M. le président. La parole est à M. Abdallah Hassani.
M. Abdallah Hassani. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mission « Outre-mer » s’inscrit dans un contexte de maîtrise de la dépense publique. Pour autant, elle n’exclut pas l’ambition d’aider chaque territoire à construire son propre modèle de développement en créant les conditions pour que les initiatives s’expriment et soient soutenues de façon pragmatique, mais durable.
Le Livre bleu outre-mer, remis en juin dernier au Président de la République, constitue la feuille de route du Gouvernement pour les prochaines années. Cette mission en est une première traduction financière.
C’est pourquoi, à un budget 2018 de transition, succède un budget 2019 de transformation et de responsabilisation.
Il s’agit de dépenser mieux pour plus d’efficacité, avec des objectifs prioritaires tels que le développement des infrastructures indispensables au quotidien de la population et au fonctionnement des entreprises créatrices d’emplois et de richesses, mais aussi la réorganisation de l’aide à l’activité économique, la construction et la rénovation de logements et, enfin, la formation des jeunes.
Je rappelle que la mission ne couvre qu’un dixième de l’effort financier global de l’État pour les outre-mer. Celui-ci s’élève à plus de 23 milliards d’euros en autorisations d’engagement et à plus de 22 milliards d’euros en crédits de paiement, soit des hausses respectives de 7,6 % et de 4,6 %. La mission en elle-même, qui représente 2,57 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 2,49 milliards d’euros en crédits de paiement, correspond à 0,54 % du budget général de l’État contre 0,48 % l’an passé et 0,40 % en 2017, ce qui témoigne de la préservation des crédits spécifiquement affectés aux outre-mer.
Les hausses de crédits de la mission de 22,5 % en autorisations d’engagement et de 20,52 % en crédits de paiement s’expliquent par des mesures de transfert et de périmètre, conséquences de votre volonté, madame la ministre, de mettre la dépense publique au service du plus grand nombre et de repenser les mécanismes d’accompagnement des économies d’outre-mer.
Ces mesures résultent de trois réformes majeures : la transformation nationale du CICE en exonérations de charges ciblées sur des secteurs en développement, la suppression de la TVA non perçue récupérable et la diminution du plafond de la réduction d’impôt pour les plus hauts revenus dans les DOM.
Ces changements, fussent-ils justifiés par un souci de justice et d’efficience économique, ne se font pas sans appréhension. Ils ont donné lieu à d’intenses débats sur nos travées et sur les bancs de l’Assemblée nationale. Certains craignent que des entreprises ne soient perdantes, que des territoires ne perdent de l’attractivité, que le pouvoir d’achat ne baisse.
Vous promettez de redéployer l’équivalent des euros ainsi obtenus aux outre-mer. Beaucoup voient un changement de paradigme : les outre-mer, dont les handicaps structurels et la légitimité à revendiquer une égalité réelle avec l’Hexagone sont indéniables, s’autofinanceraient dorénavant entre eux, les moins faibles aidant les plus pauvres.
Or, vous l’avez dit, madame la ministre, l’État ne se désengage pas. Il consacre 17 milliards euros de crédits aux outre-mer, bien que la fiscalité n’y rapporte que 4 milliards d’euros. J’ajoute que cet effort est largement fondé, ne serait-ce qu’en raison de la faiblesse répétée et toujours très importante du PIB par habitant de nos territoires : celui de Mayotte est ainsi 3,6 fois plus faible que le taux national.
Nous attendons que la réduction des dépenses fiscales et sociales se traduise bien en dépenses budgétaires et pilotables. Les économies issues de la suppression de la TVA-NPR alimenteront le programme 138 de la mission pour améliorer l’accès au financement des entreprises. J’espère aussi que le fonds exceptionnel d’investissement du programme 123 ainsi abondé sera utilisé et ne perdra pas de sa substance au fil des années. Je l’attends d’autant plus qu’une partie de ce fonds doit être consacrée à la construction d’établissements scolaires en Guyane et à Mayotte. J’aurai l’occasion d’y revenir lors de l’examen de la mission « Enseignement scolaire ».
Le nouveau dispositif de zones franches, simplifié et ciblé sur des secteurs d’activités soumis à la concurrence, mais essentiels par leur capacité à créer activité et emplois, contribuera à la revitalisation des économies ultramarines.
Tout en restant ferme dans vos convictions, vous avez su écouter nos inquiétudes et apporter des ajustements, madame la ministre. Vous avez modifié les paramètres des nouvelles exonérations de charges pour les entreprises, afin d’atténuer le phénomène de trappe à bas salaires. Vous avez élargi les secteurs éligibles. Vous avez tenu compte des particularités de la Guyane, notamment.
J’insiste, nos territoires d’outre-mer restent fragiles. Cette fragilité recouvre des difficultés parfois semblables, parfois de nature très différente. Promouvoir un développement endogène est vertueux, mais veillons à ce que des outils mal ajustés ou mal compris ne nous entraînent pas dans une logique de mal-développement endogène. La crise qui a bloqué Mayotte plusieurs mois durant a révélé l’importance du contexte régional dans la conduite des politiques publiques locales. Mayotte, qui fait face à une très forte immigration, a montré qu’elle manquait cruellement de sécurité, de logements, d’écoles, de routes et d’un aéroport adapté – j’insiste sur ce dernier point. Dès lors, comment attirer les compétences et les y maintenir ?
Très récemment, les Réunionnais ont montré leur profond mal-être. Madame la ministre, vous êtes allée à leur rencontre et avez annoncé des mesures, dont plusieurs sont d’ailleurs déjà inscrites dans le budget de l’État. Vous avez ainsi annoncé la création d’une zone franche globale à 7 % à La Réunion. S’agit-il d’un dispositif tout à fait nouveau et particulier ?
M. le président. Il va falloir penser à conclure, mon cher collègue !
M. Abdallah Hassani. Ou bien La Réunion rejoindrait-elle la Guyane et Mayotte dans le régime dit de « compétitivité renforcée » ?
Les besoins en logements sont considérables. Il faudrait en construire 50 000 en Guadeloupe d’ici à 2030, plus de 4 000 par an pendant vingt ans en Guyane. À Mayotte, seuls 570 logements locatifs sociaux et très sociaux ont été financés entre 2015 et 2017.
Les déplacements ultramarins du Président de la République et de nombreux ministres témoignent de l’intérêt de la Nation pour les outre-mer. À la suite de ce premier budget de transformation, les budgets qui lui succéderont continueront d’y apporter, je l’espère – et je répète, je l’espère ! –, une traduction concrète.
Le groupe La République En Marche votera les crédits de cette mission. (M. Julien Bargeton applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, « Notre combat, jusqu’ici, a été de tenter un rattrapage à tous les niveaux des départements d’outre-mer vers la métropole. Tout s’est passé comme si, dans l’Hexagone, cette volonté procédait d’un souhait utopique. » Ainsi s’exprimait le député de la Guadeloupe, Frédéric Jalton, en 1990 à l’Assemblée nationale. Ces propos demeurent vingt ans après d’une troublante actualité.
Aussi, madame la ministre, c’est à regret que je relaie ici les inquiétudes suscitées par votre budget, tant il est crucial pour nos collectivités de sortir de l’incompréhension qui mène au mal-développement.
Après plusieurs longs mois d’assises des outre-mer, la déception est d’autant plus grande que les attentes se sont exprimées directement à partir des territoires, qui savent assurément ce qui est bon pour eux.
Mes collègues ayant déjà évoqué avec pertinence les aspects purement budgétaires, je veux, dans le temps qui m’est imparti, me concentrer sur l’état d’esprit qui préside à la politique économique de votre gouvernement, dont nous examinons la traduction chiffrée aujourd’hui.
Si votre budget s’affiche en augmentation au plan comptable, cette hausse est en définitive le résultat de plusieurs ponctions fiscales, autrement dit des hausses d’impôts. Et pour la première fois, les territoires d’outre-mer financeront eux-mêmes les outre-mer.
Localement, la redéfinition des seuils d’exonération, dont les crédits de compensation nous sont présentés, laisse le sentiment amer d’un gouvernement sourd à la vision des socioprofessionnels ultramarins. Pis, le recentrage de nos économies sur les bas salaires risque de pénaliser plus encore une jeunesse déjà fragile et en mal de débouchés.
L’augmentation des crédits de cette mission résulte donc essentiellement d’un jeu d’écritures, inscrivant ici des crédits qui auraient pu l’être ailleurs, dans d’autres missions.
En outre, le « recyclage » mentionné par le président Magras et la « rebudgétisation » dénoncée il y a quelques jours par le sénateur Lurel inaugurent une rupture brutale de la solidarité nationale à l’endroit des outre-mer.
Dès lors se pose une question de fond, qui va bien au-delà de la simple annualité budgétaire : celle du maintien d’un ministère spécifique des outre-mer. À mon sens, ce ministère est certes un gage de sanctuarisation budgétaire, mais c’est aussi un « plafond de verre », qui nous enferme dans un entre-soi, qui ne parle de nous-mêmes qu’à nous-mêmes. (Mme la ministre opine.)
Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler que vous avez justifié votre position, madame la ministre, par l’obligation de rester dans le cadre de l’enveloppe qui vous avait été allouée. Ainsi, au fil des années, à périmètre constant, cette enveloppe stagne en réalité autour de 2,5 milliards d’euros alors que, dans le même temps, la question du développement endogène de nos différents territoires se pose avec beaucoup plus d’acuité.
Je sais combien la tâche est lourde, madame la ministre, et que vous vous investissez sans relâche. Pour autant, je ne peux pas approuver les orientations de ce budget ni m’empêcher de penser, en conscience, qu’il est peut-être temps d’emprunter d’autres voies, notamment institutionnelles.
Je souhaite conclure par ces mots de Frantz Fanon : « La politisation des masses se propose non d’infantiliser les masses mais de les rendre adultes. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano.
M. Stéphane Artano. Madame la ministre, j’ai apporté mon soutien sans réserve au budget que vous proposiez l’an dernier. Vous veniez d’être nommée, il s’agissait d’un budget de transition, d’amorçage, et nous nous étions donné rendez-vous cette année.
Pour 2019, ce devait être, dans un terme très macronien, le budget de la transformation des outre-mer. Je dois dire que je le recherche aujourd’hui… À l’époque, j’avais déclaré que, pour élaborer un budget – nous sommes tous issus de collectivités –, il faut une colonne vertébrale, faute de quoi ce budget devient un sac d’os.
Quelque part, l’exercice qui nous est proposé ne me convient pas. Je l’avais déjà dit et nous n’avions d’ailleurs pas participé aux assises des outre-mer – d’ailleurs, certains de nos collègues, aujourd’hui, en reviennent.
Quand on fait de la politique, il faut avoir de l’humilité et de la lucidité.
Il faut de l’humilité pour revisiter les méthodes, qui sont les nôtres. Je mets au moins à votre crédit le fait que vous ayez engagé une réflexion approfondie sur les outils, notamment les aides économiques, malgré quelques tensions avec les acteurs ces derniers jours, notamment ceux de la Fédération des entreprises des départements d’outre-mer, la FEDOM, même si je sais que vous avez arraché un arbitrage à Matignon en faveur du maintien d’un certain nombre de dispositifs.
Pour autant, il faut aussi de la lucidité, pour reprendre une expression présidentielle, mais cette fois-ci de notre président, Gérard Larcher. À un moment donné, si le bateau gouvernemental ne suit pas la boussole, qui est celle du CROSS Étel et, en l’occurrence, la boussole parlementaire qui donne un certain nombre de signaux, il s’échoue sur les rochers ou sur les coraux.
Faire preuve d’humilité aujourd’hui, c’est reconnaître, comme l’a fait par exemple Didier Robert à La Réunion, que l’on n’est peut-être pas allé assez loin sur un certain nombre de sujets.
Faire preuve de lucidité, c’est aussi écouter les parlementaires et plus se servir d’eux. Je le dis en toute amitié, et avec tout le respect que j’ai pour la fonction que vous occupez, vous devriez bien plus vous appuyer sur les parlementaires et être en rupture, au sein de ce gouvernement, avec la méthode utilisée. Sinon, vous irez dans le mur, exactement comme le reste du gouvernement, et vous entraînerez avec vous l’ensemble des outre-mer, territoires dont les problématiques sont, je le sais, chaque fois un peu différentes.
L’action publique est avant tout une œuvre collective. Il existe deux délégations parlementaires aux outre-mer, l’une au Sénat et l’autre à l’Assemblée nationale, qui aimeraient œuvrer à vos côtés pour porter la politique de ces territoires au niveau national, de manière plus collective et plus participative, afin que l’on ne découvre plus après coup un certain nombre de choses.
Il faut aussi de la confiance. Et, en la matière, c’est un peu comme en amour, il faut des preuves.
Je vais prendre l’exemple de mon territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon : cette confiance, on l’apprécie à la demande que le préfet a adressée à la collectivité de financer un investissement portuaire dans un port d’intérêt national… La confiance, on la mesure en découvrant, d’après le document de politique transversale consacré à l’outre-mer, que les budgets globaux alloués à ce territoire sont en baisse de 15 millions d’euros en 2019, que l’on s’appuie sur l’analyse des 88 programmes concourant à cette politique transversale ou sur celle de la seule mission « Outre-mer ».
Je suis inquiet pour mon territoire, comme je le suis pour le reste des territoires d’outre-mer, compte tenu de la méthode employée et des crédits engagés. J’espère, madame la ministre, que vous pourrez apporter un certain nombre de réponses de nature à rassurer mes collègues du groupe du RDSE.
Aujourd’hui, nous sommes réservés sur cette mission parce que, comme l’a rappelé Guillaume Arnell, nous avons ces inquiétudes. Pour ma part, je me suis beaucoup concentré sur la méthode, mais aussi sur les aspects budgétaires de la mission. Nous espérons évidemment que, lors de votre intervention, vous pourrez éclairer notre lanterne ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Jean-Louis Lagourgue applaudit également.)
(M. Vincent Delahaye remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs spéciaux, madame, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, je reviens tout juste d’un déplacement à La Réunion.
Je suis allé au contact de la population, parce que la seule méthode qui ait du sens pour moi, c’est l’écoute et le dialogue avec nos concitoyens. J’ai également rencontré les élus, le monde économique, les syndicats.
Je voudrais affirmer ici que, en Guyane et à Mayotte, hier, à La Réunion comme dans les autres territoires que je n’oublie pas et à Paris, aujourd’hui, notre modèle de vivre-ensemble, qui a tant fait notre fierté, est mis à mal.
C’est dans ces moments que le mot « gouverner » doit prendre tout son sens : gouverner, ce n’est pas imposer d’en haut des choix déconnectés de la réalité du terrain ; c’est toujours agir en responsabilité, guidé par l’intérêt général, pour que chaque citoyen trouve sa place dans la société.
Le dialogue est nécessaire. Pas plus tard qu’hier, de retour de La Réunion, j’ai organisé une visioconférence avec les Réunionnais, comme je m’y étais engagée devant eux, car le grand débat sur les réseaux sociaux n’avait pas pu aller à son terme.
L’État a pris des engagements forts et je rendrai compte de leur mise en œuvre à La Réunion et dans tous les territoires, tout comme je veillerai d’ailleurs à ce que chacun joue le jeu républicain. Cette responsabilité et cette transparence sont à la base de mon action. Vous le savez tous, depuis dix-huit mois, je travaille pour transformer nos territoires dans la dignité, le respect et l’unité, pour des outre-mer pleinement inscrits au cœur de la République.
Le projet de budget que je vous présente découle bien sûr de choix politiques majeurs et de convictions fortes. Ce choix de la transformation, c’est le refus du conservatisme, c’est la volonté d’accompagner les territoires vers un développement qu’ils auront eux-mêmes défini. C’est le propre de la démocratie participative et ce besoin s’est clairement exprimé sur le terrain, ces jours derniers.
C’était l’intérêt premier des assises des outre-mer : l’expression directe de milliers de citoyens, d’entrepreneurs, de porteurs de projets, qui nous disent à quel point l’État est attendu ! Ce n’est pas toujours plus d’État, mais mieux d’État…
Les exaspérations, les inégalités, les injustices exprimées, je les comprends comme une incitation à aller plus loin et à poursuivre dans la voie de la transformation. L’État est le garant des institutions, il se doit de protéger les plus démunis, mais aussi de libérer les énergies, tout en restant au plus près des attentes des Ultramarins.
Ces attentes sont claires.
Il y a tout d’abord l’emploi. Oui, l’emploi est une priorité parce que, sans activité, sans travail, sans fierté, un territoire, quel qu’il soit d’ailleurs, n’est qu’un navire à la dérive avec un équipage totalement perdu, et souvent en colère.
Il y a le pouvoir d’achat, ensuite : nous devons travailler en profondeur sur ce sujet dans les territoires d’outre-mer.
N’oublions pas non plus la qualité de vie : plus de services publics, plus de crèches, un système de santé performant.
Il faut aussi des formations et des emplois pour la jeunesse ultramarine. Nous avons besoin d’une société moins inégalitaire – elle l’est à La Réunion ou dans d’autres territoires d’outre-mer aujourd’hui – et plus solidaire.
Il faut, par ailleurs, et j’en ai pris l’engagement, une totale transparence de l’action de l’État. J’invite du reste à une totale transparence de l’action des pouvoirs publics.
On m’a aussi rapporté qu’il fallait des responsables et des élus plus exemplaires dans leur manière de gouverner.
Face à ces aspirations, je ne promets pas une égalité réelle ni une convergence des niveaux de vie vers une moyenne nationale, dont tout le monde sait que celle-ci recouvre une grande diversité. Ce n’est pas ma vision des choses, vous le savez. Chaque territoire ultramarin doit trouver son propre modèle de développement. Et comme je le rappelais à La Réunion, l’État ne fera pas seul. Il n’est pas, tant s’en faut, le seul à détenir les réponses aux défis qui sont devant nous.
Pour permettre aux territoires d’enclencher cette dynamique de progrès économique, le présent projet de budget nous donne les moyens d’agir sur l’investissement public et d’appuyer les entreprises.
En ce qui concerne l’investissement public, les crédits du fonds exceptionnel d’investissement sont portés de 40 millions d’euros à 110 millions d’euros par an. Ce niveau d’engagement sera maintenu tout au long du quinquennat. Sur cinq ans, ce sont donc 500 millions d’euros que nous affecterons au financement des infrastructures essentielles aux territoires.
Nous parlions de convergence : ces crédits y contribuent. La loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer a par ailleurs prévu la signature d’une nouvelle génération de contrats dédiés au financement du rattrapage structurel. Ces contrats de convergence vont s’accompagner du mot « transformation ». Ils seront signés dans les prochaines semaines et scelleront les engagements de l’État et des collectivités jusqu’en 2022. Les outre-mer sont en avance sur l’Hexagone : sur quatre ans, l’effort de l’ensemble des périmètres ministériels va s’élever à 2 milliards d’euros. Pour ce qui est du ministère des outre-mer, nous allons y consacrer 179 millions d’euros en 2019, soit 15 % de plus que l’an passé.
L’investissement public, c’est également la construction et la rénovation de logements. Vous avez raison, mesdames, messieurs les sénateurs, il s’agit d’une préoccupation essentielle dans les territoires d’outre-mer.
La ligne budgétaire unique est maintenue à 225 millions d’euros. Le produit de la cession des parts de l’État au sein des sociétés immobilières d’outre-mer, les SIDOM, opération que nous attendions tous et qui a rapporté une somme de 19 millions d’euros, est réservé au ministère des outre-mer dans la loi de finances rectificative pour 2018.
Ces derniers jours, j’ai eu l’occasion de réaffirmer les engagements pris en matière d’accession à la propriété et d’aide à la rénovation de l’habitat privé : traitement de l’ensemble des dossiers actuellement bloqués, réflexion sur la mise en place de nouveaux mécanismes en matière d’aide à la rénovation et d’accession à la propriété – je compte sur vous pour m’y aider, mesdames, messieurs les sénateurs. Bien évidemment, la diversification des parcours résidentiels outre-mer est une vraie préoccupation. Je crois que la réponse ne peut pas être que sociale, comme vous le savez tous ici.
D’ailleurs, le présent projet de loi de finances comporte de nombreuses mesures fiscales favorables à la construction de logements : prolongation de la défiscalisation, amélioration de la chronicité du versement du crédit d’impôt, mais aussi augmentation des quotas de prêts locatifs sociaux, allongement des délais de mise en location ou encore extension de la défiscalisation dans les collectivités d’outre-mer pour la réhabilitation du parc social existant.
Accroître l’investissement public est fondamental pour répondre aux besoins du quotidien des Ultramarins.
Mon second combat est tout aussi fondamental : c’est la bataille pour l’emploi, parce que c’est dans le travail, je le répète, que se construit la dignité, rappelée aujourd’hui encore dans les rues de La Réunion. Pour ce faire, il faut soutenir les entreprises et, bien sûr, créer des richesses.
Il m’a également été dit que, au-delà de la création de richesses, la vraie question était celle du partage : mieux répartir la richesse dans les territoires d’outre-mer est un défi que nous devons aussi relever ensemble.
Depuis décembre 2017, le Gouvernement a proposé de faire évoluer les aides pour l’emploi et l’activité économique outre-mer. Vous le savez, un travail énorme a été mené en ce sens. L’objectif était bien de définir une politique de développement économique volontaire, pilotée et cohérente et d’inscrire les dispositifs d’accompagnement dans le temps long.
Oui, certains outils disparaissent, parce qu’ils ne sont pas assez lisibles, parce que l’on ne savait pas, au final, où allaient véritablement les financements, parce qu’ils ne servaient qu’à quelques-uns, mais aussi parce que nos concitoyens nous demandent plus de transparence. Ils veulent savoir où va le moindre euro de leurs impôts, et il est normal que l’on puisse leur répondre, dans les territoires d’outre-mer comme ailleurs. Je puis vous assurer que cette transparence sera au rendez-vous !
Notre objectif n’a pas varié sur la question de l’écosystème d’accompagnement des entreprises : ce système doit être pérenne et ciblé, afin de faire des outre-mer des territoires de conquête économique. Si nous voulons l’excellence, nous devons être à la hauteur ! La transformation du CICE en allégement renforcé de charges sociales a entraîné un bouleversement des exonérations spécifiques aux outre-mer. Dans ce contexte, notre volonté a été d’assumer une politique de l’emploi, de simplifier les barèmes existants et de parier sur les secteurs d’avenir que sont l’économie bleue, l’innovation, le tourisme ou encore l’industrie.
Nous permettons que les zones les plus intenses en emploi bénéficient de charges égales à zéro. Outre-mer, 53 % des salariés gagnent moins de 1,4 SMIC et 80 % des demandeurs d’emploi sont peu ou pas du tout diplômés.
C’est non pas une trappe à bas salaires, mais une trappe à chômage qui existe aujourd’hui dans les territoires d’outre-mer. Je veux les en sortir. Surtout, je veux en sortir la jeunesse non diplômée, la jeunesse non qualifiée. En effet, qui sont tous les jeunes qui manifestent aujourd’hui ? Ce sont des jeunes sans emploi, qui nous demandent de prendre nos responsabilités et de faire en sorte que leur avenir soit meilleur, demain, dans chaque territoire d’outre-mer. Je serai au rendez-vous.
Nous avons mené un travail approfondi avec les administrations et les professionnels. Le Gouvernement a réalisé un effort supplémentaire de l’ordre de 130 millions d’euros, afin d’abaisser le coût du travail en outre-mer, tout en conservant l’objectif de mener une politique volontariste pour l’emploi et contre le travail illégal.
Les conséquences budgétaires sont tirées sur la mission « Outre-mer ». Tel est le sens des amendements qui ont été adoptés à l’Assemblée nationale, avec 30 millions d’euros supplémentaires – 15 millions d’euros à la suite de l’ajout d’un certain nombre de secteurs et 15 millions d’euros pour répondre aux spécificités de la Guyane. Tel est également le sens de l’amendement que je présenterai tout à l’heure, pour un montant de 65 millions d’euros. Au final, ce sont donc 95 millions d’euros supplémentaires qui ont été mobilisés par rapport au projet initial qui a été présenté à l’Assemblée nationale.
Certains s’interrogeront sur la raison de ces petits ajouts. J’avais dit ici qu’il nous fallait encore travailler, et jusqu’au dernier jour, avec l’ensemble du monde économique et coller à la réalité des besoins des territoires. C’est ce que nous avons fait à ce stade. Je précise que la modification des circuits de financement des exonérations de charges a entraîné une mesure de périmètre, faisant entrer 300 millions d’euros dans notre budget. Il s’agit d’une mesure purement technique. Vous connaissez ma volonté de transparence : je ne me vante jamais de quelque chose qui n’existe pas !
Ce nouvel écosystème économique ne se résume pas aux exonérations, même si ces dernières occupent évidemment une place importante dans les crédits du ministère.
Pour améliorer le financement de l’économie, la mission « Outre-mer » sera enrichie de nouveaux outils nécessaires au démarrage des projets. C’est l’objet de la nouvelle action n° 04, qui figure désormais au sein du programme 138. Avec la réforme des dispositifs zonés et la prolongation de la défiscalisation, nous allons construire un ensemble cohérent et efficace. Surtout, nous allons en mesurer les conséquences. S’y ajoute le renforcement des moyens dédiés au financement des investissements structurants, qui bénéficient directement à l’activité des entreprises, puisque, vous le savez, construire des écoles ou des crèches ou encore régler les problématiques d’eau, c’est de l’activité sur les territoires.
Je vous rappelle que, pour les secteurs qui bénéficient des nouvelles zones franches d’activité, le taux d’impôt sur les sociétés est réduit à environ 6 %. Autrement dit, il est plus bas qu’en Irlande !
Comment faire mieux pour permettre l’excellence dans les territoires d’outre-mer ? Démontrons tous ensemble que nous sommes capables de relever le défi qui nous est posé. Mesdames, messieurs les sénateurs, conformément aux orientations du Livre bleu, ce projet de budget propose de transformer nos territoires pour les rendre plus attractifs, plus agréables à vivre, pour en faire des terres d’excellence et de rayonnement, car, oui, nous sommes des richesses. Être une richesse, être une chance pour la France, cela ne se décrète pas ; cela se construit. C’est ce que nous faisons ensemble.
Cela ne peut résulter de la prise de conscience d’une petite partie seulement des territoires d’outre-mer : il faut une prise de conscience de l’État, avec tous ses partenaires, avec l’ensemble des élus des différents territoires. Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, l’État ne peut pas tout ! La force de ce budget ne pourra être opérationnelle que si l’ensemble de la classe politique des territoires d’outre-mer, mais aussi de nos acteurs sur le terrain travaillent à une logique collective de construction.
Comme les Réunionnaises et les Réunionnais nous l’ont montré, les Ultramarins sont exigeants. Et ils ont raison de l’être ! Je le suis moi-même. Il ne saurait en être autrement, et il nous appartient, mesdames, messieurs les sénateurs, d’être à la hauteur de leurs attentes, à la hauteur de La Marseillaise qui a retenti, mercredi dernier, à La Réunion, chantée par plus de 2 000 manifestants. Nous devons être à la hauteur des valeurs qui sont au fondement de notre vivre-ensemble : la fierté, l’unité, la dignité et la fraternité. Ces valeurs sont le socle de l’esprit républicain, l’essence même de la France des outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)