des articles 4, 5 et 5 bis.
Avant d’aborder le détail du texte, permettez-moi de faire quelques remarques liminaires.
Premièrement, ce texte confirme malheureusement, en creux, l’insuffisance des moyens budgétaires alloués à la préservation du patrimoine. L’État ne serait pas en mesure de faire face seul à la restauration de Notre-Dame de Paris. C’est d’ailleurs le mécénat qui finançait, déjà, en partie les travaux antérieurs à l’incendie, dont le coût s’élevait à environ 60 millions d’euros.
Deuxièmement, le recours à la souscription nationale s’inscrit dans un contexte fiscal défavorable aux dons – la commission des finances s’est penchée sur cette question. L’augmentation de la CSG, la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, en impôt sur la fortune immobilière, l’IFI, et la mise en œuvre du prélèvement à la source ont entraîné une diminution globale de la générosité publique, chiffrée à 4,2 %. Comme mon collègue, j’en appelle à la vigilance à cet égard dans le cadre du prochain projet de loi de finances.
Troisièmement, ce texte révèle malheureusement une triple défiance : défiance à l’égard du ministère de la culture et des acteurs traditionnellement engagés dans la préservation du patrimoine ; défiance à l’égard du législateur, qui n’est pas invité à choisir entre l’établissement public ou l’État – mais nous allons l’y inviter ; défiance à l’égard des fondations reconnues d’utilité publique, dont le rôle est réduit à celui de guichet d’enregistrement des dons.
Enfin, ce texte suscite un certain nombre de réserves puisque 72 % des personnes interrogées lors d’un sondage seraient aujourd’hui opposées à ce qu’elles considèrent comme une loi d’exception.
Par ailleurs, un certain nombre d’incertitudes subsistent, vous l’avez dit, monsieur le ministre, sur la dépense fiscale associée aux dons et sur le coût réel des travaux.
En revanche, on sait désormais que, même si le texte qui nous a été soumis n’était pas explicite sur ce point, un établissement public devrait être chargé de concevoir et de coordonner les travaux. La commission des finances comme la commission de la culture ont mis en cohérence le projet de loi avec cette situation, d’autant qu’une telle structure aurait pour mérite de centraliser les financements et d’associer toutes les parties prenantes aux travaux de restauration de la cathédrale. Le choix de l’établissement public implique cependant de bien encadrer cette nouvelle structure, ce que nous allons faire. C’est dans cette optique que, conformément à l’engagement que j’ai pris devant la commission de la culture, j’ai déposé un amendement tendant à limiter sa durée à la période des travaux de restauration de la cathédrale postérieurs à l’incendie.
En accord avec la commission de la culture, nous avons précisé la date d’ouverture de la souscription nationale, en retenant le 15 avril 2019, date à laquelle ont été enregistrés les premiers dons.
Nous avons par ailleurs, toujours en accord avec la commission de la culture, souhaité imposer la signature de conventions entre les organismes collecteurs des dons et l’établissement public afin d’assurer le respect de l’intention du donateur. Nous avons également prévu – c’est un point important – un versement progressif des fonds collectés en fonction de l’avancée des travaux et après transmission d’une estimation de la nature et des coûts de ceux-ci. Les fondations reconnues d’utilité publique ayant l’expérience de la gestion des dons, il faut se reposer sur elles.
La commission des finances a également clarifié le dispositif prévu à l’article 4 relatif aux versements des collectivités territoriales, en précisant que ceux-ci devraient être considérés comme des dépenses d’investissement. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, mais il faut l’inscrire dans la loi.
À l’article 5, nous avons accepté une majoration, avant tout symbolique – limitée à 1 000 euros –, et porté de 66 % à 75 % le taux de déductibilité des dons. La commission des finances a récrit le dispositif sans modifier le fond.
Par ailleurs, nous avons souhaité que le rapport prévu à l’article 5 bis soit recentré sur le seul champ fiscal. Ce document serait transmis chaque année.
Enfin, nous avons entendu assurer le suivi de la gestion de l’établissement public, sans préjudice du contrôle des commissions des finances de nos deux assemblées.
Monsieur le ministre, j’étais aujourd’hui même à Illiers-Combray, où vous vous êtes rendu il y a deux semaines. J’ai déjeuné avec des maires d’Eure-et-Loir : tous m’ont demandé de déposer un amendement visant à étendre le bénéfice de l’article 9 à tous leurs chantiers en cours. Ainsi, le maire de Meslay attend depuis cinq ans l’intervention de la DRAC concernant une porte, un autre maire attend pour des vitraux. Soit on supprime l’article 9, soit on l’étend à l’ensemble des monuments historiques et on instaure une exception générale. Telle est la demande des maires d’Eure-et-Loir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. David Assouline. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur – je vous félicite pour votre travail sérieux et bienveillant, sauf sur un point essentiel, sur lequel nous reviendrons –, mes chers collègues, alors que Notre-Dame de Paris brûlait, même ceux qui voyaient les images en direct, si cruelles, ne voulaient et ne pouvaient y croire. Cette cathédrale n’était donc ni éternelle ni invincible. Tout était bien réel pourtant ; insupportable, mais réel. Nous nous sentions impuissants.
Les pompiers, eux, agissaient avec héroïsme, faisaient ce qu’ils savent et doivent faire, avec professionnalisme et avec un immense courage. Et ils ont sauvé Notre-Dame, presque miraculeusement. Merci à eux, encore mille fois merci. Merci également aux services du ministère de la culture et aux services de la Ville de Paris, qui ont su vite mettre à l’abri non seulement les œuvres, mais aussi les riverains.
On a tout dit ensuite de l’émotion partagée dans le monde entier et du formidable élan de solidarité qui a suivi. Les dons n’ont attendu aucun ordre ni aucune date de départ pour affluer. L’unanimité républicaine fut tout de suite au rendez-vous.
Oui, il s’agissait de notre histoire, universelle, gravée dans le beau et dans la pierre, tant et si bien que notre pays, en guise d’hommage, plaça l’auteur des Misérables en tête des ventes de livres durant de nombreuses semaines après l’incendie. En communiant avec Victor Hugo, les Français montraient que Notre-Dame est de Paris, mais qu’elle appartient à toute la France et qu’elle vit dans le cœur et dans les yeux du monde entier.
Oui, nous débattons aujourd’hui d’une grande cause culturelle, car il s’agit de création, d’architecture, de patrimoine historique. Ce n’est pas seulement l’affaire d’une religion ou d’un homme, fût-il Président de la République. C’était et c’est notre affaire, notre histoire, notre patrimoine, celui de notre humanité.
Disons-le d’emblée : nous sommes amenés à débattre d’un projet de loi pour reconstruire la cathédrale Notre-Dame de Paris, pas la cathédrale « Notre-Dame de l’Élysée » ! (Sourires.) Nos débats et notre délibération ne peuvent répondre à une injonction, encore moins à un caprice.
Tout ce qui est dérisoire doit être écarté, une si grande dame ne mérite pas cela ! On ose nous demander de retenir, pour la défiscalisation des dons, la date du discours présidentiel, comme si tout avait commencé avec lui et par lui. On nous demande même de reculer l’âge limite pour le poste de responsable de l’établissement public dédié à ce chantier, la personnalité déjà choisie par le Président de la République, fort respectable au demeurant, ne remplissant pas les conditions d’âge légal.
Alors, d’accord pour faire une loi exceptionnelle, mais pas pour faire une loi d’exception ! Tout ce qui est attentatoire à notre droit et à nos codes patiemment construits pour préserver les règles d’urbanisme, protéger l’environnement et, bien entendu, notre patrimoine doit être écarté. Nous connaissons tous les contraintes, les procédures parfois tatillonnes et les délais qui peuvent s’éterniser. À l’État de mettre toute sa capacité d’action et de conviction pour que tout soit parfaitement anticipé, coordonné, organisé et financé. Il peut même mettre en œuvre les procédures d’urgence prévues dans la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, la loi NOTRe, auxquelles la Ville de Paris a déjà eu recours pour la tour Eiffel.
Mais enfin, ou l’État juge ses règles et ses codes mauvais, auquel cas il propose d’en changer, ou ils les trouvent bons et il nous propose de les respecter. Il y va de l’autorité de l’État et du ministère de la culture dans les prochaines années, pour chaque aménagement, chaque construction, chaque reconstruction, chaque restauration.
Le respect des règles est non seulement la condition pour qu’elles soient encore respectées demain, partout sur notre territoire, mais aussi pour que la reconstruction soit de qualité artistique et durable. Nous le devons à ce monument hors du commun : s’il a pu vivre 855 ans, c’est parce que ceux qui l’ont bâti y ont mis le soin et le temps nécessaires pour faire du bel ouvrage.
Personne ne peut bien entendu mépriser l’envie légitime de nos contemporains, en particulier des donateurs, de revoir de leur vivant Notre-Dame de Paris telle qu’ils l’ont connue. Personne ne peut bien entendu être indifférent au souhait de dizaines de millions de touristes qui visitent Paris chaque année de voir encore cette merveille.
Donc, oui, les architectes du patrimoine les plus chevronnés le disent : en cinq ans, il est parfaitement possible d’ouvrir le bas, pour le culte et les visites, et même, et tel est notre souhait, de créer à l’extérieur un véritable musée-atelier des œuvres et de la reconstruction de Notre-Dame. Pour cela, il faut que des moyens soient donnés, avec la Ville de Paris, pour que les abords soient compris dans la reconstruction.
Oui, cinq ans pour que Notre-Dame soit sécurisée, rouverte et pour qu’on puisse la visiter, c’est possible. En revanche, il n’est pas sérieux de dire que le chantier serait achevé dans son ensemble d’ici à cinq ans, comme l’a réaffirmé le Président de la République vendredi.
En conclusion, monsieur le ministre, renoncez aux dispositions dérogatoires au droit que votre ministère – c’est son objet même, sa raison d’être – est chargé de faire respecter. Je sais que vous partagez cette philosophie. La culture a passé l’âge du bon vouloir du Prince, pour devenir démocratique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’incendie survenu le 15 avril dernier au sein de la cathédrale de Paris a suscité une forte émotion. Celle-ci témoigne du profond attachement de chacun à la richesse du patrimoine français, dont Notre-Dame est l’un des éléments les plus remarquables.
Au travers de cette émotion, l’exécutif semble avoir perçu une attente, celle que soient le plus rapidement possible effacées les traces de ce sinistre, dont les conséquences auraient pu être beaucoup plus destructrices sans le professionnalisme et la célérité des pompiers parisiens.
Dès le 16 avril, le Président de la République a souhaité s’exprimer dans le cadre d’une allocution télévisée. Alors qu’aucun diagnostic n’est établi, que l’intégrité des murs de l’édifice n’est pas encore totalement assurée, le chef de l’État déclare sa volonté de voir la restauration du monument achevée d’ici à cinq années.
Pierre Dac disait que rien ne sert de courir si l’on n’est pas pressé. En effet, l’immédiateté, pour laquelle notre époque a un goût peut-être trop prononcé, n’est pas nécessairement un gage de bonne gouvernance. Si certaines situations appellent des réponses rapides, le chantier qui va s’ouvrir sur l’île de la Cité ne justifie aucun empressement particulier de notre part.
Cette opinion est partagée par la quasi-totalité des groupes politiques du Sénat, qui ont porté des amendements de suppression de l’article 9 lors de l’examen du projet de loi en commission.
Toutes dérogations ou adaptations s’appliquant aux règles d’urbanisme, de protection de l’environnement, de voirie et de transport, ainsi qu’aux règles de commande et de domanialité publiques, nous apparaissent très inopportunes. Un tel biais créerait un précédent dangereux en matière de restauration.
Aucune contrainte temporelle ne s’impose en outre à nous, en tout cas aucune contrainte qui ait été portée à notre connaissance. Si le Gouvernement dispose d’éléments que nous ignorons, nous serions heureux qu’il les évoque au cours de notre débat.
Quant au débat sur une possible évolution architecturale de l’édifice, nous estimons qu’il n’est pas de nature parlementaire. Même si nous sommes profondément attachés à la silhouette de cet édifice et de sa flèche, indissociable du cœur historique de Paris, nous gardons à l’esprit que le site de Notre-Dame s’est inscrit dans un continuum tout au long de son histoire, des Romains jusqu’à nos jours.
Nous savons également à quel point ce type de débat, portant sur l’évolution d’un édifice d’une si grande notoriété, peut-être clivant au sein de la société. Il y a trente-cinq ans, lorsqu’il a été question d’implanter une pyramide de verre au sein de la cour du plus grand palais d’Europe, également témoin de 800 ans d’histoire, le débat fut âpre – on parla de « degré zéro de l’architecture », on lança un « appel à l’insurrection » –, mais le résultat final a convaincu plus d’un sceptique.
Aussi, je pense qu’il ne nous revient pas de nous prononcer sur ce point, sur lequel notre opinion compte après tout autant que celle de chaque Français.
Sur les conditions de mise en œuvre de la souscription, le RDSE défendra une proposition allant à contre-courant de celles qui ont été formulées jusqu’ici. En effet, le relèvement à 75 % du taux des déductions fiscales octroyées aux particuliers jusqu’à 1 000 euros ne nous paraît pas se justifier.
Tout d’abord, ce taux représente encore un régime d’exception. Même si nous ne sommes pas arrivés au terme de la souscription et que nous ne connaissons pas l’estimation du coût de la restauration à venir, les projections laissent à penser que les fonds collectés seront suffisants. Il n’apparaît donc pas nécessaire d’essayer de stimuler un élan qui est déjà remarquable par son ampleur.
Ensuite, nous sommes favorables, dans un souci d’équité fiscale, à la proposition de M. Éblé de créer un crédit d’impôt afin que l’État puisse accompagner chaque Français, imposable ou non, dans cet effort.
Il ne nous semble pas cohérent, d’un côté, de repousser cette proposition, en arguant de son coût pour l’État, comme l’a fait le Gouvernement à l’Assemblée nationale, et, de l’autre, de majorer une déduction d’impôt qui représentera, au bout du compte, également un coût supplémentaire pour l’État. Aussi, nous demanderons le maintien du taux de déduction de 66 %.
Nous sommes conscients que le Premier ministre a rapidement proposé un taux de 75 % et que, jusqu’à présent, les donateurs ont effectué leur démarche en ayant à l’esprit ce cadre élargi, mais nous connaissons aussi les difficultés budgétaires actuelles de l’État et leurs conséquences sur la vie quotidienne des Français. Si ce taux majoré n’a pas de pertinence, si ce n’est celle de venir grossir un catalogue de mesures d’exception, nous n’y souscrirons pas.
Le Président de la République, dès le lendemain du sinistre, a appelé à l’union nationale, suspendant la restitution des conclusions du grand débat qu’il avait lancé.
Monsieur le ministre, lors de leurs travaux, les commissaires à la culture du Sénat ont fait preuve d’une belle unité sur leurs propositions, même s’ils ont émis quelques rares réserves. J’ai la conviction que cette harmonie va se poursuivre au cours de notre débat aujourd’hui. Il est essentiel, si le Sénat s’accorde une nouvelle fois sur une proposition rassemblant le plus grand nombre d’entre nous, que les discussions avec nos collègues députés sur une rédaction commune soient animées du même esprit.
La renaissance de Notre-Dame n’a pas de marqueur politique. L’unité que le chef de l’État a appelée de ses vœux à la suite de ce sinistre doit aussi se traduire par une vision commune à l’ensemble de la représentation nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes très chers collègues : « J’ai voté contre le projet de loi sur la restauration de Notre-Dame de Paris, car la loi en question est à la fois inutile et toxique, dans la mesure où, au nom d’une urgence imaginaire, elle remet en cause toutes les garanties procédurales et parlementaires visant à la préservation du patrimoine et de l’environnement. » (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)
Ces propos très sévères à l’endroit du texte que vous venez de nous présenter, monsieur le ministre, émanent non pas de votre opposition, mais de Jean-Louis Bourlanges, un parlementaire aguerri de votre majorité à l’Assemblée nationale. Comme cet ancien collègue de ma région, pour lequel j’ai beaucoup de considération, et bien d’autres, je ne pense pas que les Français souhaitent que l’on malmène l’État de droit.
Le Gouvernement a fait le choix de répondre à l’événement exceptionnel qu’a constitué cet incendie par le dépôt immédiat d’un projet de loi de dérogations : dérogations au code de l’urbanisme et de l’environnement, au code des marchés publics et au code du patrimoine. Cela donne le sentiment que notre pays ne disposerait ni de l’organisation, ni de l’expertise, ni des outils pour faire face à un chantier d’une telle dimension.
Je comprends mal la défiance qui transparaît dans la plupart des dispositions de ce texte à l’égard de la capacité du ministère de la culture à assumer ce chantier de restauration. Sans la qualité et l’engagement quotidien de ses personnels, sans la formation dispensée au sein des écoles placées sous sa tutelle, la réputation de notre pays dans ce domaine ne serait pas la même.
Nous avons vu avec quelle réactivité les équipes du ministère, de la DRAC et de la Ville de Paris sont intervenues pour mettre à l’abri les œuvres de la cathédrale. Elles sont à pied d’œuvre depuis le 15 avril pour parer à la situation d’urgence impérieuse. Nous voulons ici leur rendre hommage, ainsi bien sûr qu’aux pompiers, qui ont empêché le pire.
Que vous vouliez aller vite, pourquoi pas, au regard de l’émotion qu’a suscitée ce sinistre et de la nécessité de mobiliser autour de ce chantier ; à condition que cela reste un objectif et non pas un impératif.
M. Pierre Ouzoulias. Bien sûr !
Mme Catherine Morin-Desailly. Je constate que, grâce à la générosité de très nombreux donateurs, nous aurons la chance de disposer de fonds considérables, qui permettront d’avancer vite. Mais s’il est important, l’argent ne fait pas tout. Il faut en effet effectuer un énorme travail de déblaiement, de dépollution, de sécurisation et de diagnostic, auquel se sont déjà attelées les équipes.
À cet égard, il faudrait méditer cette phrase de l’auteur de Notre-Dame de Paris, Victor Hugo, « Le temps est l’architecte et le peuple est maçon », pour comprendre que nous ne sommes, artisans comme décideurs, qu’un des petits maillons de la chaîne de l’histoire de la construction et de la restauration des cathédrales. Il en va ainsi depuis le Moyen Âge !
J’insiste, monsieur le ministre, car on ne peut ignorer ce qui constitue le socle de notre système de protection du patrimoine.
Difficile au Sénat de ne pas penser au rôle joué au XIXe siècle par Prosper Mérimée, celui-là même qui confia le chantier de Notre-Dame de Paris en 1843 à Viollet-le-Duc lorsqu’il occupait les fonctions d’inspecteur général des monuments historiques. Son action trouva son aboutissement en 1913 avec la loi sur les monuments historiques, dont de nombreuses dispositions sont encore aujourd’hui en vigueur et ont été modernisées et approfondies, il y a trois ans, dans le cadre de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. Je rappelle que Prosper Mérimée a été sénateur…
Cet héritage a déjà été mis à mal l’an passé par la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, la loi ÉLAN. Un coup fatal pourrait lui être porté si les dérogations qui figuraient à l’article 9 venaient à être rétablies. Des dérogations, il y en a eu, justifiées par la situation d’« urgence impérieuse ». La loi les permet, mais elles ne sont pas censées perdurer.
Comment garantir ensuite le respect de ces règles par les autres propriétaires de monuments historiques si celui qui les édicte, l’État, s’en affranchit pour mener l’un des chantiers les plus emblématiques de France ? Comment comprendre, s’agissant de l’application du code des marchés publics, qu’il puisse y avoir deux poids deux mesures ?
Oui, ce chantier doit être exemplaire, par respect pour toutes celles et tous ceux qui ont partagé une même et profonde émotion, pour les donateurs aussi, petits et grands, qui ont répondu massivement à l’appel de la souscription.
Je veux rappeler que Notre-Dame a constitué un élément déterminant pour justifier l’inscription, en 1991, du site « Paris, rives de la Seine » au patrimoine mondial de l’Unesco. Il est très étonnant que ce classement n’ait pas été pris en compte dans le projet de loi, sans doute par précipitation. Je remercie donc le rapporteur d’avoir corrigé cet oubli et rappelé ses implications.
Notre législation, particulièrement complète et protectrice, a été jusqu’ici mise en avant par les autorités auprès de l’Unesco afin de garantir que la valeur universelle exceptionnelle de « Rives de la Seine » serait correctement protégée. Suspendre l’application d’un certain nombre de dispositions pourrait constituer une menace pour le maintien de l’inscription de ce bien.
Le chantier nécessite de l’humilité, de l’expertise et de la méthode. Il est important de laisser aux spécialistes, aux architectes, aux ingénieurs, aux artisans du bâtiment le temps de poser un diagnostic, pour savoir ce qui pourra réellement être fait.
Personnellement, je crois que, globalement, les Français veulent retrouver leur cathédrale, la silhouette familière de sa flèche dans le ciel de Paris. S’il n’appartient pas au législateur de définir les choix architecturaux ou techniques, il lui revient de rappeler les obligations d’en préserver l’« authenticité » et l’« intégrité » : tels sont les termes figurant dans les textes en vigueur. Cela signifie aussi qu’il faut prendre en compte l’inscription de Notre-Dame dans un paysage urbain préexistant, défini, qui inclut un certain nombre d’édifices à remettre en perspective, dont la Sainte-Chapelle.
Je veux insister sur le rôle essentiel et pivot de l’architecte en chef du monument, Philippe Villeneuve, et de son équipe, sous l’égide duquel toute décision devra être prise. La Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, présidée par notre excellent collègue Jean-Pierre Leleux, doit par ailleurs être étroitement associée à ce chantier, du début à la fin.
Enfin, nous pensons que le chantier doit aussi être une occasion de valoriser les métiers du patrimoine, dont plusieurs sont menacés, faute de vocations, même s’il n’y a pas aujourd’hui de risque de pénurie sur le chantier.
Le chantier durera le temps qu’il doit durer. La partie dédiée au culte pourrait être rouverte dans cinq ans, peut-être même à la visite, nous dit-on. Les travaux qui se poursuivront devront être l’occasion de renouer avec cette grande tradition qui permettait jadis aux maîtres d’œuvre et à l’ensemble des métiers de montrer leurs savoir-faire au public. Ces métiers ont de l’avenir, à condition que l’on veille précisément à ce que les délais de réalisation du chantier ne viennent pas déstabiliser une filière dont le rôle pour l’économie de nos territoires ne doit pas être négligé.
Ce secteur est constitué de petites entreprises qui se trouveraient, de fait, écartées si des dérogations permettaient de recourir à des marchés globaux au lieu d’allotir le chantier. Il faut aussi articuler le chantier de Notre-Dame avec les autres chantiers de restauration, en cours ou planifiés sur le territoire de l’Hexagone, pour ne pas priver ces derniers de la main-d’œuvre nécessaire.
Mes chers collègues, le drame de l’incendie de Notre-Dame peut donc être transformé en une véritable opportunité. Il peut être le laboratoire d’une restauration exemplaire, fondée sur l’excellence française, qui sera observée dans le monde entier.
Je n’ai pu aborder, hélas ! au nom du groupe Union Centriste, tous les aspects de ce texte, mais nous faisons confiance aux deux rapporteurs. Qu’ils soient sincèrement et chaleureusement remerciés, car les délais qu’ils ont eus pour travailler étaient complètement fous.
De la même manière, je salue l’ensemble de mes collègues de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, qui, en dépit des délais impartis, se sont considérablement impliqués, de jour comme de nuit, ces sept dernières semaines.
Oui, monsieur le ministre, ce texte a été préparé non dans l’urgence, mais dans la précipitation. Nous avons senti que, à l’Assemblée nationale comme ici, au Sénat, le Parlement était en réalité quelque peu écarté de la grande réflexion nécessaire à tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)