M. Loïc Hervé. Eh oui !
M. Jean-François Husson. Madame la ministre, si vous voulez continuer à créer des fractures entre les Français et les territoires, si vous voulez démembrer notre pays, si vous voulez affaiblir la position de l’État, continuez ainsi ! L’État est là pour développer une vision, une stratégie, et pour garantir le respect des libertés et l’équité entre les territoires.
M. Pierre-Yves Collombat. C’est fini, c’était avant !
M. Jean-François Husson. Je vous le dis très tranquillement, madame la ministre, aujourd’hui, le Gouvernement n’est pas au rendez-vous : il n’est pas au rendez-vous des territoires ni au rendez-vous des responsabilités !
Vous faites fausse route. Levez le crayon, il n’est pas trop tard ! Laissez un peu de temps au grand débat et offrez à la représentation nationale, ainsi qu’à l’ensemble des élus des territoires, un moment de répit pour poser les choses, examiner les sujets, construire la France de demain et lui permettre d’avancer, ce qui se fera non pas en la démembrant, mais en la rassemblant !
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, sur l’article.
M. Marc Laménie. Ce débat est particulièrement important et ce texte suscite beaucoup de réactions tout à fait légitimes. À cet égard, je souhaite envoyer un message de respect à tous mes collègues de la commission des lois, en particulier à son rapporteur et à son président.
On a malgré tout du mal à s’y retrouver. On nous demande de faire confiance, mais c’est tout de même au Parlement de décider. Malheureusement, même si on nous parle du grand débat, on s’aperçoit que l’on fait des amalgames sur beaucoup de sujets, souvent en raison d’une méconnaissance de nos institutions.
Dans le département que je représente, les Ardennes, anciennement département de Champagne-Ardenne, on a défendu la région Grand Est et le choix de Strasbourg comme capitale. Chaque département a son histoire, sa géographie et ses spécificités. Il est question ici d’aménagement du territoire, de soutien à nos territoires et d’identité.
Désormais, il y a les grandes collectivités régionales et les conseils régionaux, d’un côté, les préfectures de région, les ARS et les grandes administrations, de l’autre : pour s’y retrouver, ce n’est pas simple. Il est vraiment temps de bien poser tous les sujets, en essayant de restaurer la confiance, notion sur laquelle je me permets d’insister.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures quinze, est reprise à vingt-trois heures vingt.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 8 est présenté par M. Masson et Mme Kauffmann.
L’amendement n° 139 est présenté par M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour présenter l’amendement n° 8.
M. Jean Louis Masson. Pierre-Yves Collombat a évoqué, à très juste titre, l’exemple de la loi NOTRe en soulignant le fait que tout le monde s’en plaint, alors que tout le monde, ou quasiment, l’a votée. Il a tout à fait raison : quand le Sénat s’est prononcé sur ce texte, nous n’avons été que quarante-neuf sénateurs sur trois cent quarante-huit à voter contre.
Nous nous sommes retrouvés à peu près dans la même situation avec la loi de redécoupage des régions. J’ai écouté les interventions des uns et des autres : la quasi-totalité des sénateurs ici présents semble hostile à la fusion autoritaire des régions qui a été mise en œuvre, et paraît considérer qu’il ne s’agissait pas d’une bonne opération. Tout le monde affirme que ce texte est une erreur, mais, alors que nous avons l’occasion aujourd’hui de la réparer, personne ne veut le faire !
C’est exactement comme pour le vote de la loi NOTRe ! C’est un double langage perpétuel que je trouve personnellement tout à fait désagréable. En effet, on a parfaitement le droit d’être pour la loi NOTRe, mais on doit l’assumer ! Il ne faut pas venir pleurer après l’avoir votée ! C’est la même chose pour la fusion complètement aberrante et autoritaire des régions : on a tout à fait le droit d’y être favorable, mais il ne faut pas faire semblant de la critiquer, alors qu’on fait tout pour la préserver.
Je partage le point de vue de Pierre-Yves Collombat. La meilleure solution serait de construire une organisation territoriale avec un minimum de cohérence, sans créer tout un tas de cas particuliers un peu partout, et tout en respectant l’identité des collectivités, comme c’est le cas pour l’Alsace.
Je le répète : on n’aurait pas besoin de faire tout ce que l’on fait aujourd’hui si on n’avait pas voté cette loi complètement débile de fusion des régions ! Si on veut donner satisfaction à chacun, il faut revenir en arrière et ne pas se contenter du misérable bricolage que le Gouvernement nous propose.
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour présenter l’amendement n° 139.
M. Pascal Savoldelli. J’ai défendu mon point de vue avec passion et véhémence, mais j’ai aussi écouté mes collègues, dont MM. Darnaud et Husson. On verra bien ce que la ministre nous répondra en temps voulu.
En réalité, ce texte est un ballon d’essai sur le devenir des territoires de notre pays, qui n’offre aucune garantie d’égalité entre l’Alsace et les autres collectivités.
Mes chers collègues, on peut tout à fait émettre des votes différents : ce n’est pas un problème. En revanche, je vous le dis solennellement, si nous adoptons ce texte, le Gouvernement nous expliquera d’ici peu que nous avons déjà mis un pied dans la révision constitutionnelle. Pour ma part, je préfère discuter de la vérité et non des mensonges : alors, débattons de la révision constitutionnelle en échangeant de manière respectueuse et argumentée sur toutes les travées de l’hémicycle, comme nous le faisons à chaque fois.
Par ailleurs, ce projet de loi est mal préparé. Le Gouvernement devra justifier de l’utilisation de la procédure d’habilitation à légiférer par ordonnance aux articles 9 et 10.
D’un côté, il nous explique qu’une déclaration a été signée à Matignon, que tout est réglé, qu’il existe une aspiration si générale des Alsaciens que je me demande pourquoi on en débat. Quand on a une telle confiance, pourquoi prévoir de légiférer par ordonnance ? Vous sentez la confiance, mes chers collègues ? Vous sentez l’aspiration majoritaire des Alsaciens et des Français à cette évolution ?
Enfin, comme l’ont évoqué plusieurs intervenants, n’aurait-il pas été préférable de tirer tous les enseignements de la loi NOTRe, plutôt que de polémiquer et de se renvoyer la balle d’un quinquennat à l’autre ? J’ai une petite expérience d’élu départemental, même s’il s’agit de quelques années dans un département urbanisé de la région Île-de-France. Ce que j’aurais souhaité avant tout, c’est que l’on réattribue la compétence générale aux deux départements alsaciens.
Je suis persuadé que le fait de rétablir cette compétence générale dans les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, bien que les exécutifs aient une étiquette politique qui n’est pas du tout la mienne, leur aurait permis d’imaginer des politiques innovantes. J’aurais préféré que l’on agisse ainsi plutôt que de nous présenter un projet de loi qui, je vous le répète, pose déjà les jalons d’un débat sur la révision constitutionnelle. On s’en souviendra dans quelques mois.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission est défavorable à ces deux amendements.
L’article 1er est au cœur de la réforme et du projet de loi dont nous débattons aujourd’hui.
M. Pascal Savoldelli. Tout à fait !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Il donne au département d’Alsace la qualité de chef de file en matière de coopération transfrontalière en prenant en compte, comme j’ai eu l’occasion de le dire, les spécificités et les particularités alsaciennes, ainsi que les liens tout naturels de l’Alsace avec l’Allemagne et la Suisse.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est naturellement défavorable à ces amendements.
Je veux rappeler que le Gouvernement présente ce projet de loi à la demande des Alsaciens. Après qu’un rapport a été remis par le préfet de région, ceux-ci ont souhaité que les deux départements fusionnent pour former une seule collectivité, la Collectivité européenne d’Alsace. Je précise que cette fusion s’inscrit parfaitement dans le cadre de la loi actuelle, et qu’elle se fait à droit constant, monsieur le sénateur Savoldelli. Le Conseil constitutionnel a validé cette analyse.
Nous répondons aujourd’hui à la demande des Alsaciens en proposant de créer une Collectivité européenne d’Alsace, qui aurait bien sûr les compétences d’un département, mais aussi des compétences qui lui seraient données eu égard à son caractère transfrontalier et à sa situation spécifique.
J’ai entendu quelques orateurs soulever les problèmes que connaissent d’autres régions frontalières,…
M. Loïc Hervé. Ils existent !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. et c’est tout à fait normal, monsieur le sénateur. D’ailleurs, nous n’entendons évidemment pas réserver à l’Alsace – le traité d’Aix-la-Chapelle le rappelle – la spécificité des relations transfrontalières. Ainsi, un projet de loi autorisant un accord entre la France et le Luxembourg sur le renforcement de la coopération en matière de transports transfrontaliers a été présenté en conseil des ministres il y a quelque temps.
Nous serons attentifs à toutes les demandes formulées par les autres départements frontaliers, au-delà de la seule Alsace. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Savoldelli. Voilà la réalité !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Cette démarche est tout à fait légitime. D’ailleurs, plusieurs représentants de départements sont déjà venus me solliciter et m’en parler.
Mais, aujourd’hui, nous parlons de la création de la Collectivité européenne d’Alsace.
Mme Catherine Troendlé. Tout à fait !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement a accompagné les Alsaciens dans leur désir d’avoir une seule collectivité alsacienne et les soutiendra jusqu’au bout ! (Mmes Fabienne Keller et Patricia Schillinger applaudissent.)
M. Jackie Pierre. C’est grotesque !
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Madame la ministre, je ne peux pas vous accuser de mentir : c’est l’aveu ! Je vous en remercie ! Après le débat sur le « désir d’Alsace », vous venez de nous dire que n’importe quel département pourra dorénavant demander des compétences spécifiques, au nom d’un particularisme ou d’une frontière, par exemple.
Or je ne veux pas être désobligeant avec vous,…
M. Pascal Savoldelli. … mais vous connaissez la France au moins aussi bien que moi, voire sûrement mieux, et vous devez savoir que notre pays a beaucoup de frontières !
Vous venez donc de nous dire – il fallait que cela sorte, à onze heures et demie du soir ! – que, en réalité, l’on ne discute pas du sujet mis sur la table par le Gouvernement, mais que vous nous faisiez avaliser une révision constitutionnelle visant à mettre en place, demain, le droit à la différenciation, à subdiviser la République et à permettre des appellations comme la communauté d’Europe du Val-de-Marne, du Nord ou de je ne sais où ! (Mme la ministre proteste.)
Voilà ce que vous venez de dire, et c’est un aveu, madame la ministre ! Vous avez été dans le mensonge en préparant ce projet de loi ; vous n’avez pas dit la vérité ! Et, maintenant, vous avouez être sur toute autre chose.
Vous essayez de nous diviser, de faire diverger nos opinions quand elles sont convergentes ! C’est l’entreprise que vous avez engagée, y compris avec le soutien d’une sénatrice dont je ne peux pas vraiment dire si elle s’est exprimée en tant que sénatrice ou en tant que candidate de La République En Marche aux élections européennes. (Mme Patricia Schillinger s’exclame.)
Mme Fabienne Keller. Voilà qui est élégant…
M. Pascal Savoldelli. Nous, nous avons un temps de parole limité !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Je ne comprends pas très bien votre argumentaire, madame le ministre.
Vous nous dites être d’accord pour écouter les demandes qui pourraient émaner d’autres départements. Mais le département de la Moselle a délibéré, notamment pour demander des pouvoirs identiques sur les questions transfrontalières – l’Allemagne est frontalière de l’Alsace et de la Moselle ; cette dernière est voisine de l’Allemagne et du Luxembourg, comme l’Alsace l’est de l’Allemagne et de la Suisse. Or, madame le ministre, vous n’avez jamais répondu !
Le Gouvernement se moque du monde ! Vous vous moquez de nous quand vous nous annoncez que vous examinerez les demandes. Les demandes, vous les avez ! Le jour où ce projet de loi est voté, vous les mettrez toutes à la poubelle. Il ne faut pas prendre les gens pour des imbéciles !
On est en train de nous enfumer, mes chers collègues. Le Gouvernement n’enfume pas que les Alsaciens ; il enfume tout le monde ! Il nous dit de ne pas nous en faire, que nous aurons droit à tout ce que nous voudrons… Une fois le vote passé, nous n’aurons plus droit à rien du tout, et on nous enverra promener ! Mes chers collègues, ne croyez pas que les Basques pourront avoir satisfaction, pas plus que les Alsaciens ou que d’autres !
C’est se moquer du monde ! Pourquoi la Moselle ne serait-elle pas la Collectivité européenne de Moselle ? Nous en avons fait la demande au niveau du conseil départemental. Comment se fait-il, madame le ministre, que vous n’en parliez pas ? Vous évoquez le Luxembourg, et vous ne prononcez pas une seule fois le nom du département de la Moselle. Ce n’est pas sérieux ! (M. André Reichardt rit.)
Je ne sais pas où vous voulez aller. Mais, si vous avez l’intention de nous enfumer, il vaut mieux nous le dire… parce que nous nous en rendons compte !
Mme la présidente. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour explication de vote.
M. Mathieu Darnaud. Je voudrais moi aussi revenir sur la réponse de Mme la ministre. Il n’y a pas d’ambiguïté sur le souhait que les uns et les autres expriment quant à l’évolution de leur collectivité, de leur territoire. Ce n’est pas le sujet ! Le sujet, c’est que l’on ne légifère pas « à la découpe », si l’on me permet l’expression.
Nous parlons tout de même d’une entité qui s’appelle la France, ainsi que de ses institutions. Si chacun exprime un désir, sans souci de simultanéité, combien de textes va-t-on devoir examiner ? Et avec quelle cohérence si chaque examen donne lieu à des inflexions différentes ? Nous aurons un problème d’ensemble.
Je ne referai pas le débat concernant le vote des uns et des autres sur la loi NOTRe ; ce n’est pas non plus le sujet. Mais un constat commun a tout de même été dressé – c’est le ministre Sébastien Lecornu, et non les sénateurs, qui a dit qu’il fallait traiter les « irritants » de cette loi.
Cela signifie que l’on n’a pas pris le temps nécessaire, ni pour fusionner les régions ni pour traiter au fond les sujets de la loi NOTRe. Et voilà que, aujourd’hui, on cherche à faire passer ce projet de loi – à tort ou à raison, je ne porte même pas un jugement de valeur sur le fond –, en toute hâte, risquant ainsi de devoir nous retrouver, très rapidement, pour traiter d’un autre territoire.
Or, et j’en finirai par-là, le Président de la République a tout de même indiqué, au cours du grand débat, qu’il était temps de reparler de thèmes comme la décentralisation, ou comme nos institutions dans leur ensemble. Il n’y avait donc pas urgence à légiférer sur ce texte ; nous n’étions pas à un ou deux mois près !
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Madame la ministre, j’ai appris ce soir que, pour qu’un département puisse entrer dans une coopération transfrontalière, il fallait demander l’autorisation…
Je suis élu d’un département dans lequel on pratique la coopération transfrontalière depuis très longtemps, et nous ne demandons pas d’autorisation pour aller rencontrer le président de la communauté autonome du Pays basque ou le député foral du Guipuscoa. Et je ne pense pas que nous vous demanderons à l’avenir l’autorisation de continuer de le faire !
Le véritable problème auquel nous sommes confrontés, c’est l’asymétrie complète des compétences. Pour pouvoir aller discuter avec le président du gouvernement autonome basque ou le président de la communauté autonome de Navarre, il faut réunir l’État, la région, le département et l’intercommunalité ! Il s’agit là d’une construction totalement déséquilibrée, et qui devient exceptionnelle en Europe.
Alors que tous les États européens autour de nous ont construit de larges autonomies, parce qu’ils font confiance aux territoires, nous en sommes restés à un cadre profondément centralisé, ce qui nous place, aujourd’hui, dans un complet hiatus.
Je plains mes collègues et amis alsaciens, car, s’agissant de ce projet dont vous nous demandez de débattre, madame la ministre, ils sont pris en otage dans les contradictions d’un État profondément centralisé, alors que la République ne court aucun danger. La République, mes chers collègues, sera forte si elle reconnaît la diversité de ses territoires et donne de la liberté à ces derniers.
Les problèmes ne sont pas partout les mêmes – ils sont, par exemple, tout à fait particuliers lorsque l’on est voisin d’une autonomie forte. Il faut donc laisser aux territoires la capacité de les traiter.
C’est pourquoi j’ai précédemment indiqué, avec force, que j’étais favorable à une communauté à statut particulier pour l’Alsace, comme pour certains autres territoires. Une République différenciée n’en sera que plus forte, plus belle et plus unie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy-Dominique Kennel, pour explication de vote.
M. Guy-Dominique Kennel. Mes chers collègues, je vous avoue, de façon complètement dépassionnée, que je suis quelque peu perdu ce soir ! Je l’entends, ce débat soulève beaucoup de passion et irrite beaucoup de monde, mais je ne suis même pas sûr qu’il mériterait d’avoir lieu.
Comme Mme la ministre l’a expliqué, cette évolution répond à une demande des départements. Je crois même pouvoir préciser que ceux-ci ont indiqué être prêts à fusionner, à condition que l’on n’en reste pas à une fusion simple et que la nouvelle collectivité soit dotée de compétences supplémentaires. C’était bien, me semble-t-il, une condition à la fusion : très clairement, une fusion simple, sur le seul périmètre des compétences départementales, ne se serait pas faite.
Autrement dit, mais j’ai comme l’impression d’être en train de me tromper ou de ne pas me trouver forcément dans le bon hémicycle, il me semblait que le Gouvernement avait promis, au moment où les deux départements s’engageaient vers la fusion, l’élaboration d’un texte de loi, en complément, conférant à cette collectivité fusionnée de réelles compétences supplémentaires.
J’en viens à la compétence transfrontalière. Celle-ci est mise en œuvre depuis longtemps. Je l’ai vécu en tant que président du conseil général et je puis confirmer que, comme d’autres ont pu l’être – au Pays basque, par exemple –, nous étions aussi mal à l’aise lors des réunions avec nos partenaires allemands et suisses, notamment dans le cadre du Conseil rhénan.
La délégation allemande et la délégation suisse arrivaient en réunion avec, à leur tête, un élu ayant le pouvoir de décider immédiatement ; la délégation française était, elle, dirigée par le préfet, accompagné du président de région et des deux présidents de département, et, quand il s’agissait de prendre une décision, il fallait en référer à Paris. Du coup, nous étions toujours en infériorité, les Allemands et les Suisses décidant, et nous non !
Voilà pourquoi j’ai parlé de corsetage. Évoquer un « chef de filât », cela ne veut rien dire ! Cela signifie porter la plume et payer le café, point à la ligne !
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Guy-Dominique Kennel. Pour ma part, j’aurais souhaité que l’on délègue une réelle compétence en matière transfrontalière à la nouvelle collectivité, afin qu’elle puisse décider, à l’instar de ce qui se passe chez nos amis allemands et suisses. Or tel n’est pas le cas !
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. J’ai moi aussi été interpellé par la réponse de Mme la ministre, s’agissant des demandes d’autres collectivités. Si l’on part sur un département d’Alsace, pourquoi pas… Mais l’approche n’est pas la même si l’on parle de collectivité à statut particulier !
M. René-Paul Savary. En effet, dans ce cas, on pourrait aussi choisir la capitale. Imaginons que l’on désigne Colmar.
Mme Catherine Troendlé. Bonne idée ! (Sourires.)
M. René-Paul Savary. On aurait alors une collectivité régionale – en effet, elle prendrait les compétences de la région – dont la capitale serait située à Colmar et une autre, qui regrouperait la Lorraine et la Champagne-Ardenne, une capitale régionale située à Strasbourg.
Comment cela serait-il perçu au niveau européen quand certains, comme les membres de la liste que je soutiens pour les élections européennes, revendiquent pour Strasbourg un titre de capitale européenne ? Nous serions mis en porte à faux ! Nous le voyons bien, la démarche que vous proposez, madame la ministre, a des limites.
La solution, déjà évoquée, consisterait à redonner, à titre expérimental, la clause de compétence générale à la collectivité. La perte de cette clause pose un vrai problème au niveau des départements. Rappelez-vous, mes chers collègues, combien nous nous sommes battus sur cette question, par-delà les clivages entre gauche et droite… (MM. Pierre-Yves Collombat et Pascal Savoldelli approuvent.)
C’est cette clause de compétence générale qui permettait à ceux qui dirigeaient les collectivités de prendre leurs responsabilités et, comme l’a fort bien dit un ancien président de conseil général, d’être décisifs lors de certaines discussions. Tout cela a été annulé : les responsabilités ne sont plus là ; on ne fait plus confiance aux élus !
Il semble que le contrat que l’on nous propose ici, loin d’être « gagnant-gagnant », est plutôt « perdant-perdant », pour l’Alsace, qui n’aura pas les mains libres, comme pour les autres régions. C’est un trompe-l’œil ! Et c’est dommage, car les Alsaciens seront déçus du résultat.
Il faut poursuivre dans la voie proposée par Mme le rapporteur, en accordant à la collectivité des compétences spécifiques, mais il faut être clair sur le fait qu’il s’agit bien d’un département. Ne trompons pas les gens !
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 8 et 139.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 62 rectifié est présenté par MM. Danesi et Kern, Mme Keller et MM. Brisson, Laménie et Sido.
L’amendement n° 113 est présenté par Mme Schillinger et les membres du groupe La République En Marche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Alinéa 3
Remplacer le mot :
Département
par les mots :
Collectivité européenne
II. – Alinéas 5 à 7, 17 et 18
Remplacer les mots :
le département
par les mots :
la Collectivité européenne
III. – Alinéas 5 et 9
Remplacer le mot :
chargé
par le mot :
chargée
IV. – Alinéas 6 et 19, secondes phrases
Remplacer le mot :
Il
par le mot :
Elle
V. – Alinéa 7
Remplacer le mot :
associé
par le mot :
associée
VI. – Alinéas 9, 19 et 20
Remplacer les mots :
Le département
par les mots :
La Collectivité européenne
VII. – Alinéa 16
Remplacer les mots :
au département
par les mots :
à la Collectivité européenne
VIII. – Alinéas 21,24 et 28
Remplacer les mots :
du département
par les mots :
de la Collectivité européenne
La parole est à M. René Danesi, pour présenter l’amendement n° 62 rectifié.
M. René Danesi. Cet amendement tend à rétablir la dénomination « Collectivité européenne d’Alsace », qui a été retenue conjointement par les deux conseils départementaux et par le Gouvernement. Trois arguments viennent appuyer cette proposition.
Premièrement, il y a une volonté politique d’affirmer la dimension européenne de la nouvelle collectivité. C’est logique, dès lors que cette dimension est à l’origine des compétences spécifiques que la loi lui attribue.
Ainsi, le projet de loi reconnaît à la nouvelle collectivité un rôle de chef de file en matière transfrontalière, en particulier via l’élaboration d’un schéma de coopération transfrontalière, lequel schéma comportera un volet opérationnel, y compris pour les liaisons routières et ferroviaires. Il lui reconnaît également un rôle renforcé en matière de langue régionale, dont je rappelle que son expression écrite est l’allemand standard. La dénomination de la nouvelle collectivité européenne exprime donc son ambition transfrontalière et renforce sa crédibilité vis-à-vis de ses partenaires allemands et suisses.
Deuxièmement, malgré cette volonté politique forte, votre commission des lois a préféré suivre prudemment l’avis du Conseil d’État, qui a opté pour la dénomination « département d’Alsace ».
Toutefois, deux observations s’imposent : tout d’abord, le Conseil d’État a validé l’attribution des compétences spéciales de la nouvelle collectivité, reconnaissant ainsi la spécificité de l’Alsace ; ensuite, il n’a pas été en mesure d’étayer ses réserves par le moindre principe constitutionnel.
Toujours sur le plan juridique, je ferai observer que le décret du 27 février 2019 a procédé au regroupement des deux départements rhénans sous le nom de Collectivité européenne d’Alsace. Or, en application de l’article L. 3111-1 du code général des collectivités territoriales, seul un nouveau décret pris sur demande de la nouvelle collectivité peut modifier cette dénomination.
Troisièmement – l’argument est très politique, j’en conviens –, la dénomination « Collectivité européenne d’Alsace » permettra une identification forte par les Alsaciens et, par là même, mettra du baume au cœur des 85 % d’Alsaciens qui ne veulent pas rester des « Grands Estiens » !