M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Madame la ministre, je souhaiterais évoquer aujourd’hui plus particulièrement les conséquences du retrait britannique pour l’avenir du programme Erasmus.
Nous le savons tous, le programme Erasmus, dont on a fêté récemment le trentième anniversaire, est l’un des grands succès de l’Union européenne, si ce n’est le plus grand, en tout cas le plus visible d’entre eux, d’une portée symbolique forte.
Cependant, après le Brexit, le Royaume-Uni ne sera a priori plus associé à ce programme. Les étudiants britanniques seront dès lors pénalisés, car ils utilisent très souvent le programme Erasmus pour parfaire leurs études ou accroître leur mobilité.
Les étudiants européens seront, quant à eux, privés d’un passage par les établissements britanniques, très réputés. Ils seront traités comme des étudiants internationaux et tenus de payer les frais d’études élevés propres aux établissements britanniques.
Heureusement, Erasmus est ouvert à de nombreux pays non membres de l’Union européenne, comme la Norvège, l’Islande ou la Turquie. Il conviendrait donc que les négociations prévoient le maintien de cet avantage précieux pour notre jeunesse. Cela permettrait aussi de restaurer le lien entre les nouvelles générations du Royaume-Uni et de l’Union européenne, lien qui a été rompu sur la base de nombreux mensonges et manipulations politiques.
Madame la ministre, pouvez-vous nous assurer que nos étudiants, tout comme ceux du Royaume-Uni, pourront continuer à bénéficier dans des conditions similaires du programme Erasmus ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Sur le plan communautaire, nous devrons, à la fois, gérer les conséquences à court terme du Brexit pour les étudiants et repenser la participation à long terme du Royaume-Uni au programme Erasmus.
À court terme, nous nous attendons à ce que toutes les mobilités en cours continuent jusqu’à leur terme. Cela implique notamment la poursuite du versement des bourses de mobilité, qui sont attribuées par les universités d’origine des étudiants, donc par les universités françaises, et ne sont pas affectées par le Brexit. En matière de sécurité sociale, les étudiants français au Royaume-Uni sont et restent couverts par la sécurité sociale française.
Mais nous nous attendons aussi à ce qu’il n’y ait aucune extension ou aucun renouvellement avant la conclusion d’un nouvel accord entre l’Union européenne et le Royaume-Uni sur Erasmus. Quelles que doivent être les modalités du Brexit, rien ne s’oppose à celle-ci : comme vous l’avez observé, madame la sénatrice, des États tiers participent déjà à ce programme. Il est dans l’intérêt de la France et, je le crois, de l’Union européenne de chercher à conclure un nouvel accord.
Cependant, les conditions de participation sont bien sûr un peu différentes pour un État tiers que pour un État membre. La Commission européenne propose, avec raison, que soit respectée une forme d’équilibre financier entre les contributions et les bénéfices retirés par un État tiers, alors que cette contrainte ne s’applique pas à un État membre.
Au-delà du programme Erasmus, le Gouvernement britannique s’est engagé à maintenir les frais de scolarité des ressortissants européens au niveau de celui des Britanniques pour l’année 2019-2020, qu’il y ait accord ou non, y compris pour les étudiants qui commenceraient leurs études à la rentrée de 2019. En revanche, il n’a pas pris d’engagement au-delà de 2020.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.
Mme Colette Mélot. Je vous remercie de ces précisions, madame la ministre. Je prends bien sûr note de ce qui est déjà entériné concernant les mobilités en cours, notamment en matière de couverture sociale des étudiants français au Royaume-Uni.
De toute évidence, des échanges vont pouvoir s’organiser sur d’autres bases et les universités seront soucieuses de s’impliquer dans cette démarche, mais nous devrons tout de même veiller à ce que ce soit dans des conditions favorables à notre jeunesse.
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb.
M. Laurent Duplomb. Le rejet par les députés britanniques, avant-hier, du projet présenté par Mme May nous fait craindre, à l’approche de la date butoir du 29 mars, un départ du Royaume-Uni de l’Union européenne sans accord. C’est le pire des scénarios pour la France, car un Brexit « dur » aurait de multiples conséquences. Outre qu’il alourdirait considérablement la facture, à hauteur de près de 10 milliards d’euros, il mettrait au jour l’impréparation de l’administration française, qui n’a jamais voulu croire à cette éventualité.
Cette période d’incertitude soulève de nombreuses questions pour nos entreprises agroalimentaires, qui, depuis des décennies, commercent avec l’Angleterre. Je vous livrerai maintenant deux témoignages que j’ai recueillis auprès de grandes entreprises françaises.
« Nous avons de fortes positions en termes de parts de marché, étant le numéro un du camembert et du bleu importés de France. Avec une usine d’emballage sur place, nous sommes déjà impactés par la baisse de la livre sterling et craignons un éventuel retour à des barrières tarifaires. Une partie de notre équipe de direction est française et s’inquiète pour son sort, de même que nombre de travailleurs de notre usine. Le Brexit sans accord voté hier nous remplit donc d’incertitude. Il devrait affecter lourdement notre entreprise au travers de ses emplois, en France comme en Angleterre. »
Le second témoignage est le suivant : « Indirectement, avec Yoplait, nous exportons environ 80 millions de litres de lait. S’il devait y avoir des taxes à l’importation, nous serions désavantagés par rapport aux producteurs locaux. C’est l’équivalent ou presque d’une usine qui est menacé, car nous sommes déjà en surcapacité de production. Nous produisons environ 480 millions de litres de lait pour Yoplait en France. Danone, qui a une usine en Angleterre, sera moins désavantagé, l’autre acteur important étant un producteur local, Müller. »
Madame la ministre, que comptez-vous répondre à ces entreprises, à quelques jours de l’échéance du 29 mars ? Sur ce dossier, le Gouvernement est amené à agir dans l’urgence, ce qui démontre une fois de plus son amateurisme.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Ma réponse sera plus courtoise que votre question, monsieur le sénateur… (M. André Gattolin applaudit.)
Permettez-moi néanmoins de vous contredire : le pire des scénarios serait non pas une absence d’accord, mais un mauvais accord qui porterait atteinte aux intérêts de l’Union européenne, notamment à ceux des entreprises françaises. Leur préservation est notre boussole dans cette négociation.
Vous affirmez que le Royaume-Uni n’acquittera pas sa facture en cas de Brexit sans accord. Sur ce point également, je vous contredis : le Royaume-Uni a pris à cet égard un engagement juridique en tant qu’État membre ; accord ou pas accord, les sommes sont dues !
Vous parlez d’impréparation du Gouvernement français. Il se trouve que le Premier ministre a organisé une première réunion pour envisager le scénario d’un Brexit sans accord dès le mois d’avril, à un moment où personne, au sein de l’Union européenne, ne pensait ce scénario crédible. Seuls deux pays, aujourd’hui, sont véritablement prêts à affronter un Brexit sans accord : l’Allemagne et la France. Tous les autres sont à la traîne et examinent avec attention le texte qui sera soumis au Sénat dans quelques instants, pour s’en inspirer.
Nous sommes prêts, notamment parce que nous rencontrons régulièrement, avec Agnès Pannier-Runacher, les fédérations professionnelles et les entreprises. Les préfets en font autant dans les territoires. Je suis d’accord avec vous sur le fait que toutes les entreprises ne sont pas prêtes, en particulier les PME exerçant leurs activités exclusivement au sein de l’Union européenne, qui ne sont pas habituées aux formalités à accomplir pour commercer avec des États tiers.
Vous évoquez un risque de baisse de la livre. Ce risque, nos entreprises le connaissent déjà aujourd’hui, le Royaume-Uni n’étant pas membre de la zone euro.
Enfin, ce n’est pas le Brexit sans accord qui a été voté mardi : le projet d’accord de retrait n’a pas été ratifié, mais de nombreuses options sont encore ouvertes. Un accord sur la relation future pourra intervenir ultérieurement. Quoi qu’il en soit, nous restons mobilisés pour défendre les intérêts de nos entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mmes Fabienne Keller et Colette Mélot applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. La sortie effective du Royaume-Uni de l’Union européenne, dont les conséquences sont imprévisibles, suscite de vives inquiétudes chez les 500 000 ressortissants britanniques résidant en France.
Par exemple, plus de 10 000 citoyens britanniques vivent dans le Périgord et près de 230 000 touristes anglais y ont séjourné en 2018. En l’absence de solution négociée, leur venue, qui apporte, chaque année, 153 millions d’euros de retombées économiques à ce territoire, sera fortement entravée par le rétablissement des frontières et les formalités requises pour la délivrance des passeports et des visas. La rapidité et la simplicité des démarches administratives sont essentielles pour maintenir l’attractivité de nos départements et, plus largement, pour garantir la viabilité des aéroports de Nouvelle-Aquitaine et d’Occitanie.
Nous savons que le Gouvernement souhaite limiter l’impact économique du Brexit et maintenir la libre circulation des personnes, dans le plein respect du principe de réciprocité. À cet effet, vous nous proposerez dans quelques instants, madame la ministre, d’adopter un projet de loi lui permettant de prendre par ordonnances toutes mesures de nature à permettre à la France de faire face à une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, avec ou sans accord.
Vous entendez mettre en œuvre une démarche en deux temps : une phase transitoire durant laquelle les citoyens britanniques pourront continuer à se déplacer sur notre territoire sous certaines conditions, puis une phase définitive, qui verra ces dispositions confirmées, abrogées ou modifiées en fonction de l’issue des négociations avec les autorités britanniques.
Quelles mesures concrètes le Gouvernement entend-il adopter pour garantir les droits fondamentaux des citoyens britanniques sur notre territoire ? (M André Gattolin applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Les Britanniques seront bien sûr demain tout autant les bienvenus sur notre sol qu’ils le sont aujourd’hui, monsieur le sénateur.
Nous connaissons les inquiétudes des ressortissants britanniques et nous nous efforçons d’y répondre. En particulier, le site internet brexit.gouv.fr mis en place par le Gouvernement leur apporte un certain nombre d’informations.
S’agissant des très nombreux touristes britanniques qui séjournent en France – on en dénombre chaque année environ 4 millions –, il n’est pas question, au niveau européen, de rétablir des visas de court séjour pour les ressortissants britanniques se rendant dans l’Union européenne, à moins que l’idée ne vienne aux Britanniques de le faire pour les ressortissants de l’Union européenne – mais je ne pense pas que cela doive être le cas.
Nous devons simplifier autant que possible les contrôles qui seront effectués à l’entrée sur notre territoire et nous avons augmenté le nombre d’agents chargés de ces contrôles, afin que la fluidité puisse être la règle pour l’entrée des Britanniques sur le territoire national.
S’agissant des Britanniques établis en France, nous souhaitons qu’ils puissent continuer à résider, à vivre, à étudier, à travailler, à se soigner dans les mêmes conditions qu’auparavant. Ce point figure dans le projet de loi d’habilitation que nous examinerons tout à l’heure. Nous proposons d’instaurer un délai de grâce d’un an à compter de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne avant qu’ils ne doivent justifier de la détention d’une carte de résident. Leurs qualifications professionnelles, leurs diplômes seront reconnus.
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour la réplique.
M. Bernard Cazeau. Je vous remercie de ces précisions, madame la ministre ; elles semblent répondre aux préoccupations des sujets britanniques avec qui je me suis entretenu. J’examinerai attentivement les mesures que vous prendrez par ordonnances.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Le rejet par le Parlement britannique de la proposition d’accord sur la sortie du Royaume-Uni nous rapproche d’un Brexit « dur », qui affecterait de nombreux secteurs économiques, particulièrement les ports et la pêche dans mon département, le Nord.
Depuis deux ans déjà, le trafic transmanche du port de Dunkerque connaît une baisse suffisamment sérieuse pour nous inquiéter. La situation risque de s’aggraver encore si les investissements nécessaires à la fluidification du trafic ne sont pas réalisés.
Nous pouvons déjà nous féliciter de la construction d’un parking dédié de 200 places et de la construction d’infrastructures pour les contrôles, mais tout semble indiquer que davantage d’investissements sont nécessaires. Il faut mesurer l’impact qu’aurait la multiplication des contrôles sur la fluidité du trafic. Au regard des investissements massifs planifiés par le Royaume-Uni dans ses ports, la France semble encore bien en retrait. Le Gouvernement prévoit-il des investissements supplémentaires dans les ports français, notamment celui de Dunkerque ?
La pêche constitue un autre sujet d’inquiétude. Les eaux poissonneuses du Royaume-Uni sont les plus étendues d’Europe. Le soutien massif des pêcheurs britanniques au Brexit tenait tant à une contestation des quotas de pêche européens qu’à la concurrence des pêcheurs étrangers, notamment français. Les pêcheurs de ma région effectuent par exemple 75 % de leurs prises dans les eaux britanniques. Au total, 3 000 emplois pourraient disparaître. Si le gouvernement de Theresa May a affirmé à plusieurs reprises vouloir faire montre d’une certaine souplesse sur ce dossier, la perspective d’une sortie franche de l’Union européenne – toujours possible – risque de remettre en cause le principe d’un accès peu régulé aux eaux britanniques. Cela nuirait fortement aux pêcheurs français, mais aussi au secteur commercial, les exportations de poissons du Royaume-Uni vers notre pays étant gigantesques.
Ces deux problématiques seront-elles au cœur des discussions à venir, madame la ministre ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Vous avez raison, monsieur le sénateur Bocquet, ces deux sujets sont essentiels pour notre pays. Nous les avons toujours abordés au cours des discussions, en particulier avec le négociateur européen.
S’agissant des ports, en cas de Brexit sans accord, il sera évidemment nécessaire de rétablir des contrôles, et donc de réaliser les investissements nécessaires pour la construction d’infrastructures ad hoc.
Nous avons recruté environ 600 douaniers et agents chargés des contrôles sanitaires et phytosanitaires. Ils sont en cours de formation. Les gestionnaires des ports devront investir quelque 50 millions d’euros pour répondre aux besoins, le travail d’identification de ceux-ci ayant été mené par le coordinateur national chargé de préparer la France à un Brexit sans accord. Ces investissements seraient d’ailleurs également nécessaires, en cas d’accord, si le Royaume-Uni sortait de l’union douanière et du marché unique.
Nous avons en outre examiné, avec l’Union européenne, dans quelle mesure les ports français pouvaient être intégrés au corridor mer du Nord-Méditerranée. C’est déjà le cas pour Calais et Dunkerque ; ce le sera pour Le Havre. Le Parlement européen, de son côté, a proposé d’élargir la liste des ports éligibles en y incluant Caen, Roscoff et Saint-Malo. Un désaccord subsiste entre la Commission et le Parlement européen, dont nous soutenons naturellement la position.
Je signale, à ce propos, que le mécanisme européen d’interconnexion bénéficie d’un reliquat de crédits de 67 millions d’euros et que la commission « transports » du Parlement européen a recommandé de flécher ce reliquat vers la construction d’infrastructures nécessaires aux ports pour faire face aux conséquences d’un Brexit sans accord. Pour autant, il faut que les gestionnaires des ports candidatent et soumettent très rapidement des projets. Je n’ai bien sûr pas manqué de le leur indiquer.
Concernant la pêche, il était prévu, dans le projet d’accord de retrait, que nous puissions négocier et conclure un accord dès le premier semestre 2020. En cas d’absence d’accord, nous chercherons à conclure très rapidement un nouvel accord bilatéral sur la pêche avec le Royaume-Uni et, d’ici là, nous demanderons à la Commission européenne de soutenir les activités de nos pêcheurs.
(M. Vincent Delahaye remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini.
M. Jean-Marc Todeschini. Le rejet du projet d’accord sur le Brexit suscite de nombreuses inquiétudes quant à la suite de la procédure de sortie de l’Union européenne, le Royaume-Uni n’ayant pas clarifié sa position pour le moment.
Sortir de l’Union européenne ne se fait pas d’un trait de stylo sur un bout de papier ! Toutes les théories fumeuses exploitées par des intervenants politiques en mal de notoriété s’effondrent dès lors que l’on se penche sur les conséquences du Brexit. Vouloir quitter de l’Union européenne sans dégâts est illusoire. Les effets d’une sortie de l’Union européenne sont redoutables pour l’ensemble de nos concitoyens : elle emporte des conséquences négatives sur le quotidien des expatriés, des entreprises, des travailleurs, des consommateurs. Tout le monde est concerné !
Le risque d’une sortie désordonnée du Royaume-Uni de l’Union européenne est aujourd’hui tangible. Même si un report du Brexit est possible, rien ne tend vers un accord durable. Ne règne que le chaos dans lequel les populistes laissent les élus – ces élus qui, eux, gèrent réellement les situations, s’engagent pour l’intérêt général et pour leur pays, demeurent responsables devant leurs concitoyens.
Avant le Brexit, nous défendions l’Union européenne au nom de nos valeurs, au nom de cette paix coconstruite après deux guerres mondiales. Nous devons continuer à le faire, mais, désormais, nous devons aussi défendre très concrètement l’Europe face à celles et ceux qui appellent au repli sur soi. Nous savons que les populistes peuvent remporter un référendum, à force de fake news, de coups de menton, d’effets de manche et autres mensonges. Mais, une fois le vote passé et les caméras éteintes, ils ne laissent qu’un amas de problèmes sans solution. Ils ne sont plus là, dès lors qu’il faut agir pour nos concitoyens.
Oui, une autre politique pour l’Union européenne, plus juste, plus sociale, plus simple parfois, plus proche des citoyens, est nécessaire. L’absence d’Europe n’est pas une alternative crédible. L’absence d’Europe, ce sont des heures d’attente aux postes-frontière, des papiers supplémentaires à remplir pour se déplacer, des diplômes qui ne sont plus reconnus, des entreprises qui ne peuvent plus produire et faire circuler leurs marchandises…
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean-Marc Todeschini. Madame la ministre, qu’il n’existe pas au Royaume-Uni de majorité pour demander officiellement un simple report nous inquiète. Que peuvent faire les Européens pour obtenir du Gouvernement britannique de vraies propositions ? Sommes-nous dans l’impasse ? Sommes-nous réellement prêts à faire face à une sortie du Royaume-Uni sans accord ? Faudra-t-il une longue période de transition ? (Mme Hélène Conway-Mouret et M. André Gattolin applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Effectivement, le référendum de 2016 s’est tenu après une campagne marquée, on le sait, par la désinformation. Cela doit nous amener à réfléchir aux moyens de lutter contre la désinformation lors des échéances électorales. Tous les outils sont-ils aujourd’hui en place à cet égard pour que l’instrument du référendum puisse être utilisé en toute confiance et sans risque ?
Mardi, à la Chambre des communes, c’est une coalition des opposants à la ratification du projet d’accord de retrait qui était à l’œuvre ; cela ne fait pas une coalition pour construire quelque chose. On le sait, la classe politique britannique est aujourd’hui extrêmement divisée.
Oui, l’Union européenne est menacée par des casseurs. On les trouve en son sein même, dans presque tous les pays membres, et leur unique objectif est de détruire le projet européen. Souvenons-vous de Nigel Farage, qui proclamait que son premier objectif était de sortir le Royaume-Uni de l’Union européenne, son deuxième de détruire l’Union européenne. Ne l’oublions jamais, et restons déterminés !
Que pouvons-nous faire aujourd’hui pour faciliter une issue positive du côté britannique ? La balle est dans le camp du Royaume-Uni : nous ne pouvons pas discuter avec le Parlement britannique à la place de Mme May. Nous ne pouvons qu’appeler les Britanniques à se dépêcher, à ne pas croire que l’on peut réinventer un accord qui a été négocié pendant dix-sept mois. Nous voulons maintenir une relation étroite et forte avec le Royaume-Uni, sachant cependant qu’elle ne pourra l’être au même degré qu’avec un État membre de l’Union européenne ; notre relation future avec le Royaume-Uni sera forcément en deçà.
Un Brexit sans accord est aujourd’hui beaucoup moins improbable. Nous nous y préparons depuis longtemps et nous serons prêts, le cas échéant. Il s’agit de faire en sorte que la décision prise par le Royaume-Uni de quitter l’Union européenne ne porte pas atteinte aux intérêts des Européens.
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.
M. Jean-Noël Guérini. Non sans difficulté, depuis maintenant dix-huit mois, le gouvernement de Theresa May et Michel Barnier, négociateur en chef de l’Union européenne, ont posé les bases d’une sortie négociée du Royaume-Uni de l’Union européenne.
L’accord trouvé vient d’être sèchement rejeté par les députés britanniques. Nous constatons que la fracture révélée outre-Manche par le référendum du 23 juin 2016 n’a cessé de se creuser.
Comme de nombreux autres pays en Europe, le Royaume-Uni est aujourd’hui divisé. À l’évidence, les souverainistes et les partisans du Brexit cherchent avant tout à garder deux fers au feu : quitter l’orbite de Bruxelles tout en conservant les avantages liés à l’appartenance à l’Union.
Je veux tirer un enseignement de ce triste feuilleton pour tous ceux qui croient aux vertus de la construction européenne.
La situation britannique est un révélateur de la fragilité de tout notre édifice européen. On doit entendre et comprendre les critiques visant l’orthodoxie de la Commission européenne, jugée technocratique, manquant d’humanité, déconnectée de la réalité, libérale, trop proche des lobbys, et j’en passe.
Est-il sérieux d’ouvrir des négociations d’adhésion avec deux nouveaux pays, l’Albanie et la Macédoine, alors que le dossier britannique n’est pas clos et que de nombreuses questions restent en suspens ?
Nous devons sauver l’Europe d’elle-même et de ses dérives réglementaires. Nous devons nous montrer à la hauteur des défis de la construction européenne, sans céder aux sirènes du populisme, porteur d’inquiétantes pulsions nationalistes. Soyons responsables et osons rappeler que l’Europe nous apporte plus qu’elle ne nous coûte.
Madame la ministre, alors que nous ne pouvons dire avec certitude quels seront les effets concrets du Brexit, la signature du traité d’Aix-la-Chapelle, objet d’interprétations complotistes, n’est-elle pas une habile réaffirmation du couple franco-allemand ? Le grand débat national engagé par le Président de la République ne constitue-t-il pas une réelle opportunité en vue d’aborder cet horizon commun européen ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, je vous remercie de ce vaste panorama. Au Royaume-Uni, lors de la campagne précédant le référendum de 2016, de fausses informations faisant état du risque d’une invasion du pays par des millions de ressortissants turcs ont circulé. On a aussi affirmé que l’Europe n’était pas assez libérale, ce qui résonne parfois étrangement à nos oreilles de ce côté-ci de la Manche !
Si l’on compare l’Union européenne et le marché unique à une omelette constituée des œufs mis en commun par les États membres, les Britanniques découvrent depuis deux ans qu’il est très compliqué de reprendre son apport… Ce sont eux qui ont inventé le marché unique, contribuant à imbriquer encore davantage nos économies.
Je partage votre scepticisme quant à un nouvel élargissement, monsieur le sénateur. Il importe de renforcer l’Union européenne, de la refonder avant que de vouloir l’élargir. L’Union européenne est confrontée à des défis immenses ; elle est le bon échelon pour les relever, mais il n’est peut-être pas besoin d’ajouter le défi supplémentaire d’un élargissement, surtout si les pays candidats ne sont pas encore prêts. Nous en reparlerons lorsqu’ils le seront, ce qui n’est pas encore le cas.
Le Président de la République et la Chancelière allemande signeront en effet la semaine prochaine, à Aix-la-Chapelle, un nouveau traité de coopération, venant prolonger le traité de l’Élysée à la fois pour renforcer encore davantage nos liens bilatéraux, à la mesure des enjeux du XXIe siècle, et pour donner un surcroît d’énergie au moteur franco-allemand, sans lequel, on le sait, l’Europe ne peut pas avancer. (Mmes Fabienne Keller et Colette Mélot applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Madame le ministre, je n’ai pas voté la ratification du traité de Lisbonne, estimant que, quand on est démocrate, la moindre des choses est de respecter le résultat d’un référendum.
On assiste à un conflit entre les partisans d’une Europe des nations et ceux d’une Europe supranationale – ce que j’appellerai l’Europe de la chienlit, telle que nous la connaissons actuellement. Il est tout à fait scandaleux que les partisans d’une Europe supranationale – je suis l’un des rares, dans cette enceinte, à ne pas en être, ce qui illustre, au regard des sondages, la représentativité du Sénat par rapport à la réalité de la population française… –, des gens qui n’ont que le mot « démocratie » à la bouche, se permettent d’injurier ceux qui ne pensent pas comme eux, en les traitant de menteurs, de va-t-en-guerre !
Les menteurs, les malhonnêtes, ce sont ceux qui font tout leur possible pour empêcher la mise en œuvre de la volonté exprimée par le peuple au travers d’un référendum ! Je trouve scandaleux que l’Europe, notamment sous l’impulsion du Président de la République française, ait fait tout ce qui était en son pouvoir pour torpiller la négociation avec le Royaume-Uni, en prétendant imposer à celui-ci une frontière à l’intérieur de son propre territoire, entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne. Là était le point nodal de cette négociation, vous le savez très bien !