Sommaire
Présidence de M. Thani Mohamed Soilihi
Secrétaires :
MM. Éric Bocquet, Yves Daudigny.
2. Candidatures à une mission d’information
3. Quelle politique d’attractivité de la France à l’égard des étudiants internationaux ? – Débat organisé à la demande du groupe socialiste et républicain
Mme Sylvie Robert, pour le groupe socialiste et républicain
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation
Mme Mireille Jouve ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Mme Catherine Morin-Desailly ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Mme Colette Mélot ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
M. Stéphane Piednoir ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; M. Stéphane Piednoir.
Mme Françoise Cartron ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
M. Pierre Ouzoulias ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; M. Pierre Ouzoulias.
Mme Claudine Lepage ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
M. Claude Kern ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
M. Jacques Grosperrin ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
M. Jean-Yves Leconte ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; M. Jean-Yves Leconte.
M. Pascal Allizard ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; M. Pascal Allizard.
M. David Assouline ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
M. Olivier Paccaud ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; M. Olivier Paccaud.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
M. Serge Babary ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Mme Sylvie Robert, pour le groupe socialiste et républicain
Suspension et reprise de la séance
4. Communication d’avis sur des projets de nominations
5. Après un an d’application, bilan et évaluation de Parcoursup. – Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste
M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation
6. Solidarité intergénérationnelle. – Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective
Mme Nadia Sollogoub, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective
M. Julien Bargeton, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé
M. Jean-Pierre Moga ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
M. Daniel Chasseing ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; M. Daniel Chasseing.
Mme Dominique Estrosi Sassone ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Patricia Schillinger ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Laurence Cohen ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Laurence Cohen.
Mme Nadine Grelet-Certenais ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
M. Stéphane Artano ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; M. Stéphane Artano.
Mme Nassimah Dindar ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
M. Jean-Raymond Hugonet ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
M. Yannick Vaugrenard ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Corinne Imbert ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Corinne Imbert.
Mme Monique Lubin ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
M. Jean-Marc Boyer ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Christine Bonfanti-Dossat ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Patricia Morhet-Richaud ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Fabienne Keller, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective
Nomination des membres d’une mission d’information
compte rendu intégral
Présidence de M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
Secrétaires :
M. Éric Bocquet,
M. Yves Daudigny.
M. le président. Avant toute chose, mes chers collègues, permettez-moi de vous présenter mes vœux pour la nouvelle année.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidatures à une mission d’information
M. le président. L’ordre du jour appelle la nomination des vingt-sept membres de la mission d’information sur la gestion des risques climatiques et l’évolution de nos régimes d’indemnisation, créée sur l’initiative du groupe socialiste et républicain en application du droit de tirage prévu par l’article 6 bis du règlement.
En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 110 de notre règlement, la liste des candidats établie par les groupes a été publiée.
Elle sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.
3
Quelle politique d’attractivité de la France à l’égard des étudiants internationaux ?
Débat organisé à la demande du groupe socialiste et républicain
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe socialiste et républicain, sur le thème : « Quelle politique d’attractivité de la France à l’égard des étudiants internationaux ? »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à Mme Sylvie Robert, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Sylvie Robert, pour le groupe socialiste et républicain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous souhaite, à mon tour, une excellente année 2019.
Cela dit, le titre II du livre Ier du code de l’éducation est limpide. Le service public de l’enseignement supérieur « veille à favoriser l’inclusion des individus sans distinction d’origine, de milieu social et de condition de santé », « contribue […] à l’attractivité et au rayonnement des territoires aux niveaux local, régional et national », « assure l’accueil des étudiants étrangers, en lien avec le réseau des œuvres universitaires et scolaires » et « veille à la promotion et à l’enrichissement de la langue française ».
Or l’annonce par le Gouvernement, il y a quelques semaines maintenant, de l’augmentation des frais d’inscription à l’université des étudiants étrangers hors Union européenne fait légitimement craindre une remise en cause des missions et des objectifs dévolus au service public de l’enseignement supérieur, et ce d’autant que la multiplication par plus de quinze du montant de ces droits n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact ni d’aucune concertation, que ce soit avec les premiers concernés, en l’occurrence la communauté universitaire et les syndicats étudiants, ou avec la représentation nationale.
Une nouvelle fois, cette mesure, aux incidences potentiellement lourdes et pluridimensionnelles, a été soudaine et, disons-le, brutale. Dans ce contexte, il n’est guère surprenant que les présidents d’université et les étudiants se soient mobilisés et aient exprimé, parfois vertement, leur désaccord, réclamant notamment un moratoire. Je rappelle qu’une quarantaine de présidents se sont déclarés contre cette hausse et qu’un mouvement de désobéissance universitaire s’est fait jour, quelques conseils d’administration ayant d’ores et déjà précisé qu’ils n’appliqueront pas l’arrêté.
Le groupe socialiste et républicain a souhaité demander l’inscription à l’ordre du jour du Sénat d’un débat sur la politique d’attractivité de la France à l’égard des étudiants étrangers extracommunautaires, afin que le Parlement puisse se saisir de cette problématique fondamentale et vous interroger, madame la ministre, pour obtenir des réponses que nous espérons argumentées.
Alors, commençons par le commencement. En écoutant la présentation du plan Bienvenue en France, la première interrogation qui m’est venue à l’esprit est « pourquoi ». Pourquoi décider d’un accroissement des frais d’inscription dans l’enseignement supérieur en vue d’attirer davantage d’étudiants étrangers ? Ou, plus justement, en quoi augmenter ces frais améliorera-t-il l’attractivité de la France ?
Vous conviendrez aisément que le raisonnement est a priori contre-intuitif, a fortiori quand est connue l’origine des étudiants internationaux venant étudier en France – environ la moitié provient du continent africain – et qu’il s’avère que près de 40 % de l’ensemble des étudiants reconnaissent avoir dû faire des sacrifices financiers pour concrétiser l’opportunité d’étudier dans l’Hexagone. Pour beaucoup, poursuivre leurs études en France est une chance ainsi qu’une joie, mais aussi un effort financier important. Il ne faut pas oublier cette réalité.
D’ailleurs, intéressons-nous à cette réalité. Le baromètre de Campus France sur l’image et l’attractivité de la France auprès des étudiants étrangers, qui date de 2018, prodigue des enseignements qui vont précisément à l’encontre de votre postulat, madame la ministre.
Tout d’abord, les freins principaux mentionnés sont le coût global de la vie, les complexités administratives liées en particulier à la délivrance des visas – j’y reviendrai – et les difficultés d’accès à un premier emploi après les études.
À l’inverse, les raisons premières qui motivent le choix des étudiants étrangers sont la qualité de l’enseignement dispensé, la langue et le rayonnement culturel de la France, la maîtrise du coût des études, en forte hausse par rapport à la précédente analyse.
En d’autres termes, la stratégie marketing du Gouvernement, qui consiste à augmenter les droits d’inscription à l’université en estimant qu’un coût plus élevé serait gage d’une formation d’un niveau supérieur, semble quelque peu déconnectée des motivations qui président, justement, à la décision des étudiants internationaux de venir en France.
Pis, elle renforce la barrière économique relative au coût de la vie et des études, et revient sur un avantage comparatif de la France par rapport au modèle anglo-saxon, dans lequel les études supérieures sont onéreuses. Pour de nombreux jeunes, l’accessibilité de l’université française est un critère décisionnel majeur ; si la France occupe une position enviable à l’échelle mondiale – quatrième position, et même première hors pays anglophones, avec 300 000 étudiants étrangers –, c’est aussi parce qu’elle ne s’inscrit pas dans le schéma anglo-saxon et qu’elle apparaît comme un contre-modèle, abordable et de qualité.
Madame la ministre, je ne crois absolument pas que libéraliser l’accès à l’enseignement supérieur pour les étudiants étrangers hors Union européenne sera source d’attractivité – mais peut-être nous direz-vous le contraire, arguments à l’appui – et permettra d’atteindre votre objectif de 500 000 étudiants internationaux d’ici à 2027. Au contraire, eu égard à la structure des étudiants étrangers dans l’enseignement supérieur français, l’effet d’éviction risque d’être massif ; et ce n’est aucunement l’octroi de 30 000 bourses, lesquelles représentent à peine 6 % des objectifs que vous vous êtes fixés, qui de mon point de vue compensera cet effet. En revanche, vous affecterez la provenance des jeunes et provoquerez une substitution partielle tendant, comme je l’ai dit à l’occasion d’une autre intervention, à « attirer les étudiants les plus riches et, en même temps, à écarter les plus pauvres ».
Ensuite, comme le révèle le baromètre de Campus France, le premier facteur d’attractivité demeure la qualité de la formation. Or cette dernière nécessite des ressources pédagogiques substantielles et oblige à créer et à adapter en permanence les contenus, afin qu’ils soient en adéquation avec les transformations de la société, aujourd’hui multiples et très rapides.
Par conséquent, les universités ont besoin de moyens humains et financiers pour développer des filières attractives, spécifiques et reconnues. Pour le Gouvernement, la hausse des frais d’inscription des étudiants extracommunautaires est une manière d’accroître les ressources propres des établissements ; mais n’est-elle pas également le signal d’un désengagement à venir de l’État en matière de financement du service public de l’enseignement supérieur ?
Quelles garanties offrez-vous, madame la ministre, afin que cette mesure n’ait pas pour corollaire une baisse égale du budget de l’État alloué aux universités qui provoquerait un renforcement des disparités entre celles-ci ?
Par ailleurs, la question de l’attractivité est intimement liée à celle de l’accueil, d’autant que les étudiants internationaux sont nombreux à pointer du doigt le maelstrom administratif et le coût de la vie en France. S’il est heureux que l’exécutif ait prévu de simplifier la politique de visas dans le cadre du plan Bienvenue en France, il est regrettable que si peu ait trait au quotidien des étudiants étrangers, singulièrement à la question du logement.
Enfin, évoquer l’attractivité d’un pays, c’est aborder son image et plus profondément sa consistance, ce que j’appelle son « âme ». Il est tellement significatif que la culture et le patrimoine français soient le deuxième motif invoqué par les étudiants étrangers pour justifier leur choix de venir étudier dans notre pays ! La France continue à être perçue, je l’espère pour longtemps encore, comme accueillante et attractive.
Or je crois que l’impact le plus négatif de la mesure considérée concerne l’image de la France qui se trouve écornée dans son aire d’influence, la francophonie. Mes collègues y reviendront dans la suite du débat.
La tradition d’ouverture de l’université française, pourtant séculaire, est mise à mal. C’est le fondement philosophique même de notre identité politique – l’égalité républicaine, l’accès universel aux savoirs et aux connaissances indépendamment des conditions matérielles initiales – qui est remis en question. La France doit tout simplement rester elle-même, sans chercher à entrer dans la logique anglo-saxonne, car c’est à la fois son honneur, sa singularité et sa force d’attractivité. Les étudiants étrangers d’aujourd’hui sont les futurs ambassadeurs itinérants de la France.
J’espère, madame la ministre, que vous reviendrez sur votre mesure et que le principe d’autonomie des universités ne servira pas de paravent au Gouvernement pour se départir de sa responsabilité, y compris sur le plan diplomatique, car il y a, là aussi, un enjeu majeur pour demain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de vous souhaiter une très belle année 2019.
Le premier mérite de ce débat est de nous permettre de mettre les choses au clair. À l’évidence, c’est indispensable, car l’écart est parfois immense entre la réalité de la stratégie Bienvenue en France et la description qui en est parfois faite ici et là.
À mes yeux, ce débat doit être l’occasion de dire clairement non seulement ce qu’est la stratégie d’attractivité menée par le Gouvernement, mais aussi ce qu’elle n’est pas, et de permettre à chacun de déterminer son opinion sur la base des faits. Rendre possibles de tels débats, c’est l’habitude du Sénat, et je me réjouis que nous ayons l’opportunité d’évoquer ensemble ce sujet essentiel.
Avant tout, je souhaite rappeler que la stratégie Bienvenue en France est une première. Jamais, jusqu’à présent, un gouvernement n’avait fait de la question de l’accueil des étudiants internationaux une priorité.
Si nous avons fait ce choix, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est parce que nous vivons une révolution silencieuse. Non seulement la jeunesse du monde est de plus en plus nombreuse à accéder à l’enseignement supérieur, et c’est très bien ainsi, mais elle est aussi de plus en plus nombreuse à faire tout ou partie de ses études supérieures à l’étranger. Il y a aujourd’hui un peu plus de 5 millions d’étudiants en mobilité dans le monde ; ils seront 9 millions en 2025.
La question posée est donc de savoir si la France sera ou non au rendez-vous de cette explosion de la mobilité étudiante, et si nous saurons saisir cette occasion d’accroître notre rayonnement, celui de notre enseignement supérieur comme celui de notre culture et des valeurs qui sont les nôtres.
Ne nous y trompons pas, aujourd’hui, certaines des grandes nations universitaires font face à des moments d’hésitation et sont confrontées à la tentation de la fermeture. La politique de visas américaine est ainsi devenue plus restrictive. Quant à nos amis britanniques, chacun sait qu’ils traversent une période de profonde incertitude.
Dans le même temps, de nouveaux acteurs émergent et affirment une politique d’attractivité que l’on peut, sans jugement de valeur, qualifier de dynamique, voire d’agressive. La Chine, la Turquie, l’Arabie saoudite, l’Iran sont quelques-uns des États qui connaissent la plus forte croissance du nombre d’étudiants internationaux accueillis. Face à cette concurrence, nous avons des atouts évidents – vous les avez rappelés, madame la sénatrice –, mais nous avons aussi des faiblesses. Il faut être conscient des uns comme des autres.
Les atouts, nous les connaissons : notre culture, notre patrimoine, la qualité de notre offre de formation et de recherche. Mais nos faiblesses sont aussi extrêmement visibles pour les étudiants internationaux. Nous les accueillons mal, et ils disent souvent qu’étudier en France se mérite.
Bien sûr, des progrès ont été effectués. Un certain nombre de grandes écoles, mais aussi d’universités se sont saisies de cette question. Ces efforts demeurent toutefois insuffisants, car faire des études en France relève encore trop souvent du parcours du combattant. Ce parcours démarre avec la demande de visa, se poursuit avec la recherche d’un logement, l’ouverture d’un compte en banque et l’inscription administrative. Trop souvent, les étudiants internationaux sont livrés à eux-mêmes pour accomplir ces démarches, tandis que dans les universités étrangères, un étudiant en mobilité est accueilli et accompagné de bout en bout.
Il suffit de comparer et de voir comment les étudiants français sont accueillis dans les universités étrangères… L’enjeu est donc bien là : être à la hauteur des standards internationaux de l’accueil.
Je veux insister sur ce point devant vous, car l’objectif du Gouvernement est bien d’augmenter de façon volontariste le nombre d’étudiants internationaux accueillis dans notre pays et de le porter à 500 000 d’ici à 2027. Nous sommes donc bien loin de la caricature qui circule ici ou là ! Il s’agit non pas de construire je ne sais quel mur autour des universités et des écoles, mais bien d’augmenter le nombre d’étudiants accueillis dans les prochaines années.
Évidemment, pour attirer ces étudiants, nous devons nous saisir des questions que nous avons trop longtemps laissées à l’écart. Je pense aux enseignements et aux formations délivrés en langue étrangère. Nous avons la chance de pouvoir compter sur la francophonie à laquelle je sais que vous êtes, comme moi, profondément attachés. Mais pour attirer en France et vers la pratique du français des étudiants qui, de prime abord, en sont davantage éloignés, nous devons réfléchir au moyen de leur permettre d’apprendre notre langue de manière intensive à leur arrivée sur le territoire, et en parallèle, à celui de développer des formations, notamment en langue anglaise, chaque fois que cela a du sens.
Pour accueillir les étudiants internationaux, il faut des moyens. Dès cette année, le Gouvernement a dégagé 10 millions d’euros pour permettre aux universités et aux écoles de mettre en place des actions concrètes, de créer des guichets uniques pour accompagner les étudiants dans leurs démarches, de faciliter l’accès au logement, notamment au sein des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires, les CROUS, et de développer les formations en français langue étrangère que j’évoquais à l’instant.
Pour aider les étudiants qui choisiront la France à s’y retrouver, le premier appel à labellisation Bienvenue en France, qui témoignera de l’engagement des établissements d’enseignement supérieur, sera ouvert dans les prochains jours.
Je veux aussi être claire : dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons, si nous voulons financer durablement l’amélioration de ces conditions d’accueil, nous n’avons pas d’autre choix que d’instaurer un vrai modèle redistributif, qui passe par la mise en place de droits d’inscription différenciés pour les étudiants internationaux et qui s’accompagne d’un triplement des bourses et exonérations. Il s’agit de garantir qu’aucun étudiant souhaitant choisir la France n’en soit empêché pour des raisons financières.
J’insiste, car ces frais différenciés ne peuvent se concevoir sans une véritable politique d’exonérations, de stratégies et de choix internationaux pour les établissements, ainsi que de bourses, qui se décline à l’échelle nationale et à celle de chaque établissement.
La mise en œuvre de nouvelles bourses et d’exonérations d’ici à la rentrée prochaine joue un rôle central dans la stratégie Bienvenue en France. Au-delà, les universités et les écoles disposent d’une large faculté d’exonération. Ainsi, tous les étudiants internationaux accueillis dans le cadre de conventions entre établissements d’enseignement supérieur sont exonérés de ces frais différenciés, de même que les étudiants accueillis dans le cadre d’Erasmus +. Au total, et sans que rien de nouveau soit proposé par les établissements, ce sont d’ores et déjà près de 25 % des étudiants internationaux concernés par les frais différenciés qui bénéficieront d’une exonération.
La stratégie internationale de chaque établissement doit se construire dans le contexte de ces établissements. C’est pourquoi j’ai demandé dès le mois de décembre à chaque établissement d’identifier ses besoins en bourses et en exonérations, et de nous les communiquer.
Pour intégrer pleinement l’objectif d’amélioration des conditions d’accueil, il doit y avoir un débat autour des modalités de financement de cette politique d’accueil, mais il ne doit en aucun cas nous faire oublier notre but : mieux accueillir les étudiants internationaux.
Ainsi pourrons-nous aborder, dans le cadre de la concertation et de ce débat, certains des points d’inquiétude qui ont déjà été formulés et auxquels je suis bien évidemment attentive. Je pense à l’accompagnement des étudiants internationaux d’ores et déjà présents en France, qui ne seront pas concernés par les frais différenciés et doivent donc être parfaitement rassurés à cet égard. En ce qui concerne les doctorants, qui sont essentiels pour notre système d’enseignement supérieur et de recherche, nous avons fait en sorte que les frais d’inscription d’un très grand nombre d’entre eux puissent être pris en charge.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, cette stratégie a une seule ambition : permettre à nos universités et à nos écoles de rayonner pleinement dans un monde où la mobilité étudiante connaîtra une accélération sans précédent. Au-delà des divergences qui s’exprimeront tout au long de ce débat, je suis certaine que cette ambition pourra nous réunir.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission de la culture, mes chers collègues, le 19 novembre dernier, le Premier ministre a annoncé une augmentation très significative des frais d’inscription des étudiants étrangers extracommunautaires lors de la prochaine rentrée. Cette décision a vocation, selon le Gouvernement, à permettre de financer un meilleur accueil des étudiants étrangers en France.
La pertinence de ce choix visant à renforcer l’attractivité de la France à l’égard des étudiants internationaux est loin d’emporter l’adhésion des principaux acteurs de la vie universitaire. La Conférence des présidents d’université, la CPU, a en effet demandé la suspension de cette décision dès le 13 décembre, ainsi que l’ouverture d’une concertation. Par ailleurs, en ce début d’année, les facultés d’Aix-Marseille et de Clermont-Ferrand ont d’ores et déjà indiqué qu’elles ne pratiqueraient aucune majoration sur les droits d’inscription lors de la rentrée 2019.
Madame la ministre, devant ces multiples réactions, vous venez de lancer une concertation tout en indiquant que la hausse des frais d’inscription pour les étudiants étrangers hors Union européenne « n’a pas vocation à être remise en cause dans son principe comme dans son calendrier ».
Cette concertation au cadre contraint a aussitôt été déplorée par la CPU. Celle-ci appelle de nouveau à la suspension de la décision d’augmenter très fortement les droits d’inscription des étudiants extracommunautaires à la prochaine rentrée, et demande l’ouverture d’une discussion au cadre élargi, sans a priori.
Madame la ministre, il paraît très difficilement envisageable, quelles que soient les options retenues pour renforcer l’attractivité à l’international de nos universités, qu’elles puissent être sereinement mises en œuvre sans recueillir préalablement l’assentiment des présidentes et présidents d’université.
Aussi, êtes-vous prête à faire évoluer le cadre de la concertation qui s’ouvre en levant toutes les barrières du débat, comme vous le demande la CPU ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice, je vous remercie de cette question qui permet de poser le cadre du débat.
Le Premier ministre a annoncé, lors de la présentation du plan Bienvenue en France, qu’il y aurait une concertation, laquelle ne visera pas à revenir sur une décision qu’il a souhaité prendre dans le cadre d’un accord interministériel qui affecte le ministère des affaires étrangères et celui de l’intérieur pour ce qui a trait à l’amélioration de la politique de visas, ainsi que le ministère de l’enseignement supérieur. Cette concertation a donc été annoncée dès le départ.
Cela étant, les universités sont des établissements publics opérateurs de l’État. Il est donc normal qu’ils soient consultés, non pas sur les choix du Gouvernement en tant que tels, mais sur les modalités de leur mise en application. C’est pourquoi j’ai indiqué aux présidents d’université qu’ils devaient dès à présent faire des propositions sur la façon dont ils souhaitaient accueillir davantage d’étudiants internationaux. Ils ont d’ailleurs tous déjà saisi cette opportunité dans le cadre de diplômes d’établissements, qu’ils facturent parfois jusqu’à 15 000 euros sans que cela pose de problème à personne puisqu’il ne s’agit pas de diplômes nationaux. Ce dispositif permet ainsi aux universités de disposer de plus de 50 millions d’euros de ressources propres.
Il faut bien resituer le débat. Nous souhaitons la mise en place d’un système redistributif dans lequel les étudiants internationaux qui en auront les moyens contribueront à l’amélioration de l’accueil de l’ensemble des étudiants, et la sortie du système actuel, lequel prévoit un accueil correct dans nos établissements d’enseignement supérieur pour les seuls étudiants qui peuvent payer 15 000 euros. Tel est, je crois, le fond du débat.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’accueil d’étudiants étrangers est une réelle chance pour notre pays. Outre que ceux-ci « rapportent » à notre économie davantage que ce qu’ils nous « coûtent » – un sondage BVA de novembre 2014 faisait état d’un bilan économique largement favorable à la France –, ils sont ensuite de précieux ambassadeurs pour notre pays, notre langue, notre culture, nos valeurs.
Au-delà de la valeur intrinsèque des études en France, de l’attrait de notre culture et de notre cadre de vie, je pense que les craintes actuellement suscitées par le Brexit et la politique de Donald Trump sont autant d’atouts pour faire valoir la destination France auprès des communautés étudiantes en mobilité internationale. Nos postes diplomatiques et nos antennes de Campus France s’y emploient, et nous pouvons le vérifier à chacun de nos déplacements à l’étranger.
J’ai bien compris, madame la ministre, votre réflexion et votre démarche globales pour attirer davantage d’étudiants internationaux, et c’est un pas en avant tout à fait appréciable.
Dans l’optique d’améliorer l’attractivité estudiantine internationale, dans un contexte d’explosion de la mobilité et de concurrence très vive qui ne fera que se renforcer, le Sénat a toujours soutenu la démarche des gouvernements successifs visant à créer des champions français de l’enseignement supérieur visibles et attractifs à l’international. Souvenez-vous des pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES, prévus dans la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite loi LRU, soutenue par Mme Valérie Pécresse, puis des communautés d’universités et établissements, les COMUE, de la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, dite loi ESR, défendue par Mme Geneviève Fioraso !
Quel bilan tirez-vous, madame la ministre, de cette politique de regroupement de nos établissements ? A-t-elle réellement porté ses fruits ? Comment s’est-elle traduite dans les classements internationaux, celui de Shanghai par exemple, avec toutes les réserves qui doivent bien entendu entourer ce type de classification nécessairement incomplète ? Les grandes écoles françaises, qui bénéficiaient déjà d’une belle réputation à l’étranger, n’y ont-elles pas perdu un peu de leur âme ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Je vous remercie, madame la présidente de la commission de la culture, de cette question.
La mission d’améliorer l’attractivité internationale a été confiée ou non, selon les sites, aux mégastructures que sont les PRES ou les COMUE. Soit les universités ont gardé leur stratégie propre dans ce domaine, soit elles l’ont déléguée aux COMUE. Dans ce dernier cas, des guichets d’accueil uniques ont été mis en place via un système de mutualisation de moyens. Tout dépend, aussi, du périmètre géographique adopté par ces communautés d’universités et établissements.
Quoi qu’il en soit, les COMUE ont bénéficié de la présence, en tant que membres associés, des écoles ayant depuis longtemps une pratique d’accueil des étudiants internationaux différenciée par rapport à celle des universités. De ce point de vue, c’est une richesse.
Les COMUE ont également permis d’afficher une offre de formation pluridisciplinaire, ce qui est un avantage à l’international. En effet, dans de nombreux pays, les universités sont par définition comprehensive, c’est-à-dire capables d’offrir des parcours qui mélangent différentes disciplines. C’est un atout, car, de plus en plus, les étudiants souhaitent avoir des compétences non seulement dans le domaine scientifique, mais aussi en sciences sociales, par exemple. Il est très important que nous puissions proposer une offre de formation qui ressemble à ce qui existe à l’international.
L’incidence de la création de ces regroupements sur les classements internationaux n’est malheureusement pas avérée, pour une bonne et simple raison : dans le cadre de la très grande majorité de ces classements, les COMUE ne peuvent être considérées en tant que telles comme des établissements d’enseignement supérieur. Nous avons fait en sorte que tel soit le cas, au travers de l’ordonnance, au bénéfice de ceux qui choisiront d’utiliser ces nouvelles possibilités pour créer leur écosystème d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’internationalisation de l’enseignement supérieur est un puissant levier d’influence et un vecteur essentiel de promotion de la francophonie à l’échelle mondiale.
La France, quatrième pays d’accueil des étudiants étrangers selon l’UNESCO, accuse depuis 2011 un décrochage progressif de son attractivité, et cela malgré un coût de scolarité resté étonnement bas pour les étudiants étrangers.
Pour maintenir notre pays au cœur de l’économie-monde du savoir, il nous faut investir dans une stratégie plus offensive d’attractivité à l’égard des étudiants internationaux.
Dans le contexte actuel, il est néanmoins inconcevable de continuer à demander aux contribuables français de financer la scolarité des étudiants extracommunautaires. Notre système éducatif s’équilibre en effet au travers de l’impôt, selon une logique contributive.
Aussi sommes-nous favorables au rapprochement des frais de scolarité déboursés par les étudiants extracommunautaires avec le coût réel supporté actuellement par les établissements et par la société, mais à trois conditions seulement, afin de limiter les effets d’éviction à court terme et d’améliorer l’attractivité à long terme de notre système éducatif.
Il conviendrait en effet d’augmenter le nombre de bourses au mérite, en particulier celles qui sont destinées aux étudiants provenant de pays francophones ; d’exclure du champ d’application des frais différenciés les étudiants titulaires d’un baccalauréat français et les doctorants ; d’investir dans la qualité de l’offre globale.
Madame la ministre, certains de ces points sont en adéquation avec les annonces du Gouvernement. En revanche, ne craignez-vous pas qu’une application des frais d’inscription différenciés aux doctorants, dont plus de 40 % sont des étudiants étrangers, ne prive la recherche française de talents dont elle pourrait difficilement se passer ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Je vous remercie, madame la sénatrice, de votre question qui met en exergue l’un des points ouverts au débat : celui de l’attractivité des diplômes de doctorat auprès des étudiants internationaux.
En préambule, je rappellerai une fois encore que les établissements, lorsqu’ils mettent en place leur politique d’exonération ou de modulation des frais d’inscription des étudiants, peuvent parfaitement le faire sur le critère du mérite – ceux qui le souhaitent y seront d’ailleurs encouragés. En effet, les demandes, en général très nombreuses, ne sont, évidemment, pas toutes acceptées par l’ensemble des universités, ce qui est bien normal, et la notion de mérite figure déjà parmi les critères de sélection des étudiants internationaux.
En ce qui concerne les diplômes de doctorat, nous avons prévu que les contrats doctoraux du Gouvernement et les financements de l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, puissent englober, comme les financements européens le font déjà, les droits d’inscription des doctorats internationaux. Cela permettra d’éviter, là encore, une baisse d’attractivité liée au fait que les étudiants ayant les capacités de participer à la recherche française en sont privés par manque de moyens.
Au-delà, il est très important que les établissements définissent leur politique d’accueil et leurs priorités en termes de recrutement d’étudiants internationaux. Ce sont d’ailleurs leurs conseils d’administration qui, seuls, peuvent prendre ces dispositions, puisqu’il est seulement possible à l’échelon national de faire une distinction entre étudiants extracommunautaires et étudiants communautaires.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir.
M. Stéphane Piednoir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite à mon tour insister sur la question de la hausse des droits d’inscription pour les étudiants extracommunautaires. Bien sûr, ce n’est pas la seule mesure du plan d’attractivité Bienvenue en France récemment présenté par le Gouvernement, mais, vous en conviendrez, c’est celle qui a suscité et suscite encore aujourd’hui le plus d’émotion dans le débat public.
Je partage pleinement le triple objectif d’un meilleur accueil des étudiants étrangers, d’un plus grand rayonnement de nos universités hors de nos frontières et d’une attractivité renforcée de nos établissements par un signal prix plus cohérent et approprié à l’égard de nos voisins. Néanmoins, je m’interroge sur la méthode de calcul attachée à cette augmentation.
En tant que rapporteur de la mission « Enseignement supérieur », dans la stricte continuité de mon prédécesseur Jacques Grosperrin, qui est à mes côtés, je suis bien évidemment favorable à une évolution des droits d’inscription, notamment pour renforcer l’autonomie des universités. Mais, pour être acceptée, cette mesure doit être comprise et justifiée.
Le professeur de mathématiques que je suis aimerait connaître les calculs, sans doute très savants et fruits d’une profonde réflexion, qui ont mené à la multiplication par seize des droits d’inscription en licence, master et doctorat.
Dans un monde idéal, l’exécutif aurait même pu expliciter cette méthode auprès des parlementaires qui se seraient engagés, je vous l’assure, madame la ministre, à faire un effort de compréhension !
Aujourd’hui, pouvez-vous nous expliquer ce choix ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur, le calcul n’est pas compliqué. Chaque année, le calcul de l’investissement moyen par étudiant dans l’enseignement supérieur est effectué par l’OCDE ou par les services du ministère.
Le gouvernement français a choisi de demander aux étudiants extracommunautaires une participation à hauteur d’un tiers de l’investissement par étudiant consenti par l’État, de façon que nous puissions garantir des études supérieures de qualité dans notre pays.
Le choix qui a été retenu de faire supporter un tiers de cet investissement par les étudiants extracommunautaires via un financement direct nous permet, comme je l’expliquais en préambule, d’assurer un financement pérenne des mesures d’attractivité que vous me permettrez de rappeler : la simplification très importante de l’obtention des visas, le bénéfice de formations en français langue étrangère et de certaines formations en anglais lorsque les étudiants en ont besoin au début pour s’adapter, des activités culturelles et sportives offertes en complément et, surtout, la possibilité pour tous les diplômés de master et de doctorat de travailler dans notre pays sans être obligés de retourner dans leur pays d’origine pour demander un autre type de visa. En effet, les visas étudiants qui leur permettent de résider en France peuvent être automatiquement transformés en visas de travail.
C’est donc une véritable politique d’attractivité globale qui a été mise en place, tout comme a été fait le choix de continuer à contribuer à hauteur des deux tiers au financement de l’accueil dans les meilleures conditions de ces étudiants internationaux.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour la réplique.
M. Stéphane Piednoir. Madame la ministre, vous l’aurez compris eu égard à la tonalité et à la teneur de ma question, je m’interroge non pas sur le fond de la méthode, mais sur le manque de concertation.
Nous avons suffisamment de rendez-vous communs dans nos agendas respectifs, d’auditions dans le cadre du projet de loi de finances pour être a minima informés de la stratégie du Gouvernement sur des mesures de ce type. Je ne suis pas le seul à le dire, puisque l’une de mes collègues l’a également souligné.
La Conférence des présidents d’université et la Conférence des grandes écoles se plaignent également du manque de concertation. À l’heure des grands débats nationaux, la concertation que nous réclamons serait peut-être de nature à apaiser la situation.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre débat a pour thème la politique d’attractivité de la France à l’égard des étudiants internationaux, que nous avons à cœur d’accueillir.
Je veux axer ma question sur un focus quelque peu particulier : l’aspect européen.
Récemment, j’ai rencontré des jeunes apprentis du lycée Gustave Eiffel de Bordeaux qui ont tous témoigné avec un réel enthousiasme de leur expérience dans le cadre d’Erasmus.
Nous savons bien sûr tout ce qu’apportent ces échanges internationaux aux jeunes : développement de leur capacité d’adaptation, progrès spectaculaire en langues et découverte d’un monde de l’entreprise différent. Ce n’est que du positif, comme l’a souligné la ministre Nathalie Loiseau, qui animait ce rassemblement.
C’est pourquoi, à quelques mois des élections européennes qui font de l’Europe un sujet très prégnant, je souhaite vous interroger, madame la ministre, sur la place de la France dans ce système d’échange reconnu.
C’est notre pays qui envoie le plus grand nombre d’étudiants en programme Erasmus +, se plaçant ainsi devant l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie. C’est remarquable ! Mais lorsqu’il s’agit d’accueillir des étudiants, la France n’est plus que le troisième pays, derrière l’Espagne et l’Allemagne.
Dans cette période où l’Europe doit être renforcée, tout comme doivent l’être la connaissance et la tolérance au sein de nos différents pays, comment le Gouvernement entend-il, comment vous-même entendez-vous améliorer l’attractivité de la France auprès des étudiants des trente-trois pays participant à ce programme, et ce au sein de toutes nos universités, partout sur le territoire ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice, quand on parle d’améliorer la qualité de l’accueil des étudiants internationaux, on vise tous les étudiants, qu’ils soient communautaires ou extracommunautaires.
Lorsque l’on interroge les étudiants sur les raisons pour lesquelles la France manque d’attractivité, ils sont plus de 40 % à estimer que l’offre de formation et l’aspect administratif de l’inscription sont extrêmement compliqués et environ 50 % à penser qu’il est difficile de se loger. La question de la langue représente aussi une difficulté.
Dans de très nombreuses universités européennes, la possibilité de bénéficier de cursus partiellement ou en totalité enseignés dans d’autres langues que celle du pays est une question réglée. Il est évidemment toujours plus facile pour les étudiants de pouvoir étudier dans une langue qu’ils connaissent lorsqu’ils partent poursuivre leurs études à l’étranger.
De la même façon, notre pays a longtemps souffert de l’organisation en semestres de l’offre de formation, sujet qui reste parfois encore prégnant, avec des « tuyaux » relativement rigides. En effet, il était plutôt compliqué de suivre un semestre d’équivalence en France. Mais le nouvel arrêté relatif à la licence permet aujourd’hui aux étudiants Erasmus + qui veulent étudier en France de choisir « à la carte » des modules d’enseignement correspondant aux modules d’enseignement du semestre qu’ils auraient pu effectuer dans leur université d’origine. Cela facilite aussi la reconnaissance des semestres faits à l’étranger.
Toutes les dispositions que nous avons prises, qu’elles figurent dans le plan Bienvenue en France ou dans l’« arrêté licence » autorisant des parcours beaucoup plus personnalisés et davantage à la carte, nous permettront – j’en suis certaine – d’accueillir encore davantage d’étudiants européens dans le cadre d’Erasmus +.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, votre définition de la concertation est sidérante : vous décidez et on discute ensuite ! Nous l’avions déjà constaté avec Parcoursup…
Aujourd’hui, les universités sont tenues d’appliquer un barème national et ne peuvent renoncer à percevoir les droits que dans la limite de 10 % des étudiants, en excluant toutefois les boursiers et les étudiants accueillis dans le cadre de conventions bilatérales.
Si j’ai bien compris votre discours, demain, avec les droits différenciés, vous pourriez accorder des exonérations, j’imagine sous conditions, aux universités qui le demanderaient. L’accord serait bien évidemment national.
Comme vous avez aussi indiqué que votre intérêt était de mettre en place une politique redistributive, j’en conclus que votre intérêt financier est d’accorder le moins possible d’exonérations. Sinon, il n’y aurait plus de politique redistributive !
Aussi, doit-on considérer que les universités qui aujourd’hui vous demandent de ne pas appliquer votre réforme seront obligées de le faire demain ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur, la question que vous posez est très importante. Elle concerne l’un des sujets sur lesquels j’ai demandé aux universités de faire des propositions dans le cadre de leur stratégie d’attractivité : je veux parler du taux d’exonération et, surtout, de la modulation des droits d’inscription pour les étudiants extracommunautaires.
Pour cela, il faut que les universités prennent le temps d’en discuter au sein de leurs établissements. La situation est extrêmement variable d’une discipline à l’autre. On le sait, pour certaines disciplines, les établissements sont extrêmement attractifs. De très nombreux pays différencient d’ailleurs les droits d’inscription en fonction des disciplines. Ce n’est absolument pas le choix que nous avons fait. Nous avons fait celui d’un véritable système de redistribution, afin que les étudiants qui ont les moyens de participer à un meilleur accueil de l’ensemble des étudiants le fassent.
Bien sûr, l’attractivité de l’enseignement supérieur et de nos établissements doit reposer avant tout sur la qualité de la formation, sur la capacité des diplômes délivrés à garantir aux jeunes une insertion professionnelle, que ce soit dans le monde académique ou à l’extérieur de celui-ci, et enfin sur le rayonnement culturel de la France.
Tous ces éléments existent, mais sont très fortement contrebalancés par les difficultés que j’évoquais à l’arrivée de l’étudiant dans un pays étranger, dont il ne parle parfois pas la langue, et dans lequel il est extrêmement difficile de se loger. En effet, si vous n’avez pas d’adresse, vous n’avez pas de compte en banque ; et si vous n’avez pas de compte en banque, vous ne pouvez pas avoir d’adresse ! Le cautionnement Visale étendu à l’ensemble des étudiants internationaux est aussi une façon de faciliter l’accès de ces derniers au logement.
C’est donc bien une stratégie globale d’attractivité qui est mise en place, même si, je le comprends, vous en doutez.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la réplique.
M. Pierre Ouzoulias. Je vous remercie de la clarté de votre réponse, madame la ministre. J’ai compris l’engagement gouvernemental ferme d’accorder à toutes les universités les exonérations qu’elles souhaiteraient, et vous en remercie là encore.
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la nouvelle stratégie d’attractivité pour les étudiants internationaux voulue par le Gouvernement a fort surpris et fait quasiment l’unanimité contre elle dans le monde universitaire, notamment en raison du manque de concertation.
Il est vrai que l’on peut s’interroger sur l’efficacité de cette stratégie qui repose principalement sur l’augmentation des frais de scolarité pour les étudiants étrangers. D’ailleurs, plusieurs universités, dont la dernière en date est Rennes 2, viennent d’annoncer qu’elles n’appliqueraient pas cette majoration.
L’un des arguments pour défendre cette nouvelle stratégie est que la hausse pourra attirer certains étudiants de nationalité chinoise ou indienne, pour qui bien souvent un prix élevé de la scolarité est synonyme de qualité.
Si j’ai pu entendre cet argument à de nombreuses reprises, aucune étude sérieuse ne démontre que l’augmentation des frais d’inscription permettra d’attirer cette catégorie d’étudiants dans nos universités. En effet, rien ne dit qu’à frais d’inscription équivalents, ces jeunes ne continueront pas à privilégier les universités anglo-saxonnes.
Ce qui est certain en revanche, c’est que cette hausse nous privera d’étudiants plus modestes, pour la plupart issus de l’espace francophone, mais pas seulement, pour qui étudier dans nos universités est le plus souvent le premier choix.
Ce qui est certain, c’est que de nombreux étudiants d’Afrique francophone ont eu le sentiment d’être trahis par cette nouvelle stratégie.
Comment ne pas l’être alors que le Président de la République avait indiqué à plusieurs reprises ces derniers mois son ambition pour la francophonie ?
Madame la ministre, dans un article du Monde paru en novembre dernier, Oumar, étudiant guinéen de vingt et un ans, déclarait : « Les choses sont claires maintenant : ils ne veulent plus de nous. » Que lui répondez-vous ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice, je tiens à le rappeler, les universités sont des établissements publics, opérateurs de l’État. Il est évidemment essentiel que, en leur sein, les fonctionnaires d’État que sont l’ensemble des présidents d’université, des professeurs, des maîtres de conférences et la très grande majorité des personnels administratifs, techniques et de bibliothèque, déclinent les politiques publiques décidées par l’État.
Tout fonctionnaire doit respecter ce devoir d’obéissance et de loyauté : c’est très important. Seule peut être opposée la constatation d’un délit : dans ce cas-là, il faut bien sûr être capable de le dénoncer.
Vous évoquez, madame la sénatrice, la question très intéressante des étudiants francophones. La réalité, c’est que ces étudiants se répartissent aujourd’hui dans l’ensemble des pays qui, à l’international, offrent des formations francophones ou bien choisissent délibérément des formations anglophones parce qu’elles leur ouvrent un marché du travail différent.
En Belgique, les droits d’inscription pour les étudiants extracommunautaires s’élèvent à plus de 4 000 euros. Au Québec, les droits d’inscription pour les étudiants internationaux sont aussi extrêmement élevés. Cela n’empêche pas les jeunes francophones d’aller étudier en Belgique ou au Québec, comme ils viennent le faire en France.
Les étudiants d’Afrique anglophone peuvent, pour certains, trouver un intérêt à venir étudier en France, bien qu’ils soient anglophones.
Le cœur du sujet, c’est la façon dont nous accueillons ces étudiants. Pour le moment, l’accueil qui leur est réservé, sauf exception dans certaines écoles, n’est pas digne de notre pays.
M. le président. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Madame la ministre, plusieurs intervenants vous ont déjà interrogée sur la question des frais d’inscription.
En effet, on entend beaucoup dire ces temps-ci que le relèvement de ces frais pour les étudiants extracommunautaires conduirait à l’éviction des étudiants africains.
Mais c’est peut-être oublier un peu vite que la gratuité des études supérieures françaises n’est que le septième critère de choix de notre pays, loin derrière la qualité des études. Si l’on regarde attentivement les chiffres, 40 % des étudiants africains en mobilité choisissent déjà des destinations « payantes » – les États-Unis, l’Australie, l’Angleterre, pour ne citer que ces pays –, car ce qu’ils recherchent, comme tous les étudiants en mobilité internationale, c’est avant tout un diplôme de qualité reconnu dans le monde.
Cette crainte que les étudiants africains ne se détournent de la destination France me semble relever d’une conception paternaliste quelque peu datée, qui ne prend pas en compte les évolutions économiques et sociologiques récentes du continent africain.
Madame la ministre, afin de faire taire cette crainte, quelles actions concrètes comptez-vous mettre en place pour permettre aux étudiants étrangers, africains ou non, d’accéder à l’enseignement supérieur français, quelles que soient leurs ressources ? Cette question devrait vous permettre de répondre davantage à la précédente
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question. Il existe une tradition de coopération entre un certain nombre d’universités et d’écoles françaises et leurs équivalents, notamment du continent africain, mais pas uniquement. Il existe également une très longue tradition de francophonie, en tout cas de francophilie, dans les Balkans et dans un certain nombre de pays d’Asie.
Définir la stratégie internationale d’un établissement, cela signifie être capable de faire des choix de partenariat. Les établissements sont nombreux à s’être engagés sur des partenariats privilégiés, par exemple avec le Maghreb : je pense notamment aux accords conclus concernant les universités méditerranéennes.
Évidemment, tous ces partenariats privilégiés sont maintenus et font l’objet de conventions qui permettent aux établissements de fixer les accompagnements particuliers dont peuvent bénéficier les étudiants en cause.
Concernant le ministère des affaires étrangères, le doublement de la capacité d’octroi de bourses ne va pas seulement se faire par une règle de trois ; il permettra aussi au Gouvernement de conforter des accords de coopération avec des pays particuliers, notamment d’Afrique.
Il est également très important de permettre à un certain nombre de pays, à leur demande, de former leur jeunesse dans des secteurs d’activités dans lesquels existent des emplois, afin que ces jeunes contribuent à leur développement. Un autre type d’accord, discuté à l’échelon des gouvernements, nous permet, dans un certain nombre de cas, de travailler à la délocalisation de diplômes français dans ces pays, de façon à toucher une jeunesse qui a toutes les capacités à étudier, mais pour qui payer un billet d’avion et une chambre en cité universitaire est un effort financier trop important. Nous y travaillons, notamment au travers des financements de l’Agence française de développement, l’AFD.
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin.
M. Jacques Grosperrin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l’occasion de l’examen de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, dite loi ORE, le Sénat avait adopté un amendement d’Olivier Paccaud qui prévoyait la possibilité d’augmenter les frais d’inscription des étudiants étrangers hors Union européenne. Lors de la commission mixte paritaire, cette disposition avait été abandonnée. Elle est aujourd’hui reprise. Pourquoi l’accepter maintenant, alors qu’elle ne l’avait pas été alors ?
Certaines universités se mobilisent, cela a été dit, et Mireille Jouve nous en a cité quelques-unes. Je pourrais ajouter Lyon 2. Je suis étonné de ces réactions, cette mesure pouvant constituer une manne financière intéressante pour ces établissements. J’espère que ce ne sont pas des postures politiciennes, car j’ai peu entendu les présidents d’université au cours de la dernière législature…
En tout cas, la France est un pays très attractif, on le sait, puisqu’elle se place devant l’Allemagne et le Royaume-Uni. Si l’on fait un benchmarking des droits d’inscription des pays étrangers, on se rend compte que ces droits s’élèvent à 24 000 euros aux États-Unis, à 21 000 euros au Royaume-Uni, et à 16 000 euros au Canada. En France, ils s’établissent à 247 euros, même pas le prix d’un smartphone !
Plus le système éducatif est performant, plus le coût tend à être élevé. La corrélation est forte. Soyons plus exigeants sur l’excellence des universités ! La France a d’ailleurs perdu sa troisième place au profit de l’Australie, pays où les frais d’inscription sont de 24 000 euros. Ce n’est donc pas un facteur discriminant ; c’est un faux débat.
Le véritable débat concerne le choix que fait notre pays pour répondre aux demandes des étudiants étrangers portant sur le coût de la vie, le logement, les procédures administratives.
Mes questions sont au nombre de trois.
D’une part, quel est votre plan en matière de rénovation des conditions d’accueil des étudiants étrangers, madame la ministre ?
D’autre part, le Président de la République s’est engagé à faciliter la délivrance de visas de longue durée aux étudiants ayant obtenu un master ou un doctorat en France. Quels résultats concrets ont suivi cette annonce ? Ne pensez-vous pas qu’il vaudrait mieux accorder plus largement des visas à de très bons étudiants étrangers, mais être plus ferme sur le droit de rester ensuite sur le sol français, afin de ne pas paupériser les pays d’origine des étudiants ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur, vous avez raison de le rappeler, ce sujet avait été ouvert lors de l’examen d’un amendement au moment de la discussion du projet de loi ORE. J’avais alors répondu qu’il relevait du domaine réglementaire et non législatif. C’est en effet par voie réglementaire que les droits d’inscription des étudiants communautaires ou extracommunautaires sont fixés.
Cela étant, il me paraît important de rappeler que de nombreuses universités se sont emparées de la question des droits différenciés, mais pour des diplômes d’établissements, et non pour des diplômes nationaux. Ces droits peuvent être extrêmement élevés et osciller entre 15 000 et 20 000 euros pour des MBA ou des DBA. Les conditions d’accueil des quelques étudiants inscrits dans ces formations sont très largement supérieures à celles de l’ensemble des étudiants internationaux, y compris l’accompagnement dans la recherche d’un logement ou les formalités administratives à l’arrivée des étudiants.
Le plan Bienvenue en France a pour objet de faire en sorte que cette qualité d’accueil puisse être généralisée via la contribution d’une partie des étudiants.
Vous avez aussi raison de signaler que cela représente des ressources propres importantes pour les établissements ; au moment où nous parlons, plus de 50 millions d’euros sont perçus directement par les établissements dans le cadre de ces diplômes d’établissements, lesquels ne sont pas, je le rappelle, des diplômes nationaux.
Il est donc important que nous étendions la qualité de l’accueil dont les universités savent faire preuve, lorsque les étudiants paient, à l’ensemble des étudiants internationaux, que ceux-ci paient ou non.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lorsque j’ai pris connaissance de cette stratégie du Gouvernement, ma première pensée a été pour les bacheliers du réseau de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, qui forme chaque année seize mille bacheliers étrangers. Ceux-ci seront, après avoir étudié en français et obtenu le baccalauréat, soumis, selon votre stratégie, madame la ministre, aux mêmes augmentations de tarif.
Je vous pose donc cette question : comment se traduira, pour les bacheliers du réseau de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger et pour les étrangers qui vivent déjà en France, votre hausse des frais de scolarité ?
Seconde question : si je veux bien croire que, dans certaines zones du monde, la politique d’augmentation des frais de scolarité et d’offre de bourses significatives peut être attractive, en particulier en Chine et en Inde, il se trouve que nous attirons beaucoup d’étrangers d’une zone qui a un potentiel de croissance important au cours des prochaines années, mais qui est aussi très sensible au prix. Aussi, si vous maintenez cette politique, je vous inviterai à revenir, au minimum dans un cadre bilatéral, à une politique d’égalité, de non-discrimination pour les ressortissants d’un certain nombre de pays, afin que ceux-ci puissent venir en France aux tarifs applicables aux ressortissants communautaires et que les étudiants français puissent étudier dans ces pays à des tarifs non discriminatoires.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur, la question des lycées français à l’étranger a évidemment été débattue avec le ministère des affaires étrangères. Tous ces établissements sont des structures payantes pour les personnes qui y inscrivent leurs enfants.
La question qui s’est posée a donc été celle de la présence possible, parmi les étudiants inscrits dans les lycées français à l’étranger, d’étudiants qui ne soient pas en capacité d’acquitter les droits d’inscription, et il est normal que ce cas de figure soit examiné. Cela dit, je le répète, si l’on considère ce qui se passe à Sciences Po ou à l’université Paris-Dauphine, on constate que ces établissements sont parfaitement capables d’établir des droits différenciés variant en fonction des revenus des étudiants. Cela fait partie des sujets dont les universités doivent s’emparer.
De façon plus générale, il existe aussi de très nombreux accords entre les écoles et les lycées français à l’étranger. En effet, les élèves inscrits dans ces derniers sont souvent d’excellents élèves, et les écoles ont ainsi un mode de recrutement particulier d’étudiants internationaux, au travers de conventions. Mais de tels accords peuvent tout à fait être conclus par des universités, dans le cadre d’une stratégie d’attractivité.
Mettre en place une stratégie internationale, c’est aussi permettre aux établissements, je le disais, de faire un choix relatif aux disciplines, aux formations dans lesquelles ils souhaitent construire des relations internationales profondes avec des partenaires très forts. On le sait, cela dépend de l’existence de deux éléments : des flux réguliers d’étudiants au travers de conventions et des échanges à l’échelon des chercheurs et enseignants-chercheurs, afin de pérenniser de manière institutionnelle ces relations internationales qui ne doivent pas uniquement s’établir de personne à personne.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, je regrette profondément votre réponse. Il aurait quand même été très simple et logique de nous dire que tous les bacheliers seront accueillis au tarif français. C’est d’ailleurs la seule solution qui permette de tenir la promesse du Président de la République de doubler le nombre d’élèves dans l’enseignement français à l’étranger. Vous auriez pu faire cette réponse simple, mais vous ne la faites pas… (M. Jacques Grosperrin s’exclame.)
On constate aussi qu’un certain nombre d’étudiants français seront discriminés.
Par ailleurs, vous ne nous avez même pas apporté de réponse sur les jeunes étrangers qui vivent aujourd’hui en France : connaîtront-ils une discrimination concernant leurs frais de scolarité ? En République, tous ceux qui vivent sur le territoire doivent payer les mêmes tarifs. Vous ne nous faites pas cette réponse ; c’est un peu dommage.
Il est également dommage que vous confondiez l’attractivité et la multiplication par quinze des frais de scolarité. En effet, quand on vous pose une question sur l’augmentation des frais d’inscription, vous nous répondez « attractivité » ! Or ce n’est pas si évident ; interrogez les Suédois sur ce point ! Ils ont fait l’expérience, et ils ont vu le résultat…
Le drame, c’est que, au cours des cinq dernières années, nous avons régressé, en proportion, par rapport aux autres pays.
M. le président. Veuillez conclure !
M. Jean-Yves Leconte. Nous sommes talonnés par l’Allemagne et par la Russie.
On nous dit que l’on va multiplier par trois le nombre de bourses, mais il suffit de regarder le budget : c’est, à l’euro près, le même montant en 2018 et en 2020. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Cher collègue, le temps qui vous était imparti est écoulé !
M. Jean-Yves Leconte. Voilà, madame la ministre, des éléments qui méritent d’être soulignés. Il aurait été tellement simple de faire une bonne réponse ! (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jacques Grosperrin. Qu’avez-vous fait, sous la présidence Hollande ?
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Il fallait le faire avant !
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard.
M. Pascal Allizard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l’image de ce qu’elle réalise dans de nombreux autres domaines, la Chine avance à grands pas en matière d’attractivité des étudiants internationaux. Cette stratégie globale, inscrite dans le temps long, devrait inciter Français et Occidentaux en général à davantage de réactions.
Une telle politique doit être mise en perspective avec l’essor des nouvelles routes de la soie ; la Chine mise sur le développement de l’apprentissage des langues utilisées le long de leur tracé et de l’accueil des étudiants des pays considérés.
Nul n’ignore l’intérêt porté par la Chine à l’Afrique, notamment francophone. La France, plus que toute autre puissance, est particulièrement concernée par l’émergence de ce nouvel acteur économique et stratégique sur le continent africain, dont la présence se renforce d’année en année. À l’appui de ses ambitions, la Chine mobilise des moyens significatifs pour attirer les étudiants étrangers et asseoir son rayonnement à travers le monde.
L’espace francophone africain est naturellement ciblé, au moment où la France est un peu à la peine pour maintenir sa présence militaire et attirer des élites francophones dans ses universités. La Chine, porteuse d’une offre alternative, devient la destination phare des étudiants africains ; la croissance des inscriptions ne s’y dément pas depuis plusieurs années.
Par ailleurs, si l’essor de l’enseignement du français en Chine progresse, il ne faut pas y voir qu’un heureux développement de la francophonie dans l’Empire du Milieu. En effet, avec ces deux axes d’effort conjugués, les Chinois préparent déjà les conditions d’une implication toujours plus grande sur le continent africain, faisant sauter les derniers obstacles culturels et linguistiques pour faciliter leur dessein global.
Madame la ministre, dans l’espace africain francophone, dont nous souhaitons tous la pérennité, quelle politique réaliste et financée la France mettra-t-elle en œuvre pour attirer les meilleurs étudiants de ces pays ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Je le rappelle, les droits d’inscription différenciés pour les étudiants extracommunautaires n’ont rien à voir avec la nationalité. En effet, les étudiants résidant en France sont considérés comme des résidents et ne sont donc pas soumis à ces droits différenciés.
De même, je rappelle que les étudiants qui ont démarré leur cycle d’études dans les conditions antérieures ne sont absolument pas concernés par la mesure qui vient d’être annoncée.
Les mots ont un sens, et le terme « résident » a une signification précise. Je n’ai même pas pensé à évoquer ce point, tellement il me semblait évident que le sens de ce mot pouvait être compris par tous…
La question d’une attractivité particulière, d’un travail singulier pour ce qui concerne les pays de la francophonie s’envisage de plusieurs façons. Lorsque je discute avec mes homologues en Côte d’Ivoire, au Sénégal ou en Tunisie, ceux-ci m’indiquent que, pour eux, la difficulté est de voir leurs étudiants faire des études en France dans des champs d’activité dont la valeur ajoutée des diplômes, en termes d’employabilité dans leur pays, n’est pas évidente.
Ainsi, il existe une véritable demande de ces gouvernements de formation des jeunes permettant d’assurer le développement économique de leur pays. Par exemple, au Sénégal, une demande particulière vise l’agriculture et les sciences agronomiques. Il ne s’agit pas de dire que tous les étudiants venant du Sénégal doivent étudier ces disciplines, mais il s’agit de coconstruire une vraie politique de développement, passant par l’amélioration de la formation dans un certain nombre de disciplines. Cette formation peut parfaitement être de qualité. Nous devons aider ces pays à construire les cursus leur permettant de former leurs étudiants dans ces disciplines prioritaires.
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour la réplique.
M. Pascal Allizard. Au cours d’un déplacement récent en Chine, j’ai pu visiter une université de province. Dans le département de français de celle-ci, les étudiants chinois sont présentés comme les futurs cadres expatriés vers l’Afrique francophone. Les frais d’inscription universitaires demeurent modérés et le niveau est très bon ; le système de bourse fonctionne bien.
Il se trouve par ailleurs que je reviens de Djibouti, où les Chinois sont omniprésents – ils font même tourner le centre culturel français. Une fois les compétences acquises, ils se débrouilleront sans nous, en français, directement avec les Djiboutiens ; voilà la réalité… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. Pierre Ouzoulias. Bravo !
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Madame la ministre, depuis le début, vous nous faites des réponses dignes d’un dialogue de sourds. Certains d’entre nous contestent l’augmentation des tarifs et vous nous répondez que c’est pour assurer un meilleur accueil. Nous aimerions donc que, à un moment donné, vous puissiez démontrer ce lien.
Vous nous dites que le fait de bien accueillir les étudiants extracommunautaires coûtera plus cher, en raison, par exemple, de la mise en place de cours de français, puisqu’il s’agit de l’un des obstacles. Or, je vous le signale, les principaux pénalisés, les étudiants d’Afrique et d’Afrique du Nord, sont francophones, et ils paieront pour ceux qui ont les moyens – les Asiatiques –, mais qui ont besoin de ces cours. Vous produisez donc, concrètement, exactement l’inverse de ce que vous dites, de façon d’ailleurs assez hypocrite. J’ai l’impression de dire quelque chose de logique et qui a à voir avec la réalité…
D’ailleurs, ce que vous faites n’a pas grand-chose à voir avec la réalité, parce que vous n’avez pas fait d’étude d’impact. Or l’incidence de votre mesure peut être très surprenante ; il y aurait vraiment besoin d’une telle étude.
On a précédemment ironisé sur la multiplication par quinze des tarifs ; pourquoi ce coefficient ?
En outre, très franchement, dans un film ou dans un bouquin, nous sommes tous heureux d’admirer ce petit Africain, se trouvant dans une situation très difficile, dans un village reculé, dont le talent a été repéré et qui pourra, un jour, parce qu’il a étudié en France, se révéler complètement et s’accomplir. Vous aimez cela, dans un roman, mais, dans la réalité, vous rendez cette situation absolument impossible !
Ainsi, aujourd’hui, un étudiant marocain doit, pour avoir un visa de longue durée et faire ses études, économiser deux ans de salaire minimum marocain, sans compter le prix du logement, singulièrement à Paris, et le coût de la vie.
Madame la ministre, vous multipliez les frais de scolarité par quinze ; mais pensez-vous qu’il y aura encore de tels étudiants ? Non ! Ils iront vers des pays où, peut-être, on leur déroulera le tapis rouge pour les endoctriner – je pense à des pays du Golfe, par exemple.
M. le président. Veuillez conclure !
M. David Assouline. Par conséquent, vous abandonnez l’influence de la France au travers de son affichage mondial attractif, ses valeurs d’universalité qui ne sélectionnent pas par l’argent. (Très bien ! sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur, je veux vous rappeler, de nouveau, un certain nombre de chiffres. Avant même que nous commencions à travailler sur les politiques d’exonération particulière que les établissements nous proposeront et que nous examinerons en fonction de leur stratégie, il se trouve que 25 % des étudiants extracommunautaires sont d’ores et déjà exonérés de droits. En outre, il s’agit d’un taux global et, si l’on s’intéresse aux étudiants venant plus particulièrement d’Afrique francophone, ce pourcentage est évidemment bien supérieur.
La première chose à faire est donc de considérer que tous les étudiants d’Afrique francophone ne sont pas dans l’incapacité de venir étudier en France. La preuve, nous avons la chance d’accueillir un peu plus de vingt-quatre mille étudiants en provenance du Maroc dans les établissements français, que ce soit dans des établissements universitaires ou dans des écoles dont les droits d’inscription sont très largement supérieurs à ce que nous venons de fixer pour les diplômes nationaux universitaires.
Mais pourquoi les étudiants africains pouvant acquitter des droits d’inscription élevés seraient-ils réservés à des écoles, notamment de commerce, et pourquoi n’auraient-ils pas vocation à être mieux accueillis, ou en tout cas aussi bien, à l’université, de façon qu’ils aient accès à d’autres disciplines que celles qui sont dispensées dans les écoles payantes ?
M. David Assouline. Nous sommes d’accord.
Mme Frédérique Vidal, ministre. Il est très important de comprendre cela dans la globalité du système redistributif dont je viens de parler. Il me paraît essentiel que nous puissions faire en sorte que les universités accueillent dignement l’ensemble des étudiants internationaux.
M. David Assouline. Je ne vois toujours pas le lien.
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud.
M. Olivier Paccaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la France se trouve au pied d’un podium très convoité, celui de l’attractivité universitaire. Elle affiche un classement honorable, mais en recul ; l’Allemagne, la Russie, la Chine, le Canada nous rattrapent. Le prestige de nos établissements, notre qualité de vie et celle de nos formations, l’excellence de nos scientifiques ne suffisent plus à compenser la progression des États concurrents, et notre attractivité universitaire survit avant tout sur les vestiges d’un prestigieux passé.
L’augmentation des frais d’inscription, rejetée hier par le Gouvernement, décidée désormais par ce même gouvernement, sera-t-elle un handicap ? Ce n’est pas le cas pour les universités américaines, anglaises ou australiennes, plus coûteuses et pourtant plus attirantes.
Toutefois, je crains que les mesures proposées pour la rentrée de 2019 ne suffisent pas à inverser notre perte d’attractivité. Or une véritable stratégie d’attractivité universitaire est indispensable, car, au cœur d’une mondialisation à la concurrence féroce, l’intelligence fait souvent la différence, et, si la France peut difficilement rivaliser en matière de coût de main-d’œuvre, elle possède tous les atouts pour valoriser son savoir d’orfèvre du plus prestigieux des minerais : la matière grise.
Nous avons la chance d’avoir trois atouts maîtres : des établissements et des enseignants remarquables ; l’une des rares langues intercontinentales ; un prestige universitaire séculaire incomparable. Comme en économie, cette stratégie ne doit pas se limiter au territoire national ; le rayonnement de notre enseignement supérieur passe évidemment par ses établissements situés en France, mais aussi par ceux qui se trouvent hors de France.
Alors que de nombreuses écoles et universités étrangères, notamment américaines, ont fait le pari de l’implantation à l’étranger, les établissements français doivent être plus offensifs à cet égard, à l’image de la Sorbonne Abu Dhabi ou de Centrale Pékin. N’y a-t-il pas là une piste à creuser, un filon à exploiter ? Le Gouvernement encourage-t-il, accompagne-t-il suffisamment la création de ces campus délocalisés ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur, vous abordez là une question extrêmement importante, qui est partie intégrante du plan d’attractivité. En effet, comme vous le rappelez, le rayonnement de l’enseignement supérieur français et la qualité des diplômes français sont tout aussi reconnus lorsque les enseignements se déroulent sur des campus internationaux. Vous avez cité la Chine, on peut aussi citer Singapour, la Russie, le Vietnam, les États-Unis ; bref, tant nos universités – ainsi, hier encore, Sorbonne Université à Moscou – que nos écoles sont parfaitement capables de créer des campus à l’international.
Nous avons déjà ouvert, au cours des derniers mois, un hub qui regroupe une cinquantaine de formations offertes par des écoles ou des universités directement en Côte d’Ivoire, et le même type de projet se développe au Sénégal, avec l’ouverture du campus franco-sénégalais, et en Tunisie avec l’ouverture du campus franco-tunisien pour la Méditerranée. L’ouverture de ces deux campus est programmée à la rentrée de 2019. Au total, un investissement de 20 millions d’euros par an est prévu au sein du budget, de façon à soutenir les établissements qui souhaitent participer au rayonnement de l’enseignement supérieur français dans un certain nombre de projections de campus à l’international.
C’est tout aussi important, cela prépare parfois une partie des étudiants à la mobilité, et, pour tous ceux pour qui la mobilité n’est pas possible, notamment pour des raisons financières, c’est une façon d’amener auprès d’eux l’excellence de la formation française.
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour la réplique.
M. Olivier Paccaud. Je me satisfais de votre réponse, madame la ministre, même si, évidemment, je préférerais que l’on affecte un peu plus de 20 millions d’euros.
Cela dit, outre le savoir-faire, il y a aussi le « faire savoir » et c’est peut-être l’une des lacunes du projet. Vous devriez communiquer un peu plus sur ce que vous faites pour encourager la présence de campus délocalisés à l’étranger.
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Le « marché » des jeunes étudiants à l’étranger pourrait quasiment doubler d’ici à 2025, pour atteindre 9 millions d’individus ; la France ne peut se permettre de rester en marge de ce mouvement massif. Le risque de décrochage est avéré ; le nombre d’étudiants étrangers accueillis a baissé de 8,5 % entre 2011 et 2016.
La France n’occupe plus aujourd’hui que la quatrième place des pays d’accueil, et beaucoup de pays concurrents accroissent énormément le nombre d’étudiants en mobilité dans leurs universités.
Certes, nous ne pouvons nous contenter de mesurer notre attractivité par le seul biais de l’effectif d’étudiants étrangers. Ce qui compte, c’est moins le nombre que le fait d’attirer les meilleurs ; ce sont ces derniers qui contribueront à l’excellence de notre système d’enseignement et de recherche, qui seront en capacité d’être nos ambassadeurs dans leurs pays. Or, ne nous voilons pas la face, aujourd’hui, la France est un second choix.
La stratégie affichée par le Gouvernement est ambitieuse, mais elle comporte trop de zones d’ombre. Le décuplement des frais de scolarité des étudiants extracommunautaires pose question. Je ne suis pas contre une augmentation de ces frais – le prix est aussi perçu comme un élément de valeur, c’est un facteur d’attractivité, car il donne une image positive aux formations –, mais encore faut-il développer les bourses pour pouvoir compenser cette hausse. Or, à cet égard, il reste trop de zones d’ombre dans votre stratégie, madame la ministre.
Par conséquent, pourrions-nous avoir des précisions sur l’augmentation de ces bourses, ainsi que sur le guichet unique, l’accueil, la simplification des démarches pour qu’il ne s’agisse pas de vœux pieux ? J’aimerais également connaître la nature du financement du nouveau fonds d’amorçage Bienvenue en France. Je le rappelle, si l’accueil des étudiants étrangers coûte, chaque année, 3 milliards d’euros à la France, il lui rapporte 4,65 milliards d’euros. Il s’agit aussi, au-delà de l’enjeu culturel, d’un enjeu économique, mais nous devons pouvoir bien accueillir ces étudiants.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Vous avez raison de l’affirmer, madame la sénatrice, la politique d’exonération de droits et d’attribution de bourse est extrêmement importante.
Dans un certain nombre de pays, y compris européens, les droits d’inscription pour les étudiants extracommunautaires oscillent entre 6 000 et 8 000 euros. En Chine, pays qui a été évoqué, les droits d’inscription des étudiants non chinois s’élèvent à 4 000 euros, et je vous laisse faire le parallèle avec le niveau de vie dans ce pays…
Cela dit, eu égard à ces droits d’inscription particuliers, les établissements peuvent aussi mener une politique de bourse extrêmement proactive. C’est donc toute une dynamique qui doit se mettre en place, parce que – vous avez raison de le rappeler – la France est toujours au quatrième rang en valeur absolue, du point de vue du nombre d’étudiants internationaux accueillis, mais elle ne fait plus partie des vingt pays qui progressent le plus.
C’est la raison pour laquelle nous avons pris le temps de construire un plan complet d’attractivité et de travailler les questions de visa, de stage, d’emploi des diplômés, ou encore de cautionnement de logement ; nous avons voulu présenter un plan global qui garantisse cette meilleure attractivité.
Nous avons d’ores et déjà triplé le nombre de bourses et d’exonérations de droits, sur des fonds publics. Il s’agit bien de nouveaux fonds de financement ; les 10 millions d’euros déboursés par mon ministère ne sont pas une requalification d’autre chose, si c’était le sens de votre question. Nous avons aussi prévu un engagement de 20 millions d’euros de l’Agence française de développement, l’AFD, pour les campus à l’international, que j’évoquais précédemment, en sus de ce que les établissements investiront eux-mêmes en envoyant des professeurs, évidemment payés par la France.
Donc toute cette stratégie se construit dans une dynamique, avec l’objectif d’un doublement à l’horizon de 2025.
M. le président. La parole est à M. Serge Babary.
M. Serge Babary. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la France est aujourd’hui le quatrième pays d’accueil des étudiants internationaux et le premier pays non anglophone du classement. Elle est néanmoins en perte de vitesse et risque bientôt de se retrouver en sixième position. Si la mobilité étudiante mondiale a progressé de 23 % entre 2009 et 2014, la part de la France n’a progressé que de 11 %.
En novembre dernier, le Gouvernement a présenté sa stratégie d’attractivité pour les étudiants étrangers internationaux. Je salue l’initiative, mais non la méthode. Comme toujours, on annonce puis on fait de la concertation : annonce au mois de novembre, concertation lancée au mois de décembre, avec des acteurs qui avaient appris la nouvelle par voie de presse.
Avec un objectif de 500 000 étudiants internationaux en 2027, plusieurs mesures de ce plan vont dans le bon sens : simplification de la politique des visas, lancement d’une campagne mondiale, ou encore volonté d’accroître la présence de la France à l’étranger.
Le Gouvernement veut différencier les frais d’inscription pour plus d’équité. Effectivement, le faible montant des frais d’inscription à l’université en France ne constitue pas nécessairement un atout dans la compétition internationale. En nombre d’étudiants étrangers accueillis, notre pays est devancé par les États-Unis, par le Royaume-Uni et par l’Australie, qui pratiquent une tarification au prix fort des études pour les étudiants étrangers.
La France est aujourd’hui en perte d’attractivité alors que l’enseignement y est quasi gratuit. Pour augmenter l’attractivité, nous allons faire payer les étudiants… Cela semble paradoxal ; je m’interroge sur les motivations d’une telle mesure. Un décret du 30 avril 2002 permet déjà de facturer des frais de formation en plus des frais d’inscription, de sorte que, dans les faits, beaucoup de formations sont déjà payantes.
D’où ma première question : faut-il mettre cette annonce en relation avec un courrier adressé en décembre dernier aux universités qui évoquait une baisse des dotations allouées compte tenu de cette ressource complémentaire ? Cette réforme ne serait-elle pas purement budgétaire ?
Par ailleurs, je regrette que le ministère des affaires étrangères et les acteurs économiques et sociaux du territoire d’accueil soient absents de cette stratégie. Pouvez-vous me préciser, madame la ministre, si la stratégie du Gouvernement sera mise en cohérence avec les politiques publiques internationales, économiques et culturelles de la France ? Y a-t-il là un cap politique ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Résumer le plan Bienvenue en France à la seule augmentation des droits d’inscription pour les étudiants extracommunautaires est un raccourci dont j’espère que nombre d’entre vous ont aujourd’hui compris le caractère quelque peu hasardeux, mesdames, messieurs les sénateurs.
Notre objectif est bien d’augmenter l’attractivité de la France qui risque, comme vous l’avez vous-même souligné, d’être mise à mal.
Bien évidemment, derrière cette question de l’attractivité et de la stratégie des établissements, se trouve celle de la qualité d’un diplôme qui doit permettre une insertion professionnelle. C’est d’ailleurs ce que recherchent les jeunes dans cette formation qu’ils qualifient eux-mêmes « d’excellence » et qui facilite leur insertion professionnelle.
Nous souhaitons que les établissements concernés s’inscrivent dans une dynamique pour mieux accueillir les étudiants internationaux. Comme vous l’avez souligné, et comme j’ai eu l’occasion de le dire à de nombreuses reprises, la mise en place de diplômes d’établissements – ce ne sont pas des diplômes nationaux – a déjà permis de générer plus de 50 millions d’euros de ressources propres, avec des conditions d’accueil tout à fait particulières pour les seuls étudiants suivant ces cursus.
Nous voulons permettre aux écoles et aux universités, qui disposent d’un véritable savoir-faire en la matière, de généraliser ces conditions d’accueil de haut niveau à l’ensemble des étudiants internationaux, dans l’ensemble des formations.
Nous voulons faire en sorte que ceux des étudiants qui sont en capacité de participer à ce système redistributif, caractéristique des universités françaises et dont nous sommes fiers, puissent le faire, de façon à assurer un financement pérenne de ces mesures.
Conclusion du débat
M. le président. Pour clore ce débat, la parole est à Mme Sylvie Robert, pour le groupe auteur de la demande.
Vous disposez de cinq minutes, ma chère collègue.
Mme Sylvie Robert, pour le groupe socialiste et républicain. Je veux tout d’abord remercier Mme la ministre de s’être prêtée au jeu de ce débat et tous mes collègues qui y ont participé.
Il était important de tenir ce débat. À vous entendre, madame la ministre, on a parfois l’impression qu’il n’y a aucun problème, que tout va bien se passer… Toutefois, si l’on écoute la Conférence des présidents d’université, l’ensemble du monde universitaire, notamment les acteurs de la recherche, que l’on n’a pas suffisamment cités, les étudiants eux-mêmes, on se rend compte que des questionnements, des doutes, des craintes existent.
Une de nos responsabilités de parlementaires consiste à comprendre les motivations du Gouvernement. Or, pour ma part, je ne les ai pas encore bien comprises. Peut-être vais-je y parvenir, dans les semaines qui viennent…
Je veux d’abord m’arrêter sur la méthode retenue. Il aurait été beaucoup plus intéressant et intelligent de nous permettre d’examiner cette mesure en amont. Comme l’a souligné M. Grosperrin, nous en avions discuté lors de l’examen de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants.
Nous aurions pu identifier ensemble les facteurs d’attractivité de notre pays sur le plan de l’accueil des étudiants étrangers extracommunautaires et, au-delà, évoquer les facteurs d’attractivité au sens large.
Je suis attristée de voir que la méthode choisie a finalement amené le monde universitaire et académique à douter de la pertinence de cette mesure. Et ce d’autant plus que la concertation que vous avez annoncée ne portera que sur les modalités d’application de l’arrêté. Encore une fois, il aurait été beaucoup plus intéressant de s’emparer de ce sujet en amont.
Madame la ministre, je profite de ce débat pour vous demander très officiellement la réalisation d’une étude d’impact. Une telle étude nous aurait permis de connaître un certain nombre d’éléments. Les choses peuvent aller très vite : aujourd’hui, les étudiants se détournent des États-Unis pour aller au Canada ; on peut se demander ce qu’il en sera demain de l’attractivité de la Grande-Bretagne… L’image d’un pays est essentielle dans le choix des étudiants. Nous avons vraiment besoin de disposer d’une telle étude d’impact.
Vous avez évoqué le plan Bienvenue en France avec l’amélioration de la qualité de l’accueil des étudiants internationaux – ce qui est important –, mais aussi la hausse des frais d’inscription.
Je m’interroge toutefois sur la réalité de l’effet redistributif. J’attends de savoir ce que cela signifie précisément. Encore une fois, la réalisation d’une étude d’impact nous donnerait des éléments sur les incidences de ce fameux effet.
Je crains également qu’il ne s’agisse pas tant d’augmenter le nombre d’étudiants qui viennent en France que de changer leur provenance. Ce sont les universités qui vont supporter le coût d’une politique de sélection des étudiants étrangers, notamment des plus modestes d’entre eux. Ce faisant, j’ai bien peur que vous ne fragilisiez les formations…
Nous vous demandons un moratoire, madame la ministre, pour vous permettre non seulement de répondre aux craintes, aux doutes qui se font jour, mais aussi de réaliser cette étude d’impact. Le pays est déjà suffisamment en proie au doute, ce n’est pas le moment d’en rajouter, surtout dans le domaine universitaire.
Ce moratoire nous permettrait de nous remettre autour de la table. Nous serons très attachés à participer à ce travail pour revenir sur cette mesure, et non pour travailler sur ses modalités d’application.
Prenons garde de ne pas écorner notre aire d’influence au sein de la francophonie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste – Mme Mireille Jouve applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quelle politique d’attractivité de la France à l’égard des étudiants internationaux ? »
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Communication d’avis sur des projets de nominations
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires sociales a émis un avis favorable – 32 voix pour, 9 voix contre et 2 bulletins blancs – à la reconduction de M. Jean-François Delfraissy à la présidence du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé.
Par ailleurs, conformément aux articles 13 et 65 de la Constitution, la commission des lois a émis, lors de sa réunion du 15 janvier 2019, un avis favorable à la nomination de Mme Sandrine Clavel – 21 voix pour, 6 voix contre – aux fonctions de membre du Conseil supérieur de la magistrature. Elle a émis un avis défavorable à celle de M. Yves Saint-Geours aux mêmes fonctions – 5 voix pour, 22 voix contre.
5
Après un an d’application, bilan et évaluation de Parcoursup
Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « Après un an d’application, bilan et évaluation de Parcoursup. »
Dans le débat, la parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe auteur de la demande.
M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 22 janvier prochain, les lycéennes et les lycéens ouvriront un dossier sur Parcoursup et commenceront à y déposer leurs vœux.
Cette plateforme a été remaniée par rapport à celle de l’an passé et plusieurs modalités d’instruction de la procédure ont considérablement évolué.
Nous regrettons vivement que ce remaniement d’ampleur de Parcoursup ait été décidé et réalisé sans qu’un bilan complet de sa première année de mise en œuvre nous ait été présenté.
Nous apprenons, par la presse, les modifications majeures apportées à un dispositif qui va toucher près de 900 000 personnes. Une nouvelle fois, nous sommes mis devant le fait accompli.
Je vous rappelle que la loi relative à l’orientation et la réussite des étudiants exige de votre ministère, au mois de décembre de chaque année, un bilan détaillé par académie de la procédure nationale de préinscription.
Par ailleurs, le comité éthique et scientifique de la plateforme Parcoursup, qui doit remettre son rapport au terme de la session de la procédure nationale, vient aujourd’hui de le rendre public, après le lancement de la nouvelle session et l’annonce des modifications apportées à la procédure.
Hier a été lancé le grand débat national dont l’objet est de « consulter » les citoyens, de « rendre la participation citoyenne plus active [et] la démocratie plus participative ».
Vous avez déclaré que la plateforme était avant tout au service des candidats. Aussi, nous déplorons profondément que vous n’ayez pas consulté l’ensemble des usagers de ce service pour leur demander leur avis. L’analyse de leur expérience était d’autant plus nécessaire que l’absence de hiérarchisation des vœux ne permet pas d’évaluation qualitative du dispositif.
L’article 24 de la Constitution a confié au Parlement la mission de voter la loi, de contrôler l’action du Gouvernement et d’évaluer les politiques publiques. Le Sénat l’exerce avec objectivité, mais détermination. C’est peut-être ce qui lui est aujourd’hui reproché et qui pousse d’aucuns à en demander la transformation.
Fort de cet esprit de responsabilité, le groupe CRCE, dans le cadre de la semaine de contrôle du Sénat, a demandé l’organisation du présent débat.
La loi relative à l’orientation et la réussite des étudiants n’est pas un texte technique destiné à pallier les dysfonctionnements du portail APB – Admission post-bac – et à bannir le tirage au sort. Ce dernier était illégal et il vous suffisait, pour l’interdire, d’appliquer la loi en vigueur à l’époque.
Ce texte est la première étape d’un projet de transformation radicale de l’organisation et des finalités de l’enseignement supérieur. La hausse des droits d’inscription pour les étudiants extracommunautaires dont nous venons de débattre en constitue un nouveau stade, qui éclaire vos intentions réelles.
Depuis plus de dix ans, l’enseignement supérieur est dans une situation de sous-financement chronique. Le budget moyen par étudiant et le taux moyen de l’encadrement des jeunes ne cessent de baisser. La France est l’un des pays économiquement développés qui consacrent le moins de moyens à son enseignement supérieur.
Cette crise, ancienne et persistante, est encore accentuée par l’arrivée massive de nouveaux bacheliers. Ils étaient près de 32 000 en 2018, soit une augmentation d’environ 5 % par rapport à 2017. Cette hausse devrait encore se poursuivre durant une dizaine d’années.
Lors de l’examen de votre projet de budget, la plupart des groupes ont estimé que les moyens demandés par votre ministère pour l’année 2019 n’étaient pas à la mesure des enjeux auxquels notre pays doit répondre pour tenter de rattraper son retard.
Dans ce contexte, Parcoursup apparaît comme un instrument de gestion de la pénurie. Sa mise en œuvre a demandé des efforts supplémentaires considérables à l’ensemble des acteurs de l’enseignement supérieur. Pour quels résultats ? Il est difficile de répondre précisément à cette question tant les données publiées par votre ministère sont générales et partielles.
En 2018, le nombre de candidats reçus au baccalauréat a augmenté de 5,3 %, mais le nombre d’étudiants ayant accédé à l’enseignement supérieur n’a progressé que de 2,2 %. Autrement dit, la procédure a découragé un grand nombre de lycéens de poursuivre leurs études au-delà du baccalauréat. Ainsi, 22 % des inscrits ont quitté la plateforme sans aucune affectation.
Notre devoir de parlementaire est de vous demander, madame la ministre, ce qu’ils sont devenus. Ont-ils rejoint des établissements privés, les classes passerelles ouvertes par les rectorats ou le marché de l’emploi ? Alors que vous avez donné la garantie à chaque bachelier de pouvoir poursuivre son cursus dans l’enseignement supérieur, vous devez nous expliquer pourquoi près de 180 000 d’entre eux ont finalement fait un autre choix.
Ce taux de renoncement n’est pas le même selon les filières de l’enseignement secondaire. Parcoursup s’est révélé bien plus pénible et hasardeux pour les bacheliers des sections technologiques et professionnelles.
Lors de séances de questions au Gouvernement, vous m’avez demandé de bien vouloir « relayer fidèlement » vos chiffres. À mon tour, je vous fais la même demande.
Les bacheliers des filières générales ont attendu, en moyenne, quatre jours avant de recevoir leur première proposition. Ceux des filières technologiques ont dû patienter douze jours et les bacheliers professionnels, dix-sept jours.
Par ailleurs, 71 % des titulaires d’un baccalauréat général ont reçu une proposition le premier jour, contre seulement 45 % des titulaires d’un baccalauréat professionnel. Plus de 80 % des bacheliers des filières générales ont accepté une proposition lors de la phase principale, mais seulement 52 % des bacheliers professionnels.
Vos chiffres indiquent, madame la ministre, que Parcoursup a incontestablement facilité l’affectation des meilleurs bacheliers des sections générales. Mais ce dispositif a aussi rendu cette affectation beaucoup plus difficile pour ceux des filières technologiques, et même dissuasive pour les bacheliers professionnels. Il nous faut en comprendre les causes.
En l’état des informations disponibles, cette analyse n’est pas possible, car nous ignorons les modalités de fonctionnement des outils de sélection des universités, les fameux algorithmes locaux.
Pendant plusieurs mois, madame la ministre, vous nous avez expliqué que ceux-ci n’existaient pas ou qu’il s’agissait simplement d’outils d’aide à la décision.
Vous venez de rendre public le cahier des charges de la plateforme Parcoursup. Dans son préambule, ce document révèle que « le développement de la plateforme Parcoursup a été mené de manière “agile” » – c’est-à-dire que ce cahier des charges a été réalisé a posteriori.
À la page 14 de ce document, on apprend que les algorithmes dits « locaux » sont des outils utilisés par les établissements pour réaliser des préclassements.
Le 11 janvier dernier, M. Frédéric Dardel, président de l’université Paris-Descartes, nous en dit plus sur leur mise en œuvre. Ainsi, dans son université, « les équipes ont fait un préclassement automatisé des dossiers », indispensable en raison du nombre de dossiers à étudier et des délais d’examen très courts. Il ajoute que, « très souvent », un « redressement des notes » a été effectué en tenant compte de la moyenne de la classe.
Pour les filières de la première année commune aux études de santé, la PACES, et du droit, une pondération des notes a même été réalisée en fonction du « taux brut de réussite au bac ». M. Frédéric Dardel confirme donc en tous points nos craintes et l’existence de ces algorithmes, que vous aviez qualifiés de « légende urbaine ».
Madame la ministre, je vous rappelle solennellement que le règlement général européen sur la protection des données personnelles proscrit tous les traitements automatisés des dossiers individuels. Le Sénat, à l’unanimité, vous avait demandé la publication de ces algorithmes. Je vous ai écrit sans succès pour en obtenir la communication, et je suis indigné que vous ayez conseillé aux établissements de ne pas nous les transmettre ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme Maryvonne Blondin. Il a raison !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Pierre Ouzoulias. Vous aviez promis de rendre Parcoursup transparent. Cette condition ne peut pas être satisfaite tant que le processus de sélection des dossiers restera clandestin, invérifiable et incommunicable. Vous avez remplacé le tirage au sort par l’opacité.
Pour préparer ce débat, j’ai reçu de nombreuses contributions et questions. Je n’ai pas pu vous les soumettre toutes. Pour notre groupe, Céline Brulin vous en exposera d’autres, et je ne doute pas que vous, mes chers collègues, contribuerez à enrichir ce débat. J’ai cru comprendre que le Gouvernement souhaitait amender sa méthode de travail en laissant une plus grande place à la concertation et à l’évaluation de ses réformes par celles et ceux qui les éprouvent. Aussi, j’apporte ma modeste contribution à cet effort collectif en ouvrant un cahier de doléances national et en le mettant à la disposition de celles et ceux qui veulent poser leurs questions dans le prolongement de ce débat.
En ce qui nous concerne, nous persistons à penser que la République doit poursuivre le grand dessein de donner à tous les bacheliers les mêmes droits de continuer leurs études dans l’enseignement supérieur. Ensemble, nous devons donc œuvrer pour que l’État leur propose un cursus en adéquation avec leurs compétences et leur projet personnel, et définir les moyens budgétaires que nous sommes prêts à mobiliser pour satisfaire cette ambition politique. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Laurent Lafon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que nous sommes amenés à évaluer et dresser un bilan de la première année d’application de Parcoursup, la question que nous devons collectivement nous poser est la suivante : cette plateforme a-t-elle amélioré l’accès des bacheliers au premier cycle du supérieur ?
En réalité, il est sans doute un peu trop tôt pour un bilan complet de Parcoursup. Nous devons attendre que les universités fassent remonter des informations sur la réussite en première année pour avoir une vision plus précise.
De manière préalable, j’observe que nos débats sur Parcoursup gagneraient à s’appuyer sur des données fiables, indispensables pour structurer un raisonnement plus précis. Cette remarque n’est pas anecdotique : sans données statistiques solides et entièrement transparentes, les polémiques alimentées l’an dernier sur Parcoursup se poursuivront, et souvent de manière excessive.
Quoi qu’il en soit, les premiers retours du terrain montrent que la campagne Parcoursup s’est globalement bien passée cette année, même si les délais de réponse pour un certain nombre d’étudiants ont été trop longs.
Comme prévu, le principe de l’accès à l’enseignement supérieur pour chaque bachelier qui le souhaite n’a pas été remis en cause. Dans toutes les formations non sélectives qui ont épuisé les listes complémentaires cet été, l’objectif principal a bien été atteint : celles et ceux qui désiraient rejoindre une formation ont reçu une proposition adaptée à leur demande et à leurs capacités.
Les principaux apports de Parcoursup concernaient surtout les modalités de recrutement dans les filières non sélectives en tension, qui ont été profondément revues. À ce titre, le système des attendus, des « oui si », de la lettre de motivation et de la fiche Avenir avait un objectif louable : mieux orienter et accompagner les bacheliers vers des filières où ils ont les meilleures chances de réussite. L’objectif était louable, car le système précédent conduisait des cohortes entières d’étudiants à l’échec par méconnaissance des filières, des attendus et des débouchés.
J’échangeais récemment avec le président d’une université parisienne. Il rappelait un fait que nous avons tendance à oublier aujourd’hui : dans son établissement, lors de la dernière année du système APB, le taux de réussite des bacheliers ES, L, technologiques et professionnels, c’est-à-dire tous ceux qui n’ont pas suivi une filière S, en première année commune aux études de santé, ou PACES, et en licence scientifique avait atteint le taux de 0 % : 100 % d’échec ! La liberté absolue d’intégrer n’importe quelle formation était malheureusement, pour des milliers d’étudiants, la liberté d’échouer à coup sûr. Ce n’est évidemment pas acceptable.
En effet, l’échec universitaire avait des conséquences désastreuses d’un point de vue non seulement humain – nous en sommes tous conscients –, mais aussi budgétaire, et ce pour une raison simple : l’allongement du temps écoulé entre l’obtention du baccalauréat et de la licence réduit les capacités d’accueil à l’université.
En France, moins de 50 % des étudiants valident une licence au bout de quatre ans. Songez qu’en raccourcissant simplement la durée d’obtention des licences à trois ans et demi, les universités françaises pourraient accueillir les futures générations sans le moindre effort budgétaire.
Dénoncer l’insuffisance des moyens alloués aux universités lors de chaque projet de loi de finances, mais ne pas lutter contre l’échec universitaire : voilà un raisonnement trop impénétrable pour être tout à fait pertinent !
Pour lutter contre une telle fatalité de l’échec, la loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, ou loi ORE, a surtout instauré la procédure des « oui si », qui va dans le bon sens. Mais cette première année a montré de grandes disparités dans la mise en œuvre des dispositifs d’accompagnement sans que cela soit justifié. Il paraît donc indispensable d’homogénéiser les pratiques entre les universités. Chaque établissement doit assumer son rôle d’opérateur de l’État. Chaque université doit contribuer à la réussite des étudiants en difficulté par de véritables dispositifs d’accompagnement. Surtout, pour aller au bout de la logique des « oui si », il serait souhaitable d’instaurer dans chaque filière une année propédeutique pour les étudiants qui ont besoin d’une mise à niveau. C’était d’ailleurs le sens d’un amendement déposé par le groupe Union Centriste lors de l’examen du projet de loi.
Dans l’attente d’une analyse détaillée de cette année universitaire, la première campagne a tout de même montré que les principales difficultés rencontrées se concentraient en Île-de-France. C’est d’ailleurs le sens de la mission que m’a confiée le Premier ministre sur la mobilité académique dans la région capitale. Le maintien d’un secteur de recrutement académique dans les formations parisiennes a posé de vraies difficultés. Les quotas extra-académiques ont été un frein à la mobilité : insuffisamment élevés, ils ont surtout allongé les délais d’attente pour les lycéens de banlieue et ont suscité un effet d’éviction important. Il convient de corriger cette situation en régionalisant l’intégralité des secteurs de formation en Île-de-France. Détruire complètement le « périphérique universitaire » : c’est le sens d’un débat que nous avions eu voilà un peu moins d’un an et d’une recommandation que j’ai formulée et que vous avez décidé d’appliquer dès cette année, madame la ministre.
Dans le même esprit, j’ai également recommandé de définir un taux plancher unique de boursiers dans toutes les formations d’enseignement supérieur en Île-de-France. Un seul taux, c’est la garantie d’un processus plus clair, moins bureaucratique et plus lisible. Surtout, ce taux unique garantirait qu’aucun établissement francilien n’écarte les lycéens issus de milieux modestes.
J’aimerais conclure par un constat. Trop souvent, les problèmes créés par la très forte tension de certaines formations et les déceptions qu’elle suscite sur le plan humain ont été mis sur le dos de la plateforme Parcoursup. En réalité, la tension des filières universitaires est bien souvent d’abord un problème d’orientation. Nous devons mieux orienter les bacheliers vers les filières avec les meilleurs débouchés, dans une logique « bac–3/bac+3 ».
L’offre universitaire doit mieux correspondre aux demandes des bacheliers. Rien que dans la région d’Île-de-France, il y a eu 1 325 formations où le nombre de « oui » exprimés par les candidats était inférieur aux capacités d’accueil, avec un excédent de plus de 15 000 places ! Plus de 15 000 places offertes ne correspondaient donc pas à la demande initiale exprimée par les candidats.
Parcoursup a amélioré l’accès des étudiants au premier cycle de l’enseignement supérieur, mais cette réforme positive n’est qu’un premier pas. Elle n’exonère pas le Gouvernement d’un travail, notamment sur l’offre de formation. C’est l’un des nombreux chantiers qui restent à traiter désormais pour consolider notre modèle universitaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants a opéré une refonte salvatrice du système en vigueur. Près d’un an après son adoption, nous voilà de nouveau réunis pour débattre cette fois du bilan et des nouvelles perspectives offertes par la plateforme d’orientation Parcoursup, née des cendres d’APB.
Nous le savons, le chemin qui part de la réussite au lycée vers l’enseignement supérieur, puis vers la vie active est parfois semé d’embûches : manque d’information, autocensure, freins à la mobilité, manque de réseau sur lequel s’appuyer, manque de moyens économiques… Cette nouvelle plateforme permet de répondre, en partie, à ces difficultés d’accès à l’enseignement supérieur.
Il n’était évidemment pas acceptable de laisser l’orientation des étudiants entre les mains du hasard ni de laisser la sélection par l’échec régir l’entrée d’un étudiant à l’université !
Le fonctionnement de l’intelligence artificielle sur laquelle s’appuie le dispositif de Parcoursup a été éprouvé aux États-Unis, en Allemagne, en Israël et au Chili, pays qui utilisent ce même algorithme depuis plusieurs années déjà pour orienter leurs étudiants. La publication du code en open source donne déjà lieu à des propositions d’amélioration venant du grand public, contribuant à rendre le système plus intelligent, plus rapide, plus juste. Certaines formations numériques l’utilisent en exemple : c’est dire le succès de l’application et son potentiel !
Après un an, Parcoursup ne semble pas présenter de dysfonctionnement notoire, mais quelques ajustements devraient être mis en œuvre pour la prochaine session, qui démarre le 22 janvier prochain.
Le principal reproche que l’on pourrait faire porte sur la lenteur du processus, facteur d’incertitude et de stress pour les élèves et leur famille. Nous le savons, des efforts seront entrepris dès la prochaine session pour accélérer la procédure, qui sera close cette année dès le 19 juillet. En corollaire, les délais de réflexion seront réduits à cinq jours au lieu de sept pour valider les vœux, puis à trois jours au lieu de cinq à partir du 20 mai.
Plus finement, certains paramétrages seraient à revoir. Je pense par exemple à la prise en compte d’une année d’études à l’étranger comme une année de redoublement.
Si le logiciel répond de manière satisfaisante à la mission que le Parlement et le Gouvernement lui ont confiée, un débat plus profond reste latent : celui de l’égalité des chances en fonction du territoire d’origine. La difficile émancipation de la jeunesse issue de la France périphérique est trop souvent restée dans l’angle mort de l’action publique.
D’un côté, nous souhaitons l’égalité des chances. Il faut favoriser la mobilité des étudiants, quelles que soient leurs origines sociales et géographiques. De l’autre, nous instaurons des quotas de mobilité clairement désavantageux, voire ségrégatifs, selon les académies d’origine. L’ancienne plateforme APB fonctionnait sur le même principe que la carte scolaire. Si Parcoursup autorise les changements d’académie, c’est déjà un progrès qui mérite d’être souligné ; un taux minimum de 85 % de candidats du secteur est appliqué dans l’algorithme, rétrogradant dans le classement les candidats hors secteur. Mais il n’y a pas de système parfait.
Nous nous interrogeons cependant sur le bien-fondé de cette priorité académique instaurée par Parcoursup, qui nous semble aller à l’encontre des principes d’ouverture, de mobilité et de liberté de choisir son avenir professionnel prônés par le Gouvernement.
L’ambition de Parcoursup est de contribuer efficacement à l’information, à l’orientation et à la réussite des élèves, et non de restreindre leur liberté de mouvement. Instaurer des quotas géographiques, c’est contribuer à l’isolement et à l’autocensure des jeunes issus des petites villes et des campagnes. L’injustice sociale n’est pas uniquement dans les banlieues ; elle est aussi au cœur de cette France invisible dont on ne parle pas et qui vit au-delà des remparts des grandes métropoles.
Toutefois, je crois que la majorité des étudiants ne souhaitent pas changer de région. Il faudra attendre une évolution des mentalités pour que cela soit accepté, comme c’est le cas dans d’autres pays. Il faudra les y aider et les préparer au lycée.
Madame la ministre, chaque élève doit être en mesure de choisir librement son avenir, de choisir de rester ou de partir, et ce dans les meilleures conditions possible. Quelles actions concrètes proposez-vous pour lutter contre les inégalités territoriales d’accès à l’enseignement supérieur ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l’occasion de mon dernier rapport budgétaire – qui était en réalité le premier –, j’avais dressé un bilan de la première année de fonctionnement de Parcoursup, et je vous en avais rendu compte à cette tribune. En dépit de quelques imperfections, certaines étant inévitables pour une première édition, je considère que la nouvelle plateforme a plutôt bien fonctionné.
Je suis tout d’abord entièrement favorable à la philosophie qui sous-tend son fonctionnement : les candidats doivent être orientés vers les formations qui correspondent à leurs aspirations, mais dans lesquelles ils ont le plus de chances de réussir ! N’en déplaise à certains, le mot de « sélection » ne doit pas être tabou : être sélectionné par une université, c’est motivant pour le candidat, et c’est aussi engageant pour l’établissement et l’équipe pédagogique qui l’ont choisi. D’après les premières informations qui me sont parvenues de certaines universités, les résultats des partiels qui viennent d’avoir lieu montrent des taux de réussite meilleurs que les années précédentes !
Néanmoins, des améliorations pour l’an II sont nécessaires. Vous avez déjà fait quelques annonces auxquelles je souscris, madame la ministre.
Je pense d’abord au raccourcissement du calendrier, pour éviter la congestion observée jusqu’à la rentrée de septembre, qui a mis certains établissements en difficulté et créé beaucoup d’angoisse pour les candidats et leurs familles. C’était une demande explicite de notre commission lors de la mise en service de Parcoursup, et il n’est pas toujours désagréable d’avoir raison trop tôt !
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Stéphane Piednoir. Je songe aussi à la mise en place d’un « répondeur automatique » pour les candidats qui sont sûrs de leurs choix. À défaut de revenir à une hiérarchisation des vœux, c’est néanmoins un élément qui donnera plus d’efficacité à l’outil.
Je mentionne également l’amélioration de l’information donnée aux candidats, avec notamment, ce qui était impossible cette année, le rang du dernier appelé sur la liste d’attente, afin d’éviter le découragement des candidats qui auraient eu leurs chances, mais aussi d’éviter des phénomènes d’attente irréaliste.
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Stéphane Piednoir. En matière d’information, je pense d’ailleurs qu’il faut aller plus loin et demander aux formations d’être plus précises sur les critères qu’elles prennent en compte dans le classement des dossiers. Sans aller jusqu’à la publication des fameux « algorithmes locaux », chers à notre collègue, quand ils existent, c’est une information importante pour que les candidats puissent s’étalonner et faire des choix réalistes. C’est aussi une question de transparence qui devrait contribuer à la confiance des candidats dans la plateforme.
En cette période de vœux, je souhaite sincèrement que l’an II de Parcoursup soit plus serein pour tous les acteurs : les proviseurs de lycée, les équipes pédagogiques du supérieur, ainsi que les lycéens et leur famille. Mais de nouvelles angoisses apparaissent aussi avec la réforme du baccalauréat et son articulation avec Parcoursup. Cette question ne se posera pas dans deux ans seulement, elle se pose dès maintenant, car les élèves de seconde sont en train de choisir leurs trois spécialités et se demandent dans quelle mesure ce choix sera ou non compatible avec leur orientation future dans le supérieur.
Le bilan du plan Étudiants et de Parcoursup ne fait que commencer. Nous allons avoir besoin de nous appuyer sur des études quantitatives et qualitatives fines pour nous faire une idée plus précise au cours des mois et des années qui viennent, notamment sur l’efficacité des parcours personnalisés issus des fameux « oui si », qui sont très divers selon les formations.
Vous le savez, madame la ministre, le véritable juge de paix de votre réforme sera le taux de réussite de nos jeunes dans le premier cycle de l’enseignement supérieur. Permettez-moi de vous le rappeler, en ce qui concerne la licence, nous partons de très bas ! En 2016, le taux de réussite de la licence en trois ans était de 27,8 % ; Jacques Grosperrin avait parlé de « scandale de l’échec en licence ». Dans les documents annexés au projet de loi de finances pour 2019, le Gouvernement se propose d’atteindre 30 % en 2020. J’avoue avoir été déçu par le peu d’ambition que vous affichez, madame la ministre.
Ne devons-nous pas revoir aussi le concept même de réussite étudiante, dès lors que l’on envisage des parcours personnalisés sur plus de trois ans pour l’obtention de la licence ? Madame la ministre, il me semble important que vous nous explicitiez les indicateurs de réussite et les objectifs que vous vous fixez, afin que la représentation nationale puisse réellement évaluer Parcoursup. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Karam. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Antoine Karam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce 22 janvier marquera l’ouverture de la période de formulation des vœux sur Parcoursup. À cette occasion, et un an après l’application du dispositif, nos collègues du groupe CRCE nous proposent d’en dresser le bilan. Qu’ils en soient remerciés.
Avant toute chose, je voudrais saluer l’engagement de l’ensemble des acteurs, qui ont fourni un très bon travail pour organiser, avec les contraintes que nous connaissons, le passage vers l’enseignement supérieur de nos bacheliers.
Nous le savons, Parcoursup est venu remplacer un système Admission post-bac largement défaillant : c’est le moins que l’on puisse dire. Par-delà la honteuse sélection par l’échec qu’il induisait, APB a provoqué, avec le recours au tirage au sort, des décisions non seulement opaques, mais illégales.
Face à ce constat, et – il faut bien le dire – dans une forme d’urgence, nous avons légiféré en faveur d’un dispositif qui devait répondre à deux exigences : remettre de l’humain et de la justice au bon endroit, en particulier dans l’orientation et l’affectation des bacheliers, et garantir la transparence de la procédure.
À l’arrivée, nous avons avec Parcoursup un outil innovant, qui concilie la gestion des grands effectifs grâce à une intelligence artificielle avec une approche beaucoup plus humaine des dossiers.
Par-delà l’affectation des étudiants, Parcoursup porte aussi avec lui une vraie révolution, celle du continuum bac–3/bac+3. Le système s’appuie précisément sur ce principe à travers une interaction permanente entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur et des outils nouveaux.
Quel bilan pouvons-nous en tirer ?
Parcoursup, c’est d’abord 95 % de bacheliers qui ont obtenu une proposition d’admission. Si ce taux est comparable à celui de 2017, qui était de 94,5 %, les décisions ont été nettement moins contestées que sous APB, puisque le réseau Jurisup comptabilisait en novembre dernier moins de dix contentieux. Parcoursup, c’est également +21 % de lycéens boursiers affectés en phase principale et dans des proportions croissantes en classes préparatoires. C’est aussi +23 % de bacheliers professionnels en section de technicien supérieur, ou STS, et +19 % en institut universitaire de technologie, un sujet cher à notre Haute Assemblée lors de l’examen de la loi.
Procédure trop longue, stressante et injuste ou encore sélection déguisée, Parcoursup a essuyé, c’est vrai, de nombreuses critiques. Plus récemment, l’existence de sous-algorithmes cachés propres à chaque université a même été évoquée.
Je crois qu’il nous faut être précis sur ce point. S’il existe bien un outil d’aide à la décision, seuls 25 % des formations y ont eu recours afin d’établir un préclassement. Cette liste a ensuite été retravaillée par les commissions à la lumière d’autres paramètres, tels que la lettre de motivation. Elles ont enfin été revues par les chancelleries au regard des critères de bourses et de mobilité. Les listes produites par les universités ne sont donc pas celles données in fine sur Parcoursup ; c’est important de le dire.
Cela étant, de nombreux enseignements sont à tirer de cette première année pour apporter des améliorations à la procédure Parcoursup.
Premièrement, le calendrier sera accéléré en 2019, avec une première phase qui s’achèvera le 19 juillet. Rappelons-le, au 1er août, 97 % des candidats avaient déjà accepté la proposition qu’ils allaient conserver jusqu’à la fin de la procédure. Un calendrier resserré permettra donc de donner plus de souffle au dispositif en rééquilibrant les procédures normale et complémentaire.
Nos futurs étudiants pourront ainsi préparer plus sereinement la rentrée et une mobilité éventuelle. Je pense notamment à nos étudiants ultramarins, pour lesquels s’organiser à plusieurs milliers de kilomètres n’est jamais chose aisée. Nous savons que l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité, ou LADOM, a connu quelques difficultés durant l’été pour distribuer dans de bonnes conditions le passeport mobilité-études.
Deuxièmement, sur le rythme de la procédure, la critique majeure que l’on peut adresser à Parcoursup est d’avoir placé les futurs étudiants, le plus souvent inutilement, dans une situation de stress prolongé.
À cet égard, je me réjouis que, outre l’accélération, le calendrier soit davantage rythmé. Pouvoir faire le point régulièrement sur leur dossier, avoir des propositions qui viennent plus vite, être mieux accompagnés et disposer d’un répondeur automatique sont autant de détails susceptibles de rassurer les élèves et de tranquilliser leur réflexion.
L’ambition de Parcoursup réside bel et bien dans cette nuance entre le simple choix et l’orientation éclairée. Si je suis convaincu des effets pervers de la hiérarchisation des vœux, l’objectif est bien d’accompagner la réflexion de l’élève et de le mettre dans les meilleures conditions pour faire un choix réfléchi.
Troisièmement, à propos du déploiement et de la prise en main des outils, Parcoursup n’est pas qu’un algorithme d’affectation ; c’est aussi une plateforme d’information sur l’orientation. Elle sera plus lisible et interactive. Toutes les formations y seront disponibles d’ici à 2020 avec un accompagnement plus poussé, notamment pour les candidats en situation de handicap, afin de permettre à chacun de trouver sa place dans l’enseignement supérieur.
J’attire également votre attention sur les étudiants en réorientation, madame la ministre. Ne les pénalisons pas ; permettons-leur au contraire, avec un accompagnement personnalisé, de valoriser leurs expériences antérieures et d’exercer pleinement leur droit à se révéler tardivement.
Par ailleurs, les acteurs de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur devront eux aussi pleinement s’emparer des outils nouveaux que Parcoursup met à disposition. Je pense à la fiche Avenir, mais aussi aux « attendus », qui doivent être mieux expliqués aux lycéens.
Quatrièmement, il faut concilier mobilité et aménagement du territoire. Parcoursup, c’est plus de mobilité géographique, et il faut s’en réjouir, même si le cas de l’Île-de-France mérite une attention toute particulière.
Il faut, me semble-t-il, concevoir que la mobilité ne convient pas à tous les lycéens et à toutes les formations. Il faut tenir compte de cette réalité et être capable de proposer des formations de premier cycle de très bonne qualité sur tout le territoire, y compris outre-mer.
Lors du vote de la loi, nous savions que Parcoursup ne prendrait sa pleine mesure qu’à l’épreuve du terrain. Nous y sommes.
Cette deuxième édition nous permettra certainement d’améliorer encore la plateforme. C’est là l’avantage de cet outil, qui ne cessera d’évoluer pour permettre l’accès de tous à l’enseignement supérieur dans de bonnes conditions de réussite. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Madame la ministre, vous tirez de la première année de Parcoursup comme de l’essentiel de votre politique un bilan extrêmement positif, mais qui, je le crois, est en contradiction avec ce qu’exprime notre pays. Rappelons-nous que, voilà encore quelques jours, les étudiants et les lycéens se mobilisaient contre cette réforme.
Vous le savez, pour notre part, nous regrettons qu’aucune enquête de satisfaction des lycéens n’ait malheureusement été lancée. Mais les remontées de nos territoires indiquent clairement que l’accès à l’enseignement supérieur se dégrade.
La non-hiérarchisation des vœux et les délais de réponse qu’elle a entraînés ont en effet conduit un grand nombre de lycéens à se rabattre progressivement sur les offres de formation qu’ils avaient indiquées non pas en premier choix, mais plutôt en dernier recours, par sécurité.
Cette tendance a d’ailleurs été encouragée par votre ministère. Au cours de l’été, les règles de fonctionnement de la plateforme ont évolué, afin de pousser les inscrits à accepter le plus rapidement possible des propositions alors qu’ils avaient d’autres vœux en attente. Ainsi, à partir de la fin du mois de juin, les lycéens n’avaient plus que trois jours pour accepter une proposition. Passé ce délai, tous leurs vœux étaient supprimés. De même, à partir de la mi-juillet, un taux de remplissage des formations prenant en compte les « oui » en attente était indiqué – il oscillait logiquement entre 95 % et 100 %, de manière quasi systématique –, décourageant de fait les jeunes en attente et les poussant à accepter des propositions qui leur avaient déjà été adressées.
La plus grande partie des inscrits sur Parcoursup ont donc bien trouvé une formation, mais rien ne dit que celle-ci leur correspond réellement. Cela risque de se traduire par un grand nombre d’abandons ou de réorientations au cours de l’année. C’est pourtant ce motif qui avait justifié la réforme.
De même, des lycéens plongés dans l’incertitude en toute fin d’été semblent se tourner de manière plus massive vers l’enseignement privé – les chiffres sont difficiles à mesurer pour le moment, mais ils sont attendus en hausse.
Pour les autres, qui obtiennent une réponse définitive bien tardivement, il faut s’organiser, trouver un logement, souvent, un emploi, parfois, et ce quelques semaines, voire quelques jours avant la rentrée. Le rapport du comité éthique et scientifique de la plateforme a d’ailleurs lui-même souligné que cette attente avait « créé un biais social et territorial ».
Face à cette situation, vous avez indiqué vouloir resserrer ce calendrier. Nous saluons cette volonté. Cependant, il reste à savoir comment cela sera rendu possible sans réintroduire la hiérarchisation des vœux – ce à quoi vous semblez en partie renoncer, madame la ministre, et qui est clairement suggéré par le rapport du comité éthique et scientifique – et sans renforcer la pression subie par les inscrits sur la plateforme pour accepter les premières propositions qui leur sont faites, d’autant que la réforme du lycée va considérablement réduire les marges de manœuvre.
La question de l’articulation entre cette sélection à l’entrée du supérieur et la réforme du lycée est en effet posée. Les familles sont nombreuses à s’inquiéter des prérequis demandés par les formations, notamment l’exigence, plus ou moins explicite, d’avoir suivi certaines des options proposées en lycée. Cela implique d’avoir une idée de la licence visée dès la seconde, alors même que le ministre de l’éducation nationale indique régulièrement que les orientations en filière se font aujourd’hui trop précocement. Au vu de l’inégal accès aux différentes options selon les territoires, c’est vers une discrimination inédite des lycéens des territoires ruraux que nous risquons d’aller. La réforme du lycée ne permettra donc pas de mieux orienter les jeunes, mais pénalisera les familles qui ne sauront pas quelle stratégie adopter dès la seconde et les lycéens des territoires ruraux, qui ne trouveront pas toutes les spécialités accessibles dans leur lycée de proximité.
Vous l’aurez compris, il nous semble que cette réforme aggrave plus qu’elle ne résout les problèmes d’accès à l’enseignement supérieur. Sans surprise, quand on prend le problème à l’envers, on peine à le résoudre. Pour nous, le principal problème, dans l’enseignement supérieur comme dans bien d’autres secteurs de la société, réside dans les restrictions budgétaires continues depuis dix ans, qui ont fait chuter le budget de l’enseignement supérieur par étudiant de plus de 10 %. Les taux d’échec en première année de licence doivent effectivement conduire à agir, mais il faut s’attaquer à leurs causes réelles en mettant en place un service public de l’orientation plus efficace, en investissant pour améliorer les conditions d’accueil des étudiants ou encore en offrant des réponses à la question du salariat étudiant, qui est, chacun le sait, une des causes majeures de l’échec.
Autant de choix politiques qui nécessitent de sortir d’une logique d’austérité simpliste, faute de quoi le débat se résume toujours à la meilleure option technique pour gérer la pénurie. À cet égard, celle que vous avez choisie, qui consiste à généraliser le principe de la sélection, aggrave considérablement la situation. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, mes chers collègues, constituant une réponse plus conjoncturelle que structurelle aux défaillances d’APB à l’été 2017, Parcoursup visait à pallier les écueils de ce système non seulement jugé injuste, inadapté au regard de l’augmentation continue de la population étudiante, mais aussi déclaré illégal par la CNIL et le Conseil d’État. Réponse conjoncturelle, disais-je, car il s’agissait impérativement de permettre à tous les lycéens de trouver une place répondant à leurs attentes dans l’enseignement supérieur, sans pour autant interroger les causes profondes ayant abouti à la situation critique de l’été 2017.
Le goulet d’étranglement aux portes de l’université n’était pourtant pas un phénomène nouveau : les 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat et l’augmentation démographique du baby-boom expliquent ce phénomène de massification dans l’enseignement supérieur, que nous aurions pu et aurions dû collectivement mieux anticiper.
Un an après la mise en place accélérée de Parcoursup, le bilan est-il à la hauteur de l’enjeu et des ambitions affichées ?
En analysant les données brutes, la comparaison avec APB semble favorable, puisque, au 25 septembre 2017, on comptait 3 729 bacheliers sans affectation, contre 995 au 21 septembre 2018.
Pourtant, le 5 septembre, votre ministère indiquait qu’il y avait 7 745 personnes en recherche active et 39 513 inactives, soit 45 000 candidats dont l’orientation n’était pas encore fixée. Comment la plateforme a-t-elle permis de trouver une solution en moins de quinze jours pour parvenir au solde de 995 ?
Parmi les dysfonctionnements notables, l’actualisation quotidienne des réponses a provoqué un grand stress chez les candidats et leur famille, d’autant que, à l’ouverture des premiers résultats, 400 000 candidats sur les 812 000 inscrits étaient sans proposition, avec des refus de formation ou des mises en attente.
Au début de l’été, 100 000 candidats n’avaient toujours reçu aucune proposition, et 152 000 n’avaient pas validé l’offre qui leur avait été faite, espérant une réponse positive à un autre vœu.
Les filières sélectives se sont retrouvées, de façon inédite, avec des classes incomplètes au début du mois de septembre, ce qui a rendu difficile la préparation de la rentrée.
Une véritable prime à l’attente est apparue, pénalisant les élèves les plus fragiles : certains ont ainsi la possibilité de conserver des vœux durant l’été, quand d’autres doivent se décider pour des raisons pratiques, telles que la recherche d’un logement.
Tout au long de l’été, le ministère a tenté de pallier ces difficultés : des ajustements inévitables pour une réforme de cette ampleur, mais une véritable cacophonie pour les familles et les établissements que nous aurions pu éviter avec une mise en œuvre plus progressive.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Maryvonne Blondin. Vous annoncez des ajustements cette année : 14 000 formations disponibles, soit un millier de plus ; une durée de procédure raccourcie, avec la phase principale close en juillet. Vous avez par ailleurs exclu la hiérarchisation des vœux, seul un répondeur automatique permettant aux candidats d’indiquer leurs priorités, une fois les épreuves du baccalauréat passées.
Le candidat sur liste d’attente pourra connaître le rang auquel il se situe et celui du dernier candidat accepté l’an passé. Si elle peut constituer un indicateur, cette nouveauté ne prend pas en compte l’évolution des candidatures d’une année à l’autre et pourrait entraîner des déceptions, ainsi qu’une attente inutile.
Concernant les quotas fixés pour la mobilité géographique, votre ministère n’a communiqué aucune donnée nationale, seulement des exemples isolés et non significatifs. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?
En outre, certaines universités, dans leur classement, ont appliqué une pondération en fonction du lycée d’origine, favorisant ainsi ceux jugés les meilleurs. Si le ministère a fixé des prérequis nationaux connus, les critères mis en place par les établissements ne le sont pas. Le Défenseur des droits a d’ailleurs ouvert une instruction sur le fonctionnement de la plateforme.
Enfin, j’aimerais aborder la question de l’inclusion des bacheliers professionnels dans l’enseignement supérieur.
Si leur exclusion du système universitaire préexistait à Parcoursup, il semble que sa mise en œuvre ait contribué à aggraver ce phénomène. La majorité des 7 745 bacheliers sans proposition au mois de septembre étaient issus de la voie professionnelle.
M. Roland Courteau. Et voilà !
Mme Maryvonne Blondin. Nous aurons l’occasion d’en reparler, madame la ministre, car la réforme du lycée professionnel aura également un impact sur leur intégration dans l’enseignement supérieur, étant donné que la part de l’enseignement général va être diminuée.
Parcoursup répond plus à une logique d’affectation qu’à une véritable logique d’orientation construite par nos élèves. Vous l’aurez compris, les réserves que nous exprimions l’an passé restent d’actualité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie le groupe CRCE d’avoir mis à l’ordre du jour ce débat sur l’évaluation de Parcoursup. Il est primordial qu’un suivi au long cours de la plateforme puisse nous permettre de l’améliorer afin de donner à notre jeunesse l’avenir serein qu’elle mérite.
Alors que le système APB attribuait les places de manière parfois arbitraire et tout à fait illégale, je ne pouvais que soutenir l’orientation vers le système de libre choix sous-tendant la réforme, même si beaucoup reste à faire pour construire avec les élèves cette liberté.
Une fois conjuguée à la réforme du lycée, qui prévoit des heures d’information et de conseil en orientation significatives, cette réforme pourra, je l’espère, réellement prendre sens, car les élèves auront les clés pour se décider au moment d’émettre leurs vœux. Je regrette toutefois que ces deux réformes n’aient pas été concomitantes, beaucoup trop d’élèves ayant été laissés dans l’incompréhension par manque d’information.
Mardi 8 janvier, vous avez présenté, madame la ministre, un certain nombre de corrections de bon sens du nouveau système. Je ne peux que vous féliciter du resserrement du calendrier ou de la transparence sur le rang d’admission du dernier appelé, puisqu’il s’agit de mesures de nature à faciliter l’aiguillage et l’information des futurs étudiants dans une période cruciale de leur vie.
Dans une semaine, le mardi 22 janvier, débutera la phase de formulation des vœux d’inscription dans l’enseignement supérieur des futurs bacheliers de cette année. À cet égard, je regrette, madame la ministre, que les parlementaires que nous sommes n’aient pas été destinataires avant la presse, ou au moins en même temps, des conclusions du comité éthique et scientifique, attendues initialement pour la fin de l’année 2018, sur l’évaluation et le bilan de la première session de Parcoursup. C’est d’autant plus regrettable qu’il s’avère que des problématiques, comme la difficulté dans la mobilité géographique des candidatures hors académie, n’ont pas été résolues par les dispositions prévues à cet effet.
Les quotas de non-résidents n’ont pas porté leurs fruits, semble-t-il, notamment pour les candidats d’Île-de-France. Dans le rapport, reçu tardivement et que je n’ai pas eu le temps de lire dans son intégralité, il apparaît que la proportion d’admis à Paris parmi les candidats de Créteil et Versailles n’a pas augmenté en 2018 ; elle aurait même légèrement diminué par rapport à 2017. C’est donc un constat d’échec regrettable et inquiétant.
Il aurait donc été déterminant que les conclusions de ce rapport aient été connues avant le lancement de la deuxième session du dispositif. De même, pour nous, sénateurs, elles auraient pu être une base de travail pour que nous nous associions à la démarche d’ajustement de la plateforme Parcoursup 2019 avec tous les éléments d’évaluation en notre possession.
Madame la ministre, dans quelles conditions comptez-vous prendre en compte les conclusions du comité éthique et scientifique pour améliorer le dispositif d’inscription, imminente, des étudiants pour l’année en cours ? Je souhaiterais également vous interroger sur l’avancement des travaux du comité de suivi chargé d’évaluer les conditions de mise en œuvre et les effets de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, dont les sujets touchent au cœur du fonctionnement de la plateforme. En effet, ce comité a, entre autres missions, la charge d’évaluer les modalités de l’examen des vœux par les formations d’enseignement supérieur. Les conclusions de ce comité m’intéressent tout particulièrement, a fortiori depuis que l’on sait qu’il n’y aura pas plus de transparence en 2019 qu’en 2018 sur les systèmes de classements locaux, malgré nos alertes.
Si le président de la Conférence des présidents d’université a publiquement affirmé devant les parlementaires de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, le 16 novembre dernier, qu’il n’existait pas d’algorithme local, il serait toutefois souhaitable qu’il y ait davantage de transparence et de pédagogie sur les paramètres et les critères des outils d’aide à la décision utilisés pour retenir les candidatures par les formations. Il me semble fondamental que le système de classement soit clairement annoncé aux candidats pour qu’ils puissent, en connaissance de cause, se préparer à présenter le meilleur dossier possible.
Enfin, je serai particulièrement attentive aux conclusions de la mission spéciale de notre collègue Laurent Lafon pour améliorer la mobilité des candidats à l’enseignement supérieur. Tous les bacheliers d’Île-de-France, mais également ceux issus des établissements des territoires ruraux, moins cotés vus de Paris, doivent pouvoir profiter du rayonnement universitaire des grandes villes et ne pas rester cloisonnés dans leur académie.
Nous devons nous efforcer de donner à tous les jeunes les moyens de réussir en leur ouvrant les portes de l’enseignement supérieur d’excellence et en développant des projets d’aménagement de cette nature en banlieue et dans nos territoires. Soutenir la mobilité des jeunes dans leur choix d’affectation universitaire, et ainsi favoriser l’orientation « choisie », est un puissant ferment de mobilité sociale, enjeu au cœur des débats actuels.
En conclusion, madame la ministre, je soulignerai un point positif de cette réforme : l’encadrement plus poussé de la procédure Parcoursup, comparé à celui d’APB. Les correctifs apportés à la plateforme vont dans le bon sens, mais nous ne pouvons pas nous arrêter au milieu du gué. S’il s’avère que de futures améliorations doivent encore être apportées, j’espère qu’elles pourront intervenir assez tôt dans le calendrier pour protéger les futurs lycéens de changements trop fréquents, et ainsi sécuriser leur parcours dans la procédure.
Comme nous sommes en tout début d’année, j’émets le vœu que, pour l’an II de Parcoursup, nous ayons plus tôt un bilan plus complet, avec de vraies données chiffrées, académie par académie. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe de l’Union Centriste, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne vais pas entrer dans le détail de la mécanique de Parcoursup, mes collègues – en particulier Stéphane Piednoir – l’ayant fait excellemment, mais je vais revenir à l’objectif majeur de la loi ORE, qui est de mettre fin à l’échec massif à bac+1.
Nous en convenons tous, l’accès du plus grand nombre à des études supérieures réussies, c’est une promesse de notre République. Elle mérite que l’on y regarde de plus près. Le décrochage, l’échec massif sont des cancers qui rongent notre université et, au-delà, notre société. Il fallait donc agir. Voilà pourquoi nous avons soutenu votre choix de remettre en cause APB, mécanisme à bout de souffle, contrairement à ce que j’ai pu entendre précédemment. Parcoursup est globalement parvenu à apaiser au moins l’entrée dans le cycle des études supérieures, avec un système d’orientation organisé, où le dossier de l’élève, et donc ses capacités, est considéré.
Cependant, madame la ministre, Parcoursup reste un outil. À un moment où beaucoup de Français crient leur inquiétude de voir leurs enfants dans l’incapacité de prendre un ascenseur qui ne les a pas conduits eux-mêmes là où notre société leur avait un moment laissé espérer une place, l’objectif politique est-il atteint ? Ce dispositif suffit-il ?
En effet, les parents se rendent compte que, au-delà des mécaniques fort complexes de l’orientation, la connaissance des codes et des règles – le recours aux relations, comme dirait le Président de la République – redevient, si tant est qu’elle ait un jour perdu ce rôle, un marqueur de différenciation sociale.
Pour ceux qui ne sont pas affectés là où ils espéraient l’être, sommes-nous assurés que l’outil Parcoursup apporte un accompagnement adapté ? N’assure-t-il pas plutôt, dans un système de gestion de masse, une affectation quantitative ?
S’il permet à chaque étudiant, ou presque, d’être placé là où l’outil l’a décidé, plutôt qu’à l’endroit souhaité, Parcoursup ne réduit guère le risque de décrochage et d’échec.
Décrochage au collège ; décrochage au lycée ; décrochage après le baccalauréat : nous avons là les ferments du sentiment de déclassement de ceux qui sentent qu’ils sont les premiers touchés par l’arrêt de l’ascenseur.
M. Pierre Ouzoulias. Tout à fait !
M. Max Brisson. Pour y remédier, il faudra davantage qu’une mécanique mieux huilée, même si des améliorations sont nécessaires. Mes collègues en ont d’ailleurs proposé, de même que le rapport du comité éthique et scientifique de Parcoursup que nous avons reçu, enfin, ce matin.
Madame la ministre, je voudrais aborder un second point. Vous avez fait le choix d’enclencher rapidement la réforme de la plateforme – on sait pourquoi –, et donc de la lancer avant celle du baccalauréat. Cette dernière réforme a créé de nouvelles inquiétudes, de nouveaux stress en amont de Parcoursup. Elle bouscule un système de filières que chacun avait plus ou moins bien intégré. Il se nourrissait, certes, de la suprématie de la filière scientifique, perçue comme la plus sélective, même si une part significative d’étudiants décidait, après le baccalauréat S, de faire des études sans rapport avec ce cursus. Qu’il ait été nécessaire d’y remédier, j’en conviens, mais, aujourd’hui, les parents et les lycéens sont dans l’inquiétude. Ils se posent des questions simples : quelle spécialité choisir ? A-t-on vraiment le choix ? Mes choix ne limitent-ils pas mes possibilités futures ? Quels seront les prérequis attendus au moment de l’inscription sur Parcoursup ?
M. Pierre Ouzoulias. Bien sûr !
M. Max Brisson. Ils sont dans l’expectative, sans réponse claire, donc, par sécurité – peut-on les en blâmer ? –, les élèves et leurs parents recomposent les filières. Ils font par exemple le choix d’un bouquet maths-SVT-physique-chimie qui ressemble étrangement à la filière S. Si une meilleure information était diffusée, si la réforme de l’orientation n’avait pas été segmentée, ils pourraient mieux s’emparer de la plus grande liberté qui leur est donnée de faire des choix par appétence.
Nous en revenons donc, et nous en convenons tous, à ce qui est une des clés pour lutter contre le taux d’échec massif en première année d’université : l’articulation bac–3/bac+3.
Vous avez déclaré lors de votre audition devant la commission, le 23 octobre : « Pour la première fois, un véritable pont s’est construit entre l’enseignement supérieur et l’enseignement secondaire. » Madame la ministre, sachez que, pour les élèves et les parents, ce pont est pour l’instant virtuel ; au mieux, il est enveloppé dans un brouillard épais.
Certes, il faudra des moyens et de l’énergie pour améliorer le dispositif, mais le pont entre les deux cycles reste à construire. La réalité de cette période d’ouverture de Parcoursup et de choix des spécialités, ce sont des lycéens et des parents qui s’interrogent, et non des lycéens et des parents en construction progressive d’un parcours modulable. Les mieux avertis, une fois de plus, s’en sortiront ; pas les autres. C’est bien là l’éternel mal français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les établissements du réseau d’enseignement français à l’étranger et les élèves qui y sont scolarisés sont, bien entendu, pleinement concernés par l’instauration de la plateforme Parcoursup, entrée en vigueur voilà maintenant un an.
Tout d’abord, je vous livre quelques chiffres pour montrer toute l’importance de ce réseau unique dans le monde, et que beaucoup de pays nous envient.
Avec 17 134 reçus sur les 17 609 candidats au baccalauréat pour l’année 2017-2018, les lycées français du monde ont décroché un record, avec un taux de réussite de 97,3 %.
Parmi ces élèves, 52,5 % avaient choisi la filière scientifique ; 32,9 % la filière économique et sociale ; 8,2 % la filière littéraire ; 4,9 % la filière sciences et technologies du management et de la gestion, ou STMG.
Les modalités de gestion du baccalauréat et de Parcoursup dans les établissements français à l’étranger sont naturellement un peu différentes de celles d’un établissement de métropole. Ainsi, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, l’AEFE, centralise la gestion du portail pour l’ensemble des élèves passant le baccalauréat hors de France.
Bien que cette mission soit fonctionnelle, il n’en demeure pas moins que les élèves et les équipes administratives doivent passer par des procédures de fonctionnement différentes et plus lourdes que celles utilisées pour un candidat en France.
L’absence d’attribution d’un identifiant national élève, ou INE, est ainsi préjudiciable, puisqu’elle impose d’utiliser des procédures dégradées dans le cadre des inscriptions au portail Parcoursup. À titre d’illustration, il faut savoir que les familles doivent saisir manuellement tous les bulletins scolaires de leur dossier de candidature.
Par ailleurs, lors d’une inscription à l’université, les candidats du réseau d’enseignement français à l’étranger ne peuvent pas effectuer les démarches de téléinscription dès le mois de juillet. Ils doivent attendre la fin du mois d’août et leur arrivée en France, ce qui pose problème, les universités n’ayant pas forcément gardé leur place.
À l’occasion du débat sur la réforme du baccalauréat, le ministre de l’éducation nationale a annoncé, en réponse à ma question, que les élèves des lycées français de l’étranger bénéficieraient d’un numéro INE dès la rentrée de 2019.
Si je me réjouis de cette avancée, qu’en est-il pour les élèves qui devront s’inscrire sur le portail cette année ? Une procédure d’accompagnement est-elle envisagée afin de sécuriser l’orientation de ces futurs étudiants ? Les universités peuvent-elles leur garantir qu’à leur arrivée en France leur place sera bel et bien gardée ?
Seulement 46 % des élèves scolarisés dans le réseau d’enseignement français à l’étranger choisissent de poursuivre leurs études dans nos universités. Sur les 17 134 bacheliers du réseau, 10 823 se sont ainsi inscrits sur Parcoursup. Si ce chiffre n’est pas négligeable, j’estime qu’il pourrait être à l’avenir amélioré si davantage de passerelles étaient créées entre l’AEFE, d’une part, et nos universités, de l’autre.
Il est en effet dommageable, madame la ministre, que plus de la moitié des élèves qui ont eu la chance de bénéficier d’un enseignement français de qualité dans le secondaire choisissent une université étrangère pour poursuivre leurs études. À l’heure où la stratégie d’accueil des étudiants étrangers menée par le Gouvernement pose naturellement question, je souhaiterais connaître les ambitions de votre ministère sur l’orientation des élèves scolarisés dans le réseau AEFE. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laure Darcos. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat, sur l’initiative de nos collègues du groupe communiste, a inscrit à son ordre du jour ce débat sur la plateforme Parcoursup. Il s’agit d’une bonne initiative, conforme à notre mission de contrôle de l’action du Gouvernement par le Parlement. Nous disposons maintenant du recul nécessaire pour dresser un bilan de ce dispositif d’inscription dans les filières d’enseignement supérieur, qui a remplacé APB.
APB avait suscité, à juste titre, bien des polémiques, en raison du caractère totalement aléatoire du processus de sélection des étudiants. Le tirage au sort, procédure à la fois indigne et inefficace, en a été la plus dramatique démonstration.
La réforme a-t-elle atteint son objectif de rendre l’admission dans l’enseignement supérieur plus humaine, plus juste et plus transparente ? Sans aucun doute, et nous devons en féliciter le Gouvernement, qui a su donner à ce nouveau dispositif les moyens de concrétiser la promesse d’une meilleure orientation des étudiants vers les filières souhaitées.
Indiscutablement, Parcoursup permet, comme le soulignait Mme la ministre lors de son audition par notre commission, de lutter contre l’orientation par défaut et la sélection par l’échec. Nous devons nous en réjouir.
Pour autant, existe-t-il des marges de progression et des possibilités d’ajustement ? Très certainement.
C’est tout d’abord sur l’amélioration et la rationalisation des données en matière d’orientation qu’il nous faut agir. Celles-ci sont, de l’avis de tous, trop denses, trop détaillées, et, par conséquent, indigestes pour les candidats, qui ont besoin d’informations synthétiques et précises pour effectuer un choix éclairé.
Sans doute conviendra-t-il également d’améliorer le calendrier, notamment de façon à limiter le nombre de futurs étudiants – près de 22 000 en 2018 – astreints à attendre la phase complémentaire pour accepter une proposition de formation. Conscient de cela, le Gouvernement vient d’annoncer qu’il réduisait les délais de réponse des établissements et des candidats pour cette année.
Enfin, il faudra travailler sur les algorithmes locaux, qui restent perfectibles, comme l’ont souligné très justement plusieurs de mes collègues, comme Stéphane Piednoir et Pierre Ouzoulias en séance à l’instant.
Pour ma part, je formulerai un regret et plusieurs propositions.
Le regret, c’est que la mise en œuvre de Parcoursup ait précédé la réforme du lycée et de l’orientation. Logiquement, il eût été plus judicieux de mener à bien la réforme du cycle terminal de l’enseignement secondaire avant celle de l’accès à l’enseignement supérieur, même si j’ai conscience que les ratés d’APB et l’aberrant tirage au sort incitaient à une action immédiate et énergique.
M. Bruno Sido. Tout à fait !
Mme Laure Darcos. Les propositions que je formule pour renforcer la qualité du processus d’orientation des lycéens sont les suivantes.
Dans le souci de répondre à la demande d’une plus grande transparence, j’estime nécessaire de renforcer l’adéquation entre les bulletins de notes et les appréciations des enseignants, qui peuvent laisser place à une forme de subjectivité et de conformisme préjudiciables à certains jeunes, souvent les plus créatifs ou originaux, alors que le but premier est d’encourager son élève.
Par ailleurs, il me semble particulièrement opportun de tenir compte des initiatives personnelles des lycéens dans l’appréciation de leur candidature. Ainsi, les projets conduits au sein d’une association, d’un établissement scolaire ou encore la participation active aux instances de la vie lycéenne méritent d’être également valorisés. Ces initiatives sont de bons pronostics pour l’insertion du lycéen, citoyen en devenir.
Enfin, je ne saurais conclure cette intervention sans déplorer l’appréciation négative qui peut être faite du parcours d’un élève dans deux cas précis.
Il est en effet absurde que la plateforme Parcoursup puisse considérer une année scolaire accomplie à l’étranger comme un redoublement si elle n’a pas été explicitée par le lycéen dans sa lettre de motivation. Au contraire, les études à l’étranger doivent être prises en compte comme une valorisation du parcours de l’élève, permettant notamment l’apprentissage de la langue du pays de résidence.
De plus, le handicap ou une maladie grave sont souvent source de rupture dans le parcours scolaire, ce qui devrait pouvoir être mieux signalé sans que l’élève ait à se justifier.
Telles sont, à ce stade du débat, les remarques que je soumets à votre attention. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme de l’accès au premier cycle de l’enseignement supérieur, que ce soit dans le cadre des travaux de préparation de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants du 8 mars 2018 ou dans celui du fonctionnement de la plateforme Parcoursup, a fait l’objet d’un dialogue nourri avec le Sénat, en séance publique, bien sûr, mais également en commission avec deux auditions de suivi qui ont eu lieu avant et après l’été, sur l’initiative de la présidente de votre commission, Catherine Morin-Desailly.
Nous avons aujourd’hui l’occasion de poursuivre ce dialogue, et je m’en réjouis. À la veille de l’ouverture de la phase de formulation des vœux sur Parcoursup, ce débat nous permettra en effet de faire ensemble le point sur les grandes évolutions que connaîtra, cette année, la procédure d’entrée dans l’enseignement supérieur, que j’avais eu l’occasion d’aborder avec vous, notamment lors de mon audition de l’automne.
Avant d’y revenir, je voudrais naturellement apporter quelques éléments de réponse aux questions posées à l’occasion de ce débat, à propos, notamment, du bilan de la première année de mise en œuvre de cette réforme de l’accès à l’enseignement supérieur.
Avec le plan Étudiants, le Gouvernement avait pris trois grands engagements : mettre fin au tirage au sort, remettre de l’humain dans la procédure d’accès à l’enseignement supérieur et, enfin, réduire significativement le coût de la rentrée étudiante. Ces trois objectifs ont été tenus, je n’y reviendrai pas en détail.
Le tirage au sort a bien été supprimé, les futurs étudiants ont bénéficié d’un niveau d’accompagnement inédit. Je tiens à ce propos à remercier l’ensemble des équipes pédagogiques du secondaire, du supérieur, ainsi que l’ensemble des conseillers d’orientation et les services des rectorats et des universités pour cet accompagnement. Enfin, le coût de la rentrée a été diminué de 100 millions d’euros grâce à la suppression de la cotisation de sécurité sociale étudiante. Le Gouvernement a donc tenu ces trois engagements qu’il avait pris devant vous.
Je compléterai ce rapide constat par trois observations plus précises. Première observation : au-delà des débats que nous avons pu avoir, je constate que les lycéens se sont largement emparés de la plateforme Parcoursup. Ils ont apprécié la liberté qui leur était donnée et ils l’ont surtout et largement exercée. Je le dis d’autant plus volontiers que le calendrier global de la procédure a fait l’objet de critiques nombreuses et de ressentis négatifs, que nous avons entendus ; j’y reviendrai. Pour autant, et je veux le souligner, on ne peut pas à la fois vouloir placer la liberté de choix des étudiants au centre de la procédure et refuser que ce choix puisse, parfois, prendre du temps.
De la même manière – et vous savez que c’est la raison pour laquelle le Gouvernement n’a pas souhaité rétablir la hiérarchisation des vœux a priori –, il n’y a pas de liberté de choix si l’on ne reconnaît pas aux lycéens et aux étudiants en réorientation la liberté de changer d’avis entre les mois de janvier et de juillet, d’affiner leur projet. C’est tout le sens de ce que nous avons mis en place.
Deuxième observation, cette liberté de choix n’a de sens que si elle permet à un projet professionnel de mûrir, de s’affirmer afin de lutter efficacement contre toutes les formes d’autocensure et de déterminisme. Cette liberté est directement liée aux informations et à l’accompagnement offert aux futurs étudiants.
Sur ce plan aussi, la mise en place de Parcoursup a été une vraie révolution : je pense à l’engagement des équipes pédagogiques des lycées, qui se sont impliquées sans compter dans l’accompagnement des candidats et au travail exceptionnel réalisé par les enseignants et les enseignants-chercheurs du supérieur afin de formuler, en l’espace de quelques semaines, les compétences et les connaissances attendues dans chaque formation.
J’y insiste, car les débats qui ont pu avoir lieu autour de la plateforme ont parfois conduit certains commentateurs à passer sous silence cet exceptionnel travail pédagogique réalisé par l’ensemble du corps professoral. Il me semble que, avec une année de décalage, le moment est peut-être venu de saluer et de reconnaître ensemble ce travail remarquable, car nos professeurs le méritent !
Troisième observation, avec la loi ORE, la démocratisation de notre enseignement supérieur est revenue au centre du débat, ce qui est une excellente nouvelle.
Bien sûr, cela a parfois conduit à rendre la plateforme responsable de déséquilibres ou de difficultés que notre système d’enseignement supérieur connaît depuis des années – voire des décennies. Je pense notamment, mais pas seulement, à la question de la mobilité en Île-de-France. Ce n’est toutefois pas parce que la plateforme a révélé ces phénomènes qu’elle les a créés.
Au-delà des débats que nous avons pu avoir, j’y vois, pour ma part, le signe d’une vraie transformation réalisée avec la loi ORE et avec Parcoursup, puisque nous nous sommes donné les moyens d’aller au bout de cette exigence républicaine de démocratisation. En votant la loi au Sénat, vous avez soutenu – et je vous en remercie – la mise en place d’un pourcentage minimal de boursiers dans toutes les formations, comme vous avez rendu possible la mobilité dans tous les cursus, même les plus demandés, et ouvert des droits effectifs pour les bacheliers technologiques et professionnels. Tout cela n’existait pas précédemment.
Ces outils, nous avons pu en mesurer l’efficacité : les boursiers ont été nettement plus nombreux à accéder à l’enseignement supérieur – près de 16 000 de plus –, et comme l’a souligné le rapport du comité éthique et scientifique, cette hausse ne s’explique pas uniquement par la démographie. Les effets en sont particulièrement marqués dans les classes préparatoires parisiennes.
La mobilité territoriale a, elle aussi, progressé. Le rapport du SIES donne, en annexe, tous les chiffres par académie. Plus de candidats ont fait des vœux hors de leur académie de résidence et plus de candidats ont accepté une proposition hors de leur académie de résidence. Ce n’est pas rien lorsque l’on a en tête ce que rappelait l’INSEE la semaine dernière, à savoir que les changements d’académie à l’entrée dans l’enseignement supérieur concernent seulement deux bacheliers sur dix et que ces mobilités concernent à titre principal des académies limitrophes et sont largement déterminées par l’origine sociale.
Pour cette première année durant laquelle les nouveaux outils dont nous disposons ont été mobilisés avec, néanmoins, une certaine prudence pour maîtriser les conséquences induites par tous ces changements dans une région où se concentrent toutes les tensions, le nombre de propositions faites par des formations parisiennes à ces futurs étudiants de petite couronne a très largement progressé.
Toutefois, pour la deuxième année, l’enjeu sera de passer d’une hausse des propositions à une hausse des propositions acceptées, à Créteil comme à Versailles, et nous devons comprendre pourquoi, malgré cette hausse de propositions, la hausse effective des inscrits n’est pas aussi claire que ce qu’elle aurait pu être. Cette année, 59 % des candidats entrant dans des formations parisiennes viennent, néanmoins, de Créteil et de Versailles. C’est donc un premier pas, mais nous pouvons et nous devons faire mieux.
C’est la raison pour laquelle, en accord avec la proposition de votre collègue Laurent Lafon, j’ai pris la décision, dès le 22 janvier prochain, de faire de la région Île-de-France un seul et même secteur de mobilité pour tous les candidats franciliens. Cela veut dire une chose très simple : tous les futurs étudiants franciliens ont donc une vocation égale à accéder à toutes les formations d’Île-de-France, sans distinction entre les trois académies concernées.
Mme Laurence Cohen. Tout va très bien !
Mme Frédérique Vidal, ministre. Cette question de la mobilité, Mme la sénatrice Mélot l’a rappelé, ne se pose pas seulement en Île-de-France et elle prend des formes parfois très différentes. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a aussi souhaité prendre deux initiatives complémentaires : d’abord, renforcer les moyens pour accompagner les futurs étudiants dans leurs projets de mobilité, sous la forme de la création d’un fonds d’aide à la mobilité, ensuite, travailler avec quatre régions pilotes afin de renforcer l’offre de poursuite d’études en toute proximité des lieux d’habitation des étudiants.
Transformer l’essai, cela veut aussi dire être plus exigeant en matière d’accueil des boursiers dans l’ensemble des formations. En 2018, les taux des boursiers fixés par les recteurs en lien avec les établissements ont été hétérogènes. Pour 2019, nous allons donc travailler à définir un cadre plus cohérent, pour tenir compte de la diversité des situations, tout en définissant une exigence nationale plus forte. J’ai d’ores et déjà eu l’occasion de donner des instructions en ce sens aux recteurs.
J’évoquerai enfin la situation des bacheliers technologiques et professionnels : ils ont, très majoritairement, comme tous les ans, demandé des filières sélectives en BTS et en IUT. En 2018, ils ont pu bénéficier de pourcentages minimaux que la loi ORE a renforcés à leur intention. Là aussi, les effets sont d’ores et déjà très nets, même s’il nous faut encore aller plus loin.
Cela veut dire deux choses : d’abord, poursuivre l’effort de création de places dans ces formations courtes, professionnalisantes, sélectives, plébiscitées par les lycéens, notamment en Île-de-France ; ensuite, engager une réflexion pour mieux répondre à cette demande de formations courtes professionnalisantes. C’est la raison pour laquelle j’ai engagé, dès l’automne dernier, une concertation sur ce sujet avec l’ensemble des acteurs. Nous devrons prendre ensemble des décisions fortes dans les semaines qui viennent.
Bien entendu, le travail d’analyse des données de la campagne 2018 n’est pas encore totalement achevé. Avec le rapport qui vous a été remis,…
M. Pierre Ouzoulias. Nous l’avons découvert dans la presse !
Mme Frédérique Vidal, ministre. … vous disposez d’une première série d’analyses indépendantes. Le comité de suivi de la loi, quant à lui, poursuit ses travaux. Bien sûr, vous serez informés des conclusions de ses réflexions.
Je tiens à souligner, au passage, que nous avons aussi veillé à ce que les chercheurs puissent avoir un large accès aux données issues des procédures, évidemment dans le strict respect de la loi Informatique et libertés. Vous vous en doutez, j’y suis très attachée, car le ministère de l’enseignement supérieur est aussi le ministère de la recherche et de l’innovation. Il se doit donc d’être exemplaire dans l’analyse des résultats des réformes menées !
Au-delà de ces analyses qui se construisent dans le temps long, il me paraît essentiel de saisir cette occasion pour vous présenter les principales évolutions que connaîtra la procédure en 2019, évolutions que j’avais eu l’occasion d’évoquer avec vous lors de mon audition du 23 octobre dernier.
Première évolution majeure, la procédure Parcoursup sera plus rapide et prendra fin le 19 juillet, au lieu de se poursuivre jusqu’au début du mois de septembre.
En 2018, la durée de la procédure normale a entretenu un sentiment d’incertitude durant l’été. Nous avons entendu ce que les étudiants et leurs familles ont été nombreux à nous dire et nous y allons y remédier. Et si nous pouvons le faire, c’est parce que, à la fin du mois de juillet 2018, 97 % des candidats avaient déjà accepté la proposition qu’ils allaient conserver jusqu’à la fin de la procédure. En outre, nous avons observé que le délai moyen de réponse était inférieur à trois jours. C’est la raison pour laquelle Parcoursup ira désormais plus vite, la phase d’affectation débutant le 15 mai et se terminant, pour la procédure principale, le 19 juillet.
Les inscriptions se feront dans le même délai. Les étudiants et les formations seront ainsi fixés, à la fin du mois de juillet, pour aborder plus sereinement le mois d’août. Je tiens néanmoins à préciser que je n’avais pas, l’été dernier, une grande inquiétude quant au taux de remplissage, notamment des classes préparatoires, puisque 30 000 candidats supplémentaires avaient accepté des propositions. Si je n’avais pas, personnellement, beaucoup d’inquiétudes, je comprends qu’il était très inconfortable de ne pas avoir, dès la fin du mois de juillet, le nom des étudiants qui allaient être inscrits. Pour y remédier, les choses seront simplifiées cette année, notamment pour ces établissements.
Ce nouveau calendrier n’innove pas seulement pour le choix des formations. Il est aussi nouveau en ce sens que, cette année, il a été totalement articulé avec celui des demandes de bourse et de logement étudiant. Nous avons travaillé en ce sens avec le Centre national des œuvres universitaires et scolaires.
Autre innovation que nous allons aussi introduire, la possibilité d’avoir recours à ce que nous avons appelé « un répondeur automatique ». Destiné aux candidats qui savent très précisément leurs préférences, il leur permettra de programmer par avance les réponses positives aux propositions qui leur seraient faites afin de leur éviter de se connecter à la plateforme chaque fois qu’une proposition leur arrive. Cette possibilité – ce n’est pas une obligation, bien sûr – offerte à tous est d’abord conçue pour ceux qui ont une idée très nette de ce qu’ils veulent faire et de ce qu’ils préfèrent, ce qui est loin d’être le cas de tous les étudiants.
Nombreux sont ceux qui hésitent jusqu’au dernier moment : ceux-là continueront évidemment à pouvoir choisir au fur et à mesure que les propositions leur arriveront. C’est le moyen le plus efficace de lutter contre l’autocensure.
Deuxième évolution majeure de l’année, nous travaillons à une plateforme aussi complète que possible, comme vous l’avez souhaité.
En 2020, toutes les formations reconnues par l’État devront figurer sur la plateforme. Dès 2019, plus de 14 000 formations sont présentes sur la plateforme, dont les 350 instituts de formation en soins infirmiers, les IFSI, et les 150 instituts régionaux du travail social.
Je veux m’y arrêter un instant. La présence des IFSI sur Parcoursup a une signification très concrète : désormais, les lycéens qui souhaitent devenir infirmiers ou infirmières – et ils sont très nombreux à en avoir la vocation – ne seront plus obligés de faire le tour de France pour passer toute une série de concours en payant, au passage, des frais de candidature qui venaient s’ajouter au coût parfois important des préparations aux épreuves qu’ils étaient nombreux à suivre.
Ces nouvelles modalités d’accès aux IFSI donneront également leurs chances à des profils différents, qui pourront faire valoir leur motivation sur un registre qui n’est pas seulement scolaire ou académique.
Le contenu lui-même de la plateforme a été enrichi avec les attendus des formations qui ont été précisés. Il sera plus aisément accessible, avec une navigation facilitée, moins d’acronymes barbares et un moteur de recherche amélioré. Là aussi, c’est le fruit du travail que nous avons mené, toute l’année dernière, avec un panel d’utilisateurs qui nous ont aidés à identifier ces différents points d’amélioration.
L’un des enjeux majeurs, c’est de faire en sorte que les futurs étudiants soient en mesure de tirer pleinement parti de toutes les informations qui figurent sur la plateforme. Il faut que tous puissent les utiliser pleinement : les familles, les professeurs, l’ensemble des professionnels de l’orientation et, bien sûr, les jeunes.
C’est la raison pour laquelle nous avons tenu, cette année, à faire en sorte que le site d’information soit ouvert dès le 20 décembre afin que chacun puisse s’en emparer avant l’ouverture officielle des vœux, le 22 janvier.
Enfin, Parcoursup sera synonyme, en 2019, d’une procédure et d’un accompagnement plus personnalisés encore, en répondant mieux aux besoins singuliers des candidats.
Je pense notamment aux candidats en situation de handicap. Dès l’année dernière, ils ont pu bénéficier du droit nouveau introduit par la loi ORE, le droit au réexamen, qui a permis de leur garantir un accès à la formation qu’ils désirent rejoindre et qui répond à leurs besoins particuliers.
Cette année, nous avons encore travaillé à renforcer l’accessibilité de la plateforme en poursuivant un travail étroit avec les associations représentatives. Nous avons mis en place une fiche de liaison, totalement optionnelle pour le candidat, mais qui permet, lorsqu’il choisit de la remplir, de garantir que la commission d’accès à l’enseignement supérieur, la CAES – et elle seule dans un premier temps – aura connaissance des accompagnements dont il a bénéficié durant son parcours scolaire. Cela aidera à identifier les formations du supérieur les plus susceptibles de l’accueillir dans les meilleures conditions.
Si le candidat le souhaite, une fois qu’il aura accepté définitivement une proposition, cette fiche sera transmise au référent handicap de la formation – puisque chaque formation a maintenant un référent handicap – pour que celui-ci dispose des informations nécessaires qui permettront de préparer son accueil dans les meilleures conditions.
Nous avons aussi proposé de nouveaux outils à destination des candidats en réorientation, qui, par définition, n’étaient pas concernés par la fiche Avenir, et qui ont été nombreux à nous dire qu’ils avaient ressenti un vrai manque dans leur dossier.
Nous avons donc mis en place cette année une fiche de suivi pour tous les candidats de façon que, en réorientation ou en reprise d’études, ils puissent mieux valoriser leur parcours, leur motivation, leurs engagements. Ils pourront le faire en lien direct avec les services d’orientation scolaires ou universitaires.
Personnaliser la procédure et l’accompagnement, c’est enfin être en capacité de proposer régulièrement à tous les candidats de faire un point sur leur situation et leurs attentes. Tel est le sens des trois points d’étape qui seront introduits en 2019.
La procédure, vous le savez, est progressive et continue, permettant à chaque candidat de répondre aux propositions au fur et à mesure qu’il les reçoit. Cette fluidité donne un choix très large, mais certains étudiants ont parfois besoin d’un accompagnement pour faire le point sur leurs projets et sur leurs vœux. Ils pourront donc, au cours de ces trois points d’étape, demander un accompagnement particulier ou un rendez-vous pour échanger avec des personnels spécialisés de l’orientation ou des enseignants.
Le troisième et dernier point d’étape aura lieu à la fin de la procédure, du 17 au 19 juillet, au moment où les candidats confirmeront définitivement leur inscription.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement s’est efforcé non seulement de faire le bilan le plus complet possible de la première année d’application de la loi ORE, mais nous avons aussi tenu à faire, dès 2019, les ajustements nécessaires.
Ce travail, nous serons amenés à le poursuivre tout au long des années qui viennent pour toujours améliorer le fonctionnement de cette plateforme et poursuivre les réformes que nous avons engagées depuis lors.
Je veux, en guise de conclusion, dire un mot de deux d’entre elles. Tout d’abord, la réforme du baccalauréat engagée par Jean-Michel Blanquer permettra aux lycéens de construire progressivement leur orientation en affirmant peu à peu leur projet.
Je veux redire devant vous l’engagement total que nous partageons avec le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, afin d’élargir le champ des possibles pour tous les lycéens en luttant contre tous les effets d’enfermement dans des parcours préalablement tracés. Les universités sont bien sûr sensibilisées sur les sujets de l’articulation bac–3/bac+3. Certes, peut-être ne s’agit-il aujourd’hui que d’une passerelle, pas encore d’un pont, mais cette passerelle a eu le mérite d’être créée et a le mérite d’être aujourd’hui une réalité appréciée de tous, même si elle est à améliorer.
Dès 2020, nous serons amenés, avec Agnès Buzyn, à mettre en œuvre la suppression de la première année commune des études de santé, la PACES, et du numerus clausus.
Nous aurons l’occasion d’y revenir dans les prochaines semaines. Il s’agit, là aussi, d’élargir le champ des possibles en sortant d’un modèle où il n’y a qu’une seule grande voie d’accès aux études de médecine et une sélection sous forme de QCM en fin de première année pour aller vers un modèle avec plusieurs voies d’accès et des modalités d’accès tenant compte d’autres qualités que la capacité à apprendre par cœur.
Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, la transformation qui s’est engagée l’année dernière se poursuivra tout au long des mois qui viennent. Je sais pouvoir toujours compter sur le Sénat pour prendre toute sa part dans ces évolutions capitales. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Après un an d’application, bilan et évaluation de Parcoursup. »
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Solidarité intergénérationnelle
Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective, sur la solidarité intergénérationnelle (rapport d’information n° 38).
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents – nous revenons donc au mode interactif.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à Mme Nadia Sollogoub, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective, auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Nadia Sollogoub, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la délégation à la prospective du Sénat a adopté, le 11 octobre dernier, son rapport intitulé Inventer les solidarités de demain face à la nouvelle donne générationnelle. Quand on fait de la prospective, la question générationnelle est en effet centrale.
Notre réflexion sur les solidarités intergénérationnelles nous a entraînés dans tous les champs de la vie sociale et familiale.
J’évoquerai ici plutôt la question des transferts financiers, avec la réelle frustration de ne parler ni du monde du travail ni de l’éducation. Mes collègues, bien heureusement, compléteront mon propos.
Le Gouvernement est représenté aujourd’hui à travers le ministère chargé des solidarités et de la santé. J’évoque donc, en tout premier lieu, le champ de la protection sociale. Le pacte intergénérationnel issu de la Libération doit constamment s’adapter aux évolutions démographiques et économiques en cours.
Les nombreuses auditions que nous avons menées nous ont cependant montré que les projections d’évolution de dépenses sociales liées au vieillissement devraient, à l’horizon de 2030, se stabiliser. D’ici là, l’effort doit être équitable, supportable et efficace économiquement. Le principal défi est la prise en charge de la dépendance, mais comment et par qui ?
Ce constat me permet de faire le lien avec le sujet de la transmission patrimoniale. Les transferts intergénérationnels privés sont trop souvent dans l’angle mort des analyses, bien que jouant un rôle essentiel dans les solidarités entre générations.
Le pays est dans une situation totalement inédite. Le patrimoine des Français a vu sa valeur s’envoler : il représente huit années de revenu disponible aujourd’hui, deux fois plus qu’il y a trente ans.
Or ce patrimoine est dormant pour l’essentiel, puisqu’il est principalement constitué d’actifs immobiliers, ainsi que de placements financiers. Par ailleurs, ce patrimoine est extrêmement concentré entre les mains des seniors et se transmet de plus en plus de seniors à seniors. L’âge où l’on hérite va bientôt atteindre soixante ans. Enfin, les flux successoraux sont en passe d’atteindre un tiers du revenu national, comme à la fin du XIXe siècle.
Cette situation n’est pas saine économiquement ni socialement. Il est essentiel d’accélérer la transmission du patrimoine vers les plus jeunes et d’encourager son investissement dans l’économie productive.
Il est également essentiel de trouver des modalités de transmission du patrimoine qui, tout en respectant le projet légitime des Français de transmettre à leurs descendants leur capital, ne fassent pas exploser les inégalités intragénérationnelles. Il y a un vrai risque de voir se créer dans les prochaines décennies une société « héritocratique ».
Enfin, je voudrais signaler un aspect, à mes yeux fondamental, des inégalités de patrimoine : il s’agit des inégalités entre territoires. Dans certaines zones en déprise économique et démographique, la valeur du capital immobilier de nos concitoyens est en train de s’effondrer. Paris n’est pas la France !
Notre rapport formule donc plusieurs pistes de réflexion face à cette situation patrimoniale inédite. La première est de multiplier les incitations à transmettre le patrimoine de son vivant en facilitant les donations, les dons, les legs ou les investissements dans les fondations d’intérêt public. On peut également réfléchir à l’affectation des recettes de la taxation des transmissions à des programmes de soutien aux jeunes et à la solidarité intergénérationnelle, car il est important de lier le destin de ceux qui ont la chance de recevoir un patrimoine à celui de ceux qui n’en ont pas.
Notre troisième piste de réflexion est de développer des outils pour « liquéfier » le patrimoine, comme le disent les économistes. Il faut que le patrimoine « immobile » redevienne « liquide », ce qui passe par le développement de formes modernisées de viager. Il faut se défaire de l’image vieillotte et un peu malsaine du viager traditionnel de gré à gré. De nombreux acteurs du secteur financier, notamment la Caisse des dépôts et consignations, réfléchissent à des outils de viager intermédiés qui n’en auraient pas les inconvénients.
Je voudrais souligner que la condition préalable à toute réforme du patrimoine est de rassurer les seniors sur la dépendance. On ne pourra pas accélérer les transmissions sans protéger les seniors contre la perte d’autonomie. C’est la raison pour laquelle il faut penser ensemble la politique de la dépendance et celle des transmissions.
Notre réflexion s’est trouvée facilitée lorsque nous avons formalisé le fait qu’il ne faut plus réfléchir en trois âges de la vie – jeunesse, âge adulte, vieillesse –, mais bien en cinq âges – jeunesse, phase d’entrée dans la vie adulte, âge adulte, séniorité active et vieillesse –, ce qui démultiplie les possibilités d’interactions entre chaque classe d’âge et ouvre de nouveaux champs de réflexion. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective.
M. Julien Bargeton, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier ma collègue Nadia Sollogoub pour sa présentation de notre rapport. Je voudrais pour ma part mettre quelques faits en avant afin d’engager le débat.
Une militante suédoise de quinze ans, lors de la COP24, a impressionné tout le monde en affirmant que nous étions à court d’excuses ; figure des jeunes générations, elle insiste sur l’urgence écologique. Cette urgence ne figure pas entièrement dans notre rapport, mais nous y évoquons les différences d’approche entre générations.
Mon second exemple est un clin d’œil qui n’est pas seulement ironique. Un Néerlandais de soixante-neuf ans a demandé à pouvoir avoir vingt ans de moins à l’état civil. (Sourires.) Il a perdu, cela lui a été refusé. Pourtant, au-delà de l’anecdote, peut-être faut-il y voir un signe des difficultés et du manque de considération dont peuvent souffrir les aînés dans le monde occidental. C’est donc aussi un appel à la solidarité intergénérationnelle.
Nous soulignons un autre élément dans notre rapport : l’idée du déclassement entre les générations. Un baromètre du CEVIPOF, le Centre de recherches politiques de Sciences Po, souvent cité, montre que 58 % des Français interrogés pensent que leurs enfants auront moins de chances de réussir qu’eux-mêmes. Cette proportion doit nous interpeller, car elle reste très haute, même si elle est en baisse : elle s’élevait à 72 % les années précédentes. Il existe un sentiment de glissement entre les générations, une crainte que nos enfants aillent moins bien que nous, à rebours de l’idée de progrès, socle des grandes démocraties.
Nous avons pu le constater récemment avec le mouvement des gilets jaunes qui a été assez peu abordé sous l’angle générationnel. Pour autant, j’estime – tout le monde, peut-être, ne sera pas d’accord – que cet aspect est bien présent. Les générations actuelles héritent d’un aménagement du territoire auquel elles n’ont pas participé, et qui engendre certains phénomènes, en particulier la concentration des emplois et des activités dans les métropoles, où certains jeunes actifs ont du mal à se rendre, du fait notamment du coût toujours croissant de l’essence et du gazole, à l’origine de ce mouvement.
Les jeunes générations ont hérité d’une organisation nouvelle du territoire qui ne les convainc plus, qui ne leur convient plus ; cela aussi explique ce sentiment de déclassement d’une génération par rapport à l’autre. Cette évolution des territoires est un élément extrêmement présent en filigrane dans notre rapport, mais aussi, même si cet angle n’a pas été le plus souvent retenu, dans la crise actuelle.
Il faut que le Sénat mette ce rapport au service du grand débat national qui s’ouvre ; il est l’une des pierres qui pourront bâtir cet édifice. Certaines de nos propositions – je ne vous les rappelle pas, vous avez pu les lire – pourront être utiles. Le Sénat est parfois vu, à tort ou à raison, comme trop déconnecté des nouvelles générations, de la génération smartphone. Ce rapport montre que nous avons des propositions à faire pour être parfaitement connectés avec ces préoccupations. C’est aussi une occasion de travailler de façon différente. On a vu la place des réseaux sociaux dans ce mouvement. Il faudra que, à terme, nous apprenions à faire mieux interagir nos rapports avec les citoyens, que nous les faisions participer à leur rédaction, que nous leur permettions de poser des questions, mais sans anonymat. Finalement, il s’agit de construire ensemble, entre les assemblées et les citoyens, des sujets qui, comme ce rapport, interpellent l’avenir.
Voilà l’optique dans laquelle j’aborde ce sujet : il n’y a pas de solidarité entre générations s’il n’y a pas de solidité de notre pacte politique. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le président de la délégation sénatoriale à la prospective, mesdames, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, dans l’avant-propos de votre rapport, vous notez : « S’il existe un thème de réflexion transversal, c’est bien celui des relations intergénérationnelles. Cela fait tout son intérêt, mais aussi sa grande difficulté. » Vous avez parfaitement raison.
La génération est d’emblée une notion sociale et collective, tandis que la jeunesse est celle des individus pris un à un, dans le passage du temps. La jeunesse, par définition, prépare ce qui est à venir : elle est porteuse de toutes les promesses. C’est pourquoi elle rassemble autant d’espoirs et crée une telle fascination. « Il faut être absolument moderne », disait Rimbaud, le poète jeune par excellence.
La répartition des hommes en classes d’âge différenciées, sinon antagonistes, se trouve au fondement de l’organisation des sociétés humaines. Mais les générations s’engendrent les unes les autres ; elles sont donc liées par des liens très étroits de dépendance. Ce sont d’ailleurs ces liens de dépendance réciproque qui peuvent créer du conflit, lorsqu’ils entrent en contradiction avec les aspirations légitimes de liberté et d’émancipation.
Votre rapport interroge la transformation des relations entre les générations. La question qui est posée tant à la représentation nationale qu’à l’exécutif est bien celle-ci : comment faire société, comment préserver ce pacte intergénérationnel qui n’est jamais acquis, mais toujours fragile, toujours à reconstruire ?
Les préconisations présentées voilà quelques instants par Mme Nadia Sollogoub et M. Julien Bargeton constituent plusieurs pistes pour mieux lier les générations entre elles, tout en faisant en sorte que les membres de chacune d’elles continuent à se sentir liés par un destin commun et qu’aucune ne se sente oubliée ou perdue.
Je ne peux que me féliciter aujourd’hui de l’importance que vous accordez à ce sujet. Au sein de l’exécutif, le portefeuille des solidarités et de la santé regroupe en effet un ensemble de politiques publiques visant précisément à préserver les solidarités entre les individus, les groupes sociaux, mais aussi les générations.
Que l’on songe au système de retraite, à la politique familiale, ou encore à la politique de santé : ils expriment des choix historiques et politiques en faveur du lien entre les générations et de ce qu’elles se doivent mutuellement. Nous devons les préserver et donc les faire évoluer pour, ainsi que vous le dites, adapter les politiques publiques aux besoins et aux attentes de la nouvelle donne générationnelle.
C’est tout le sens des réformes engagées par le Gouvernement sur les retraites, le système de santé, la perte d’autonomie, bien sûr, et, plus généralement, le sens de ce que le Président de la République a appelé la « protection sociale du XXIe siècle ».
Plusieurs autres réformes, portées par le Gouvernement et mes collègues permettent aussi de créer du lien entre les générations. Je pense en premier lieu au service national universel, porté par le secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, Gabriel Attal, dont les objectifs font écho à votre souhait de mobilisation ou de remobilisation des jeunes citoyens.
Vous préconisez également de « valoriser d’autres voies de réussite et d’autres modes de transmission, en particulier l’apprentissage et les métiers manuels ». Le Gouvernement, là encore, ne peut que vous rejoindre, tant cette proposition trouve sa réalisation dans les mesures prévues par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018.
M. François Bonhomme. À la bonne heure !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Mme la ministre du travail, Muriel Pénicaud, a eu l’occasion de défendre ici même, lors de l’examen de cette loi, cette voie de réussite, d’excellence et de passion. C’est une voie d’intégration dans la société, et il ne peut y avoir de solidarité sans intégration sociale et professionnelle des jeunes de notre pays.
M. François Bonhomme. Pas possible !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. C’est la raison pour laquelle nous avons aussi permis l’augmentation de la rémunération des apprentis, le développement d’Erasmus pro, ou encore la mise en place d’une aide de 500 euros pour le passage de l’examen du permis de conduire.
En ma qualité de secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, vous comprendrez que je m’exprime à présent plus longuement sur un des aspects de votre rapport qui touche particulièrement mon périmètre ministériel, à savoir la prise en charge de la perte d’autonomie.
Vous avez raison : pour répondre au défi du vieillissement, notre modèle de prise en charge des personnes âgées doit être rénové.
Nous devons nous préparer à l’arrivée au grand âge de la génération du baby-boom ; c’est un défi de même ampleur que l’arrivée de la même génération à la retraite dans les années 2000. Nous devons le faire en mobilisant des financements collectifs, mais aussi individuels, lorsque cela est possible et juste.
La concertation que nous menons aujourd’hui sur le sujet permet d’examiner toutes les pistes : l’assurance individuelle comme les nouvelles formes possibles de viager ou de mobilisation du patrimoine. Face à l’ampleur du défi, rien ne peut être d’emblée écarté. Votre rapport sera versé à la somme des réflexions utiles à l’approfondissement du débat.
L’enjeu de la perte d’autonomie n’est pas seulement sanitaire ; il est aussi social et éthique. Penser le bien vieillir, c’est penser la qualité de la vie jusqu’au bout, dans la préservation de la dignité et du lien social.
Un de nos axes de réflexion est d’ailleurs la lutte contre l’isolement des personnes âgées, fléau majeur de nos sociétés et angoisse de tout un chacun. La question des aidants, qu’ils soient familiaux ou non, est au premier rang de nos priorités.
Je note que vous souhaitez voir se développer la cohabitation intergénérationnelle ; c’est un aspect que nous étudions également et que j’ai porté au Parlement lors de l’examen de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN.
Améliorer les prises en charge suppose de mettre fin non seulement au regard dévalorisant sur les personnes âgées dans leur ensemble, mais aussi aux prises en charge qui excluent de la société, qui mettent à part, qui isolent. C’est la raison pour laquelle nous réfléchissons dès à présent aux établissements de demain, ceux au sein desquels les jeunes d’aujourd’hui pourront se sentir bien.
Je ne peux bien sûr vous dévoiler ce qui sera présenté au début du mois de mars et qui résultera des groupes de travail en cours, mais sachez qu’Agnès Buzyn et moi-même sommes pleinement au travail pour dégager des scénarios qui seront, le moment voulu, soumis au débat et au vote devant votre assemblée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, votre travail est riche et touche à plusieurs périmètres ministériels ; aussi, je tâcherai de répondre au mieux à chacune de vos interrogations. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste, ainsi que sur le banc de la délégation.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Jean-Pierre Moga.
M. Jean-Pierre Moga. Je souhaiterais aborder le sujet de la solidarité intergénérationnelle dans le domaine du travail et de l’emploi.
Des changements importants s’opèrent aux deux extrémités de la vie professionnelle : chez les seniors de plus de cinquante-cinq ans et chez les jeunes entrant dans la vie active. Nos collègues au sein de la délégation sénatoriale à la prospective l’ont excellemment souligné.
Les différentes générations ont des points de vue très divergents sur leur rapport au travail, à l’autorité et à la réussite professionnelle.
D’une part, nous avons les seniors, issus de la génération des trente glorieuses, chez qui la transition numérique et les évolutions technologiques entraînent des besoins considérables de mise à niveau des compétences et dont le capital d’expérience devient obsolète.
D’autre part, les jeunes attendent que leur travail leur procure plus d’épanouissement personnel et donc que les tâches qu’ils doivent accomplir soient plus intéressantes et plus utiles.
Là où leurs aînés mettaient en valeur le rôle social du travail, la sécurité de l’emploi, le salaire ou les éventuelles promotions de carrière, les jeunes souhaitent mieux concilier leur vie personnelle, leur vie familiale et leur éventuel engagement associatif avec leur travail. Ces attentes sont en contradiction avec la réalité actuelle du monde du travail et ses méthodes de management.
Le modèle du supérieur hiérarchique qui ordonne de façon indiscutable ne correspond plus à leurs attentes. Il faut évoluer vers des supérieurs qui accompagnent, fédèrent, écoutent, associent et conseillent. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une défiance des jeunes générations à l’égard du travail salarié.
Aussi, madame la secrétaire d’État, pour répondre à l’idéal professionnel des générations montantes en quête d’épanouissement, de sens et de participation, quelles mesures comptez-vous prendre ?
Par ailleurs, quant aux seniors, quels moyens allez-vous mettre en œuvre pour que la formation soit vraiment continue tout au long de la vie professionnelle et pour établir, entre autres choses, une véritable solidarité intergénérationnelle ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Stéphane Artano applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, concernant l’emploi des seniors, mais aussi l’accompagnement vers l’emploi des personnes plus éloignées du numérique, tout demandeur d’emploi en difficulté peut bénéficier d’un accompagnement à l’usage des bornes en libre accès installées dans les agences de Pôle emploi. En effet, afin de faciliter l’assistance en agence, les zones d’accueil ont été réaménagées avec plus de postes informatiques équipés de scanners. En complément des ressources habituelles mobilisées dans ces espaces, nous avons accompagné 2 200 jeunes en service civique qui ont été formés pour assister les personnes en difficulté. Le taux de satisfaction des demandeurs d’emploi concernant le service numérique mis à disposition est passé de 77 % en 2015 à 91 % en 2017.
De plus, le taux d’emploi des seniors en France s’est redressé à partir des années 2000 ; il est passé de 37 % en 2003 à 49,8 % en 2016. Cette hausse a été encore plus marquée – elle a été de plus de 16 points – pour les personnes âgées de cinquante-cinq à cinquante-neuf ans : le taux d’emploi pour ces personnes a atteint 76,3 % en 2016.
Au 30 novembre 2018, les parcours emploi compétences bénéficient également majoritairement aux personnes les plus éloignées du marché du travail : 41,2 % de leurs bénéficiaires sont des demandeurs d’emploi de très longue durée ; 36,1 %, des seniors. Quant aux emplois francs, je tiens à préciser qu’aucun critère d’âge n’est appliqué : les seniors sont eux aussi éligibles.
Le Gouvernement conduit, depuis le début de ce quinquennat, une politique visant à favoriser la mise en œuvre d’une flexisécurité à la française. Il s’agit de sécuriser les entreprises afin de favoriser leur développement et, par voie de conséquence, celui de l’emploi. Cela profite aux salariés et, notamment, aux seniors, en renforçant leur droit à la formation professionnelle et à l’assurance chômage.
Concernant les métiers qui se rapprochent plus des solidarités et de la santé, dans le cadre du travail mené par Muriel Pénicaud, une remobilisation importante a été effectuée sur des métiers en tension qui nécessitent un approfondissement et une formation spécifique. Je pense notamment aux aides-soignants.
Enfin, je souhaite rappeler qu’il est essentiel à nos yeux de ne laisser personne au bord du chemin. Nous devons donc rendre la croissance, non seulement riche en emplois, mais aussi inclusive.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. À l’heure du grand débat national, à la veille de la réforme des retraites, le débat qui nous rassemble aujourd’hui nous amène à nous interroger sur les moyens que nous pouvons mettre en œuvre pour retisser les liens sociaux, économiques et culturels entre les âges, mais aussi pour retrouver le sens de la solidarité intergénérationnelle, qui est moins importante en France que dans les autres pays européens.
Une économie florissante est indispensable pour assurer une juste redistribution des ressources. La croissance et la vitalité de nos entreprises sont directement liées aux montants des transferts qui financent les dépenses publiques de solidarité : moins de production, moins d’entreprises, moins de salariés, c’est aussi moins de ressources de l’État pour financer la solidarité intergénérationnelle dans les domaines de la santé, des retraites, du chômage, de l’aide aux familles les plus fragiles, ou encore de la dépendance.
En complément de cette action des collectivités et de l’État, qui est le socle de notre modèle social, comment améliorer cette solidarité intergénérationnelle ?
De nombreuses solutions existent déjà dans nos territoires pour rompre l’isolement des seniors – je pense notamment à l’aide aux aidants et à l’aide à domicile – et pour soutenir les jeunes qui cherchent leur place dans la société.
Ces solutions se multiplient en jonction avec le monde associatif. Il faut encourager tous les bénévoles qui souhaitent transmettre leur savoir-faire, par le biais, notamment, de l’apprentissage, qui valorise les métiers manuels.
Madame la secrétaire d’État, dans le cadre de l’entente intergénérationnelle, quelle place donner aux seniors dans l’information sur les métiers et l’initiation professionnelle qui est offerte dans le cadre scolaire, mais aussi aux jeunes majeurs sans formation ?
Comment, pour reprendre l’expression de Victor Hugo, raviver « la flamme aux yeux des jeunes gens » et reconnaître « la lumière » dans ceux des anciens ? (Mmes Nassimah Dindar et Michèle Vullien applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, concernant votre première question, je tiens à rappeler que la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, portée par Mme Muriel Pénicaud, a transféré aux régions le soin de l’information et de l’orientation en la matière. Les régions sont, de fait, libres d’associer à des actions d’orientation les acteurs qu’elles choisissent, y compris des retraités.
Ces actions ont lieu dans les établissements scolaires, mais elles peuvent aussi être effectuées dans d’autres contextes par les collectivités territoriales, en particulier les communes. On peut faire du repas intergénérationnel un temps privilégié dans les cantines. C’est tout le travail que mènera M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, dans le domaine des associations et du bénévolat : comment inclure les seniors et les retraités dans ces actions ?
Concernant les seniors à l’école, dans le cadre des expérimentations conduites dans l’académie de Paris, un programme européen labélisé a été mis en place il y a une douzaine d’années, en partenariat avec l’association Ensemble demain, afin de permettre le développement de projets intergénérationnels sur le temps scolaire et périscolaire. Des retraités isolés, des associations de retraités et des établissements d’accueil de retraités peuvent s’investir dans un travail bénévole avec des écoliers, des collégiens, des lycéens et des étudiants en leur apportant leurs compétences lors d’activités pédagogiques prévues dans le projet d’école ou d’établissement.
On voit bien là tout l’enjeu de la relation entre les associations, les bénévoles et les différentes collectivités – communes pour les écoles primaires, départements pour les collèges, régions pour les lycées. Il y a un dialogue important à engager pour faire se rencontrer deux mondes.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour la réplique.
M. Daniel Chasseing. La solidarité familiale doit bien sûr être encouragée et soutenue ; cela fait partie des devoirs moraux que nous devons amplifier.
Sur le plan de l’avenir de la formation et de l’emploi, madame la secrétaire d’État, je rejoins vos propos : il faut encourager les associations qui, aux côtés des centres de formation des apprentis et des lycées professionnels, portent l’ambition de valoriser les métiers manuels, trop souvent considérés comme des filières de second choix, et d’en faire une voie d’excellence et un puissant levier de transmission des savoirs, d’insertion professionnelle et d’intégration des jeunes.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Sur l’initiative du Sénat, la loi ÉLAN a fait progresser la solidarité intergénérationnelle en matière d’habitat, au travers de la création du régime juridique de la cohabitation intergénérationnelle solidaire, qui permet désormais aux personnes âgées de louer une partie de leur logement à un jeune de moins de trente ans.
Cette mesure de bon sens offre enfin un cadre à une disposition dont l’origine remonte au plan national Bien vieillir de 2007, qui posait les jalons de l’offre d’un logement par une personne âgée, en contrepartie d’une aide bénévole et d’une attention de solidarité, à un occupant jeune et généralement étudiant.
Douze ans plus tard, cette tendance s’est généralisée dans toute la France, alors que les résidences universitaires des CROUS se trouvent rapidement saturées et que les jeunes éprouvent des difficultés à trouver une solution de logement dans le parc privé.
Cependant, les mesures adoptées dans le cadre de la loi ÉLAN ne sont qu’un levier. En 2015, la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement prévoyait la remise au Parlement d’un rapport du Gouvernement sur le logement intergénérationnel, afin de sécuriser les pratiques.
Compte tenu des apports de la loi ÉLAN, qui sécurisent le contrat de bail et précisent la « contrepartie modeste » du service rendu par l’hébergé à l’hébergeant, le Gouvernement donnera-t-il des consignes afin que l’administration fiscale et les URSSAF appliquent avec souplesse ce cas particulier de droit du travail, qui ne doit pas être confondu avec le travail dissimulé au risque de freiner son développement ?
Le rapport devait également évaluer la pertinence d’exonérer de taxe d’habitation, ou encore d’allocations sociales, l’hébergeant et/ou l’hébergé. Le Gouvernement entend-il donc moduler la taxe d’habitation, si elle devait être maintenue pour 20 % des Français, ou bien le montant des aides personnalisées au logement, dont la contemporanéité s’applique dès cette année ? Ce cas sera-t-il bien pris en compte ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous avez évoqué la loi ÉLAN. Je voudrais ici saluer le travail conclusif de la commission mixte paritaire qui a rassemblé, autour de ce texte, des représentants du Sénat et de l’Assemblée nationale.
La cohabitation intergénérationnelle est un exemple concret de ce que nous pouvons faire pour renforcer les solidarités intergénérationnelles. Cette formule de logement solidaire représente, comme vous l’avez souligné, une offre permettant de répondre aux besoins de logement de certains jeunes, qu’ils soient étudiants, apprentis ou actifs, pour un coût modéré, en échange d’une entraide solidaire sous forme de menus services ou de modalités de présence auprès des aînés.
Nous avons inscrit dans la loi une définition bien particulière de ces « menus services », de manière à éviter leur requalification en contrat de travail. Concrètement, il s’agit, pour les jeunes qui le souhaitent, d’être logés chez des personnes âgées d’au moins soixante ans, en échange d’un engagement relatif à une durée de présence ou à des services. Des associations assurent un rôle de mise en relation et de suivi tant du jeune que de la personne âgée et de leurs familles. Elles peuvent même assurer des fonctions de conseil spécifique et de conciliation lorsque, malheureusement, des difficultés se font jour pour l’une ou l’autre partie.
Toutefois, le développement et l’essaimage sur les territoires de cette offre innovante ont rencontré jusqu’à présent plusieurs freins, essentiellement d’ordre financier et juridique, tels que le risque de requalification en bail ou en contrat de travail. Par ailleurs, cette offre innovante et solidaire reste peu connue et peu utilisée.
Les travaux menés dans le cadre de la loi ÉLAN ont permis, notamment par le biais de son article 117, de poser une charte constituant un cadre sécurisé et souple. On a pu ainsi définir la cohabitation intergénérationnelle solidaire. Cet article permet notamment le développement de cette relation dans le respect du jeune comme de la personne âgée, en inscrivant sa définition dans le code de l’action sociale et des familles, en créant un contrat dédié spécifiquement à cette relation et distinct d’un contrat de bail classique, et en élaborant une charte nationale.
Cette mesure, consensuelle lors de son examen au Parlement, a été saluée par les principaux réseaux nationaux de la cohabitation intergénérationnelle solidaire, car elle constitue un véritable progrès et est très utile au développement de cette offre peu connue. Des perspectives d’évolution de la cohabitation intergénérationnelle sont également abordées dans la concertation nationale pour le grand âge et l’autonomie afin d’amplifier la dynamique déjà lancée.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Ma question abordera le même sujet que celle de ma collègue Dominique Estrosi Sassone.
Je souhaite évoquer la solidarité intergénérationnelle à travers la question du logement et, plus particulièrement, vous interroger, madame la secrétaire d’État, sur le développement de la cohabitation intergénérationnelle.
Ce système est aujourd’hui de plus en plus utilisé en France, en particulier dans les grandes villes, où les difficultés de logement des jeunes sont plus fortes, compte tenu du montant des loyers.
Cette cohabitation permet à la fois à un jeune salarié ou étudiant de résoudre une difficulté de logement pour une contrepartie modeste, voire gratuitement, et à la personne âgée de rompre un éventuel isolement, de conserver un logement devenu trop grand, et de partager certains frais grâce à la contribution financière du jeune.
Quand il est bien préparé, ce projet est synonyme de partage et de compréhension, et débouche sur une belle aventure humaine.
Lors de la discussion de la loi ÉLAN, nous avons franchi une étape importante en donnant un cadre juridique sécurisé à cette pratique, avec le nouveau contrat de cohabitation intergénérationnelle solidaire qui figure désormais à l’article L. 631-17 du code de la construction et de l’habitation.
Madame la secrétaire d’État, je souhaiterais connaître les mesures que le Gouvernement envisage pour populariser la pratique de la cohabitation solidaire et soutenir les associations, les collectivités publiques et les bailleurs sociaux qui agissent en tant qu’intermédiaires auprès des jeunes et des personnes âgées ? Je pense notamment à des campagnes de sensibilisation, à des outils pour mettre en confiance et convaincre, voire à des incitations fiscales et à des aides pour les jeunes.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Je veux faire le lien avec la réponse spécifique que je viens d’apporter à Mme Dominique Estrosi Sassone sur la colocation intergénérationnelle.
Il s’agit ici d’un contrat de mise à disposition d’une chambre meublée dans le cadre de menus services liés à une présence auprès d’une personne âgée ; ce ne sont pas du tout les mêmes critères qui s’appliquent. La colocation est en effet désormais ouverte à tous les publics, et même dans le parc public, ce qui était impossible avant l’adoption de la loi ÉLAN.
La colocation permet à une personne, âgée ou non – cela peut concerner quelqu’un de trente ou quarante ans, ou encore une personne handicapée, disposant d’un grand logement –, de proposer une colocation avec un bail spécifique qui ouvre droit à des aides au logement.
La loi favorise également dans ce cadre une colocation souple et sécurisée, qui permettra de développer ce mode de logement original et de diversifier l’offre.
Concrètement, comment l’État peut-il accompagner les collectivités ? C’est tout le travail qui est fait avec les bailleurs sociaux et les bailleurs privés. Ce dispositif, qui est désormais accessible tant dans le parc privé que dans le parc social, est aussi ouvert aux personnes de plus de soixante ans.
L’objectif de la colocation est de permettre aux personnes qui souhaitent adopter ce nouveau mode de vie de partager dans le parc social un logement. Elles bénéficient ainsi d’un logement plus grand et moins cher, mais aussi de nouvelles solidarités entre colocataires.
Pour les personnes âgées, l’habitat intergénérationnel est un moyen de rompre l’isolement ; pour les jeunes, il facilite leur accès au logement à un coût modéré. Une charte à venir en précisera le cadre général et les modalités pratiques. Elle fera l’objet d’un travail avec l’ensemble des acteurs : bailleurs sociaux et privés, ainsi qu’associations représentant les locataires.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Le rapport de la délégation sénatoriale à la prospective a le mérite d’interroger nos systèmes de solidarité face aux mutations économiques et sociales en cours, au premier rang desquels la solidarité intergénérationnelle autour de notre système de retraite.
La transformation de notre système de retraite en un régime à points et avec des cotisations définies, annoncée par le Gouvernement, va affaiblir la solidarité intergénérationnelle, car elle va casser le lien existant entre les actifs, qui cotisent pour leur avenir et financent la retraite des générations précédentes.
M. Pierre-Yves Collombat. Eh oui !
Mme Laurence Cohen. Avec ce système, les cotisations sont définies et les pensions s’adaptent aux sommes collectées, alors que, dans le système actuel, le niveau des retraites est garanti. Sous couvert de simplification et d’égalité, le principe « 1 euro cotisé donne les mêmes droits » va remettre en cause les mécanismes de redistribution et de solidarité.
Dans un régime par points, on accumule des points en cotisant tout au long de sa vie active et, au moment de la retraite, les points sont convertis en pension. Pour les femmes, dont la situation actuelle se caractérise par des carrières en moyenne plus courtes, assorties de salaires plus faibles et de temps partiels imposés fréquents, les inégalités de pension avec les hommes, déjà importantes, ne pourront que s’aggraver. Les solidarités de demain vont donc considérablement se dégrader avec le projet gouvernemental de réforme des retraites.
Aussi, madame la secrétaire d’État, je souhaite connaître votre avis sur notre proposition de mise à contribution des revenus financiers au financement des retraites, bon moyen pour préserver les mécanismes de solidarité intergénérationnelle de notre système actuel par l’introduction d’une solidarité contributive. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Plutôt qu’à une « réforme » des retraites, terme qui peut faire peur aux Français au regard des importantes réformes précédentes qui sont intervenues, nous travaillons à une refondation de l’architecture globale de notre système de retraite, en vue de le rendre plus juste et plus lisible pour les assurés.
M. Pierre-Yves Collombat. On est rassuré !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Il s’agit de créer un système universel dans lequel, comme vous l’avez précisé, chaque euro cotisé donnera des droits identiques, quel que soit le statut.
C’est parce que nous avons un système trop complexe, avec quarante-deux régimes aux règles différentes, qu’il faut lui préférer un système universel avec des règles communes à tous. Cela suppose de remettre en débat le système actuel, ses objectifs, ses paramètres et son pilotage.
Le système de retraite que nous connaissons correspondait à une société où, pour une majorité de Français, les carrières se déroulaient au sein d’une même entreprise. Depuis plus de quinze ans, les salariés connaissent des parcours professionnels plus différenciés – temps partiels, pauses liées aux enfants… –, ce qui fait qu’aujourd’hui deux salariés ayant travaillé selon des modalités différentes n’ont pas droit à la même retraite, en fonction des régimes auxquels ils sont affiliés, alors qu’ils ont pareillement cotisé.
Il s’agit donc d’envisager un système de solidarité plus juste au regard de l’activité professionnelle des Français et de transformer les systèmes de retraite en un nouveau système universel.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.
Mme Laurence Cohen. Si je vous entends bien, madame la secrétaire d’État, tout est une question de langage et de pédagogie…
En fait, on ne comprend pas ce que fait le Gouvernement. Ce qui me rassure, c’est que nous ne sommes pas les seuls dans cet hémicycle : il n’y a qu’à entendre ce qui se dit aujourd’hui dans les rues !
Parmi les « gilets jaunes » se trouvent nombre de retraités, femmes et hommes, qui protestent, parce que leur pouvoir d’achat est en berne et que leurs pensions sont insuffisantes. Ce que vous venez de nous annoncer ne nous rassure absolument pas !
Encore une question, madame la secrétaire d’État : pourquoi la revalorisation des retraites ne fait-elle pas partie des questions abordées dans le cadre du grand débat national ? On le voit bien, tout est formaté pour que seules les questions que se posait le Gouvernement soient examinées. Malheureusement, il y répond de mauvaise façon, sans que cela corresponde aux besoins des gens.
M. le président. La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais.
Mme Nadine Grelet-Certenais. Le rapport sénatorial qui nous est soumis s’interroge sur la fragilité et l’iniquité du pacte intergénérationnel que représente notre système de retraite. Ce dernier favoriserait les tensions entre, d’un côté, les générations « choyées » et, de l’autre, les générations « malchanceuses ».
Je vois bien l’intérêt idéologique d’attiser un conflit intergénérationnel, mais cette thèse est très discutable, car foncièrement politique. C’est en effet une question de choix de société qui nous est posée collectivement. Elle touche à la vision que nous voulons avoir de la solidarité, de l’entraide, de la citoyenneté même. Je crois d’ailleurs que les mouvements sociaux que nous connaissons aujourd’hui ne sont pas étrangers à cette inquiétude sur la pérennité du système par répartition et sur le flou entretenu par le Gouvernement sur la réforme des retraites. Comme cela a été rappelé, des pétitions circulent pour préserver le pouvoir d’achat des retraités.
Toucher au revenu des retraités, c’est remettre en cause les équilibres de toute une famille, c’est déstabiliser l’entraide familiale, c’est affaiblir les ressources des aidants, qui assurent un rôle majeur dans la prise en charge de la dépendance – question d’une brûlante actualité. Ainsi, la désindexation des retraites, entérinée par le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, malgré l’opposition sénatoriale, contribue à aggraver les inquiétudes légitimes des Français. En effet, à compter de cette année, la revalorisation des pensions ne suivra plus l’inflation.
Mme Fabienne Keller, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. C’est vrai !
Mme Nadine Grelet-Certenais. Alors que l’indexation sur les prix, et non sur les salaires, participe déjà de la paupérisation de nos aînés, cette désindexation alourdit une nouvelle fois la charge que vous avez décidé de faire porter sur les retraités, surtout les plus fragiles d’entre eux. Elle annule même quasiment le gain de l’exonération de la CSG pour les plus pauvres. Cette décision hautement politique est d’autant plus injuste que l’inflation est repartie très à la hausse cette année.
Madame la secrétaire d’État, allez-vous continuer à leurrer les Français sur la hausse de leur pouvoir d’achat ou profiterez-vous du grand débat national pour enfin écouter et renoncer à cette désindexation des pensions ? Par ailleurs, en saura-t-on plus sur la réforme des retraites à l’occasion de ce débat, sujet d’inquiétude majeure pour les Français ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. La refonte de l’architecture globale de notre système de retraite vise à créer un système universel. La concertation est en cours avec l’ensemble des partenaires sociaux sur ses grands principes. Dans un second temps seront examinées les questions relatives à la gouvernance, au pilotage et à l’organisation du système universel : conditions de départ, examen des situations particulières, modalités de transmission entre l’ancien et le nouveau système. Un projet de loi sera ensuite discuté au Parlement.
La réforme doit aussi tenir compte des différentes générations – sans adaptation, les grands régimes de notre protection sociale ne peuvent pas survivre. Elle doit être propice à l’évolution de notre société.
J’en viens à la question des prestations sociales, dont vous avez parlé.
Nous voulons combattre la pauvreté. C’est pourquoi ces prestations seront non seulement maintenues, mais augmentées. Je pense à l’allocation aux adultes handicapés ou au minimum vieillesse, dont nous augmentons le montant de façon importante. Cependant, cela ne suffira pas à sortir les publics de la pauvreté. C’est la raison pour laquelle nous mettons en œuvre des réformes et des stratégies importantes.
La concertation « grand âge et autonomie » sera l’occasion d’aborder les questions relatives à la prise en charge de la dépendance, à son coût financier, à l’assurantiel, à la protection sociale de l’État, à la solidarité nationale. Ce sera également l’occasion de réfléchir à l’adaptation de notre système de prestations sociales, qui fonctionne mal, et à la façon de le rendre lisible et compréhensible pour chacun des Français.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano.
M. Stéphane Artano. L’allongement de l’espérance de vie constitue l’une des plus grandes avancées de notre époque. Il implique une évolution profonde de l’organisation sociale et des mentalités. Le maintien, voire le renforcement des liens entre les différentes générations qui cohabitent, ou sont censées cohabiter, est un défi d’envergure.
Selon une étude de la SOFRES, une majorité de Français jugent essentielle l’aide en nature apportée à ses parents, grands-parents ou enfants, la transmission des savoir-faire et le soutien scolaire. Pour autant, allons-nous échapper à la lutte des âges ou allons-nous plutôt vers une lutte des classes ? Certains l’affirment.
Depuis le débat sur la réforme des retraites en 2010, une partie de la population a tendance à dénoncer certains avantages dont bénéficieraient nos seniors. D’autres affirment plutôt qu’ils sont condamnés à s’éloigner sous l’effet des nouvelles technologies. Quoi qu’il en soit, l’opposition générationnelle serait inévitable. Dans les faits, pourtant, les choses paraissent bien différentes. Selon Serge Guérin, coauteur de La Guerre des générations n’aura pas lieu, « les coopérations existent, dans tous les domaines, et les initiatives intergénérationnelles n’ont jamais été aussi florissantes ».
C’est en ce sens qu’une silver économie s’est constituée. Toutefois, à côté de ce marché, il existe une réalité bien plus riche humainement et, surtout, respectueuse des personnes âgées pour une société inclusive.
Malgré un engagement fort des différents gouvernements pour lutter contre l’isolement, plusieurs études récentes montrent que la coupure entre les générations reste importante en France, plus forte que la moyenne européenne. Sans sous-estimer l’importance du phénomène en milieu urbain, force est de constater que l’isolement augmente dans nos territoires un peu plus éloignés. Quand un médecin cesse son activité ou que des services de proximité ferment, ce sont des sentinelles pour nos aînés qui disparaissent, c’est un lien social qui se brise.
Madame la secrétaire d’État, puisque des travaux sont en cours, peut-on envisager qu’une réflexion soit menée pour mettre en place un véritable réseau de sentinelles visant à rompre l’isolement de nos aînés, par le biais d’une plateforme intergénérationnelle pour une société plus inclusive ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. La lutte contre l’isolement social des personnes âgées est un enjeu important que le Gouvernement prend à bras-le-corps. En effet, l’isolement est un facteur de perte d’autonomie important.
Dans ce cadre, nous soutenons le programme MONALISA, qui réunit plus de 460 organisations : associations, caisses de retraite, collectivités territoriales… Des bénévoles constitués en équipes citoyennes mènent dans leur quartier des actions en faveur des personnes isolées : visites à domicile ou en établissement, initiation au numérique, aide aux démarches administratives, sorties culturelles… Nous soutenons également le bénévolat. Il faut savoir que trois bénévoles sur dix ont plus de soixante-cinq ans. Dans le cadre de la concertation « grand âge et autonomie », qui prévoit un volet spécifique sur l’isolement, nous souhaitons permettre le développement du bénévolat.
Par ailleurs, Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, et Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées, ont installé, au mois de février dernier, une commission de promotion de la bientraitance et de lutte contre la maltraitance des personnes vulnérables, dont les personnes âgées font partie.
Je tiens également à souligner l’engagement des collectivités territoriales dans les territoires ruraux, mais également en ville. Lors des plans Canicule et Grand Froid, qui permettent de déployer des moyens supplémentaires pendant ces périodes bien spécifiques, elles s’assurent que les personnes isolées disposent bien de l’ingénierie nécessaire pour se protéger du risque lié à ces événements climatiques.
Les associations de bénévoles, souvent soutenues par les CCAS, jouent aussi un rôle très important, qu’il s’agisse d’accompagner les personnes âgées à domicile, d’aller les chercher, de leur faire la lecture à la bibliothèque, etc. Les collectivités peuvent s’appuyer sur ces structures.
L’aménagement du territoire est important : construire un EHPAD à côté d’une crèche facilite les projets intergénérationnels.
Lorsque les acteurs travaillent ensemble, notamment dans le cadre des CCAS, qui réunissent l’ensemble des collèges et des représentants – familles, personnes âgées, personnes handicapées –, les échanges et les rencontres sont favorisés et permettent de lutter contre l’isolement des personnes âgées.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano, pour la réplique.
M. Stéphane Artano. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse.
Vous avez évoqué MONALISA et tout ce qui se fait dans les quartiers. Pour ma part, j’appelais l’attention du Gouvernement sur ce qui se passe dans la ruralité : le maillage territorial est beaucoup plus compliqué dans ces zones. Quand bien même des réseaux sont mis en place, cela mérite une véritable réflexion de la part d’un État stratège, réflexion qui pourrait être confiée au Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge.
M. le président. La parole est à Mme Nassimah Dindar.
Mme Nassimah Dindar. L’excellent rapport rendu par nos collègues met en avant la nécessité de trouver de nouveaux modes d’expression des solidarités intergénérationnelles. Ce constat est juste.
À nous, élus, il appartient bien de répondre à la question : dans les politiques publiques, comment éviter le cloisonnement des générations ?
La « guerre des âges », que craignent à juste titre mes collègues, ne doit pas avoir lieu. À La Réunion, nous avons ainsi créé deux structures originales destinées aux personnes âgées, qui répondent, modestement, à cette volonté.
Je pense en premier lieu à la maison des accueillants familiaux, qui permet à des assistants familiaux d’accueillir de quatre à onze personnes. Elle offre une solution d’hébergement accompagné, de manière bien moins onéreuse qu’en EHPAD et de manière plus familiale et identitaire, donc mieux ressentie par le résident. Nous permettons ainsi l’intégration des « nouveaux âges de la vie », pour reprendre l’expression du rapport de nos collègues, c’est-à-dire des personnes âgées qui ne sont plus en totale autonomie, mais qui ne sont pas totalement dépendantes. En parallèle, elle permet l’octroi d’un revenu décent à ces accueillants familiaux. On a là l’expression d’une forme de solidarité intergénérationnelle et aussi d’une forme de solidarité sociale au service de la solidarité économique. Il s’agit bien d’une communauté de travail inspiré.
Je pense en second lieu à la résidence pour personnes âgées Tournesols, développée par le CCAS de Saint-Pierre – ma collègue Viviane Malet y a participé –, autour d’un triangle vertueux : premièrement, des logements ; deuxièmement, des espaces de vie communs, dont un jardin partagé de plantes médicinales et aromatiques servant aussi de lieu intergénérationnel de transmission de savoirs ; troisièmement, une intégration de tous grâce à un restaurant dont la gestion a été confiée à un établissement recevant des personnes porteuses d’un handicap.
Madame la secrétaire d’État, « faire société », c’est être capable de vivre ensemble, avec un sentiment d’appartenance qui passe par la transmission de savoirs des aînés – en d’autres termes, c’est « donner des racines pour s’envoler et des ailes pour s’enraciner », comme disait Pablo Neruda. « Faire société », c’est donner à lire la vision sociétale de la famille, où chaque génération a son rôle, sa place et se complète.
Ces exemples montrent que la prévention de la dépendance est possible et nécessaire, car la prise en charge en établissement peut aussi casser les solidarités intergénérationnelles. Il est donc nécessaire d’impulser de nouvelles dynamiques de solidarité en matière d’accompagnement de nos aînés.
Madame la secrétaire d’État, quelle souplesse sera laissée aux acteurs des territoires pour innover dans le renforcement de ce lien intergénérationnel et comment pourra-t-on capitaliser sur des expérimentations réussies ? (Applaudissements au banc de la délégation.)
Mme Fabienne Keller, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. La Réunion est un département jeune, mais qui vieillit rapidement : 132 400 personnes ont plus de cent ans. Il faut donc anticiper les besoins et les anticiper rapidement.
La vulnérabilité des personnes seules – plus 23 % en 2013 – est accentuée par la précarité et le manque de confort liés à la vétusté des logements. En outre, 75 % des bénéficiaires de l’APA sont très dépendants, contre 20 % en métropole.
Le choix du maintien à domicile est privilégié dans les territoires d’outre-mer. L’aide de l’entourage y est forte, supérieure à ce que l’on constate en métropole.
L’hébergement collectif alternatif, mais de petite taille, pour répondre au modèle culturel des îles et des territoires outre-mer, est une solution. Il faut aussi bien évidemment favoriser un accueil familial, augmenter le nombre de services d’aide à domicile, avec un meilleur dépistage de la maladie d’Alzheimer. Toutes ces solutions doivent se développer. Elles figurent dans la feuille de route liée au Livre bleu, qui fait suite aux Assises des outre-mer.
Madame la sénatrice, une convention vient d’être signée entre le département et le ministère des solidarités et de la santé pour que 800 logements en résidence senior puissent être construits sur trois ans.
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.
M. Jean-Raymond Hugonet. La question des solidarités entre générations est aujourd’hui un enjeu essentiel. L’allongement considérable de l’espérance de vie entraîne, de fait, la cohabitation de plus en plus fréquente de trois, voire de quatre générations au sein d’une même famille. C’est bien la famille qui reste le lieu privilégié où se joue précisément la solidarité entre générations. Or ces liens se sont transformés, parallèlement aux évolutions de la famille.
Je souhaite axer mon intervention sur le rôle d’une génération que l’on passe trop souvent sous silence et qui est pourtant devenue le maillon fort de la solidarité, non seulement de la solidarité familiale, mais aussi de la solidarité entre Français : la génération des cinquante-cinq–soixante-dix ans. Cela tombe bien, me direz-vous, la moyenne d’âge de la Haute Assemblée est de soixante et un ans, et je viens de franchir ce cap il y a six jours. (Sourires.) Ce maillon fort est incarné par des personnes qui ont, à la fois, la charge de parents plus âgés et de jeunes qui, pour différentes raisons, tardent à s’insérer.
Avoir la charge de parents plus âgés, cela peut vouloir dire accompagner les souffrances de la grande dépendance ou de la maladie d’Alzheimer, dont 220 000 nouveaux cas apparaissent chaque année. Jusqu’à présent, nous n’avons pas suffisamment pris en compte la nécessité d’aider les aidants. Or ceux-ci continuent d’avoir, en même temps, la charge de leurs enfants, qui tardent à entrer dans la vie active et qui ont du mal à trouver un logement et à fonder un foyer.
Nous le constatons : beaucoup repose sur la solidarité familiale. Pourtant, celle-ci est mal prise en compte par les politiques publiques, quand elle n’est pas purement et simplement ignorée. Notre objectif doit être de chercher comment la renforcer, mais aussi de se poser d’autres questions et d’y apporter des réponses concrètes. Comment faire pour que cette solidarité puisse continuer à se développer ? Comment lui trouver des substituts lorsqu’elle n’est pas présente ? Comment faire renaître de l’entraide de proximité là où elle n’existe plus ?
Vaste débat, me direz-vous ! Nous l’ouvrons aujourd’hui, et je remercie mes collègues membres de la délégation sénatoriale à la prospective, sous la bienveillante autorité de son président, Roger Karoutchi, de nous en donner l’occasion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. L’entraide familiale représente plus de 32,4 milliards d’euros annuels et 90 % des transferts entre ménages. Elle est principalement à destination des jeunes, qu’ils soient ou non issus de familles aisées. Ces aides permettent d’amoindrir les disparités de niveau de vie selon l’âge. En revanche, c’est une source d’inégalités fortes entre les catégories sociales.
La génération « pivot » dont vous avez parlé est celle des personnes âgées de cinquante à soixante-quatre ans. C’est une notion apparue relativement récemment dans le paysage social. Ces personnes donnent principalement à leurs enfants, mais aussi de plus en plus à leurs parents. Les personnes de cinquante ans sont celles qui contribuent le plus.
Du fait, d’une part, du retrait du monde social occasionné par le retrait d’une vie majoritairement professionnelle et, d’autre part, de l’allongement de la durée de vie, la solitude des seniors a eu tendance à se développer ces dernières années.
La fonction de grands-parents s’est beaucoup affirmée ces dernières années et elle a permis l’accroissement du temps disponible avant la grande vieillesse. C’est une tendance lourde de l’évolution des structures familiales aujourd’hui qu’il convient de valoriser.
Le rôle des aidants constitue l’un des enjeux importants et principaux qui donneront lieu à des mesures spécifiques dans le cadre de la concertation « grand âge et autonomie ».
La volonté d’engagement des jeunes est concomitante avec un besoin d’attention et de soins de la part de leurs aînés. Il convient donc d’appréhender ces deux phénomènes de façon conjointe.
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Cet échange sur les solidarités de demain arrive à un moment de crise démocratique et sociale majeure tout autant qu’inédite. Or les solidarités de demain, même s’il s’agit de la nouvelle donne générationnelle, s’inscrivent à l’évidence au cœur des nécessaires solidarités d’aujourd’hui, raison supplémentaire pour laquelle ce sujet est d’une grande actualité.
Je veux tout d’abord remercier nos trois rapporteurs de la qualité de leur travail et de l’ambition de leurs propositions.
Mes chers collègues, dans notre pays, 10 % de nos habitants possèdent 55 % du patrimoine national. C’est une première et forte inégalité. Dès lors se pose la question de la transmission de ce patrimoine ainsi que de sa taxation, pour permettre la mise en œuvre d’une véritable solidarité, autant globale qu’intergénérationnelle.
Je partage totalement le triple objectif affiché par nos trois rapporteurs, à savoir la mobilisation du patrimoine des seniors, l’accélération des transmissions, la réduction des inégalités de patrimoine. Qu’en pense le Gouvernement ?
Par ailleurs, multiplier les incitations juridiques et fiscales pour transmettre ce patrimoine de son vivant est indispensable : c’est le cœur des solidarités intergénérationnelles.
En outre, notre démocratie doit se pencher sereinement sur la question des droits de succession. Lorsqu’elle est posée, elle l’est de façon globale. C’est une erreur ou un calcul politique ! En effet, un couple ayant acheté une maison ou un appartement, fruit du labeur de toute une vie, espère logiquement en faire profiter ses enfants. Cependant, le parallèle avec une famille au patrimoine de plusieurs millions ou de dizaines de millions d’euros doit être fait, tout comme avec les enfants d’une famille sans bien patrimonial.
Dès lors, la question centrale de la solidarité se pose et je vous la pose, madame la secrétaire d’État : il est nécessaire, voire indispensable de revoir les droits de succession pour les patrimoines importants et très importants, et non pas pour tous les patrimoines. C’est une question de bon sens, mais aussi de justice, tout autant fiscale que sociale !
Mme Michelle Meunier. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Depuis les années quatre-vingt, du fait du vieillissement de la population et de la croissance des patrimoines, les flux annuels de transmission augmentent plus rapidement que la croissance économique et représentent désormais 10 % du PIB.
En France, les recettes fiscales liées à la transmission du patrimoine ont été multipliées par cinq, en euros constants, depuis trente-cinq ans. Le taux d’imposition effectif moyen sur les actifs transmis s’élevait, en 2016, à 5 %, ce taux étant resté relativement stable depuis les années quatre-vingt.
Une immense majorité des Français sont profondément attachés à cette idée simple et juste que, quand on a travaillé toute sa vie, on veut pouvoir transmettre le fruit de son travail à ses enfants, avec le moins de taxation possible. Le Gouvernement partage ce sentiment. En situation de crise et d’incertitude, la possibilité de transmettre du patrimoine au sein de sa famille peut faire figure de protection. Sur la question de la taxation notamment, on sent bien que les Français trouvent cette mesure parfois juste, mais ils sont relativement frileux. Je prendrai l’exemple de l’allocation sociale à l’hébergement et du minimum vieillesse, qu’on appelle l’ASPA, pour laquelle existe un recours sur droits de succession. Le taux de non-recours de cette prestation est le plus important de toutes les prestations sociales.
Les mesures que vous avez évoquées dans le rapport sur la donation de son vivant doivent être en effet développées et regardées différemment, me semble-t-il.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert.
Mme Corinne Imbert. Je souhaite aborder la question de l’accueil des personnes âgées devenant dépendantes.
Comme nous l’avons vu ces derniers mois – je vous renvoie à l’avis du Comité consultatif national d’éthique du mois de février 2018 –, le modèle du tout-EHPAD présente des limites attestées. Au-delà du coût pour les familles, la question de la prise en charge et de la qualité de vie des personnes âgées doit être la préoccupation de tous. Nous devons envisager des solutions de rechange, parmi lesquelles se trouve la maison d’accueil familial regroupé, qui a été évoquée voilà quelques minutes.
L’agrément des accueillants familiaux est encadré par le code de l’action sociale et des familles et peut être délivré par le président du conseil départemental pour un maximum de trois personnes âgées accueillies et jusqu’à quatre personnes si un couple est accueilli. Le métier d’accueillant familial n’est pas facile, mais cette solution d’accueil pour personnes âgées présente de nombreuses vertus. Elle permet souvent à la personne âgée de rester dans son village ou à proximité.
Comme son nom l’indique, l’accueil doit être familial. L’entrée en famille d’accueil est moins traumatisante que l’entrée en EHPAD, la rupture moins brutale et la personne âgée, si elle conserve un certain degré d’autonomie, peut conserver quelques habitudes et rencontrer des personnes qu’elle connaît. Les accueillants familiaux ont parfois des enfants. Cette cohabitation devient alors un exemple d’intergénérationnel au quotidien.
Si nous souhaitons que l’accueil familial regroupé se développe, il faut que son modèle économique soit viable et moins onéreux qu’une place en EHPAD. Il est nécessaire de donner plus de souplesse aux conditions d’agrément afin de permettre un développement plus important de cette solution vertueuse. Aussi, madame la secrétaire d’État, je souhaite connaître votre position concernant la possibilité d’étendre ces agréments à quatre personnes pour des accueillants familiaux exerçant en maison d’accueil familial regroupé, sans tenir compte de la notion de couple. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et au banc de la délégation.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. L’accueil familial est une solution intermédiaire entre le maintien à domicile d’une personne en perte d’autonomie ou en situation de handicap et l’hébergement collectif en établissement. Il permet de répondre à des situations nécessitant parfois une prise en charge temporaire. Il s’agit donc d’un dispositif qui répond à une attente forte des personnes accueillies, mais aussi de leurs familles, de leurs aidants.
Le Gouvernement soutient ce mécanisme d’accueil solidaire et intergénérationnel, dont la souplesse est l’un des avantages, tout en obéissant à des règles particulières garantissant le droit des accueillants familiaux et une prise en charge de qualité pour les personnes accueillies.
L’ouverture depuis 2010 de la possibilité de salariat des accueillants familiaux par des personnes morales a permis le développement des maisons d’accueil familial.
Plus récemment, la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement a permis des avancées notables, notamment par la mise en place d’un référentiel d’agrément et le renforcement de la formation des accueillants.
Ces mesures ont, sans conteste, permis de consolider l’accueil familial comme une réelle solution parmi la palette d’offres de services développées à l’attention des personnes en perte d’autonomie.
Le Gouvernement soutient les initiatives permettant de diversifier l’offre d’accueil des personnes en perte d’autonomie, notamment grâce au développement de formes d’habitat alternatif et inclusif ou de la cohabitation intergénérationnelle solidaire. Cette question est aussi le sujet de l’atelier Offre de demain pour les personnes âgées en perte d’autonomie de la concertation « grand âge et autonomie ».
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour la réplique.
Mme Corinne Imbert. Même si je comprends que vous ne puissiez pas répondre instantanément à ma question, qui était pourtant simple, madame la secrétaire d’État, j’aimerais néanmoins obtenir une réponse : est-il possible de délivrer un agrément aux accueillants familiaux exerçant de façon regroupée et prenant en charge jusqu’à quatre personnes, qu’il y ait un couple ou non ? Cela permettrait d’instaurer un modèle économique plus viable. Cette solution d’accueil familial, qui est moins traumatisante pour les personnes accueillies, intéresse les familles.
Le premier niveau de solidarité intergénérationnelle est bien la famille, comme l’a dit notre collègue précédemment. Reste que les évolutions sociétales font que les enfants et petits-enfants sont souvent éloignés de leurs parents et de leurs grands-parents.
Je le répète, l’accueil familial doit se développer. L’agrément pour quatre personnes est important. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin.
Mme Monique Lubin. Nous savons que la prise en charge de la perte d’autonomie est l’une des problématiques les plus susceptibles de mettre à l’épreuve le pacte intergénérationnel, parce qu’elle a un coût financier, lequel se traduit notamment par un reste à charge très élevé pour les familles, et parce qu’elle impacte profondément la vie des aidants familiaux qui, faute d’une aide professionnelle suffisante, affrontent trop souvent des situations très éprouvantes.
Le rapport d’information qui nous donne l’occasion du présent débat pointe, pour le financement de la dépendance, la piste de la « séniorité active ». Le risque dépendance serait ainsi un risque assurable, dans une logique intragénérationnelle. Il s’agirait d’une alternative à l’instauration d’une seconde journée de solidarité.
Pour ma part, je considère que l’assurance obligatoire n’est pas la bonne réponse pour financer la dépendance, car le système assurantiel est porteur d’inégalités. Les plus modestes n’auront pas plus les moyens de financer des assurances performantes que de financer leur dépendance au moment où celle-ci surviendra. L’option la plus pertinente me paraît donc être l’instauration d’un cinquième risque, qui garantirait la prise en charge intergénérationnelle de la dépendance. Il s’agit en effet d’un défi majeur qui justifie de mettre en œuvre les mécanismes de la solidarité nationale, comme c’est le cas pour les risques « retraite » et « maladie ».
Ce cinquième risque est évoqué depuis de nombreuses années sans que les discussions le concernant aboutissent. Ont-elles d’ailleurs un jour commencé ? Le Président de la République a lui-même évoqué cette option : quid de cet engagement dans le cadre du grand débat national lancé hier ? Est-ce aussi au cinquième risque que pense le Président de la République quand, dans sa Lettre aux Français, il affirme qu’il faut « rebâtir un système social rénové », quand il leur demande « comment mieux organiser notre pacte social » et « quels objectifs définir en priorité ? »
Madame la secrétaire d’État, aurons-nous l’occasion de débattre de ce sujet ? Avez-vous l’intention d’avancer dans cette direction ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. La solidarité nationale est une aide que nous devons de manière inconditionnelle aux plus fragiles. Il s’agit de faire face à l’émergence d’un nouveau risque social, auquel nous serons tous confrontés demain.
Une concertation sur le grand âge et l’autonomie, pilotée par Dominique Libault, a été lancée. Plusieurs débats parlementaires seront bien évidemment organisés. Ils permettront d’élaborer un plan de financement afin de faire face à ce nouveau risque social et de prévoir une organisation.
Je rappelle que ce cinquième risque doit articuler la solidarité collective et la solidarité individuelle, dont feront partie les assurances. Les assurances doivent en effet être parties prenantes à la réflexion sur le financement. Tout sera mis sur la table. Sur ce sujet, nous sommes face à une feuille blanche. L’Assemblée nationale et le Sénat seront évidemment amenés à débattre de l’ensemble des réflexions sur ce sujet.
Dans le cadre de cette concertation, on distingue trois enjeux particuliers : il s’agit d’instaurer un dispositif d’aide moins hétérogène en fonction des territoires, en particulier en cas de maintien à domicile de la personne âgée, un reste à charge plus faible, accessible pour les familles, et un système viable financièrement, compte tenu notamment des défis démographiques. En effet, en 2030, plus de 1,6 million de personnes connaîtront une perte d’autonomie. Il faudra donc trouver les voies d’un accompagnement équilibré et de qualité afin de répondre à l’ensemble des besoins des Français.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer.
M. Jean-Marc Boyer. Un chiffre du rapport dont nous débattons aujourd’hui et dont je tiens à féliciter les auteurs pour leur excellent travail est éloquent : les seniors représenteront un tiers de la population en 2050, contre moins d’un cinquième en 1990. Le vieillissement de la population entraîne désormais une hausse mécanique de la dépendance.
Cette nouvelle donne générationnelle pose une véritable problématique en termes de solidarité. Il est nécessaire de développer ce qu’on peut appeler le « soutien familial », qui constitue une solidarité intergénérationnelle, en faveur de la cinquième, voire de la quatrième génération, laquelle entre dans un cycle de dépendance. Il me semble essentiel, compte tenu de la hausse de la population qui est aujourd’hui concernée, d’envisager des solutions afin de faire face à cette problématique.
Promouvoir des initiatives telles que le soutien familial consiste à développer la pratique de l’accueil familial. Il s’agit d’accueillir chez soi une personne âgée isolée ou, pour une personne âgée, de louer une partie de son logement à un jeune. Ces initiatives doivent d’autant plus être valorisées qu’elles font appel à l’entraide privée. Cette composante de la solidarité intergénérationnelle étant essentielle, sa place devrait être mieux reconnue, comme le suggère le rapport sénatorial. Cette entraide permet en effet de renouer le lien entre les générations et de repousser les logiques de concurrence et de conflit entre les classes d’âges.
Le soutien familial permet aussi le maintien à domicile de personnes âgées, ce qui favorise le bien-vivre de cette génération, qui ne veut pas être une charge pour ses enfants, qui souhaite rester chez elle et entrer dans un EHPAD le plus tard possible.
Ici, le rôle des aidants est fondamental, comme cela est souligné dans le rapport, qui promeut une meilleure reconnaissance des aidants et le développement d’un statut protecteur et facilitateur de leur action.
Enfin, il me paraît essentiel, afin de soutenir cette nouvelle donne générationnelle et de favoriser les solidarités, que les CLIC, les centres locaux d’information et de coordination, soient continuellement soutenus, compte tenu du rôle primordial qu’ils jouent auprès des familles et des générations âgées.
Madame la secrétaire d’État, quel est votre point de vue sur l’entraide privée et sur le soutien familial ? Que comptez-vous faire pour permettre une meilleure reconnaissance des aidants et soutenir les CLIC ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Le Gouvernement et le Parlement ont le même objectif : répondre aux besoins des aidants. Je sais le Sénat particulièrement vigilant sur ce sujet.
On compte entre 6 millions et 11 millions d’aidants de personnes âgées, handicapées, de malades chroniques ou d’enfants. Rappelons que les premiers jalons ont d’ores et déjà été posés.
Depuis le début de l’année 2018, un salarié peut, en accord avec son employeur, renoncer anonymement et sans contrepartie à tout ou partie de ses jours de repos non pris au bénéfice d’un collègue qui vient en aide à un proche souffrant d’une perte d’autonomie.
La loi ESSOC prévoit également d’expérimenter le relayage, qui permet d’offrir un véritable répit à l’aidant tout en rassurant la personne âgée. Le décret est en cours de finalisation et l’appel à projets pour trouver une dizaine de territoires expérimentateurs a été lancé au début de l’année 2019.
Un nouveau service d’information et de réservation en ligne d’une place de répit, d’un hébergement ou d’un accueil temporaire pour les personnes âgées, les adultes et les enfants handicapés vient d’ouvrir. SOS Répit recense plus de 4 000 structures en France qui peuvent soulager un peu les aidants, tout en accueillant leurs proches dans les meilleures conditions.
Enfin, l’habitat intergénérationnel est reconnu dans la loi ÉLAN. Nous en avons parlé précédemment. Des mesures pourront être prises, au plus tard dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, afin de renforcer le soutien et l’accompagnement des aidants, de manière globale et cohérente. Un mécanisme d’indemnisation du congé aidant sera prévu.
Je rappelle également qu’un quart des 400 000 personnes ayant participé à la concertation numérique sur le grand âge et l’autonomie sont âgées de plus de soixante-cinq ans et qu’un quart d’entre elles ont moins de vingt-cinq ans. Ces chiffres montrent que les jeunes générations se préoccupent de l’avenir de leurs parents et de leurs grands-parents.
Nous allons également devoir répondre aux questions d’attractivité de ces métiers et de formation – nous y répondons par l’apprentissage –, mais aussi à celles que pose la féminisation, 60 % des personnes ayant participé à la concertation étant des femmes.
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Je veux tout d’abord saluer la qualité du travail réalisé par la délégation sénatoriale à la prospective et son président, notre collègue Roger Karoutchi. Leur rapport permet de poser un diagnostic étayé sur un sentiment connu par de nombreux Français : l’affaiblissement du lien intergénérationnel.
La famille est au cœur de cette préoccupation. L’entraide familiale concernait 60 % des Français en 2018, contre 51 % en 2016. De plus, comme le soulignent nos collègues dans leur rapport, « il s’avère que les échanges matériels et symboliques entre grands-parents, parents et enfants se sont intensifiés. Il est clair désormais que l’aide des proches, et tout particulièrement l’entraide familiale, joue un rôle important dans la solidarité intergénérationnelle. »
Or, madame la secrétaire d’État, depuis plusieurs années, nous assistons à un affaiblissement de notre politique familiale : baisse des plafonds du quotient familial ; modulation des allocations en fonction des revenus ; plus récemment, remise en cause du principe d’universalité, piste de travail heureusement évacuée. Ces choix, sur lesquels vous n’êtes pas revenue, contribuent à la baisse de notre taux de natalité. La France s’éloigne chaque année du seuil de renouvellement de sa population. À long terme, cette tendance aura un impact sur le lien intergénérationnel et sur l’exercice de la solidarité au cœur de la famille. Les familles seront de moins en moins nombreuses et de moins en moins aidées financièrement par la solidarité nationale.
La politique familiale semble incohérente : alors que la population vieillit, que le maintien à domicile se généralise et qu’il nécessite idéalement un soutien familial, elle est de moins en moins ambitieuse. Notre politique familiale n’est pas à la hauteur des enjeux, ce qui est inquiétant.
Madame la secrétaire d’État, ne pensez-vous pas que le développement de la solidarité intergénérationnelle doit nécessairement s’accompagner d’une politique familiale ambitieuse, politique familiale à laquelle le Président Macron a dit hier être très attaché ?
M. Michel Savin. Il en a dit des choses…
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Le soutien des aidants familiaux est important et doit être accompagné par les politiques publiques. C’est tout l’enjeu du plan d’aide, qui fait l’objet d’un groupe de travail spécifique, de la concertation « grand âge et autonomie », mais aussi de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, laquelle prévoit des moyens supplémentaires.
Nous apportons également des moyens pour accompagner la parentalité, car, le rôle de l’intergénérationnel, c’est aussi d’aider une famille dont le préadolescent ou l’adolescent est en difficulté. Les aidants familiaux, ce sont aussi ceux qui gardent les enfants. On l’a vu, 50 % des enfants sont gardés par des membres de la famille.
Les politiques familiales que porte le Gouvernement prévoient la création de places supplémentaires de crèches, le développement de relais d’assistantes maternelles, mais également l’augmentation de plus de 200 euros du complément de libre choix du mode de garde, en fonction de la situation familiale. Il s’agit de permettre aux familles les plus en difficulté, notamment les familles monoparentales, d’accéder à un mode de garde. Lorsqu’elles n’ont personne autour d’elles pour garder leurs enfants, les femmes ne peuvent aller travailler et font parfois le choix de rester à domicile.
Telle est la politique familiale que nous développons. Nous accompagnons l’ensemble des familles afin qu’elles puissent accéder aux différents services auxquels elles peuvent prétendre, en fonction de l’âge des enfants, des parents, qu’ils soient adultes ou âgés, handicapés ou dépendants.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Je tiens à remercier nos collègues de la délégation sénatoriale à la prospective pour la tenue de ce débat sur la solidarité intergénérationnelle et à saluer les propositions formulées dans leur rapport afin d’adapter nos politiques publiques à la nouvelle donne générationnelle. Ce vaste sujet a des applications très concrètes, comme dans bon nombre de nos territoires où se développe l’accueil des personnes adultes handicapées ou âgées au sein de familles d’accueil. En effet, le code de l’action sociale et des familles régit l’accueil des particuliers, à leur domicile, à titre habituel et onéreux.
Bien que la loi de 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement encourage le développement de ce type d’accueil alternatif aux établissements spécialisés, sa mise en place se heurte à des difficultés administratives et réglementaires. Il faut savoir que les accueillants pour personnes âgées ou handicapées ne sont pas embauchés par les départements, contrairement aux familles accueillant des mineurs dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance.
Alors que les relations intergénérationnelles ont un effet bénéfique sur la construction des enfants et des adolescents et que plusieurs études ont démontré leurs conséquences très positives sur les personnes âgées, sur leur fonctionnement cognitif ou sur l’estime de soi, alors que dans les départements ruraux, tel le mien, les Hautes-Alpes, le recours à l’accueillant familial peut être une solution de proximité, mais aussi une source de création d’emplois, on peut légitimement regretter que ces deux métiers ne soient pas encouragés et mieux accompagnés. C’est pourquoi, madame la secrétaire d’État, je vous serais reconnaissante de bien vouloir m’indiquer si un rapprochement entre ces missions est envisageable et si des agréments et des modes de fonctionnement similaires pour l’accueil des jeunes et des moins jeunes au sein des familles d’accueil peuvent être étudiés.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Comme je l’ai déjà précisé, le Gouvernement soutient les initiatives permettant de diversifier l’offre d’accueil des personnes en perte d’autonomie, notamment grâce au développement de formes d’habitats alternatifs inclusifs, mais également des accueillants familiaux. Ainsi l’ouverture en 2010 de la possibilité de salariat des accueillants familiaux par des personnes morales a-t-elle permis le développement des maisons d’accueil familial. Plus récemment, la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement a permis des avancées notables, grâce notamment à la mise en place d’un référentiel d’agrément des accueillants familiaux, comme je l’ai indiqué précédemment, et au renforcement de la formation des accueillants.
La question du contrat de travail entre un accueillant familial et une collectivité pourra être évoquée lors de la concertation qui va s’ouvrir sur le grand âge et l’autonomie, en particulier dans le cadre des ateliers sur les offres de demain. Il s’agit de permettre un meilleur accueil des personnes âgées et des personnes en situation de handicap.
La concertation sur ces sujets va se poursuivre avec les collectivités territoriales et les représentants des accueillants familiaux, qui sont aussi salariés. Il faut voir quels sont leurs besoins et leur intérêt, de façon à trouver les bonnes solutions.
Conclusion du débat
M. le président. Pour conclure le débat, la parole est à Mme la rapporteur.
Mme Fabienne Keller, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à vous remercier de votre participation à ce débat. Nous avons abordé, ce qui n’est pas toujours le cas ici, des sujets extrêmement humains : des sujets d’actualité, comme la non-indexation des retraites, mais aussi des sujets plus sociétaux, comme l’entraide familiale, l’accueil des personnes âgées, la dépendance, la séniorité active.
Mes collègues Julien Bargeton et Nadia Sollogoub et moi-même avons eu beaucoup de plaisir et d’intérêt à travailler sur ce rapport, qui en contient en fait plusieurs. Notre débat a essentiellement porté sur les personnes âgées, sur la dépendance et les seniors actifs. Pour ma part, si vous le voulez bien, j’évoquerai un autre volet du rapport, qui nous a tout autant passionnés et qui pourrait peut-être faire l’objet d’un nouveau débat : le lien entre les générations s’agissant de l’engagement politique. Un autre volet du rapport, que je n’évoquerai pas longuement, portait sur l’emploi, la formation et l’éducation.
Nous nous sommes intéressés pour notre rapport à la participation politique des différentes générations, et nous avons fait le constat négatif que, dans ce domaine, l’écart se creuse entre les jeunes générations et les générations plus anciennes. On reste désormais politiquement « jeune » de plus en plus longtemps en termes de participation électorale, jusqu’à quarante ans ! Or les jeunes ne participent pas beaucoup à la vie politique. Curieusement, la hausse du niveau de formation de ces générations, qui sont plus éduquées que les précédentes, n’a pas entraîné une participation électorale plus forte.
Il y a aussi une transformation du sens de l’abstention : il s’agit de plus en plus d’un comportement actif utilisé pour adresser des messages politiques critiques. L’abstention traduit une crise de la démocratie.
Pour tempérer le pessimisme de ces constats, on note que l’abstention électorale des jeunes s’accompagne de l’émergence de nouvelles formes de participation citoyenne.
L’engagement politique des jeunes se fait de plus en plus à bas bruit, sous les radars de la vie politique. On observe, nous a dit Cécile Van de Velde, « une politisation accrue des vies. De petits actes quotidiens – consommer, manger bio, aider la voisine âgée, choisir sa vie, quitter un travail salarié qui ne plaît pas… – sont souvent associés à un discours très réflexif contre la société. Ils deviennent codés comme des actes politiques. » En effet, la jeunesse privilégie de plus en plus un engagement direct et concret, dont l’impact peut être mesuré et qui fait immédiatement sens.
Ce constat nous a conduits à faire un certain nombre de propositions, mes chers collègues, que nous pourrons peut-être retravailler ensemble.
Première proposition : il faut travailler à rendre la participation politique plus accessible en levant les barrières invisibles qui, pour une partie de la jeunesse, font obstacle à l’exercice de la citoyenneté. Certains jeunes ont besoin d’être accompagnés ou encouragés dans leur engagement.
À cet égard, madame la secrétaire d’État, on constate que le service civique est une expérience qui transforme profondément les jeunes et qui change leur rapport au politique. Lorsque les jeunes sont engagés dans des actions d’intérêt général, avec des motivations sociales ou humanitaires – aider, être utile –, ils prennent assez vite conscience de la nécessité de prolonger cet engagement personnel par une participation plus large à la vie démocratique. Cette forme d’expérimentation concrète constitue le socle d’un engagement plus fort. Il faut donc se fixer des objectifs ambitieux pour le service national universel que vous évoquiez précédemment et s’appuyer sur cette expérience très constructive pour bâtir son architecture.
Deuxième proposition, que nous avons formulée bien avant le mouvement des gilets jaunes qu’évoquait Julien Bargeton : nous devons apprendre à mieux entendre les attentes de la population.
Comme je l’ai dit, l’engagement politique s’exprime à bas bruit, à travers des actes du quotidien. Il faut développer notre capacité à l’entendre. Le travail de terrain y contribue, mais ce travail d’écoute de la population peut peut-être être amplifié. Comme l’a souligné Brice Teinturier, « les nouveaux canaux d’information et les communautés qui se forment ponctuellement peuvent aider à trouver des solutions afin de compléter la démocratie représentative traditionnelle. »
Telles sont les quelques réflexions que je souhaitais vous livrer sur l’engagement de la jeunesse dans la vie politique et sur le lien, qu’il faut retisser, entre les générations sur cette question.
Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, de votre engagement sur la question de la solidarité entre les générations. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la solidarité intergénérationnelle.
7
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 17 janvier 2019 :
À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures quinze :
Débat sur le retrait britannique de l’Union européenne.
Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (texte de la commission n° 213, 2018-2019).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.)
nomination des membres d’une mission d’information
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, la liste des candidatures préalablement publiée est ratifiée.
Mission commune d’information sur la gestion des risques climatiques et l’évolution de nos régimes d’indemnisation (vingt-sept membres)
M. Jérôme Bignon, Mmes Nicole Bonnefoy, Pascale Bories, MM. Yves Bouloux, Henri Cabanel, Mmes Maryse Carrère, Françoise Cartron, MM. Alain Cazabonne, Patrick Chaize, Marc Daunis, Mme Dominique Estrosi-Sassone, MM. Guillaume Gontard, Daniel Gremillet, Jean-François Husson, Mmes Victoire Jasmin, Gisèle Jourda, MM. Michel Magras, Didier Mandelli, Pierre Médevielle, Jean-Pierre Moga, Mme Évelyne Perrot, MM. Alain Richard, Vincent Segouin, Mme Nelly Tocqueville, MM. Raymond Vall, Michel Vaspart et Jean-Pierre Vial.
Direction des comptes rendus
ÉTIENNE BOULENGER