M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je pourrais vous faire cinq minutes sur le désengagement de l’État sur cette mission, qui a vocation à soutenir les PME et l’industrie. Mais je préfère laisser la parole aux centaines de personnes qui m’écrivent sur les réseaux sociaux. Comme Laurie, elles rêvent, madame la secrétaire d’État, de pouvoir vous raconter leur vie en direct.
Je ne veux pas être leur porte-parole, je n’ai pas cette prétention. Je serai simplement leur voix ici, en lisant leur message.
Et ils ont beaucoup à vous dire de leur souffrance, de leur colère, de leurs espoirs, qu’ils portent des gilets jaunes ou pas, qu’ils luttent ou qu’ils ne le puissent pas, en raison de leurs petits salaires ou de leur isolement.
Par exemple, Amadou a un avis sur la mission que nous examinons aujourd’hui : « Ils ont donné 5 milliards aux riches en supprimant l’ISF, ils ont dilapidé 100 milliards d’euros de CICE, ils ont même accordé des exonérations fiscales aux traders londoniens, et ils laissent 80 milliards d’euros échapper au fisc ! Et ils disent qu’ils soutiennent les PME, les artisans et les petits ? »
JM, lui, veut nous parler de la valeur travail : « Je suis un papa seul avec mon fils de treize ans, je suis boucher de métier et je bosse 45 heures par semaine pour 1 998 euros par mois. Vous voyez, ce mois-ci, on est le 15 et je suis déjà à découvert. On va finir le mois en mangeant des produits du magasin où je bosse et dont la date de consommation est dépassée. Alors, je ne me plains pas, mais, voilà, c’est une réalité, le travail ne paie plus. »
Claire ajoute, sur le commerce et l’artisanat : « Trouvez-vous normal que moi, qui ai un petit magasin de vêtements, je sois moins aidée proportionnellement que l’hypermarché à 30 kilomètres ? Je travaille 50 heures par semaine, j’élève seule mon enfant et je ne m’en sors pas. Il ne reste plus que deux magasins dans ma petite ville des Landes. Si je ferme, c’est du lien social qui se perdra et une ville qui se mourra. » Madame la secrétaire d’État, il faudra expliquer à Claire pourquoi le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC, diminue cette année encore.
Pour parler d’industrie et d’emploi, je cède volontiers la parole à Fabrice : « Je suis chez PagesJaunes Solocal depuis dix-neuf ans. Depuis quelques années, je vois les profits de l’entreprise s’envoler, et les dirigeants se servir l’un après l’autre sur l’exécution sociale des salariés. Jour après jour depuis l’année passée, je vois les salariés partir en arrêt maladie, faire des tentatives de suicide, mourir à petit feu, comme mon entreprise, ce fleuron du digital français. Et je la vois abandonnée par l’État. Je la vois sombrer lentement vers les mains rapaces d’entreprises étrangères qui s’apprêtent à tuer le savoir-faire et les vies françaises qui y sont liées. Et je vois mon pays qui ne fait rien, qui nous laisse mourir, au nom du sacro-saint profit de quelques dirigeants ! Je vois la mort et l’État n’est pas là. C’est ça, la start-up nation ? Pour servir seulement quelques dirigeants ? Le profit individuel au détriment de l’économie d’un pays est comme la pollution environnementale : c’est une intoxication. »
Boris veut vous parler lui aussi de son entreprise, Alstom : « Je bosse comme ingénieur chez Alstom depuis décembre 2005. Nous concevons et fabriquons les trains et les équipements ferroviaires pour la mobilité efficace, sûre et peu polluante, tant pour les personnes que les marchandises. Et ce gouvernement laisse nos patrons donner l’entreprise au groupe Siemens, avec uniquement l’objectif de sortir du pognon ! Cette opération entraînera la braderie de nombreux sites, puis, comme ils disent, des “rationalisations”, avec suppressions de capacités et d’effectifs. Quand l’État français fera-t-il arrêter cette opération et développera-t-il une vraie stratégie industrielle pérenne pour la filière ferroviaire ? »
Enfin, pour conclure, je souhaite vous lire un mot de Sandra, qui nous interpelle toutes et tous : « Sachez que, du haut de mes vingt-quatre ans, j’ai peur pour mon avenir… Que vais-je devenir ? Mes futurs enfants vont-ils encore pouvoir vivre ? Je me permets de vous écrire aujourd’hui, après ma longue journée de travail, pour vous poser une question toute simple : que puis-je faire à ma petite échelle pour essayer de changer tout ce qui se passe en ce moment ? »
Eh bien, Sarah, indignez-vous ! Engagez-vous ! Nous avons besoin de toutes et tous pour bousculer l’ordre établi, faire en sorte que cette économie soit au service de l’humain et de notre planète, et non l’inverse.
Vous l’aurez compris, madame la secrétaire d’État, avec Laurie, Thomas, Amadou et tous les autres et avec l’ensemble des membres de mon groupe, nous voterons contre ces crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le vice-président de la commission, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, sans chercher à paraphraser les propos des rapporteurs, je reviendrai sur les principaux points de la mission « Économie » et du compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés », qui lui est associé.
Les crédits de la mission « Économie » s’élèveront, en 2019, à 1,7 milliard d’euros en autorisations d’engagement et à 1,9 milliard d’euros en crédits de paiement. Cette mission reste donc un des « petits » postes budgétaires de l’État, en comparaison avec les budgets, par exemple, de l’éducation ou de la défense, et son périmètre change peu par rapport à 2018.
Avec le léger ralentissement de la croissance économique constaté cette année et de fortes incertitudes pesant en particulier sur le commerce international l’an prochain, on voit le bien-fondé d’une telle politique publique et, en même temps, l’ampleur des défis auxquels elle doit répondre.
La réduction des crédits l’an prochain correspond notamment à une rationalisation des dépenses d’intervention, soit environ 18 % des crédits de la mission, avec la diminution des aides aux PME du commerce et de l’artisanat. Pour ma part, je soutiens l’idée des rapporteurs spéciaux selon laquelle le transfert de compétences aux collectivités, en particulier aux régions, qui est tout à fait légitime, doit s’accompagner du maintien d’outils d’intervention spécifiques, lesquels constituent un filet de sécurité pour les acteurs économiques dans les territoires.
Concernant le FISAC, mon groupe s’associe à la proposition des rapporteurs spéciaux de rétablir ses crédits à 30 millions d’euros. Nous allons même un peu plus loin dans la volonté de refinancement, en proposant d’augmenter ces crédits à 36 millions d’euros, en cohérence, en particulier, avec notre proposition de loi, adoptée par le Sénat le 21 novembre dernier, visant à lutter contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux.
Je ne souhaite toutefois pas céder à un certain misérabilisme et j’en profite pour saluer des programmes tels qu’« Action cœur de ville », qui me paraît une excellente initiative gouvernementale pour revitaliser les centres-villes et centres-bourgs.
En matière de politique commerciale, nos entreprises ont toujours un besoin criant de soutien à l’export. Nous devons beaucoup plus nous inspirer de l’exemple de nos voisins allemand et italien, qui comptent de nombreuses entreprises exportatrices, avec une balance commerciale nettement plus positive que la nôtre. La mise en place de « Team France Export », visant à mieux coordonner les actions de Business France, des chambres consulaires et des régions, est un pas dans la bonne direction. Encore faudra-t-il renforcer notre tissu industriel, structurellement relativement affaibli par rapport à celui de pays comme l’Allemagne et même l’Italie, dont la production industrielle est supérieure à la nôtre.
Le devenir des chambres de commerce et d’industrie, ou CCI, a déjà été évoqué hier, à la fin de l’examen de la première partie du projet de loi de finances. À propos de la réforme en cours, il aurait été souhaitable d’accorder un délai de restriction budgétaire plus long, afin que les CCI puissent mieux préparer leur mutation.
J’en viens maintenant au très haut débit. La couverture du territoire en très haut débit, dans le cadre du programme 343, reste un point d’attention. En la matière, nous faisons face à un véritable enjeu d’aménagement du territoire, qui doit être plus étroitement associé à d’autres dimensions, comme la politique des transports, qui sera abordée prochainement, au travers du projet de loi d’orientation des mobilités, ou encore la politique du logement.
Avec la première superficie d’Europe de l’Ouest, la France est un grand pays – pas seulement par la surface, d’ailleurs –, avec une population fortement concentrée en Île-de-France et dans les autres grands centres urbains, raison pour laquelle les questions d’aménagement, notamment d’aménagement du territoire, y sont plus aiguës qu’ailleurs.
Enfin, en ce qui concerne la reprise d’entreprises, il paraît important de donner au Fonds de développement économique et social, le FDES, des marges de manœuvre plus importantes, sans nécessairement recourir à la loi de finances. En effet, la rapidité des décisions est déterminante dans ce domaine. Les avances attribuées par l’État à des entreprises comme Presstalis ou Ascoval, même si elles ne représentent qu’une part limitée du financement de la reprise, peuvent constituer le « coup de pouce » nécessaire au succès de l’opération. C’est pourquoi le FDES doit avoir les moyens de se montrer le plus réactif possible. À cet égard, je ne suis pas favorable à ce que l’on réduise sa marge de manœuvre, en la faisant passer de 10 millions à 5 millions d’euros, sans intervention législative.
En conclusion, le groupe du RDSE apporte son soutien à l’adoption des crédits de la mission, en espérant que ses amendements seront adoptés. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Valérie Létard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le vice-président de la commission, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la mission « Économie » rassemble les programmes et les administrations qui ont pour objet d’encourager l’emploi, la compétitivité, les exportations, la concurrence et la protection des consommateurs. Elle est composée de quatre programmes, dont le récent programme « Plan France Très haut débit », qui devrait financer la couverture intégrale du territoire en internet fixe à très haut débit d’ici à 2022.
Cette mission est stratégique à plus d’un titre.
D’abord, elle doit être accompagnée d’une vraie réflexion sur le rôle de l’État dans l’économie. Un État stratège, dans une économie mondialisée, doit savoir associer volontarisme politique et libération des énergies. Il doit accompagner les mutations du monde du travail, sans laisser un seul travailleur au bord du chemin.
Nous ne pouvons pas nous résigner à la chute vertigineuse de l’emploi industriel que nous connaissons depuis quelques années. À cet égard, cette mission devrait être une mission de reconquête : je crois profondément que, sans tissu industriel robuste, il n’est pas de puissance commerciale. Par exemple, les excédents titanesques de l’Allemagne sont le fruit de politiques de long terme pour renforcer le Mittelstand, le puissant réseau de petites et moyennes entreprises – les PME – et d’entreprises de taille intermédiaire – les ETI – allemandes.
Si la France est encore le sixième exportateur mondial de biens et de services, pour un moment équivalent à près de 30 % de son produit intérieur brut, les chiffres du commerce extérieur ne sont pas à la hauteur des attentes depuis quelques années. Le solde des échanges de biens a baissé de près de 30 % en quatre ans. Le déficit commercial de la France s’est creusé continûment depuis le début de l’année et atteint 48 milliards d’euros sur neuf mois. Comme l’année dernière, le chiffre est abyssal et extrêmement inquiétant.
Dans ce contexte, nous ne pouvons que regretter que les ajustements budgétaires relatifs à la mission « Économie » portent, une fois encore, sur le soutien aux PME. Entre 2015 et 2017, les aides concernées affichent, après retraitement, une baisse de près de 20 %. Cette évolution est surprenante dans le contexte dégradé que je vous ai décrit.
Je rappelle que la France ne compte que 125 000 entreprises exportatrices, la plupart étant de grands groupes et des ETI. En Allemagne, ce chiffre atteint 350 000, avec une majorité de PME. Nous devons prendre en compte ce retard criant, dont le comblement devrait être une priorité. Ce sont les grosses PME et les ETI qui peuvent nous faire gagner des parts de marché à l’international. Je vous proposerai donc d’adopter un amendement visant à soutenir l’activité d’accompagnement de nos PME par Bpifrance, qui est cruciale pour l’avenir.
J’en viens à la question de l’État actionnaire. Nous devrions là aussi avoir un vrai débat, sur le rôle et les missions qu’il doit avoir aujourd’hui.
Nous rejoignons le Gouvernement quant à sa volonté de mettre le patrimoine de l’État au service de la reconquête industrielle et de l’innovation, mais nous serons vigilants sur le suivi des cessions d’Aéroports de Paris et de la Française des jeux. Nous ne voulons pas d’un bradage des intérêts patrimoniaux de l’État. Il faudra que les sommes levées abondent réellement le fonds pour l’innovation et l’industrie et que celui-ci soit utilisé à bon escient.
Pour terminer, je m’attarderai sur le plan France Très haut débit.
Lors de la Conférence nationale des territoires du 17 juillet 2017, le Président de la République s’est engagé sur l’objectif d’une couverture du territoire en haut débit d’ici à 2020 et en très haut débit d’ici à 2022.
Aujourd’hui, soit un an et demi plus tard, il semble que nous sommes assez loin du compte pour la France rurale : seuls 31,2 % des ménages et locaux professionnels ont accès au très haut débit en zone rurale. La réussite du plan est pourtant essentielle pour nos concitoyens, pour nos entreprises et pour l’accès à des services publics de plus en plus dématérialisés.
Pour conclure, l’effort sur les crédits de cette mission stratégique pourrait être plus important. Nous sommes d’accord sur le fait qu’il faut mieux évaluer les aides aux entreprises et ne pas les saupoudrer, mais les crédits attestent d’un manque d’ambition pour nos PME.
C’est la raison pour laquelle notre groupe s’abstiendra.
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, 82 %, c’est la proportion d’entreprises étrangères qui jugent que la France est un pays où il faut investir en 2018, contre 23 % en 2014.
Non seulement l’opinion des investisseurs étrangers sur la France s’améliore, mais, en plus, leurs intentions se concrétisent. Il faut le dire, les chiffres de l’attractivité et des investissements étrangers en France sont les meilleurs depuis deux quinquennats : le nombre d’investissements industriels étrangers en France a bondi de 52 %.
Pourtant, il reste beaucoup à faire pour renforcer la compétitivité de notre pays.
Quand je dis « compétitivité », il ne faudrait pas que les plus interventionnistes d’entre nous entendent « thatchérisme » ou pensent au scénario d’un film de Ken Loach. « Compétitivité » ne signifie pas dérégulation, abandon du politique au profit de l’économie, services publics vendus. J’en veux pour preuve que les classements mondiaux placent la France après la Finlande ou la Suède, pays dont on ne peut pas dire qu’ils aient des services publics déficients.
Les mesures qui constituent la stratégie économique du Gouvernement dessinent un modèle plus durable, plus efficace, plus attractif – en fait, plus en phase avec l’économie du XXIe siècle.
Il s’agit tout d’abord de transformer notre modèle fiscal, en diminuant la fiscalité du capital et celle qui pèse sur les entreprises. Ce sujet a été abandonné par la majorité sénatoriale, qui n’en parle jamais, mais les prélèvements obligatoires sur les entreprises baissent, cette année, de 19 milliards d’euros. Le crédit d’impôt recherche est sanctuarisé, des suramortissements sont mis en place pour les dépenses d’innovation, la fiscalité du capital est allégée. Ces décisions s’expliquent par une raison simple : nous sommes dans l’économie du numérique, et celle-ci a besoin de capital. Or on compte 133 robots en moyenne par habitant en France, contre 190 en Italie et plus de 300 en Allemagne !
Cependant, pour renforcer la compétitivité des entreprises, il faut aussi des efforts de rationalisation, car il n’y aura pas de croissance durable sans réduction des dépenses publiques. C’est le sens de la trajectoire de baisse de la fiscalité affectée aux chambres de commerce et d’industrie. En concentrant celles-ci sur leur cœur de mission – l’appui aux entreprises, la formation initiale et la représentation des entreprises –, cette transformation donne de la visibilité aux chambres plutôt qu’aux coups de rabot antérieurs. En parallèle, on baisse la fiscalité sur les entreprises. Cela est cohérent.
Mieux faire, c’est aussi réformer la présence de l’État. Le programme 134 présente une refonte de la présence territoriale et des missions des conseils, directions et autorités administratives indépendantes, à l’image de la présence de la direction générale des entreprises en région, dont la mission est clarifiée : elle se voit chargée de l’accompagnement des entreprises en difficulté, du développement des filières stratégiques et du soutien à l’innovation.
La stratégie économique du Gouvernement marque aussi un tournant. Il est temps de prendre des décisions claires et de les expliquer. Les décisions sont acceptées si elles sont justes ! Les Français ne veulent pas moins de services publics lorsqu’ils demandent moins d’impôts : ils demandent la suppression de dispositifs inefficaces ou qui n’ont plus leur place dans l’économie d’un pays comme la France au XXIe siècle.
Quel modèle se dessine derrière ces mesures ? C’est un modèle qui repose sur la conviction que le pays se portera mieux si les entreprises créent de la valeur et de l’emploi. C’est aussi un modèle dans lequel la création d’emploi est considérée comme le meilleur moyen de sortir les Français de la pauvreté, alors que le taux de pauvreté s’établit à 37 % chez les chômeurs, ce qui est inacceptable. Je suis d’avis, comme Gilles Saint-Paul, que le chômage de masse de ces dernières décennies correspondait à un équilibre politique : si le chômage a persisté à des niveaux élevés, c’est qu’il n’y avait pas de majorité politique pour une réforme du marché du travail.
Que fait le Gouvernement ? Il agit sur le marché du travail. Il engage une révolution copernicienne avec l’activation des dépenses d’emploi : 2,5 milliards d’euros seront ainsi investis dans les compétences pour traiter en profondeur les causes du chômage et sortir de la logique de guichet.
M. Philippe Dallier. Attendons les résultats !
M. Julien Bargeton. On ne réforme pas en un an et demi ce qui aurait dû être réformé depuis vingt ans !
M. Philippe Dallier. Certes, mais le temps passe !
M. Julien Bargeton. Réduire les trappes à chômage et à pauvreté, c’est aussi valoriser le travail. Avec l’augmentation de la prime d’activité, c’est un budget de 6 milliards d’euros qui est sanctuarisé.
Enfin, la compétitivité ne signifie pas des services publics au rabais. Elle implique, au contraire, des « services publics du XXIe siècle » ! Les décors de la salle des conférences du Palais du Luxembourg, où siège le Sénat, nous rappellent les progrès du XIXe siècle, notamment l’électrification du territoire. Aujourd’hui, l’enjeu n’est pas d’installer des lignes électriques sur l’ensemble du territoire ; il est de connecter tous les foyers au haut débit. De fait, l’inégal accès au haut débit est la première des injustices, et elle est territoriale.
Le programme 343 de la mission « Économie » porte la couverture du territoire en très haut débit à 100 % d’ici à 2022. Ce plan est couplé à une accélération du déploiement de la 4G. Malgré les critiques sur les plans successifs, le manque de moyens ou la stratégie menée, qui ne correspondait pas aux réalités des territoires, il a fallu attendre 2018 pour que l’État engage, avec les opérateurs téléphoniques, une démarche visant à mettre fin aux zones blanches. Les opérateurs vont ainsi investir 3 milliards d’euros pour mettre un terme à ce qui constituait la plus grande des injustices territoriales.
Mes chers collègues, si l’avenir est imprévisible, il se prépare. Il se prépare avec une stratégie claire, cohérente, tournée vers la création de valeurs et vers l’emploi. (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vais utiliser les quatre petites minutes qui m’ont été allouées pour aborder la question importante de la stratégie industrielle de l’État, qui devrait être au cœur des crédits de la mission « Économie », et je vais le faire en évoquant une opération à 10 milliards d’euros.
Dans leur récent rapport d’information, nos collègues Martial Bourquin et Alain Chatillon appellent l’État à renouveler sa vision stratégique en faveur de l’industrie. Nous souhaitons, avec eux, la redynamisation de l’outil actionnarial de l’État.
Dans ce cadre, la vente d’Aéroports de Paris, d’Engie et de la Française des jeux nous paraît un mauvais choix, dont la performance sera médiocre pour financer le soutien de l’innovation qui fera l’économie de demain. Au demeurant, madame la secrétaire d’État, nous souscrivons au constat que ce financement est nécessaire et urgent.
Cependant, cette opération est opaque et aucune explication fournie jusqu’ici par les membres du Gouvernement interrogés n’a été de nature à nous convaincre de sa pertinence. Contrairement à ce qui a été annoncé au départ, ce ne sont pas 10 milliards d’euros qui vont être affectés au soutien à l’innovation, mais le produit des dividendes générés par le placement des actions que vous allez vendre.
Madame la secrétaire d’État, comment justifiez-vous que le placement de ces 10 milliards d’euros produira, au mieux, un rendement de 250 millions d’euros, alors que, aujourd’hui, en prenant appui sur les chiffres les plus bas des années passées, les actions publiques des trois entreprises concernées ont rapporté à l’État de 850 millions d’euros, comme en 2017, à 1,5 milliard d’euros, comme en 2012, soit autour de 1 milliard d’euros en moyenne, ce qui en fait des placements exceptionnellement profitables ?
Certes, vous allez réintégrer immédiatement 10 milliards d’euros, ce qui vous évitera peut-être de passer le cap symbolique des 100 % de PIB de dette publique. Mais quelle est la vraie logique de cette opération de vente et d’abandon de fleurons nationaux ? À qui profite-t-elle vraiment ?
Dans ces conditions d’incertitude et de risques, nous ne sommes pas favorables à ces privatisations. Pour éviter de revivre la calamiteuse opération de 2005 concernant les autoroutes, il faut que le produit des ventes de ces trois entreprises soit au moins égal à la somme, actualisée sur la très longue période, du produit des dividendes auxquels l’État va renoncer.
À cet égard, comment comptez-vous procéder et quels sont vos objectifs ? Rien dans les crédits de la mission ne nous permet de l’appréhender.
Toujours sur ce sujet des privatisations, vous avez annoncé envisager de monter au capital d’EDF dans le cadre de la donne nouvelle qu’induit la programmation pluriannuelle de l’énergie et la montée en charge indispensable des énergies renouvelables. La grande entreprise qu’est EDF ne doit pas être sacrifiée comme l’ont été d’autres secteurs de la production industrielle française dans le passé.
Ce qui s’est passé avec Alstom et AREVA, par exemple, nous fait craindre l’amorce d’un démantèlement de la filière nucléaire intégrée française.
Il y va de notre souveraineté nationale, du rôle et de la place géopolitique de la France en Europe et dans le monde de l’énergie. Il y va aussi du savoir-faire de très haut niveau des titulaires de centaines de milliers d’emplois directs et indirects.
Faute, à ce stade, de clarté dans votre stratégie, les inquiétudes sont fortes. Va-t-on vers un démantèlement de l’entreprise, aujourd’hui intégrée, et une revente à la découpe ? Je pense, par exemple, à RTE. Quelle place reviendra aux énergies renouvelables, à côté du nucléaire et de l’hydraulique ? Et, en lien direct avec le budget pour 2019, quel sera le niveau des nouvelles prises de participation et comment seront-elles financées dans le contexte que nous constatons, celui d’un endettement fort qui continue à s’accroître tendanciellement ?
Les réponses que vous apporterez à ces différentes questions, madame la secrétaire d’État, et le sort qui sera réservé à nos amendements détermineront le vote de notre groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis. Excellent !
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme la plupart des pays développés, la France a été confrontée, ces dernières décennies, à la désindustrialisation de son économie, la part de l’industrie dans le produit intérieur brut passant de 24 % en 1980 à 12,6 % en 2016. Depuis l’an 2000, 25 % de l’emploi industriel a disparu.
Si ce phénomène a plusieurs origines, l’État doit se donner les moyens d’accompagner efficacement son industrie et les territoires et se comporter en véritable stratège.
À cet égard, la mission « Économie » de ce projet de loi de finances a de quoi nous laisser dubitatifs. Sous couvert de rationalisation des aides aux entreprises, la tendance constatée par l’ensemble de nos rapporteurs est celle d’un désengagement de l’État. En effet, si les engagements du plan France Très haut débit sont à saluer, ils doivent néanmoins être accélérés, et de nombreuses inquiétudes perdurent par ailleurs.
Les autorisations d’engagement chutent de 17 % par rapport à 2018. Près de la moitié des crédits de la mission sont désormais consacrés à des dépenses de personnel. Moins d’un euro sur trois est réellement dédié à des dépenses d’intervention.
Ce projet de loi de finances obère très nettement la stabilité du réseau des chambres de commerce et d’industrie, acteurs majeurs de l’accompagnement de proximité des entreprises, alors que le Gouvernement s’était engagé à garantir la stabilité de leurs ressources affectées. Le débat a eu lieu dans notre assemblée lors de l’examen de l’article 29. Je salue le vote du Sénat, qui a supprimé la baisse des ressources affectées aux CCI.
Que comprendre de la gestion extinctive du FISAC, alors même que celui-ci constitue un outil d’intervention ponctuelle et ciblée, dans un objectif de rééquilibrage et de complémentarité avec les actions locales ? À ce titre, nous saluons bien évidemment la position de la commission des affaires économiques et soutiendrons l’amendement tendant à abonder les crédits du FISAC de 30 millions d’euros en autorisations d’engagement.
Derrière ces éléments, il y a bien la crainte que l’État stratège ne soit pas au rendez-vous. Or notre stratégie industrielle en dépend. Nous devons marcher sur nos deux jambes, à savoir l’investissement et le fonctionnement, auxquelles s’ajoute l’accompagnement. Nous devons définir une stratégie industrielle à déployer dans les territoires.
D’ailleurs, alors que M. le Premier ministre a lancé un plan en faveur des « Territoires d’industrie », je ne comprends pas la logique du Gouvernement, qui propose, dans le même temps, une diminution drastique – de 50 millions d’euros – des moyens dédiés au FDES. Pour être venue nous rendre visite dans le Valenciennois, vous comprenez ce que cela veut dire, madame la secrétaire d’État !
Mes chers collègues, je vous proposerai d’adopter un amendement visant à abonder ce fonds, qui est un outil complet, permettant, dans le cadre de l’aménagement du territoire, de favoriser le développement économique et social d’une aire géographique et de soutenir des projets modernes, innovants et préparant la restructuration industrielle de la filière de l’acier. Ascoval en est un exemple. M. le ministre Bruno Le Maire a d’ailleurs eu l’occasion de visiter cette entreprise, dont il a pu constater qu’elle était pleinement entrée dans le XXIe siècle.
Nous devons garantir les moyens d’intervention lorsqu’il y a un projet économique.
Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement affirme que sa stratégie industrielle vise à maintenir une industrie d’avenir en état de marche, organisée, innovante, capable de se transformer et de prendre en compte la nécessité de la numérisation et tous les enjeux de la mondialisation. Il ne faut pas, pour autant, faire fi de tout un pan de notre industrie ! On doit produire dans les territoires de notre pays, et il faut s’en donner les moyens.
Les collègues qui m’ont précédée dans la discussion générale ont bien montré que l’ambition d’une stratégie industrielle forte avec les territoires était réaliste, à condition que l’État soit aux côtés de ces derniers, notamment des régions. Il ne s’agit pas de leur déléguer les financements !
C’est parce que l’État sera au rendez-vous budgétaire, aux côtés des régions et de l’Europe, que nous y arriverons. Il ne faudrait pas jouer aux chaises musicales ! L’État ne peut, à la fois, définir des « territoires d’industrie » et demander aux présidentes et aux présidents de région de reprendre le flambeau financier. C’est l’addition des outils et des moyens, sous-tendue par une vision stratégique, qui fera la réussite de nos politiques industrielles.