M. le président. Personne ne demande la parole contre la motion ?…
Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité se fonde sur la mise en cause du principe constitutionnel d’autonomie des finances sociales. Mais est-ce vraiment la réalité de ce texte ? Est-il interdit, dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale, de ne pas compenser certaines exonérations de cotisations sociales et, donc, d’entraîner une fiscalisation accrue de la sécurité sociale ? C’est la contestation principale que vous venez d’exprimer.
Ce n’est pas la première fois qu’un projet de loi de financement de la sécurité sociale comporte des dérogations au principe de compensation. D’ailleurs, la loi organique le permet. Cela résulte d’une disposition adoptée à plusieurs reprises. C’est ce que fait le texte, en omettant d’ailleurs, à ce stade, l’absence de compensation, pourtant annoncée par le Gouvernement, des exonérations et baisses de forfait social qu’il contient.
Le projet de loi ne méconnaît pas la Constitution. Nous aurons l’occasion de débattre des relations financières entre l’État et la sécurité sociale, notamment lors de l’examen de l’article 19. Et nous attendons évidemment la prochaine révision constitutionnelle pour aborder le sujet sur le fond.
Forte de toutes ces considérations, notre commission a émis un avis défavorable sur la présente motion.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Cohen. Comme c’est curieux…
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Nous considérons que nous ne dépossédons pas la sécurité sociale de son autonomie. Il est assez curieux de nous adresser ce reproche au moment même où l’on débat d’un budget distinct de celui de l’État. Mme la ministre des solidarités et de la santé et moi-même avons eu l’occasion d’exprimer notre attachement à cette architecture budgétaire devant l’Assemblée nationale.
Mme Laurence Cohen. Il faut des actes !
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Par ailleurs, l’État ne « siphonne » pas les ressources de la sécurité sociale. Cette année, ce sont 36 milliards d’euros qui sont reversés par l’État à la sécurité sociale. C’est évidemment sans commune mesure avec la question des allégements généraux.
Nous renforçons et élargissons le périmètre d’intervention de la sécurité sociale, avec le chantier qui s’ouvre, sur l’initiative de Mme la ministre, sur la couverture des risques et la prise en charge, notamment dans le cadre du grand âge et de la dépendance. Nous voulons aussi rendre un certain nombre de droits plus universels ; le statut professionnel ne doit plus être la cause d’une différence de droit dans l’accès au congé maternité.
Nous faisons plusieurs choix. D’abord, nous clarifions des liens financiers qui étaient devenus extrêmement complexes et souvent appliqués de manière assez différente d’une année sur l’autre. Nous clarifions aussi un certain nombre de « tuyauteries administratives », si je puis me permettre cette expression, conformément aux recommandations du rapport de MM. Charpy et Dubertret, afin de garantir un suivi plus transparent pour la représentation nationale. Et nous donnons la priorité au désendettement de la sécurité sociale. Ne pas la désendetter, c’est la meilleure façon de ne pas lui garantir de pérennité.
Je termine en évoquant ce que vous appelez les « allégements non compensés ».
La loi de 1994, qui pose le principe de la compensation, n’a pas toujours été appliquée, tant s’en faut.
M. Philippe Dallier. Ce n’est pas une raison pour continuer !
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Entre 2013 et 2014, il y a déjà eu des dérogations au principe de compensation. Il s’est agi de la prime accordée en contrepartie de dividendes, de la réduction de la cotisation maladie minimale du RSI pour les travailleurs indépendants ou encore de l’exonération en faveur des personnes employées en chantier d’insertion. En 2017, il s’est agi de la non-compensation du crédit d’impôt sur la taxe sur les salaires, pour un peu plus de 500 millions d’euros. En 2018, il s’est agi de la suppression de la quatrième tranche de taxe sur les salaires, à hauteur de 150 millions d’euros.
Nous ne partageons donc ni votre analyse sur l’inconstitutionnalité du texte ni vos affirmations relatives à la loi de 1994. C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable sur la présente motion.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 608, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Je rappelle en outre que la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 14 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 16 |
Contre | 326 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 augmente de 2 %, passant de 396 milliards d’euros en 2018 à 404 milliards d’euros, soit une hausse de 8 milliards d’euros.
Le texte fait apparaître un excédent de 0,7 milliard d’euros. Il faut remonter en 2001 pour retrouver un excédent, de 0,8 milliard d’euros. Cela constitue un légitime motif de satisfaction. Parallèlement, la Caisse d’amortissement de la dette sociale se désendette. À la fin de l’année 2019, elle sera encore de 89 milliards d’euros, mais 171 milliards d’euros ont été remboursés, et l’année 2024 verra la fin de la dette de la sécurité sociale. Ce sera une bonne chose pour le pays et pour nos descendants.
L’ONDAM augmente de 2,5 %, pour atteindre 200,3 milliards d’euros, ce qui représente une augmentation de 400 millions d’euros par rapport à une hausse de 2,3 %. Sur les 8 milliards d’euros d’excédent, 5 milliards d’euros vont à l’ONDAM.
En 2019 débutera le plan Santé proposé par le Président de la République, soit 3,4 milliards d’euros sur quatre ans. Tout cela devrait permettre des actions utiles, comme la suppression du numerus clausus, la possibilité de regagner du temps médical dans les maisons de santé et une meilleure coordination des soins pour mieux répondre aux besoins du patient. Je pense au numérique, aux assistants médicaux, au dossier médical partagé, à la mise en place de communautés professionnelles territoriales de santé, les CPTS, à la poursuite des financements des maisons de santé, à la simplification de l’exercice des remplaçants et aux médecins salariés, qui peuvent avoir une activité libérale.
Le Gouvernement souhaite renforcer la qualité des soins à l’hôpital, avec la restructuration, la baisse de la tarification à l’activité, de nouveaux financements pour les urgences, des innovations thérapeutiques, l’action en faveur de la psychiatrie, les financements pour les pathologies chroniques et la poursuite des préventions. Je pense à la priorité mise sur les dossiers des addictions, des vaccinations, des cancers ou l’obligation des vingt visites pour l’enfance.
Mais, madame la ministre, actuellement, les trois quarts des hôpitaux ont des difficultés financières. Cela menace l’investissement et la réforme. Les directeurs que j’ai rencontrés s’inquiètent ; vous allez demander 500 millions d’euros de gels de crédits, notamment la réserve prudentielle et la sous-exécution de l’ONDAM. Ces crédits étaient auparavant laissés aux hôpitaux. Il faut donc, vous l’avez prévu, des financements pour les investissements. Il faut également revoir la réforme tarifaire. Des économies, autour de 800 millions d’euros, vont être demandées aux établissements. Il va y avoir une augmentation de 4,5 % des dépenses, pour un ONDAM à 2,5 %. La diminution du nombre de lits et l’augmentation de l’ambulatoire ne sont pas proportionnelles au nombre d’agents nécessaires. Pour les services mobiles d’urgence et de réanimation, ou SMUR, en rural, ils devraient avoir des dotations, et non un financement à l’acte.
J’en viens au médico-social. Le Gouvernement souhaite favoriser le maintien des personnes âgées à domicile et le soutien des aidants. Je me réjouis de l’augmentation de 50 millions d’euros en faveur des services d’aide à domicile. À propos des EHPAD, il y a un financement pour les infirmières de nuit et hébergements temporaires de 360 millions d’euros sur trois ans, dont 125 millions d’euros en 2019. Madame la ministre, ce qui manque à mes yeux, ce sont des aides-soignantes et des infirmières de jour, pour la prise en charge de personnes âgées de plus en plus dépendantes. Cette somme de 125 millions d’euros ne sera pas suffisante pour bénéficier d’un taux d’encadrement de 0,7 par pensionnaire en 2019, ce qui est le minimum pour fonctionner. Il est nécessaire de mieux prendre en compte la grille AGGIR par rapport au PATHOS dans le calcul du forfait soins. Aujourd’hui, elle est trop complexe.
Pour les personnes handicapées, la proposition de détecter les troupes du neuro-développement avant l’âge de 3 ans et leur prise en charge est une mesure importante, puisque les familles ne pouvaient pas payer les intervenants : psychologues, psychomotriciens, ergothérapeutes. Cette proposition de détection doit se poursuivre au-delà de 3 et 6 ans. Il est également impératif de détecter des troubles du spectre de l’autisme dans les foyers occupationnels, les maisons spécialisées, pour favoriser l’inclusion, même si c’est très long. Le doublement des entreprises adaptées va dans le bon sens.
Le nombre de personnes handicapées vieillissantes est en augmentation. Il convient de favoriser le maintien à domicile et les aidants. En cas de dépendance, il faut des structures d’accueil, comme l’hébergement en foyer d’accueil médicalisé ou en unité spécifique dans les EHPAD, mais avec une prise en charge différente des personnes âgées ordinaires.
Dans ce PLFSS, le Gouvernement souhaite protéger les plus vulnérables d’entre nous, avec, entre autres, la prise en charge progressive de l’optique-dentaire-audition. C’est un progrès social important. Je salue également la fusion CMU-ACS. Actuellement, le non-recours à l’ACS est de 65 %.
Vous prévoyez aussi des crèches adaptées pour les personnes handicapées. Je peux également mentionner la majoration des montants du complément de mode de garde : 30 % lorsqu’il y a un enfant handicapé dans la famille et prolongation de ce complément jusqu’à l’entrée à l’école. Vont aussi dans le bon sens la création de 30 000 places de crèche, l’augmentation du congé de maternité à huit semaines pour les travailleuses indépendantes et les agricultrices, soit une hausse de trente-huit jours, l’atténuation de la hausse de la CSG pour les revenus à la limite des seuils, avec une augmentation en cas de dépassement de deux ans, la revalorisation des personnes les plus fragiles, avec l’allocation du minimum vieillesse, qui augmente sensiblement, ou les mesures sur l’allocation aux adultes handicapés. Tout cela va donc dans le bon sens.
En revanche, la branche vieillesse et la prestation famille n’augmentent que de 0,3 %. C’est peu. L’inflation est de 1,6 % et sera de 1,3 % en 2019. Il s’agit d’un nouvel effort important demandé aux retraités et aux familles, entraînant une baisse de pouvoir d’achat. Il convient évidemment de limiter tout à fait le déficit de l’État, mais certaines actions, dont l’exonération des heures supplémentaires décidée par le Gouvernement, auraient dû être compensées. Cela va coûter 1,3 milliard d’euros et aurait permis une augmentation plus importante des branches famille et retraite.
Je rejoins l’avis du rapporteur sur la branche AT-MP. Elle est très bien gérée. Elle sert en partie à l’équilibre de la sécurité sociale. Une partie de cet excédent aurait pu, comme l’indique le rapporteur, améliorer les dispositifs de prévention ou diminuer les cotisations.
Madame la ministre, ce PLFSS veut faire le maximum pour l’emploi et la compétitivité des entreprises.
Je pense à la suppression des cotisations d’assurance maladie, décidée cette année. Cela procure un gain par rapport au paiement de la CSG de 1,45 %. L’exonération des cotisations sur les heures supplémentaires est une bonne chose. La suppression des cotisations maladie, chômage, vieillesse représente 11,3 % de pouvoir d’achat en plus pour les salariés. C’est très bien ! Mais on regrette que cette exonération ne soit pas compensée.
Le paiement du CICE aux entreprises, 20 milliards d’euros, est positif pour la trésorerie des entreprises. La transformation du CICE 2019 et du crédit d’impôt sur la taxe sur les salaires, le CITS, en baisses de charges pérennes de cotisations sociales pour les employés, qui correspond à une diminution de six points jusqu’à 2,5 SMIC, de neuf points outre-mer, avec zéro charge pour le SMIC, va aussi dans le bon sens.
L’exonération des aides à domicile, totale jusqu’à 1,1 SMIC, dégressive jusqu’à 1,6 SMIC, c’est très bien. Je salue également l’année blanche pour les créateurs d’entreprise et l’augmentation de la prime d’activité.
Il semblerait qu’il y ait quelques perdants parmi les travailleurs saisonniers. Pour les arboriculteurs, la dégressivité de l’exonération à partir de 1,15 SMIC est trop basse. Mieux vaudrait revenir au dispositif actuel. Mais tous ces allégements vont, selon nous, dans le bon sens pour l’emploi.
Madame la ministre, nous ne pouvons que souscrire aux objectifs de l’ONDAM et du plan Santé : mettre en place des professionnels dans les maisons de santé, dans les territoires, avec une meilleure coordination entre la ville et l’hôpital, et une amélioration de la qualité des soins dans les hôpitaux.
Néanmoins, il faut tenir compte de la dégradation financière des trois quarts des établissements de santé, qui nécessite une nouvelle tarification et de nouveaux financements. En faveur des EHPAD, il sera nécessaire de consentir davantage d’efforts financiers pour créer des postes complémentaires, au vu de la grande dépendance des pensionnaires, qu’il faut traiter de manière décente.
Pour les personnes handicapées, une importante étape est franchie avec la détection et le traitement, avant l’âge de 3 ans et au-delà. C’est très bien. Mais il reste encore beaucoup à faire, notamment pour l’inclusion et le nombre de places d’hébergement.
Nous souscrivons pleinement à l’amélioration de la santé et de la protection des personnes vulnérables. Nous regrettons la sous-revalorisation des retraites et des prestations famille, de 0,3 %, ainsi que la non-compensation de la sécurité sociale d’exonérations de charges proposées par le Gouvernement, à hauteur de 1,3 milliard d’euros. L’adoption d’un amendement de notre groupe tendant à modifier ce dispositif permettrait de revaloriser ces prestations à hauteur de 1 %.
Madame la ministre, nous souhaitons que les dotations et exonérations importantes permettent aux entreprises, avec la formation professionnelle, d’atteindre le plein-emploi.
Dans l’ensemble, nous soutenons l’essentiel des mesures présentées dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais nous espérons que certaines dispositions, notamment sur les retraites, le financement hospitalier et les EHPAD, pourront être améliorées, tout en respectant les objectifs du texte. (M. Gérard Dériot, rapporteur, applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel.
M. Michel Amiel. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 présente un objectif financier fort, que je salue, et une double ambition.
L’objectif financier consiste en un retour à l’équilibre pour la première fois depuis dix-huit ans pour ce qui concerne le régime général et le FSV.
Toutefois, il s’agira aussi d’apurer la totalité de la dette à l’horizon de 2024, date d’extinction de la CADES. L’ACOSS, qui porte encore 27 milliards d’euros de dette de la sécurité sociale, transférera 15 milliards d’euros à la CADES entre 2020 et 2022. D’un point de vue comptable, l’effort de 400 millions d’euros portant l’ONDAM à 2,5 % constitue une mesure appréciable, même si l’on sait que l’évolution tendancielle est, elle, de 4,5 %.
Concernant la réserve prudentielle demandée par la Cour des comptes, qui existe déjà pour l’enveloppe hospitalière et qui serait étendue à l’enveloppe des soins de ville contre respect de l’ONDAM, comment garantir que cette somme mise en réserve soit rendue si les objectifs sont atteints ?
Pour aborder les mesures spécifiques, il faut se féliciter de la suppression, prévue à l’article 4, du fonds pour le financement de l’innovation pharmaceutique, créé en 2017, comme demandé par la Cour des comptes. Toutefois, on est en droit de penser que l’intégration de ces dépenses dans l’ONDAM aura un effet sur la dynamique de ce dernier, malgré la tentative de dégager des marges de manœuvre sur des médicaments de rente.
L’article 8 prévoit la transformation du CICE en allégement général des charges, ce dont on ne peut que se réjouir par l’effet de cette mesure sur le coût du travail.
L’article 19 a trait aux relations financières entre l’État et la sécurité sociale : la suppression des cotisations sociales compensée par des fractions de taxes – CSG, TVA, taxe sur les salaires concernant les heures supplémentaires, par exemple – renforce un peu plus la mainmise de l’État au détriment du modèle assurantiel de notre système de sécurité sociale. Il faudra être vigilant sur ce point à l’avenir !
Au-delà de l’aspect financier, le texte porte une double ambition : réorganiser notre système de santé et protéger les plus précaires. Le premier point s’appuie principalement sur la déclinaison complète du plan « Ma santé 2022 » dans le cadre d’un projet de loi que vous porterez l’année prochaine et dont le PLFSS pour 2019 ne pose que quelques pierres.
Pour réussir, ce plan, bien accueilli par les organisations syndicales, les fédérations hospitalières et même la Cour des comptes, devra rencontrer l’adhésion de l’ensemble des professionnels de santé, qui, vous le savez, souffrent dans leur quotidien à l’hôpital, en EHPAD, comme dans le secteur libéral.
En ce qui concerne l’ambition de protection, ce PLFSS porte le volet santé du plan Pauvreté présenté par le chef de l’État le 15 septembre dernier.
S’agissant des communautés professionnelles territoriales de santé, les CPTS, et des parcours coordonnés de soins, lesquels ne concernent pour le moment que le diabète et l’insuffisance rénale, on peut légitimement se demander à qui seront confiées la gouvernance des premières et la gestion des seconds. Se profile en effet le risque d’une vision hospitalo-centrée.
Permettez-moi également d’émettre de très sérieux doutes sur la mise en place d’un forfait de réorientation, même si cette mesure a été préconisée par un rapport sénatorial. Il ne s’agit rien de moins que d’une rémunération pour une non-consultation effectuée aux urgences par un urgentiste ou par une infirmière d’orientation et qui déboucherait sur le renvoi du patient vers un très hypothétique parcours de soins en ville. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
À propos du « reste à charge zéro » porté par l’article 33, rappelons qu’en France le reste à charge, de l’ordre de 7,5 % en moyenne, est parmi les plus faibles des pays de l’OCDE, mais représente, en revanche, 22 % de la dépense en optique, 25 % en matière de prothèses dentaires et jusqu’à 56 % pour les aides auditives. Les plus modestes, en particulier les plus âgés, sont ainsi les plus pénalisés.
L’accord signé en juin 2018 entre l’assurance maladie et les chirurgiens-dentistes porte sur la réévaluation des soins conservateurs, ce qui va dans le bon sens. En effet, la mauvaise santé bucco-dentaire d’une personne âgée sera à l’origine d’un état de dénutrition ou la surdité précipitera un état neuro-dégénératif ainsi que l’isolement social.
L’article 34 porte sur la disparition de l’aide à la complémentaire santé, au profit de la CMU-C, une mesure liée au plan Pauvreté, évaluée à 200 millions d’euros en année pleine. Il est également proposé d’instaurer un renouvellement automatique de la CMU-C pour les allocataires du RSA, le revenu de solidarité active.
Ce PLFSS réaffirme la priorité accordée à la prévention. L’article 40 établit ainsi un dépistage, un diagnostic et une prise en charge précoces des troubles du spectre de l’autisme, ou TSA.
L’article 37 vise à redéployer les examens de santé obligatoires jusqu’à l’âge de 18 ans, en s’appuyant sur une recommandation du Haut Conseil de la santé publique relative à la refonte du carnet de santé, dans l’objectif de renforcer le suivi chez les jeunes.
L’article 38 prévoit la création d’un fonds de lutte contre les addictions liées aux substances psychoactives, telles que le tabac, l’alcool et le cannabis, responsables de 120 000 décès, dont 30 % sont prématurés, c’est-à-dire qu’ils surviennent avant 65 ans.
L’article 39 instaure la généralisation de l’expérimentation de la vaccination antigrippale par les pharmaciens.
Dans le domaine médico-social, je prends acte du fait que les moyens destinés aux EHPAD pour les deux ans qui viennent relèvent de mesures d’urgence, en attendant la réforme de la prise en charge de la dépendance à la fin de 2019, en vue de laquelle vous avez prévu, madame la ministre, une très large concertation.
Si je ne peux qu’être d’accord avec vous, il n’en demeure pas moins que l’entrée dans un EHPAD relève rarement d’un choix, mais s’impose en raison d’une perte considérable de l’autonomie conjuguée à un état polypathologique. Il faut ajouter à cela que le modèle familial a beaucoup changé et que la proportion de personnes âgées restant auprès de leurs enfants sous le même toit est devenue anecdotique. Aussi faudra-t-il, au cours de l’élaboration d’un nouveau système de prise en charge, envisager le statut éventuel des aidants et leur reconnaissance dans leur globalité.
D’un point de vue technique, l’article 41 vise à ramener la convergence tarifaire des EHPAD de sept ans à cinq ans. Une des véritables difficultés, à mon sens, réside dans le fait que le point GIR n’est pas du même montant d’un département à l’autre, ce qui pose un problème d’inégalité territoriale, qui s’ajoute à un reste à charge souvent insupportable.
Tels sont, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les éléments de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale et leurs enjeux. En plus d’être pertinents et mesurés, ils me semblent aller dans le bon sens. L’objectif financier est ambitieux, il consiste à ne pas laisser de dettes aux générations à venir et les apports à notre système de protection sociale apparaissent comme innovants et pérennes. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 10 octobre dernier, vous-même, madame la ministre, avez présenté ce projet de loi de financement de la sécurité sociale en lui assignant « une double ambition » : « investir » d’abord, et « protéger » ensuite. Nous partageons cette volonté de rénover notre système de santé et de protéger ses usagers, mais nous ne l’avons pas retrouvée dans ce texte, qui présente à nos yeux, deux caractères principaux.
Le premier est l’abandon d’un des principes fondateurs de la sécurité sociale, qui veut que chacun cotise selon ses moyens et reçoive selon ses besoins. Ma collègue Laurence Cohen vient de vous en parler.
Le second réside dans l’obsession d’apurement de la dette sociale, au détriment de la construction d’une politique sociale active, qui, seule, permettrait de répondre véritablement aux besoins de la population.
Où sont les investissements et la protection ?
Ce budget vise, pour la première fois depuis dix-huit ans, un retour à l’équilibre de la sécurité sociale, tandis que l’apurement de la dette est prévu pour 2024. Peut-on vraiment s’en féliciter, alors que cela repose sur les sacrifices de l’hôpital public et prive les usagers d’un service de santé de qualité ?
Madame la ministre, vous le savez, mes collègues des groupes communistes de l’Assemblée et du Sénat ont arpenté le pays pour préparer ce PLFSS. Depuis le printemps, ce ne sont pas moins de cent établissements qui ont été visités, hôpitaux, EHPAD, EPSM – établissements publics de santé mentale –, afin d’entendre les premiers concernés, ces hommes et ces femmes qui soignent le pays.
À l’occasion de ce tour de France, nous avons pu constater que les hôpitaux étaient exsangues et qu’ils manquaient de moyens humains et financiers. Pourtant, le Gouvernement poursuit les mesures d’austérité. Certes, l’ONDAM connaît une revalorisation de 2,5 %, mais celle-ci est insuffisante pour couvrir les besoins de santé, puisque la croissance tendancielle des dépenses s’établit mécaniquement à 4,5 % pour une qualité de service public égale.
Quant aux 400 millions d’euros supplémentaires investis dans le système de santé, ils visent avant tout à financer sa transformation, avec la création de 1 000 communautés professionnelles territoriales de santé. Autrement dit, cette enveloppe ne permettra pas de répondre aux besoins et aux préoccupations des établissements qui luttent pour survivre et assurer des soins décents.
Après les espoirs suscités par l’annonce du déblocage de cette somme, l’examen des détails est douloureux ! Son montant paraît bien faible lorsqu’on le compare à la dette des hôpitaux. À titre d’exemple, l’équivalent de l’AP-HP à Marseille présentait un déficit de plus de 40 millions d’euros en 2016 et, à Lens, d’au moins 39 millions d’euros, alors qu’il faudrait augmenter les engagements consacrés au nouvel établissement.
Plus grave encore, le PLFSS pour l’année 2019 ne propose pas de financements suffisamment élevés pour assurer un service public de la santé de qualité, mais il requiert en revanche des économies supplémentaires de la part des hôpitaux, pour quasiment un milliard d’euros en 2019.
Madame la ministre, vous dites vouloir investir dans notre système de santé. Pourtant, les montants destinés à la rénovation du service public de la santé sont dérisoires au regard des cadeaux fiscaux accordés aux entreprises.
Pour ces dernières, ce PLFSS apparaît comme une véritable bénédiction : elles toucheront cette année 20 milliards d’euros au titre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, et elles bénéficieront de nouveau de la même somme avec la transformation, l’an prochain, de ce dispositif en allégement de cotisations. Le bilan total de ces mesures dépasse 40 milliards d’euros.
Je me permets de le rappeler : entre 2005 et 2012, soixante-deux établissements publics de proximité ont fermé et 32 000 lits ont été supprimés. Pour les EHPAD et le maintien à domicile, les besoins sont évalués à près de 100 000 salariés supplémentaires ; ils atteignent 200 000 postes en plus pour assurer un bon fonctionnement des services hospitaliers. Je ne peux que m’interroger : tous ces milliards n’auraient-ils pas pu être consacrés à empêcher des fermetures de services, à financer de nouveaux lits, à créer des emplois ?
L’ambition de « protéger » que vous affichez, madame la ministre, s’annonce également décevante et mal concrétisée dans ce PLFSS. Comment peut-on prétendre rechercher un tel objectif, alors même que les choix régressifs visant les plus vulnérables s’accumulent ?
Ainsi, en 2018, 7 millions de retraités ont vu leur fiscalité augmentée par la hausse de la CSG, bien faiblement compensée par les mesures contenues dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale et qui ne concerneront finalement que 350 000 foyers. En 2019, ces retraités ne verront leurs pensions revalorisées qu’à hauteur de 0,3 %, c’est-à-dire bien au-dessous du taux de l’inflation, alors même que celles-ci sont un droit issu des cotisations payées tout au long de leur carrière. Cela dénote un mépris total de nos aînés, particulièrement des femmes, qui constituent la part la plus pauvre des retraités.
Les personnes en situation de handicap sont également très impactées par ce projet de budget de la sécurité sociale. La liste des mesures négatives à leur égard est longue.
Sans vouloir « remettre le couvert » – passez-moi l’expression –, je souhaite rappeler que, lors de la présentation de notre proposition de loi visant à recalculer l’AAH, on nous avait rétorqué qu’une refonte globale du système des aides et des procédures pour aller vers plus de droits pour les personnes handicapées était nécessaire. On mesure l’hypocrisie de cet argument grâce à ce PLFSS, qui, sans rien améliorer, attaque plus encore les droits de nos concitoyens. Or ce sont précisément ces petites subtilités qui usent les personnes en situation de handicap ou leurs proches : l’obligation de faire et de refaire des dossiers, la perspective de voir les maigres ressources grignotées à chaque amélioration de l’ordinaire, le maintien dans une dépendance profonde vis-à-vis des autres, etc.
Ces deux derniers mois, j’ai rencontré des associations, des personnes handicapées et leurs familles pour préparer nos débats. J’ai à l’esprit, notamment, ces mères d’enfants atteints de troubles autistiques, qui sont seules face au handicap de leur enfant, obligées d’arrêter de travailler faute de structures et de soutien au quotidien et qui doivent lutter constamment, dans tous les aspects de la vie de leur foyer. Quel message leur enverrons-nous avec ce PLFSS ?
En limitant les cumuls RSA-AAH, en maintenant la CSG sur la prestation de compensation du handicap, la PCH, utilisée pour financer les aidants, en supprimant les aides aux transports, ce PLFSS renvoie dans les limbes les personnes en situation de handicap, en les inscrivant dans une double trappe à pauvreté et à exclusion !
Madame la ministre, en présentant ce texte, vous aviez mis en avant certaines dispositions qui semblaient alors positives, comme les politiques préventives ou le « 100 % santé ». À y regarder de plus près, celles-ci se sont finalement révélées bien peu ambitieuses. Nous nous félicitons des mesures de prévention en matière d’addictologie et d’autisme, mais nous doutons qu’elles puissent être effectivement mises en œuvre, en raison de l’absence de moyens réels qui leur seront consacrés.
Quant au « 100 % santé », il s’agit également d’affichage. Contrairement à ce que l’on pouvait espérer, il ne permet pas un remboursement complet par la sécurité sociale des frais dentaires, de matériels optiques et auditifs. Le reste à charge sera assumé par les mutuelles, qui ne manqueront pas de répercuter les coûts en augmentant leurs tarifs ou en appauvrissant le panier de soins, vous le savez bien ! Plus dramatique encore est la situation des 4 % de Français qui n’ont pas de complémentaire santé et qui seront nécessairement exclus du bénéfice de cette disposition.
Le projet que vous présentez propose des investissements bien insuffisants pour permettre à notre service public de santé de fonctionner et il continue de frapper au portefeuille ceux qui subissent la précarité. Il vise, avant tout, à faire des économies et il prolonge les mesures régressives déjà engagées lors du précédent PLFSS : difficulté d’accès aux soins, remise en cause de la politique familiale, matraquage des retraités, étatisation de la sécurité sociale.
Toutes ces dispositions construisent une société de plus en plus injuste et creusent les inégalités, déjà trop grandes. Cette année, 9 millions de personnes vivent en situation de pauvreté en France, pourtant cinquième pays comportant le plus grand nombre de millionnaires au monde.
Le problème de l’État, c’est donc non pas le manque de moyens, mais les choix qui privilégient les politiques austéritaires. Notre pays dispose de vastes capacités financières et il est grand temps qu’il les mobilise afin de construire un système de sécurité sociale qui réponde réellement aux besoins de la population. Il faut mettre fin à la casse de l’hôpital public et lutter efficacement contre la précarité, la désertification médicale et le renoncement aux soins, qui touche quatre Français sur dix.
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste défend le projet alternatif d’un système de sécurité sociale juste et pérenne.
Nous considérons que tous les soins de santé devraient être pris en charge à 100 % par la sécurité sociale. C’est la seule façon de répondre aux besoins humains de protection, de la naissance à la mort. Cette assistance face aux aléas de la vie est un facteur essentiel du développement économique et social.
Par ailleurs, nous proposons la création d’un pôle public du médicament. Une telle institution, gérée au niveau national, permettrait de renforcer l’innovation et de rendre possible l’accès de tous et à tout moment aux produits de santé. Au regard des événements récents, c’est un impératif. L’année 2018 a en effet été marquée par les scandales sanitaires, comme celui du Levothyrox, et par les pénuries de médicaments, comme le Sinemet, pourtant nécessaire au traitement de la maladie de Parkinson.
Nous militons, enfin, pour que chacun puisse avoir accès aux soins.
Nous sommes pragmatiques et chacune de nos propositions repose sur un financement solide, suivant la philosophie de solidarité qui présidait à la création de la sécurité sociale. Il est grand temps de mettre à contribution les entreprises et d’arrêter de frapper au portefeuille ceux qui sont les plus fragiles.
Le projet que vous présentez est aux antipodes de notre conception de la sécurité sociale comme de la société en général, c’est pourquoi nous nous y opposerons ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)