M. Bruno Sido. Très bien !
M. Jean-Pierre Vial, rapporteur pour avis. Pour notre part, nous soutiendrons l’adoption des crédits de la mission « Aide publique au développement. » (MM. Bruno Sido et Richard Yung applaudissent, de même que M. le président de la commission des affaires étrangères.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur pour avis.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme mon collègue rapporteur pour avis Jean-Pierre Vial, je me félicite de l’augmentation des moyens consacrés à l’aide publique au développement, mais surtout du choix de privilégier l’instrument des dons et le bilatéral dans la progression à venir. Une telle orientation permettra au Gouvernement d’avoir une meilleure maîtrise de nos financements et de les diriger davantage vers les pays les plus pauvres, en particulier ceux d’Afrique subsaharienne, où se concentrent pour une large part les enjeux de l’avenir.
La progression des crédits se traduira notamment par une forte augmentation des moyens de l’Agence française de développement, dont les engagements devraient passer de 11 milliards d’euros en 2018 à près de 18 milliards d’euros en 2022. C’est considérable, d’autant que cette augmentation doit avoir lieu dans un contexte de moindre capacité à emprunter de certains pays émergents et, surtout, de nombreux pays africains, qui ont parfois contracté des emprunts massifs auprès de banques chinoises, avec les effets que l’on sait. Augmenter ses engagements sans diminuer en rien ses exigences en matière financière, environnementale et sociale, c’est un défi de taille qui attend l’AFD pour les prochaines années.
Je souhaiterais par ailleurs souligner l’importance de la contribution française à la lutte contre le changement climatique, avec notamment un financement à destination du Fonds vert pour le climat de 775 millions d’euros sur la période 2015-2018. Cet enjeu, tout comme celui de la préservation de la biodiversité, ne peut plus être séparé de l’enjeu du développement. J’ajouterai deux remarques sur ce point.
D’abord, le Fonds vert a actuellement beaucoup de mal à décaisser ses financements, et ses procédures sont très longues. Il faudra donc réfléchir l’année prochaine, dans le cadre des discussions du G7 à Biarritz, à une amélioration de sa gouvernance et de ses procédures.
Deuxième remarque : nos contributions aux divers fonds climatiques ou, plus largement, en faveur du développement durable sont aujourd’hui très complexes, pour ne pas dire illisibles. Ce problème concerne d’ailleurs en réalité l’ensemble de l’aide publique au développement française. Les vecteurs budgétaires et non budgétaires sont si nombreux qu’il est très difficile, parfois impossible, de savoir précisément lesquels de nos financements contribuent à cette cible des 0,55 % que nous sommes censés atteindre en 2022, et dans quelle proportion.
Des évolutions de la présentation budgétaire de la mission « Aide publique au développement » ayant été évoquées pour améliorer cette situation, pourriez-vous, monsieur le ministre, nous en dire plus ?
Par ailleurs, nous regrettons – je sais que ce n’est pas l’avis de tous ici – que la part de taxe sur les transactions financières affectée à l’aide au développement diminue en raison de la rebudgétisation des 270 millions d’euros auparavant directement affectés à l’AFD. Cette évolution, et surtout l’absence de réelle visibilité sur la trajectoire censée nous permettre d’atteindre les 0,55 % du RNB consacrés à l’aide publique au développement, a, au demeurant, conduit le groupe socialiste et républicain à s’abstenir lors du vote de cette mission en commission.
M. le président. Veuillez conclure, madame la rapporteur pour avis.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteur pour avis. En tout état de cause, nous suivrons avec une très grande attention les travaux de la future loi d’orientation et de programmation annoncée pour 2019, afin d’y inscrire aussi précisément que possible la stratégie, les moyens et, surtout, les mécanismes de contrôle qui permettront de donner un nouvel élan à notre politique de développement. Nous pourrons ainsi rejoindre les leaders européens que sont le Royaume-Uni, les pays nordiques et l’Allemagne, car ils ont déjà compris que l’aide au développement constituait un investissement indispensable, à la fois pour préserver leur influence et pour contribuer à réduire les désordres du monde qui en a grand besoin.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (M. Bruno Sido applaudit.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, les autorisations d’engagement en matière d’aide publique au développement vont donc s’accroître de manière très sensible de plus de 1,4 milliard d’euros supplémentaires. Nous nous en réjouissons, en espérant que la trajectoire budgétaire des années prochaines suivra le même rythme. Et nous nous réjouissons plus particulièrement que le Gouvernement ait d’ores et déjà décidé d’affecter les deux tiers de la progression des crédits de l’aide publique au développement à des financements bilatéraux, comme l’ont rappelé nos rapporteurs.
Ne nous méprenons pas : les financements multilatéraux ont souvent permis des avancées importantes et, à condition d’y exercer une influence à la hauteur de nos contributions, ils peuvent constituer des leviers pour atteindre nos objectifs. Ainsi, le Partenariat mondial pour l’éducation cofinance notre priorité éducative au Sahel. L’augmentation annoncée de notre contribution à ce fonds, qui a montré son efficacité, est évidemment un point positif – nous la réclamions d’ailleurs depuis plusieurs années.
Toutefois, j’ai eu l’occasion de m’en entretenir avec vous, monsieur le ministre, est-ce vraiment le cas des 50 contributions multilatérales de la mission « Aide publique au développement », dont les 850 millions d’euros versés chaque année au Fonds européen de développement, les 380 millions d’euros destinés au Fonds mondial de lutte contre le Sida ou les 775 millions d’euros au Fonds vert pour le climat depuis quatre ans ? Nous ne contestons pas leur fondement et leur utilité, mais ils devraient être mieux articulés les uns avec les autres, mieux expliqués, et surtout mieux évalués ! En tout état de cause, le fait d’augmenter en priorité les financements bilatéraux apparaît cohérent avec la volonté que nous exprimons tous de reprendre en main le pilotage politique de notre politique d’aide au développement.
Une seconde manière d’y parvenir est d’améliorer l’évaluation.
Le Président de la République a dit récemment : « Chaque euro doit être utilisé à bon escient. » Aujourd’hui, l’évaluation reste marquée par son caractère lacunaire, par sa dispersion entre de multiples services – le principal appartenant à l’agence même dont il évalue les projets, à savoir l’AFD – et, enfin, par son caractère trop procédural. Ainsi organisée, l’évaluation de l’aide publique au développement ne permet en aucun cas d’organiser un pilotage par les résultats, ce qui ne fait qu’alimenter de constantes interrogations sur l’utilité de l’aide, son efficience et le devenir des projets dans le long terme.
Dans ce domaine, sachons tirer parti de l’exemple de la commission indépendante pour l’impact de l’aide créée en 2011 par le gouvernement britannique ! Il faut notamment mettre davantage à contribution les cabinets d’expertise, fussent-ils privés, non pas, comme c’est le cas actuellement, pour qu’ils se livrent à une analyse polie et consensuelle sur tel ou tel programme, mais pour qu’ils produisent des évaluations indépendantes, incisives et sans concession.
Enfin, monsieur le ministre, la décision de rapprocher Expertise France de l’Agence française de développement au sein d’un même groupe a été, c’est le moins qu’on puisse dire, un peu précipitée au cours de l’été dernier.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteur pour avis. C’est vrai !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Au lieu de chercher à améliorer le modèle économique d’Expertise France, dont les résultats ont été remarquables, le Gouvernement a décidé de l’adosser à une AFD dont les moyens augmentent fortement. Cette solution de facilité pourrait engendrer d’autres problèmes, tant la culture de l’AFD est éloignée de celle d’une agence d’expertise technique.
Monsieur le ministre, comment envisagez-vous ce rapprochement, qui devra créer des synergies entre ces deux entités, mais aussi préserver l’autonomie d’Expertise France et sa capacité à poursuivre son action indispensable, notamment dans le domaine du continuum sécurité-développement ?
Sous le bénéfice de ces observations, la commission s’est prononcée très largement en faveur du soutien à ces crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.
M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, l’aide publique au développement est une composante essentielle de notre politique d’influence, mais également un impératif de justice et de solidarité internationale qui fait la fierté de la France.
Néanmoins, force est de constater que nous avons échoué depuis quarante ans à remplir nos engagements internationaux en la matière. L’aide publique française n’a jamais dépassé 0,6 % du revenu national brut, contre un objectif fixé à 0,7 % par l’Assemblée générale des Nations unies en 1970. Elle est aujourd’hui plus proche de 0,4 %, ce qui semble insuffisant pour remplir les missions fixées au groupe AFD notamment, au Sahel et dans d’autres zones prioritaires.
Face à ces défis, nous saluons l’initiative du Gouvernement, conformément aux orientations données par le Président de la République, de remettre la France sur la voie du respect de ses engagements. L’objectif intermédiaire de 0,55 % du RNB en 2022 nous semble réaliste, et l’augmentation de 4,7 % des crédits de la mission « Aide publique au développement » cette année, est un bon signal dans ce sens.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires regarde avec bienveillance cette évolution, mais restera vigilant quant au respect effectif de cet engagement. Dans un contexte budgétaire contraint, la tentation est en effet, souvent, de considérer l’aide au développement comme une variable d’ajustement. D’autres pays comme la Chine en ont au contraire fait une composante essentielle de leur diplomatie d’influence, en Afrique, et en Europe de l’Est notamment, avec un volontarisme politique fort et un effort financier important, appuyé sur de puissants opérateurs.
Nous devons changer de logique dans notre approche de l’aide au développement. Elle est certes un impératif de solidarité, mais elle est aussi, et surtout, un investissement : un investissement dans l’avenir, un investissement dans la réussite, chez elle, d’une jeunesse qui s’abîme trop souvent dans une course folle vers l’Europe, un investissement pour que la prospérité, demain, ne soit plus dans ces pays un rêve d’ailleurs, mais une réalité concrète.
Avec cet objectif à l’esprit, il faut penser notre aide au développement d’une façon plus large, à la fois dans la définition des bailleurs, dans les types de projets financés et dans le pilotage des fonds.
En ce qui concerne les acteurs, nous devons impérativement améliorer l’articulation entre l’État, les collectivités territoriales, les ONG et les entreprises ou fondations privées. L’avenir de l’aide publique au développement est aussi, peut-être, dans des partenariats entre les différents types de bailleurs, en fonction des expertises de chacun.
En ce qui concerne les objectifs de l’aide au développement, nous voyons d’un bon œil la convergence des processus « objectifs du développement durable » et « financement du développement » sous l’égide des Nations unies.
Ce rapprochement entre aide au développement et développement durable s’est matérialisé lors de la troisième conférence internationale sur le financement du développement à Addis-Abeba en juillet 2015. Le programme d’action d’Addis-Abeba adopté à son issue a envoyé un message fort sur l’importance du climat et de son intégration dans l’ensemble des politiques de développement. Les événements climatiques extrêmes tels que les sécheresses ou les inondations sont des menaces importantes qui touchent l’ensemble des composantes – économique, sociale et politique – du développement.
Enfin, à propos du pilotage des fonds, deux divisions nous apparaissent structurantes et gagneraient à être éclaircies : tout d’abord, la division entre aides bilatérales et aides multilatérales – elles n’ont ni la même signification politique ni la même efficacité – ; ensuite, la division des crédits entre deux programmes distincts, pilotés par deux ministères différents. Cet émiettement conduit à multiplier les instances de coordination. Il fait perdre à notre politique d’aide au développement à la fois lisibilité et efficacité.
Sous réserve de ces quelques points de vigilance et en espérant, monsieur le ministre, que vous pourrez tenir compte de nos pistes de réflexion, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera ces crédits, qui poursuivent une remontée en puissance bienvenue de notre aide au développement.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés à débattre de deux programmes : le programme 110, relatif à l’aide économique, et le programme 209, relatif à la solidarité. Le premier représente 960 millions d’euros, le second 1,8 milliard d’euros. Le total dépasse donc 2,7 milliards d’euros.
À ce titre, une première question se pose : pourquoi y a-t-il deux programmes ? Bien sûr, on peut opérer certaines distinctions, mais, en réalité, ces programmes couvrent des activités très similaires. Pour ma part, j’ai un peu de mal à comprendre pourquoi il n’y en a pas qu’un.
J’ajoute que nous ne voyons ici que la partie émergée de l’iceberg. Ces crédits représentent 36 % de l’APD ; les 64 % restants sont ailleurs. Monsieur le ministre, j’ai bien conscience qu’ils ne sont pas perdus : je suis tout à fait serein ! (Sourires.) Mais ils ne figurent pas dans l’enveloppe dont nous débattons au titre de l’aide publique au développement.
En la matière, nous avons dénombré, au total, vingt-quatre programmes budgétaires, c’est-à-dire les deux que j’ai mentionnés et vingt-deux autres, et quatorze ministères compétents. Un tel découpage est quand même une particularité française… En définitive, on n’y comprend rien !
Mes chers collègues, je ne sais si vous avez essayé d’analyser, globalement, la politique d’aide publique au développement menée par la France : c’est tout à fait impossible ! D’ailleurs – plusieurs intervenants l’ont dit –, il y a une multitude de fonds, bilatéraux ou multilatéraux, représentant respectivement 700 millions, 300 millions ou 20 millions d’euros. Notre aide au développement est tout à fait dispersée ; je ne suis pas le premier à le dire, peut-être même s’agit-il d’une banalité, mais, à mon sens, il faudrait se pencher sur la question. (M. le président de la commission des affaires étrangères acquiesce.)
Certains ont demandé un ministère à part entière, ce qui reviendrait à rétablir le ministère de la coopération. C’est le balancier classique de l’histoire : ce ministère a été supprimé, et à présent il est question de le recréer. Pour ma part, je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse d’une très bonne idée. Ce qui compte, c’est le contrôle des crédits, et il ne suffit pas de créer un ministère de la coopération pour que ce dernier dispose du pouvoir politique de décider.
Peut-être faudrait-il donner davantage de pouvoirs à l’AFD, dont les responsabilités s’étendent. Mais certains – pas moi ! – estiment qu’elle a déjà trop de pouvoirs et qu’elle échappe en quelque sorte à ses maîtres.
M. Roger Karoutchi. Certes !
M. Richard Yung. Je ne crois pas que ce soit vrai, mais ce n’est peut-être pas non plus une bonne idée de confier tous les crédits à l’AFD.
Monsieur le ministre, il s’agit là d’un problème délicat : excusez-moi de ne pas pouvoir, pour l’heure, vous suggérer une solution.
Les objectifs de l’APD sont bien connus.
Le premier, c’est la lutte contre la radicalisation et le djihad, par notre action non seulement militaire, mais aussi économique, sociale et humanitaire au Sahel. Souvenez-vous de la phrase de Lyautey : quand je construis une école, je libère un bataillon. Aujourd’hui, c’est encore vrai : partout où nous menons des actions de développement, nous aidons à la lutte contre la radicalisation.
Le deuxième objectif, c’est la lutte contre l’émigration illégale. L’action menée à ce titre est peu ou prou la même que la précédente, même si, en la matière, nous avons peut-être un peu moins de succès.
Le troisième objectif, c’est la lutte contre le changement climatique. À cet égard, le verdissement des projets financés par l’AFD mérite d’être salué. Depuis plusieurs années, cette agence a fait un effort considérable pour prendre en compte la question du climat, dans un contexte de sociétés plus ouvertes.
Nous avons déjà évoqué les différents débats habituels, et même classiques. Je pense à la répartition entre les dons et les prêts, question qui revient chaque année. Je sens que le don a le vent en poupe, et c’est peut-être une bonne chose.
M. Richard Yung. Je pense à la distinction entre le bilatéral et le multilatéral ; pour l’instant, à en croire nos différents débats, le bilatéral semble l’emporter. Beaucoup le soutiennent. Mais, pour ma part, j’estime que le multilatéral a de grands mérites, en particulier lorsqu’il est organisé à l’échelle européenne.
Enfin, monsieur le ministre, je pense à différents débats, que vous connaissez bien, quant aux modes de financement : il s’agit de la taxe sur les billets d’avion et de la taxe sur les transactions financières, la fameuse TTF, dernière laquelle les États de l’Union européenne courent tous depuis de nombreuses années. Où en sont les discussions relatives à la mise en place de la TTF à l’échelle européenne ?
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, les membres du groupe auquel j’appartiens voteront, avec enthousiasme, les crédits de cette mission. (M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons avec cette mission ce qui devrait être l’un des axes majeurs de la politique internationale de la France. Or notre pays n’a jamais été au rendez-vous de l’engagement international fixant à 0,7 % du PIB l’aide publique au développement. Longtemps, nous nous en sommes même éloignés.
Pour la première fois, le budget inverse la trajectoire, et c’est tant mieux, mais en fixant d’emblée un objectif pour 2022 qui reste inférieur à 0,7 %. Si la trajectoire est nouvelle, l’ambition nécessaire n’est pas encore au rendez-vous.
Cette discussion reprendra très vite, dès 2019, avec le projet de loi de programmation de l’aide publique au développement. J’espère que nous réviserons à la hausse l’ambition affichée – pour ce qui nous concerne, nous travaillerons en ce sens. Ce serait un signe fort de réorientation de notre politique extérieure, aujourd’hui clairement dominée par la militarisation de nos relations internationales.
Si l’on ajoute la LPM, les OPEX et le niveau des ventes d’armes, dont nous sommes champions, on mesure à quel point l’APD fait figure de parent pauvre de notre politique internationale. Or c’est un grave contresens historique, tant le développement et la réduction des inégalités mondiales sont aujourd’hui les véritables clefs de la paix et de la sécurité collective mondiales. Je note toutefois que, adossées à l’effort budgétaire nouveau annoncé, la création d’un conseil de développement et la réactivation du conseil d’orientation stratégique de l’AFD constituent de premiers pas vers un nouveau pilotage de notre politique en la matière. Néanmoins, la trajectoire budgétaire appelle plusieurs remarques.
Selon le budget triennal proposé par le Gouvernement, les crédits budgétaires devraient progresser de manière exponentielle : cette hausse devrait être de 4,9 % en 2019, de 10,3 % en 2020, puis de 51,4 % en 2021 et 2022. À terme, l’abondement public atteindrait ainsi 7 milliards d’euros, contre 2,8 milliards d’euros aujourd’hui. L’effort est important, mais il est renvoyé dans le temps, ce qui laisse planer un doute regrettable quant au respect de la trajectoire annoncée.
Pour cette année, le Gouvernement annonce une progression de 1,4 milliard d’euros, mais la hausse réelle est plus limitée. En effet, 1 milliard d’euros crédité cette année ne pourra être décaissé que sur plusieurs années, et 270 millions d’euros proviennent d’une réécriture budgétaire, avec l’inscription dans la mission des fonds provenant initialement de la taxe sur les transactions financières.
À ce propos, nous regrettons vivement la décision de diminuer la part de cette taxe dédiée à l’aide au développement. Elle laisse craindre de futures amputations du même type. Pourtant, des leviers existent pour atteindre et surpasser les objectifs annoncés par le Président de la République. Plusieurs organisations ont fait, en ce sens, des propositions que nous avons choisi de relayer par nos amendements au titre de la première partie du projet de loi de finances. Ainsi, en réorientant la totalité du produit de la TTF et de la taxe sur les billets d’avion, et en lissant sur l’ensemble du quinquennat la hausse des crédits, nous aurions pu obtenir une trajectoire montant plus rapidement ; ce faisant, les objectifs finaux auraient même été dépassés.
D’autres questions essentielles demeurent, quant au périmètre et aux objectifs de notre aide au développement. Notre politique reste étroitement autocentrée.
Monsieur le ministre, vous avez souligné qu’« il faut reconnaître comme légitime le lien entre notre effort de solidarité et les bénéfices à en attendre pour notre pays ». Mais cette action est-elle bien à la hauteur de la situation ? Est-ce bien comprendre les enjeux du développement, quand la survie de la planète et le développement humain sont en cause ? Est-ce cette logique qui nous conduit, par exemple, à considérer que la régulation de l’immigration est du ressort de notre aide publique au développement, à y inclure le financement d’accords discutables avec la Turquie ? Ce choix est d’autant plus discutable que le développement des pays favorisera nécessairement des migrations à court et moyen terme. Ces dernières seront alors conçues comme des vecteurs d’échanges et des chances d’élévation sociale. Cette conception restrictive de l’APD est d’ailleurs contraire aux intentions premières de la déclaration de Paris et des principes de Busan.
À nos yeux, la volonté exprimée d’inscrire dans l’APD des dépenses de sécurité et de défense est également très contestable. Procéder ainsi, c’est prendre le problème à l’envers, quand l’insécurité naît de plus en plus de l’accumulation des inégalités de développement.
Par ailleurs, à une question que je vous avais posée, vous aviez répondu le 30 août dernier que vous comptiez lever les freins au soutien financier du secteur privé et inscrire ces investissements comme partie intégrante de l’APD. Si le secteur privé investit à l’étranger via des fondations, c’est tant mieux. Mais l’État ne peut arguer de ces initiatives pour freiner les engagements propres du développement public.
Vous le constatez, ces choix nous inspirent de multiples réserves – et je pourrais en détailler d’autres. Nous aborderons avec exigence le débat décisif que nous consacrerons au projet de loi de programmation en 2019.
Les membres de notre groupe ne pourront pas voter ce budget. Nous soulignons les progrès accomplis, mais nous souhaitons que la France s’engage au plus vite vers un effort autrement ambitieux, vers une réelle réorientation des aides apportées. (Mme Christine Prunaud et M. Yvon Collin, rapporteur spécial, applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Le Nay.
M. Jacques Le Nay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France et l’Europe sont aujourd’hui au cœur d’enjeux structurels majeurs : d’abord, la crise écologique ; ensuite, la pression des migrations économiques. Ces défis appellent, de par leur ampleur et leur pérennité, des réponses structurelles.
Nous pouvons et nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour adapter notre pays et trouver des solutions qui répondent aux effets de tels phénomènes. Mais nous devons aussi et surtout chercher à agir – je dis bien « agir » – sur leurs causes, principalement dans les territoires où ils naissent. C’est en cela que l’aide au développement nous est essentielle.
Il faut accompagner le développement des pays d’origine, pour permettre à leur jeunesse de demeurer sur place dans de bonnes conditions, de construire une famille et une vie décente. Nous éviterons ainsi que ces personnes viennent alimenter les flux de migration.
De même, une réponse efficace à l’urgence climatique serait de proposer, à des pays qui polluent malgré eux énormément, des infrastructures urbaines, technologiques et énergétiques pourvues de technologies propres. L’enjeu est bien de limiter leur phase de dépendance aux énergies fossiles. À cet égard, faire du respect de l’accord de Paris un critère majeur dans la sélection des projets aidés par la France est une très bonne chose, et je tiens à saluer cette décision.
Ne l’oublions pas : cette politique ne doit pas seulement être justifiée par ce qu’elle pourrait nous rapporter, dans une logique purement comptable de retour sur investissement. Elle doit également résulter d’une responsabilité de solidarité à l’égard de nations dont les conditions de vie doivent être améliorées.
Monsieur le ministre, nous saluons la progression significative des fonds alloués à l’aide publique au développement. Ils croissent en effet de 4,3 % en crédits de paiement et de près de 46 % en autorisations d’engagement, pour pas moins de 1,3 milliard d’euros supplémentaires.
La montée en puissance de l’Agence française de développement démontre l’implication de notre pays dans le soutien au développement : l’AFD totalise près de 40 milliards d’euros de bilan et environ 10 milliards d’euros d’engagements nouveaux en 2017, contre seulement 7 milliards d’euros en 2012. Je salue assurément cette progression.
Essentielle à la politique d’influence de la France, l’aide publique au développement telle que mise en œuvre par l’AFD doit en outre nous permettre de continuer à exister face au nouveau poids lourd qu’est la Chine ; ce grand pays est de plus en plus présent dans le monde, tout particulièrement en Afrique.
Le Président de la République a annoncé que l’aide publique au développement passerait à 0,55 % du revenu national brut en 2022. En conséquence, l’AFD devra encore accroître son activité, pour atteindre près de 18 milliards d’euros à cette échéance. Si nous l’encourageons, je m’interroge sur sa capacité à mettre en œuvre une telle hausse, qui représente tout de même près de 80 % en cinq ans : ça n’est pas rien !
Je mets donc l’accent sur le fait que cette hausse ne doit pas être uniquement un affichage quantitatif. La volonté d’augmenter massivement les engagements ne doit pas aller à l’encontre de la pertinence des actions menées. Elle ne doit pas nuire à l’efficacité de l’aide. Nous devons ainsi veiller à ce que l’aide soit allouée à des projets œuvrant effectivement au développement des régions concernées, en y associant pleinement les acteurs locaux. Les critères de sélection de ces projets doivent demeurer au cœur de notre stratégie d’aide. Nous y serons particulièrement vigilants.
Enfin, j’aborderai la question de l’aide multilatérale au développement. Il faut bien admettre que nous en parlons peu, malgré son importance : nous versons beaucoup d’argent aux fonds multilatéraux, qui font sans doute du bon travail, mais dans une opacité que je qualifierai de regrettable. Les crédits alloués à l’aide économique et financière multilatérale augmentent de 9,14 % et les montants affectés à la coopération multilatérale progressent de 28,7 %. Il serait bon que le Gouvernement et le Parlement s’engagent vraiment, l’un et l’autre, dans un suivi effectif de ces fonds.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, après avoir mis en avant toutes les observations que je viens d’exprimer, en leur nom, à cette tribune, le groupe Union Centriste votera le budget de l’aide publique au développement. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et au banc des commissions, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)