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L’hydrogène, une énergie d’avenir
Débat organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, sur le thème : « L’hydrogène, une énergie d’avenir ».
La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe auteur de la demande.
M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà un mois, nous débattions des mobilités du futur et, à cette occasion, j’avais souligné les enjeux attachés, selon moi, au développement de l’hydrogène. C’est donc dans le prolongement de ce débat, mais aussi au vu de la question fondamentale de la transition énergétique pour notre pays, que le groupe du RDSE a choisi de mettre ce thème à l’ordre du jour du Sénat.
Les opportunités qu’offre le développement de l’énergie hydrogène sont aujourd’hui documentées. Au regard de l’urgence écologique, elles doivent nous conduire à accélérer nos réflexions et nos décisions, afin de garantir le développement d’une filière d’excellence en la matière et d’accompagner le déploiement de cette énergie nouvelle, qui présente de multiples applications.
L’hydrogène permet de réduire notre dépendance aux énergies fossiles. Convertible en énergie via une pile à combustible, l’hydrogène peut en effet être utilisé dans les mobilités urbaines – voitures particulières, bus, trains –, le bâtiment ou encore l’habitat – production d’électricité et de chaleur. Il permet de développer la mobilité électrique dans l’ensemble du secteur du transport, un secteur utilisateur de 30 % de l’énergie consommée dans notre pays.
L’hydrogène peut être facilement stocké et injecté, en étant par exemple associé au méthane, dans les réseaux de gaz naturel. Enfin, il représente un enjeu de compétitivité pour nos entreprises, à l’origine de nombreuses innovations.
Oui, les initiatives existent déjà, et il faut les encourager ! J’en veux pour preuve l’action conduite dans mon département, le Pas-de-Calais, par le Syndicat mixte des transports Artois-Gohelle. Ce syndicat, qui couvre le territoire de trois agglomérations, représentant un demi-million d’habitants, lancera très prochainement sa nouvelle ligne de bus à haut niveau de service, BHNS.
Les élus de ce territoire marqué par l’exploitation minière et une forte industrialisation ont fait le choix d’encourager le développement pour le réseau de transport en commun d’un mix énergétique. Ainsi, le réseau associera, à côté de bus circulant encore gasoil, des bus électriques et hybrides. Surtout, le syndicat lancera très prochainement une ligne assurée par des bus à hydrogène, la première de France, même si je sais qu’une réflexion similaire est en cours à Pau.
Ces bus vont parcourir 420 000 kilomètres par an avec zéro CO2 rejeté, alors qu’un bus diesel en émet 88 tonnes. Les élus ont également fait le choix de produire et de stocker l’hydrogène sur place en installant un électrolyseur, économisant ainsi le CO2 produit pour l’acheminement de l’hydrogène. La station rejettera, quant à elle, 374 tonnes d’oxygène, soit l’équivalent de 56 hectares de forêt. Les travaux de construction du dépôt se terminent, pour une ouverture dans les semaines à venir et une mise en circulation des bus cet été.
Cet exemple illustre bien, madame la secrétaire d’État, le dynamisme de nos territoires. Il doit nous inspirer et pousser des initiatives similaires dans d’autres secteurs du transport comme l’aérien, le ferroviaire, le maritime ou le fluvial.
Les technologies sont prêtes. Toutefois, nous le savons, le coût reste pour l’instant un facteur bloquant, et c’est là l’un des premiers défis auxquels nous sommes confrontés.
Les coûts de fabrication peuvent pourtant être diminués en imaginant des mesures incitatives et en industrialisant la chaîne de production pour rentabiliser les investissements. Nous saisirions ainsi l’occasion de développer une nouvelle filière industrielle créatrice d’emplois dans un contexte où notre tissu industriel est menacé, à l’image de notre filière sidérurgique, aujourd’hui en grande difficulté.
Prenons aussi l’exemple du vélo à hydrogène, dont Mme Borne a parlé ici, voilà quelques semaines. Il s’agit d’une innovation de la société Pragma Industries, une première mondiale qui permet une autonomie de plus de 100 kilomètres, pour un temps de recharge d’une à deux minutes, quand l’électrique nécessite plusieurs heures. Malheureusement, le coût unitaire reste prohibitif, pour l’instant, et il est à craindre qu’il ne reste cantonné à des flottes d’entreprises ou de collectivités, faute de portage politique ou de simplification juridique pour obtenir des subventions.
Sur ce plan, le projet de loi d’orientation des mobilités aurait pu être plus volontariste, en intégrant par exemple des mesures incitatives pour accompagner le verdissement des flottes d’entreprises, de taxis ou de VTC, ou encore en étendant le forfait mobilité aux propriétaires des véhicules à très faibles émissions de CO2.
Je veux néanmoins rendre hommage, ici, au ministre Nicolas Hulot, à l’initiative, en 2018, de notre premier plan hydrogène, lequel doit permettre, dès aujourd’hui, la mobilisation de 100 millions d’euros, dont une partie profitera à nos territoires via les appels à projets de l’Ademe, à condition que les démarches administratives soient connues et simplifiées.
L’un des trois axes de ce plan mérite plus particulièrement que l’on s’y arrête. Il s’agit de l’enjeu d’une production décarbonée de l’hydrogène. En l’effet, l’hydrogène porte l’ambition d’une énergie future totalement propre, mais à la condition qu’il soit produit lui-même, via des énergies renouvelables.
Les facilités qu’il offre en matière de stockage doivent notamment permettre une complémentarité avec le solaire et l’éolien, le stockage de l’énergie produite par ces moyens étant aujourd’hui complexe. Coupler des unités de production et de stockage d’hydrogène à des sites solaires ou éoliens représente un axe de développement et de réflexion dans notre recherche d’une énergie propre et renouvelable, disponible non seulement pour les transports, mais aussi pour le monde économique, qui a besoin d’énergie supplémentaire. Avec l’hydrogène, nul besoin de mettre en place des lignes aériennes supplémentaires qui défigurent le paysage.
Là encore, les territoires nous montrent l’exemple. Nous connaissons tous le Grid, qui injecte de l’hydrogène dans le réseau de gaz de la communauté urbaine de Dunkerque, ou, à Paris, les taxis Hype. Plus simplement, un village de l’Aisne, Tupigny, a installé des éoliennes couplées à un électrolyseur qui produit de l’hydrogène, lequel est utilisé pour alimenter deux véhicules mis à la disposition des habitants pour réaliser leurs démarches administratives à la préfecture ou à la sous-préfecture.
Toutefois, rien de structurant ne pourra se faire sans un engagement fort de l’État. D’ores et déjà, les acteurs de la filière mettent en garde sur la sécurisation des financements. Le premier appel à projets lancé par l’Ademe montre un nombre considérable de sollicitations, et toutes ne pourront pas être financées.
Il est indispensable que l’État puisse dès aujourd’hui inscrire dans la durée ses financements et les majorer autant que nécessaire, car rien ne serait pire que de décourager les initiatives.
L’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible, l’AFHYPAC, appelle de son côté à la mobilisation de mécanismes de garantie des risques, notamment en cas de sous-utilisation des équipements, à l’image du dispositif France Transition, préconisé par le rapport Canfin-Zaouati.
Oui, mes chers collègues, nous devons travailler pour forger un outil au service du renforcement des investissements, de la réorientation des flux privés, où l’argent public serait utilisé pour le partage du risque.
La filière se trouve en effet confrontée à un déficit d’investissement et, si elle souligne l’existence de nombreux outils financiers, ils ne permettent pas, selon elle, de passer à l’échelle supérieure, c’est-à-dire à une véritable phase de déploiement.
Il nous faut inventer des mécanismes de financement innovants, associant fonds publics et fonds privés, à l’instar de ce qui peut exister aux États-Unis ou au Japon, en couplant garanties, prêts bonifiés et fonds propres.
Mes chers collègues, ce sujet est passionnant ; l’ambition est réelle ; l’enjeu en matière de développement durable est déterminant, d’autant que les technologies existent.
Notre pays ne doit pas rater ce rendez-vous. Le recul récent annoncé par le Président de la République en matière d’objectifs de réduction de nos émissions de CO2 ne nous rassure pas, c’est peu de le dire. Le retard considérable que nous avons pu prendre sur des programmes innovants, comme les trains à hydrogène, est préoccupant. L’Allemagne fait déjà circuler ses propres trains de manière régulière, qui plus est avec l’appui d’Alstom, tandis que le premier déploiement en France ne se ferait qu’aux alentours de 2022-2024.
Toutes les conditions sont réunies pour que nous avancions de façon unie sur le plan écologique et industriel, sans oublier les créations d’emplois qui pourraient en résulter. Ce dont nous avons besoin de toute urgence aujourd’hui, c’est d’une volonté politique forte pour accompagner ce tournant technologique que notre pays n’a pas le droit de manquer.
À cet égard, madame la secrétaire d’État, nous en appelons à un engagement fort du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Alain Fouché applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand.
M. Frédéric Marchand. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, évoquer l’hydrogène aujourd’hui, c’est parler industrie, logistique, accessibilité, transport des personnes, énergie ou bien encore économie circulaire.
Toutes ces activités recèlent des enjeux bien souvent imbriqués, qui font de l’hydrogène non seulement une solution crédible, mais surtout l’imposent comme un outil polyvalent, aussi bien face à un besoin ciblé que pour anticiper de nouvelles activités.
Nos territoires, qui ont pleinement pris conscience des atouts de l’hydrogène, développent des projets innovants leur permettant de répondre aux enjeux auxquels ils sont confrontés : transition énergétique, qualité de l’air, aménagement du territoire et développement durable.
Vous me permettrez donc d’articuler mon intervention à l’aune de l’expérience engagée – cela a été rappelé par Jean-Pierre Corbisez – sur le territoire de la communauté urbaine de Dunkerque, véritable terre d’hydrogène. En mars prochain, le bateau Energy Observer, premier navire à hydrogène, qui effectue actuellement le tour du monde, fera escale à Dunkerque. Beau symbole pour cette ville portuaire qui a fait de la mutation écologique un cheval de bataille ! La communauté urbaine de Dunkerque est bel et bien dans le concret, en ayant choisi de pouvoir stocker l’électricité renouvelable sous forme d’hydrogène solide.
En effet, le stockage de l’énergie issue des renouvelables est devenu une réalité. Le surplus de production d’électricité est désormais stocké sous forme d’hydrogène, une façon de résoudre les problèmes d’intermittence qui suscitent de plus en plus d’intérêt. C’est dans cette perspective qu’a été inaugurée, à l’été dernier, à Cappelle-la-Grande, située à quelques kilomètres de Dunkerque, une installation de power to gas dans un nouveau quartier de la ville.
Le principe du power to gas est simple : il consiste à transformer l’électricité en hydrogène, qui peut, ensuite, être déstocké sur demande sous forme gazeuse, pour être injecté alors dans le réseau de gaz. En effet, l’hydrogène est probablement la meilleure façon de stocker l’énergie indéfiniment et sous forme solide.
Cette technologie est une réponse à l’intermittence des énergies renouvelables, comme l’éolien ou le photovoltaïque, notamment en cas de surproduction en période de faible consommation, à l’origine de gaspillages énergétiques et d’une coûteuse surcharge du réseau électrique.
La communauté urbaine de Dunkerque s’est lancée dans cette aventure en 2014, qui prend désormais la forme d’un démonstrateur installé dans la commune de Cappelle-la-Grande, collectant les surplus d’électricité produits par le parc éolien à proximité et par les panneaux photovoltaïques de la communauté de communes. Ce surplus d’électricité, transformé en hydrogène, est utilisé dans le réseau de gaz naturel, alimentant ainsi 200 logements.
On voit là l’intérêt de l’hydrogène issu des renouvelables, qui est de décarboner le gaz naturel et de permettre de réduire les émissions de CO2, d’améliorer la qualité de l’air et d’augmenter nettement les rendements des chaudières à condensation de 7 % à 10 %.
Ce démonstrateur fonctionnera pendant deux ans, en conditions réelles, sans surcoût pour les utilisateurs. La part d’hydrogène dans le gaz naturel a d’ailleurs été augmentée progressivement. De 6 % en juin 2018, elle est passée à 20 % en janvier 2019, soit le seuil le plus élevé testé en Europe.
Ces années vont permettre d’analyser la réaction du matériel, notamment les éventuels problèmes de corrosion des chaudières, le pouvoir calorifique du mélange gaz naturel hydrogène, mais aussi l’acceptabilité du procédé par le consommateur et sa viabilité économique.
Cette expérimentation est bien l’illustration que la transition énergétique s’opère sur nos territoires, mais aussi dans le cadre de cette stratégie nationale en plein essor. Ce projet, qui est le beau symbole de mutations, doit en permettre d’autres, s’inscrivant pleinement dans le cadre du plan hydrogène présenté en juin 2018 – cela a aussi été souligné par Jean-Pierre Corbisez.
Comme le rappelle régulièrement le maire de Dunkerque, la transition énergétique se fait dans les territoires. On n’a pas envie de la subir, et ce projet un beau symbole des mutations !
En parlant d’hydrogène, alors que nous allons entamer, le 19 mars prochain, la discussion du projet de loi d’orientation des mobilités et que la ministre Élisabeth Borne était parmi nous il y a encore quelques instants, vous me permettrez d’évoquer plus particulièrement les enjeux de l’hydrogène en matière de mobilité. Comme Élisabeth Borne le rappelait le 1er juin 2018, l’hydrogène apportera sans aucun doute une part importante des réponses pour décarboner et dépolluer nos solutions de mobilité.
Nous le savons, l’hydrogène embarqué apporte en effet pour l’électromobilité des solutions nouvelles concernant en priorité les véhicules à usage professionnel, qu’ils soient terrestres, maritimes, fluviaux ou ferroviaires.
La mobilité hydrogène fait déjà l’objet de développement concret avec les taxis et les bus. L’enjeu pour la mobilité de demain, sur laquelle nous reviendrons dans nos débats, est de favoriser dès aujourd’hui le passage à l’échelle, comme l’a rappelé l’intervenant précédent.
En matière ferroviaire, nous avons là de véritables objectifs qui ont fait l’objet d’un rapport déposé par un député sur le verdissement du ferroviaire. Nous le voyons bien, l’hydrogène est, sans conteste, une ressource avec laquelle il faut compter dans le cadre d’une transition écologique réussie. Là aussi, les débats que nous aurons lors de l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités nous permettront de mesurer que le mix énergétique, s’agissant de mobilité, est essentiel pour proposer des solutions décarbonées.
Nous le voyons bien, l’hydrogène, sous ses différentes formes et ses différentes applications, est aujourd’hui un enjeu essentiel. Je tiens à remercier les promoteurs de ce débat de nous donner l’occasion d’échanger sur ce sujet essentiel pour nos territoires, pour notre pays. Je ne doute pas un seul instant de la volonté du Gouvernement s’agissant du développement de cette filière !
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat, demandé par le groupe du RDSE, que nous remercions, s’inscrit complètement dans l’actualité, tant il y a une urgence à trouver des alternatives aux énergies carbonées.
Certes, il ne s’agit pas de penser naïvement que l’hydrogène sera le carburant de l’économie de demain, l’élément miracle qui nous détachera de notre monde fossile et fissile ! Toutefois, ses potentialités sont indéniables.
De quoi parlons-nous ? L’hydrogène est un gaz connu, déjà utilisé par l’industrie pour fabriquer des engrais, raffiner des carburants et destiné à de multiples usages plus ponctuels, comme le lancement des fusées.
En termes énergétiques, l’hydrogène constitue un vecteur stable, qui peut être stocké, à la différence de l’électricité, même s’il faut manipuler de gros volumes – quatre fois ceux du gaz naturel. Ainsi, et c’est tout l’enjeu, associé aux piles à combustible, l’hydrogène pourrait être utilisé beaucoup plus largement à l’avenir comme vecteur d’énergie pour les transports et la production d’électricité.
L’électricité ainsi produite peut donc faire tourner un moteur, par exemple celui d’une voiture électrique, avec un bon rendement, sans bruit, avec émission de chaleur, mais sans dégager de gaz polluant.
C’est pourquoi beaucoup voient aujourd’hui en cette évolution une révolution aussi importante que celle qui fut provoquée par l’utilisation du charbon au début de notre ère industrielle. Comme le soulignait Nicolas Hulot dans sa présentation du plan hydrogène : « C’est aujourd’hui la seule technologie qui permette de stocker massivement et sur de longues périodes l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables intermittentes. C’est donc un élément clé de la stabilité du mix électrique de demain. » Certes ! Mais cette utilisation énergétique de l’hydrogène ouvre de nouvelles questions et pose quelques problèmes.
Tout d’abord, la production occasionne des émissions de CO2 ou, dans le cas de l’électrolyse, nécessite de grandes quantités d’électricité.
Ensuite, s’agissant de son transport et de son stockage, il faut faire appel à des dispositifs spécifiques, à haute pression ou à très basse température, qui sont chers, lourds et encombrants.
Enfin, en ce qui concerne son utilisation, on a besoin de piles à combustible qui coûtent très cher, s’usent rapidement et requièrent une grande quantité de métaux précieux.
Cela étant, toutes les pistes alternatives aux énergies fossiles doivent être sérieusement explorées. Comment faire pour que cela fonctionne ? Alors que le Gouvernement a fait le choix d’un État régulateur plutôt que d’un État interventionniste, ce débat sur l’hydrogène comme énergie d’avenir nous rappelle que sans intervention publique forte, il n’y aura pas de transition énergétique à la hauteur des enjeux climatiques d’aujourd’hui.
Comme le rappelle l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’Ademe : « Le déploiement d’une filière hydrogène nécessite des investissements relativement lourds, tant pour la production, la distribution que le stockage de l’hydrogène. Ceux-ci supposent un engagement d’acteurs industriels et une maîtrise du risque économique par le soutien des pouvoirs publics ».
En effet, tout comme le déploiement des réseaux d’électricité, de gaz ou de téléphonie, les nouveaux systèmes énergétiques basés sur l’hydrogène auront un coût de démarrage élevé, et ils présentent une incertitude quant à l’évolution de la demande. Il est donc peu probable que les entreprises privées investissent seules dans l’infrastructure nécessaire pour élargir l’utilisation de l’hydrogène à l’échelle nationale.
De plus, les consommateurs ne pourront acheter une voiture à hydrogène que s’il y a une infrastructure suffisamment dense de stations de distribution du carburant. En effet, l’ouverture de stations d’hydrogène en dehors des grandes villes sera un facteur déterminant pour la diffusion des carburants alternatifs, mais les acteurs privés se concentreront naturellement sur les zones rentables.
C’est pourquoi nous pensons que seul l’État peut jouer un rôle décisif pour la mise en place des infrastructures, ce qui permettrait de sortir du « cercle vicieux » qui empêche le démarrage de la filière.
Dans le cas d’une innovation radicale comme l’hydrogène, l’intervention publique est indispensable, d’une part, pour soutenir la technologie pendant la phase qui précède l’entrée dans le marché sur les questions de recherche, de développement et de démonstration, de manière à la rendre compétitive face aux technologies conventionnelles, et, d’autre part, pour aider l’innovation à entrer sur le marché, notamment en soutenant les investissements dans l’infrastructure.
Or cette intervention est actuellement limitée par la situation budgétaire des gouvernements et la conception de l’État, plus perçu en régulateur de l’activité économique qu’en investisseur.
Comme le souligne l’Ademe : « Le recours au vecteur hydrogène apportera des solutions, de la flexibilité, des services pour la mise en œuvre de la transition énergétique, mais il ne peut conduire à limiter les efforts à engager, notamment en termes de maîtrise des besoins et d’efficacité énergétique. »
Une forte diminution de la consommation de combustibles fossiles est vitale, et elle passera, certes, par le développement des autres ressources. Il ne faut cependant pas se voiler la face, la dépendance à l’égard du pétrole ne peut être durablement réduite qu’en limitant la place de la voiture individuelle au profit des transports en commun. Il faut maintenant parler de leur gratuité.
Il faut aussi penser à l’urbanisme différemment, par exemple, en rapprochant le lieu de travail du domicile et supprimer ainsi les trajets quotidiens énergivores. Il faut enfin que l’État réinvestisse dans le fret ferroviaire, qui, malgré tous les grands discours, ne cesse de reculer. Bref, il faut un diagnostic, mais aussi une vision d’avenir et une intervention globale de l’État ; aujourd’hui, malheureusement, nous en sommes bien loin !
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville.
Mme Angèle Préville. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie, tout d’abord, le groupe du RDSE de la tenue de ce débat sur un sujet très intéressant et important au regard des enjeux de l’actualité.
À l’heure où le glacier Thwaites, en fusion à cause du réchauffement climatique, menace de rendre plus que réel le risque de submersion des côtes du monde entier, phénomène proprement catastrophique et inédit, nous devons absolument et rapidement mettre en place des solutions pour réduire les gaz à effet de serre, les deux principaux étant le méthane et le dioxyde de carbone. Nous sommes en effet à la croisée des chemins et devons faire des choix responsables pour l’avenir afin d’éviter l’irréversibilité du changement climatique. Il y a, en cela, urgence absolue !
En la matière, l’hydrogène est un fabuleux espoir. C’est un gaz incolore et inodore, très léger, combustible, donc, capable de libérer par combustion de la chaleur et de l’énergie. Lors de cette réaction chimique, il ne produit que de l’eau sous forme de gaz, c’est-à-dire de la vapeur d’eau.
Il présente un potentiel extraordinaire pour répondre à nos enjeux de transition énergétique, mais il n’existe pas dans la nature. L’enjeu, aujourd’hui, serait de le produire de manière décarbonée, c’est-à-dire sans la technique jusqu’à présent utilisée de vaporeformage du méthane, laquelle génère de l’hydrogène que l’on pourrait qualifier de « gris ».
Au contraire, on peut produire de l’hydrogène par électrolyse, en faisant passer du courant électrique dans de l’eau. Il se produit alors des réactions chimiques au niveau des électrodes et il se forme, à la cathode, du dihydrogène.
Ce procédé coûteux, au rendement très moyen, n’a été jusqu’à présent que peu utilisé. Si on développe les énergies renouvelables, on peut avoir la solution. La production d’électricité des éoliennes et des panneaux photovoltaïques est variable. En revanche, elle peut atteindre des pics, notamment en été, à des heures où la demande est moins importante. Cette électricité produite pourrait alors alimenter les électrolyseurs et produire un hydrogène « vert ».
Actuellement, la recherche se développe et les résultats s’annoncent d’ores et déjà prometteurs. Le CEA-Liten à Grenoble travaille sur la technologie SOEC, électrolyse à haute température et à haut rendement, en vue de son industrialisation dans un avenir très proche – on parle de cinq ans.
En outre, le projet de démonstrateur industriel Jupiter 1000 de power to gas fonctionnera, dès cette année, à Fos-sur-Mer sur le même sujet et dans le but, cette fois, de stocker de l’électricité. L’hydrogène est en effet un vecteur stratégique de stockage inter-saisonnier de l’électricité. Contrairement à l’électricité, l’hydrogène se stocke.
Dès lors, cet hydrogène vert peut être utilisé dans la mobilité propre. Il suffit d’équiper un véhicule d’une pile à combustible. Dans cette pile, l’hydrogène fournit de l’électricité en ne produisant, comme je l’ai dit, que de la vapeur d’eau.
J’ai pu voir fonctionner un bus utilisant cette technologie à Cologne, en Allemagne. À terme, c’est tout le réseau de cette métropole qui roulera à l’hydrogène. Le réservoir se remplit rapidement – c’est un réservoir à hydrogène. Sa capacité est équivalente à celle d’un véhicule diesel, et il possède donc en cela une grande autonomie. Les avantages ne s’arrêtent pas là, le moteur étant plus puissant qu’un moteur classique électrique.
Cette technologie pourrait être l’avenir de nos poids lourds, mais aussi des trains fonctionnant sur des petites lignes non électrifiées. Le scénario exposé par le projet du « verdissement du parc ferroviaire » fixe à 2035 le remplacement de trains régionaux roulant au gazole par des trains roulant à l’hydrogène. Cette perspective de 20 % de déplacements propres sera, je l’espère, tenue.
Pour ce faire, les énergies renouvelables doivent se développer. Selon RTE, notre stade de développement est actuellement insuffisant. Du volontarisme est absolument nécessaire, car nous avons du retard !
C’est de la création d’un réseau énergétique supplémentaire qu’il est question. Il faudra consentir des efforts d’investissement et accepter d’entretenir des infrastructures qui n’existent pas aujourd’hui. Le plan Hydrogène est ambitieux, très engageant, mais il doit passer à une phase de réalisation plus offensive.
Il faudra que tout le territoire national soit concerné pour que cela vaille la peine. Peut-on en rester à de simples appels à projets et laisser au bon vouloir des uns et des autres le loisir de faire ou pas ? En cela, je crois que l’État devrait reprendre son rôle de stratège. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)