M. André Reichardt. Je confirme !
M. Jean Louis Masson. Si tel était le cas, il n’y aurait plus de problème de différenciation et de statut.
Selon les sondages, les Alsaciens estiment, pour 80 % d’entre eux, que la région Grand Est, c’est la chienlit. Ils ont affirmé, à la majorité des deux tiers, qu’ils voulaient retrouver une région de plein exercice.
Quant à vous, madame la ministre, vous répondez n’importe quoi ! Vos propos sont le plus souvent à côté de la plaque, tandis que Mme la rapporteur fait semblant de croire, je le répète, que tout va bien ! (Vives protestations.)
Le vrai problème, c’est l’aberration que constitue la région Grand Est et que je vais démontrer. À mon avis, mes chers collègues, il n’y a que deux solutions si on veut mettre tout le monde d’accord. La première, c’est de supprimer tout de suite la région Grand Est ; la seconde, c’est de se comporter démocratiquement, en acceptant la tenue d’un référendum en Alsace, afin de demander aux Alsaciens s’ils veulent votre petit bricolage, madame la ministre, ou une région de plein exercice.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Jean Louis Masson. Parce que vous savez que vous trompez les Alsaciens, vous ne voulez pas d’un tel référendum, qui réglerait toute l’affaire. Les rivalités dont on a essayé de nous convaincre entre la Moselle et l’Alsace ou entre la Lorraine et l’Alsace s’effaceraient. Les Alsaciens seraient de leur côté, et cela fonctionnerait bien.
Sur ce dossier, j’ai décidé de m’investir complètement. (Exclamations ironiques.)
Avec la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, le gouvernement Valls a accéléré la course au gigantisme par la fusion autoritaire des anciennes régions. Créant des entités régionales démesurément étendues, cette fusion a été réalisée au mépris de l’article L. 4122-1 du code général des collectivités territoriales, selon lequel les limites territoriales des régions sont modifiées par décret, sur délibérations des conseils régionaux et des conseils départementaux intéressés, après consultation des populations concernées.
En fait, l’augmentation de la taille des régions repose sur une erreur fondamentale, qui consiste à croire que plus on fait grand, plus il y a d’économies d’échelle. Car chaque type d’organisation territoriale possède une taille optimale. Au-delà, les pesanteurs administratives et le manque de proximité de la gestion entraînent des surcoûts et des dysfonctionnements.
Compte tenu des frais de déplacement et de l’éloignement des centres de décision, les grandes régions n’ont donc permis aucune économie réelle de gestion. C’est ce que confirme un rapport de la Cour des comptes.
M. Bruno Sido. C’est vrai !
M. Jean Louis Masson. Le Républicain Lorrain du 12 octobre 2017 indiquait ainsi que, selon le rapport de la Cour des comptes, la fusion des régions a entraîné des surcoûts et n’a pas remédié à la complexité du paysage institutionnel local. En clair, c’est une réforme pour rien qui pourrait coûter cher.
En fait, le cas de la région Grand Est et de l’ancienne région Alsace est particulièrement emblématique. En effet, la problématique d’une étendue territoriale démesurée s’y cumule avec celle de la disparition d’une ancienne région, l’Alsace, dont l’identité très forte est progressivement étouffée.
La région Grand Est est deux fois plus grande que toute la Belgique, pourtant divisée en trois avec la Flandre, la Wallonie et Bruxelles. Pour aller de Troyes au chef-lieu Strasbourg, il faut 3 heures et 34 minutes en voiture et environ 4 heures en train, alors que, de Troyes à Paris, ces trajets sont respectivement de 1 heure et 58 minutes et de 1 heure et 23 minutes. Il n’est donc pas étonnant que le quotidien L’Alsace du 18 juillet 2018 ait révélé une augmentation de 51 % des frais de déplacement et de mission de la région Grand Est en 2017 par rapport au total des trois anciennes régions en 2015.
M. Bruno Sido. Et voilà!
M. Jean Louis Masson. Tout comme les Corses, la population alsacienne est très attachée à son territoire et à son identité. C’est le fruit de la géographie, de l’histoire et de spécificités aussi bien linguistiques que religieuses. Ainsi, un sondage réalisé par l’IFOP et paru dans Les Dernières Nouvelles d’Alsace le 21 février 2018 a constaté que 66 % des Alsaciens veulent le rétablissement d’une région Alsace de plein exercice.
M. André Reichardt. Exactement !
M. Jean Louis Masson. Un deuxième sondage effectué peu après par BVA, puis un troisième datant de février 2019 ont confirmé ce résultat. Il n’existe donc aucune ambiguïté en la matière, et le Gouvernement fait semblant d’être sourd !
Dans la mesure où les Alsaciens sont presque unanimes à souhaiter le rétablissement de l’ancienne région, il est surprenant que le microcosme politique soit, lui, plus divisé sur le sujet. En fait, comme c’est trop souvent le cas, les calculs politiciens et les intérêts personnels prennent le pas sur l’intérêt général.
En Alsace, trois principaux courants politiques sont hostiles au rétablissement de l’Alsace. Les élus socialistes ne veulent pas désavouer une réforme emblématique du gouvernement Valls. De leur côté, les élus LREM et MODEM s’alignent sur la position de l’actuel gouvernement et du locataire de l’Élysée. Enfin, au sein du groupe Les Républicains, le fait que la région Grand Est soit présidée par Jean Rottner, qui appartient à ce parti, a entraîné une fracture. Elle oppose l’équipe Les Républicains du conseil régional aux parlementaires et aux conseillers départementaux Les Républicains partisans d’une région Alsace de plein exercice, comme en témoigne la création d’un nouveau groupe au sein du conseil régional de la région Grand Est réclamant le rétablissement de la région Alsace.
Faut-il rappeler que Jean Rottner avait organisé une pétition, laquelle avait recueilli plus de 50 000 signatures en faveur du maintien d’une région Alsace de plein exercice ? Seulement, sans aucun scrupule, il a changé radicalement de position depuis qu’il a récemment été élu président de la région Grand Est.
De nombreux vice-présidents du Grand Est réagissent de la même façon, motivés par leur intérêt politique personnel ou même par les aspects matériels dont ils profitent au titre de leur fonction. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) C’est vrai ! Je dis la vérité !
Quoi qu’il en soit, le président Macron et son gouvernement sont parfaitement conscients de l’attachement des Alsaciens à leur région historique. Cependant, ils partagent la pensée dominante des cercles parisiens, selon lesquels plus une région est étendue, mieux elle fonctionne. Le Gouvernement craint aussi que la prise en compte de la demande alsacienne n’ouvre la boîte de Pandore des revendications territoriales d’autres régions. C’est la raison pour laquelle il s’oppose au rétablissement de l’ancienne région Alsace.
En revanche, afin de donner l’impression d’écouter le mécontentement local, il propose une hypothétique alternative. Elle consiste à fusionner les deux départements alsaciens pour créer un grand département pompeusement appelé « Collectivité européenne d’Alsace ». L’État serait censé lui transférer quelques compétences marginales. Selon son bon vouloir, la région Grand Est pourrait aussi lui déléguer quelques petites attributions.
À l’évidence, cette Collectivité européenne d’Alsace n’est qu’un leurre pour permettre au Gouvernement de gagner du temps. En effet, la collectivité ne recevrait que quelques miettes de compétences supplémentaires par rapport à un département de droit commun. Il s’agit par exemple du logo de l’Alsace sur les plaques minéralogiques. Avec cela, les Alsaciens iront loin !
Mme Catherine Troendlé. Ce n’est pas à vous de juger !
M. Jean Louis Masson. De plus, et ce à juste titre, les autres départements de la région Grand Est ont d’ores et déjà indiqué que, s’il y avait délégation d’attributions régionales, ils demanderaient à bénéficier du même traitement, ce que M. Rottner et la région Grand Est refusent.
En fait, avec cette proposition, l’Alsace resterait inféodée à la région Grand Est, sans pouvoir maîtriser son destin, tout en perdant un département. Quant aux territoires des deux autres anciennes régions, ils continueraient à être englués dans une région Grand Est démesurément étendue, sans aucun espoir de gestion de proximité.
Manifestement, seuls le Gouvernement, le président de la région Grand Est et les quelques profiteurs du système se satisfont d’une telle réforme.
Mme Catherine Troendlé. C’est terminé !
M. Jean Louis Masson. En effet, elle est pour eux le moyen de maintenir un quasi-statu quo, quitte à tromper la bonne foi des Alsaciens par une sorte de double jeu politicien.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean Louis Masson. Face aux aspirations très fortes exprimées par les Alsaciens et aux problèmes inextricables que crée l’étendue démesurée de la région Grand Est,…
Mme Catherine Troendlé. C’est fini !
M. Jean Louis Masson. … la seule vraie solution est de rétablir une région Alsace de plein exercice. Cela permettrait à la fois aux Alsaciens de retrouver leur identité et aux territoires des deux autres anciennes régions d’avoir de nouveau une gestion de proximité au plus près des réalités du terrain.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Di Folco, contre la motion.
Mme Catherine Di Folco. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, par la présente motion, M. Masson invite la Haute Assemblée à opposer la question préalable au projet de loi relatif aux compétences de la nouvelle collectivité territoriale réunissant les deux départements alsaciens.
Dans l’objet, il affirme que ce texte ne règle pas certains problèmes concernant l’étendue de la région Grand Est et ignore la volonté des Alsaciens de voir rétablir une région Alsace de plein exercice.
Il est vrai, les changements de la carte des régions sous la mandature Hollande ont parfois pu causer des frustrations. Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer ce sujet dans d’autres contextes, car la taille de la région Grand Est et, de manière générale, le découpage des nouvelles régions ont été régulièrement critiqués. Pour autant, je ne pense pas qu’en examinant ce projet de loi le Sénat ignore la volonté des Alsaciens ni le désir d’Alsace manifesté par les citoyens et les élus alsaciens, bien au contraire !
En effet, si une hypothétique remise en cause de la structure de la région Grand Est n’est pas le sujet de ce texte, celui-ci entame néanmoins l’aménagement d’un ensemble alsacien, en cherchant à offrir un commencement de réponse à ce « désir d’Alsace ». Refuser de discuter ce commencement de réponse et le remettre à demain signifie ignorer une série de questions se posant dans l’immédiat. Celles-ci affectent le quotidien des Alsaciens, le fonctionnement de leur collectivité et des administrations territoriales, avec lesquelles ils interagissent. Refuser de discuter signifie ne pas prendre en compte l’attente légitime de réponses concrètes sur ces sujets.
Par ailleurs, le décret mettant en place la nouvelle collectivité départementale alsacienne a déjà été pris, après consultation des conseils départementaux et du conseil régional concernés.
Refuser d’examiner ce projet de loi aujourd’hui, c’est d’ores et déjà en dessaisir le Sénat et envoyer le signal qu’il a préféré ne rien faire et laisser la main à l’Assemblée nationale.
Mme Catherine Troendlé. Tout à fait !
Mme Catherine Di Folco. Or l’un des rôles de notre assemblée est bien, selon les termes de l’article 24 de la Constitution, d’assurer la représentation des collectivités territoriales de la République.
Mme Catherine Troendlé. Très bien !
Mme Catherine Di Folco. Procéder ainsi ne serait donc pas rendre justice à notre rôle constitutionnel.
M. Bruno Sido. C’est vrai !
Mme Catherine Di Folco. Même dans ce cadre aux options limitées, je pense que le Sénat se doit d’apporter sa contribution à la mise en place de l’Alsace de demain. Les débats sur le fond et sur la forme sont légitimes, et doivent avoir lieu. Car la question de l’Alsace ne cessera pas de se poser, même si le Sénat venait à refuser de discuter ce projet de loi.
Pour toutes ces raisons, je vous invite, mes chers collègues, à voter contre cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission n’a pas pu se prononcer formellement sur cette motion tendant à opposer la question préalable, car elle a été déposée postérieurement à sa réunion. Toutefois, elle s’était prononcée sur la motion tendant à opposer question préalable déposée puis retirée par M. Grosdidier. Je peux donc transposer l’avis défavorable émis par la commission des lois sur la motion de M. Grosdidier sur celle de M. Masson.
Si ce dernier avait écouté ce que j’ai dit dans le cadre de la discussion générale, il aurait compris que nous étions moyennement enthousiastes à l’égard de ce projet de loi. On peut dire les choses avec politesse et amabilité, sans adopter obligatoirement une attitude belliqueuse.
M. Bruno Sido et Mme Catherine Troendlé. Très bien !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Les ambitions du texte sont donc très limitées et ne résolvent en rien les difficultés liées aux dernières réformes territoriales. Néanmoins, nous pensons que le projet de loi ne doit pas être rejeté en bloc, car il est attendu par les élus d’Alsace et de la région Grand Est, qui ont trouvé, dans un cadre étroit, un compromis avec le Gouvernement. Par ailleurs, il a été largement amélioré par la commission et nous continuerons de le faire au cours de nos débats.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Catherine Troendlé. Ça, c’est clair !
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour explication de vote.
Mme Véronique Guillotin. Mon groupe, qui est habitué à la discussion, votera contre cette motion. Toutefois, je souhaite ajouter quelques précisions.
En tant que conseillère régionale, je ne peux laisser dire des choses fausses. En effet, il est absolument faux de dire que la région Grand Est, que je connais bien, n’a pas fait d’économies de fonctionnement depuis sa création. Car il est avéré qu’elle a réalisé environ 10 millions d’économies par an depuis la fusion. Si l’on considère également les investissements, transports compris, on s’approche des 100 millions d’euros.
Par ailleurs, le groupe que vous avez évoqué, monsieur Masson, qui a quitté la majorité est composé de cinq conseillers régionaux, dont quatre Alsaciens et un Mosellan, alors qu’on dénombre plus de cent conseillers régionaux. C’est dire le poids de ce groupe au sein de la majorité et de l’ensemble du conseil régional du Grand Est…
M. André Reichardt. Ils ne sont pas nombreux, mais ils sont de grande qualité !
Mme Véronique Guillotin. Il me semble important de rappeler ces quelques vérités. Je le répète, nous voterons contre cette motion, afin que le débat puisse se poursuivre. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. René Danesi, pour explication de vote.
M. René Danesi. Ce que dit l’auteur de la motion à propos de la création de la région Grand Est et de la volonté très forte des Alsaciens d’en sortir est vrai. Mais la politique est l’art du possible. Le Gouvernement ne veut pas créer un précédent en démembrant une région. Il n’a pas davantage voulu d’un statut spécial pour l’Alsace, comme c’est le cas pour la Corse, Lyon et Paris. Il a eu tort, car cela aurait eu le mérite de la clarté et de la simplicité.
Les deux conseils départementaux ont donc accepté de négocier un contrat et, in fine, le texte que nous examinons aujourd’hui. Ils se sont montrés pragmatiques, et je propose de les suivre, car ce texte constitue malgré tout une avancée par rapport à la situation actuelle. Rien ne s’oppose à ce qu’on puisse aller plus loin dans les années à venir.
Je vous invite par conséquent, mes chers collègues, à voter contre cette motion.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 159, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, après l’échec, en 2013, du référendum portant sur la création d’une collectivité alsacienne unique, puis l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2016, de la nouvelle carte régionale, les élus alsaciens ont souhaité redonner une existence institutionnelle à leur territoire, doté d’une identité particulièrement forte, tant historique que linguistique et culturelle.
Répondant à la demande formulée conjointement par les conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, le Gouvernement a décidé, par un décret du 27 février 2019, que ces deux départements seraient regroupés à la date du 1er janvier 2021 en un nouveau département prenant le nom de « Collectivité européenne d’Alsace », avec des compétences particulières, justifiées par les spécificités locales, en plus des compétences départementales.
Le présent projet de loi constitue l’aboutissement de cette démarche.
Il vise à tirer les conséquences techniques du regroupement des deux départements alsaciens et tend à renforcer, dans une mesure plus ou moins large, les compétences du nouveau département alsacien dans les domaines de l’action transfrontalière, de la promotion des langues régionales, du tourisme et de la voirie routière.
Néanmoins, l’ambition de ce texte demeure très modeste.
La mesure la plus substantielle consiste en un transfert par l’État de l’intégralité de la voirie nationale non concédée à la nouvelle collectivité alsacienne, censé lui permettre de mieux maîtriser la circulation routière sur son territoire – cela a déjà été évoqué.
Aussi, je me réjouis que la commission ait souhaité consolider les compétences de la nouvelle collectivité et lui donne les moyens humains, financiers et juridiques de les exercer.
Je voudrais souligner quelques-unes des modifications apportées.
La commission a préféré, pour la nouvelle collectivité, l’appellation « département d’Alsace », juridiquement plus exacte, à celle de « Collectivité européenne d’Alsace ».
Par ailleurs, en permettant aux EPCI à fiscalité propre de déléguer leurs compétences au département d’Alsace pour la mise en œuvre du schéma alsacien de coopération transfrontalière, la commission a entendu donner audit schéma une plus grande souplesse d’exécution, par exemple en matière de mobilité.
Concernant les langues régionales, je me félicite tout particulièrement que les attributions du département d’Alsace dans ce domaine aient été renforcées. La nouvelle entité serait ainsi désignée chef de file, sur son territoire, de la promotion de l’allemand standard et des dialectes alsaciens. Dans le même sens, la compétence des collectivités territoriales pour créer des chaînes de télévision en langue régionale a été consolidée.
Je souhaite également souligner l’assouplissement de la répartition des compétences économiques. En effet, à titre expérimental, le conseil régional du Grand Est a été autorisé à déléguer tout ou partie de l’octroi d’aides aux entreprises au conseil départemental d’Alsace. Tout autre département pourrait demander à s’associer à cette expérimentation. Sans remettre en cause le rôle prééminent des régions en la matière, il s’agit d’introduire plus de souplesse dans la mise en œuvre des politiques de développement économique, sur une base conventionnelle.
En outre, la commission a souhaité garantir au nouveau département alsacien la compensation intégrale des charges nouvelles qui lui incomberont en raison du transfert de la voirie nationale non concédée, conformément à l’article 72-2 de la Constitution.
Elle a donc intégré une partie des dépenses faites par l’État au titre du contrat de plan État-région à la base de calcul de la compensation financière, tout en offrant une garantie supplémentaire à la nouvelle collectivité en ce qui concerne les charges de fonctionnement et d’investissement de l’État qui seront prises en compte dans ce calcul.
De même, la commission a renforcé la clause de sauvegarde relative aux emplois transférés par l’État.
Enfin, elle a prévu l’institution d’un conseil de développement auprès du département alsacien, qui serait une instance de dialogue et de réflexion visant à accompagner la mise en œuvre de ses compétences.
Elle a aussi fixé dans la loi le nombre de cantons du département d’Alsace et adapté les règles relatives à l’élection des conseillers régionaux et des sénateurs de ce territoire.
Madame la ministre, mes chers collègues, toujours très attentif au besoin de proximité qui s’exprime en Alsace, mais également sur l’ensemble du territoire, le groupe Les Indépendants votera ce texte ainsi modifié et surtout enrichi par la commission des lois. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. François Patriat applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, aujourd’hui, il est demandé au Sénat d’accompagner les Alsaciens et leurs élus dans leur volonté de donner une traduction institutionnelle au « désir d’Alsace » qu’ils portent dans leur cœur depuis toujours, et plus profondément encore depuis la refonte de la carte des régions en 2016.
Cette volonté tenace traduit à la fois un attachement collectif et un projet commun : attachement à une histoire, à une culture, à un patrimoine et à une mémoire communs ; projet de consolider un territoire transfrontalier ouvert sur l’Allemagne et la Suisse et de coconstruire un collectif capable d’agir avec proximité et efficacité en faveur de l’attractivité du territoire et de la vie quotidienne de ses habitants.
Le projet de Collectivité européenne d’Alsace est réfléchi, construit, je dirais même qu’il est raisonnable. Pourtant, il attire des critiques.
Pour les partisans de la sortie de l’Alsace de la région Grand Est, il ne serait qu’un leurre, un écran de fumée, une tromperie.
Pour d’autres, en revanche, ce projet est une grave atteinte au principe d’indivisibilité de la République. Il faudrait donc interdire toute initiative locale émanant des territoires par peur d’une désintégration de la Nation au profit d’un repli sur soi frileux ? Telle n’est pas ma conception de la République. Je trouve stérile d’opposer radicalement universalisme et particularisme.
L’Alsace veut écrire une nouvelle page de son histoire en laissant plus de place à la diversité. Et, loin de se retrancher égoïstement sur son territoire, elle veut construire de nouvelles solidarités, notamment avec ses voisins européens. Pierre Pflimlin résumait ainsi le rapport de notre territoire avec nos voisins : « Je suis européen parce que je suis alsacien ».
La Collectivité européenne d’Alsace s’inscrit également dans la continuité des engagements pris par le Président de la République en matière de relation avec les territoires : accompagner les initiatives dès lors qu’elles sont portées à l’échelon local et qu’elles s’inscrivent dans le cadre de l’intérêt général, mais sans pour autant provoquer un big-bang des compétences.
Je veux rappeler combien ce projet est le fruit d’un long travail de concertation entre le Gouvernement et l’ensemble des acteurs institutionnels, dont les conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin et le conseil régional du Grand Est.
Je veux rendre en cet instant hommage à Mme Brigitte Klinkert et à M. Frédéric Bierry, présidents respectifs du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, relever les kilomètres qu’ils ont parcourus pour se rendre depuis des mois à des centaines de rencontres auxquelles ils ont consacré nombre d’heures.
Je salue également le rapport du préfet de la région Grand Est, Jean-Luc Marx, missionné en janvier 2018 pour évaluer les différentes hypothèses institutionnelles dans le respect des grands équilibres de la loi NOTRe.
Je veux aussi remercier le Gouvernement, qui a entendu et soutenu ce « désir d’Alsace ». Madame la ministre, vous vous êtes rendue à de nombreuses reprises sur le terrain et avez travaillé en lien étroit avec vos collègues du Gouvernement, Élisabeth Borne et Jean-Michel Blanquer.
Les élus et le Gouvernement ont élaboré un projet institutionnel cousu main, avec la fusion des deux départements sous le nom de « Collectivité européenne d’Alsace », le socle de compétences départementales étant enrichi de compétences particulières en matière de coopération transfrontalière, de bilinguisme, d’attractivité du territoire, de transport et de culture.
Ce projet a fait l’objet, le 29 octobre dernier, d’une déclaration commune du Gouvernement et des élus, qui trouve en partie sa traduction dans le texte que nous allons examiner.
Sous l’impulsion de Mme la rapporteure, la commission des lois a adopté plusieurs amendements visant à préciser, à approfondir ou à élargir les modalités d’exercice des compétences de la future collectivité. Ce sont là, pour l’essentiel, des avancées positives, que je tiens à saluer, avec quelques réserves de fond.
Sans surprise, nous sommes plusieurs dans cette enceinte à souhaiter élargir encore le champ des possibles, tout en respectant les compétences des autres collectivités.
Je souhaite, à titre personnel, que ces amendements « alsaciens » soient adoptés, afin que la nouvelle Collectivité européenne d’Alsace soit la promesse heureuse d’un avenir serein.
J’ai en revanche un point de désaccord profond avec la commission des lois au sujet du changement de nom de la future collectivité : pourquoi débaptiser à Paris la collectivité née en Alsace ?
Je vous rappelle que l’appellation « Collectivité européenne d’Alsace » figure dans le décret du 27 février 2019, qui a procédé à la fusion des départements, ainsi que dans les délibérations des deux assemblées départementales adoptées le 4 février dernier.
Au nom de quoi balayer d’un revers de main le fruit d’un accord patiemment construit ?
Le Conseil d’État avait certes une préférence pour l’appellation « département d’Alsace », au motif que le nom « Collectivité européenne d’Alsace » serait susceptible de créer une méprise. Mais le Gouvernement et les deux départements ont tranché.
Alors, de grâce, mes chers collègues, rétablissons la dénomination choisie ! Je vous le dis en toute franchise : imposer aux Alsaciens, en fin de parcours, un nom qu’ils n’ont pas choisi serait une marque de mépris qui affecterait longtemps l’image de notre assemblée.