M. Fabien Gay. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, « les pays développés dont l’impôt sur le revenu des personnes physiques est relativement peu progressif ont peut-être la possibilité de relever les taux marginaux d’imposition supérieurs sans entraver la croissance économique. Différents types d’impôts sur la fortune peuvent aussi être envisagés ».
Mes chers collègues, ces affirmations sont extraites du rapport Lutter contre les inégalités, publié par le Fonds monétaire international, et la présidente du FMI, Christine Lagarde a déclaré, à Paris, quelques semaines après sa parution : « Les élites n’ont pas conscience de ce qui se passe. »
Mme Nathalie Goulet. Elle ne paye pas d’impôts !
M. Yves Daudigny. Nous le savons tous ; en mesurons-nous vraiment les conséquences ? La mondialisation, le dogme de la concurrence qui tue la notion de service public, l’évolution du capitalisme au seul service des actionnaires, en creusant partout les inégalités, en ne permettant plus de vivre dignement du fruit de son travail, ont alimenté une bombe qui vient d’exploser chez nous.
Ces déflagrations remettent en cause notre fonctionnement démocratique, valident la violence comme moyen d’obtenir des résultats et affaiblissent encore un peu plus – comme si c’était nécessaire – les corps intermédiaires.
Mes chers collègues, la grille de lecture de l’action publique doit placer au premier plan l’objectif de lutte contre les inégalités sociales, l’objectif de justice fiscale. En effet, cette dernière conditionne l’acceptabilité de l’impôt, qui permet la redistribution.
Mesdames, monsieur les ministres, dans la précipitation, avec une cohérence peu évidente entre les acteurs de l’exécutif, et même en allant de couac en démenti, vous répondez à l’urgence par trois mesures relevant de ce projet de loi, et par une quatrième, l’extension de la prime d’activité.
L’axiome étant posé de la non-majoration du SMIC au-delà de 1,5 %, ces mesures, qui corrigent des décisions antérieures, permettront des améliorations du pouvoir d’achat. Mais que n’avez-vous écouté, ne serait-ce qu’un peu, le Sénat,…
M. Roger Karoutchi. C’est sûr !
M. Yves Daudigny. … qui attirait votre attention sur les dangers de dislocation du pacte social ? Que n’avez-vous construit, depuis les élections, des parcours de négociation avec les organisations syndicales ? Pourquoi avoir ignoré, en début de révolte sociale, la proposition constructive du leader d’une centrale syndicale ?
En outre, vous ne revenez pas sur certains choix qui porteront atteinte à l’élaboration d’une société solidaire ; je pense en particulier à la désindexation des retraites, pensions et prestations familiales.
À cet instant, sur un coût estimé à 10 milliards d’euros pour l’ensemble des dispositifs, 6 milliards d’euros viendront augmenter le déficit budgétaire et la dette.
Parce que l’objectif, auquel on peut souscrire, de renforcer la compétitivité de nos entreprises conduit à l’absurdité de doubler le CICE en 2019, parce que le Gouvernement s’entête dans la non-contribution à l’effort des plus aisés de notre pays, vous vous heurterez, mesdames, monsieur les ministres, à une équation impossible. Dans un contexte européen où le besoin d’autorité l’emporte sur celui de liberté, les fondements de notre vivre ensemble et de notre démocratie pourraient en être gravement ébranlés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Laurence Rossignol. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, dans quelques heures sans doute devrait s’achever le premier chapitre d’une séquence inédite, et qui fera assurément date. Nos concitoyens l’attendent évidemment avec impatience, ce qui rend notre responsabilité d’autant plus importante.
Cette séquence est inédite par l’ampleur de la mobilisation sociale qui a parcouru le pays ; inédite par la colère qui s’est exprimée bien au-delà de la seule question de la fiscalité des carburants ; inédite, aussi, par le désespoir ressenti face aux inégalités qui persistent dans tous les territoires ; inédite par la violence, inacceptable, qui s’est également manifestée, et que nos forces de l’ordre ont su contenir avec professionnalisme et avec leur sens du devoir. Qu’ils en soient, ici, de nouveau remerciés.
Il s’agit bel et bien d’un premier chapitre, car le projet de loi que nous examinons dans un calendrier plus que resserré ne suffira probablement pas à éteindre totalement la crise sociale que nous traversons.
Dans nos territoires, nous avons tous entendu les revendications d’une bonne partie de nos concitoyens. Elles sont nombreuses, souvent hétéroclites, parfois contradictoires. On les retrouve maintenant dans les cahiers de doléances ouverts dans certaines mairies : une fois encore, les maires sont en première ligne !
Les attentes sont fortes ; comment s’en étonner, alors que tant d’efforts ont été demandés à nos compatriotes depuis 2008 pour surmonter la crise financière et que les effets de la reprise de la croissance peinent à se faire sentir dans leur vie quotidienne ? On doit comprendre cette envie de bénéficier, enfin, des fruits de tous les efforts qu’ils ont pu consentir.
Les signaux ne manquaient évidemment pas, l’exaspération fiscale n’en étant qu’un symptôme paroxystique. Le Sénat s’en était déjà fait l’écho et, pour leur part, les élus du groupe auquel j’appartiens défendent, depuis longtemps, dans un esprit constructif, des propositions de réduction des fractures territoriales et sociales. Quel dommage, et quel gâchis, que le Gouvernement n’ait pas été plus à l’écoute !
La société dans son ensemble subit ainsi les effets de décisions parfois déconnectées des réalités en point d’en devenir abstraites. Face à une action publique devenue hypertrophiée, illisible, l’urgence sociale, quant à elle, est bien réelle.
L’urgence, c’est d’abord de permettre à chacun de vivre dignement, y compris, et surtout, des fruits son travail. C’est en partant de cette impérieuse nécessité que mon groupe, dans toute sa diversité – j’insiste sur ce point, car c’est une chose assez rare –, votera ce projet de loi à la quasi-unanimité, l’un de ses membres s’abstenant.
Le présent texte amorce l’indispensable hausse du pouvoir d’achat que nos concitoyens demandent légitimement. Dans le détail, les mesures qu’il contient nous paraissent aller dans la bonne direction. Certains parlent de « miettes » ou d’« écrans de fumée » : dans ce cas, ce sont des miettes et des écrans de fumée de 10 milliards d’euros !
La prime exceptionnelle de pouvoir d’achat nous semble juste dans son ciblage comme dans son plafonnement, a fortiori avec les améliorations introduites par nos collègues députés, qui apportent davantage de clarté. Il appartient désormais aux entreprises qui le peuvent de prendre leur part de cet effort collectif.
Pour ce qui concerne les exonérations de fiscalité et de cotisations sociales des heures supplémentaires et complémentaires, l’accélération du calendrier apportera un gain immédiat de pouvoir d’achat, qui soulagera de nombreux ménages.
Le rétablissement du taux de CSG à 6,6 % pour les retraités percevant moins de 2 000 euros nets est également une mesure attendue et de bon sens, qui avait été défendue par une majorité de sénateurs. Madame la ministre du travail, quel sera, à présent, le calendrier du déploiement de cette mesure ?
Enfin, pour ce qui concerne l’article 4, le rapport demandé au Gouvernement doit absolument identifier les moyens de renforcer l’accès de chacun à ses droits, en l’occurrence à la prime d’activité.
Après ces quelques considérations circonstanciées, ne soyons pas toutefois naïfs. Pour importantes qu’elles soient, ces avancées demeurent tardives et ne suffisent pas, en elles-mêmes, à répondre à un malaise beaucoup plus profond. Une partie de mes collègues du RDSE continuent de s’interroger sur la réelle universalité des hausses de rémunérations annoncées, y compris celles qui sont liées à la prime d’activité, lesquelles ne relèvent pas – on le sait – de ce texte.
De même, l’efficacité de la prime de pouvoir d’achat favorise d’abord les salariés d’entreprises en bonne santé financière. Alors que le besoin de justice sociale est criant, prenons garde à ne pas ajouter de nouvelles frustrations aux colères qui se sont exprimées ces dernières semaines.
Vous le savez bien : il ne suffit pas de dire à nos concitoyens que nous avons entendu leur message. Bien sûr, ils veulent des actes, de l’efficacité et des résultats mesurables dans leur vie quotidienne. Mais ils sont également, et j’ai tendance à dire surtout, en attente d’écoute, d’empathie, d’une autre façon de gouverner garantissant davantage de libertés et d’équité, notamment dans l’accès aux services publics, qu’il s’agisse de l’éducation ou de la santé.
Pour paraphraser Marcel Gauchet, il nous faut collectivement réenchanter la démocratie, par l’invention de nouvelles formes d’action publique.
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
Mme Véronique Guillotin. À cet égard, le grand débat national voulu par le Président de la République ne doit pas être une nouvelle occasion manquée, d’autant qu’il n’y en aura peut-être pas d’autre !
Le Sénat tiendra toute sa place dans ce débat, vous l’imaginez bien, tout comme, cela va sans dire, les membres de mon groupe.
Aux côtés des autres corps intermédiaires, nous continuerons à être des élus de terrain, à l’écoute des territoires, pour construire collectivement le nouveau contrat social dont notre pays a besoin. Comme le disait Nelson Mandela : « Nous travaillerons ensemble pour soutenir le courage là où il y a la peur, pour encourager la négociation là où il y a le conflit et donner l’espoir là où règne le désespoir. » (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – M. Michel Amiel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, en quelques mois seulement, Emmanuel Macron et son orchestre auront plongé notre pays dans une triple crise, économique, sociale et identitaire (Mme Éliane Assassi s’exclame.), à laquelle est venue s’ajouter la pire de toutes, peut-être, pour le Gouvernement, la crise de confiance. Et pour cause : si vous voulez suivre les agissements, ou plutôt les aventures, de ce qui ressemble de plus en plus à une bande de pieds nickelés, mieux vaut avoir le pied marin…
Chaque jour voit en effet son revirement, son reniement, son renoncement, son rétropédalage, son cafouillage, son changement de cap. Désormais, Édouard Philippe prend moins le chemin de Matignon que celui de Canossa.
La Macronie, ce petit bijou de la navigation politique, est devenue en quelques semaines un bateau ivre ! Ce n’est plus le France, c’est le Pitalugue - les amoureux de l’œuvre de Marcel Pagnol me comprendront.
L’orthodoxie financière a laissé la place à ce qui ressemble à une fuite en avant. Mais, qu’ils portent un gilet jaune, un uniforme bleu ou une blouse blanche, nos compatriotes ne se laissent plus tromper par les bonimenteurs de l’exécutif, qui accordent du bout des doigts aux Français ce qu’ils leur avaient déjà pris, avant de le leur reprendre, et doublement, entre la bûche et le gâteau des rois.
Les légitimes revendications salariales des policiers, des enseignants, des agents de la fonction publique hospitalière, en attendant les autres, sont les prémices d’un développement de la crise. Le prélèvement à la source, qui entrera en vigueur au mois de janvier prochain, ne fera que propager l’incendie.
Pourtant, de l’argent, il y en a ! À preuve, madame la ministre du travail, voilà à peine deux mois, vous avez su débloquer 15 millions d’euros en faveur des migrants. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Martin Lévrier. Cela faisait longtemps !
M. Stéphane Ravier. Il s’agissait de les aider à trouver un emploi. Nos compatriotes au chômage apprécieront ce qui ressemble à une véritable provocation ! (Mme Cathy Apourceau-Poly s’exclame.)
À l’Assemblée nationale, la majorité « En Marche pour les autres » a supprimé un amendement du Sénat, voté au titre du projet de loi de finances pour 2019 et tendant à assurer le contrôle des 1,8 million de numéros de sécurité sociale attribués sur la base de faux documents.
Cette gigantesque fraude coûte la bagatelle de 20 milliards d’euros par an. Voilà un scandale qui mérite assurément la création d’une commission d’enquête parlementaire.
Vos économies sont donc toutes trouvées, et elles pourraient permettre de répondre à la souffrance sociale des Français. Mais, au-delà de l’aspect financier, nos compatriotes souhaitent ardemment être écoutés via une démocratie réellement représentative.
Le Rassemblement national est le seul à proposer, depuis des décennies, l’instauration à la fois du référendum d’initiative populaire ou citoyenne…
Mme Éliane Assassi. Mais il ne veut pas augmenter le SMIC !
M. Stéphane Ravier. … et de la proportionnelle à toutes les élections.
La restauration d’une confiance fiscale par la suppression des taxes confiscatoires, par des impôts justement répartis, et la restauration de la confiance démocratique par un peuple redevenu souverain rétabliront la confiance de nos compatriotes en la politique.
Puisqu’il me reste quelques secondes, je profite de ma présence à la tribune du Sénat pour répondre, de façon symbolique, à la crise identitaire et à la volonté farouche et légitime des Français de défendre leurs traditions et leurs racines, en vous souhaitant, monsieur le président, à vous tous, mes chers collègues, à Mmes les ministres, au personnel du palais et à l’ensemble de mes compatriotes, un joyeux Noël ! (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Éliane Assassi. Bonne fin d’année… et joyeux Noël Félix ! (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – MM. Jean-François Longeot et Yves Bouloux applaudissent également.)
M. Alain Fouché. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous examinons ce projet de loi dans un contexte préoccupant, qui a vu depuis plusieurs semaines la violence prendre le pas sur le débat démocratique, qui a vu certains irresponsables extrémistes appeler à la disparition de nos institutions républicaines, et qui a vu monter une colère populaire couvant depuis plus de trente ans, face à laquelle le gouvernement actuel a sa part de responsabilité, par son manque de dialogue et son obstination difficilement compréhensibles.
Votre gouvernement doit reprendre la main pour que notre pays sorte de cette crise par le haut en s’appuyant sur les corps intermédiaires. Comme l’a rappelé Claude Malhuret, c’est au Parlement que l’on fait la loi, et non sur les ronds-points.
M. Jean-Claude Requier. Eh oui !
M. Alain Fouché. Le Sénat, qui a un rôle majeur dans ce pays, a été force de proposition tout au long de la crise, notamment lors de l’examen du projet de loi de finances. Un grand nombre de ses préconisations ont été retenues – un peu tard, il faut le dire – par le Gouvernement.
M. Roger Karoutchi. En effet !
M. Alain Fouché. Je veux notamment parler du gel de la hausse de la fiscalité énergétique.
Quelles sont les causes de la colère ? Quel est le déclencheur ? C’est une vision de l’écologie trop punitive,…
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Alain Fouché. … trop peu adaptée aux territoires, trop décalée par rapport à la réalité de ce que vivent nos concitoyens.
La voiture n’est pas un ennemi : c’est le gagne-pain de millions de nos concitoyens. Pourquoi prendre les automobilistes pour des vaches à lait ? Je pense au contrôle technique, à la hausse du prix des carburants, ou encore aux 80 kilomètres à l’heure, dont le Président de la République aurait dit récemment que c’était « une connerie » ! (Murmures amusés.)
Pourquoi les maintenir, d’autant que les résultats sont loin d’être probants ?
Nous devons proposer aux Français des solutions alternatives crédibles et des mobilités plus adaptées. Nous devons également développer des filières industrielles d’avenir.
La transition écologique ne doit pas se résumer au « toujours plus d’impôts, toujours plus de normes, toujours plus de sanctions » pour renflouer, en partie – c’est bel et bien ce dont il s’agit –, les caisses de l’État.
M. Roger Karoutchi. Bravo !
M. Alain Fouché. Pour éteindre l’incendie, il fallait revenir sur ces hausses indiscriminées ; le Gouvernement reprend certaines propositions émanant du Sénat – il faut le dire –, et c’est une bonne chose. Mais il fallait aller plus loin, car le malaise d’une partie de nos concitoyens est plus profond : malaise des classes populaires, dont le pouvoir d’achat s’érode depuis dix ans ; malaise d’un travail parfois difficile et pénible, qui ne rapporte pas assez pour permettre de vivre dignement ; malaise, enfin, d’une partie de la population, qui ne se sent plus écoutée par ceux qui dirigent.
C’est au Gouvernement de proposer des solutions concrètes, face aux revendications légitimes qui se sont exprimées ces dernières semaines, tout en étant attentif, naturellement, aux propositions du Parlement.
C’est l’objet de ce projet de loi, d’une importance capitale pour répondre à l’urgence de la situation ; et l’urgence, c’est d’abord de mieux rémunérer le travail.
Ce thème est au cœur du présent texte, avec l’exonération d’une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat et l’exonération de cotisations sociales sur les heures supplémentaires et complémentaires. Avec la revalorisation de la prime d’activité, que nous avons votée au titre du projet de loi de finances, ces mesures pourraient permettre, selon l’INSEE, une hausse de pouvoir d’achat de plus de 2 % au début de 2019. Ce n’est pas l’idéal, mais c’est une première avancée pour nos concitoyens, et elle mérite d’être notée.
L’urgence est également de faire un geste pour les retraités les plus modestes, qui ont été trop taxés par le Gouvernement. Ce projet de loi annule l’augmentation de la CSG subie en 2018 par les retraités dont la pension mensuelle nette était comprise entre 1 400 euros et 2 000 euros. C’est une décision de bon sens.
Toutes ces mesures arrivent un peu tard ; il aurait été plus simple de réagir plus tôt et d’éviter ainsi ces manifestations.
Le Président de la République et le Gouvernement doivent maintenant changer de cap et écouter en priorité les parlementaires, les élus locaux, les corps intermédiaires et, surtout, les citoyens. À défaut, vous ouvrirez la porte aux extrêmes, avec des conséquences catastrophiques. Prenez garde, le risque est grand ! En démocratie, le pouvoir ne peut ignorer les forces vives de la Nation.
Nous voterons ce projet de loi, car c’est un premier progrès attendu par nos concitoyens, mais, mesdames les ministres, tout reste à faire.
La question est maintenant de savoir si vous parviendrez à aller plus loin que ces mesures de crise pour sortir, enfin, la France de l’ornière. Nous partageons la même préoccupation : ne perdons plus de temps ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Henno. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, celui ou celle d’entre nous qui aurait annoncé, lors du débat en première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, que le Sénat serait convoqué un 21 décembre pour examiner des mesures d’urgence économiques et sociales nécessitant un vote conforme sur la diminution de la CSG pour plus de 30 % des retraités – une reconnaissance tardive du travail du Sénat ! –, sur l’allégement des charges fiscales et sociales sur les heures supplémentaires – le retour de la loi TEPA, en quelque sorte ! –, sur l’ouverture de la possibilité pour les entreprises d’accorder une prime de Noël défiscalisée et, enfin, sur l’augmentation de la prime d’activité – hommage, cette fois, à Martin Hirsch –, le tout, en réponse à une initiative du Président de la République et du Gouvernement, serait passé pour un bizut, un fantaisiste, un sénateur inexpérimenté ou peu sérieux !
Pourtant, mes chers collègues, ce texte va être voté, je l’espère, à une large majorité par notre assemblée.
Oui, il y a urgence, face à un danger pour notre pays, à un danger pour la République. Le mal ne date pas d’aujourd’hui, son origine est profonde ; au sentiment de relégation d’une partie des Français s’ajoute le rejet du consentement à l’impôt pour former un cocktail explosif.
Mes chers collègues, je veux dire un mot de la prime d’activité. Nous sommes favorables à son augmentation, car, dans notre pays, le travail faiblement qualifié paye trop peu. Pire, nous avons le sentiment qu’il paye de plus en plus mal.
Avant d’être sénateur, j’étais vice-président du département du Nord, chargé du dossier du RSA et de la lutte contre les exclusions. J’en ai conservé quelques idées simples, notamment celle-ci : entre quelqu’un qui cumule le RSA et les aides sociales et un travailleur précaire, un travailleur pauvre, l’écart de revenu est de 150 euros, un montant trop faible pour un métier pénible avec des astreintes horaires larges. C’est dans cette réalité vécue par nos concitoyens que se situe, à mon sens, l’origine de la colère, voire de la rage.
Cette colère, je peux la comprendre, même si je ne la partage pas au point d’enfiler un gilet jaune. Elle existait potentiellement, mais elle était retenue, intériorisée et refoulée. Elle est sortie en raison de la rigidité et du manque d’écoute du Gouvernement.
La Commission nationale du débat public, comme le Sénat, a mis en lumière la grande sensibilité des gens à la question de la fiscalité écologique, mais le Gouvernement n’a pas suffisamment écouté. S’il avait tenu compte de ces alertes, nous n’en serions pas là !
Le financement de ces mesures n’est, certes, pas à l’ordre du jour et nous en reparlerons, mais, d’ores et déjà, nous voulons dire qu’il ne pourra se faire par l’augmentation de la dette ; ce ne serait pas responsable, car le fardeau des générations à venir est déjà suffisamment lourd. Le groupe Union Centriste n’oublie pas que la dette d’aujourd’hui se traduit toujours par les impôts de demain.
Pour nous, le financement de ces 10 milliards d’euros doit être équilibré par une diminution de la dépense publique et, forcément, par une réforme de l’État. Il n’est plus possible d’attendre !
Mes chers collègues, le Sénat est à la hauteur du moment grave que nous traversons, mais nous abordons aussi la période de Noël, festive, affective, légère par nature. Pour conclure, je voudrais faire un petit cadeau à l’assemblée et à celles et ceux qui sont présents ce soir, en leur rappelant que c’est aujourd’hui la Journée mondiale de l’orgasme ! (Marques de surprise, exclamations amusées et rires prolongés sur de nombreuses travées. – Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mes chers collègues, je vous demande un peu d’attention.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, je propose que l’on ne décompte pas le temps d’orgasme de mon temps de parole ! (Nouveaux rires.)
Mesdames les ministres, pendant dix-huit mois, avec le Président de la République et le Gouvernement, vous avez cru, vous avez voulu croire que la France était prête à renoncer à son histoire sociale et à ce qu’elle considère comme son identité : ses 36 000 communes, ses services publics et son goût pour la justice sociale ; vous avez pensé avoir été élus pour convertir le pays au modèle anglo-saxon, à une organisation libérale du travail dans laquelle la loi s’efface devant le contrat, à la privatisation des entreprises publiques.
Conformément à ce modèle, vous avez tenté de faire d’un système de protection sociale fondé sur la solidarité un simple filet de sécurité pour les plus pauvres.
Enfin – c’est probablement votre plus grande faute –, vous avez fait le choix d’une politique fiscale anti-redistributive en préférant la flat tax à l’ISF.
Vous avez cru que les Français allaient tranquillement s’asseoir dans la plaine en attendant que les « premiers de cordée » fassent ruisseler la richesse !
Depuis le 17 novembre, vous découvrez que le fait de baisser les impôts des très riches et de libérer la finance tout en augmentant les impôts des autres et en diminuant les dépenses publiques débouche sur une équation insoutenable. Vous et vos collègues étiez tellement obnubilés par votre vision de la modernité, tellement convaincus de la nécessaire mise en conformité de la France au dogme libéral, tellement persuadés que le XXIe siècle n’avait commencé que le 7 mai 2017, que vous êtes passés à côté de l’essentiel : le besoin de justice sociale et la contestation d’un système économique intrinsèquement injuste, que votre politique fiscale a rendu plus injuste encore.
Cette semaine, vous auriez pu corriger cette politique fiscale : le Sénat avait voté à l’unanimité un dispositif contre les montages fiscaux permettant aux titulaires d’actions de mettre leurs portefeuilles à l’abri en les exilant avant de les rapatrier quand les taxes ne peuvent plus être prélevées. Pourtant, à l’Assemblée nationale, vous avez préféré vider ce texte de sa substance et, en définitive, favoriser l’évasion fiscale.
Mme Nathalie Goulet. Exact !
Mme Laurence Rossignol. Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est supposé éteindre l’incendie du mouvement social et, surtout, le priver du fort soutien dont il bénéficie dans la population.
Prime exceptionnelle à la discrétion des employeurs, défiscalisation et désocialisation des heures supplémentaires, élargissement de la prime d’activité, le tout, sans recettes fiscales nouvelles, pardonnez-moi, mais tout cela n’est pas nouveau et a déjà été soit largement expérimenté, soit initié par vos prédécesseurs. Je pourrais dire qu’avec deux tiers de Sarkozy et un tiers de Hollande on obtient le projet de loi d’aujourd’hui ! (Rires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)