Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. À mes yeux, l’amendement n° I-616 ne peut se concevoir sans les amendements suivants, à savoir l’amendement n° I-1030 du Gouvernement et l’amendement n° I-735 rectifié de Mme Lamure. Parmi ces deux amendements visant le pied de facture, je vous expliquerai, mes chers collègues, pourquoi je préférerais que nous adoptions celui de Mme Lamure.
Pourquoi, concrètement, avons-nous réalisé une distinction entre les entreprises suivant leur taille ? C’est parce que les grands groupes et, sans doute, les entreprises de taille intermédiaire – celles qui ont des services juridiques quelque peu structurés – seront en mesure de profiter du dispositif relatif au pied de facture.
Tel n’est pas le cas des PME. N’oublions pas que cela concerne aussi une entreprise de maçonnerie de trois salariés ! Il faut aussi garder en tête le type de client de ces petites entreprises. Prenons le cas d’une entreprise totalement artisanale dans un village qui subit la hausse du gazole non routier qu’elle utilise pour son groupe électrogène : même si le pied de facture peut être changé, ce serait faire subir cette hausse à son client final, un pauvre particulier lié par un devis. La situation est totalement différente quand les entreprises traitent avec de grands donneurs d’ordre, par exemple dans le domaine des travaux publics.
C’est la raison pour laquelle nous avons voulu faire adopter ce dispositif en faveur des PME ; il ne se comprend qu’en combinaison avec les amendements qui vous seront présentés dans un instant.
Par ailleurs, j’aurais aimé avoir plus de temps pour examiner le dispositif proposé par le Gouvernement. Nous aurions pu l’amender, l’améliorer et, éventuellement, relever le seuil.
Si nous avons choisi de limiter l’effet de cet amendement aux entreprises de moins de 250 salariés, c’est uniquement pour des raisons de sécurité juridique. Je partage en effet totalement l’opinion de notre collègue Emmanuel Capus : comme d’autres encore, je pense qu’un problème se pose, non seulement pour les PME, mais aussi pour les ETI.
Simplement, en dessous de 250 salariés, du fait de la règle de minimis, il n’est pas nécessaire de notifier ce régime à la Commission européenne ; au-dessus, seul le Gouvernement peut décider d’un tel dispositif, car il devrait en donner notification.
Pour ma part, je souhaite que le Gouvernement examine s’il peut aménager le dispositif pour couvrir au moins les PME. Je ne sais en revanche si l’on pourrait aller au-delà de 250 salariés sans tomber dans le régime des aides d’État. Du moins, je sais qu’il n’y a en général pas de problème si l’on ne traite que des PME au sens communautaire.
Il n’en est pas moins vrai que, comme notre collègue l’a exprimé, la France a besoin d’ETI. Or ces entreprises vont souffrir de ces hausses de fiscalité. J’ai donc bien conscience que l’amendement que je vous propose vise a minima la sécurité juridique, notamment vis-à-vis des règles européennes. J’estime en revanche que le Gouvernement ferait bien de s’en inspirer pour améliorer son dispositif et relever les seuils.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° I-1030, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
VII. – Fait l’objet de plein droit d’une majoration le prix des contrats, à hauteur de leur part exécutée en recourant exclusivement à du gazole pour lequel le niveau de taxe appliqué est celui prévu à l’indice 22 du tableau du second alinéa du 1° du 1 de l’article 265 du code des douanes, répondant aux conditions cumulatives suivantes :
1° Le contrat est en cours au 1er janvier 2019 et sa durée est supérieure à trois mois ;
2° L’exécution du contrat nécessite le recours à du gazole pour les usages arrêtés en application du 1 de l’article 265 B du code des douanes, dans sa rédaction antérieure à la présente loi, autres que ceux mentionnés à l’article 265 octies A du code des douanes ou relevant des travaux agricoles ;
3° Le contrat est conclu par des entreprises exerçant une activité pour laquelle la part du gazole mentionné au 2° du présent VII, représentait, avant le 1er janvier 2019, au moins 2 % des coûts de production ;
4° Le contrat ne comporte pas de clause de révision de prix incluant le gazole mentionné au 2°.
Cette majoration est définie, pour chaque activité, par l’application d’un coefficient fixé en fonction de l’impact sur les coûts de production de l’application au gazole mentionné au 2° du présent VII de la différence entre le tarif de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques prévu pour l’année 2019 pour le gazole identifié par l’indice 22 du tableau B du 1 de l’article 265 du code des douanes, dans sa rédaction résultant de la présente loi, et celui prévu pour la même année pour le gazole identifié par l’indice 20 du tableau B de l’article 265 du code des douanes, dans sa rédaction antérieure à la présente loi.
La liste des activités mentionnées au 3° du présent VII ainsi que les coefficients de majoration applicables pour chacune de ces activités sont fixés par arrêté conjoint du ministre chargé de l’économie et des finances et du ministre chargé du budget.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Conformément aux engagements pris par le Gouvernement pour accompagner la transition écologique, cet amendement a pour objet de limiter l’impact de cette mesure pour les contrats en cours dont la durée d’exécution est supérieure à trois mois, dès lors que les entreprises concernées exercent des activités pour lesquelles l’utilisation du gazole non routier est significative, c’est-à-dire lorsqu’il représente en pratique au moins 2 % des coûts de production.
Toutefois, seuls les contrats ne comportant pas de clause de révision des prix incluant le gazole non routier sont concernés. En effet, en l’absence d’une telle clause, les cocontractants ne peuvent pas ajuster le prix de leur contrat aux fluctuations des coûts de production.
La préservation, pour ces entreprises, de l’équilibre économique résultant de ces contrats nécessite donc la mesure d’accompagnement contenue dans cet amendement. Elle s’appliquera, notamment, à de nombreuses activités exercées par des entreprises et, en particulier, par les TPE et les PME appartenant au secteur des travaux publics.
C’est le cas des travaux de terrassement et de fondations, ainsi que des travaux routiers, ferroviaires, maritimes et fluviaux, toutes activités pour lesquelles l’utilisation du gazole non routier représente plus de 2 % des coûts de production. Il en est de même s’agissant des entreprises appartenant au secteur de l’industrie extractive, que nous avons évoqué tout à l’heure.
Pour rappel, le secteur des travaux publics en particulier est constitué à 98 % de TPE et de PME ; le taux de marge moyen de ces entreprises est de l’ordre de 2 %. Pour certaines activités, le surcoût de gazole induit par la suppression du tarif réduit est donc potentiellement supérieur au résultat net de l’entreprise ; d’où cette mesure de précaution et d’accompagnement.
La liste des activités concernées, ainsi que les coefficients de majoration destinés à prendre en compte l’impact de la différence de la fiscalité sur les coûts de production, seront fixés par arrêté et seront établis à partir des éléments statistiques de l’INSEE.
Mme la présidente. L’amendement n° I-735 rectifié, présenté par Mmes Lamure et Primas, M. Bas, Mme Estrosi Sassone, MM. Mouiller, Bascher et Sido, Mme Micouleau, M. Brisson, Mme Lassarade, M. Reichardt, Mme Chain-Larché, MM. Cardoux et Kennel, Mme Di Folco, MM. Revet, Chevrollier et Lefèvre, Mme Deromedi, M. Piednoir, Mmes Morhet-Richaud et Imbert, M. Babary, Mme Gruny, MM. Mayet, Bonne et Longuet, Mmes Chauvin et Bonfanti-Dossat, MM. B. Fournier, del Picchia, Karoutchi et Priou, Mme Canayer, MM. Cuypers, de Nicolaÿ, Retailleau, J.M. Boyer, Rapin, Magras et Mandelli, Mme Bories et MM. Pierre et Pellevat, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Pour prendre en compte l’impact sur les contrats en cours de la suppression à compter du 1er janvier 2019 du tarif réduit de taxe intérieure de consommation sur les carburants sous conditions d’emploi dont bénéficiaient les entreprises industrielles, le prix des prestations contractuellement défini avant le 1er janvier 2019 fait l’objet de plein droit d’une majoration lorsque lesdits contrats ne comportent pas déjà de clause de variation de prix.
Cette majoration résulte de l’application d’un taux qui varie en fonction de la pondération des carburants sous conditions d’emploi dans les coûts de production de chaque secteur d’activité.
Le taux propre à chaque secteur mentionné au deuxième alinéa est fixé par arrêté du ministre chargé de l’économie.
La majoration prévue au présent paragraphe est uniquement applicable aux contrats en cours au 1er janvier 2019. Elle ne s’applique pas aux contrats conclus après cette date.
La facture établie par l’entreprise industrielle fait apparaître la majoration instituée par le présent paragraphe.
La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. Mes chers collègues, nous sommes tout de même en train de légiférer dans une totale confusion !
Nous avons accepté, pour des raisons d’équilibre budgétaire, de ne pas supprimer cette fin d’exonération. C’est extrêmement douloureux : on voit bien que des secteurs d’activité entiers vont d’un coup être affectés et que la taille des entreprises importe. Néanmoins, nous allons poursuivre notre travail, conformément à nos engagements pris tout à l’heure, en soutenant M. le rapporteur général.
C’est dans cet esprit que je vous présente cet amendement déposé par Mme Lamure et un grand nombre de nos collègues. Il vise à permettre aux entreprises industrielles ayant des contrats en cours d’anticiper le surcoût que représentera la fin d’exonération du GNR en les autorisant à revaloriser leurs factures.
Cet amendement a été présenté au sein du package de M. le rapporteur général. Cela dit, nous sommes en pleine confusion, ce qui n’inspire pas confiance quant aux annonces qui seront faites demain par le Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. En défendant son amendement, le Gouvernement reconnaît objectivement qu’il se pose un vrai problème. Il est obligé d’inventer un mécanisme de répercussion sur les prix, compte tenu de la brutalité de la suppression de cette exonération.
Certes, comme je l’ai indiqué, un certain nombre de contrats en cours comportent d’emblée des clauses d’indexation et ne sont donc pas concernés ; je pense notamment aux grandes entreprises du BTP, qui ont sans doute des contrats bien faits. En revanche, pour d’autres entreprises, ce type de dispositions sera utile.
Mes chers collègues, pourquoi vous proposè-je d’adopter l’amendement de Mme Lamure, plutôt que celui du Gouvernement ? Parce que, à le regarder de près, le dispositif gouvernemental est une véritable usine à gaz ! L’entreprise ne pourrait répercuter la hausse de prix qu’à condition que cette dernière représente au moins 2 % des coûts de production. Il faudra l’établir : il y aura discussion, éventuellement contrôle, contestation par l’administration, etc. Je ne sais pas comment, dans certains cas, on pourra établir cette preuve. Ce dispositif extrêmement complexe donnera donc lieu, une fois encore, à de la paperasse ! Notre pays suradministré subira encore des discussions à l’infini.
Pour ma part, j’estime que, dès lors qu’il y a un contrat et que la fin de cette exonération représente une hausse des coûts de production, il vaut mieux un dispositif simple.
Le Gouvernement reconnaît qu’un vrai problème se pose pour les secteurs d’activité qui utilisent du GNR. Dès lors, ayons un dispositif simple : on peut répercuter cette hausse, dans ce cas, sur les contrats en cours dès lors qu’ils ont une durée importante.
Tel est l’objet de l’amendement n° I-735 rectifié, sur lequel la commission a émis un avis favorable. En revanche, elle est défavorable, en raison de sa complexité, à l’amendement n° I-1030 du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° I-735 rectifié ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Notre opinion est contraire à celle que vient d’exprimer M. le rapporteur général : nous considérons que le dispositif que nous proposons est mieux étayé juridiquement.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° I-735 rectifié.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. Je partage complètement l’avis de M. le rapporteur général. Il faut arrêter de complexifier, monsieur le secrétaire d’État ; il faut arrêter de faire subir des charges de fonctionnement à notre pays, qui croule déjà sous les taxes ! L’avantage de l’amendement de Mme Lamure est qu’il est clair et net. Même s’il n’est pas entièrement satisfaisant, il s’agit – je reprends les propos de Mme Primas – du moindre mal.
En revanche, monsieur le secrétaire d’État, vous n’avez toujours pas répondu à mes questions sur votre amendement : sur quel fondement faites-vous ces propositions ? Quelles répercussions de cette hausse de fiscalité envisagez-vous ? Comment les estimez-vous, dans chaque filière ?
Le dispositif proposé par Mme Lamure a au moins le mérite de permettre aux entreprises de répercuter cette hausse sur les factures et ainsi de sauver ce qu’elles peuvent sauver.
Nous sommes en train de nous tirer tout doucement une balle dans le pied ! Au cours des auditions que j’ai menées, je me suis rendu compte que le coût énergétique importe, puisqu’il s’agit, à l’échelle européenne, de secteurs d’activité très concurrentiels. Or ces coûts sont en France largement supérieurs à la moyenne. Cette hausse va donc représenter un élément de distorsion de la concurrence, qui pénalisera nos entreprises dans certains secteurs.
C’est pourquoi, monsieur le rapporteur général, je vous sais gré d’avoir fait savoir au Gouvernement qu’il faudrait peut-être aller au-delà des PME dans l’aide apportée aux entreprises dans certains secteurs identifiés comme risquant de tels effets de distorsion de concurrence.
Cela dit, je soutiendrai complètement l’amendement de Mme Lamure.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Cela fait près de deux heures que nous discutons de cet article, et tout cela pour en arriver à la conclusion de Mme Primas : on a des regrets, c’est douloureux, et tout finit dans la confusion !
Pour notre part, mes chers collègues, nous ne pouvons que regretter votre changement de pied : si vous aviez conservé la ligne qui était la vôtre à l’origine, à savoir voter la suppression de cet article, nous n’en serions pas là et nous aurions rendu bien des services aux entreprises concernées, en particulier aux PME de secteurs aussi fragiles que le bâtiment, les travaux publics, le paysagisme, ou d’autres encore que vous connaissez et dont les représentants dans vos départements vous ont d’ailleurs saisis.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Vous n’avez pas lu l’amendement !
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Je pense, au contraire de notre excellent collègue Didier Marie, qu’il a été utile de débattre de cet article. En fait, nous avons fait œuvre de pédagogie envers M. le secrétaire d’État, afin qu’il puisse mieux comprendre pourquoi nous sommes complètement hostiles au dispositif qu’il propose.
Ce dispositif est en effet inapplicable. Vous nous présentez, monsieur le secrétaire d’État, un amendement aux termes duquel, dans certaines circonstances, certaines entreprises devraient pouvoir bénéficier d’un petit peu de considération. Mais ce sont toutes les entreprises qui se trouvent dans cette situation, au regard de leur situation concurrentielle ! Le fond du problème est que l’on ne peut pas toujours répercuter une telle hausse sur son client, car celui-ci a une réponse simple à sa disposition : aller voir ailleurs !
Je veux vous en donner un exemple, tiré de mon intérêt pour les ports, notamment pour celui du Havre. Dans les ports belges, le litre de gazole est taxé à hauteur de 5 centimes. Il le sera bientôt à hauteur de 64 centimes dans les ports français, qui sont en concurrence avec les ports néerlandais et belges. L’impact est donc considérable !
M. Jérôme Bascher. Eh oui !
M. Gérard Longuet. Mme Goulet rappelait quant à elle, avec raison, qu’il n’y a pas de rente de situation pour ce qui concerne l’exploitation des carrières en France : tout circule et tout peut venir d’ailleurs.
Vous allez vous en apercevoir, monsieur le secrétaire d’État, quand vous déstabilisez un secteur, de demande reconventionnelle en demande reconventionnelle, votre système ressemble vite à une peau de léopard ! Déjà, l’Assemblée nationale a obtenu un régime particulier pour les data centers. Ceux d’entre nous qui en hébergent sur leur territoire en seront ravis, mais je vous fiche mon billet que nous serons tous d’excellents avocats pour expliquer, d’amendement en amendement, à chaque rendez-vous parlementaire, que cette hausse de fiscalité nuit gravement à la santé du secteur d’activité qui nous concerne directement.
Ce débat nous a apporté la démonstration que l’article 19 de ce projet de loi de finances est économiquement absurde et qu’il affaiblira sans doute nos entreprises, ce qui se traduira par des pertes d’emploi : ce n’est sans doute pas, monsieur le secrétaire d’État, ce que vous vouliez à l’origine ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour explication de vote.
M. Emmanuel Capus. Je voterai pour ma part en faveur de l’amendement de Mme Lamure, parce que c’est mieux que rien !
En revanche, pour répondre à notre collègue Gérard Longuet, cela signifie que nous avions totalement la possibilité, tout à l’heure, de voter la suppression de l’article 19. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérard Longuet. Le débat n’aurait pas eu lieu et on nous aurait traités de démagogues !
M. Rachid Temal. Mais non !
M. Emmanuel Capus. Nous avons parfois ainsi supprimé des articles entiers, sans que cela vous dérange. Aujourd’hui, manifestement, d’autres raisons s’y opposent, dont je n’ai pas compris exactement la nature. En tout cas, ce n’est pas l’enjeu de la neutralité du Sénat qui a motivé cette décision.
Si l’amendement de Mme Lamure est adopté, voilà quelle sera la situation. D’un côté, les grandes entreprises dotées d’un service juridique pourront répercuter sur leurs clients l’augmentation des coûts. Surtout, pourront le faire les entreprises qui ont des clients capables de payer le surcoût. Sur ce point, mon cher collègue, je suis d’accord avec vous : une entreprise, c’est d’abord quelqu’un qui a un client.
M. Gérard Longuet. En général ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Emmanuel Capus. Il s’agira donc, la plupart du temps, des entreprises dont les clients sont les collectivités territoriales. Celles-ci sont en effet, malheureusement, parfois moins regardantes sur la hausse des coûts.
De l’autre côté, du fait de l’adoption de l’amendement n° I-616 de M. le rapporteur général, les PME seront extrêmement compétitives, puisqu’elles n’auront pas à subir la hausse de la fiscalité sur le GNE.
Demeurent entre les deux des entreprises dont la clientèle est incapable de payer ce surcoût et qui n’ont pas nécessairement de service juridique. Une entreprise de 260 salariés n’a en effet ni service support ni service juridique. Les ETI resteront donc dans un no man’s land : elles ne pourront pas répercuter cette hausse sur leurs clients et seront en concurrence avec les petites entreprises devenues ultracompétitives.
Voilà le système que nous allons mettre en place : en adoptant l’amendement de Mme Lamure, nous allons finir de fermer la nasse autour des ETI !
Mme la présidente. L’amendement n° I-1022 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
VII. – A. – À compter du 1er janvier 2019, la distribution et la consommation du gazole coloré et tracé en application du 1 de l’article 265 B du code des douanes, autre que le fioul domestique, quelle que soit la date à laquelle la taxe est devenue exigible pour ce produit, sont interdites pour des utilisations qui ne sont pas éligibles au tarif prévu à l’indice 20 du tableau du second alinéa du 1° du 1 de l’article 265 du code des douanes, dans sa rédaction résultant de la présente loi. Toutefois, pour les utilisations arrêtées en application du 1 de l’article 265 B du code des douanes, dans sa rédaction antérieure à la présente loi, sont autorisées :
1° Jusqu’au 1er avril 2019, la consommation des quantités de ce gazole qui ont été réceptionnées avant le 1er janvier 2019 ainsi que, jusqu’au 1er août 2019, la consommation des quantités de gazole distribuées dans les conditions prévues au 2° du présent A ;
2° Jusqu’au 1er juillet 2019, la distribution de ce gazole lorsque la fourniture à l’utilisateur final est réalisée par une entreprise ne disposant pas, au 1er janvier 2019, des capacités permettant de stocker concomitamment du gazole coloré et tracé et du gazole qui n’est pas coloré et tracé, dans la limite des quantités qu’elle a fournies entre le 1er janvier 2018 et le 30 juin 2018.
B. – Par dérogation au premier alinéa du 3 du même article 265 B, aucun supplément de taxes n’est exigible pour les quantités autorisées conformément au 1° du A.
Pour les quantités autorisées conformément au 2° du A du présent VII, le supplément de taxes est exigible auprès de l’entreprise qui fournit l’utilisateur final. Ces quantités sont assimilées à des quantités de gazole identifié par l’indice 22 du tableau du second alinéa du 1° du 1 de l’article 265 du code des douanes pour la détermination des fractions mentionnées aux 5° et 6° du A du V du présent article.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Cet amendement vise à aménager un dispositif transitoire, afin de faciliter la distribution et l’utilisation du gazole coloré et tracé au cours de la première moitié de l’année 2019.
Il est précisé qu’aucun rappel de taxes ne sera effectué auprès des utilisateurs de GNR pour les quantités de gazole acquises avant le 1er janvier 2019, mais utilisées entre cette date et le 1er avril 2019.
De plus, une souplesse est aménagée pour les petits distributeurs de GNR. Ces derniers sont susceptibles de disposer d’une clientèle mixte, répartie entre le secteur agricole et les autres secteurs éligibles aujourd’hui au tarif réduit du GNR.
La poursuite de l’approvisionnement de cette clientèle mixte nécessitera qu’ils disposent à terme de capacités de stockage et de capacités de transports séparées pour le gazole coloré et tracé, taxé au tarif réduit, réservé aux usages agricoles, et pour le gazole traditionnel, taxé au tarif plein pour les autres usagers.
Afin de laisser le temps nécessaire à ces évolutions, l’adoption de cet amendement permettra aux distributeurs disposant de cuves pour un seul type de gazole de continuer, pendant six mois, à commercialiser du gazole coloré et tracé auprès de leur clientèle non agricole, sous réserve d’acquitter la différence de taxe entre le GNR et le gazole traditionnel auprès de la direction générale des douanes et droits indirects.
Cette mesure vient en complément de la possibilité prévue au IV de l’article 19 pour tous les distributeurs de commercialiser du gazole non coloré et non tracé auprès des agriculteurs, puisque ces derniers bénéficient d’une procédure accélérée de remboursement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Avis favorable, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. Enfin un amendement de bon sens !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il n’y en a pas beaucoup ! (Sourires.)
M. Daniel Gremillet. En effet ! Pour une fois, on simplifie. De plus, on permet aux agriculteurs de bénéficier immédiatement de la diminution de la taxe.
Quand une disposition est bonne, il faut le dire aussi ! (Nouveaux sourires.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° I-595 rectifié, présenté par M. Antiste, Mme Jasmin, MM. Lurel, P. Joly, Lalande, Cabanel et Iacovelli, Mme G. Jourda, MM. Duran et Daudigny, Mme Grelet-Certenais et MM. Todeschini, Daunis et Jacquin, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Les I, II, III, IV, V et VI du présent article ne sont pas applicables aux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution.
La parole est à M. Maurice Antiste.
M. Maurice Antiste. En annonçant la suppression du taux réduit de la TICPE sur le gazole non routier, c’est une hausse d’impôts de près d’un milliard d’euros sur les entreprises que s’apprête à faire voter le Gouvernement.
Cette décision est doublement choquante : d’une part, par sa méthode, particulièrement brutale, cette mesure ayant été prise dans le plus grand secret et annoncée sans que les acteurs économiques concernés en aient été préalablement informés ; d’autre part, sur le fond, parce que, contrairement aux affirmations du Gouvernement, l’utilisation du GNR se justifie pleinement d’un point de vue économique.
Pour les 8 000 entreprises du secteur des travaux publics, dont 80 % sont des PME, cette hausse représente l’équivalent de 60 % de leur marge nette, dans un secteur qui se caractérise déjà par un faible taux de rentabilité nette – de l’ordre de 2 %. C’est une déstabilisation programmée du secteur, qui mettra en danger de nombreuses entreprises, en particulier les plus petites.
L’impact de la suppression du taux réduit de la TICPE sur le gazole non routier dans la filière des travaux publics est estimé à plus de 700 millions d’euros, soit plus du double de l’estimation communiquée par le ministère de l’économie et des finances. Je rappelle que cette décision a été prise sans concertation ni évaluation en amont.
Mes chers collègues, j’appelle votre attention sur le fait que, en Martinique, cette mesure, si elle devait être adoptée en l’état, porterait un coup sévère à des professions déjà sinistrées, notamment dans le secteur de la construction. La suppression de la réduction de la taxe sur le gazole non routier renchérirait les coûts de 3 % à 5 %, ce qui aurait nécessairement un impact sur le prix de sortie des logements et sur le volume de la commande publique.
C’est pourquoi cet amendement vise, après l’échec de la suppression de l’article 19, à introduire une dérogation pour les DROM de la suppression de la réduction de la taxe sur le gazole non routier.