compte rendu intégral

Présidence de Mme Marie-Noëlle Lienemann

vice-présidente

Secrétaires :

M. Éric Bocquet,

Mme Jacky Deromedi.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Candidatures à une mission commune d’information

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la désignation des membres de la mission commune d’information sur les politiques publiques de prévention, de détection, d’organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d’être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l’exercice de leur métier ou de leurs fonctions.

En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 110 de notre règlement, la liste des candidats établie par les groupes a été publiée. Elle sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

3

Préjudice représenté pour les entreprises françaises par la surtransposition du droit européen en droit interne

Débat organisé à la demande de la commission des affaires européennes et de la délégation sénatoriale aux entreprises

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires européennes et de la délégation sénatoriale aux entreprises, sur le préjudice représenté, pour les entreprises françaises, par la surtransposition du droit européen en droit interne.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que les auteurs de la demande disposent, dans le débat, d’un temps de parole de huit minutes, le Gouvernement bénéficiant de la même durée pour leur répondre.

La parole est à Mme la présidente de la délégation sénatoriale auteur de la demande.

Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis près de quatre ans que la délégation sénatoriale aux entreprises existe, elle sillonne la France à la rencontre des entreprises. Il ne se passe pas un déplacement de terrain sans que nous soyons interpellés sur le désavantage compétitif subi par nos entreprises lorsque la France surtranspose en droit interne certaines de ses obligations européennes.

C’est en effet un vrai handicap de compétitivité qui pénalise notre économie, particulièrement notre industrie, à l’intérieur même du marché unique, par des contraintes administratives et techniques qui alourdissent les coûts et retardent la mise en œuvre des projets. La délégation sénatoriale aux entreprises s’en est fait l’écho dès février 2017 dans son rapport intitulé Simplifier efficacement pour libérer les entreprises. Nous y donnions de nombreux exemples, comme celui cité lors d’un déplacement en Saône-et-Loire au sujet de la surréglementation française concernant les poussières de bois, les normes européennes étant cinq fois plus basses en la matière que celles que la France a choisi de s’imposer.

Dans un rapport également publié en février 2017, intitulé La simplification du droit : une exigence pour lUnion européenne, la commission des affaires européennes confirmait l’existence d’une forme d’exception française, le droit national allant au-delà des normes exigées par les directives ou adoptant une interprétation exigeante des règlements européens.

Si tous les écarts de transposition ne sont pas illégitimes, l’impact de ces mesures nationales en termes de compétitivité est trop rarement débattu. C’est pourquoi, avec le président de la commission des affaires européennes, Jean Bizet, nous avons sollicité ce débat aujourd’hui.

Le Gouvernement n’ignore pas la question. Déjà, les premiers comités interministériels pour la modernisation de l’action publique, les CIMAP, du 18 décembre 2012 et du 2 avril 2013 avaient conduit à la publication de la circulaire du 17 juillet 2013, qui prévoyait de limiter l’inflation normative, notamment de ne pas surtransposer les directives communautaires sans justification. Concernant le stock de surtranspositions, un rapport identifiant des écarts de réglementation entre la France et les autres États membres avait même été élaboré à la demande du ministre de l’économie de l’époque, M. Macron, et lui avait été remis en mars 2016. Malgré tout l’intérêt de cette démarche, le gouvernement d’alors n’a malheureusement pas donné suite.

Le gouvernement auquel vous appartenez, madame la secrétaire d’État, s’est également montré sensible au sujet. La nouvelle circulaire du 26 juillet 2017 appelait à son tour à porter une vigilance particulière à la transposition des directives européennes, en flux comme en stock, et interdisait en principe toute mesure allant au-delà des exigences minimales de la directive, sauf justification arbitrée par le Premier ministre. Elle annonçait qu’une prochaine mission d’inspection serait chargée d’un travail d’inventaire censé aboutir en mars 2018. Bien qu’il n’ait pas été transmis au Parlement, ce travail semble avoir produit des fruits, puisque le Gouvernement vient de déposer un projet de loi portant suppression de surtranspositions de directives européennes en droit français.

Sans attendre le Gouvernement, le Sénat avait pris les devants. Dès l’hiver dernier, la commission des affaires européennes et la délégation sénatoriale aux entreprises se sont mobilisées pour analyser le phénomène de surtransposition, en mesurer l’ampleur et tenter d’y remédier.

Une consultation en ligne a été lancée auprès des entreprises, et notre collègue René Danesi, membre de ces deux instances, s’est vu confier le soin d’en exploiter les réponses. Sur le fondement de cas concrets, il a ainsi pu élaborer un rapport, adopté le 28 juin dernier par la délégation sénatoriale aux entreprises et par la commission des affaires européennes. Ce rapport établit une typologie des différentes situations de surtransposition et s’attache, en outre, à en identifier les motivations. Notre collègue René Danesi va donc nous présenter ses conclusions et les suites qu’il entend leur donner. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – MM. Franck Menonville et Franck Montaugé applaudissent également.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. René Danesi, au nom de la commission auteur de la demande.

M. René Danesi, au nom de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 28 juin dernier la commission des affaires européennes et la délégation sénatoriale aux entreprises ont adopté mon rapport d’information intitulé La surtransposition du droit européen en droit français : un frein pour la compétitivité des entreprises. Ce rapport pose un principe général : toute surtransposition susceptible de nuire aux intérêts économiques de la France, de ses filières industrielles, de ses services et de ses entreprises doit être écartée.

M. René Danesi, au nom de la commission des affaires européennes. Nos entreprises sont en effet pénalisées par la pratique française persistante de la surtransposition des textes européens. Il en résulte des coûts, des charges administratives injustifiées et une dissymétrie concurrentielle.

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. René Danesi, au nom de la commission des affaires européennes. À partir de cas précis étudiés dans mon rapport, j’ai dressé une typologie des surtranspositions pratiquées : extension du champ d’application de la directive, adjonction d’obligations supplémentaires, maintien d’obligations antérieures à l’harmonisation européenne et non-exploitation des facultés de dérogation ouvertes par une directive ou un règlement. En conséquence, le rapport émet vingt-six recommandations visant à prévenir de nouvelles surtranspositions ou, tout au moins, à évaluer leur impact économique. Parmi ces vingt-six recommandations, je citerai les quatre prioritaires.

Premièrement, la participation active de nos administrations et des acteurs économiques aux négociations européennes pour faire prévaloir les normes et les pratiques françaises.

Deuxièmement, la préparation active de la transposition, qui exige parfois une refonte en profondeur du dispositif français préexistant.

Troisièmement, toute surtransposition doit être identifiée comme telle et dûment justifiée au regard de l’intérêt général qu’elle prétend protéger et qui n’aurait pas été pris en compte dans le texte européen. En outre, l’impact d’une surtransposition sur les entreprises doit faire l’objet d’une évaluation économique documentée.

Quatrièmement, j’appelle particulièrement votre attention sur les insuffisances de la pratique des transpositions par voie d’ordonnance. Le Parlement doit être en mesure de les examiner pour corriger, s’il y a lieu, les écarts de transposition défavorables à nos entreprises.

Le Gouvernement est également conscient du problème, puisqu’il a déposé sur le bureau du Sénat un projet de loi visant à supprimer vingt-sept surtranspositions existantes dans le droit français. Ce projet de loi a été examiné hier par la commission spéciale que j’ai l’honneur de présider. Il est inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée mardi prochain.

Il s’agit, à mon sens, d’une première étape. Le Gouvernement doit poursuivre l’examen des surtranspositions identifiées, en particulier par une mission inter-inspections, et en supprimer l’essentiel dans son domaine réglementaire. Lors de son audition par la commission spéciale, Mme la ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères a annoncé une démarche en ce sens. Nous l’en félicitons !

Je vous rappelle en outre, madame la secrétaire d’État, que nous attendons avec impatience le rapport du Gouvernement sur les surtranspositions prévues par la loi pour un État au service d’une société de confiance. Mais nous ne nous contenterons pas d’attendre. La présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises, le président de la commission des affaires européennes et moi-même venons de déposer une proposition de résolution invitant le Gouvernement à revenir sans tarder sur des surtranspositions réglementaires existantes particulièrement pénalisantes pour les entreprises.

Enfin, le Sénat traduira sa volonté de voir traiter le stock existant de surtranspositions législatives par l’adoption prochaine d’une proposition de loi visant à supprimer un certain nombre de surtranspositions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. Charles Revet. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, madame la présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de débattre de ce sujet avec vous aujourd’hui dans le cadre de votre semaine de contrôle.

La dé-surtransposition de notre droit a un impact très concret sur nos entreprises et sur la vie quotidienne des Français. Le Président de la République et le Premier ministre, vous le savez, ont pris des engagements politiques forts pour sortir d’une logique qui consistait à complexifier le droit européen sans apporter de réels bénéfices aux entreprises et aux Français.

Je tiens donc à remercier la commission des affaires européennes et la délégation sénatoriale aux entreprises d’avoir demandé ce débat spécifique.

Vous vous inscrivez dans une séquence particulièrement riche sur le sujet. En juin dernier, le sénateur René Danesi a publié un éclairant rapport d’information pointant les contraintes engendrées par les surtranspositions en termes de surcoûts directs de production ou de charges administratives supplémentaires. Hier, le projet de loi portant suppression de surtranspositions de directives européennes en droit français, déposé sur le bureau du Sénat par le Gouvernement le 3 octobre dernier et défendu par la ministre Nathalie Loiseau, a été examiné en première lecture par votre commission spéciale.

Comme vous le savez, le Président de la République et le Premier ministre ont fait du sujet des surtranspositions une priorité politique. Pendant trop longtemps, nous avons eu tendance à faire du droit européen une base de travail que nous pouvions raffiner sans limites, sans voir les contraintes que cela créait pour les entreprises françaises. Il y avait au moins trois méthodes de surtransposition.

La première consistait à laisser subsister, par inertie ou dans un souhait de fidélité louable à nos traditions juridiques, des règles préexistantes, parfois anciennes, et, en règle générale, plus contraignantes que celles promues par le droit européen.

La deuxième méthode consistait à aller délibérément au-delà du standard fixé par la norme européenne, qui est le plus souvent un standard minimum, et d’inscrire directement en droit français une nouvelle règle, parfois plus sophistiquée, souvent plus contraignante.

La troisième méthode consistait à ne pas faire usage d’options prévues par le législateur européen permettant un régime simplifié dans certains cas ou pour certaines catégories d’acteurs économiques, en particulier les petites entreprises.

Ces manières de faire ont abouti à complexifier le droit en créant de nouvelles contraintes et elles ont entraîné un manque de lisibilité sans apporter de réelles garanties nouvelles, ni aux entreprises françaises, qui se voyaient concurrencées par des entreprises de pays voisins appliquant un droit plus simple ou plus souple, ni à nos concitoyens, dans la mesure où la complexité des normes l’emportait souvent sur les protections offertes au plan national. C’est pour cette raison que le Gouvernement a décidé de jouer pleinement le jeu du marché ouvert européen au bénéfice des entreprises et de l’économie française dans son ensemble, plus particulièrement, s’agissant de mon portefeuille, de l’industrie.

Plus nous aurons un droit français surtransposé, plus il sera complexe pour nos entreprises de s’implanter dans les pays européens et plus il sera difficile pour une entreprise étrangère de s’implanter en France. L’Europe doit redevenir un terrain d’opportunités économiques pour nos entreprises, et non une contrainte subie.

Le Premier ministre a fixé deux règles pour limiter les transpositions de directives. La première est l’arrêt de toute nouvelle surtransposition qui ne refléterait pas un choix politique assumé pour défendre les intérêts de nos entreprises ou pour protéger les Français ; la seconde est la mise en place d’une procédure spécifique d’autorisation du Premier ministre.

Pour accompagner ces nouvelles règles, nous avons appliqué un principe d’évaluation systématique lors des transpositions du droit européen. Nous avons ainsi procédé à une évaluation du stock des surtranspositions existantes et mené une mission inter-inspections afin de corriger celles qui devaient l’être. Cela a permis d’identifier des mesures de dé-surtransposition, qui sont portées dans les différents véhicules présentés par le Gouvernement depuis le début du quinquennat, notamment dans le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, ou projet de loi PACTE, que vous allez bientôt examiner. Cet effort d’évaluation sera maintenu au fil de l’eau pour les nouvelles directives qui seront transposées à l’avenir. C’est notre premier engagement.

Cela signifie-t-il la fin de toute surtransposition ? Non, car il peut y avoir de très bonnes raisons de surtransposer : pour protéger les consommateurs ou garantir des conditions de sécurité en matière environnementale ou sanitaire. Nous assumons certains standards plus protecteurs qui vont au-delà des normes européennes minimales, car ils répondent à nos préférences collectives pour mieux protéger les entreprises et les citoyens. Nous ne proposons donc pas une dé-surtransposition sauvage qui abandonnerait nos intérêts économiques, notre intérêt public et notre souveraineté juridique. C’est une affaire d’équilibre et d’appréciation au cas par cas.

Le Gouvernement ne soutient pas l’idée d’une Europe qui signifierait systématiquement un nivellement par le bas. C’est pourquoi nous continuerons à nous battre pour des standards européens ambitieux dans tous les domaines. Vous avez ainsi indiqué à juste titre, monsieur Danesi, la nécessité de notre participation active aux négociations afin d’obtenir, dès le stade de la directive européenne, un niveau de normes correspondant à nos attentes.

M. Charles Revet. Il y a du travail !

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat. C’est pourquoi nous assumerons également des surtranspositions ponctuelles et ciblées. Tel est l’état d’esprit qui a présidé à la rédaction du projet de loi qui est en cours d’examen par votre assemblée.

Cette politique d’harmonisation de notre droit au niveau européen, nous la menons avant tout pour simplifier la vie des entreprises. Si je devais citer un exemple, ce serait l’allégement des obligations comptables pour les moyennes entreprises. À l’article 5 du projet de loi portant suppression de surtranspositions de directives européennes en droit français, nous proposons d’élaborer des comptes de résultat simplifiés et de limiter la diffusion d’informations économiques sensibles. Supprimer ce type de surtranspositions, c’est mieux protéger nos entreprises.

Au-delà de ce projet de loi que vous examinerez dès mardi prochain en séance publique, chaque projet de loi ou presque comporte désormais un volet simplification. C’est le cas de la loi pour un État au service d’une société de confiance, du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dit ÉGALIM, grâce à Mme Lamure, ou encore du projet de loi PACTE, que nous défendrons prochainement devant vous. Permettez-moi de citer deux exemples de dé-surtranspositions prévues dans ce dernier projet de loi.

Le premier concerne les seuils de certification légale des comptes, que nous relevons au niveau des seuils de référence proposés par le droit européen. Nous avons soumis cette surtransposition à une étude d’impact approfondie et rigoureuse, qui a démontré que le coût engendré par cette obligation s’élevait à 5 500 euros en moyenne par an pour les entreprises situées en dessous des seuils et qu’il n’était pas associé à un bénéfice quantifiable en matière de fiabilité des états comptables et fiscaux.

Le second exemple est la suppression de l’obligation pour les chambres de compensation françaises d’être agréées comme établissement de crédit. Il s’agit d’une contrainte lourde qui diminue l’attractivité de la place financière de Paris ; or vous savez combien le combat est important pour obtenir des activités complémentaires dans le cadre du Brexit.

Tels sont la logique que nous voulons mettre en place, les engagements politiques que nous avons pris et notre méthode. Je vous propose maintenant d’entrer dans le détail en répondant à vos questions pendant ce débat. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Mes chers collègues, chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, qui sera suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Surtransposition : c’est le nouveau mot magique qui ne fait finalement que reprendre le vieux discours « trop de normes et trop de contraintes ».

Certes, il y a une inflation législative et la loi est souvent bavarde, créant une complexité pour les citoyens, les usagers des services publics ou encore les entreprises. De réforme en réforme, en lieu et place de l’efficacité se profile une véritable insécurité juridique – nous avons eu l’occasion de le rappeler maintes fois dans cette enceinte.

Mais votre critique de la surtransposition est à géométrie variable. Lorsqu’il s’agit d’aller au-delà des directives de libéralisation ou d’ouverture à la concurrence de nos services publics, je le dis, chers collègues, peu de voix s’élèvent dans cet hémicycle. Par contre, il y a une forme d’unanimité de la droite sénatoriale et de la droite gouvernementale pour s’opposer à toute règle nationale plus protectrice que le droit européen.

Ainsi, le rapport de la délégation sénatoriale aux entreprises déplore que la surtransposition rende applicable au plan national le standard que la France n’a pu imposer au niveau européen en matière de sécurité et de santé au travail, de préservation de l’environnement et de la biodiversité, de protection des consommateurs ou encore de transparence de l’action publique. Nous pensons au contraire que c’est une bonne chose, d’autant que nous parlons de directives qui laissent une marge de souveraineté aux États membres, et non de règlements européens.

Le projet de loi portant suppression de surtranspositions de directives européennes en droit français, qui sera débattu dans cette enceinte le 6 novembre prochain, en est la parfaite illustration : il propose de supprimer tout un pan de la législation en matière de crédits à la consommation visant à prévenir le risque de surendettement.

Aujourd’hui, une législation plus protectrice des citoyens et de l’environnement ou un renforcement de la sécurité alimentaire sont décriés comme entraînant des coûts insupportables pour nos entreprises, alors que ces mesures devraient être saluées.

Ma question est donc la suivante, madame la secrétaire d’État : comment justifiez-vous que seul le supposé coût économique soit pris en compte pour faire la part entre une bonne et une mauvaise surtransposition, alors que ce sont la santé des travailleurs, la protection de l’environnement ou encore la sécurité des consommateurs qui sont en jeu ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Monsieur le sénateur, je partage avec vous l’idée que l’insécurité juridique est un mal et que notre droit doit absolument être simple, lisible et compréhensible par nos concitoyens. Je partage également avec vous le fait que la sécurité et la santé au travail sont des sujets importants sur lesquels notre pays doit maintenir des standards plus contraignants que ceux d’autres pays européens.

Pour autant, d’un point de vue général ou oserais-je dire idéologique, je ne suis pas certaine que le fait d’avoir plus de normes soit réellement un gage de plus de sécurité ou d’une meilleure santé. Je pense également qu’il faut être très attentif au fait que ces normes peuvent parfois aboutir à une asphyxie pour les entreprises et à plus de complexité pour les citoyens.

Je rappelle que ce n’est pas seulement le calcul économique qui nous conduit à faire des choix. Celui-ci est en effet pondéré par ce que nous considérons comme notre socle de valeurs sociétales, ce qui peut nous amener, comme pour les émissions de poussières de bois citées par Mme Lamure, à retenir des normes plus contraignantes que les normes européennes.

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel.

M. Henri Cabanel. On dit que c’est un mal français. La surtransposition des normes est en tout cas un vrai serpent de mer. Enquêtes, débats et rapports se succèdent depuis des années, avec des conclusions souvent tranchées : rigidité pour certains, protection pour d’autres…

En France, il est une chose sûre : on a toujours un avis doctrinal dans lequel le curseur du nombre est souvent prioritaire. C’est bien l’écueil du projet de loi portant suppression de surtranspositions de directives européennes en droit français : un angle technique qui vise à une réduction à la suite d’un recensement. Et si la vérité était plus nuancée ?

Ce sont les gouvernements successifs et les législateurs que nous sommes qui font la loi. Nous sommes donc coresponsables de la situation que nous dénonçons.

D’abord, il y a ces pressions de plus en plus nombreuses, fréquentes et organisées. Ces groupes ont une force de frappe énorme. Résultat : au travers des voix des parlementaires, ce sont quelquefois les lobbys qui s’opposent.

S’ils ont tant de prise sur le Parlement, interrogeons-nous sur les causes de cette situation : la course à légiférer limite le temps de la réflexion et surtout l’analyse des impacts de nos décisions.

Sur le terrain, les citoyens, les élus, les chefs d’entreprise nous interpellent sur notre décalage avec leur réalité.

Derrière le sujet de la surtransposition des normes se posent d’autres enjeux : nos insuffisances réelles – pédagogie, concertation, simplification, impacts… Autant d’étapes minimisées qui conduisent à pénaliser nos entreprises, à immobiliser des projets structurants.

Notre collègue René Danesi pointe l’incapacité de la France à participer au processus de discussion des projets européens. C’est un reflet de notre incapacité au niveau national. Les positions sont clivées dès le départ, et le rythme imposé est un déni du débat démocratique. Cela conduit à des postures politiciennes au sein du Parlement et, in fine, à des interprétations de nos administrations, qui jonglent souvent avec les doctrines de plusieurs ministres.

Au-delà de l’élimination de surtranspositions, qui aura pour effet de récuser des intentions parfois fondées de protection sociale et environnementale, il faudrait élaborer une méthode. Madame la secrétaire d’État, quelles sont vos propositions pour permettre une vraie concertation des parties prenantes et une réelle étude des impacts de la loi ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Monsieur le sénateur, je partage votre constat selon lequel l’Europe est parfois très loin des citoyens et des entreprises. L’Europe va parfois vite en conclusions et aboutit à des généralisations. Cela explique peut-être le manque de confiance que peuvent manifester certains de nos concitoyens par rapport aux grands projets européens.

Ces derniers mois, nous avons précisément travaillé à mettre plus de concertation dans nos process, plus de réflexion dans la façon de conduire nos réformes et à mieux prendre en compte, non pas les intérêts – ce terme convient mieux aux lobbys –, mais les préoccupations de nos entreprises et de nos concitoyens.

Par ailleurs, vous avez dû l’observer, nous essayons de prévoir systématiquement des indicateurs permettant d’évaluer la qualité des décisions que nous prenons. Les évaluations que nous menons, par exemple sur le PIA, s’appuient notamment sur les retours que nous adressent les entreprises et les associations de consommateurs.

Nous avons certainement des progrès à faire, et le point soulevé par le sénateur Danesi dans son rapport est parfaitement exact, mais sachez que nous sommes très engagés dans les améliorations à apporter, en amont comme en aval du processus législatif.