M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les principes et exigences que notre commission des affaires sociales avait formulés dans le rapport sur les comptes de la sécurité sociale viennent d’être rappelés… Le Gouvernement a eu bien raison d’en tenir compte !
Je relève aussi, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, que vous savez parfaitement habiller ce que nous avions écrit. Nous aurons l’occasion, évidemment, d’y revenir dans la discussion des articles.
Je dois donc vous donner satisfaction. Oui, nous essayons tous d’aller dans le bon sens ! Depuis des années, notre commission appelle de ses vœux un équilibre des comptes de la sécurité sociale.
Mme Laurence Cohen. À quel prix ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Nous y reviendrons aussi, madame Cohen.
En 2016, nous avions même écrit que c’était un impératif. Par conséquent, on ne peut que se féliciter de la présentation par le Gouvernement, pour la première fois depuis le début du XXIe siècle, d’un budget de la sécurité sociale en équilibre.
Nous plaidons aussi régulièrement pour que les déficits cumulés financés par l’ACOSS soient repris par la CADES, dont c’est le rôle, et ce sans que l’horizon de 2024 pour l’amortissement soit remis en cause. À cet égard, le projet de loi de financement de la sécurité sociale que vous nous présentez, tel qu’adopté par le conseil des ministres, puis voté par l’Assemblée nationale, est satisfaisant. Non seulement il prévoit un léger excédent, tant des comptes du régime général que de l’ensemble des régimes obligatoires de base, cumulés avec ceux du FSV, le Fonds de solidarité vieillesse, mais il procède également au transfert à la CADES d’une partie de la dette portée par l’ACOSS.
De prime abord, il semble que le Sénat et, au premier chef, sa commission des affaires sociales ont tout lieu d’être satisfaits. Néanmoins, comme nous allons le voir, je risque de devoir nuancer cette satisfaction.
Les chiffres ayant été rappelés, il n’est pas nécessaire que j’y revienne. Néanmoins, pour bien rappeler les ordres d’idées, je soulignerai qu’à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale, sur le périmètre du PLFSS, pour l’ensemble des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et du FSV, l’excédent atteint 0,2 milliard d’euros, et non 0,4 milliard d’euros, comme indiqué dans l’article d’équilibre, qui, curieusement, ne tient pas compte des modifications et des votes des députés. Cet excédent doit être rapporté à un niveau de dépenses de 509,6 milliards d’euros… Autant reconnaître que, s’il est éminemment symbolique, il est aussi très fragile ! Sa réalisation concrète dépendra en outre de nombreux aléas, notamment en gestion.
Notre commission a souhaité préserver cet équilibre. Elle tentera de maintenir cette position en séance publique – mais je ne garantis rien, car cela dépend de chacun d’entre nous et des votes du Sénat.
D’où vient, mes chers collègues, ce léger excédent constaté dans le texte qui nous est soumis ?
Il provient tout d’abord de la progression des recettes, dans la continuité de la tendance observée depuis plusieurs années. Même s’il se pourrait qu’elle ralentisse l’an prochain, cette hausse devrait tout de même atteindre 2,6 %, notamment sous l’effet de la croissance attendue de la masse salariale du secteur privé.
L’excédent est ensuite lié à plusieurs mesures ponctuelles, que l’on pourrait considérer comme des « recettes de poche », non renouvelables. Je pense au décalage, au 1er septembre, de l’entrée en vigueur de l’exonération des cotisations salariales sur les heures supplémentaires, soit une économie de 1,3 milliard d’euros pour la sécurité sociale en 2019 par rapport à une entrée en vigueur au 1er janvier. Je pense, dans le même ordre d’idée, au décalage au 1er octobre de l’intégration des contributions patronales d’assurance chômage dans les allégements généraux, ce qui représente une économie de 2,5 milliards d’euros.
Enfin, ce très léger excédent trouve sa source dans le quasi-gel – leur croissance ne dépasse pas 0,3 % – d’un très grand nombre de prestations sociales, en particulier les pensions de retraite et les allocations familiales, alors même que l’inflation est désormais sensiblement supérieure à ce niveau.
Sur ce point essentiel, la commission des affaires sociales ne peut pas partager la logique du Gouvernement. De nombreux collègues, notamment René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l’assurance vieillesse, reviendront sans doute plus en détail sur ce sujet, d’autant que ce sévère coup de frein, qui devrait durer deux ans, fait suite à une augmentation de la CSG, non compensée pour les retraités de l’année dernière. Ceux-ci voient donc leur pouvoir d’achat significativement s’éroder. Nous proposerons donc un système fondé sur une autre approche, plus structurelle, privilégiant le levier de l’âge de départ à la retraite, plutôt que l’érosion du niveau de vie des retraités.
Pour revenir un instant sur les recettes, l’exercice 2019 sera celui de la « grande bascule » du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, vers des allégements de cotisations et de contributions sociales massifs, compensés par des affectations de TVA. En conséquence, les cotisations ne devraient plus représenter que 52,2 % – c’est un chiffre important à retenir – des recettes du régime général et du FSV en 2019.
Cette évolution concerne même des organismes actuellement situés en dehors du champ des lois de financement de la sécurité sociale. Ainsi, les contributions salariales d’assurance chômage ne sont plus payées par les intéressés et devraient donc disparaître en droit en 2019. Par ailleurs, les contributions patronales d’assurance chômage et aux retraites complémentaires devraient être intégrées dans les allégements généraux dès l’année prochaine. En année pleine, dès 2020, un organisme comme l’UNEDIC, qui, jusqu’en 2017, était presque entièrement financé par des contributions, verra environ 45 % de ses recettes provenir directement ou indirectement de l’impôt. Nous verrons s’il y a des conséquences à en tirer en matière d’évolution du périmètre du PLFSS au moment du débat à venir sur la réforme des institutions.
Au-delà, le remplacement de plus en plus prononcé de la cotisation par des impositions pose des questions de principe, qu’un amendement à l’article 19 nous permettra d’aborder franchement.
Enfin, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale porte en plusieurs endroits les premières traductions des principes définis par le Gouvernement dans le rapport qu’il nous a récemment remis sur la rénovation des relations financières entre l’État et la sécurité sociale. Ce rapport préconise qu’à l’avenir la sphère État et la sphère sécurité sociale prennent chacune en charge leurs baisses de prélèvements obligatoires. De fait, on constate que, dès cette année, de nombreuses mesures nouvelles figurant dans ce texte, à commencer par l’exonération des heures supplémentaires et les baisses de forfait social, ne seront pas compensées. En comptant les votes de l’Assemblée nationale, le montant de ces non-compensations devrait atteindre 2,3 milliards d’euros en 2019 et 3,6 milliards d’euros, en année pleine, à compter de 2020.
De plus, sans que le lien avec une quelconque préconisation du rapport soit évident, le PLFSS propose de tirer les conséquences des baisses de flux de TVA en provenance de l’État programmées à partir de 2020, baisses qui deviendront très importantes en 2021, en 2022 et au-delà : 1,5 milliard d’euros en 2020 ; 3,5 milliards d’euros en 2021 ; 5 milliards d’euros à partir de 2022. Nous aurons l’occasion d’y revenir lorsque je présenterai l’un de mes amendements à l’article 19.
Cela étant – je réponds là à votre interrogation, monsieur le secrétaire d’État –, s’il est certes normal que l’État, qui a su se montrer solidaire pendant les années difficiles, bénéficie lui aussi de l’amélioration des comptes sociaux, avant de pratiquer des ponctions aveugles, il est nécessaire que le Parlement et le Gouvernement se mettent d’accord sur les principes de la rénovation des relations entre l’État et la sécurité sociale.
Je considère que le principe de compensation doit être conservé, quitte à ce qu’on y fasse, à l’avenir, des exceptions plus nombreuses que par le passé, car le principe de compensation est aussi un principe de responsabilité pour les autorités de l’État.
En somme, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, notre commission est ouverte à la discussion, mais elle considère qu’il ne faut pas faire les poches de la sécurité sociale avant même que celles-ci ne soient pleines et, au moins, tant que subsiste une dette sociale. Ensuite, nous aurons à trouver un accord sur des conditions de l’équilibre à moyen terme, afin qu’un trou ne se creuse pas à nouveau, une fois la CADES disparue.
Mon tout dernier mot…
M. le président. Il faut que ce soit le dernier, monsieur le rapporteur général !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. … sera pour constater que ce PLFSS desserre un peu l’ONDAM, qui progressera de 2,5 %, au lieu de 2,3 %. Cela traduit l’inscription des toutes premières mesures du plan « Ma santé 2022 », que vous avez présenté avec le Président de la République, madame la ministre, et qui, d’ailleurs, a recueilli un large écho favorable de la part des partenaires sociaux et de nous-mêmes. Toutefois, ce premier mouvement demeure encore timide ; vos annonces ont porté sur 400 millions ou 500 millions d’euros… Pourriez-vous nous préciser le calendrier selon lequel vous envisagez de déployer ce plan, notamment sous l’angle financier ?
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Ces remarques étant faites, place au débat ! (M. Gérard Dériot, rapporteur, applaudit.)
M. le président. Vous aurez tous remarqué, mes chers collègues, qu’en ce début de séance je n’ai pas voulu faire d’interruptions trop brutales, d’où un dépassement d’une minute. Il ne faut pas que cela se reproduise trop souvent !
La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Catherine Deroche, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l’assurance maladie. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour l’assurance maladie, le projet de loi de financement de la sécurité sociale porte autant d’avancées attendues que de questionnements. La commission a décidé d’y apporter des inflexions, sans en remettre en cause les grands équilibres.
Au titre des motifs de satisfaction, la réduction du déficit de la branche traduit une exigence partagée, même si ce résultat est d’abord le fait d’une forte dynamique des recettes.
De même, le desserrement de l’ONDAM, porté à titre exceptionnel à 2,5 % en 2019, constitue un signal positif, alors que s’engage une réforme pour la transformation – ô combien nécessaire – de notre système de santé.
Je tiens à saluer également l’avancée que représente l’ouverture aux extensions d’indication des médicaments sous autorisation temporaire d’utilisation. J’avais évoqué ce sujet à cette même tribune l’an passé et nous avons depuis, avec mes collègues Yves Daudigny et Véronique Guillotin, confirmé dans un récent rapport l’urgence d’évoluer sur ce sujet. L’enjeu est majeur, puisqu’il s’agit d’accélérer l’accès des patients à des traitements innovants et prometteurs, comme les immunothérapies.
Nous partageons également votre analyse, madame la ministre, concernant l’accès aux soins dans les territoires où le manque de professionnels de santé est aujourd’hui criant : des mesures contribuent à desserrer des verrous inutiles, et nous comptons sur les expérimentations autorisées par la précédente loi de financement de la sécurité sociale pour libérer, plus encore, les initiatives sur le terrain.
Ce PLFSS ne suffit pas, toutefois, à dissiper nos inquiétudes.
Année après année, nous touchons du doigt les limites du mode de régulation des dépenses de santé à travers l’ONDAM. Cet objectif est respecté depuis 2010, mais à quel prix ? Baisses quasi mécaniques de tarifs, gels, puis annulations de crédits : nos établissements de santé sont exsangues et manquent surtout d’une visibilité indispensable pour se lancer dans des projets structurants à long terme.
Je sais, madame la ministre, que vous avez pris en début d’année des mesures bienvenues pour atténuer l’impact de cette régulation. Cependant, l’effet d’accumulation place aujourd’hui l’hôpital en situation d’urgence.
La transformation que vous engagez, à travers la diversification des modes de financement, la valorisation de la qualité et de la pertinence des soins, va incontestablement dans le bon sens. Cela rejoint des constats et des préconisations portés de longue date par la commission des affaires sociales. Mais je veux vous alerter sur des conséquences immédiates.
Les établissements de santé sont contraints à des arbitrages défavorables à l’innovation. La prise en charge des actes de biologie innovants hors nomenclature, en particulier des tests permettant de cibler les traitements contre le cancer, va en faire les frais. En effet, les crédits délégués aux établissements ne vont pas permettre de couvrir les dépenses engagées. Combien d’entre eux, dès lors, maintiendront cette offre aux patients l’an prochain ? Pouvez-vous nous donner des assurances sur le financement de ces actes, qui relèvent, directement, de l’objectif de pertinence des soins qui vous tient à cœur ?
Comment comptez-vous répondre, à l’occasion de la campagne tarifaire, au besoin de visibilité financière des établissements de santé et aux inquiétudes suscitées, dans ce contexte, par la réforme des transports sanitaires, dont nous avions souligné, l’an passé, l’improvisation ?
À côté de cette inquiétude, certaines dispositions contenues dans le PLFSS suscitent des réserves sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir plus en détail lors de l’examen des articles.
Nous partageons, sur le fond, de nombreuses orientations, mais je regrette, sur la forme, une tendance à la complexification ou à la stratification.
M. Yves Daudigny. C’est vrai !
Mme Catherine Deroche, rapporteur. À l’article 42, nous frôlons la limite de l’intelligibilité des mesures, qui plus est éparses, relatives aux produits de santé. Or celles-ci s’adressent aussi à des entreprises à envergure internationale.
Plusieurs de nos amendements visent à clarifier l’articulation entre des dispositifs qui se superposent au fil du temps, au détriment de la lisibilité de l’action publique. C’est le cas dans le domaine de la pertinence des soins et des prescriptions à l’hôpital.
La commission s’est aussi opposée à une logique de centralisation de la décision, à laquelle nous préférons le dialogue conventionnel entre les acteurs du système de santé. C’est le sens, par exemple, de la proposition que je défendrai sur la prescription des médicaments génériques ; je précise qu’elle n’a pas pour effet de se départir de l’objectif poursuivi par le Gouvernement.
Une autre réserve porte sur le flou qui encadre, au moment de leur examen, plusieurs dispositions du texte.
Sans vouloir nous opposer à la conduite sans délai des négociations conventionnelles sur le sujet, il faut reconnaître que la nouvelle profession d’assistant médical est évoquée sans que l’on en connaisse encore le profil ou les missions. De même, la réforme du « reste à charge zéro », si elle répond à la nécessité de lutter contre le renoncement aux soins, porte en elle de nombreuses inconnues. Nous nous prononçons sur un cadre général, qui a son importance, mais sans disposer d’éléments étayés sur son impact financier réel ou encore sur ses conséquences économiques pour les acteurs de la filière, notamment dans le secteur optique.
Nous attendrons sur ces différents sujets, madame la ministre, des éclairages de votre part dans les débats qui s’engagent.
Sous réserve des amendements que je présenterai, mes chers collègues, la commission vous demandera d’adopter le texte pour son volet assurance maladie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. le président. Je comptabilise plus de trente secondes de dépassement, mais sur moitié moins de temps de parole que l’orateur précédent. Je vous invite de nouveau à éviter ces dépassements, mes chers collègues.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Bonne, rapporteur de la commission des affaires sociales pour le secteur médico-social. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le secteur médico-social pâtit à chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale d’une visibilité bien en deçà des enjeux cruciaux qu’il soulève.
Je voudrais, une nouvelle fois, regretter l’habitude tenace des gestionnaires des crédits de l’assurance maladie, à laquelle les exercices 2018 et 2019 ne font malheureusement pas exception. Cette habitude consiste à ponctionner de plusieurs centaines de millions d’euros – 200 millions d’euros en 2018 – le montant initialement voté des crédits médico-sociaux au profit d’autres objectifs et de faire couvrir la différence par un prélèvement sur la trésorerie excédentaire de la CNSA, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Cette pratique complique le contrôle des dépenses médico-sociales et, surtout, fait reposer le financement de besoins pérennes et exponentiels sur une ressource appelée à disparaître.
Plus que sur l’origine de ces crédits, c’est sur leur usage que je souhaite m’exprimer. Les deux secteurs concernés, le grand âge et le handicap, sont aujourd’hui dans ce qu’il faut bien appeler une impasse tarifaire.
Le modèle financier des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes fait actuellement l’objet d’une concertation de grande importance, dont les résultats sont attendus pour le début de l’année 2019. Sans préjuger ses conclusions, je garde en mémoire les propos du Président de la République, qui, dans son discours de Montpellier du 13 juin dernier, en appelait à plus de médicalisation.
Madame la ministre, je ne peux partager cette vision d’une offre médico-sociale pour personnes âgées, de ce « blanc manteau d’EHPAD » qui ne serait en fait qu’une offre hospitalière sous-dotée, tristement revêtue d’un mince vernis social, dont personne ne semble comprendre qu’il doit être la priorité, pour des raisons de simple humanité. C’est de services, c’est d’humain dont nous avons besoin ! L’accompagnement des personnes âgées ne se résume pas au soin, augmenté d’une prestation hôtelière ; il doit être autre chose qui n’existe pas encore et que nous avons le devoir d’inventer.
Quant au secteur du handicap, l’aboutissement de la réforme intitulée « services et établissements : réforme pour une adéquation des financements aux parcours des personnes handicapées », dite SERAPHIN-PH, ambitieuse et unanimement saluée dans son principe, n’est toujours pas connu avec certitude.
Cette réforme, qui doit permettre de sortir d’une logique stricte de reconduction des dotations historiques, montre quelques signes d’essoufflement et prend une tournure qui n’était pas initialement annoncée. Comme dans le secteur des EHPAD, elle ne s’est jusqu’ici concentrée que sur les besoins des personnes handicapées en matière de santé somatique et psychique, négligeant leurs besoins socio-éducatifs. Or c’est tout l’enjeu de la société inclusive, dont il n’a cessé d’être question, que de « démédicaliser » l’accompagnement des personnes handicapées et de revaloriser fortement sa dimension humaine et sociale.
L’avenir de ces deux secteurs, madame la ministre, semble dangereusement s’écarter de leur vocation nécessaire : préserver la place de l’accompagnement des personnes et résister à l’invasion facile du médical, qu’entraîne l’assimilation de l’âge et du handicap à la maladie.
Pour en revenir au texte dont il est question aujourd’hui, et sous réserve des remarques que je viens d’exprimer, la commission des affaires sociales a émis un avis favorable à l’adoption des dispositions médico-sociales du PLFSS. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Dériot, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les accidents du travail et les maladies professionnelles. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une dette entièrement apurée depuis 2016 sans le concours de la CADES, des excédents cumulés qui pourraient avoisiner les 8 milliards d’euros en 2022, une sinistralité en baisse : la branche accidents du travail et maladies professionnelles, dite AT-MP, multiplie les motifs de satisfaction depuis déjà plusieurs années. D’ailleurs, je suis désormais tenté de parler de success story pour une branche qui a fait les preuves des vertus d’un régime assurantiel, en grande partie géré paritairement.
Nous nous trouvons en effet face à une branche qui a su réagir dans des délais rapides à une crise douloureuse, après trois refus de certification de ses comptes par la Cour des comptes, de 2010 à 2012. L’augmentation des cotisations AT-MP, combinée aux efforts de la branche pour renforcer ses procédures de contrôle interne et diminuer le coût des contentieux, a ainsi permis de rétablir une situation financière saine et durable. Néanmoins, la branche AT-MP se retrouve en quelque sorte victime de son succès, ses excédents généreux ne manquant pas d’attiser les convoitises…
Ainsi, le Gouvernement semble écarter toute nouvelle baisse de taux de cotisation en 2019, à rebours de la logique assurantielle de la branche. Le produit des cotisations progresserait alors de près 4 % en 2019, porté par le dynamisme de la masse salariale, quand les recettes de l’ensemble des régimes de base et du FSV ne croîtraient que de 2,3 %.
La branche AT-MP est ainsi placée délibérément en situation de surfinancement, pour des motifs n’ayant plus grand-chose à voir avec sa raison d’être : réparer et prévenir. Dans ces conditions, notre commission redoute un détournement de la capacité de financement de la branche au profit du désendettement des autres branches, sous couvert d’un leitmotiv assez confortable : la « solidarité interbranches ».
Il est tout de même un peu curieux d’en arriver là, alors que l’on sait que cette branche est exclusivement financée par les employeurs, donc par les entreprises, qui créent les richesses et que l’on devrait ménager un peu plus… Il ne suffit pas de le dire ; il faut le faire !
Les risques pesant sur la logique assurantielle de la branche AT-MP se manifestent également à travers l’importance croissante des transferts vers d’autres régimes et fonds, qui devraient représenter plus de 21 % de ses dépenses prévisionnelles en 2019. Un record !
Les dotations de la branche au titre de l’indemnisation des victimes de l’amiante diminuent, pour s’établir à 260 millions d’euros pour le FIVA, le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, et à 532 millions d’euros pour le FCAATA, le Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante. Dans ce domaine, les taux sont en baisse, mais correspondent aux véritables besoins, ce qui tend peut-être à montrer que nous avons passé un cap s’agissant des victimes de l’amiante, même s’il faut rester prudents, car, nous le savons tous, le délai de latence peut atteindre quarante ans.
En revanche, le transfert à la branche maladie, au titre de la sous-déclaration des maladies professionnelles, semble, lui, maintenu artificiellement à 1 milliard d’euros pour la cinquième année consécutive. Notre commission a ainsi regretté les incertitudes entourant l’évaluation du coût réel de cette sous-déclaration.
Je voudrais rappeler, mes chers collègues, que la fourchette pour fixer cette somme, fourchette proposée par la commission chargée d’objectiver cette dépense – cet organe est présidé par un conseiller d’État, ce qui fait très sérieux –, va presque du simple au double, en situant le coût de la sous-déclaration entre 815 millions d’euros et 1,53 milliard d’euros. Si le biologiste que j’ai été avait rendu ses résultats d’examen avec de telles marges, la situation aurait été très inconfortable ! Là, cela ne dérange personne !
Par conséquent, notre commission plaide pour une réévaluation tous les ans, et non plus tous les trois ans, de ce coût, en mobilisant l’organisme Santé publique France dans la réactualisation de données épidémiologiques sur la santé au travail, qui seront à rapprocher des données de l’assurance maladie.
Enfin, il convient de ne pas sous-estimer l’ampleur que pourrait prendre, dans les prochaines années, le poids des dispositifs de pénibilité que sont le compte professionnel de prévention et le départ à la retraite anticipée en cas d’incapacité permanente dans les dépenses mutualisées de la branche.
M. le président. C’est fini !
M. Gérard Dériot, rapporteur. La responsabilisation des entreprises au niveau des secteurs d’activité les plus concernés doit donc être interrogée. À cela s’ajoutent d’autres inconnues…
M. le président. Il faut vraiment finir !
M. Gérard Dériot, rapporteur. … liées à l’enjeu…
M. le président. Vous avez dépassé votre temps de parole de plus de trente secondes !
M. Gérard Dériot, rapporteur. … de la reconnaissance du caractère professionnel des affections découlant de l’utilisation des pesticides. Sur le chlordécone et le glyphosate en particulier, il faudra s’interroger sur la prise en charge des victimes.
En conclusion,…
M. le président. Ah non ! Vous avez déjà conclu !
M. Gérard Dériot, rapporteur. … je vous demande absolument, madame la ministre, de voir si l’on ne pourrait pas baisser les cotisations, ce qui serait un bon signe pour les entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. Quand un orateur dépasse le temps imparti de dix ou quinze secondes pour conclure, c’est une chose, mais, je le répète, par respect pour notre assemblée, et non pour moi, je vous demande de respecter votre temps de parole.
La parole est à M. le rapporteur.
M. René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l’assurance vieillesse. Madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, disons-le d’emblée, s’agissant de la branche vieillesse, nous ne serons d’accord sur rien ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
La commission des affaires sociales a en effet adopté deux amendements qui vont à l’encontre de la politique menée par le Gouvernement depuis un an en matière de retraite.
Le premier rejette la sous-revalorisation à 0,3 % des prestations sociales, au premier rang desquelles les pensions, pour les années 2019 et 2020 prévue à l’article 44, dans un contexte d’inflation soutenue. Ce puissant coup de rabot représente une économie sur les pensions de 2 milliards d’euros en 2019 et de 3,8 milliards d’euros en 2020. Il intervient un an après deux décisions qui mettent déjà lourdement à contribution les retraités : l’absence de revalorisation des pensions en 2018, alors que l’inflation devrait finalement être supérieure à 1,6 %, et l’augmentation non compensée de la CSG. Et ce n’est pas la baisse de la taxe d’habitation qui va compenser tout cela !
Le second amendement reprend une position ancienne de notre commission, en prévoyant le recul progressif de l’âge minimum légal de départ à la retraite à soixante-trois ans à compter du 1er mai 2020. Cette mesure, que nous assumons et avons déjà proposée régulièrement, permettra de rétablir l’égalité entre les salariés des secteurs privé et public, égalité remise en cause par l’entrée en vigueur, au 1er janvier 2019, du mécanisme de bonus-malus dans les régimes de retraite complémentaire AGIRC-ARRCO. Elle contribuera également à financer le maintien du pouvoir d’achat des retraités, souhaité par la commission.
Ces deux amendements permettent d’ouvrir des débats contradictoires – M. le haut-commissaire en est friand – et de montrer un certain nombre de contradictions.
Première affirmation : la réforme des retraites ne concerne pas les retraités actuels et n’est pas financière.
Entre la hausse de la CSG, qui rapportera chaque année près de 5 milliards d’euros, et les mesures de revalorisation prises depuis un an, votre politique en matière de retraite affiche un rendement de plus de 5 milliards d’euros en 2018, de près de 7 milliards d’euros en 2019 et même de 8 milliards d’euros en 2020. C’est d’une redoutable efficacité ! En fait, la réforme financière des retraites, c’est ce projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il n’y aura pas besoin d’une réforme supplémentaire. De plus, les retraités actuels sont concernés par cette réforme des retraites, puisque ce sont eux qui la financent à travers ce texte.
Deuxième affirmation : la réforme doit conserver le niveau de vie des retraités.
Mais de quel niveau de vie parle-t-on ? Celui d’aujourd’hui ou celui, dans cinq ans, qui sera non revalorisé. C’est une question complexe sur laquelle il est facile d’agiter les peurs. Si, aujourd’hui, le niveau de vie relatif des retraités est équivalent à celui de l’ensemble de la population, le Conseil d’orientation des retraites montre qu’il va diminuer, certes relativement, dès le milieu des années 2020. En conséquence, les mesures du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 accentuent cette diminution.
L’enjeu de la réforme sera bien de lisser cette baisse relative du niveau de vie. Pour cela, un levier nous semble inévitable : le recul de l’âge de départ à la retraite afin d’augmenter les pensions, compte tenu de l’espérance de vie. Or il semble que le Gouvernement soit actuellement pris au piège de la promesse du Président de la République de faire de l’âge de « soixante-deux ans » un tabou durant ce quinquennat. Mais le recul de l’âge de départ à la retraite étant inévitable, s’il n’est pas pour maintenant, il sera pour après !
Enfin, troisième affirmation : la réforme doit redonner confiance dans le système.
La réforme des retraites de 1993 a instauré un principe d’indexation des pensions sur l’inflation pour garantir le pouvoir d’achat des retraités. Avant l’élection présidentielle de 2017, ce principe n’avait été remis en cause qu’une seule fois. Or le Gouvernement va, lui, y déroger pendant trois années consécutives. Comment redonner confiance à nos concitoyens, alors qu’ils voient que la retraite qu’ils liquident ne leur garantit pas le maintien de leur pouvoir d’achat ?
Notre commission est très investie dans cette réforme des retraites et y est très attachée. Le pilotage du futur système devra être équilibré et ne pas faire reposer sa charge d’ajustement sur les seuls retraités. C’est la raison pour laquelle nous proposerons ces deux amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)